EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 12 mai 2021 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur le thème : « Comment sortir des prêts garantis par l'État (PGE) ? ».

M. Claude Raynal , président . - Nous en venons maintenant à une communication du rapporteur général sur le thème : « Comment sortir des prêts garantis par l'État ? ».

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je souhaite vous présenter les conclusions du travail de contrôle que j'ai mené sur les prêts garantis par l'État (PGE).

Comme vous le savez, ce dispositif a été mis en oeuvre rapidement dès le mois de mars 2020. Il a permis aux entreprises de sécuriser leur trésorerie en empruntant jusqu'à trois mois de chiffre d'affaires, avec un différé initial de remboursement d'un an. Distribués par les banques, ces prêts bénéficient de la garantie de l'État dans la limite de 90 % des sommes versées et d'une enveloppe maximale de 300 milliards d'euros.

À bien des égards, ce montant global a incarné l'engagement du Président de la République d'accompagner les acteurs économiques « quoi qu'il en coûte ». Pourtant, dans un premier temps, les PGE ne coûtent rien au budget de l'État : il s'agit d'un soutien en trésorerie que les entreprises doivent ensuite rembourser. D'autres pays ont, dès le départ, fait un choix différent, en privilégiant le recours aux subventions, ce qui tend à soulager immédiatement et définitivement les entreprises.

Comme point de départ de mon travail, je me suis posé deux questions : tout d'abord, dans quelle mesure le choix de recourir massivement aux PGE remet-il en question l'efficacité du soutien apporté aux entreprises françaises ? Ensuite, comment ce choix affecte-t-il notre capacité à rebondir en sortie de crise ?

Vous l'aurez constaté, depuis quelque temps, certains s'interrogent sur les risques de « zombification » qui pourraient menacer l'économie française, tandis que de nombreuses entreprises réfléchissent à la façon de rembourser leurs emprunts.

Pour répondre à ces questions, j'ai mené de nombreuses auditions à Paris et à Nancy, en échangeant avec tous types d'acteurs, qu'il s'agisse d'acteurs institutionnels, d'économistes ou de chefs d'entreprise.

Je me suis également appuyé sur une étude inédite commandée à l'Institut des politiques publiques (IPP), afin d'évaluer l'efficacité du recours aux PGE et d'apprécier les contraintes qui en résultent sur les bilans des entreprises. Ses conclusions sont particulièrement précieuses, notamment parce que l'étude se fonde sur les premières données réelles disponibles, là où les travaux publiés jusqu'à présent résultent de modèles économétriques.

Je vous présenterai mes conclusions en trois temps, en commençant par un bilan des PGE, puis en envisageant l'exposition de l'économie française à un surendettement des entreprises, avant de vous présenter mes recommandations.

Les chiffres résument l'ampleur du recours au dispositif : depuis sa création, près de 140 milliards d'euros de PGE ont été octroyés à plus de 670 000 entreprises. Plus de 80 % d'entre eux ont été signés au cours du deuxième trimestre 2020.

Par rapport aux autres pays européens, la France se place dans une situation intermédiaire : en proportion de notre PIB, le recours aux PGE est cinq fois supérieur à celui de l'Allemagne, mais presque moitié plus faible qu'en Espagne. Faute de marges de manoeuvre budgétaires jugées suffisantes, le Gouvernement a donc fait le choix de recourir davantage à ce soutien en trésorerie.

Les caractéristiques du PGE ont été définies de manière « agressive » en France avec, en particulier, la décision de proposer aux entreprises un taux d'intérêt sensiblement plus faible que celui auquel celles-ci pouvaient se financer avant le déclenchement de la crise sanitaire. Pour une majorité d'entre elles, le PGE s'est donc révélé très attractif.

L'étude de l'IPP atteste d'une réelle efficacité des PGE à court terme, et ce pour deux raisons principales. D'abord, en dépit de sa large diffusion, le dispositif a concerné en priorité des secteurs particulièrement touchés par la crise sanitaire. Ainsi, près de 60 % des entreprises du secteur de l'hébergement et de la restauration ont souscrit un PGE. Ensuite, la garantie n'a pas entraîné d'effet anti-sélection, puisque les banques ont appliqué le même niveau d'exigence pour l'octroi de leurs prêts.

À ce stade, les évaluations convergent donc pour conclure à une efficacité réelle des PGE à court terme.

Mais qu'en est-il de la suite ? Il semble que ce premier bilan pourrait être remis en cause à l'aune de deux facteurs.

La publication des comptes nationaux pour l'exercice 2020 révèle que les entreprises françaises ont conservé dans leur bilan 22 % du coût de la crise, contre 7 % en moyenne à l'échelon européen. En Allemagne, c'est même l'intégralité des pertes des entreprises qui a été prise en charge par la puissance publique.

En outre, l'allongement de la crise sanitaire met le principe même du dispositif sous tension, sans que le différé d'un an supplémentaire ne réponde totalement à la problématique.

Certaines entreprises ont donc utilisé leur PGE pour compenser leurs pertes. Beaucoup de chefs d'entreprise se demandent aujourd'hui comment ils pourront honorer leurs mensualités de remboursement, auxquelles s'ajoutent souvent différentes échéances fiscales et sociales reportées. Cette inquiétude est d'autant plus forte que certains secteurs particulièrement touchés par la crise l'ont abordée avec des fragilités spécifiques. Ainsi, avant la crise, un quart des entreprises du commerce avait au maximum une semaine de chiffre d'affaires en trésorerie d'avance.

À l'appui de ce bilan, quelles sont les conséquences du choix du Gouvernement de recourir largement aux PGE ? Deux questions se posent : faut-il s'inquiéter du risque de surendettement des entreprises françaises ? Quel en sera le coût pour les finances publiques ?

Concernant les entreprises, le risque est double : d'une part, une accélération du nombre de faillites, y compris d'entreprises fondamentalement viables et productives et, d'autre part, une réduction de leurs dépenses d'investissement. C'est ce que les économistes qualifient généralement d'« étranglement par la dette ». Vous l'aurez compris, une telle situation affecterait sensiblement notre capacité de rebond et pourrait même menacer durablement nos capacités de production.

Or, de ce point de vue, la France se distingue par une plus forte « congélation » de son économie que les autres pays européens. La baisse du nombre des défaillances en 2020 y atteint près de 40 % du niveau observé en 2019, contre 21 % au niveau de l'Union européenne. Un rattrapage est à redouter, ne serait-ce qu'au vu des défaillances suspendues en 2020. Il nous faut cependant anticiper le « dégel » pour éviter tout risque de progression spontanée sous l'effet de la dégradation de la situation financière des entreprises.

C'est pourquoi il est indispensable de confronter ces différents éléments avec la réalité : à quel point la crise sanitaire a-t-elle dégradé le bilan de nos entreprises ?

Les chiffres agrégés sont de prime abord plutôt rassurants : l'endettement net des entreprises françaises reste globalement stable en 2020. Autrement dit, les entreprises se sont endettées massivement, mais elles ont aussi accumulé d'importantes liquidités. Cependant, une partie d'entre elles pourrait d'ores et déjà être préemptée pour honorer les échéances reportées. Une telle observation coïncide d'ailleurs avec la corrélation constatée entre le recours aux PGE et les reports des échéances fiscales et sociales, en particulier dans certains secteurs.

Une analyse plus fine, entreprise par entreprise, s'impose. C'est tout l'intérêt de l'étude de l'IPP, qui s'est intéressée à la déformation du bilan sous l'effet de la crise, en procédant directement à partir des premiers comptes déposés.

Les résultats confirment l'appréciation générale : sous une forme agrégée, la dégradation des bilans est contenue. Cependant, elle se révèle potentiellement dangereuse pour certains secteurs et certaines entreprises. Pour tenir compte de ces situations, il est primordial d'engager une action complémentaire rapide visant à renforcer leur solvabilité.

De cette action dépendra aussi le coût des PGE pour les finances publiques. À ce stade, le Gouvernement intègre une probabilité de défaut s'élevant à 6,2 %. Dans son étude, l'IPP évalue quant à lui la sinistralité à 5,4 %, ce qui se traduirait par un coût net pour les comptes publics, primes de garantie incluses, légèrement supérieur à 3 milliards d'euros.

Pourtant, force est de constater que l'action en solvabilité reste insuffisante. Alors que beaucoup redoutent le « mur de la dette », le Gouvernement nie l'ampleur du problème. Anticiper la sortie des PGE s'impose dès maintenant. C'est pourquoi je formule huit recommandations, en retenant une approche en trois temps, sur le modèle du triptyque mis en oeuvre dans le domaine sanitaire : pour réussir la sortie des PGE, il faudra identifier, orienter et traiter les entreprises en difficulté.

La priorité initiale doit être donnée à l'identification des entreprises en difficulté, mais viables. Le premier bilan que j'ai dressé va dans le sens d'un risque circonscrit à un périmètre réduit de situations. Il reste néanmoins à les identifier correctement et à distinguer les entreprises qui ont des chances réelles de redressement.

Pour y procéder, je retiens deux recommandations.

Ma première recommandation est de réactiver les signaux classiques des entreprises en difficulté qui ont été suspendus ou aménagés au plus fort de la crise sanitaire, comme l'accumulation d'une dette sociale et fiscale ou encore la cotation de crédit par la Banque de France. Nous récupérerons ainsi le « thermomètre » sur les difficultés d'une entreprise qui permet de donner l'alerte.

Ma seconde recommandation vise à ce que les entreprises aient une vision plus claire de la réalité de leurs besoins financiers. La multiplication des reports d'échéance peut fausser la bonne compréhension de la situation financière d'une entreprise. Je pense essentiellement aux reports fiscaux et sociaux. La mise en place des outils existants prend du retard : il faut accélérer et intensifier les plans d'apurement des échéances sociales et fiscales reportées.

Une fois acquis qu'une entreprise ne pourra pas s'en sortir seule, encore faut-il qu'elle sache vers qui se tourner. C'est l'objet de la deuxième étape : l'orientation vers un accompagnement sur mesure.

Au cours de mes travaux, nombreux sont les interlocuteurs ayant insisté sur l'absence de structure locale de concertation autour des difficultés des entreprises. Le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) n'a pas véritablement de déclinaison locale. Ces dernières semaines, le Gouvernement a envisagé de recourir aux comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI). Encore faut-il moderniser et rendre plus visibles ces structures, qui restaient inconnues du grand public il y a peu. J'observe d'ailleurs que de nombreuses préfectures ont récemment communiqué sur la réactivation des CODEFI, ce qui en dit long sur leur activité actuelle.

Surtout, ces structures ne sont actuellement pas en mesure de répondre au besoin que j'identifie. Présidées par le préfet, hébergées à la préfecture et réunissant les créanciers publics, elles nécessitent que les chefs d'entreprise les saisissent.

C'est pourquoi je propose de transformer radicalement les CODEFI et de créer des comités partenariaux de financement des entreprises en sortie de crise (COFISOC). Ceux-ci évolueraient sur deux points essentiels : d'une part, ils seraient systématiquement ouverts aux acteurs privés ;  d'autre part, ils permettraient d'élargir la palette des outils susceptibles d'être mobilisés pour contribuer au redressement d'une entreprise.

Cette identification pourrait également aboutir au nécessaire assainissement du bilan de certaines entreprises. Dans ce cas, il est nécessaire de recourir à un dispositif judiciaire, seul à même d'organiser la négociation avec les créanciers.

Pour ce qui concerne les très petites entreprises (TPE), les jugements des tribunaux de commerce conduisent trop souvent à la faillite. Dans 70 % des cas, une TPE en difficulté est directement placée en liquidation judiciaire. Il faut inverser cette tendance, ce qui suppose d'anticiper au maximum leur prise en charge. C'est tout l'enjeu du recours aux procédures préventives, qui présentent l'avantage de contribuer à traiter les difficultés à l'amiable.

Les freins sont malheureusement bien connus : la réticence spontanée du chef d'entreprise à se tourner vers le tribunal de commerce, mais aussi le coût de la procédure. Lever ces freins sera complexe, mais nous pourrons le faire en communiquant plus largement sur les dispositifs de prise en charge financière des coûts associés aux procédures préventives que de nombreuses collectivités proposent.

La bonne orientation des entreprises permettra d'apporter la réponse la plus appropriée, en proposant un accompagnement sur mesure.

Pour une entreprise en difficulté financière, deux solutions sont envisageables : l'amélioration de son bilan par le renforcement de ses fonds propres ou, lorsque plus rien d'autre n'est possible, l'assainissement de son bilan par la restructuration de son endettement.

S'agissant des fonds propres, il n'y a pas de recette miracle. Un chef d'entreprise est bien souvent réticent à revoir à la baisse la valorisation de son entreprise en période de crise et à ouvrir son capital à d'autres actionnaires.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a privilégié le recours aux prêts participatifs et aux obligations « Relance ». La loi de finances pour 2021 a ainsi autorisé l'État à apporter sa garantie à des véhicules d'investissement financés par des investisseurs privés tels que les assureurs, qui auront pour objet d'acquérir des prêts participatifs distribués aux entreprises. Souvent qualifiés de « quasi-fonds propres », ces instruments sont toujours considérés comme de la dette subordonnée devant être remboursée à échéance. Ils ne renforcent donc que temporairement le bilan.

Il me semble difficile d'aller plus loin dans la définition d'un mécanisme public de renforcement du capital des entreprises. En la matière, je préfère orienter le comportement des acteurs, en émettant deux recommandations.

La première concerne les prêts participatifs. Je m'appuie à cet égard sur un double constat. D'une part, l'enveloppe de 20 milliards d'euros de prêts participatifs qui peuvent être garantis doit suffisamment irriguer nos entreprises, tout en préservant leur capacité d'y accéder. D'autre part, ces instruments financiers ne doivent pas conduire à désinciter les plus grosses entreprises à lever de réels fonds propres. C'est ainsi que le Sénat avait adopté sur mon initiative, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, un amendement tendant à imposer un plafond par entreprise, fixé à 3 millions d'euros pour une PME et à 7 millions d'euros pour une ETI. Même si ce dispositif garde toute sa pertinence, l'Assemblée nationale l'avait rejeté en nouvelle lecture.

Ma seconde recommandation visant à renforcer les fonds propres concerne le traitement fiscal d'une telle opération. Le constat est établi de longue date : les règles de déductibilité favorisent le financement par la dette. Or l'intensité de ce biais en faveur de la dette se révèle particulièrement forte en France. Ces dernières années, plusieurs pays européens ont entendu le corriger, à l'instar de l'Italie. Pour cela, ils ont introduit une déduction fiscale pour le capital à risque - allowance for corporate equity . Concrètement, ce mécanisme fiscal permet de déduire de l'assiette imposable un intérêt fictif correspondant à la rémunération attendue des fonds propres.

De premières études empiriques ont confirmé l'efficacité de ce dispositif. Je vous propose de le mettre en place à titre temporaire, en réservant son application aux nouveaux fonds propres, afin d'en maximiser l'attrait et d'en maîtriser le coût pour nos finances publiques. À titre de comparaison, le coût de la mise en oeuvre d'une telle mesure en Italie a été évalué à 400 millions d'euros environ la première année.

J'en arrive à mes dernières recommandations, qui concernent cette fois-ci les situations les plus dégradées, lorsque la restructuration de l'endettement s'impose comme ultime recours.

D'abord, le dispositif des PGE comporte actuellement un écueil qu'il faut rapidement corriger. Comme vous le savez, la durée maximale des PGE est de six ans. Compte tenu des caractéristiques retenues par la France, il est difficile de chercher à prolonger la durée de remboursement des PGE. Nos marges de manoeuvre semblent fort contraintes en la matière, la Commission européenne n'admettant une durée plus longue que dans le cas où les modalités retenues par ailleurs sont moins avantageuses.

Une situation spécifique mérite toutefois d'être examinée : qu'advient-il d'un PGE en cas de restructuration de la dette d'une entreprise au-delà de six ans ? Le cadre en vigueur prévoit que la garantie tombe : la banque serait indemnisée à hauteur de la perte actuarielle constatée. Par conséquent, une banque pourrait préférer mettre l'entreprise en défaut pour bénéficier de la totalité de la garantie plutôt que de lui donner une chance en étalant sa dette.

Pour surmonter cet écueil, je vous propose d'autoriser le maintien de la garantie de l'État en cas de restructuration de la dette d'une entreprise au-delà de six ans. L'accord préalable de la Commission européenne sera nécessaire, mais il me semble que cette possibilité reste strictement encadrée et participe de l'objectif même du dispositif.

Ensuite, pour redonner de l'oxygène aux seules entreprises les plus en difficulté, je recommande de recourir plus largement aux abandons partiels de créances publiques. Ma proposition concerne toute forme de créances publiques, que ce soit la partie garantie d'un PGE ou les créances fiscales et sociales. Alors que Bruno Le Maire envisage de transformer le PGE en subvention, j'ai pu mesurer la farouche hostilité que rencontre cette proposition auprès des différents acteurs. En effet, comment surmonter l'aléa moral né de la différence de traitement entre une entreprise ayant souscrit un PGE et sa concurrente ayant préféré s'en passer ?

Autre précision, l'abandon de créances devrait être décidé de concert avec les créanciers privés, afin d'accroître la décote consentie à l'entreprise et de s'assurer que l'ensemble des acteurs mise sur le redressement de l'entreprise. Une majoration pourrait être appliquée sur la décote publique, afin de tenir compte de l'intérêt économique et social que représente le maintien de l'entreprise en activité.

Telles sont mes huit recommandations pour réussir la sortie des PGE. Les récentes prises de parole du Gouverneur de la Banque de France sur la situation financière de nos entreprises se veulent rassurantes. Je veux aussi le croire, mais ce constat n'en reste pas moins fragile.

Quoiqu'il en soit, il faut pouvoir répondre rapidement aux situations problématiques qui sont identifiées. Plus on anticipera, plus le nombre d'entreprises qui seront sauvées augmentera, et plus notre tissu productif sera préservé. L'État doit être au rendez-vous en assurant un véritable « service après-vente » des PGE.

M. Marc Laménie . - Je remercie le rapporteur général pour cette présentation.

Près de 140 milliards d'euros ont été prêtés aux entreprises grâce aux PGE. Or certaines entreprises, notamment les plus petites, n'y ont pas eu recours en raison de la complexité du dispositif. D'autres, également parmi les plus fragiles, ne seront pas en mesure de rembourser leur emprunt : dans ces conditions, les PGE ne coûteront-ils vraiment rien au budget de l'État ?

Mme Christine Lavarde . - Comment expliquer que les taux soient beaucoup plus favorables aux entreprises françaises qu'aux autres entreprises européennes, et ce depuis bien avant le début de la crise sanitaire ?

Le rapporteur général a évoqué le risque d'aléa moral. Je me demande si certaines entreprises n'ont pas choisi de souscrire un PGE pour financer leurs dépenses grâce à un prêt peu cher. A-t-on une idée du montant des prêts qui n'aurait pas été utilisé par les entreprises pour combler leurs déficits, mais pour disposer d'une source de financement à bon compte ?

Enfin, pourriez-vous nous rappeler brièvement le rôle exact des CODEFI ? Je n'ai pas le sentiment qu'il s'agisse véritablement de lieux où l'on discute des problèmes de financement des entreprises aujourd'hui. De plus, si l'on ouvre les CODEFI, comment assurer la confidentialité des informations qui y seront échangées ?

M. Gérard Longuet. - Je souhaiterais saluer l'excellent travail du rapporteur général et de l'étude commandée à l'institut des politiques publiques, qui nous apportent des informations extraordinairement utiles.

Une première question pratique : dans la synthèse, vous écrivez que la probabilité de défaut augmente alors que la crise et la pandémie se prolongent. Nous passerions de 4,6 % à 6,2 % d'après les évaluations de la sinistralité du Gouvernement que vous évoquez. Comment expliquez-vous ce chiffre ? En particulier, s'agit-il d'une probabilité de défaut à 100 % ou de défaut partiel ? En effet, le coût final du dispositif ne serait que de 2,7 % des montants garantis, comment expliquez-vous ce différentiel ?

Mon autre réflexion concerne la sortie de crise : lorsque vous indiquez qu'il faut identifier les entreprises dont le bilan est le plus dégradé, le préalable n'est-il pas de disposer d'une analyse sectorielle approfondie ? Le chiffre d'affaires a, pour certaines périodes, été quasi nul dans un certain nombre de secteurs.

Tels qu'ils fonctionnent aujourd'hui, les CODEFI sont absolument inaptes à répondre aux centaines de dossiers qui pourraient être déposés par département. Ils n'ont ni l'outil technique, ni la capacité pour répondre à la demande qui pourrait émerger. De plus, quelles seraient les relations des banques avec ces comités ?

M. Vincent Segouin . - Je suis heureux que nous abordions la question des PGE, que j'ai posée de manière récurrente au cours des dernières auditions. En effet, la rentabilité moyenne des entreprises étant d'environ 2 % à 3 %, je ne vois pas comment rembourser en cinq ans la dette contractée au travers d'un PGE à 25 % du chiffre d'affaires annuel. Je ne parle pas des entreprises qui ont souscrit un PGE sans l'utiliser, mais des secteurs les plus touchés et particulièrement concernés.

La sélection des entreprises me paraît donc primordiale. Je ne crois pas beaucoup à celle effectuée par l'État, du fait de lacunes dans son efficacité, sa réactivité et parfois son objectivité. Certaines entreprises non viables ont ainsi bénéficié d'un PGE. Un vrai travail de sélection doit être mené, afin d'éviter de concentrer de l'argent public ou privé sur des entreprises non viables. Dès lors, comment sélectionner les entreprises ? Comment s'assurer que les banques soient partenaires ? Si celles-ci couvrent les risques à hauteur de 10 % mais que ce taux doit être porté à 100 % en cas de refinancement, il faudra être convainquant. Par ailleurs, les vingt milliards d'euros accordés au titre des prêts participatifs sont-ils suffisants ? Ou s'agira-t-il, comme dans le cas du plan de relance, d'une loterie visant à sélectionner les entreprises bénéficiaires ?

M. Éric Bocquet . - À la question des modes de sortie des PGE, Bruno le Maire a répondu le 14 avril lors d'une interview sur la chaîne BFM « nous allons aider les entreprises à passer le mur de la dette et travailler les dispositifs d'accompagnement. On ne va pas attendre que l'entreprise se prenne le mur, on va regarder sa situation et voir s'il faut étaler sa dette, voire annuler sa dette, en partie ». Si on estime que la probabilité de défauts de paiement est d'environ 6,2 %, cela fait 8 milliards qui retomberaient dans le pot commun de la dette publique. Bruno le Maire nous qualifie d'utopistes ou d'irresponsables lorsqu'on évoque l'annulation de la dette publique détenue par la Banque centrale européenne (BCE), mais propose cette solution pour les entreprises. Benoit Coeuré indiquait à notre commission la semaine dernière que l'essentiel des PGE avait servi à reconstituer la trésorerie des entreprises. Cela signifie-t-il que l'argent serait disponible pour leur remboursement ?

M. Stéphane Sautarel . - La différence de pertes conservées par les entreprises françaises et les entreprises européennes m'avait échappé et constitue un sujet d'inquiétude en termes de compétitivité, sur lequel nous devrons revenir. Concernant la sortie des PGE, la question des fonds propres me semble le plus souvent être ignorée. Je m'interroge sur une proposition qui viserait à renforcer durablement les fonds propres, notamment en mobilisant l'épargne disponible. Nous avions eu à ce sujet une proposition de loi et il me semble pertinent de réfléchir à cette question. S'agissant des TPE, je ne partage pas entièrement le diagnostic du rapporteur général concernant les attentes de transformation des PGE en subventions pour les plus petites d'entre elles, pour lesquelles les fonds propres ou les prêts participatifs ne peuvent répondre à leurs difficultés. Seule la subvention peut permettre, si l'entreprise est viable, de sortir des PGE.

M. Michel Canévet . - Ce système a été particulièrement opérant, car il a séduit plus de 670 000 entreprises. Le niveau de défaillances a très fortement baissé dans le pays, ce qui est un signe positif. Toutefois, les défaillances ne doivent pas être cachées, et devraient concerner uniquement les entreprises qui ne parviennent plus à maintenir leurs activités. La question de la médiation est extrêmement importante : l'idée qui a été évoquée d'un comité partenarial pour associer les experts-comptables, les acteurs consulaires, les banquiers est très bonne à condition de veiller à la confidentialité des données. Il faut éviter que ces comités ne soient des outils où seraient diffusées des informations confidentielles. Comment voyez-vous concrètement ces comités ? Je crains en outre que les services de l'État, dont les moyens ont été réduits significativement ces dernières années, aient du mal à prendre en main un tel dispositif.

M. Christian Bilhac . - Vous évoquez les entreprises pour lesquelles les PGE auraient permis de conforter leur trésorerie, puis les effets d'aubaine concernant les entreprises qui auraient contracté ces prêts du fait de leur caractère avantageux. Quelle est la part de PGE résultant de ces effets d'aubaine et quelle est la part d'entreprises dont on peut craindre l'insolvabilité ?

M. Charles Guené . - Je ne suis pas certain que les modalités habituelles de détection des entreprises fragiles soient suffisantes. Il faudrait aller au-delà. Nous avons dans notre pays des blocages culturels à cet égard, tant de la part des prêteurs que des entreprises. Ainsi, concernant les collectivités territoriales, j'ai conseillé à mes collègues de mettre en oeuvre des reports de dette et non des abandons de créances. Il y a chez les élus, comme dans les entreprises, des difficultés à ouvrir sa propre comptabilité, et nous risquons de rencontrer un problème similaire dans le cadre des PGE. Lorsqu'on parle d'effet d'aubaine, dans le cadre des PGE, il s'agit parfois plus simplement d'entrepreneurs ayant eu peur de la situation à l'origine de la crise et qui aujourd'hui n'ont pas de difficultés substantielles.

M. Claude Raynal , président . - S'agissant du soutien au capital-investissement, vous proposez des déductions fiscales pour les entreprises au titre de l'impôt sur les sociétés. Selon une autre approche, l'idée d'une garantie par l'État sur une fraction du capital investi avait été soulevée par le passé sans avoir prospéré, à l'image de ce qui existe pour une garantie en capital de l'assurance-vie. Monsieur le rapporteur général, que pensez-vous de ces réflexions ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pour répondre à Marc Laménie, le PGE ne coûte rien à l'État s'il n'y a pas de défaillances. Le Gouvernement estimant ce risque à 4,6 % en début de crise, il est aujourd'hui évalué à plus de 6 %. Le dispositif diffère de l'Allemagne où des subventions ont été accordées aux entreprises touchées. J'ai expliqué les raisons pour lesquelles la France a choisi un dispositif différent.

S'agissant du secteur du BTP, j'ai rencontré, au cours de mes auditions à Nancy, deux acteurs de tailles différentes : une TPE et une PME. La TPE nous a fait état de sa grande satisfaction sur les facilités d'accès aux prêts et la rapidité de leur décaissement. La PME n'a, de son côté, demandé qu'un simple prêt de trésorerie, qu'elle a remboursé.

Christine Lavarde partage mes observations sur la question de l'aléa moral. J'irai plus loin que le simple propos budgétaire : la plupart des acteurs économiques auditionnés nous ont exprimé leur hostilité à une forme de laisser-aller quant à l'octroi de subventions en lieu et place du remboursement de ces prêts. En sortie de crise, elle se ferait au détriment des entreprises qui ont fait le plus d'efforts.

En ce qui concerne les CODEFI et leur ouverture aux acteurs privés, j'ai bien pris la mesure de la question de la confidentialité des informations qui peuvent y être échangées. Je relève cependant que celle-ci est déjà prégnante au sein des conseils d'administration des grandes entreprises, qui associent différents acteurs. Pour l'heure, les CODEFI ne sont pas structurés pour accompagner la sortie de crise. N'y laisser que des représentants de l'État leur donnerait par ailleurs un caractère presque hémiplégique. La proposition que j'ai formulée reprend le modèle du PGE où l'État apporte sa garantie et laisse ensuite aux banques le soin de formuler une offre de prêt. Je suis agréablement surpris par l'implication de la Fédération bancaire française ou de la Banque publique d'investissement dans l'accompagnement au plus près des entreprises, en dépassant le simple cadre de la filière pour nouer une relation directe avec les entreprises. Un changement de paradigme a été opéré.

Il s'agit aujourd'hui de poursuivre dans cette logique associant public et privé, cette fois-ci au niveau des CODEFI, en s'appuyant notamment sur la connaissance des entreprises acquise par les professionnels du chiffre. Les chambres consulaires pourraient également être associées. Il s'agit de s'adresser au maximum d'acteurs et de prendre en compte l'évolution constatée quant à l'utilisation de ces prêts. La longueur de la crise a, en effet, incité les entreprises qui y recourraient à repenser leur rapport au PGE, qui a été initialement envisagé comme une facilité de trésorerie pour faire face lorsque le premier confinement, particulièrement strict, a été décidé.

Pour répondre à Gérard Longuet, nous devons avoir le traitement le plus fin possible en ce qui concerne la sortie de crise et aller au-delà d'une approche par secteur d'activité, en prenant en compte les spécificités de chaque entreprise. L'exemple des traiteurs est assez éloquent. Il existe en la matière deux types de structures, selon qu'elles disposent ou non d'une boutique et de la part de chiffre d'affaires qu'elle représente. Pour une quarantaine d'entreprises du secteur, l'essentiel de leur activité tient aux grands évènements. Elles emploient pour cela une ou plusieurs centaines de collaborateurs afin de répondre à la demande. Leur activité s'est arrêtée du jour au lendemain en mars 2020, voire même un peu avant pour les plus grands événements. Il n'est pas possible pour elles d'opérer en vente à emporter. Un dispositif les visant a pu être mis en place au 1 er janvier dernier mais pas avant. La situation n'est pas la même pour les artisans-traiteurs, qui ont pu garder leur boutique ouverte et reprendre une partie de leur activité après le premier déconfinement, pour des évènements moins importants.

Le caractère inédit de cette crise nous invite à revoir les acquis de la théorie économique sur la sortie de crise et privilégier des approches innovantes, en associant public-privé, afin d'éviter les défaillances, accélérer la reprise et écarter le spectre d'une hausse d'impôts.

Vincent Segouin évoque les entreprises non viables ayant bénéficié d'un PGE. Aujourd'hui, un nombre important d'entreprises est effectivement sous perfusion et certaines d'entre elles auraient dû cesser leurs activités. Ces dernières ont bénéficié d'un sursis, notamment pour les commerces. Dans nos villes, de nombreux locaux et fonds de commerce sont d'ailleurs déjà disponibles. Les COFISOC que je propose de mettre en place doivent permettre de répondre à ces difficultés.

En France, les conséquences économiques de la crise ont été supportées à 22 % par les entreprises. Les problématiques de compétitivité reviendront et, comme l'évoque Stéphane Sautarel, une part essentielle de la sortie de crise réside dans les fonds propres. Si l'on souscrit tous à l'idée de préserver notre souveraineté industrielle, les moyens dont nous disposons pour la garantir sont limités.

Numériquement, les TPE sont les principaux bénéficiaires des PGE. La crainte que l'outil soit cannibalisé par les grandes entreprises ne s'est donc pas réalisée, même si les constructeurs automobiles et le secteur aéronautique ont largement bénéficié de ce dispositif et risquent de rencontrer des difficultés supplémentaires du fait de l'évolution des mobilités à la fin de la crise sanitaire. Il faut donc mettre en place une sortie en sifflet des aides, qui ne concernera pas uniquement les PGE. Il faudra être pragmatique.

Comme l'a indiqué Michel Canévet, les services de l'État ne doivent pas être seuls pour traiter les difficultés rencontrées par les entreprises et négocier leur dette. Il est cependant logique qu'ils soient représentés autour de la table et c'est le sens de la proposition visant à créer de nouveaux comités, les COFISOC.

Concernant les effets d'aubaine, il faut bien comprendre que les entreprises ont simplement voulu prendre leurs précautions en début de crise, c'est dans l'utilisation et les décisions qui ont pu être prises ensuite qu'il faut distinguer les situations.

Pour répondre à Charles Guéné, il faut effectivement aller au-delà de la logique initiale des PGE et lever les blocages. En particulier, il faut s'assurer que les banques ne resserrent pas les conditions de crédit en sortie de crise. Les COFISOC que je propose doivent constituer le moyen d'un diagnostic partagé entre les acteurs.

S'agissant de la question posée par le président et du soutien public aux investissements privés en fonds propres, d'après les acteurs interrogés, des liquidités sont disponibles pour investir et la question est plutôt d'accompagner les entreprises dans leurs besoins de financement. De ce point de vue, les prêts participatifs sont une des réponses apportées par le Gouvernement.

La commission autorise la publication de la communication du rapporteur général sous la forme d'un rapport d'information.

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