C. LA NÉCESSITÉ D'EXPÉRIMENTER LE VOTE PAR CORRESPONDANCE À L'ÉCHELLE LOCALE

Compte tenu des prérequis précédemment exposés, le vote par correspondance « papier » ne pourra pas être mis en oeuvre pour les élections régionales et départementales de 2021 , quelle que soit la date des scrutins.

Il suppose, en effet, des changements structurels et profonds dans nos procédures électorales. Il représente également un véritable défi logistique : plus le vote par correspondance sera sécurisé, plus il sera complexe à organiser.

Rien ne serait pire qu'un vote postal organisé dans la précipitation et sans respecter les conditions nécessaires à sa sécurisation . Comme l'a souligné Jules Nyssen, délégué général de Régions de France, « la confiance [dans le processus démocratique] est aussi importante que la participation pour assoir la légitimité de l'élu » 68 ( * ) .

Si La Poste s'est montrée confiante quant à sa capacité de relever ce défi, d'autres parties prenantes ont exprimé des réserves, voire admis que les délais n'étaient pas suffisants : le ministère de l'intérieur, bien sûr, mais également l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) et les « routeurs ».

Sur le plan politique, l'organisation d'un vote postal pour les prochaines élections régionales et départementales ne fait pas consensus, loin s'en faut . Région de France s'y oppose d'ailleurs clairement .

Parmi les 43 présidents de région ou de département ayant répondu au questionnaire de la mission d'information, seuls 21,4 % estiment que le vote par correspondance peut être mis en oeuvre pour les scrutins de 2021.

Compte tenu des procédures à mettre en oeuvre sur le plan technique,
un dispositif de vote par correspondance « papier » peut être mis en place
(consultation des présidents de région et de département)

Source : mission d'information

La consultation menée par la mission d'information démontre aussi la persistance des suspicions de fraude , en raison du traumatisme qu'a créé l'usage du vote par correspondance dans les années 1960-1970.

L'opinion des présidents de région et de département sur l'organisation
d'un vote électronique pour les prochains scrutins : quelques exemples

- Les présidents qui y sont opposés

« Le secret de l'isoloir permet au citoyen d'exercer son libre arbitre, fondement même de la démocratie [...]. Un vote par correspondance risquerait de favoriser les votes monétisés, communautaires ou familiaux

Le président « est opposé au vote par correspondance papier ou électronique en raison de l'impossibilité de se prémunir contre les fraudes mais également en raison de la suspicion qui entourera en permanence les résultats du scrutin qui en aura bénéficié.

« Hostile : confidentialité du vote, poids de la famille et des communautés, sécurisation du vote incertaine. »

« Sans être par principe absolument opposé à l'idée du vote par correspondance, il me semble que sa mise en place pour les prochaines élections, dans de bonnes conditions, n'est pas réaliste . L'arrivée d'un tel processus et sa maîtrise par les électeurs et les services qui en auront la charge paraissent difficilement atteignables en quelques mois, alors que l'État et les collectivités territoriales auront encore tant à faire en termes de gestion de la crise sanitaire. »

- Les présidents qui y sont favorables

« Favorable au vote par correspondance papier pour permettre à tous les citoyens, même les plus vulnérables, de pouvoir voter sans se mettre en danger . »

« Il est indispensable de faire évoluer nos modalités [de vote] . Le jour (un dimanche) et les modalités ne correspondent plus aux attentes des citoyens au 21 e siècle. »

« Plutôt favorable à l'extension de toutes les mesures qui visent à générer plus de démocratie , plus de participation citoyenne. La méthode importe peu nonobstant la question essentielle de la sécurité du vote. »

À moyen terme, le vote par correspondance « papier » constitue toutefois une piste intéressante pour « réinsérer » certaines catégories de la population dans le processus électoral, en particulier :

- les citoyens « mal inscrits » , dont la résidence est trop éloignée de leur bureau de vote ;

- et les personnes vulnérables , qui ne sont pas toujours en capacité de se rendre aux urnes.

L'impact du vote postal sur la participation :
un débat au sein de la science politique

Lors des auditions de la mission d'information, les politologues Martial Foucault et Cécile Braconnier ont confirmé que la multiplication des voies de participation pouvait permettre de lutter contre l'abstention , même si cette mesure ne constitue pas la « pierre philosophale » qui règlerait toutes les difficultés.

En Californie, l'introduction du vote postal en 2016 a participé à l'augmentation de la participation aux élections générales, qui est passée de 30 % en 2014 à 50 % en 2018 69 ( * ) .

Certaines études ont toutefois démontré que le vote par correspondance pouvait aggraver les différences de situation face au suffrage . Il est utilisé par des électeurs dotés de certaines ressources qui, à cause d'un empêchement passager, ne peuvent pas se rendre aux urnes. Il ne permet pas de lutter contre les causes structurelles de l'abstention (âge, diplômes, catégorie socioprofessionnelle, etc .) 70 ( * ) .

Le professeur Gilles Toulemonde considère, pour sa part, que l'impact du vote par correspondance sur la participation reste incertain, notamment sur le long terme : « En Suisse où le vote par correspondance est assez développé, il est fréquent que l'abstention aux différents scrutins soit proche de 50 %. Ce constat n'exclut pas qu'il pourrait être encore plus important si le vote par correspondance n'existait pas ; mais on ne peut donc pas réaliser de corrélation claire et limpide entre vote à distance et taux de participation. »

Le vote par correspondance « papier » peut également constituer une réponse appropriée pour faire face aux crises sanitaires , à une double condition :

- il ne doit pas être organisé dans la précipitation ;

- les citoyens doivent le pratiquer de manière usuelle, y compris en dehors des périodes de crise.

Les exemples étrangers illustrent clairement ce constat.

L'organisation du vote postal pendant la crise sanitaire :
quelques exemples étrangers

En raison de la crise sanitaire, le canton de Genève a fermé ses bureaux de vote pour l'élection des exécutifs municipaux en mars 2020. Seul le vote par correspondance est resté ouvert. Le taux de participation n'a toutefois pas dépassé les 25 %.

En Bavière , les électeurs pouvaient seulement voter par correspondance pour le second tour des élections municipales, organisé le 29 mars 2020 pendant la « première vague » de la covid-19. La participation a atteint 59,5 % des électeurs, soit 4,2 points de plus qu'en 2014.

En Pologne , le recours au vote par correspondance a été à l'origine d'une grave crise institutionnelle lors de l'élection présidentielle prévue en mai 2020 . Le pouvoir en place a tenté d'imposer, dans la précipitation, un vote exclusivement postal, ce qui a fait l'objet de vives contestations.

Le scrutin a finalement été reporté à la fin du mois de juin 2020. Le vote par correspondance a été ouvert en complément du vote à l'urne mais seul 1 % du corps électoral y a eu recours (soit environ 224 000 électeurs). Comme l'indique le professeur Romain Rambaud, « la situation sanitaire n'était pas très dégradée en Pologne à l'époque et les électeurs furent probablement échaudés par les changements incessants de législation et [ont préféré], pour des raisons de confiance, recourir à des modalités traditionnelles de vote » 71 ( * ) .

En conséquence, la mission d'information propose d'expérimenter le vote postal pour des consultations locales conduites en application des dispositions du code général des collectivités territoriales , par exemple sur des projets d'aménagement ou d'urbanisme .

Elle rejoint ainsi le président du conseil départemental de la Mayenne, Olivier Richefou, qui souhaite mener une telle expérimentation à l'échelle d'un bassin de vie d'environ 20 000 électeurs.

Ces expérimentations nécessiteront l'adoption d'une nouvelle loi afin de préciser la procédure suivie et les sécurités mises en oeuvre .

Elles devront être organisées en coordination avec l'ensemble des acteurs (État, collectivités territoriales, La Poste, « routeurs », etc .) pour examiner, sur le terrain, les difficultés rencontrées et y apporter des réponses opérationnelles. Elles doivent également permettre de mieux appréhender l'impact du vote par correspondance sur la participation électorale.


* 68 Source : audition devant la mission d'information.

* 69 Alvarez R. Michael, Beckett Dustin, Stewart, Charles, « Voting Technology, Vote-by-Mail, and Residual Votes in California, 1990-2010 », Political research quarterly, volume 66, p. 658-670.

* 70 Adam J. Berinsky, Nancy Burns, Michael W. Traugott, « Who Votes by Mail ? A Dynamic Model of The Individual-Level Consequences of Voting-by-Mail Systems », Public Opinion Quarterly, n° 65, 2001, p. 178-197.

* 71 Source : contribution écrite transmise à la mission d'information.

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