B. LE RESPECT DES INSTITUTIONS JUDICIAIRES

1. La mise en oeuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme

Au cours de sa séance du mardi 26 janvier 2021, l'APCE a adopté, sur le rapport de M. Constantinos Efstathiou (Chypre - SOC), au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, une résolution et une recommandation sur la mise en oeuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Dans son dixième rapport sur ce sujet, la commission des questions juridiques et des droits de l'homme met en avant les progrès réalisés par certains États membres dans l'exécution des arrêts de la Cour et l'impact de la « réforme d'Interlaken » sur ce processus.

Le Comité des Ministres surveille à l'heure actuelle l'exécution de quelque 5 000 arrêts. Bien que le nombre d'affaires pendantes ait considérablement diminué ces dernières années, de nombreux arrêts portant sur des problèmes structurels n'ont connu aucune exécution depuis plus de dix ans. Il s'agit principalement d'arrêts rendus contre la Fédération de Russie, la Turquie, l'Ukraine, la Roumanie, la Hongrie, l'Italie, la Grèce, la République de Moldavie, l'Azerbaïdjan et la Bulgarie. En outre, l'exécution des arrêts rendus dans les affaires interétatiques ou les affaires individuelles qui présentent des caractéristiques interétatiques soulève des difficultés particulières.

La commission a appelé les États membres à exécuter rapidement et pleinement les arrêts de la Cour, en particulier en consacrant suffisamment de ressources aux parties prenantes nationales compétentes, et à mettre en place des structures parlementaires chargées de contrôler le respect de la convention européenne des droits de l'Homme. Le Comité des Ministres devrait notamment accorder la priorité aux affaires complexes pendantes depuis plus de cinq ans et recourir à nouveau à l'article 46, paragraphes 3, 4 et 5, de la convention en cas de forte résistance de l'État défendeur.

M André Vallini (Isère - Socialiste, Écologiste et Républicain) a d'abord rappelé l'importance de la Cour européenne des droits de l'Homme pour les citoyens européens. Il a regretté que, sept ans après son adoption, le Protocole numéro 15, qui renforce le principe de subsidiarité, n'ait pas été ratifié par l'ensemble des États parties. Par ailleurs, il a jugé inacceptable que le droit russe confère à la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie la compétence de déclarer un arrêt de la Cour comme non exécutoire. Les nouveaux projets d'amendements examinés par la Commission de Venise accroîtraient encore cette possibilité. Pour lui, le choix de l'exécution ou non d'un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'Homme ne se pose pas et il est nécessaire de rappeler à la Fédération de Russie ses obligations.

Pour M. François Calvet (Pyrénées Orientales - Les Républicains) , quatre États méritent un suivi particulièrement attentif : la Fédération de Russie, la Turquie, l'Ukraine et la Roumanie car ils représentent plus des deux tiers des requêtes pendantes devant la Cour. L'exécution des arrêts qu'elle rend incombe à chaque État partie à la convention et ne devrait pas être un sujet de débat, qu'il s'agisse des affaires individuelles comme des affaires interétatiques, même si ces dernières présentent bien souvent un caractère politique très sensible. Il en va de la crédibilité du Conseil de l'Europe. Pour favoriser la mise en oeuvre des arrêts, le Comité des Ministres ne devrait pas hésiter à recourir davantage à l'article 46 de la convention en cas de forte résistance de l'État défendeur.

Mme Nicole Duranton (Eure - Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants) a expliqué qu'il n'appartient pas aux États de faire le tri dans les arrêts en fonction de leurs approches ou contraintes nationales. Pour elle, le rôle des Parlements nationaux est primordial pour veiller à la bonne application des arrêts. Elle a témoigné des initiatives prises par la délégation française pour avoir, en décembre 2020, un débat de fond avec le ministre de la Justice, les cours suprêmes françaises, les avocats et la Cour européenne des droits de l'Homme et ainsi établir un état des lieux circonstancié de la situation de la France au regard de la jurisprudence de la Cour. Enfin, elle a demandé au Comité des Ministres du Conseil de l'Europe de se montrer plus offensif pour permettre de régler certains problèmes structurels, notamment en ce qui concerne les arrêts rendus depuis dix ans et qui n'ont pas encore été exécutés.

2. Le nécessaire respect de l'indépendance des juges en Pologne et en République de Moldavie

Au cours de sa séance du mardi 26 janvier 2021, l'APCE a adopté, sur le rapport de M. Andrea Orlando (Italie - SOC), au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, une résolution sur l'indépendance des juges en Pologne et en République de Moldavie.

L'accès à la justice devant des juridictions indépendantes et impartiales étant un des critères de l'État de droit, la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme s'inquiète de la situation du pouvoir judiciaire en République de Moldavie et en Pologne.

En République de Moldavie, plusieurs tentatives pour réformer la justice n'ont pas abouti. La corruption et la proximité d'une partie du pouvoir judiciaire avec le pouvoir politique demeurent des phénomènes très répandus. Tout en saluant la coopération du gouvernement en fonction avec le Conseil de l'Europe, la commission a appelé les autorités à renforcer leurs efforts pour combattre la corruption et à donner priorité à la réforme de la justice, conformément aux recommandations des organes d'experts du Conseil de l'Europe.

Concernant la Pologne, la commission a rappelé la Résolution 2316 (2020) de l'Assemblée parlementaire, les récentes décisions de la Cour de justice de l'Union européenne, ainsi que les avis de la Commission de Venise concernant la réforme de la justice entamée en 2017. Elle a réitéré ses préoccupations quant aux différentes formes de harcèlement visant des juges critiques et quant à la loi « muselière », qui met en péril le droit des juges au respect de leur vie privée et à leurs libertés d'expression et d'association. Elle s'est inquiétée du chaos juridique qu'entraîne cette réforme pour les justiciables et a appelé les autorités à la réviser, à ouvrir un dialogue constructif avec toutes les parties prenantes et à coopérer avec le Conseil de l'Europe.

Au cours de ce débat, Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, ancienne ministre fédérale de la justice d'Allemagne s'est exprimée. Elle a rappelé que l'indépendance des juges est liée à la volonté politique des États de la garantir et qu'il revient d'abord à la législation nationale de préserver l'État de droit. Elle s'est inquiétée de voir que plus de 5 200 arrêts sont en cours de supervision par le Comité des Ministres. Des changements constitutionnels dans plusieurs États membres seront nécessaires pour que les droits des citoyens soient protégés.

M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin - Les Républicains) a expliqué que, malgré plusieurs tentatives de réforme, une partie du pouvoir judiciaire moldave demeure corrompu et continue à entretenir une proximité inacceptable avec le pouvoir politique. L'autorité judiciaire polonaise est quant à elle confrontée à une situation très inquiétante depuis 2015 avec une remise en cause de l'indépendance des juridictions les plus importantes du pays. Les réformes ont grandement déstabilisé la justice polonaise créant des tensions entre les « anciennes » institutions judiciaires qui refusent de reconnaître la légitimité des « nouvelles ». Pour lui, il est urgent de revenir sur toutes les réformes intervenues ces dernières années pour sauvegarder la démocratie en Pologne.

M. André Vallini (Isère - Socialiste, Écologiste et Républicain) a réaffirmé la nécessité pour la Pologne et la République de Moldavie de respecter leurs engagements. Le Conseil de l'Europe doit y travailler. Il en va de sa crédibilité. Certes, la situation est différente d'un État à l'autre. En République de Moldavie, les dirigeants tentent d'établir une justice indépendante malgré le poids de la corruption alors qu'en Pologne, les dirigeants remettent en cause les acquis de ces trente dernières années. La situation est toutefois la même pour les juges qui subissent des intimidations et des représailles.

M. François Calvet (Pyrénées orientales - Les Républicains) s'est déclaré particulièrement inquiet de la situation en Pologne. Pour lui, l'État de droit n'est jamais un acquis et ce qui se passe en Pologne l'illustre parfaitement. Les réformes entreprises depuis 2015 ont, de fait, renforcé l'influence des pouvoirs exécutif et législatif sur le système judiciaire. Malgré les actions de la Commission européenne, le vote de la loi « muselière » du 20 décembre 2019 qui institue des procédures permettant la levée de l'immunité des juges, y compris pour des actes commis dans l'exercice de leurs fonctions, renforce les inquiétudes. Face à ces dérives, l'Union européenne et le Conseil de l'Europe doivent travailler de concert.

Mme Nicole Duranton (Eure - Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants) a rappelé les efforts faits par la République de Moldavie depuis son adhésion au Conseil de l'Europe. Toutefois, la question de l'indépendance de la justice reste difficile à résoudre, d'autant plus que la corruption se maintient à un niveau particulièrement élevé. Cette question cristallise les tensions politiques. En effet, le projet de nomination d'un nouveau procureur général, présenté en août 2019, a provoqué la chute du gouvernement de coalition. Le 28 novembre dernier, le Gouvernement moldave a présenté une « Stratégie pour l'indépendance et l'intégrité de la justice en 2021-2024 » et un plan d'action pour la mettre en oeuvre. Le Conseil de l'Europe et l'Union européenne doivent aider la République de Moldavie à atteindre ses objectifs en vue de renforcer l'indépendance de la justice.

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