PARTIE 2 -
TROIS PRINCIPES DE LUTTE CONTRE L'ARTIFICIALISATION :
TERRITORIALISER, ARTICULER, ACCOMPAGNER

Les enjeux environnementaux, sociaux et économiques de l'étalement urbain justifient d'intensifier l'effort de lutte contre la consommation d'espace et l'artificialisation des sols . Fers de lance de cette dynamique , les collectivités territoriales, en particulier les communes et intercommunalités, jouent le rôle d'animateurs du projet de territoire, tant par le levier réglementaire que celui de l'accompagnement. D'ores et déjà, les territoires ont adopté des documents d'urbanisme plus ambitieux et soutiennent des projets plus vertueux.

Pour les rapporteurs, tout renforcement de la stratégie de lutte contre l'artificialisation et la consommation d'espace fondée doit capitaliser sur les dynamiques engagées et soutenir les efforts des territoires. Il faut viser un accompagnement de la transition, plutôt que chercher une rupture qui déstabiliserait les écosystèmes locaux.

Les rapporteurs proposent donc trois principes pour un effort supplémentaire de lutte contre l'artificialisation : la territorialisation, l'approche articulée, et l'amélioration des outils et de l'accompagnement.

La territorialisation , d'abord, car la diversité des situations locales et le respect des compétences décentralisées impliquent que l'effort de sobriété soit décliné au niveau local, dans une approche qualitative et « cousue main », plutôt que descendante, uniforme et chiffrée.

L'articulation , ensuite, car l'utilisation des sols est le carrefour de nombreuses politiques publiques : la protection des espaces et la sobriété foncière doivent être conciliées avec l'ensemble des autres objectifs, comme le besoin en logements, le développement économique et l'enjeu de la réindustrialisation, ou encore l'accès égal aux services pour chaque citoyen français pour une meilleure cohésion territoriale.

L'amélioration des outils et de l'accompagnement , enfin. La lutte contre l'artificialisation des sols ne passera pas uniquement par un levier réglementaire et coercitif : sans soutien concret aux projets plus vertueux, sans pédagogie autour de l'évolution des habitudes collectives, le risque est de geler le développement des territoires et de susciter l'antagonisme des habitants. Les outils de demain doivent encore être inventés .

I. UN IMPÉRATIF : TERRITORIALISER L'APPROCHE

A. DES TERRITOIRES AUX CONTRAINTES ET OPPORTUNITÉS DIVERSIFIÉES

Il n'existe pas aujourd'hui en France un phénomène unique d'artificialisation ou d'extension urbaine.

À l'échelle régionale, une analyse comparative du taux d'artificialisation ( en stock ) et du rythme d'artificialisation ( en flux ) démontre que les régions les plus artificialisées ne sont pas nécessairement celles où le rythme d'artificialisation est le plus élevé. Par exemple, la Corse, qui est artificialisée à 3,9 % de son territoire, contre 21 % pour l'Île-de-France ou 12,4 % pour la Bretagne, a connu un rythme d'artificialisation de 5,4 % entre 2008 et 2018, contre 0,7 % et 1,3 % respectivement pour l'Île-de-France et la Bretagne.

TAUX D'ARTIFICIALISATION ET RYTHME D'ARTIFICIALISATION PAR RÉGION
ENTRE 2008 ET 2018 (EN %)

Source : Dossiers de l'Agreste, n° 3, avril 2021, « L'occupation du sol entre 1982 et 2018 »

Les territoires littoraux , notamment de l'Atlantique et de la Côte d'Azur, se caractérisent par un rythme d'artificialisation élevé, de même que les territoires périurbains des grandes agglomérations (Paris, Lyon, Lille, Nantes...). Ainsi, les départements les plus artificialisés sont ceux situés en couronne directe de l'agglomération parisienne, et le département du Nord, ainsi que les départements d'Outre-mer , les taux étant proches de 15 % en Martinique, à la Réunion et en Guadeloupe.

À l'inverse, si les départements les moins peuplés sont moins artificialisés en moyenne, le rythme d'artificialisation et la surface consommée par habitant y sont supérieurs .

Au niveau des EPCI, les disparités sont encore plus importantes. Certains ont connu une croissance de l'artificialisation de plus de 2,2 % entre 2008 et 2018, tandis que beaucoup sont en situation de stagnation, avec une hausse inférieure à 0,2 %. Au global et en termes de volumes, selon le Cerema, 5 % des communes seraient responsables de 39 % de la consommation nouvelle d'espace entre 2009 et 2017.

Au-delà d'une seule analyse quantitative, la destination des surfaces artificialisées varie également fortement entre les territoires. Certains EPCI dédient plus de 90 % de leur artificialisation nouvelle à l'habitat , en particulier sur le littoral de la Côte d'Azur ou en Normandie 18 ( * ) , tandis que d'autres, dans le quart Nord-Est du pays et en région parisienne, artificialisent proportionnellement davantage pour l'activité.

Ces chiffres reflètent la diversité des pressions auxquelles font face les territoires français, parmi lesquelles :

• Les évolutions de la population , certains départements connaissant des dynamiques démographiques très fortes : c'est bien sûr le cas des métropoles et de la région parisienne, mais aussi des territoires frontaliers, tels que la Haute-Savoie ;

• Les caractéristiques de ces populations, selon la moyenne d'âge, les situations familiales, le desserrement des ménages, ou de la dynamique de vieillissement ;

POPULATION ET CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE DES DÉPARTEMENTS FRANÇAIS
ENTRE 2012 ET 2020

Source : Commission des affaires économiques, données INSEE.

• L'évolution de la demande de logements, selon les cas orientée davantage vers l'habitat individuel en proximité des zones rurales, vers de l'habitat collectif, le logement social, ou vers les coeurs des métropoles ;

• L'état du bâti et sa répartition actuelle sur le territoire , certaines régions se caractérisant par un tissu urbain très diffus, constitué de nombreux hameaux sans continuités urbaines, d'autres par une densité déjà très forte, certaines enfin par d'importantes surfaces préservées de l'artificialisation ;

• Le prix du foncier et l'état de tension du marché, les coûts des terrains à bâtir variant fortement en France. Les écarts de prix représentent une variation de 1 à 12, sur une échelle territoriale parfois très fine. Ils reflètent les variations de la demande mais aussi la disponibilité de foncier « recyclable » pour de nouveaux usages ;

COMPARAISON DES PRIX MOYENS DES TERRAINS À BÂTIR PAR RÉGION EN 2019

Source : Commission des affaires économiques,
données du ministère de la Transition écologique et solidaire.

• L'existence de zones naturelles ou agricoles sanctuarisées, soit en raison d'une économie fortement tournée vers l'agriculture ou l'exploitation forestière, soit en lien avec la mise en place de parcs ou d'espaces protégés ;

• L'importance et le nombre de projets d'importance supralocale, par exemple d'aéroports d'envergure nationale, d'infrastructures de transport essentielles comme des autoroutes, des infrastructures portuaires ou des voies ferroviaires ;

• Le dynamisme économique du bassin d'emploi et son attractivité, qui détermine la demande pour la construction et l'aménagement de zones d'activités.


* 18 « L'artificialisation et ses déterminants d'après les fichiers fonciers 2009-2018 », Cerema, 2020.

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