B. LES COLLECTIVITÉS SE SONT ENGAGÉES DANS UNE DÉMARCHE DE SOBRIÉTÉ QUI COMMENCE À PRODUIRE SES EFFETS

Le renforcement significatif du cadre réglementaire et législatif, en particulier au cours des vingt dernières années, a été pleinement intégré par les collectivités territoriales. Elles se sont engagées dans une démarche de sobriété foncière qui commence à produire ses effets . Le temps de l'urbanisme étant un temps long , c'est au cours des années à venir que les efforts réalisés deviendront pleinement visibles, à condition que leur soit donnés l'accompagnement et les outils nécessaires.

1. Les documents de planification ont intégré des objectifs et des programmes ambitieux

Entendus par les rapporteurs du groupe de travail, les associations d'élus ont indiqué que la période décennale qui s'achève a été marquée par un très fort renouvellement des documents d'urbanisme en France. L'AdCF, notamment, a souligné « les efforts de modernisation des documents d'urbanisme et de planification opérés au cours du dernier mandat. Des centaines de SCoT et des milliers de PLUi ont été approuvés, et traduisent déjà l'adhésion au principe de sobriété foncière et de préservation des espaces naturels agricoles et forestiers ».

Les SCoT ont été largement déployés : en 2021, 447 SCoT sont en vigueur ou en cours d'élaboration sur le territoire français. 72 % des SCoT existants ont été révisés depuis 2014 , constituant des documents de « deuxième ou troisième génération » , allant dans le sens d'une plus grande ambition et intégrant les contraintes nouvelles de la loi ALUR. 83 % des communes françaises , et 90 % de la population du pays, sont aujourd'hui inclus dans le périmètre d'un SCoT.

Conformément à la loi, les SCoT intègrent des objectifs chiffrés ambitieux de réduction de la consommation d'espace. Actuellement, près des trois quarts des SCoT se sont fixé un objectif de réduction supérieur à 35 % , et pour 58% des SCoT, supérieur à 50 %.

OBJECTIFS DE RÉDUCTION DE CONSOMMATION D'ESPACE FIXÉS PAR LES SCOT EN VIGUEUR

Source : Commission des affaires économiques du Sénat, chiffres Fédération des SCoT

Outre ces objectifs, les établissements publics porteurs de SCoT ont souvent développé des outils ou des programmes d'action complémentaires, visant par exemple :

• à développer des observatoires locaux du foncier ou du foncier économique , comme sur le territoire du SCoT de Caen-Métropole, ou du SCoT du bassin de vie d'Avignon ;

• à contribuer à l'élaboration de chartes relatives au foncier agricole , par exemple dans le cas du SCoT Sud-Loire, ou en Région Bretagne ;

• à créer des atlas cartographiques du foncier économique , comme dans le cas du SCoT Bugey, permettant notamment de sectoriser une partie de l'objectif de limitation de la consommation foncière aux zones d'activité et d'identifier les friches ;

• À permettre la densification des « dents creuses » des secteurs déjà urbanisés, en application des dispositions récemment adoptées dans le cadre de la loi ELAN, ou à accompagner la densification en zone urbanisée via la division de parcelles.

Au niveau des communes et des intercommunalités, le nombre de PLU(i) est passé, sur l'ensemble du territoire, de 11 900 environ en 2014, à 18 400 en 2020, soit une hausse de 55 % La moitié des communes françaises sont désormais couvertes par un PLU(i). Entre 2016 et 2019, le nombre de PLU intercommunaux a plus que doublé. En outre, les PLU préexistants ont largement opéré la transition vers des documents « grenellisés » , intégrant les dernières évolutions juridiques relatives, notamment, à la protection des espaces, et des objectifs chiffrés de lutte contre l'étalement urbain.

NOMBRE DE DOCUMENTS D'URBANISME COMMUNAUX ET INTERCOMMUNAUX PAR TYPE EN FRANCE ENTRE 2014 ET 2021

Source : Commission des affaires économiques du Sénat, chiffres DHUP

Du point de vue quantitatif, au sein des SCoT et des PLU, tant l'AdCF que les associations de maires ont indiqué aux rapporteurs que l'on constate de plus en plus fréquemment des « rétrozonages », c'est-à-dire le retour en zones agricoles, naturelles ou forestières de zones préalablement ouvertes à l'urbanisation , mais non exploitées.

À titre d'exemple, la commune de Chaponost (Rhône) a fait le choix, lors de la révision de son PLU en 2017, de supprimer une zone à urbaniser pour la transformer en zone agricole, faisant le constat d'un besoin en logements plus réduit et d'un potentiel de densification suffisant dans les zones déjà urbanisées et le centre-ville. Une autre zone à urbaniser a aussi été reclassée en zone naturelle, afin de conserver un corridor écologique en cohérence avec le SCoT. De même, les STECAL préexistants y ont été supprimés, la commune notant que les possibilités d'extension des habitations existantes suffisaient. Au total, entre 2007 et 2017, la surface correspondant à des zones à urbaniser y a été réduite de plus de 70 % (soit de 24 hectares), tandis que les zones naturelles ont été agrandies de 33 hectares , la tâche urbaine restant identique.

De même, la commune de Vitrolles (Bouches-du-Rhône) a fait le choix de reclasser en zone agricole des terres préalablement classées en zone d'urbanisation future par le plan d'occupation des sols, citant la volonté d'inscrire sa politique d'urbanisme dans un objectif de protection des zones à vocation agricole. Les surfaces agricoles ont ainsi augmenté de 10 % dans le nouveau PLU de la commune, celui-ci ayant par ailleurs accru de 40 %, soit près de 600 hectares, la surface des zones naturelles . Il a notamment classé en zone naturelle les bordures d'un étang, afin de limiter le mitage et l'urbanisation diffuse le touchant, ainsi que des parcs et jardins urbains, pour garantir l'intégration d'espaces verts en ville.

D'autre part, les PLU(i) ont intégré les évolutions des outils réglementaires à leur disposition , afin de mieux inclure la nature en ville et de densifier les zones déjà urbanisées. Par exemple, le PLUi de Grand Chambéry a mis en place, comme l'y autorise la loi, un coefficient de biotope par surface (CBS), prescrivant une surface végétalisée ou favorable aux écosystèmes proportionnelle à la surface des projets de construction ou d'aménagement. Il s'élève de 10 à 65 % selon la zone où se situe le projet. La réflexion à partir de densités cibles dans des secteurs spécifiques se développe également, tant au sein des règlements de PLU que dans les OAP. Enfin, la revue puis la levée des obstacles à l'intensification des usages identifiés au sein des PLU, comme les anciens coefficients d'occupation des sols (COS), les écarts entre bâtiments, les limites de hauteur ou encore les densités plafonds, commencent à produire leurs effets.

Les SRADDET récemment adoptés par les Régions intègrent aussi, comme le prévoit la loi, la thématique de la gestion économe de l'espace . Des objectifs chiffrés ont été inscrits dans les documents.

OBJECTIFS DE LIMITATION DE LA CONSOMMATION D'ESPACE DES SRADDET

Auvergne-Rhône-Alpes

Pas d'objectif chiffré, renvoi aux SCoT pour la détermination des objectifs chiffrés

Bourgogne-Franche-Comté

Zéro artificialisation nette d'ici 2050

Bretagne

Réduction de 50 % d'ici 2030
Réduction de 75 % d'ici 2035
Zéro artificialisation nette en 2040

Centre-Val de Loire

Réduction de 50 % d'ici 2025
Zéro artificialisation nette d'ici 2040

Grand Est

Réduction de 50 % d'ici 2030
Tendre vers -75 % d'ici 2050

Hauts-de-France

Division par trois d'ici 2030
Division par quatre d'ici 2040
Division par six d'ici 2050
Zéro artificialisation nette après 2050

Normandie

Division par 3 d'ici 2030
Division par 4 d'ici 2040
Division par 6 d'ici 2050
Zéro artificialisation nette après 2050

Nouvelle-Aquitaine

Réduction de 50 % d'ici 2030

Occitanie

Zéro artificialisation nette d'ici 2040

Pays de la Loire

Tendre vers zéro artificialisation nette d'ici 2050

Provence-Alpes-Côte d'Azur

Réduction de 50 % d'ici 2030

Source : Commission des affaires économiques du Sénat

Afin d'atteindre ces objectifs chiffrés, qui s'imposent dans un rapport de prise en compte aux documents cibles (notamment les SCoT), les règles générales des SRADDET comportent plusieurs prescriptions en matière notamment de reconversion des friches ou de densification des territoires.

2. Une accélération des efforts concrets de densification, de renouvellement urbain et de renaturation

Outre une évolution positive de la planification et de l'environnement réglementaire, les territoires se sont engagés dans des démarches volontaristes de densification, de renouvellement urbain et de renaturation.

En matière de maîtrise de l'urbanisation et de densification, on peut souligner le concours apporté par les collectivités à des initiatives telles que « BIMBY », ou « build in my backyard », ou à l'accompagnement des divisions parcellaires dans les zones pavillonnaires peu denses . Les communes qui le souhaitent peuvent soutenir ce type de démarches volontaires en faisant évoluer dans un sens plus favorable les documents d'urbanisme et en développant les services et réseaux correspondant à l'accroissement de la densité. D'autre part, les collectivités compétentes en matière d'urbanisme peuvent être à l'origine de projets d'aménagements visant à un accroissement de la densité moyenne. Par exemple, dans le cadre d'opérations de renouvellement urbain, les OAP du PLUi de la métropole de Lille a fixé des cibles de densité minimale en termes de logements par hectare, afin d'optimiser l'occupation des sols et l'artificialisation liée à l'habitat.

Les collectivités sont également pilotes en matière de revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, ainsi que pour la réhabilitation du logement ancien . Plus de 220 villes se sont engagées dans la démarche « Action Coeur de Ville », afin de financer et de conduire des projets de restructuration de l'habitat et du commerce dans les villes de taille moyenne, pour redynamiser les centralités et freiner la périurbanisation consommatrice d'espace. 142 villes ont signé des conventions d'opérations de revitalisation des territoires dans le cadre desquelles elles mènent des projets de réhabilitation et d'aménagement visant à restaurer l'attractivité des bourgs.

Sept villes françaises (Poitiers, Épernay, Sète, Dreux, Maubeuge, Draguignan et Louviers) porteront en outre des projets innovants et ambitieux dans le cadre du programme « Territoires pilotes de sobriété foncière » , conduit en lien avec le programme Action Coeur de Ville. Sur des sites démonstrateurs, des méthodes nouvelles sont expérimentées pour trouver des modes d'aménagement alternatifs à l'étalement urbain et réduire l'artificialisation.

La réutilisation des friches et des terrains vacants est bien identifiée comme levier de sobriété foncière. La métropole de Lille, par exemple, a conduit un travail précurseur en matière d'identification et de réhabilitation des friches, son dernier PLUi identifiant près de 630 hectares de « foncier mutable » sur son territoire , l'un des potentiels les plus importants de France. Entre 2001 et 2015, 140 hectares en moyenne ont déjà été réhabilités chaque année sur son périmètre. De même, Saint-Etienne Métropole a conduit plusieurs projets de reconversion d'anciens bâtiments industriels, comme le projet Novaciéries à Saint-Chamond, et de requalification de friches en centre-ville de Saint-Etienne.

D'ailleurs, le recyclage de friches n'est pas seulement vu comme un préalable à la construction nouvelle, mais est parfois mis au service de la nature en ville par la renaturation de sols artificialisés. Par exemple, à Toulon , un projet de réhabilitation puis de renaturation d'une ancienne friche industrielle - dépollution, démolition des anciens bâtiments - a vu le jour, pour la transformer un parc de 16 000 m 2 . L'Association nationale des établissements publics fonciers locaux (EPFL), entendue par les rapporteurs, a d'ailleurs souligné que les EPFL sont de plus en plus fréquemment amenés à intervenir en soutien des collectivités sur du foncier déjà artificialisé , tandis qu'ils menaient auparavant souvent des projets en extension urbaine ou en dehors des zones déjà urbanisées.

3. Une inflexion du rythme de l'artificialisation est perceptible, bien que l'urbanisme soit une politique au temps long

L'ensemble des actions et exemples précités reflète la dynamique qui s'est enclenchée . Dans de nombreux territoires, les collectivités jouent un rôle moteur pour gérer l'héritage urbain et construire l'avenir.

Cependant, l'urbanisme est une politique du temps long. La modification des documents de planification peut prendre entre deux et six ans, selon le type de document et son périmètre. Ensuite, la cristallisation des règles applicables permises par le biais des certificats d'urbanisme ainsi que la durée de validité des autorisations d'urbanisme délivrées peut conduire des projets à voir le jour en dépit d'une évolution ultérieure du droit ou du projet de territoire. Dès lors, l'impact global de la dynamique qui se construit au sein des territoires ne deviendra pleinement visible qu'au cours des années à venir .

Une évolution favorable est toutefois déjà perceptible depuis une dizaine d'années. Ainsi, à l'échelle régionale, le rythme d'artificialisation décroît depuis 2009 , selon les chiffres du Cerema, dans des proportions variables selon les territoires. En 2015, il était inférieur d'un tiers à son niveau de 2009.

RYTHME D'ARTIFICIALISATION PAR RÉGION ENTRE 2009 ET 2016

Source : « L'artificialisation et ses déterminants d'après les Fichiers fonciers », Cerema, 2017

Une partie de cette réduction de l'artificialisation tient à la crise économique, qui a ralenti le secteur de la construction. Mais toujours selon le Cerema, « l'efficacité » de l'urbanisation au regard de son impact en matière d'artificialisation a connu une réelle tendance à la hausse au cours de la décennie, en lien notamment avec une plus grande part d'habitat collectif et de renouvellement urbain, et une plus grande efficacité des constructions à destination d'activité.

Une légère hausse de la consommation d'espace a été enregistrée en 2018, et une stagnation en 2019 sans que l'on sache à ce stade si ces chiffres témoignent d'une inversion de tendance, d'une stabilisation ou relève de la conjoncture économique.

Le réorientation des pratiques, mais surtout la modification des habitudes collectives, n'est pas l'affaire d'un jour : d'ailleurs, toute évolution trop rapide, ou imposée sous forme d'obligation « hors sol », pourrait bien entraîner une crise d'acceptabilité qui nuirait à l'objectif et à la cohésion sociale.

Une fois le cadre d'action significativement modifié, comme il l'a été au cours des vingt années précédentes, le « passif » doit être progressivement purgé : en effet, les projets moins vertueux autorisés il y a déjà plusieurs années pèseront encore sur le bilan, les zones qui n'ont pas encore été déclassées pourront encore être aménagées ou construites... On ne peut demander aux Français d'interrompre du jour au lendemain les travaux engagés sans remettre en cause leurs droits acquis.

À l'inverse, les projets positifs et innovants doivent naître, être accompagnés et se développer. Comme l'a déclaré l'une des personnes entendues par les rapporteurs, reflétant un sentiment partagé tant par les élus locaux que par les praticiens du droit de l'urbanisme ou les professionnels de la construction et de l'aménagement : « On n'a de cesse de demander aux territoires de construire leur projet : encore faudrait-il laisser ce projet vivre et devenir réalité ! »

Pour lutter plus efficacement contre l'étalement urbain et l'artificialisation des sols, accompagner les acteurs, leur donner les outils nécessaires, sera probablement plus important qu'une nouvelle évolution du droit applicable aux documents d'urbanisme . Le modèle économique de la lutte contre l'artificialisation, ainsi que les capacités d'accompagnement technique et opérationnel, restent à construire.

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