C. LE PARCOURS D'EXÉCUTION DE LA PEINE : LE RÔLE DE L'EXPERT POST-SENTENCIEL EN DÉBAT

À l'issue du jugement, l'intervention de l'expert psychiatre ou psychologue change de nature. D'auxiliaire de la justice pénale chargé d'assister le juge dans l'établissement de la responsabilité de l'individu, l' expert post-sentenciel se voit désormais investi d'un rôle ponctuel de suivi médical ou psychologique de la peine, dans le but de préparer la réinsertion.

Ce rôle, beaucoup plus étroitement balisé par la loi , peut connaître d' importantes variations qui, contrairement aux ambiguïtés de l'expertise présentencielle, sont bel et bien induites par le profil de la personne condamnée, les circonstances du jugement et - surtout - par la préparation de la sortie d'emprisonnement.

Lorsque le juge d'instruction a rendu une ordonnance d'irresponsabilité pénale, qui interrompt l'information judiciaire, il peut, en application de l'article 706-135 du code de procédure pénale, l'assortir d' une décision d'admission en soins psychiatriques, selon le régime de l'hospitalisation sans consentement prise sur décision du représentant de l'État . L'expert peut alors intervenir selon les modalités spécifiques de cette prise en charge, décrites aux articles L. 3213-1 et suivants du code de la santé publique 58 ( * ) .

Dans le cas où la juridiction de jugement a conclu à la responsabilité pénale, même atténuée, du prévenu, l'intervention de l'expert reste régie par le code de procédure pénale et se définit davantage comme un accompagnement de l'exécution de la peine prononcée , notamment lorsque cette dernière comprend un suivi socio-judiciaire ou lorsque le détenu en sollicite un aménagement . Doit également être distingué le cas de l' obligation de soins consécutifs à la peine exécutée.

Les rapporteurs souhaitent d'emblée préciser que cette « pénalisation » de l'intervention de l'expert post-sentenciel dans le cas d'une peine privative de liberté est, à l'instar de l'expertise présentencielle, résolument orientée vers une appréciation du risque de récidive .

1. La prévalence des populations sous main de justice atteintes de troubles psychiatriques : une réalité critique

La présence de personnes atteintes de troubles psychiatriques en établissement pénitentiaire pose plusieurs difficultés , connues depuis longtemps, dont deux principales.

En premier lieu, elle illustre une dérive, observable en amont, de l'expertise psychiatrique présentencielle qui ne déduit pas toujours, comme elle le devrait, d'un constat irréfutable de maladie mentale l'abolition du discernement du commettant. En privilégiant l'option de l'altération, l'expertise maintient l'accessibilité du prévenu à une sanction pénale et permet son incarcération. Ces phénomènes de « fausse altération » sont interprétés par la communauté scientifique comme répondant à la préférence marquée de l'opinion publique pour l'enfermement carcéral des malades mentaux criminels par rapport à une option strictement thérapeutique .

Cette préférence, toute compréhensible si l'on considère le grand public, ne saurait pourtant influencer la pratique de l'homme de l'art : selon les professeurs Jean-Pierre Olié, auditionné par vos rapporteurs, et Henri Lôo, l'importante proportion de troubles psychotiques constatée en milieu carcéral (20 %) n'est pas une conséquence de l'enfermement, mais d'une « expertise psychiatrique [qui] ne remplit plus sa mission première d'orienter vers les structures sanitaires les personnes souffrant de troubles psychiatriques » 59 ( * ) .

Lors de son audition par les rapporteurs, l'union syndicale de la psychiatrie (USP) a identifié l'allocution du Président de la République à Antony le 2 décembre 2008, au cours duquel a été évoqué le meurtre commis à Grenoble sur une personne de 26 ans par un malade en fuite de l'établissement de soins psychiatriques où il était accueilli, comme un moment déterminant de cette inflexion sécuritaire .

Les rapporteurs souhaitent à cet égard souligner que ce discours a, au contraire, rappelé que « la place des malades [n'était] pas en prison » et que la solution résidait dans un renforcement de la surveillance des malades dangereux en établissement de soins . Le constat posé par la mission d'information du Sénat en 2010 se trouve malheureusement confirmé.

Le financement et l'organisation des soins psychiatriques font depuis quelques temps l'objet d'importantes préoccupations et de nombreux travaux, auxquels vos rapporteurs ne peuvent que renvoyer. Il leur paraît néanmoins important que, dans les actions qui seront engagées en la matière, une attention particulière soit apportée à la surveillance des profils les plus problématiques.

Proposition n° 16 : sensibiliser les magistrats à privilégier l'irresponsabilité pénale lorsque l'expertise présentencielle fait apparaître un trouble ou une maladie mentale avérée ; en conséquence, renforcer les mécanismes de surveillance au sein des établissements de soins psychiatriques pour ces patients.

La seconde difficulté identifiée par les rapporteurs a trait plus largement à l'incarcération des prévenus qui ont été estimés par l'autorité judiciaire accessibles à une sanction pénale. L'enjeu est celui de l' adaptation du soin psychiatrique qui leur est prodigué dans le milieu carcéral .

Un rapport des sénatrices Laurence Cohen, Colette Giudicelli et Brigitte Micouleau 60 ( * ) a décrit les différents niveaux de la prise en charge psychiatrique des personnes placées sous main de justice :

- le premier niveau, de loin le plus répandu, est constitué par les unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), mises en oeuvre par un établissement public de santé situé à proximité de l'établissement pénitentiaire 61 ( * ) et situées au sein de chaque établissement ;

- le deuxième niveau poursuit l'offre de traitements psychiatriques ambulatoires mais fournit la possibilité d'une hospitalisation partielle et permet donc une extraction temporaire du détenu dans un autre établissement pénitentiaire pourvu d'un service médico-psychologique régional (SMPR) . Ces hospitalisations partielles ne dépassent pas la dizaine de jours par an ;

- le troisième niveau requiert l'hospitalisation complète et suppose un transfert permanent du détenu dans une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) . Ces unités, qui se trouvent dans un hôpital , accueillent exclusivement des détenus, sous la surveillance de l'administration pénitentiaire chargée d'assurer la sécurité. Une fois passé le sas de sécurité, le détenu se retrouve dans un service hospitalier classique et ce sont les soignants qui détiennent les clefs des chambres, ce qui n'est pas le cas pour les détenus souffrant de troubles strictement somatiques accueillis en unité hospitalière interrégionale sécurisée (UHSI). Ainsi, de façon quelque peu paradoxale, le principe de confidentialité des soins, faiblement appliqué dans le milieu carcéral, est strictement respecté en UHSA puisque les « surveillants de l'administration pénitentiaire n'ont plus accès aux locaux internes de l'UHSA, qui sont des services hospitaliers placés sous l'autorité des médecins ».

Un constat doit être posé : les acteurs auditionnés par les rapporteurs ont été unanimes à dénoncer l'absence de distinction, parmi les populations détenues et éligibles à des soins psychiatriques, entre les individus atteint d'un trouble mental et incarcérés en raison d'une altération du discernement au moment de la commission de l'acte, et les individus incriminés en raison d'un trouble grave de la personnalité . Autrement dit, il doit être tenu compte, pendant l'incarcération, de l' origine pathologique du délit ou du crime commis .

Or, ainsi que le relève le docteur Michel David, l'administration pénitentiaire privilégie, dans la dispensation des soins psychiatriques, la dynamique de la vie carcérale - en réservant par priorité ces soins aux détenus qui perturbent la vie pénitentiaire - sur la typologie médicale 62 ( * ) .

Par conséquent, les services psychiatriques pénitentiaires comprennent indifféremment , d'une part, des détenus atteints de pathologies mentales souffrant de troubles névrotiques, de troubles de l'humeur ou de troubles liés à l'utilisation de substances psychoactives et, d'autre part, des détenus souffrant de troubles de la personnalité et de troubles émotionnels et comportementaux 63 ( * ) .

Aussi, l'idée initiale de l'UHSA était-elle de se conformer à l' article D. 398 du code de procédure pénale , aux termes duquel « les détenus atteints [de] troubles mentaux [rendant impossible son consentement et constituant un danger pour elle-même ou pour autrui] ne peuvent être maintenus dans un établissement pénitentiaire », et de réserver l'hospitalisation psychiatrique hors établissement pénitentiaire à ces cas.

Il semble néanmoins que la pratique se soit éloignée de cette prescription . Un rapport conjoint de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale de la justice (IGJ) de 2018 constate que les profils diagnostics varient fortement d'une UHSA à une autre et que, si « les psychoses dominent de loin le tableau clinique des séjours » (34 % à 38 %), les troubles de la personnalité y sont également fortement représentés (18 % à 20 %). Aux termes du rapport, les écarts de répartition dans les diagnostics de séjour soulèvent la question de l'égalité des soins selon le type de troubles : « la moindre proportion de psychoses dans certaines UHSA peut signifier leur moindre repérage et/ou leur orientation vers des structures de droit commun avec, aux dires d'experts, une possible perte de chance en termes de qualité de prise en charge » 64 ( * ) .

Ainsi que l'a rappelé le docteur Cyril Manzanera aux rapporteurs, l'autorité judiciaire doit conserver à l'esprit que l'incarcération d'une personne atteinte de trouble mental, contrairement à la personne atteinte de trouble grave de la personnalité, l'expose à des phases de décompensation plus ou moins violentes qui peuvent mettre sa santé en danger.

Le deuxième alinéa de l'article 122-1 du code pénal, largement réécrit par la loi du 15 août 2014 65 ( * ) , prévoit que la réduction de peine prévue en cas d'altération du discernement puisse s'accompagner, après avis médical et si la juridiction considère que la nature du trouble le justifie , de soins adaptés.

Cette disposition particulière, laissée à la discrétion de la juridiction, semble dans les faits très peu appliquée : le syndicat des psychiatres d'exercice public (SPEP) a en effet indiqué aux rapporteurs que « les personnes condamnées au titre de l'article 122-1 alinéa 2 et présentant des pathologies psychiatriques avérées connaissent peu d'aménagement de peine du fait d'une difficulté d'accès à la libération conditionnelle, en général soumise par le juge d'application des peines à l'engagement du secteur de soins psychiatriques dans une prise en charge adaptée ».

Les rapporteurs se montrent donc favorables à ce que l'article D. 398 du code de procédure pénale connaisse une application stricte, et que la file active des UHSA soit prioritairement constituée de détenus atteints de troubles mentaux. Outre une modification à l'article R. 3214-1 du code de la santé publique afin de rendre cette exigence plus explicite 66 ( * ) , il convient que le ministère de la santé et le ministère de la justice prennent les mesures de précision requises à cet égard .

Proposition n° 17 : expliciter par une circulaire interministérielle le rôle des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) dans la prise en charge prioritaire des détenus atteints de troubles psychiatriques.

2. L'évaluation du risque de récidive : le rôle de l'expert post-sentenciel concurrent de celui des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation

L'intervention de l'expert post-sentenciel au cours du parcours d'exécution de la peine présente cette différence avec l'expertise présentencielle d'avoir pour finalité explicite la mesure du risque de récidive à travers une évaluation de la dangerosité de l'individu . Cette évaluation est requise dans les cas d'infractions particulièrement graves ayant entraîné :

- une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité ;

- une condamnation à une peine d'emprisonnement ou de réclusion criminelle égale ou supérieure à 15 ans pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, à savoir les crimes sexuels ;

- une condamnation à une peine d'emprisonnement ou de réclusion criminelle égale ou supérieure à 10 ans pour les crimes d'assassinat, de meurtre aggravé, de torture, acte de barbarie, viol, enlèvement ou séquestration.

Deux cas de figure sont alors possibles : soit l'expert intervient à la fin de l'exécution de la peine pour les individus présentant « une probabilité très élevée de récidive » et se prononce sur l'opportunité d'une rétention de sûreté 67 ( * ) ou d'une surveillance judiciaire 68 ( * ) (notamment par la pose d'un dispositif électronique) , soit l'expert intervient après le dépôt par le détenu d'une demande de libération conditionnelle 69 ( * ) .

Ces trois possibilités engagent une procédure semblable, décrite avec quelques variations à plusieurs endroits du code de procédure pénale et qui fait intervenir plusieurs acteurs selon un schéma singulièrement complexe .

Dans le cas de l'opportunité d'une rétention de sûreté, le juge d'application des peines (JAP) ou le procureur de la République saisit la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté (CPMS) aux fins d'assurer l'examen de la dangerosité de l'individu. Cet examen requiert le placement de la personne pour au moins 6 semaines dans l'un des trois sites d'évaluation du centre national d'évaluation (CNE) 70 ( * ) . Dans les cas d'une surveillance judiciaire et d'une libération conditionnelle, la saisine de la CPMS par le JAP est facultative, le placement en CNE restant seul obligatoire.

Il est explicitement prévu, pour chacun des trois cas envisagés (rétention de sûreté, surveillance judiciaire, libération conditionnelle), que cet examen de dangerosité soit « assorti d'une expertise médicale ». La partie réglementaire du code de procédure pénale confirme le caractère complémentaire de cette expertise , selon une formule particulièrement ambiguë : en effet, si l'article R. 61-8, qui traite de la composition de la CPMS, prévoit bien qu'elle comprenne un « expert psychiatre » ainsi qu'un « expert psychologue titulaire d'un diplôme d'études supérieures spécialisées ou d'un mastère de psychologie », l'article R. 61-11 prévoit que l'examen de dangerosité doit être réalisé « par un psychiatre et un psychologue titulaire d'un diplôme d'études supérieures spécialisées ou d'un mastère de psychologie » autres que ceux membres de la CPMS .

Les rapporteurs relèvent d'abord que, beaucoup plus qu'au stade présentenciel, le législateur insiste sur le caractère médical de l'expertise post-sentencielle qui, de fait, mobilise davantage d'experts psychiatres que d'experts psychologues . Le syndicat national des psychologues (SNP) a en effet indiqué aux rapporteurs que les expertises psychologiques étaient nettement plus nombreuses en présentenciel qu'en post-sentenciel.

Les rapporteurs déduisent également de ces dispositions que l'évaluation globale de dangerosité du détenu, dont la loi prévoit qu'elle fonde la décision du JAP, se compose dans les faits de deux éléments distincts , qu'une note du ministère de la justice de 2015 71 ( * ) a sommairement décrits sans en désigner explicitement les auteurs : la synthèse pluridisciplinaire d'évaluation de la personnalité , qui serait réalisée par la CPMS ou par les équipes du CNE dans les cas où la CPMS n'est pas saisie, et la synthèse pluridisciplinaire d'évaluation de la dangerosité , qui serait réalisé par les experts dédiés.

Selon la procédure retenue, l'ambiguïté entre l'évaluation de dangerosité et l'expertise psychiatrique post-sentencielle se retrouve à plusieurs endroits du code de procédure pénale à propos de la qualité des auteurs de l'expertise et de sa finalité.

Finalité de l'expertise post-sentencielle selon les cas

Procédure

Infraction

Nature de l'expertise
et qualité des experts

Finalité explicitée par la loi

Rétention
de sûreté

Crimes d'assassinat, de torture ou de viol

(art. 706-53-14 CPP)

Expertise médicale réalisée par deux experts (ceux mentionnés à l'article R. 61-11 CPP)

Dangerosité

Surveillance judiciaire

Crime ou délit ayant entraîné une détention d'au moins 7 ans

(art. 723-31-1 CPP)

Expertise médicale réalisée par deux experts (ceux mentionnés à l'article R. 61-11 CPP)

Dangerosité

Libération conditionnelle

Crimes d'assassinat, de torture ou de viol

(art. 730-2 CPP)

Expertise médicale réalisée par deux experts psychiatres ou par un expert psychiatre et un expert psychologue titulaire d'un diplôme, certificat ou titre sanctionnant une formation universitaire fondamentale et appliquée en psychopathologie

Opportunité du recours à un traitement utilisant des médicaments inhibiteurs de libido

À l'examen de ces dispositions, il paraît que, selon le cadre dans lequel s'inscrit l'expertise post-sentencielle, cette dernière n'obéit pas aux mêmes finalités, et que le partage entre l'expert d'une part et la CPMS ou le CNE d'autre part est variable. Les rapporteurs en appellent à une clarification d'urgence de ces dispositions afin que les missions de chacun soient davantage explicitées.

De plus, ils regrettent qu'aucune évaluation de l'utilité de l'évaluation de la dangerosité des détenus n'ait été conduite et souhaite qu'elle puisse être menée afin de mesurer l'impact de ces obligations sur la prévention de la récidive et par là leur opportunité.

Proposition n° 18 : réexaminer la nécessité des expertises obligatoires en matière de dangerosité par la conduite d'un bilan de ces expertises ; dès à présent, clarifier, au sein du code de procédure pénale, la répartition des missions entre l'équipe chargée de l'évaluation pluridisciplinaire de dangerosité et l'expert post-sentenciel.

Une autre conséquence se déduit de la double intervention de ces acteurs dans l'aménagement du parcours de peine : l' étanchéité de leur mission et la possible discordance de leurs conclusions . En effet, il a été rappelé aux rapporteurs que « les psychiatres et psychologues désignés par le JAP font leurs expertises d'un côté, puis que les psychologues et autres personnels du CNE font leur évaluation pluridisciplinaire de dangerosité [du leur] » 72 ( * ) . Les psychologues et autres personnels du CNE désignent plus précisément les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation , rattachés au service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) du CNE et de l'établissement pénitentiaire du détenu, ainsi que les psychologues cliniciens liés par contrat à la direction interrégionale des services pénitentiaires.

Lors de son audition, Mylène Armand, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation, a relevé plusieurs incohérences de ce double examen.

En premier lieu, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la multiplication des demandes et la pénurie déjà décrite d'experts psychiatres et psychologues compromet gravement la qualité des expertises post-sentencielles .

En deuxième lieu, l'absence totale d'articulation entre les deux travaux pouvant parfois conduire à des résultats contradictoires incapables de convenablement éclairer le JAP, cela plaiderait pour un abandon de l'expertise post-sentencielle au seul profit de l'évaluation conduite par les personnels du CNE . Grâce à l'interdisciplinarité de leur équipe, qui allie la formation spécifique des SPIP et l'approche clinique des psychologues, le CNE apparaît en effet comme le principal intervenant en matière d'appréhension du risque de récidive 73 ( * ) .

La formation des équipes des CNE

Les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation sont aujourd'hui formés en approche cognitivo-comportementale à un modèle d'évaluation du risque de la récidive dit RBR (risques, besoins, réceptivité). Les analyses réalisées sur la base de ce modèle retiennent huit grands facteurs de récidive (les « big eight ») dont les plus importants sont la fréquentation des pairs délinquants, les distorsions cognitives ou « idées fausses » et l'impulsivité ou la détection d'une personnalité antisociale .

Cette formation est dispensée à l'école nationale d'administration pénitentiaire (ENAP) d'Agen et comprend un volet initial de 2 ans, complété par une formation continue tout au long de la carrière. Cette offre pédagogique est issue de nombreux échanges avec l'école de criminologie de Montréal, nourris depuis 2014, et influence plusieurs maquettes universitaires, dont celle de l'université de Lille (proposition prochaine d'un diplôme universitaire de criminologie avec RBR).

Pour reprendre une typologie exposée par Mylène Armand, la formation progressive des futurs conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation au modèle RBR a introduit un profond changement de paradigme, qui voit aujourd'hui la coexistence de trois types de pratiques : les conseillers de l'ancienne génération , dont le métier est très imprégné d'une vocation de travail social et qui oeuvrent surtout à limiter les facteurs externes de récidive (qualité du logement), les conseilleurs de la génération intermédiaire , davantage formés à la détention en milieu ouvert et dont les tâches sont orientées vers le contrôle (des interdictions et des obligations), enfin les conseillers de la nouvelle génération , sensibilisés à la prévention de la récidive.

L'approche strictement clinique du détenu est, pour sa part, réalisée par des psychologues cliniciens contractuels , dont « les niveaux de formation à la criminologie et à la délinquance et à son traitement sont de nature très variable » 74 ( * ) .

La nouvelle approche cognitivo-comportementale, déterminante dans l'appréhension de la dangerosité criminologique du détenu (et non de sa dangerosité psychiatrique), ne fait que très marginalement partie de la pratique de l'expert psychiatre post-sentenciel qui, réalisant son expertise en totale autonomie de celle de l'équipe du CNE, n'est absolument pas incité à s'y former 75 ( * ) . Ce constat est partagé par le docteur Valérie Moulin, maîtresse de conférences au centre hospitalier université vaudois (CHUV), selon laquelle les experts psychiatres privilégient des « outils de jugement professionnel structurés » (OJPS), qui n'intègrent aucune dimension criminologique.

Les rapporteurs seraient ainsi tentés d'avancer, à l'instar de l'expertise présentencielle, que l'attribution d'une mission prédictive de récidive à un professionnel de santé chargé de la détection des pathologies psychiatriques, se justifie difficilement .

Il est néanmoins encore trop tôt pour substituer au modèle actuel d'une expertise post-sentencielle couplée à une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité celui d'une évaluation unique conduite par les SPIP et les psychologues cliniciens du CNE. Pour autant, à mesure que se diffuse la formation des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation au risque de récidive, il est parfaitement envisageable que, d'ici une ou deux dizaines d'années, l'utilité de l'expertise post-sentencielle se soit en grande partie réduite .

Pour préparer au mieux cet horizon, deux ajustements paraissent incontournables :

- intensifier la formation criminologique des psychologues cliniciens contractuels auprès du CNE ;

- assurer, au sein du CNE, la présence de quelques psychiatres , qui assureraient les missions devant être irréductiblement confiées à un médecin, à savoir un avis sur les patients détenus à la suite d'une altération du discernement consécutive à un trouble pathologique et l'opportunité d'un traitement inhibiteur de libido. Ces psychiatres membres de l'équipe du CNE bénéficieraient de facilité de transmission du dossier médical du détenu.

Proposition n° 19 : préparer la réforme de l'évaluation pluridisciplinaire de dangerosité du détenu, qui se substituerait à terme à l'expertise post-sentencielle, en intensifiant la formation criminologique des psychologues cliniciens contractuels auprès du centre national d'évaluation et en y assurant la présence de psychiatres.

3. Le contrôle post-carcéral et l'opportunité de l'injonction de soins : quand l'expert redevient soignant

L'intervention de l'expert post-sentenciel ne se situe pas seulement au cours de l'exécution de la peine, mais également à son issue, lorsqu'il apparaît que la libération de l'individu, pour assurer sa réinsertion, doit s'assortir de mesures de contrôle post-carcéral . En ce que ces mesures de contrôle sont ordonnées par le juge d'application des peines (JAP), l'expert demeure auxiliaire de la justice pénale, mais réinvestit pleinement son rôle premier de dispensateur du soin .

Parmi les diverses mesures de soins pénalement ordonnées, seule l'injonction de soins, dans le cadre du suivi socio-judiciaire (SSJ) consécutif à l'exécution de la peine carcérale, maintient le rôle de l'expert post-sentenciel 76 ( * ) . Le SSJ résulte en grande partie de la réponse pénale apportée à la criminologie pédophilique par la loi dite Guigou 77 ( * ) du 17 juin 1998, qui a créé l'article 131-36-1 du code pénal aux termes duquel le SSJ « emporte, pour le condamné, l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines et pendant une durée déterminée par la juridiction de jugement, à des mesures de surveillance et d'assistance destinées à prévenir la récidive ». Le SSJ a été qualifié par la chambre criminelle de la Cour de cassation de « peine complémentaire », dont l'inobservation expose l'ancien détenu à une peine d'emprisonnement.

La mesure de SSJ ne peut être prononcée que dans les cas prévus par la loi. Elle est encourue, d'une part en cas de meurtre ou d'assassinat précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie , d'autre part en cas d'agressions sexuelles (y compris l'exhibition sexuelle), de corruption de mineur, de diffusion de messages violents ou pornographiques ainsi que d'atteintes sexuelles sur mineur . Elle peut être mise en oeuvre en cas de surveillance judiciaire ou dès le stade de la libération conditionnelle.

L'article 131-36-4 du code pénal prévoit que le SSJ comprend, sauf décision contraire de la juridiction de jugement, une injonction de soins , s'il est établi par expertise médicale que la personne est susceptible de faire l'objet d'un tel traitement . Cette injonction de soins peut être également prononcée par le JAP postérieurement à la décision ayant ordonné le SSJ : dans ce cas spécifique, décrit à l'article 763-3 du CPP, l'expertise médicale préalable reste obligatoire et doit être réalisée par deux experts si la condamnation résulte d'un meurtre ou assassinat d'un mineur précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie.

Aux termes de l'article 706-47-1 du code de procédure pénale, cette injonction de soins peut prendre la forme d'un traitement inhibiteur de libido , sur le modèle de ce que prévoit, sous une forme légèrement différente et pour un spectre plus large d'infractions, l'article 730-2 du même code pour les demandes de libération conditionnelle 78 ( * ) .

L'injonction de soins est étroitement décrite aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, qui font intervenir une figure centrale du suivi thérapeutique de l'ancien détenu : le médecin coordonnateur .

Le régime de l'injonction de soins

• L'article 706-47-1 du code de procédure pénale dispose que, dès le stade de l'expertise présentencielle , l'expert médical - en l'occurrence psychiatre - soit interrogé sur l'opportunité d'une injonction de soins dans le cas où la personne est poursuivie (mais pas encore condamnée) pour un des crimes figurant à l'article 706-47 (crime de meurtre, d'assassinat, de torture ou d'acte de barbarie, crime sur mineur et crimes sexuels).

• Lorsque l'injonction de soins a été décidée par la juridiction de jugement, le juge d'application des peines (JAP) désigne, sur une liste de psychiatres ou de médecins ayant suivi une formation appropriée établie par le procureur de la République, un médecin coordonnateur qui est chargé d'inviter le condamné à choisir un médecin traitant, qui mettra en oeuvre l'injonction de soins et de transmettre au JAP ou à l'agent de probation les éléments nécessaires au contrôle de l'injonction de soins.

En leur qualité de membres de l'équipe de soins , et contrairement aux experts post-sentenciels au sens strict, le médecin coordonnateur et le médecin traitant ont pleinement accès aux rapports des expertises médicales réalisées pendant l'instruction judiciaire et au cours de l'exécution de la peine 79 ( * ) .

Si la personnalité du condamné le justifie, le médecin coordonnateur peut inviter celui-ci à choisir, soit en plus du médecin traitant, soit à la place de ce dernier, un psychologue traitant ayant exercé pendant au moins cinq ans.

• L'injonction de soins peut donc faire intervenir jusqu'à quatre professionnels de santé distincts :

- l'expert présentenciel, chargé de se prononcer sur son opportunité en amont du jugement ;

- éventuellement, l'expert post-sentenciel, consulté lorsque le détenu achève l'exécution de sa peine carcérale ou demande une libération conditionnelle ;

- le médecin coordinateur de son parcours post-carcéral ;

- le médecin traitant chargé de la mise en oeuvre du traitement.

Ce nombre est difficilement compressible en raison d'un régime d'incompatibilités défini par voie réglementaire. L'article R. 3711-8 du CSP dispose en effet que le médecin coordonnateur ne peut être le médecin traitant, et ne peut avoir été désigné pour procéder, au cours de la procédure judiciaire, à son expertise. En revanche, rien n'interdit à l'expert post-sentenciel, dont l'intervention est ultérieure à la procédure judiciaire, d'assumer les fonctions de médecin coordonnateur.

Enfin, un arrêté du 8 décembre 2011 80 ( * ) a porté à 60 le nombre de personnes soumises à une injonction de soins qu'un médecin coordonnateur peut suivre simultanément.

En cas d'absence d'injonction de soins, l'article 706-136-1 du code de procédure pénale prévoit le cas spécifique d'une obligation de soins , que le JAP peut ordonner à la libération de toute personne condamnée pour une infraction commise dans un état de discernement altéré et qui n'a pas été condamné à un SSJ. Cette obligation de soins doit être ordonnée après avis médical .

Ainsi, dans le cas particulier des infractions pour lesquelles un suivi socio-judiciaire et une injonction de soins sont encourus, l'avis de l'expert post-sentenciel, explicitement désigné comme médecin et donc psychiatre, sur l'opportunité de ces mesures doit être obligatoirement recueilli . Cette disposition suscite la circonspection de la plupart des professionnels auditionnés par les rapporteurs.

En effet, un rapport conjoint de l'IGAS et de l'IGSJ de 2011 indiquait qu'il était « admis par la majorité des experts que la plupart des auteurs d'infraction à caractère sexuel ne sont pas des malades mentaux mais possèdent des troubles variés de la personnalité, un grand polymorphisme de déviance sexuelle (notamment pédophilie, sadisme, exhibitionnisme, fétichisme...) et une fréquente association à des conduites addictives » 81 ( * ) . Cette position est largement partagée par le docteur Roland Coutanceau, ainsi que par les représentants de l'union syndicale de la psychiatrie (USP), pour lesquels l'injonction de soins ne serait pas nécessaire dans la plupart des cas, car elle n'a d'efficacité que dans le traitement des troubles mentaux, et non des troubles de la personnalité .

Aussi, certains spécialistes posent franchement la question de l'opportunité de cet avis de l'expert post-sentenciel, en évoquant les dangers d'une « sur-psychiatrisation » 82 ( * ) de l'opportunité de l'injonction de soins.

Les rapporteurs reconnaissent l'intérêt que peuvent avoir des soins pénalement ordonnés au détenu à l'issue de son parcours carcéral et, à ce titre, l'intervention préalable d'un professionnel de santé pour éclairer la décision du juge de l'application des peines. Ils ne sont toutefois pas favorables à ce que cet avis soit automatiquement celui d'un expert psychiatre , dont la pratique clinique emporte mécaniquement un certain nombre de biais et que sa mission d'expert maintient dans un rôle d'auxiliaire de la justice pénale, alors que son examen est essentiellement d'opportunité thérapeutique 83 ( * ) .

Il paraîtrait plus avisé de repositionner à cet égard le rôle du médecin coordonnateur , dont le droit n'oblige justement pas qu'il soit un expert en psychiatrie. Vos rapporteurs trouveraient opportun que son intervention spécifique , actuellement postérieure à la décision de l'injonction de soins, se substitue à celle de l'expert post-sentenciel : le médecin coordonnateur se verrait ainsi attribuer un rôle strictement thérapeutique (et non d'auxiliaire de la justice pénale) d'examen de l'opportunité du traitement, qu'il reviendrait par la suite au médecin traitant de mettre en oeuvre. Afin de rendre cette transition plus opérationnelle, vos rapporteurs préconisent également de faire sauter le verrou de l'article R. 3711-8 du code de santé publique , qui empêche l'expert présentenciel d'exercer les fonctions de médecin coordonnateur, considérant que cette incompatibilité complique leur désignation dans un contexte de pénurie 84 ( * ) .

Proposition n° 20 : repositionner l'intervention du médecin coordonnateur en lui attribuant, à la place de l'expert psychiatre post-sentenciel, la mission d'évaluer l'opportunité thérapeutique d'une injonction de soins et des traitements afférents ; permettre, en réécrivant l'article R. 3711-8 du code de la santé publique, que l'expert présentenciel assume les fonctions de médecin coordonnateur.


* 58 La déclaration d'irresponsabilité pénale du commettant et son transfert immédiat vers l'hospitalisation sans consentement en établissement de soins psychiatriques replacent l'expert médical ou psychologique dans son rôle premier d'accompagnement thérapeutique du patient dans un cadre strictement hospitalier - et non carcéral. Aussi, les rapporteurs ont-ils choisi d'exclure ce cas du champ de leurs investigations, limitées au rôle de l'expert comme auxiliaire de justice, tout en renvoyant aux travaux récents du contrôleur général des lieux de privation de liberté pointant les lacunes générales de l'hospitalisation sans consentement ( Soins sans consentement et droits fondamentaux , Paris, Dalloz, 2020).

* 59 Le Monde , 11 janvier 2012.

* 60 UHSA : construire pour soigner , rapport d'information de la commission des affaires sociales du Sénat n° 612 (2016-2017).

* 61 Article D. 368 du code de procédure pénale.

* 62 M. DAVID, L'expertise psychiatrique pénale , op. cit .

* 63 Ibid .

* 64 Évaluation de la première tranche des UHSA, en vue de l'installation d'une seconde tranche , décembre 2018.

* 65 Loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.

* 66 « L'unité spécialement aménagée au sein d'un établissement de santé mentionnée à l'article L. 3214-1 prend en charge les hospitalisations complètes avec ou sans leur consentement des personnes détenues dans des établissements pénitentiaires se trouvant sur un territoire défini par arrêté conjoint des ministres chargés de la justice, de la santé et de l'intérieur. »

* 67 Articles 706-53-13 et suivants du code de procédure pénale.

* 68 Articles 723-29 et suivants du code de procédure pénale.

* 69 Articles 730-2 et suivants du code de procédure pénale.

* 70 Le site du centre pénitentiaire de Fresnes, du centre pénitentiaire Sud-Francilien ou du centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin.

* 71 Note du 17 juillet 2015 relative au Centre national d'évaluation des personnes détenues.

* 72 A. BLANC, « Les longues peines, au risque de l'oubli », Revue de droit criminelle et de droit comparé , t. I, janv.-mars 2016.

* 73 Comme le relevait M. HERZOG-EVANS dans un article du 20 janvier 2018 sur le rapport Cotte-Minkowski sur le sens et l'efficacité des peines ( Dalloz actualité ), « il serait autrement plus pertinent de mobiliser les CNE plus systématiquement, ce, non point en se fondant sur la nature des mesures, mais sur la nature des infractions (gravité et complexité) et le niveau de risque ».

* 74 A. BLANC, « Les longues peines, au risque de l'oubli », loc. cit .

* 75 Pour reprendre les termes de M. HERZOG-EVANS ( loc. cit. ), leur « compétence psycho-criminologique est hélas gravement lacunaire ».

* 76 Le cadre de l'injonction de soins a été présenté par nos collègues M. MERCIER, M. MEUNIER et D. VÉRIEN, dans leur rapport d'information n° 529 (2018-2019) fait au nom de la mission commune d'information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d'organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d'être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l'exercice de leur métier ou de leurs fonctions.

* 77 Loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs.

* 78 Cf. supra .

* 79 Article 717-1 du code de procédure pénale.

* 80 Arrêté du 8 décembre 2011 modifiant l'arrêté du 24 janvier 2008 pris pour l'application des articles R. 3711-8 et R. 3711-11 du code de la santé publique relatif aux médecins coordonnateurs.

* 81 L'évaluation du dispositif de l'injonction de soins , février 2011.

* 82 R. RYCKEBUSCH, L'injonction de soins, 20 ans après sa création : description, revue de la littérature et étude des pratiques de prescriptions pharmacologiques en Nord-Pas-de-Calais , thèse pour le diplôme d'État de docteur en médecine, Université de Lille, 2018.

* 83 Ibid .

* 84 Cette recommandation avait été émise par l'IGAS et l'IGSJ en 2011 sans être suivie d'effet.

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