C. LA DÉFENSE DES LIBERTÉS INDIVIDUELLES

1. L'arrestation et la détention d'Alexeï Navalny en janvier 2021

L'APCE, sur proposition de son Bureau a décidé de tenir un débat d'urgence, qui a eu lieu le mercredi 27 janvier 2021, sur l'arrestation et la détention d'Alexeï Navalny en janvier 2021 par les autorités russes. Ce débat ne donne pas lieu à la présentation d'un rapport par une commission permanente et à son issue, l'Assemblée parlementaire n'est pas appelée à se prononcer sur un texte.

Au cours de ce débat, présidé par Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche) , présidente de la délégation française, M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) , en sa qualité d'orateur principal désigné par le Bureau, a dénoncé l'arrestation de M. Alexeï Navalny. Sans aborder sur le fond l'empoisonnement dont il a été victime, il a évoqué les circonstances de son arrestation à son retour en Russie, à la suite de son séjour en Allemagne où il a été soigné, alors qu'il était toujours sous contrôle judiciaire.

Il a ensuite rappelé la chronologie des faits. M. Alexeï Navalny a été arrêté dans le cadre d'une affaire pénale, connue sous le nom « d'affaire Yves Rocher », une société que M. Alexeï Navalny et son frère étaient accusés d'avoir escroquée. M. Alexeï Navalny avait alors été condamné à une peine de trois ans et demi de prison avec sursis et était donc sous contrôle judiciaire.

Pour M. Jacques Maire, M. Alexeï Navalny n'a jamais cherché à fuir la justice russe.

Il souhaitait revenir au plus vite en Russie. Les reproches qui lui sont faits sont donc injustifiés. Aujourd'hui, M. Alexeï Navalny risque trois ans et demi de prison. Or, il se trouve que concernant l'affaire impliquant l'entreprise Yves Rocher, la Cour européenne des droits de l'Homme a rendu en 2017 un arrêt dans lequel elle a estimé que les autorités russes « avaient violé le droit à un procès équitable de M. Navalny » et indiqué aussi « l'interdiction de le punir sans loi, sur la base de décisions arbitraires et manifestement déraisonnables des tribunaux russes ». Un nouveau procès aurait donc dû avoir lieu, ce que la Cour suprême de la Fédération de Russie a refusé.

M. Jacques Maire a donc encouragé le Comité des Ministres à examiner d'urgence l'arrêt et à rappeler qu'aucun État membre du Conseil de l'Europe ne peut prétendre à refuser d'appliquer les arrêts de la Cour. Pour conclure, il a souhaité que la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme propose un projet de résolution rapidement.

M. André Gattolin (Hauts-de-Seine- Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants) a vivement regretté que l'Assemblée parlementaire ne tienne pas un débat d'urgence sur la question, ce qui aurait permis de mettre aux voix une résolution, quitte à ce que celle-ci ne soit pas adoptée. Lorsque M. Alexeï Navalny est rentré en Russie, il a été arrêté et lors d'une audience improvisée dans un commissariat de police, il a été entendu sans son avocat et condamné à trente jours de détention. Face à cette situation, les ministres des Affaires étrangères du G7 ont adopté une position ferme et M. André Gattolin a appelé l'APCE à faire de même, pas contre la Russie ni son peuple, mais pour le respect de la légalité et du droit afin que la démocratie ne recule pas.

M. Claude Kern (Bas-Rhin - Union Centriste) a déploré l'attitude de la Russie et a appelée à la libération de M. Alexeï Navalny. Il a rappelé les débats qui ont mené à la réintégration des parlementaires russes au sein de l'APCE, avec l'objectif d'un dialogue exigeant. Pour lui, il n'y a pas d'adhésion à la carte aux valeurs du Conseil de l'Europe. Il a également souhaité que le rapport confié à M. Jacques Maire permette de faire la lumière sur l'empoisonnement de M. Alexeï Navalny.

Pour M. André Vallini (Isère - Socialiste, Écologiste et Républicain) , la raison d'être du Conseil de l'Europe est la défense de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'Homme. Or, avec cette nouvelle affaire Navalny, la Russie montre qu'elle bafoue la démocratie, qu'elle ignore l'État de droit et qu'elle piétine les droits de l'Homme. Devant ce constat, il s'est demandé si la Russie peut rester membre du Conseil de l'Europe et il a appelé l'Assemblée parlementaire à s'interroger sur cette question avec lucidité.

2. Les restrictions des activités des ONG dans les États membres du Conseil de l'Europe

Au cours de sa séance du mercredi 27 janvier 2021, l'APCE a adopté, sur le rapport de Mme Alexandra Louis (Bouches-du-Rhône - La République en Marche) au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, une résolution et une recommandation dénonçant les restrictions des activités des ONG dans les États membres du Conseil de l'Europe.

Mme Alexandra Louis étant retenue à Paris par ses obligations de juge titulaire à la Cour de Justice de la République, son rapport a fait l'objet d'une présentation en séance par le président de la Commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, M. Boriss Cileviès (Lettonie - SOC).

Plus de deux ans après la Résolution 2226 (2018) de l'Assemblée parlementaire, le rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme a observé avec préoccupation que l'espace dévolu à la société civile continue à se rétrécir dans plusieurs États membres du Conseil de l'Europe. Les lois restrictives critiquées par le Conseil de l'Europe -notamment celles concernant l'accès aux fonds de l'étranger - continuent à être appliquées. Certaines ONG font l'objet de campagnes de dénigrement et de nouveaux obstacles résultent des mesures restrictives liées à la pandémie de Covid-19.

Malgré cela, la commission a salué les bonnes pratiques de certains États, mises en oeuvre pour assurer un environnement propice aux activités de la société civile, ainsi que les modifications législatives adoptées conformément aux recommandations du Conseil de l'Europe. Elle s'est félicitée également des dernières évolutions au sein de l'Organisation visant à assurer une meilleure participation des ONG à ses travaux.

La commission a appelé les États membres à respecter les normes du droit international en matière des droits à la liberté de réunion, d'association et d'expression, ainsi que les recommandations pertinentes du Conseil de l'Europe, dont celles incluses dans le rapport sur le financement des associations de la Commission de Venise. Les États devraient abroger les lois qui n'y sont pas conformes, s'abstenir d'en adopter de nouvelles de ce type et ne pas harceler les ONG.

Pour M. André Gattolin (Hauts-de-Seine- Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants) , les ONG, composante essentielle pour une société civile ouverte et démocratique, font parfois l'objet de restrictions inacceptables. Il a notamment insisté sur celles liées aux financements venant de l'étranger pour lesquels certains États appliquent des obligations excessives aux ONG qui ont besoin de ces fonds pour exister. Il a cité des exemples préoccupants en Russie, en Turquie, en Azerbaïdjan et en Hongrie. Si la transparence est nécessaire pour lutter par exemple contre le terrorisme, il faut prendre garde à ce qu'elle ne devienne pas une arme contre la société civile.

Mme Marie-Christine Dalloz (Jura - Les Républicains) s'est dite préoccupée par les restrictions imposées aux ONG dans de nombreux États. Cette tendance doit être freinée. Pour cela, elle a préconisé une approche ferme sur les principes tout en étant pédagogique. Si des ONG affichent un positionnement qui ne correspond pas véritablement à leurs actions ou si elles sont instrumentalisées à d'autres fins, alors les autorités ont le droit et même le devoir d'agir dans un cadre légal. Pour conclure, elle a rappelé que si la protection de la santé publique peut justifier certaines restrictions, celles-ci doivent être nécessaires, proportionnées et prévues par la loi. La vigilance des parlementaires sur ce point s'avère nécessaire, d'autant que le contexte épidémique fragilise particulièrement certaines catégories de la population habituellement soutenue par les ONG.

3. Le profilage ethnique : une question très préoccupante en Europe

Au cours de sa séance du jeudi 28 janvier 2021, l'APCE a adopté, sur le rapport de M. Boriss Cileviès (Lettonie - SOC), au nom de la commission sur l'égalité et la non-discrimination, une résolution dénonçant le profilage ethnique en Europe.

En ouverture du débat, le rapporteur a constaté que les forces de l'ordre effectuent des contrôles d'identité quotidiennement. Cependant, certaines personnes sont plus particulièrement ciblées pour ce type de contrôles pour des motifs tels que la race, la couleur, l'origine nationale ou ethnique, ou la religion perçue. Le fait d'appréhender une personne pour ces motifs est constitutif de discrimination.

Le profilage ethnique favorise une vision déformée de la société, dans laquelle les stéréotypes, les préjugés et la discrimination raciale sont non seulement tolérés, mais même encouragés. Il a un impact négatif sur ses victimes et affecte la confiance entre la police et la population. Le profilage ethnique peut diminuer l'efficacité des actions de la police en augmentant leur prévisibilité. Il est nécessaire de mettre l'accent sur la sensibilisation aux effets négatifs du profilage ethnique, de tenir des registres des contrôles d'identité effectués, de collecter des données sur l'incidence du profilage ethnique, de mettre en place des mécanismes indépendants chargés des plaintes contre la police, d'investir dans la formation des agents de police, de fournir aux forces de l'ordre les ressources nécessaires à l'accomplissement de leur mission et d'encourager davantage le dialogue.

Les autorités publiques et les dirigeants et dirigeantes politiques doivent montrer l'exemple et prendre des mesures pour lutter contre le racisme systémique. Parmi les moyens d'action politique concrets figurent la législation interdisant la discrimination, la condamnation du profilage ethnique dans les débats publics, la réaction aux discours racistes et le refus de justifier le racisme de la part de représentants des autorités gouvernementales.

Lors de la discussion générale, Mme Marietta Karamanli (Sarthe - Socialistes et apparentés) a souhaité faire deux observations. Tout d'abord, l'utilisation de l'intelligence artificielle au titre des outils de prévention et de poursuite de la délinquance entraîne de nombreux signalements en raison des biais et des erreurs qu'elle permet. Ce profilage algorithmique conduit à de nombreuses discriminations et doit être un sujet de préoccupation pour le Conseil de l'Europe. Ensuite, elle a défendu l'idée que les décisions de justice qui mettent en évidence une différence de traitement soient justifiées et objectivées pour éviter de laisser croire à une discrimination. Sur la base de ces éléments, elle a rappelé l'importance d'une information large des personnes discriminées et a souhaité la mise en place d'une plate-forme de bonnes pratiques de prévention et de lutte contre le profilage ethnique.

M. André Gattolin (Hauts-de-Seine- Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants) a commencé par souligner l'actualité de ce débat en France, au moment où s'ouvre la concertation nationale consacrée à la police et à la gendarmerie et où six ONG ont annoncé envisager une action de groupe contre l'État français afin de lutter contre les « contrôles au faciès ». Il a fait part de sa conviction que la justice française, si elle était finalement saisie, apprécierait les éléments du dossier de manière pertinente et sans faiblesse, rappelant que la Cour de cassation avait déjà condamné l'État français en 2016 pour ce motif. Sur ce sujet, la formation de la police et le contrôle de ses pratiques sont des questions essentielles. Puis, il a souhaité ouvrir le débat sur les statistiques ethniques qui sont interdites en France mais qui permettraient de mettre en lumière les discriminations et de mettre en place des politiques publiques mieux adaptées.

4. La liberté d'expression (article 10 de la CEDH) menacée par les « Géants du Web »

L'APCE, sur proposition de son Bureau a décidé de tenir un débat d'urgence, qui a eu lieu le jeudi 28 janvier 2021, sur les menaces que font peser les « Géants du web » sur la liberté d'expression. Ce type de débats ne donne pas lieu à la présentation d'un rapport par une commission permanente mais s'apparente plutôt à une discussion générale sans vote.

En ouverture de ce débat, M. Bob De Brabandere (Belgique - CE/AD) a souligné que la liberté d'expression est ce qui distingue une démocratie d'une dictature. Outre que la liberté d'expression existe en démocratie, il ne peut y avoir de véritables démocraties sans liberté d'expression, qui en est la condition préalable.

Or, les plateformes de médias sociaux jouent désormais un rôle d'agora publique. L'orateur principal de groupe à l'origine de la thématique retenue pour ces échanges a conclu qu'il appartient, en dernier ressort, aux seules législateurs et tribunaux - et non aux plateformes elles-mêmes - de déterminer ce qui constitue une violation de la liberté d'expression et ce qui ne l'est pas.

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