Rapport d'information n° 624 (2020-2021) de M. Stéphane ARTANO , fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, déposé le 21 mai 2021

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N° 624

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 mai 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer (1) sur les actes du colloque « Les biodiversités de l' océan Indien , au coeur d'un nouveau modèle
de
développement » du 20 mai 2021,

Par M. Stéphane ARTANO,

Sénateur

(1) Cette délégation est composée de : M. Stéphane Artano, président ; M. Maurice Antiste, Mmes Éliane Assassi, Nassimah Dindar, MM. Pierre Frogier, Guillaume Gontard, Mmes Micheline Jacques, Victoire Jasmin, M. Jean-Louis Lagourgue, Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, MM. Teva Rohfritsch, Dominique Théophile, vice-présidents ; M. Mathieu Darnaud, Mmes Vivette Lopez, Marie-Laure Phinera-Horth, M. Gérard Poadja, secrétaires ; Mme Viviane Artigalas, M. Philippe Bas, Mme Agnès Canayer, M. Guillaume Chevrollier, Mme Catherine Conconne, M. Michel Dennemont, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Daniel Gremillet, Mme Jocelyne Guidez, M. Abdallah Hassani, Mme Gisèle Jourda, MM. Mikaele Kulimoetoke, Dominique De Legge, Jean-François Longeot, Victorin Lurel, Mme Marie Mercier, MM. Serge Mérillou, Thani Mohamed Soilihi, Georges Patient, Mme Sophie Primas, MM. Jean-François Rapin, Michel Savin, Mme Lana Tetuanui.

OUVERTURE

Stéphane ARTANO,

Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Monsieur le Président,

Monsieur le Directeur général,

Monsieur l'Ambassadeur,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues et amis,

Le présent colloque constitue le dernier volet d'un cycle de conférences sur les biodiversités ultramarines qui fut initié par mon prédécesseur, Michel Magras, à la suite de l'Accord de Paris sur le climat.

Cher Michel, je te remercie chaleureusement d'avoir tenu à être présent aujourd'hui et pour ton implication sans faille au service de cette grande cause tout au long de ton mandat.

Au nom de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, je suis particulièrement heureux de vous accueillir à cette 3 ème manifestation mettant à l'honneur les richesses naturelles des outre-mer, en pleine célébration de la fête de la nature. Après le Pacifique en 2018 et l'Atlantique en 2019, la présente séquence sera entièrement dédiée à l'océan Indien, achevant ainsi notre cycle de conférences réparties par bassin océanique.

Ce colloque est organisé en étroit partenariat avec l'Office français de la biodiversité (OFB) dont je salue le directeur général, Pierre Dubreuil, le directeur des outre-mer, Jean-Michel Zammite, et le délégué territorial pour l'océan Indien, Nicolas Rouyer.

En raison des conditions sanitaires, il se tient pour la première fois en format webinaire. Par avance, je vous remercie de bien vouloir nous excuser si quelques incidents techniques surgissent durant son déroulement. Comme vous avez pu le constater sur le programme, il réunit une quinzaine d'intervenants, dont certains sont tributaires des conditions de connexion avec des territoires situés à près de 10 000 kilomètres de l'hexagone. Je précise que plus de 300 participants se sont inscrits sur le formulaire en ligne et que nos travaux sont retransmis en direct sur le site du Sénat.

Ce colloque s'articule autour de trois tables rondes thématiques et, dans la mesure du temps disponible, à la fin de chacune, les modérateurs pourront soumettre aux intervenants des questions transmises par le webinaire.

Il est vraisemblable que nous ne pourrons pas toutes les aborder mais elles seront transmises aux intervenants qui pourront ainsi prolonger les échanges au-delà de notre réunion. Sans plus tarder, je donne la parole au président du Sénat, Gérard Larcher, qui nous fait le très grand honneur d'ouvrir ce colloque.

Gérard LARCHER,

Président du Sénat

Messieurs les Présidents de la Délégation sénatoriale aux outre-mer,

Monsieur le Directeur général de l'OFB,

Monsieur l'Ambassadeur, délégué à la coopération régionale,

Mes chers collègues parlementaires,

Je voudrais saluer les deux sénatrices présentes à la tribune, Vivette Lopez et Viviane Artigalas, dont chacun connaît l'engagement pour les outre-mer.

Vous qui êtes amoureux de l'océan Indien, j'ai le plaisir de vous accueillir par-delà l'océan de l'écran, de l'image, qui parfois nous éloigne et en même temps nous rapproche. J'espère que nous pourrons bientôt partager le vrai rapprochement.

À l'occasion de ce dernier volet du cycle de conférences sur les richesses naturelles des outre-mer engagé en 2017, je remercie Michel Magras qui a eu l'initiative de ce cycle d'échanges autour d'expériences et d'initiatives mises en oeuvre dans nos territoires ultramarins. J'ai essayé d'être le plus fidèle possible à chacun des rendez-vous que vous nous avez proposés. Ce n'était pas simplement pour faire plaisir mais parce que telle est ma conception du Sénat, représentant de tous les territoires, de l'Hexagone et des outre-mer, comme des Français établis hors de France. C'est vraiment ce que je souhaite porter. Merci à Pierre Dubreuil et à toute l'équipe de l'OFB qui accompagnent la délégation dans sa volonté de mettre en valeur le patrimoine naturel exceptionnel de nos outre-mer depuis bientôt quatre ans, sous des appellations diverses. Je voudrais redire à Pierre Dubreuil ma confiance personnelle. Il n'est pas facile de créer un tel office et il y réussit.

Cela a été rappelé, l'océan Pacifique était à l'honneur en 2018, l'océan Atlantique en 2019 et les échanges de cet après-midi portent sur l'océan Indien.

Le vétérinaire que je suis aurait eu grand plaisir à passer des heures à disserter avec vous du paille-en-queue, du papangue, du margouillat ou du tangue. Mais ce n'est pas l'objet du colloque et c'est donc le président du Sénat et pas le vétérinaire qui évoquera ces sujets.

Nous sommes réunis pour réfléchir aux manières d'inscrire les biodiversités ultramarines au coeur d'un nouveau modèle de développement. C'est un angle essentiel, parfois négligé dans le débat sur la biodiversité car on s'arrête le plus souvent, encore aujourd'hui, au seul constat, ou pour s'enorgueillir du patrimoine français. Les îles de La Réunion et de Mayotte sont les plus connues mais il y a aussi les îles Éparses, Crozet, Amsterdam, Saint-Paul, Kerguelen et Tromelin. Elles constituent l'un des 35 points chauds de la biodiversité mondiale.

L'océan Indien héberge un peu moins de 40 % des espèces de coraux du monde. Le nombre total d'espèces marines dans la région n'est pas connu avec précision mais on évoque une fourchette comprise entre 11 000 et 20 000 espèces, voire plus, dont 161 sont inscrites comme menacées dans cette liste rouge mondiale.

Le lagon de Mayotte est à la fois l'un des plus grands et l'un des plus riches. Le volcan procure à La Réunion, par la colonisation de ses coulées de lave en mer, un lieu très particulier, quasi unique, de biodiversité.

Je le disais, soit pour s'enorgueillir, soit pour s'alarmer. La biodiversité est autant un sujet d'espérance qu'un sujet d'inquiétude. Pour paraphraser cette phrase célèbre de Jacques Chirac en 2002, il y a aussi les océans qui brûlent : acidification, péril des récifs coralliens, pollution plastique, sujet qui me préoccupe personnellement beaucoup, montée du niveau de la mer. Le monde du silence est en souffrance.

Quelques chiffres pour que nous réfléchissions ensemble et peut-être pour stimuler notre attention : la Terre a perdu 52 % des effectifs de ses espèces sauvages depuis 1970 ; la France se situe au 8 e rang des pays hébergeant le plus grand nombre d'espèces menacées ; 15 % des espèces ultramarines sont en danger.

Il est vrai que l'homme est en partie responsable de la dégradation de son environnement. Quelles attitudes pouvons-nous adopter ? Nous pouvons sombrer dans le pessimisme, nous couvrir la tête de cendres, nous flageller en pleurant sur la 6 e extinction à venir. Pour ma part, je pense que la mise en valeur de la biodiversité n'est pas une contrainte statique mais plutôt une opportunité d'imaginer un nouveau mode de développement qui permette de concilier tout à la fois protection de l'environnement, développement économique et progrès social.

Vous avez bien compris, je ne suis pas un apôtre de la décroissance. Qu'aurait dans les outre-mer le sens du mot décroissance, alors que nous connaissons tant de besoins ? Pour moi, les réalités humaines sont tellement essentielles dans ces territoires !

Nous pouvons aussi glisser dans le conservatisme et quelque part préconiser la mise sous cloche de la biodiversité. Je ne crois pas que protéger la biodiversité implique de revenir à l'état sauvage et d'éradiquer la présence de l'homme, y compris dans les espaces naturels protégés.

L'attitude que je vous propose, c'est l'innovation. Les écosystèmes exceptionnels de nos outre-mer confèrent à notre pays une responsabilité particulière, celle d'inventer un mode de vie de l'homme compatible avec la préservation de l'environnement. Ce qui est vrai dans l'océan Indien est vrai aujourd'hui dans l'ensemble de nos territoires. Cette réalité doit alimenter les débats que nous aurons dans quelques jours, y compris quand nous parlerons de climat et de résilience. Nous devons donc inventer ce mode de vie de l'homme compatible avec la préservation de son environnement, une manière de loger une population, notamment dans nos territoires de l'océan Indien à la démographie dynamique, sans artificialiser inutilement des zones à haute valeur environnementale. Une manière de pêcher qui permette de préserver les ressources. Une manière de se nourrir qui ne dégrade ni les sols ni les espèces endémiques.

Pour ce faire, je crois qu'il faut libérer le potentiel créatif des collectivités et des citoyens. Quand nous pensons biodiversité, nous pensons souvent action monumentale et internationale, nous pensons convention sur la diversité biologique, laquelle date de 1992. Pourtant, la biodiversité c'est d'abord dans notre quotidien. Cette biodiversité est avant tout une problématique locale. C'était d'ailleurs le sens, cher Guillaume Chevrollier, d'une journée d'études consacrée ici à ce sujet. Il n'est pas anodin que la moitié des actions en faveur de la biodiversité et des paysages en France soit financée par les collectivités territoriales. Les collectivités territoriales oeuvrent depuis longtemps pour la protection de la biodiversité.

Aucune politique n'est neutre en matière de biodiversité : urbanisme, agriculture, tourisme, gestion de l'eau, transport public et bien sûr gestion des déchets mais aussi gestion de l'air. Au-delà des nombreux outils réglementaires, PLU, Trame verte et bleue, arrêtés de protection du biotope, les collectivités ont su faire fleurir aussi sur leur territoire les actions de protection adaptées à leur problématique propre.

Le Sénat - nous l'aborderons à partir du 5 juillet, dans ces 50 propositions sur la décentralisation - a suggéré d'adapter les normes nationales et les modalités d'action des autorités de l'État aux caractéristiques et contraintes particulières des territoires ultramarins par une loi annuelle d'actualisation du droit outre-mer. Je crois que c'est essentiel pour vous permettre de mettre en place le modèle de développement le plus adapté aux spécificités insulaires et environnementales.

Libérer le potentiel créatif de la multitude c'est aussi s'appuyer sur nos concitoyens. L'environnement figure au coeur des trois principales préoccupations des Français. Dans le même temps, les Français expriment leur volonté de participer à la vie de la cité. Quand on attend une démocratie plus locale, je crois qu'il faut faire davantage participer nos concitoyens à la protection de la biodiversité. C'est vrai partout, dans l'océan Indien comme ailleurs.

Je pense au travail titanesque d'identification des espèces. À ce jour, seules 2 millions d'espèces végétales et animales ont été décrites, travail qui est loin d'être terminé car il y aurait 10 millions d'espèces vivantes.

Vigie Nature, par exemple, a réussi à mettre en place des réseaux de citoyens qui observent, identifient et font progresser nos connaissances.

J'espère que cet après-midi d'échanges sera riche et fructueux et qu'il permettra de faire progresser une protection et une mise en valeur dynamique de la biodiversité. Nous ne devons pas opposer la biodiversité aux hommes et aux femmes qui vivent sur ces territoires. Nous avons la responsabilité de les considérer, où qu'ils soient, avec cette attention particulière qui fait les valeurs de la République.

Je vous souhaite un très bon après-midi de travail.

Michel MAGRAS,

Ancien président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président de la délégation, cher Stéphane Artano,

Mesdames, Messieurs, les parlementaires et les élus,

Mesdames, Messieurs, acteurs de la valorisation des biodiversités de l'océan Indien,

Chers amis présents virtuellement mais avec un intérêt bien réel,

Nous faisons aujourd'hui étape dans l'océan Indien pour clore le cycle de colloques de la délégation sénatoriale aux outre-mer consacré aux biodiversités ultramarines. Normalement triennal, il s'est prolongé d'un an, l'épidémie de Covid-19 nous ayant évidemment contraints à renoncer à son organisation en 2020. Je suis donc heureux d'être des vôtres dans cette belle et grande maison que je retrouve non sans nostalgie. Je remercie chaleureusement le président du Sénat, Gérard Larcher, pour son accueil amical et me permets de saluer sa présence fidèle aux côtés des outre-mer.

Mes remerciements vont également au président de la délégation aux outre-mer, Stéphane Artano, pour son accueil chaleureux et plus généralement à vous tous que je revois avec énormément de joie.

La Délégation sénatoriale aux outre-mer a coutume de rappeler que plus de 80 % de la biodiversité nationale se trouvent dans les outre-mer et qu'ils sont par ailleurs les sentinelles des changements climatiques. C'est dire les défis, les enjeux et les risques que nos territoires doivent relever et affronter mais c'est dire surtout leur grande richesse et leurs grandes potentialités. C'est le fil conducteur qui s'est imposé avec évidence pour les trois séquences organisées par la délégation autour des biodiversités des outre-mer, dans le respect des identités écologique de chacun des bassins.

La prise de conscience de cette richesse est croissante. Elle l'est au niveau national et, à cet égard, le Sénat et sa délégation aux outre-mer en particulier, se sont engagés pleinement en ce sens. Ainsi, dans la perspective de la COP21, le Sénat avait déjà pris l'initiative de travaux dédiés aux outre-mer, par le biais d'un groupe de travail commun avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, sous la présidence de M. Hervé Maurey, et la délégation que j'avais l'honneur de présider, mettant en avant leur immense diversité tout en appelant à une indispensable prise de conscience de leur vulnérabilité à l'aune des changements climatiques.

De cette première démarche a découlé un partenariat avec l'Agence française pour la biodiversité, devenue depuis l'Office français de la biodiversité, qui a accompagné le cycle de colloques consacré à la biodiversité. Je saisis l'occasion qui m'est offerte pour réitérer mes remerciements à son directeur général, M. Pierre Dubreuil.

La conscience de la richesse du patrimoine naturel est quant à elle prégnante dans chacune des collectivités, comme en témoigne la grande diversité des initiatives de préservation et de valorisation qui nous ont été présentées et que nous annonce le programme de notre après-midi d'échanges.

La France-monde, qui s'étend sur tous les océans, est aussi diverse que le sont les outre-mer. C'est pourquoi, une approche différenciée est exigée. Même si les biodiversités ultramarines ont en commun leur richesse, elles font face à des problématiques propres.

C'est avec le vaste Pacifique que nous avions ouvert notre cycle autour de la biodiversité. S'étendant sur plusieurs millions de kilomètres carrés, il se caractérise par la prééminence de sa dimension marine et son exceptionnel endémisme qui imposent eux aussi des défis majeurs aux collectivités et aux acteurs de la préservation de la biodiversité, au centre desquels celui de l'éducation des populations. Ce patrimoine foisonnant constitue aussi une ressource dont l'exploitation et la valorisation doivent désormais se placer dans une optique durable, à un moment où l'érosion côtière, la menace de disparition de certaines espèces marines ou la fragilisation des récifs coralliens du fait du réchauffement des eaux sont autant d'alertes imposant de concevoir le développement de manière indétachable de la préservation des écosystèmes.

Le bassin Atlantique, qui va de l'Amazonie aux eaux particulièrement poissonneuses de Saint-Pierre-et-Miquelon, en passant par les îles caribéennes, se caractérise par son extraordinaire richesse et sa remarquable variété. Le passage de l'ouragan Irma, encore douloureusement présent dans les mémoires, avait conduit la délégation à déclarer l'urgence climatique et à mettre en avant sa place emblématique du fait de la concentration des problématiques environnementales et des risques naturels majeurs de la zone atlantique. Dans ce domaine encore, les outre-mer devraient être considérés comme des laboratoires.

Si l'océan Indien ferme la marche d'un cycle, il laisse ouverte la perspective sur notre manière de concevoir l'avenir de notre planète et la poursuite de son développement. Le titre du présent colloque nous projette au coeur du défi posé par les outre-mer, c'est-à-dire celui de la conciliation de l'objectif de développement du territoire et de l'impératif de préservation des biodiversités.

Située dans l'archipel des Mascareignes, l'île de La Réunion a fait le pari de l'alliance du tourisme et du patrimoine naturel, faisant ainsi de sa biodiversité un des leviers de son développement. Elle est également un des grands hotspots de la biodiversité mondiale.

Situé dans le canal du Mozambique, l'archipel mahorais, Grande-terre, Petite-terre et les îlots, abrite l'un des lagons les plus grands et les plus riches du monde. Sa mangrove constitue un écosystème remarquable, également d'une grande richesse.

Bien qu'inhabitées de manière permanente les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) constituent un espace de biodiversité précieux pour la recherche scientifique, s'étendant sur un large gradient à la fois longitudinal et latitudinal puisqu'elles s'étendent du 13 e au 66 e parallèle sud.

C'est peu dire que les outre-mer contribuent à faire de la France un pays aux avant-postes de toutes les questions liées aux biodiversités et au changement climatique, nous ne cesserons de le répéter.

Je n'en dirai pas plus car je suis sûr que cet après-midi sera un moment d'échanges remarquable. Nous y participerons avec beaucoup de passion et d'émotion.

Avec vos actions sur le terrain, vous contribuez tous à faire du patrimoine naturel des outre-mer un véritable trésor pour la nation française. Puissent tous les Français en prendre conscience !

Pierre DUBREUIL,

Directeur général de l'Office français de la biodiversité (OFB)

Monsieur le Président du Sénat, Cher Gérard Larcher,

Messieurs les présidents de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, Stéphane Artano et Michel Magras,

Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Chers amis,

Je suis très heureux d'être ici en tant le directeur général de l'OFB qui est, comme vous l'avez dit Monsieur le Président du Sénat, un nouvel établissement. Je remercie les élus de la Haute assemblée d'avoir organisé, avec les équipes de l'OFB, cette journée dédiée à la biodiversité ultramarine de l'océan Indien qui parachève le cycle des colloques par bassin océanique. Je remercie encore le sénateur Magras de m'avoir initié à ce sujet, quand j'étais le préfigurateur de cet office, et je me souviens de la richesse de nos échanges.

Il est impossible de parler de biodiversité sans parler des outre-mer, c'est une évidence. Il est impossible de parler de biodiversité sans parler de tous les milieux, particulièrement de l'interaction entre la terre et la mer. Dans vos territoires d'outre-mer, ce lien terre-mer prend tout son sens et vous avez rappelé, Monsieur le Président, quelques chiffres très importants.

Pour ma part, je n'aime pas réduire la biodiversité aux chiffres puisque ce n'est pas l'évocation de quelques chiffres qui rendra justice à ce qu'est la biodiversité ultramarine. Néanmoins, ceux que vous avez mentionnés sont absolument fondamentaux. J'en ajoute quelques-uns : 90 000 espèces indigènes, dont près de 19 000 espèces endémiques, soit 84 % des espèces endémiques de France. Voilà ce que représente la biodiversité en outre-mer. Elle regroupe 10 % des récifs coralliens mondiaux, dont nous connaissons l'état préoccupant. 90 % des nouvelles espèces découvertes en France, au rythme moyen de deux par jour, le sont en outre-mer et seulement 30 % sont considérées comme bien répertoriées. Un champ de connaissances est ouvert puisque nous avons encore une grande ignorance des espèces qui restent à découvrir et à documenter.

En outre-mer, encore plus qu'ailleurs, l'enjeu de cohabitation entre la biodiversité et l'espèce humaine, entre le vivant humain et le vivant non humain, est plus fort qu'ailleurs en raison de l'énorme pression anthropique qui pèse sur ces territoires sur des surfaces de terres assez réduites.

Vous l'avez dit, Messieurs les présidents, protéger la biodiversité de ces territoires, c'est protéger leurs habitants dont la vie dépend largement de cette biodiversité, par exemple à travers la pêche, qui sera évoquée pendant ce colloque.

L'OFB porte la vision que la biodiversité et l'homme doivent faire équipe, et notre ambition est de concilier les usages de la nature. En effet, la préservation de la biodiversité, particulièrement en outre-mer, ne peut pas constituer en une mise sous cloche de la nature. La nature et l'Homme doivent cohabiter, vivre ensemble, c'est une absolue nécessité. L'Homme doit trouver des solutions et l'innovation peut l'y aider. Je porte cette conviction qui est au coeur des missions de l'établissement que je dirige. La mission de police de l'environnement réunit 1 900 agents et se fait au coeur des territoires, avec la population. Protéger la biodiversité à travers les prérogatives de police, c'est aussi sensibiliser les populations des territoires d'outre-mer aux trésors dont ils disposent et faire en sorte qu'ils vivent mieux avec.

L'OFB gère également des aires protégées dont la protection se fait avec les hommes qui y vivent. Nous sommes des gestionnaires et des experts et par nos missions, nous apportons des connaissances et nous recueillons aussi des connaissances qui viennent du territoire. Dans ces aires protégées qui sont des trésors de la République française, comme vous l'avez rappelé, nous nous efforçons de concilier les usages et de faire en sorte que l'État français remplisse ses objectifs internationaux.

Enfin, l'OFB est au service des acteurs locaux des territoires. C'est son ADN et j'y tiens beaucoup. Avec l'équipe qui travaille avec Jean Michel Zammite, je souhaite que nous soyons toujours aux côtés des acteurs territoriaux. Vous avez parlé, Monsieur le Président, de biodiversité locale. Nous pouvons également parler de biodiversité ordinaire. Si les éléphants d'Afrique et les ours polaires ne vont pas bien, nous sommes avant tout préoccupés par la biodiversité ordinaire, celle qui est près de chez nous, en outre-mer, et qui est particulièrement riche.

Nous agissons en parfaite coordination avec les services de l'État, avec une quarantaine d'agents en outre-mer. En tant que gestionnaire d'aires protégées, nous faisons par exemple un gros travail dans le Parc naturel marin de Mayotte et des Glorieuses ou en collaboration avec les parcs nationaux, notamment à La Réunion. Je rappelle que les parcs nationaux sont des établissements autonomes, rattachés à l'OFB. Les synergies qui existent entre nos établissements nous permettent d'accroître notre capacité d'action, avec des moyens qui sont limités, pour agir au service des territoires. Je pense que nous avons encore des progrès à faire dans ce domaine.

Je veux aussi souligner que nous animons les Agences régionales de la biodiversité, avec les collectivités territoriales et les régions qui sont chefs de file de la biodiversité. J'ai récemment participé au lancement de la première Agence régionale de la biodiversité ultramarine en Guadeloupe. Elle préfigure la mise place d'autres agences, notamment à Mayotte et à La Réunion, qui sont encore en gestation.

Nous accompagnons également financièrement les acteurs qui agissent pour la biodiversité, par exemple à travers la solidarité inter-bassins. L'OFB agit en tant qu'Agence de l'eau en outre-mer et subventionne beaucoup de travaux d'assainissement. C'est fondamental car les questions de l'eau et de la biodiversité ne peuvent être dissociées. C'est un enjeu encore plus prégnant en outre-mer. Grâce au Plan de relance, l'OFB pourra allouer 47 millions d'euros à l'assainissement et à l'eau en outre-mer et a déjà engagé 18 millions d'euros. C'est un effort que nous portons et qui est au service de l'eau et de la biodiversité en outre-mer.

Je vous souhaite un très bon colloque et je vous dis une nouvelle fois que l'OFB sera toujours à vos côtés.

PREMIÈRE TABLE RONDE

DES BIODIVERSITÉS EXCEPTIONNELLES : UNE SOURCE DE DÉVELOPPEMENT À PROTÉGER

PROPOS INTRODUCTIF



Nassima DINDAR,

Sénatrice de La Réunion

(Intervention lue par M. Teva ROHFRITSCH, sénateur de la Polynésie française)

Monsieur le Président,

Monsieur le Directeur général,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

« Je m'excuse sincèrement de ne pas pouvoir être présente avec vous pour partager vos travaux sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur.

En tant que sénatrice de La Réunion et membre du Conseil d'administration de l'Office français de la biodiversité, le patrimoine exceptionnel que constitue la biodiversité de l'océan Indien et le potentiel de développement qu'il représente sont des problématiques essentielles à mes yeux pour aborder l'avenir de cette région.

Les cultures ancestrales des communautés côtières s'y sont construites autour de la pêche, du commerce maritime et de la consommation de ressources marines. À l'heure actuelle, l'état des écosystèmes océaniques et côtiers forme encore le socle de la richesse locale et offre parallèlement un immense potentiel de développement.

Pourtant, plusieurs pays de l'océan Indien occidental comptent parmi les plus pauvres de la planète.

De plus, la poursuite de pratiques intensives d'exploitation des ressources, adoptées aux XIX e et XX e siècles sous l'impulsion des pays industrialisés, a pour effet d'accentuer la dégradation de l'environnement. Les écosystèmes côtiers et marins de l'océan Indien donnent des signes de faiblesse et toute la difficulté réside à ne pas entamer irrémédiablement ce capital irremplaçable.

Le défi consiste donc à trouver des pistes innovantes au service d'un développement économique durable !

Les différents intervenants de la présente table ronde vont tour à tour exposer les initiatives prises dans ce sens et dans lesquelles les outre-mer français de l'océan Indien jouent un rôle de premier plan.

L'île de La Réunion, pour sa part, présente une grande diversité de paysages (paysage minéral volcanique, paysage du littoral, étendues de cannes à sucre, paysage des Hauts...), tous saisissants, grandioses et spécifiques.

Cette richesse paysagère constitue pour La Réunion un atout essentiel, tant du point de vue patrimonial que touristique. On y recense notamment quelque 130 types de milieux naturels !

Le taux d'occupation par la forêt primaire y est encore remarquable. D'importants massifs de végétation indigène subsistent (forêts, landes et pelouses d'altitude), occupant encore 30 % de la surface de l'île, contre à peine 5 % à l'île Maurice. Sans compter des essences remarquables, comme le tamarin qui est un arbre endémique...

Mais depuis la fin des années 1970, le développement rapide de l'île (urbanisation, intensification de l'agriculture, grands travaux...) a provoqué une dégradation progressive de l'état des écosystèmes coralliens de la côte ouest.

Ce patrimoine est aussi menacé car l'introduction d'un nombre important d'espèces pour les besoins de l'homme (agriculture, ornement) ou accidentelles, et la prolifération de certaines d'entre elles mettent en péril les écosystèmes jusque-là peu perturbés et très vulnérables. Je mentionnerai pour mémoire l'arbre du goyavier, considéré comme une véritable « peste végétale ». Arrivée à La Réunion il y a deux cents ans, la plante recouvre depuis les zones humides et jusqu'à 40 % de certaines parties de l'île.

L'ensemble de ces menaces (invasions biologiques, braconnage et surexploitation, fréquentation accrue, défrichement, pollutions) requiert des réglementations à parfaire, à mieux faire appliquer, mais aussi un changement radical des comportements à opérer.

Il est grand temps que s'opère une véritable prise de conscience vis-à-vis de notre patrimoine naturel !

C'est dans le but de limiter ce processus de dégradation qu'a été créée la Réserve naturelle marine, pour protéger 35 km 2 de récif sur le littoral, englobant ainsi tous les lagons de l'île, à part celui de Saint-Pierre.

La stratégie nationale des aires protégées, adoptée en janvier 2021 pour dix ans, prévoit aussi de protéger 30 % du territoire, dont un tiers en protection forte.

L'enjeu actuel de La Réunion est donc de construire un modèle de développement permettant d'assurer la survie de ces récifs extrêmement vulnérables et sensibles, exposés aux pressions humaines exercées par 35 % de la population ultramarine française sur seulement 0,02 % des surfaces coralliennes nationales !

L'exemple de la mangrove de Mayotte est tout aussi éclairant. On connaît les bénéfices écosystémiques de la mangrove, qui permet de filtrer la boue et les sédiments, surtout en période de saison des pluies et d'éviter l'envasement du lagon et de la barrière de corail.

Je laisserai à mon collègue Thani Mohamed Soilihi le soin d'évoquer la protection du lagon exceptionnel de Mayotte.

Mais la disparition de la mangrove dans certains secteurs côtiers constitue un risque pour les infrastructures littorales, qui se retrouvent alors en première ligne. En absorbant une partie des polluants, la mangrove et les autres zones humides littorales contribuent aussi à la bonne santé des milieux aquatiques avoisinants. Sa préservation est donc en elle-même un facteur de développement !

Voici les éléments introductifs que je voulais formuler en préambule de cette table ronde. À présent, place donc à nos intervenants avec tous mes encouragements pour vos travaux qui appellent à une forte mobilisation au service de notre bien commun : la terre. »

Stéphane ARTANO,

Modérateur,
Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Stéphane Artano est sénateur RDSE de Saint-Pierre-et-Miquelon depuis septembre 2017. Il est titulaire d'une Maîtrise en carrière judiciaire et sciences criminelles, d'une maîtrise de droit privé, et d'un DES en gestion de patrimoine.

Depuis 2005, il est engagé dans la vie politique locale : Président du mouvement politique local « Archipel Demain » (septembre 2005) ; suppléant du député Gérard Grignon (apparenté UMP ) (2002) qui remporte les élections au conseil territorial de l'archipel (2006 et 2007). En 2016 il est élu président de l'Organisation de Pêche de l'Atlantique Nord-Ouest (OPANO).

À la suite des élections sénatoriales de 2017, il est élu sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon. Il est toujours conseiller territorial et président du Conseil territorial des jeunes. Il est également membre de la commission des affaires sociales du Sénat 1 ( * ) , vice-président du groupe d'étude numérique, vice-président du groupe d'amitié France/Canada et membre du groupe d'amitié France/Québec.

Il préside depuis décembre 2020 la Délégation sénatoriale aux outre-mer.

Mesdames et Messieurs,

Pour la première table ronde sur « des biodiversités exceptionnelles : une source de développement à protéger », vont intervenir successivement :

- Mme Karine Pothin, directrice de la Réserve marine de l'île de La Réunion et docteur en écologie marine ;

- M. Michel Charpentier, président de l'association des Naturalistes de Mayotte ;

- M. Vincent Boullet, président du Conseil scientifique du Conservatoire botanique national de Mascarin ;

- M. Vincent Ridoux, professeur à l'Université de La Rochelle, chercheur à l'Observatoire Pelagis ;

- Mme Viviane Artigalas, sénatrice des Hautes-Pyrénées et membre du groupe d'études du Sénat sur l'Arctique, l'Antarctique et les Terres australes ;

- Mme Vivette Lopez, sénatrice du Gard et membre du groupe d'études du Sénat sur l'Arctique, l'Antarctique et les Terres australes.

Karine POTHIN,

Directrice de la Réserve naturelle marine de La Réunion

« Aire marine protégée : outil de développement du territoire - le cas de la Réserve naturelle marine de La Réunion »

Propos de présentation de M. Stéphane Artano, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Docteur en écologie marine, Mme Karine Pothin a travaillé en bureau d'études, puis comme chargée d'enseignement à l'Université de La Réunion. Depuis 2008, elle a occupé différentes fonctions à la Réserve marine de La Réunion : chargée de mission pour la rédaction du 1 er plan de gestion, responsable scientifique, directrice adjointe puis directrice depuis 2015.

Elle est également membre du Comité national de la biodiversité, du Forum des aires marines protégées, de la Western Indian Ocean Marine Science Association (WIOMSA) et du réseau des Aires Marines Protégées de la zone sud-ouest Océan Indien (WIOMPAN).

Bonjour à tous,

Je suis très heureuse de vous présenter un sujet qui m'est cher, la Réserve nationale marine de La Réunion et son lien avec l'économie bleue et le tourisme durable.

La Réserve naturelle marine de La Réunion a été créée en 2007. C'est une réserve nationale qui a pour périmètre géographique les côtes ouest et sud-ouest de l'île. C'est une réserve essentiellement marine, qui a pour objet de protéger les récifs frangeants coralliens de La Réunion et les écosystèmes associés. Cette protection a été confiée à un groupement d'intérêt public composé de 16 agents. Cette réserve marine est le siège d'un grand nombre d'usages et d'une forte fréquentation. En effet, La Réunion a vécu un fort développement démographique et une forte colonisation littorale. Cet espace est également confronté à une problématique de bassin-versant, puisque c'est une île haute. Tous les usages en amont de la réserve marine (agricoles, urbains, industriels) ont un impact, en aval, sur les récifs coralliens.

Notre caractère de groupement d'intérêt public, parallèlement à celui de réserve nationale, nous permet de bénéficier d'une forte implication des collectivités locales (Conseil régional, Conseil départemental, Intercommunalité des communes de l'Ouest, Saint-Paul, Trois-Bassins, Saint-Leu, Les Avirons et L'Étang-Salé).

Cette réserve naturelle marine s'étend sur 40 kilomètres de long et sur 3 500 hectares. Elle a comme enjeux forts le braconnage, la sensibilisation, l'amélioration des connaissances et des phénomènes climatiques qui peuvent notamment conduire à des phénomènes de blanchissement corallien.

L'équipe gestionnaire a trois missions principales : la sensibilisation et l'éducation à l'environnement, la surveillance, puisque cet espace est protégé et les usages réglementés, et une mission scientifique d'amélioration des connaissances. Nous suivons en effet l'état de santé et l'évolution des récifs coralliens.

La biodiversité est exceptionnelle, avec plus de 180 espèces de coraux durs, plus de 70 espèces d'éponges, plus de 1 000 espèces de poissons, plus de 1 000 espèces de mollusques, 659 espèces de crustacés et 200 espèces d'échinodermes, soit plus de 3 600 espèces recensées. Mais, comme vous le savez, il nous reste encore beaucoup d'espèces à découvrir.

Cette biodiversité marine exceptionnelle sur ce petit périmètre doit être préservée. Il y a au sein de la réserve des usages directs et indirects, des usages extractifs comme la pêche, des usages balnéaires ou nautiques et tous les usages littoraux et du bassin-versant. Ils ont tous un impact sur la biodiversité. En plus des activités humaines, la réserve est également confrontée, dans le contexte de changement climatique, à des phénomènes naturels comme les cyclones, les hautes marées ou l'augmentation de la température de l'eau. Nous pouvons donc observer différentes problématiques comme la perte de biodiversité, l'érosion des plages ou encore la diminution des stocks halieutiques.

Les récifs coralliens apportent au territoire une forte valeur économique, estimée à 49 millions d'euros par an, dont 28 millions d'euros pour le secteur du tourisme et des loisirs, 12 millions au titre de la protection côtière contre la houle et près de 9 millions au titre de la pêche, qu'elle soit récréative, professionnelle ou vivrière. Ces récifs doivent être protégés tout en veillant au développement durable des activités qui génèrent des emplois. Cela ne peut se faire qu'avec l'implication forte des citoyens et des usagers.

Parallèlement à ses trois missions principales, la Réserve marine souhaite donc s'intégrer au territoire, notamment au niveau du développement touristique de l'île. Nous participons ainsi à l'élaboration du schéma touristique régional et à un certain nombre d'évènements qui permettent de valoriser et de mettre en lumière l'économie bleue, comme le Festival d'images sous-marines ou encore le Salon du tourisme. Nous avons aussi des conventions de partenariat avec l'île de La Réunion Tourisme, avec l'Office de tourisme de l'Ouest et nous faisons partie du Club du tourisme.

Nous avons également travaillé avec des professionnels du tourisme pour monter une commission « Tourisme et développement durable » pour la mise en place de produits écotouristiques. Nous envisageons aussi de mettre en place une marque « Réserve », peut-être en collaboration avec la Réserve de l'étang de Saint-Paul.

Nous avons également un produit écotouristique car nous gérons le sentier sous-marin qui permet de sensibiliser 1 400 personnes par an, des scolaires, des touristes et des Réunionnais. Depuis la création de la Réserve marine, plus de 23 000 personnes ont ainsi suivi la visite guidée.

Nous participons aussi à des programmes locaux qui ont trait à l'économie bleue, comme le programme Océan Metiss piloté par la Région Réunion ou la mise en place du label Odyssea pilotée par l'intercommunalité des communes de l'Ouest.

Enfin, nous sommes également intervenus dans deux séminaires internationaux liés à l'économie bleue, au Sri Lanka en 2018 et au Mozambique en 2019, pour présenter notre Réserve marine.

Un autre point important est que les usagers souhaitent s'impliquer de plus en plus dans la gestion et la protection des récifs coralliens. Ainsi, dans le cadre du deuxième plan de gestion qui couvre la période 2021-2030, nous avons construit, avec près de 170 participants, le plan d'actions de la Réserve marine. Une commission « Tourisme et développement durable » a été mise en place et nous envisageons la création d'un forum citoyen pour échanger sur les ajustements de notre gestion. Nous réfléchissons à la mise en place d'ambassadeurs bénévoles pour nous accompagner au quotidien dans cette gestion et cette protection. Enfin, nous souhaitons nous appuyer sur un Conseil des Sages composé d'anciens pêcheurs et d'anciens usagers, qui pourraient nous éclairer par leur expérience et leur connaissance du territoire.

Une aire marine protégée doit donc être intégrée dans le territoire. Comme nous l'a rappelé le Président Gérard Larcher, il faut cesser d'opposer protection d'un patrimoine naturel et développement économique. L'équipe gestionnaire doit être innovante, impliquée, force de proposition et suivre le mouvement du développement économique, en accompagnant les acteurs qui veulent mettre en place des projets de développement. Elle doit aussi travailler au quotidien et en proximité avec les citoyens. Ce modèle qui allie le développement économique, culturel et social, la protection des récifs coralliens et une plus grande proximité avec les citoyens permettra une meilleure appropriation des usagers concernant la protection des récifs coralliens et donc forcément une protection plus efficace.

Michel CHARPENTIER,

Président de l'association des Naturalistes de Mayotte

« La mangrove de Mayotte et ses bénéfices écosystémiques »

Propos de présentation de M. Stéphane Artano, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

M. Michel Charpentier préside l'association des Naturalistes depuis son installation à Mayotte, il y a 17 ans. C'est une association active dans tous les domaines de l'environnement, de la biodiversité au changement climatique sans oublier les déchets et la pollution. Elle regroupe un millier d'adhérents et une vingtaine de salariés.

Bonjour à tous,

Mayotte est l'un des plus petits territoires de l'outre-mer français, avec 374 km 2 , mais c'est aussi le plus densément peuplé avec plus de 700 habitants au km 2 . L'INSEE prévoit, à l'horizon de 2050, une très forte augmentation de la population et une densité oscillant entre 1 200 et 2 200 habitants au km 2 . Par ailleurs, cette population est très présente sur le littoral qui concentre aussi les menaces naturelles et anthropiques mettant en danger les populations : inondations, submersions marines, glissements de terrain, pollution, accumulation de déchets. Le littoral est donc un enjeu environnemental et sociétal à Mayotte.

Dans cette petite île surpeuplée au relief accidenté, les mangroves et les arrières mangroves offrent un espace plat, convoité pour les aménagements collectifs, l'extension de l'urbanisation ou l'urbanisation informelle. À l'interface terre-mer, les 700 hectares de mangrove qui bordent 26 % du linéaire côtier sont globalement en régression.

Une étude de l'ONF indique que la superficie totale de la mangrove a chuté de 20 % depuis 1980. En effet, au cours des dernières décennies, divers aménagements ont été réalisés au détriment des mangroves et des arrière-mangroves, particulièrement en zone urbaine.

Malgré l'énorme progression démographique qui tend à accaparer ces espaces, la préservation et même l'extension de ces espaces constitueraient un avantage précieux pour la société. Comme le disait le Directeur général de l'OFB, protéger la biodiversité, c'est aussi protéger les habitants.

Protection du littoral

Sur la protection du littoral, dans une étude publiée en 2019, Matthieu Jeanson a démontré, sur un site de Mayotte, que les palétuviers de la mangrove dissipaient jusqu'à 70 % de l'énergie de la houle, sur une bande de mangrove d'une centaine de mètres de largeur, grâce notamment à l'ensemble du réseau racinaire. L'absence ou la suppression de la mangrove favorise malheureusement la fragilité du littoral et des populations résidentes face aux éléments naturels.

Je souligne également le rôle protecteur et souvent méconnu des arrière-mangroves, dont il ne reste aujourd'hui que moins de 200 hectares. Zone de transition entre la mangrove et la terre ferme, les arrière-mangroves ne sont généralement touchées que par des aléas exceptionnels. Elles constituent une zone d'expansion des crues, des marées exceptionnelles, de la houle cyclonique voire de potentiels tsunamis. Ces phénomènes sont rares mais très destructeurs et nous savons qu'avec le changement climatique ils risquent de devenir plus fréquents et plus violents.

Ces arrière-mangroves ont connu au cours des dernières décennies une régression encore plus rapide que les mangroves. Elles ont souvent été déforestées, transformées en cultures ou pâturages ou remblayées pour des aménagements privés ou collectifs. C'est souvent aussi une zone d'habitat informel.

Filtration et stockage des sédiments qui proviennent des bassins-versants

La très forte progression démographique accroît des besoins d'espace pour l'agriculture et pour l'urbanisation dans des conditions qui ne sont pas toujours respectueuses de la protection des sols. Avec des pentes fortes et des pluies abondantes l'érosion devient très importante.

Le projet Leselam (Lutte contre l'érosion des sols et l'envasement du lagon) porté par le BRGM et les naturalistes de Mayotte travaille depuis plusieurs années sur l'érosion des sols. Globalement, l'étude estime que la masse de sédiments dégagée par l'érosion est de l'ordre de 20 000 tonnes par an. Ces sédiments s'acheminent ensuite par les eaux courantes jusqu'au littoral. Là où elles existent, les mangroves contribuent à piéger sur place les apports sédimentaires. La mangrove de Mayotte stockerait 12 millions de mètres cubes de sédiments, ce qui représenterait, en l'absence de stockage, une couche de 25 centimètres de vase sur tous les récifs frangeants de l'île.

Rôle épurateur

Dans un pays dont 80 % des habitants ne sont pas raccordés à un réseau de l'assainissement, il était intéressant de tester la capacité d'épuration de la mangrove. Dans un village du sud de l'île, le CNRS a mené une expérience visant à étudier la capacité d'épuration de la mangrove sur les eaux usées, préalablement décantées. Les résultats sont encourageants et confirment que la mangrove possède une aptitude à dépolluer.

Foyer de biodiversité

Compte tenu des contraintes spécifiques au milieu, la diversité des espèces végétales est limitée à sept espèces de palétuviers mais la production de litière est importante. Elle est estimée 6,5 tonnes par an et par hectare. Outre les feuilles de palétuviers qui sont décomposées par les crabes et autres détritivores, les sédiments provenant des bassins-versants sont chargés de matière organique.

Pour la faune, la mangrove présente l'avantage d'être à la fois une zone de refuge, de reproduction et de nourrissage. Elle offre en effet d'importantes capacités nutritives ainsi qu'un espace de protection, relativement à l'abri des prédateurs, notamment grâce au réseau racinaire des palétuviers. Ces avantages favorisent la fréquentation d'un grand nombre d'animaux marins. Certains y vivent à demeure, d'autres n'y passent qu'une phase de leur existence. La mangrove joue ainsi le rôle de nurserie pour les poissons du lagon.

Un réservoir de carbone

Comme toute forêt, les palétuviers de la mangrove apportent leur contribution au stockage du CO 2 , estimé à une quarantaine de tonnes par hectare et par an. Cette capacité de stockage est augmentée par le carbone enfoui dans les sédiments qui représenterait 7 tonnes par hectare et par an.

Tous ces services procurés par les mangroves et arrières mangroves sont précieux pour les populations littorales et pour les équilibres écologiques du lagon. Il importe donc de protéger ces écosystèmes, tout spécialement les mangroves urbaines et les arrière-mangroves particulièrement menacées.

La Mangrove (c) Squadrelli, Naturalistes Mayotte

Vincent BOULLET,

Président du Conseil scientifique du Conservatoire
botanique national du Mascarin

« La Réunion, un patrimoine mondial de biodiversité entre invasions biologiques et innovations économiques »

Propos de présentation de M. Stéphane Artano, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

M. Vincent Boullet a été directeur ou directeur scientifique de plusieurs Conservatoires botaniques nationaux (Bailleul, Massif central, Mascarin) entre 1990 et 2014. Il fut également cofondateur et président du Conservatoire d'espaces naturels de Picardie de 1991 à 2000. Depuis 2009, il est membre du Conseil national de protection de la nature et ancien Président de son Comité permanent.

Bonjour à tous,

Le patrimoine mondial de biodiversité de La Réunion, entre invasions biologiques et innovations économique, est un défi pour La Réunion, la France et la planète.

Le caractère exceptionnel et unique de la biodiversité de l'île de La Réunion est aujourd'hui bien connu depuis l'inscription en 2010 de près d'un tiers de l'île au patrimoine mondial de l'humanité, comme bien naturel pour les critères de biodiversité et de paysages naturels, soit la quasi-totalité du coeur du Parc national de La Réunion.

Pour résumer le caractère unique de La Réunion et sa valeur universelle exceptionnelle, cinq mots suffisent : La Réunion est une île, tropicale, océanique, altimontaine, afro-indienne.

Une île, c'est une évidence. Tropicale, puisque nous sommes dans la zone intertropicale. Océanique parce que volcanique et surgit des profondeurs de l'océan sans aucun héritage de matériaux continentaux. Vous connaissez tous l'activité régulière et spectaculaire du volcan de la Fournaise adossé au volcan bien plus ancien et éteint du Piton des neiges. C'est un moteur volcanique d'habitats naturels, associé à une érosion puissante et violente à l'origine des cirques, des remparts et des ravines profondes qui offrent ces paysages si spectaculaires et si diversifiés. C'est aussi un moteur altitudinal culminant à plus de 3 000 mètres, distribuant les pluies au vent et sous le vent des alizés, offrant un long gradient thermique du battant des lames au sommet des montagnes, de l'étage littoral à la base de l'étage alpin, le tout sur une distance de 20 kilomètres.

La Réunion, dont on connaît les records mondiaux de pluie, est en matière de biodiversité l'île tropicale océanique de tous les records bioclimatiques. Trois des cinq grands bioclimats tropicaux du monde (pluvial, pluviosaisonnier, xérique) sont représentés. Au niveau des températures, elle réunit quatre des sept thermoclimats tropicaux et côté pluie six des neuf ombroclimats tropicaux.

Tous ces éléments donnent à cette île une offre d'habitats naturels hors norme. Cette offre entretient une fabrique de biodiversité particulièrement productive et aux principales origines métissées afro-indiennes. Une île est presque toujours une fabrique de biodiversité. Son efficience dépend de l'âge de l'île, de sa taille et de son offre d'habitats. L'isolement insulaire active les processus biologiques évolutifs et notamment les adaptations biologiques et écologiques, la spéciation et l'endémicité. La flore est un bon indicateur de cette fabrique de biodiversité. Avec l'île-soeur de Maurice, La Réunion est un centre mondial de diversité pour les plantes. 58 % des plantes à fleurs de La Réunion, soit 347 espèces sont endémiques, dont 219 (37 %) sont endémiques strictes de La Réunion.

Deux processus majeurs alimentent cette fabrique de biodiversité. D'une part une immigration depuis Madagascar et l'Afrique, que soulignent les profondes affinités afro-malgaches de la flore vasculaire de La Réunion. Le couple Afrique/Madagascar-Réunion propose ainsi un modèle continent/île exemplaire et démonstratif des processus de diversification du vivant, un peu à la manière de l'archipel des Galápagos. D'autre part, le second processus a une origine lointaine à caractère indopacifique, dont témoigne la part relativement élevée des origines orientales de sa flore endémique. L'origine lointaine de ces éléments orientaux, les côtes australiennes sont par exemple à près de 5 000 kilomètres de La Réunion, se traduit par une spéciation rapide compte tenu du grand éloignement des populations mères. À l'extrême ouest de la région indopacifique, La Réunion fonctionne, pour le contingent de plantes provenant de ces régions, à la manière d'une île océanique très isolée, un peu comme l'archipel d'Hawaï. Ce double modèle d'immigration que nous qualifierons d'afro-indien est sans doute une marque de fabrique originale du modèle biologique insulaire océanique de La Réunion. En résumé, La Réunion c'est à la fois les Galápagos et Hawaï et cela n'aurait sans doute pas déplu à Charles Darwin !

Que reste-t-il aujourd'hui de cette offre hors normes d'habitats et de cette fabrique si productive de biodiversité depuis les premières installations humaines au XVII e siècle ? Pendant plus de trois siècles et demi, l'altération ou la destruction directe par les activités anthropiques, agricoles et forestières des habitats naturels primaires ont été les processus les plus destructeurs de la biodiversité originelle de l'île. Ces processus sont aujourd'hui ralentis sous l'action conjuguée d'une politique volontariste de préservation des habitats indigènes et de gestion conservatoire de la biodiversité indigène. Le statut de parc national, avec l'obligation légale de développer une charte entre toutes les parties prenantes du territoire, garantit en théorie sur le long terme les bonnes pratiques de protection et de gestion de son territoire.

En 2010, lors de l'inscription du coeur du Parc national au patrimoine mondial de l'Unesco, il subsistait environ un tiers de milieux naturels plus ou moins intacts, correspondant essentiellement aux ceintures mésothermes et altimontaines d'habitats naturels, écosystèmes dont la dimension spatiale et la complétude de milieux ont motivé l'inscription au patrimoine mondial. Au moment de cette inscription, la menace majeure pesant sur ce tiers restant était celle des espèces exotiques envahissantes, la faune invasive (rats, chats, etc.) mais surtout la flore exotique introduite à l'origine des invasions végétales qui interfèrent avec le fonctionnement des végétations indigènes, pouvant aller jusqu'à une destruction complète des habitats et des forêts primaires.

Depuis 2010, la progression des invasions végétales s'est poursuivie dans divers secteurs, affectant sensiblement et de manière croissante les valeurs du bien. Les incendies de 2010 et de 2011 et récemment 2020 des Hauts de l'ouest de l'île ont encore aggravé la situation. Dans le cadre de son horizon du patrimoine mondial, l'Union internationale de conservation de la nature a tiré la sonnette d'alarme en 2017, en déclassant le bien du patrimoine mondial en situation de forte menace, situation maintenue en 2020. Un courrier de l'UICN en mars 2018 au ministre Nicolas Hulot alertait notamment sur l'insuffisance de moyens dédiés à la lutte et au contrôle des espèces exotiques envahissantes, sur une prise de conscience nécessaire face à l'ampleur de la situation d'invasion et de sa progression.

Des progrès ont suivi cette alerte avec une mobilisation accrue du département de La Réunion et du Parc national, permettant pour la première fois d'établir un état et une carte des invasions et de proposer une nouvelle stratégie de lutte contre les invasions et des priorités d'action. À l'inverse, l'absence actuelle de la majorité des plantes les plus envahissantes du bien dans la réglementation des espèces exotiques envahissantes de La Réunion en réponse au règlement européen et les justifications apportées de potentiel économique en sont un fâcheux contre-exemple. La tâche est telle qu'il faut clairement envisager d'abandonner une partie du bien aux invasions et se consacrer sur les fronts d'invasions et les zones encore restaurables.

Cependant, sans moyens financiers et humains nouveaux et face à l'accélération des invasions dans certaines parties du bien, cela relève d'une mission quasi impossible, dont les coûts élevés dépassent la capacité de financement public. Que faire, si ce n'est innover et changer de paradigme ?

Les invasions végétales à La Réunion ne doivent pas être uniquement une charge pour la société, mais au contraire une ressource à la fois économique et sociale permettant de financer la lutte et le contrôle des invasions jusqu'à leur maîtrise. Ce nouveau paradigme fait suite à une réflexion demandée en 2015 par la région Réunion sur le potentiel de valorisation énergétique des plantes invasives. La masse végétale exotique constitue une biomasse considérable que l'on peut aujourd'hui aisément transformer en ressources énergétiques, finançant à la fois sa récolte et sa transformation et permettant de développer l'emploi pour la lutte contre les invasions. Il ne s'agit pas non plus de créer une filière d'exploitation de plantes invasives qui se traduirait par leur maintien voire leur expansion. La stratégie proposée est de développer la valorisation des déchets verts urbains de La Réunion (aujourd'hui peu utilisés) en biomasse énergie et de profiter de cette filière pour écouler les produits de lutte contre les plantes invasives jusqu'à épuisement du stock. Soit sans doute dans plus d'une centaine d'années...

Parmi les pistes envisageables, celle de la transformation de la biomasse invasive en pellets, grâce à un procédé d'hypercompression au bilan carbone neutre permettant de sécher la biomasse avec seulement 30 % de matière ligneuse, est la plus adaptée. Elle peut se faire sur place grâce à de petites unités mobiles. Cette technique d'hypercompression a notamment été développée en France par le département des Côtes-d'Armor et diverses agglomérations, comme celle d'Antibes. L'une d'elles a reçu le prix de l'innovation pour le développement durable.

Malheureusement, les démarches pour mettre en place ce nouveau paradigme de lutte contre les invasions et d'innovation économique à La Réunion se heurtent à de nombreux freins et n'arrivent pas encore à émerger. Pendant ce temps, les invasions progressent et le patrimoine de biodiversité si exceptionnel de La Réunion continue de s'amenuiser.

Pitons, cirques et remparts de l'ile de la Réunion (c) Hervé Douris

Vincent RIDOUX,

Professeur à l'Université de La Rochelle, chercheur à l'Observatoire Pelagis

« Le Canal du Mozambique, point chaud de biodiversité
de la mégafaune marine tropicale »

Propos de présentation de M. Stéphane Artano, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

M. Vincent Ridoux effectue des travaux de recherche qui portent sur l'écologie des oiseaux et mammifères marins et sur leur conservation. Ses travaux concernent l'étude des ressources alimentaires et des habitats utilisés par ces prédateurs marins et celle des interactions avec les activités humaines en mer. Cette orientation générale de recherche l'a amené à participer à de nombreux groupes de travail internationaux à l'interface entre sciences et politiques publiques de conservation du milieu marin.

Bonjour à tous,

J'ai le plaisir de vous présenter la valeur biologique exceptionnelle du canal du Mozambique pour les mammifères marins. Ce travail a été réalisé par l'Observatoire Pelagis pour le compte de l'Office français de la biodiversité (OFB) et du ministère la transition écologique.

Les motivations pour l'acquisition de connaissances et la conservation des mammifères marins sont multiples. Il existe des motivations générales, puisque ce sont des espèces emblématiques, parapluies ou sentinelles. Il y a aussi des motivations plus spécifiques, plus techniques, parce que ces espèces ont subi et continuent de subir un certain nombre de pressions d'origine humaine. Ces espèces ont par ailleurs une résilience faible, donc une capacité assez lente à se régénérer quand la population a été détériorée. Il existe également des motivations réglementaires. Le droit international, communautaire ou national prévoit le suivi et l'évaluation de l'état de conservation de ces espèces. Il y a aussi des motivations de souveraineté puisque l'acquisition de connaissances, la conservation et la gestion durable des espaces maritimes lointains sont une forme d'expression de la souveraineté française dans ces secteurs. Enfin, les enjeux scientifiques sont principalement la connaissance de l'abondance, la distribution et le déficit de données des régions tropicales.

Dans ce domaine, la France a un rôle particulier à jouer et une responsabilité mondiale du fait de l'étendue de sa zone économique exclusive, notamment dans l'outre-mer tropical. Dans ce cadre, le programme REMMOA (Recensement de la mégafaune marine par observation aérienne), mis en place par l'Agence des aires marines protégées qui est devenue un des éléments de l'OFB, avait pour but de cartographier la distribution de la mégafaune marine (mammifères, oiseaux, tortues) dans les outre-mer tropicaux français et si nécessaire dans les régions voisines. Cette cartographie permet d'identifier les principales zones d'intérêts biologiques et d'enjeux de conservation, d'établir un état initial pour un suivi ultérieur des effets du changement global et de mieux connaître les écosystèmes marins du large.

Les campagnes REMMOA s'appuient sur un protocole multispécifique, qui échantillonne les mammifères marins, les oiseaux, les tortues, les requins mais aussi les activités humaines, comme le trafic maritime, l'activité de pêche et les macrodéchets flottant en mer. Elles ont été déployées dans quatre régions océaniques : la région Antilles/Guyane dans l'Atlantique, dans le sud-ouest de l'océan Indien, en Polynésie et dans le sud-ouest du Pacifique. Nous utilisons une méthodologie standardisée, des transects linéaires réalisés en avion. Au cours des différentes campagnes, près de 68 000 observations ont été collectées, dont 2 300 de mammifères marins.

Dans le sud-ouest de l'océan Indien, sept secteurs ont été échantillonnés, dont trois dans le canal du Mozambique : le nord du canal avec les Comores, Mayotte et les Glorieuses ; le centre avec Juan do Nova ; le sud avec Europa et Bassas da India. Du côté des Mascareignes, un secteur allant jusqu'à Tromelin a été étudié, un autre autour de La Réunion, un troisième autour de Maurice et un dernier dans le nord, autour des Seychelles. Ces observations ont été réalisées dans le cadre d'une coopération, sous l'égide de la Commission de l'océan Indien. Elles couvrent trois sous-régions océanographiques aux caractéristiques assez différentes. Le canal du Mozambique est caractérisé par des tourbillons qui le parcourent du nord vers le sud et qui sont une source de production biologique très importante. Comme les Seychelles au nord, c'est une zone productive très importante alors que les Mascareignes sont entourées de masses d'eaux oligotrophes, donc peu productives.

Cette productivité à l'échelle des sous-régions de l'océan Indien se traduit par les densités de prédateurs marins, que ce soit des mammifères marins, des oiseaux, des requins ou des tortues. Les plus fortes densités se situent dans le canal du Mozambique et au nord autour des Seychelles alors que les zones moins densément peuplées sont observées autour des Mascareignes.

En comparant le sud-ouest de l'océan Indien avec les trois autres régions du programme REMMOA, nous observons que le canal du Mozambique et les Seychelles sont les secteurs de plus forte densité. Cette situation est liée à l'hydrologie de cette région et à la présence de ces grands tourbillons qui sont les moteurs de la production marine. Elle a conduit à la désignation d'aires d'intérêt biologique (IMMA) particulièrement importantes pour les mammifères marins.

À l'échelle de toute la ceinture tropicale du globe, en extrapolant les données aux régions tropicales dont les caractéristiques océanographiques sont voisines de celles échantillonnées lors des campagnes REMMOA, nous constatons que les secteurs du canal de Mozambique et des Seychelles sont parmi les plus importants en termes de densité de cétacés.

Nous sommes entrés dans une phase de préparation d'une deuxième campagne sur l'ensemble de la zone de l'océan Indien pour monitorer cette mégafaune marine. Nous travaillons avec plusieurs administrations pour essayer de dépasser les différends de souveraineté de l'espace maritime. Nous souhaitons construire avec Madagascar et les autres États de la région, dans le cadre de la Commission de l'océan Indien, un projet afin d'améliorer les connaissances sur le patrimoine naturel marin, suivre les effets du changement global et produire les bases scientifiques pour un développement durable de l'économie bleue.

Enfin, les campagnes d'observation ne sont pas que des campagnes d'acquisition de données et d'études scientifiques. Elles permettent aussi de développer de multiples projets pédagogiques et les capacités scientifiques dans les territoires de la région en sensibilisant aux enjeux de la biodiversité marine au large, de la mégafaune marine et en formant des naturalistes et des scientifiques à ces sujets.

Péponocéphale - Mayotte (c) Willy Dabin Observatoire Pelagis

Viviane ARTIGALAS,

Sénatrice des Hautes-Pyrénées,
membre du groupe d'études Arctique, Antarctique et Terres australes du Sénat

« Les îles Éparses, des territoires méconnus et préservés »

Propos de présentation de M. Stéphane Artano, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

MmeViviane Artigalas est actuellement vice-présidente de la commission des affaires économiques, et membre de la Délégation sénatoriale aux outre-mer. Elle est aussi membre du Comité du massif des Pyrénées et participe à différents groupes d'études du Sénat dont celui sur l'Arctique, l'Antarctique et les Terres australes.

Bonjour à tous,

À l'heure où la lutte contre le réchauffement climatique occupe tous les esprits, il existe au coeur de l'océan Indien un patrimoine mondial préservé de toute activité économique, fait rare qui peut nous permettre de mieux comprendre et anticiper la gestion de l'évolution climatique et biologique en cours.

Les îles Éparses constituent un point de référence unique au monde dont la préservation est essentielle. Lorsque les voyages lointains étaient encore possibles, une délégation de sénateurs membres du groupe d'études « Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) » a eu l'opportunité de participer à l'automne 2019 à une tournée de souveraineté organisée conjointement par la préfète des TAAF et le général commandant la force armée de la zone sud de l'océan Indien. Cette mission nous a permis de découvrir le patrimoine naturel exceptionnel de ces îles et d'en mesurer l'importance stratégique qui justifie la présence française.

Nous avons pu visiter les îles situées dans le canal du Mozambique, dans l'archipel des Glorieuses, Juan de Nova, Europa et survoler Bassas da India. Les îles Éparses comptent également Tromelin au nord de La Réunion. Elles sont territoires d'outre-mer depuis 1955 mais la souveraineté française s'y exerce depuis 1897.

Ces îles sont importantes car elles cristallisent deux problématiques autour desquelles les relations internationales s'articulent de plus en plus : la nécessité de préserver des patrimoines naturels inviolés et les enjeux économiques mondiaux.

Les îles Éparses représentent des sanctuaires océaniques de la nature primitive qui n'ont quasiment pas connu d'occupation ni d'exploitation humaine grâce à leur isolement géographique, leur caractère insulaire et leur relative pauvreté. Elles sont ainsi devenues des refuges pour de très nombreuses espèces protégées, marines et terrestres, et représentent l'un des derniers sanctuaires de biodiversité tropicale de l'océan Indien. Leur état de naturalité, par exemple à Europa, est unique en son genre. Jusque très récemment, les îles Éparses n'ont été soumises qu'à des pressions climatiques d'origine naturelle ou à des événements cycloniques, ce qui leur confère un état de conservation unique dans l'océan Indien. Miraculeusement préservées, ces îles n'en restent pas moins au coeur d'une zone stratégique pour les échanges mondiaux, qu'il s'agisse de biens ou de personnes. L'océan Indien constitue en effet un sas entre l'Afrique de l'Est, le golfe Persique et l'Asie du Sud.

À la faveur de la mondialisation et de l'importance croissante des échanges maritimes, les îles Éparses se retrouvent donc au coeur de nombreuses convoitises et constituent un enjeu de souveraineté, de concurrence entre les États au sein du canal du Mozambique. Cependant, la Convention de la protection du patrimoine mondial culturel et naturel les identifie comme l'une des régions d'aires primaires constituant le futur du patrimoine mondial marin. Pour toutes ces raisons le maintien de la présence française dans ces îles est indispensable, non pas dans un but d'exploitation mais bien de préservation. En effet, ces territoires vierges offrent un véritable aperçu d'une nature quasiment intacte et fonctionnelle, qui permet d'établir des comparaisons avec des écosystèmes fortement anthropisés et ainsi de mieux évaluer et anticiper les conséquences de l'activité humaine sur la biodiversité et les changements climatiques.

Les îles Éparses, comme l'ensemble des TAAF, n'ont pas d'habitants permanents et notre présence est avant tout administrative et militaire. Depuis 1973, elle est opérée par les forces armées qui assurent la préservation à la fois des îles et la souveraineté de la France. L'administration des TAAF a mis en place une chaîne logistique complexe permettant de vivre en autarcie sur les îles pendant plusieurs semaines. Les détachements militaires s'emploient à réduire au maximum leur empreinte énergétique et environnementale. Le recyclage des déchets et le ramassage quotidien des macrodéchets déposés par les courants marins sont à cet égard une réussite exemplaire.

Nous ne notons que deux pistes d'amélioration pour l'autonomie des missions : l'accès à l'eau potable et l'usage des énergies renouvelables, notamment à Grande Glorieuse avec l'installation de panneaux solaires.

Dans la perspective de développer à grande échelle des énergies respectueuses de l'environnement plus économes et durables, les îles Éparses restent donc des territoires d'expérimentation particulièrement pertinents dont nous avons la responsabilité et que nous devons continuer à préserver.

Vivette LOPEZ,

Sénatrice du Gard,
membre du groupe d'études Arctique, Antarctique et Terres australes du Sénat

« Les îles Éparses, des territoires méconnus et préservés »

Propos de présentation de M. Stéphane Artano, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Membre de la commission des affaires étrangères, et du bureau de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, Mme Vivette Lopez est aussi auditrice de la 6 e session nationale « enjeux et stratégies maritimes » de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et membre du groupe d'études Arctique, Antarctique et Terres australes du Sénat. Elle est très engagée auprès du Comité national de l'Initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR) et du Conservatoire national du littoral.

Bonjour à tous,

Au-delà de la conservation du patrimoine naturel, la collectivité des TAAF s'est engagée dans une vaste stratégie de développement de la recherche sur l'ensemble de son territoire. Les TAAF sont des territoires sentinelles pour la recherche du fait de leur isolement, du bon état de préservation écologique et de leur présence sur un gradient latitudinal unique dans l'hémisphère sud.

Depuis plusieurs décennies la recherche scientifique y constitue l'une des principales activités humaines et s'exerce principalement dans les domaines des sciences de la terre et de l'univers et des sciences du vivant. Cette présence scientifique confère aux TAAF un rayonnement international et constitue une source considérable de connaissances indispensables pour définir des mesures de gestion éclairée pour la protection et la préservation des espaces et des écosystèmes.

Une réflexion sur l'avenir des îles Éparses s'est ouverte le 5 octobre 2009, lors du colloque « Les îles Éparses, terres d'avenir », organisé au Sénat. Elle identifie ces territoires inhabités et historiquement préservés des impacts anthropiques comme stratégiques pour le développement d'activités de recherche. Situées au coeur du canal du Mozambique, bassin extrêmement dynamique et dont le rôle dans la régulation du climat reste très peu documenté, ces îles offrent une opportunité unique à la communauté scientifique française de se positionner sur cette thématique au niveau international.

L'ensemble de ces connaissances à vocation à être partagé à l'échelle du bassin pour guider les politiques publiques en matière de planification spatiale maritime, d'adaptation au changement climatique ou encore de préservation de la biodiversité et la gestion durable des ressources naturelles, notamment au travers des organisations et conventions régionales, dont la Convention de Nairobi.

En l'absence de compétences de l'Institut Paul-Émile Victor en milieu tropical, la collectivité des TAAF s'est tournée vers les acteurs nationaux concernés, afin d'établir un cadre de recherche répondant aux attentes de l'État en matière de développement de la recherche. Un consortium de recherche a été mis en place pour la période 2011-2013 puis plus récemment pour la période 2017-2020, rassemblant plusieurs des grands instituts de recherche français, le CNRS, IFREMER, l'IRD, l'OFB mais aussi l'université de La Réunion et le centre universitaire de Mayotte pour garantir son ancrage régional.

Cette initiative portée et coordonnée par l'État a permis de signer un accord de consortium en août 2017 et de financer 14 projets de recherche pluridisciplinaires à hauteur de 545 000 euros. Au-delà du soutien apporté pour renforcer les activités de recherche sur les îles Éparses, les membres du consortium partagent la volonté que ce programme puisse être moteur dans le développement de coopérations régionales. Ainsi, parmi les 14 projets lauréats sur la période 2017-2020, cinq sont menés en collaboration avec des pays étrangers de la zone de l'océan Indien : Mozambique, Seychelles et Madagascar.

Depuis 2011, ce consortium a permis la réalisation de plus de 150 missions de terrain sur les îles Éparses, dont deux campagnes pluridisciplinaires réalisées sur le Marion Dufresne, navire français qui assure le ravitaillement des TAAF. Les TAAF ont assuré le soutien administratif, logistique et technique en lien avec le ministère des Armées. Le consortium a publié plus de 70 articles dans des revues internationales. Les résultats ont permis de confirmer le statut de référence des îles Éparses, au regard de leur exceptionnelle biodiversité et de leur faible anthropisation.

Le 23 octobre 2019, le président de la République en visite aux Glorieuses a annoncé sa volonté d'y créer une réserve naturelle nationale et de renforcer la présence scientifique en installant une station scientifique pour développer la recherche autour des enjeux de la biodiversité et du climat. Ces engagements ont été précisés lors d'une réunion interministérielle le 29 novembre 2019.

Parallèlement, une réflexion est engagée sur le renouvellement du consortium de recherche des îles Éparses pour la période 2021-2024. Une note de cadrage a été transmise à cet effet par les TAAF aux partenaires institutionnels le 24 juin 2020.

Pour conclure, je remercie l'ancien président de la délégation, Michel Magras, que j'ai grand plaisir à retrouver et notre président actuel, Stéphane Artano, pour la confiance qu'il m'accorde au sein de la délégation. Je tiens également à remercier Cédric Marteau, l'ancien directeur de la réserve naturelle des TAAF, aujourd'hui directeur du pôle de la protection de la nature, qui m'a été d'une aide précieuse dans mes recherches.

(c)TAFF

Projection d'une vidéo sur l'exposition Outre-mer grandeur nature , organisée sur les grilles du Jardin du Luxembourg de septembre 2020 à janvier 2021.

(c)Stéphanie Légeron/Îles Kerguelen

DEUXIÈME TABLE RONDE


CONCILIER PROTECTION DES BIODIVERSITÉS ET DÉVELOPPEMENT : UN DÉFI ET UNE NÉCESSITÉ

PROPOS INTRODUCTIF



Thani MOHAMED SOILIHI,

Sénateur de Mayotte

Monsieur le Président,

Monsieur le Directeur général,

Messieurs, Mesdames,

Chers collègues,

J'ai l'honneur d'introduire la deuxième table ronde de ce colloque, consacrée à la conciliation entre protection des biodiversités et développement économique.

En tant que sénateur de Mayotte, je me félicite que la Délégation sénatoriale aux outre-mer ait fait le choix, sous l'impulsion du président Michel Magras, de mettre en avant le patrimoine naturel des outre-mer, encore trop méconnu, ce qui me donne l'occasion d'évoquer la situation de Mayotte qui est trop rarement abordée, à mon goût, sous cet angle.

Mayotte dispose pourtant de richesses naturelles exceptionnelles, tant terrestres que marines. Avec plus d'un millier d'espèces végétales, un fort taux d'endémisme, un ensemble de forêts tropicales, de zones humides terrestres, de mangroves et de récifs coralliens absolument remarquables, Mayotte est un des fleurons de la biodiversité mondiale.

Elle possède l'un des plus grands lagons fermés du monde. Classé Parc Naturel Marin depuis 2010, ses eaux accueillent plus de 700 espèces de poissons, une vingtaine d'espèces de mammifères marins, soit un quart de la diversité mondiale. Vous savez que la question du classement de ce lagon au patrimoine de l'Unesco est régulièrement évoquée depuis 2014.

Il est heureux que la transition entre les deux tables rondes ait permis de visionner un reportage sur l'exposition « Outre-mer grandeur nature » présentée en 2020 sur les grilles du Jardin du Luxembourg, sous le haut patronage du président Gérard Larcher. Vous avez pu apercevoir ainsi quelques photos de la splendeur de nos fonds sous-marins. Je rappelle qu'en 2018, il y a presque trois ans jour pour jour, un volcan sous-marin est né au large de Mayotte au cours de la plus grande éruption de ce type depuis deux siècles. Sa naissance a été pour la première fois observée presque en direct. Je ne m'étends pas sur ce sujet qui mériterait à lui seul un colloque entier.

Mayotte dispose donc de beaucoup d'atouts pour valoriser économiquement les éléments liés à la mer qui l'entoure (une position stratégique, des eaux poissonneuses, un littoral unique au monde, etc.) autrement dit pour développer ce qu'on appelle « l'économie bleue », autour de la pêche, du tourisme, ou encore de la valorisation de sa biodiversité.

N'oublions pas que Mayotte est le territoire français qui connaît à la fois la plus forte croissance démographique, avec plus de la moitié de sa population en dessous de 18 ans, et un pourcentage de 77 % de la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté. La question du développement économique est donc absolument vitale pour cette collectivité !

Je rappellerai aussi les récents débats au Sénat autour du projet de loi constitutionnelle relatif à la préservation de l'environnement, qui constitue une invitation politique forte à mener des politiques environnementales plus ambitieuses, reposant sur la nécessaire conciliation avec le développement économique et le progrès social, comme le prévoit l'article 6 de la Charte de l'environnement.

Comme dans les autres bassins océaniques étudiés dans nos précédents colloques, nous constatons que nos richesses naturelles sont certes remarquables mais également très vulnérables.

Outre l'impact du changement climatique sur les milieux et les espèces, les activités humaines y exercent une très forte pression. Leur protection nécessite des moyens qui font actuellement terriblement défaut à la collectivité mahoraise.

La partie terrestre exigerait une surveillance ininterrompue afin de lutter contre le braconnage, le défrichage, la pratique du brûlis... Elle nécessite des moyens d'étude et d'ingénierie, d'où l'utilité de former la population locale, en particulier les jeunes, sans omettre de faire appel à des experts nationaux, voire internationaux.

Quant à la partie marine, elle reste largement à explorer. Elle nécessite une attention particulière des scientifiques pour en connaître son étendue, les modalités de protection, pour recueillir les suggestions en matière de conservation et les opportunités d'exploitation et de mise en valeur économique.

Nous avons évoqué le prochain congrès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui devrait se tenir normalement cette année à Marseille. L'UICN publie la fameuse « Liste rouge » des espèces menacées. En mars 2021, à l'occasion de la Journée mondiale de la vie sauvage, elle a dressé un bilan préoccupant, avec une liste des espèces menacées en France, que ce soit dans l'Hexagone ou en outre-mer.

Pour Mayotte, le bilan est très critique. L'analyse conduite sur la flore montre que 43 % des espèces sont menacées, dont 25 % des oiseaux nicheurs et 12 % des coraux présents autour de l'île.

La situation dans certaines zones de l'océan Indien est donc préoccupante du point de vue des atteintes à la biodiversité.

Mais nous observons aussi un foisonnement d'initiatives porteuses d'espoir, comme les différents intervenants vont nous le présenter. Ce sont ces pratiques respectueuses de l'environnement et compatibles avec un développement durable, que ce colloque a vocation à faire connaître, diffuser et soutenir.

Notre table ronde est modérée par le directeur des outre-mer de l'OFB, Jean-Michel Zammite, qui connaît bien cette région et qui a identifié, avec son équipe, des expériences prometteuses sur lesquelles vous pourrez réagir.

Des actions aux effets concrets sont menées par les acteurs publics, comme la création il y a quelques jours de la Réserve naturelle des forêts de Mayotte. 7,5 % du territoire de l'île et 51 % des forêts domaniales et départementales sont désormais sanctuarisés ! L'exceptionnelle biodiversité qu'abrite cette réserve bénéficiera ainsi d'une protection forte.

Par ailleurs, un ambitieux plan de reboisement des bassins-versants de Mayotte par le Conseil départemental et l'Office national des forêts est engagé. Ce projet est possible grâce aux fonds mobilisés dans le cadre du programme européen FEADER.

Ainsi, la prise de conscience du lien indissociable entre conservation de la biodiversité et développement humain progresse, lien que la pandémie de Covid-19 a rendu encore plus évident.

Je tiens à saluer l'engagement de tous les participants au service de cet objectif, qui est à la fois un défi et une nécessité pour tous les territoires ultramarins, et pour ceux de l'océan Indien en particulier.

Jean-Michel ZAMMITE,

Modérateur,
Directeur des outre-mer de l'Office français de la biodiversité (OFB)

M. Jean-Michel Zammite, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, est directeur des outre-mer à l'Office français de la biodiversité.

Auparavant il a été directeur de la police au sein de l'Agence française de la biodiversité, directeur adjoint de la connaissance et de l'information sur l'eau à l'Office national de l'eau et des milieux Aquatiques.

Il a également travaillé 9 ans au sein de collectivités territoriales dans le Bas-Rhin et l'Allier avant de prendre la direction de la délégation Bourgogne, Franche-Comté de l'ONEMA en 2007.

Merci, Monsieur le sénateur, de la sincérité de vos propos et de votre engagement en faveur de la biodiversité.

Pour cette deuxième table ronde dont le thème est « Concilier protection des biodiversités et développement : un défi et une nécessité », vont intervenir successivement :

- M. Charles Giusti, préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises ;

- M. Christophe Fontfreyde, directeur délégué du Parc naturel marin de Mayotte ;

- M. Éric Legrigeois, président du directoire du Grand port maritime de La Réunion ;

- M. Florent Ingrassia, ingénieur divisionnaire de l'agriculture et de l'environnement (IDAE), chef du service forêt et milieux naturels de la direction régionale de l'ONF pour La Réunion ;

- M. Pascal Hoarau, directeur de la Régie RNNESP, organisme gestionnaire de la Réserve naturelle nationale et du site Ramsar de l'étang de Saint-Paul.

Charles GIUSTI,

Préfet, Administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises

« Comment concilier protection de la biodiversité et activités humaines : l'exemple de la pêche et du tourisme dans les TAAF »

Propos de présentation de M. Jean-Michel Zammite, directeur des outre-mer à l'Office français de la biodiversité

M. Charles Giusti a été pendant 19 ans officier dans la Marine nationale, avant de rejoindre l'administration civile. Il a occupé notamment les fonctions de chef du groupement des moyens aériens de la sécurité civile, d'adjoint au directeur de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative. Il fut sous-directeur de la planification et de la gestion des crises au ministère de l'intérieur, directeur adjoint de l'administration pénitentiaire et directeur général adjoint des outre-mer. Il est préfet, administrateur supérieur des TAAF depuis octobre 2020.

Bonjour à tous,

Les TAAF couvrent un immense espace géographique. Il y a, par exemple, environ 2 800 kilomètres entre La Réunion et Crozet, entre La Réunion et Amsterdam ou entre Hobart (port logistique qui permet d'approvisionner la terre Adélie) et la base de Dumont-d'Urville. 9 000 kilomètres séparent les îles Éparses de la terre Adélie, soit la largeur de la Russie.

Si nous basculons les TAAF dans l'hémisphère nord, aux mêmes latitudes, l'archipel Kerguelen pourrait être positionné au niveau de Paris, Crozet au niveau de la Serbie, Saint-Paul et Amsterdam au niveau du Portugal, la terre Adélie au niveau du Groenland et les îles Éparses en Afrique subsaharienne.

Les TAAF couvrent 2,27 millions de km 2 , soit 20 % de l'espace de l'espace maritime français qui est le deuxième au monde. La réserve naturelle des Terres australes, classée en 2019 au patrimoine mondial de l'Unesco, s'étend sur près de 680 000 km 2 . C'est l'une des plus grandes aires protégées du monde.

Les caractéristiques communes entre ces différents territoires, qui vont du tropical à l'Antarctique en passant par le subantarctique, sont leur isolement, l'absence de population permanente, et donc l'absence d'impact direct des activités humaines, et une biodiversité exceptionnelle. Ces territoires sont donc des laboratoires à ciel ouvert qui permettent l'observation de la biodiversité et des changements climatiques.

[un film illustrant la biodiversité des TAAF, dans les Terres australes et dans les îles Éparses, est projeté]

Ce film ne montre pas l'Antarctique et ses populations de pétrels, de manchots empereurs, l'espèce emblématique des régions froides, ou de phoques de Weddell.

Les TAAF bénéficient de dispositifs de protection de leur patrimoine naturel.

La Réserve naturelle des Terres australes françaises a été créée en 2006. Elle a été étendue en 2016 et le sera à nouveau en 2022 pour couvrir l'intégralité des espaces terrestres et maritimes de ces territoires (15 % de l'espace maritime français). Elle bénéficie de trois labellisations (Ramsar depuis 2008, la Liste verte depuis 2017, le classement au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 2019) et d'un plan de gestion.

Du côté des îles Éparses, les Glorieuses ont un statut de parc naturel marin et devraient devenir prochainement une réserve naturelle nationale, nous attendons la publication du décret. Cette réserve doit être étendue, dès 2022, à l'ensemble des îles Éparses. Celles-ci bénéficient également de la labellisation Ramsar depuis 2011 et d'un plan d'actions biodiversité.

Le plan de gestion de la Réserve naturelle des Terres australes françaises et le plan d'action biodiversité des îles Eparses font l'inventaire des connaissances de la biodiversité, prévoient des actions de restauration, notamment des actions de biosécurité pour protéger ces territoires des espèces invasives, une gestion et un encadrement des usages, comme la pêche et le tourisme, et enfin des facteurs clés de réussite qui vont des actions de sensibilisation aux actions de surveillance de ces territoires, en passant par la logistique nécessaire pour armer les bases permanentes. Celles-ci assurent la souveraineté de la France et les missions de protection de la biodiversité et de soutien à la recherche.

La pêche est une activité économique extrêmement importante. La pêche aux thonidés se pratique au nord de la zone, notamment dans les îles Éparses. Elle représente 480 tonnes de poissons pêchés et s'inscrit dans le cadre de la Commission thonière de l'océan Indien (CTOI). La pêche australe concerne 630 emplois, dont 570 à La Réunion. C'est une pêche à forte valeur ajoutée, qui représente 8 % du total de la valeur ajoutée de la pêche française et le deuxième secteur d'exportation de La Réunion, avec 6 000 tonnes de légine pêchées par 7 navires et un peu moins de 400 tonnes de langoustes à Saint-Paul et Amsterdam.

Cette pêche est une pêche durable. En s'appuyant sur les données scientifiques du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), les TAAF fixent les totaux admissibles de capture (TAC). Depuis 2015, il existe un plan de gestion de la pêcherie à la légine, complété par d'autres dispositions juridiques et administratives, qui permet de définir des axes de gestion pour répondre aux enjeux environnementaux, économiques et scientifiques de cette pêche afin de lui donner un caractère durable.

Les axes de gestion de la pêche à la légine australe sont les suivants :

- conserver une biomasse reproductrice de légine australe à l'échelle de 35 ans suffisamment forte ;

- garantir un niveau résiduel voir nul de captures accidentelles d'oiseaux ;

- garantir un niveau d'impact minimal sur les espèces non ciblées (essentiellement raies, requins, grenadiers, antimores) ;

- préserver les écosystèmes benthiques des fonds marins ;

- lutter contre la déprédation par les mammifères marins ;

- améliorer le cadre de gestion des rejets et déchets et prévenir les risques de pollution ;

- réduire l'empreinte écologique de la flottille et de chaque navire de pêche.

En complément, des contrôleurs sont embarqués à bord des navires de pêche à la légine. Ils veillent au respect de la réglementation par les armements et collectent les informations nécessaires au suivi scientifique.

Les TAAF contribuent également aux travaux de la Commission de conservation de la faune et de la flore de l'Antarctique (CCAMLR) et à ceux des organisations régionales de gestion des pêches (APSOI, CTOI).

Elles veillent à limiter, voire supprimer, les pressions non voulues, comme la pêche illégale ou les pollutions. Elles s'appuient sur un dispositif de surveillance des espaces maritimes avec le navire-ravitailleur et bâtiment de souveraineté l'Astrolable, propriété des TAAF et armé par le Marine nationale, et avec les autres bâtiments de la Marine nationale présents à La Réunion, sur une surveillance satellitaire opérée par le Centre national de surveillance des pêches (CNSP) au Cross d'Étel, sur le patrouilleur des affaires maritimes Osiris II, sur la pêche autorisée, qui permet de vérifier l'absence de pêche illégale et enfin sur le programme Ocean Sentinel qui, grâce à des capteurs fixés sur des albatros, permet d'identifier les navires présents, autorisés et non autorisés, sur zone.

L'activité touristique est quant à elle très restrictive, qualitative et écoresponsable. Nous y portons une attention particulière pour éviter toute dérive ou tout impact environnemental. Les TAAF mettaient en oeuvre, avant la crise épidémique, des offres de tourisme à bord du Marion Dufresne, limitées à 10-12 personnes pour chacune des quatre rotations annuelles.

La Compagnie du Ponant a mis en place depuis 2017 des croisières très encadrées, sur un bâtiment de 200 passagers, le Lyrial.

Ces touristes sont pris en charge par des agents de la Réserve naturelle nationale qui préparent un circuit sur mesure pour éviter toute perturbation du milieu. Par ailleurs, des mesures de biosécurité sont mises en place et consistent à éviter l'introduction d'espèces invasives sur ces territoires.

Enfin, l'activité touristique en Antarctique est en fort développement puisque le continent a accueilli 73 000 touristes pendant l'été austral 2019/2020. Les offres touristiques d'environ 10 % d'entre eux font l'objet d'une instruction par les TAAF qui sont l'autorité nationale compétente française pour autoriser ou non les activités humaines en Antarctique dans le cadre du protocole de Madrid. Ce développement du tourisme nécessite une attention particulière. A l'occasion de la prochaine Réunion consultative du traité sur l'Antarctique (RCTA) qui aura lieu à Paris en juin prochain, la France a impulsé et coordonné des travaux visant à mieux encadrer ces activités touristiques, notamment avec la création d'un manuel rassemblant les règles applicables aux activités touristiques et la possibilité d'embarquer des observateurs sur les navires de croisière afin de veiller à ce que les activités respectent les règles.

Juan de Nova (c) Cédric Valière

Christophe FONTFREYDE,

Directeur délégué du Parc naturel marin de Mayotte

« La marque High Quality Whale-Watching (HQWW) : une approche respectueuse des mammifères marins »

Propos de présentation de M. Jean-Michel Zammite, directeur des outre-mer à l'Office français de la biodiversité

Ingénieur agronome de formation, M. Christophe Fontfreyde a travaillé 8 ans à La Réunion dans le secteur du développement agricole, 20 ans en Nouvelle-Calédonie dans les secteurs de l'aquaculture, de la pêche et de l'environnement avec notamment la création du Parc naturel de la mer de Corail.

Depuis 2 ans, il est directeur délégué du Parc naturel marin de Mayotte, le plus ancien et le plus vaste parc des outre-mer.

Bonjour à tous,

La connexion étant parfois erratique, je vous ai adressé mon intervention sous la forme d'un film que je vous propose de lancer.

Reportage Mayotte 1 ère : Halda Halidi - images sous-marines Franck Grangette - M. Hermile :

« C'est probablement le plus grand trésor de Mayotte. Chaque année, en plein hiver austral, les baleines viennent s'abriter à l'intérieur de la barrière de corail pour donner naissance à leurs petits. Dauphins et baleines sont aussi victimes de leur succès. Par exemple, un dimanche matin, après plusieurs heures de recherche une baleine est signalée et une dizaine de bateaux se lancent à sa poursuite. Les embarcations se relaient l'une après l'autre pour observer le géant des mers. Les règles sont strictes : interdiction d'approcher à plus de 100 mètres ou d'encercler l'animal. Il nous faudra une bonne demi-heure pour le voir de plus près. Cette charte est difficile à faire respecter pour les agents du parc marin. »

Thibault Patricolo, agent de terrain du parc naturel marin :

« Les infractions les plus fréquentes sont des approches et des dérangements intentionnels. Le baleineau est très vulnérable pendant ses premiers jours et ces approches peuvent déranger le couple mère/baleineau et les contraindre à ne plus venir dans les eaux de Mayotte et à se rabattre vers des eaux plus calmes. »

Halda Halidi :

« En adhérant au label High Quality Whale Watching (HQWW), Marco Demoulin a choisi une observation écoresponsable et applique un code d'approche encore plus strict, interdiction de nager avec les cétacés et une sensibilisation sur la préservation de l'écosystème marin. »

Marco Demoulin :

« Naviguer en montrant aux clients les animaux tout en les respectant fonctionne très bien. Les touristes s'intéressent à cette manière de travailler qui permet aussi de sensibiliser les autres prestataires. »

Christophe Frontfreyde :

« Ils sont prêts à payer, comme certaines personnes habitant à Mayotte, un peu plus cher pour une prestation qui respecte l'environnement et où ils apprennent plus de choses. Ces prestations naturalistes ne sont pas seulement des promenades. Ce sont aussi des promenades à travers l'écosystème et son fonctionnement. »

Halda Halidi :

« Le parc marin forme tous les prestataires qui souhaitent acquérir ce label. Cette certification n'est expérimentée qu'en Méditerranée et à Mayotte. Pour l'heure, seuls trois opérateurs locaux ont souhaité l'acquérir. »

Christophe Frontfreyde prend la parole :

« Le lagon de Mayotte est l'un des plus grands lagons fermés du monde et contient une diversité exceptionnelle, dont des mammifères marins. Certaines espèces de dauphins sont résidentes, d'autres itinérantes à travers l'océan Indien et des baleines le visite tous les ans.

Une filière d'observation s'est bâtie sur cette richesse et cette présence des mammifères marins. Si cette observation ne les dérange pas et ne change pas leur comportement, il n'y a aucune raison de l'interdire. En revanche, il est indispensable de l'organiser. Nous avons choisi, dans un premier temps, de l'organiser sur la base du volontariat, avec le label HQWW. Il impose un cahier des charges plus contraignant en matière d'approche des mammifères marins, de manière à vraiment les respecter dans leur cycle de vie. Il a permis de transformer ce qui était une promenade dans le lagon en expérience naturaliste. Le parc marin forme les opérateurs qui sont alors capables d'expliquer la vie des animaux, leur place dans l'écosystème et l'importance des règles. Nous avons donc cherché à convaincre le public et les opérateurs de l'intérêt des bonnes pratiques avant d'envisager des mesures plus restrictives.

La réglementation a évolué, puisque l'approche à moins de 100 mètres des mammifères marins est interdite au niveau national. Nous devons donc nous aussi évoluer. Nos inspecteurs de l'environnement ont du mal à vérifier le respect de l'interdiction d'approche des animaux à moins de 100 mètres. Une des solutions serait de la transformer en une obligation de sortie de l'eau si des animaux sont à moins de 100 mètres des nageurs. En effet, il est très difficile de prouver que la réglementation n'a pas été respectée, les baigneurs affirmant que ce sont les animaux qui se sont rapprochés. Une autre piste pour favoriser l'accès au lagon des différents mammifères marins qui voyagent à travers l'océan Indien serait d'interdire la pêche dans les réserves naturelles et celle des DCP (dispositif de concentration de poisson) dérivant dans les parcs marins. Enfin, nous pourrions envisager la mise en place d'un système de licences, avec un numerus clausus , pour limiter de manière réglementaire, lagon par lagon, le nombre de bateaux en fonction de la saison et de l'impact sur les mammifères marins. »

Éric LEGRIGEOIS,

Président du directoire du Grand port maritime de La Réunion

« Comment concilier le développement des activités portuaires et logistiques, la préservation ou la restauration d'habitats et la mise en valeur des espèces endémiques de La Réunion ? »

Propos de présentation de M. Jean-Michel Zammite, directeur des outre-mer à l'Office français de la biodiversité

M. Éric Legrigeois, ingénieur général des Ponts, des Eaux et des Forêts, a effectué l'essentiel de sa carrière au sein de la fonction publique d'État. Après avoir occupé des postes de direction à la DDE devenue DEAL Martinique puis à la DREAL en PACA. Il a été nommé, en mars 2019, président du directoire de port Réunion.

Bonjour à tous,

Le port est implanté sur deux sites : le « port Ouest », historique, et le « port Est », plus récent. Il a le statut d'établissement public national, emploie 270 personnes pour un trafic en augmentation de 5,9 millions de tonnes en 2019. Il joue un rôle croissant au niveau du trafic de containers, notamment en accueillant davantage de transbordement à l'échelle de la zone sud de l'océan Indien. C'est le premier port français de l'outre-mer en termes de tonnage, le troisième port des régions ultrapériphériques européennes, le troisième port militaire de France et le quatrième en termes de flux de containers. Le Grand Port a donc des perspectives de développement assorties d'impacts potentiels.

Le « port Ouest » accueille les flux de trafic historiques, la pêche, la réparation navale, la plaisance, le ciment et le gaz. Le « port Est » reçoit les nouveaux trafics, en particulier les containers. Les navires les plus importants font 9 500 EVP (équivalent vingt pieds) et 330 mètres de long.

La démarche environnementale est déclinée dans le projet stratégique à cinq ans de l'établissement. Il comprend une démarche de port responsable qui se traduit à travers le schéma directeur du patrimoine naturel (SDPN) et le plan d'aménagement et de développement durable (PA2D).

Le projet stratégique a fait l'objet d'une évaluation environnementale et les démarches de préservation de l'environnement ont été valorisées.

Le SDPN est organisé pour traiter à la fois des enjeux maritimes et des enjeux terrestres. L'enjeu maritime est important puisque les projets d'extension portuaire impactent le domaine maritime. Pour anticiper les mesures de réduction d'impact, les mesures d'évitement et les mesures de compensation nécessaires, nous avons défini un plan d'actions de préservation et de valorisation. L'approche s'est faite par secteur et nous apporte une vision très fine des enjeux. Nous avons dans le même temps mis en place un suivi sur des stations sentinelles pour nous assurer que l'activité portuaire n'avait pas d'impact négatif.

Le volet préservation a commencé par des inventaires qui ont détecté des richesses importantes en zone marine profonde et permis d'identifier des espèces nouvelles. Par ailleurs, le Grand Port finance, dans le cadre d'une convention avec l'IRD et l'université, la thèse d'un doctorant sur les récifs mésophotiques : ce sont des récifs profonds pouvant jouer un rôle déterminant sur l'équilibre des récifs de surface beaucoup plus impactés par les activités anthropiques.

Ce SDPN comprend un plan d'actions sur :

- la connaissance du patrimoine naturel ;

- la conservation et la valorisation des richesses et des fonctionnalités des écosystèmes ;

- un enjeu de gestion concertée et coordonnée, par exemple sur l'amélioration de la gestion des eaux pluviales pour éviter l'hypersédimentation liée au lessivage des bassins-versants, sur une meilleure conciliation entre usages anthropiques et biodiversité ou sur une contribution à l'observation et à la non-prolifération des espèces exotiques envahissantes ;

- la communication, par la mise à disposition des données recueillies aux parties prenantes, universitaires ou collectivités territoriales et par la sensibilisation de la population.

Parmi les actions engagées, nous sommes attentifs à la protection des cétacés et des tortues, à la gestion des espèces exotiques envahissantes, en particulier des reptiles et certains oiseaux et à la préservation de l'avifaune. En effet, des espèces comme les pétrels sont, à certaines périodes de l'année, lors du 1 er envol, très sensibles aux éclairages nocturnes. Nous avons donc défini des procédures spécifiques pour réduire les pollutions lumineuses.

Le suivi environnemental concerne la nappe phréatique, la gestion du trait de côte et la qualité de l'air. Nous avons ainsi récemment passé une convention avec Atmo France pour bien caractériser les émissions liées aux activités portuaires et ainsi éviter l'amalgame avec d'autres sources.

Enfin, dans la logique de restaurer et de réhabiliter les habitats naturels, nous avons passé une convention avec le département pour utiliser les pépinières des collectivités afin de restaurer des milieux dégradés par une flore endémique.

Florent INGRASSIA,

Chef du service forêt et milieux naturels de la direction régionale de l'ONF
pour La Réunion

« La vanille Bourbon : ressource agro-économique de valorisation de la forêt indigène de La Réunion »

Propos de présentation de M. Jean-Michel Zammite, directeur des outre-mer à l'Office français de la biodiversité

M. Florent Ingrassia a occupé en 40 ans de carrière à l'ONF différents postes dans des contextes géographiques et techniques variés, notamment en outre-mer : Var, Corse, Bouches du Rhône, Guadeloupe, Guyane et enfin La Réunion.

Bonjour à tous,

Présente depuis près de 200 ans à La Réunion, la culture de la vanille s'est développée grâce à la découverte en 1841 de sa fécondation manuelle par un jeune esclave réunionnais, Edmond Albius. En effet, les lianes de vanille n'ont pu donner de fleurs et de gousses lors de son introduction sur l'île en 1820 car la fécondation naturelle nécessite l'intervention d'insectes spécifiques présents uniquement dans les forêts d'Amérique centrale d'où la vanille est originaire.

En 1851, le producteur de vanille Ernest Loupy développe le principe de l'échaudage. Après avoir été fécondées et récoltées, les gousses de vanille sont trempées dans de l'eau bouillante, améliorant ainsi la conservation du goût de la vanille. Elles sont ensuite conservées pendant plusieurs mois à l'abri de la lumière, puis séchées au soleil. Ce processus transforme la vanille verte en vanille noire consommable.

La production réunionnaise augmente de manière importante et atteint à la fin du XIX e siècle un volume annuel de 40 tonnes, faisant de La Réunion le plus grand producteur mondial de vanille jusqu'au début du XX e siècle. La vanille est également introduite par des Réunionnais aux Seychelles, aux Comores et à Madagascar. La Réunion apparaît ainsi comme un acteur majeur dans le développement commercial de cette culture. Cependant, la production a fortement diminué et représente aujourd'hui environ 4 tonnes par an de vanille noire. La production annuelle malgache s'élève quant à elle à près de 3 000 tonnes.

Le chiffre d'affaires varie en fonction de la quantité de gousses produite mais aussi du cours de la vanille qui fluctue chaque année. En 2020, le chiffre d'affaires de la filière vanille de La Réunion était estimé à un million d'euros.

L'île promeut la qualité de sa production. La vanille de La Réunion a récemment obtenu une indication géographique protégée et la principale coopérative de l'île a reçu le prix de meilleure vanille du monde en 2019. La culture de la vanille est pratiquée essentiellement en sous-bois de forêts naturelles de plantations d'espèces indigènes. Elle est localisée sur un territoire bien circonscrit au sud-est de l'île, au pied du volcan de la Fournaise, qui bénéficie d'une forte pluviométrie, d'un sol bien drainé, riche en matière organique, qui rassemble les conditions idéales pour cette culture.

Pour la majorité des cultivateurs, la culture de vanille est une tradition familiale dont le savoir-faire et les pratiques culturales sont transmises de génération en génération. L'entretien des lianes de vanille, la connaissance des plantes endémiques et exotiques, l'entretien du sous-bois de la parcelle y tiennent un rôle privilégié, permettant ainsi une continuité des pratiques sur des terrains concédés d'un à deux hectares.

90 % de la vanille est produite dans des forêts gérées par l'ONF. Cette activité traditionnelle participe à la gestion des peuplements. Dans six forêts domaniales et départemento-domaniales l'ONF attribue, sous forme de convention d'occupation temporaire payante de neuf ans, des terrains où la culture de vanille est autorisée sur la base d'un cahier des charges. Ce dernier précise que le cultivateur doit veiller à la bonne conservation des espèces endémiques et indigènes en privilégiant la coupe des espèces exotiques envahissantes. 156 cultivateurs exercent leur activité sur 318 hectares et cette activité est d'autant plus importante que le sud-est de l'île connaît un taux de chômage élevé.

Cette culture demande un entretien régulier, entièrement manuel et génère un chiffre d'affaires variable en fonction des quantités produites et du cours de la vanille. Elle représente souvent un revenu d'appoint pour les cultivateurs et la majorité d'entre eux perçoivent des revenus sociaux ou exercent une autre activité agricole.

La spectaculaire éruption du Piton de la Fournaise de 2007 a recouvert de lave une partie des concessions de vanille. L'ONF a alors étudié les possibilités d'attribuer aux cultivateurs concernés un autre emplacement favorable à la culture de vanille. La solution s'est trouvée dans les réserves biologiques dirigées, de la forêt de Bois de Couleur des Bas et du littoral de Saint-Philippe.

La culture de vanille participe à la gestion des aires biologiques puisque les cultivateurs s'engagent à lutter contre les espèces envahissantes et à préserver les espèces endémiques et la biodiversité. L'entretien régulier des terrains attribués a permis une nette amélioration de leur conservation. Les deux réserves biologiques dirigées ont intégré la Green List de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en mars 2021, ce qui a valorisé le travail des cultivateurs, en démontrant que la culture de vanille qui est une activité agricole, est compatible avec la protection de la biodiversité et la conservation des milieux. Enfin, elle participe au rayonnement régional et international des deux communes où elle est implantée - Saint-Philippe et Sainte-Rose - et plus généralement au département de La Réunion.

Plantation de vanille en forêt - (c) Clotilde Garraud

Tri des gousses de vanille noire - (c) Clotilde Garraud

Pascal HOARAU,

Directeur de la Régie RNNESP, organisme gestionnaire de la Réserve naturelle nationale et du site Ramsar de l'étang de Saint-Paul

« L'étang de Saint-Paul, un projet de territoire conciliant la préservation des richesses naturelles et les activités socio-économiques »

Propos de présentation de M. Jean-Michel Zammite, directeur des outre-mer à l'Office français de la biodiversité

Né en 1974 à Saint-Pierre de La Réunion, docteur ès sciences de l'Université d'Aix-Marseille II, M. Pascal Hoarau est, depuis 2015, directeur de la Régie RNNESP, organisme gestionnaire de la Réserve naturelle nationale et du site Ramsar de l'étang de Saint-Paul.

Bonjour à tous,

J'interviens aujourd'hui en tant que gestionnaire d'une réserve naturelle qui travaille sur un projet de territoire visant à concilier la préservation des richesses naturelles et les activités socio-économiques.

L'étang de Saint-Paul est une réserve naturelle depuis 2008, au coeur d'une commune de 100 000 habitants. C'est l'exutoire d'un bassin-versant de 106 km 2 . C'est un patrimoine naturel unique, porteur d'espèces typiques des zones humides. C'est aussi un réservoir de biodiversité pour le sud-ouest de l'océan Indien, un espace essentiel pour les trames vertes, bleues et noires et un lieu majeur de services écosystémiques.

La situation socio-économique du territoire qui entoure cette réserve est difficile, avec un taux de chômage de 32 %, une population jeune (43 % ont moins de 30 ans), très peu diplômée (53 % n'ont pas de diplôme). Nous avons donc construit un projet de conciliation avec une vocation de développement économique durable et endogène. La première activité économique du site est l'agriculture et le tourisme est encore balbutiant.

La relation hommes/nature est marquée depuis l'origine par un déséquilibre. C'est le premier lieu de colonisation de l'île au XVII e siècle. Ce territoire a d'abord été mis en valeur pour l'agriculture vivrière de rizières puis pour la culture de la canne à sucre jusqu'au milieu du XX e siècle. Les premières démarches de patrimonisation du site ont lieu dans les années 1970 avec les études de T. Cadet et la mise en protection a été effective en 2008.

Aujourd'hui, nous devons définir un nouveau projet de territoires dans le cadre d'une relation équilibrée et responsable entre l'homme et la nature. La priorité est d'identifier les facteurs d'influence, tant d'origine naturelle, comme les changements climatiques, la dynamique des espèces exotiques envahissantes ou des connaissances lacunaires qu'anthropiques comme les usages et les exploitations, les pollutions physico-chimiques, qui sont souvent associés à des dysfonctionnements des bassins-versants et à une croissance démographique très forte. Nous chercherons à tendre vers la résilience de l'écosystème.

Pour promouvoir des activités socio-économiques à faible impact environnemental, nous avons développé une méthode en trois étapes : la mise en situation in situ , la mise en réseau et la mobilisation des acteurs du territoire.

Sur l'agriculture, l'expérimentation in situ nous a permis de récolter des données compréhensibles par les acteurs économiques. Nous avons créé des sites pilotes avec différentes méthodes agroécologiques. Les résultats ont été diffusés aux opérateurs économiques mais aussi aux citoyens avec la création des jardins éco-citoyens à travers une charte permettant à tous les citoyens du bassin-versant de devenir acteurs de la protection de la biodiversité. Nous avons également développé les outils nécessaires et les formations pour promouvoir de type de méthode. Enfin, nous avons valorisé les ressources avec les partenaires en diversifiant leurs activités, notamment autour de l'agrotourisme.

Ces démarches ont permis une augmentation des surfaces cultivées en HQE (haute qualité environnementale) ou en agriculture biologique. 150 citoyens et leur famille ont été impliqués dans cette démarche volontaire de jardin éco-citoyen et 43 % des opérateurs économiques ont adopté les mesures alternatives durables.

Concernant le tourisme, nous avons établi un diagnostic du territoire qui a mis en lumière la nécessité de procéder à des investissements structurels publics afin de consolider des polarités existantes ou porteuses. Nous avons accompagné les porteurs de projets en leur fournissant des outils de décision et nous avons amélioré l'attractivité du site et créé de nouveaux supports de médiation. Enfin, nous avons amplifié la communication et valorisé les prestations des différents opérateurs. Nous avons également mis en place un événement récurent, le Festival du film sur la biodiversité, Intermède.

Cette « mise en éco-tourisme » s'est traduite par une fréquentation de 250 000 personnes. Chaque année, 8 500 personnes bénéficient d'un guidage personnalisé. Nous avons mis en place des bases nautiques, des axes vélos, des sentiers, des toilettes sèches, de la signalétique pour dynamiser le secteur et offrir aux visiteurs une meilleure expérience. J'ajoute que ces éléments ont été mis en place en périphérie et ont donc un moindre impact sur la zone. Enfin, ces réalisations ont bénéficié de plus de 200 retombées dans la presse.

TROISIÈME TABLE RONDE

LA COOPÉRATION RÉGIONALE AU CoeUR DE LA VALORISATION ET DE LA PRÉSERVATION
DE CETTE BIODIVERSITÉ

PROPOS INTRODUCTIF



Guillaume CHEVROLLIER,

Sénateur de la Mayenne

Monsieur le Président,

Messieurs, Mesdames,

Chers collègues,

Après les deux passionnantes tables rondes précédentes, il me revient d'ouvrir la dernière séquence autour d'une réflexion importante : la biodiversité est-elle un moteur de coopération dans l'océan Indien et cette coopération peut-elle permettre à la fois la valorisation et à la préservation de cette biodiversité ?

Je serai concis, compte tenu de la qualité des interventions qui ont été présentées cet après-midi et qui ont déjà évoqué, plus ou moins directement, cette problématique, et parce que notre modérateur, Son Excellence M. Marcel Escure, est particulièrement bien placé pour nous éclairer de son expérience.

En sa qualité d'ambassadeur, délégué pour la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien, Marcel Escure est en effet l'un des trois diplomates nommés par la France pour la coopération régionale dans les bassins Atlantique, Indien et Pacifique. La biodiversité est devenue un enjeu croissant des relations internationales et un axe fort de la diplomatie française en particulier, ce qui ne peut que nous réjouir.

En octobre 2019, j'ai eu l'occasion d'organiser au Palais du Luxembourg un colloque intitulé « Biodiversité, l'engagement des collectivités locales ». Ce colloque avait également été ouvert par le Président Gérard Larcher, ce qui montre l'engagement au plus haut niveau de notre assemblée sur ce sujet.

Face à l'érosion de la biodiversité, cette manifestation avait permis de rappeler « la force du collectif », avec, en particulier, le rôle des régions, véritables cheffes de file de la biodiversité, et avec des exemples emblématiques, comme la sauvegarde d'espèces animales très menacées. Un intervenant a ainsi présenté le sauvetage d'une espèce identitaire de la Champeigne tourangelle, la grande outarde, dans une zone Natura 2000 de la région Centre-Val de Loire.

À mes yeux, c'était un exemple parfait de l'écologie pragmatique, celle qui part du terrain et qui rassemble.

Dans mon département de la Mayenne, je constate une forte mobilisation et une vigilance accrue pour permettre la préservation des milieux, et donc des espèces animales et végétales, et les mettre au coeur des projets de développement. D'où la nécessité d'associer désormais les décideurs de toute nature (collectivités, industriels, monde agricole...) pour examiner et adapter les projets au regard de la biodiversité, dans une approche du développement durable qui concilie la préservation de l'environnement, le social et le développement économique.

L'enjeu est la mobilisation la plus large de tous les acteurs du territoire qui, par une implication active, permet d'envisager une reconquête de la biodiversité.

La biodiversité figure à l'agenda mondial (Congrès mondial pour la nature à Marseille, COP 15 biodiversité en Chine), avec une implication toute particulière de la France comme cela a déjà été dit. Il est stratégique de relier les questions de biodiversité et les problématiques de coopération régionale, car les menaces sont globales et ne s'arrêtent pas aux frontières.

Le Nord du Canal du Mozambique est une région couvrant les zones économiques exclusives (ZEE) de plusieurs pays au sud-est de l'Afrique : l'Afrique du Sud, les Comores, la France (Mayotte), le Kenya, Madagascar, Maurice, le Mozambique, les Seychelles, la Somalie et la Tanzanie.

Une dizaine de pays exploitent ces ressources océaniques et leur potentiel économique, et sont signataires de la Convention de Nairobi qui cadre leur coopération internationale.

Les outre-mer de l'océan Indien sont concernés au premier chef par ces questions.

L'objectif de leur développement doit donc être davantage appuyé sur leurs propres potentiels, avec la perspective de la mise en valeur de leurs ressources propres...

Dans cette optique, la protection des biodiversités de cette région est un facteur de dynamisation de la coopération régionale pour les collectivités d'outre-mer avec les pays voisins. Ce type de coopération peut en effet permettre de :

- renforcer la coordination des actions que ce soit entre collectivités d'outre-mer, entre elles et les pays avoisinants ou entre elles et le reste de l'Europe ;

- intensifier les échanges de savoir-faire dans le cadre d'une grande zone géographique ;

- encourager la recherche collaborative, partager les données scientifiques au sein d'une zone géographique pertinente au regard de la préservation de la biodiversité ;

- partager des modèles originaux : les îles font office, comme souvent, de « laboratoires » et savent développer des expériences qui pourraient être transposées à des situations continentales, telles que l'adaptation aux changements climatiques et la réduction des pressions anthropiques, la conservation et la gestion intégrée et durable de la biodiversité dont les écosystèmes exploités etc.

La coopération régionale représente donc l'espoir de voir la biodiversité mieux protégée, afin qu'elle reste « la valeur ajoutée » de nos territoires.

Enfin, le développement de programmes de coopération communs pour la surveillance des espaces maritimes représente un enjeu fort de coopération au niveau maritime. Pour protéger ces espaces qui sont exposés à l'action de multiples trafics illégaux, nous devons adopter une approche coordonnée avec nos partenaires au sein des organisations régionales multilatérales.

Pour toutes ces raisons, cette troisième et dernière table ronde était absolument nécessaire pour aborder les enjeux majeurs de la gestion coordonnée de la biodiversité et réfléchir aux solutions ambitieuses à trouver en commun.

Marcel ESCURE,

Modérateur,
Ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

M. Marcel Escure est conseiller des affaires étrangères hors classe. À sa sortie de l'École nationale d'administration en 1988, il s'engage dans la carrière diplomatique qui l'amène à exercer de nombreuses responsabilités : deuxième, puis premier secrétaire à Lima, 1988-1991 ; à l'administration centrale, rédacteur (Affaires financières), 1991-1994 ; deuxième conseiller à Phnom Penh, 1994-1996 ; à Beyrouth, 1996-1998 ; à l'administration centrale, rédacteur (Affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement), délégué dans les fonctions de sous-directeur des questions multilatérales, 1998-2002 ; deuxième conseiller à Dakar, 2002-2005 ; premier conseiller à Abidjan, 2005-2007 ;  à l'administration centrale, chef adjoint du protocole, 2007-2008 ; chef de service (Affaires francophones), 2008-2011 ; ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Dar Es Salam, 2011-2014 ; à l'administration centrale, délégué pour l'action extérieure des collectivités territoriales, septembre-octobre 2014 ; consul général à Lagos, février-août 2015 ; ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Niamey, 2015-2019.

Depuis octobre 2019, il est ambassadeur thématique, délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien (Afrique et océan Indien).

Merci beaucoup pour votre propos introductif et pour vos paroles aimables à mon endroit.

La coopération régionale est effectivement au coeur de l'action pour la biodiversité. C'est cette coopération qui nous permettra, ensemble, de dépasser les défis développés de manière approfondie aujourd'hui.

C'est donc un grand jour pour la coopération régionale. Ce matin s'est tenu le conseil ministériel de la Commission de l'océan Indien. La France en est devenue présidente pour un an. Cet après-midi nous abordons en profondeur un thème qui était au coeur des discussions des ministres ce matin et qui sera l'une des priorités de la présidence française. L'action pour l'environnement, l'action pour la biodiversité, l'action maritime sont interdépendantes et liées aux enjeux économiques ou aux enjeux de santé. Votre réflexion sur la biodiversité est suivie et sera répercutée, notamment dans le cadre de la Commission de l'océan Indien.

J'ai le privilège de modérer la table ronde constituée d'un panel remarquable.

Pour cette troisième table ronde dont le thème est « La coopération régionale au coeur de la valorisation et de la préservation de cette biodiversité », vont intervenir successivement :

- Mme Anne-Gaëlle Verdier, directrice de l'environnement par intérim des Terres australes et antarctiques françaises ;

- M. Pierre Valade, directeur de projets « Études et Recherche » et membre fondateur de OCEA Consult à La Réunion et de Magnirike à Madagascar ;

- M. Jean-Marc Gancille, responsable communication, sensibilisation, développement de l'Association Globice ;

- M. Jean-Philippe Delorme, directeur du Parc national de La Réunion ;

- M. Jean Roger Rakotoarijaona, directeur de l'intégration environnementale et du développement durable à l'Office national pour l'environnement de Madagascar ;

- M. Jérôme Dulau, chef du service connaissance, évaluation et transition écologique à la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de La Réunion.

Anne-Gaëlle VERDIER,

Directrice de l'environnement par intérim des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)

« Conservation et recherche : des leviers de coopération régionale pour les TAAF »

Propos de présentation de M. Marcel Escure, Ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

Après avoir exercé un certain nombre de missions à l'international pour le compte de la Région Centre Val-de-Loire, le ministère des affaires étrangères et européennes ou encore la coopération espagnole, Anne-Gaëlle Verdier a occupé la fonction de responsable outre-mer du WWF France durant 5 ans (2011-2016).

En 2016, elle rejoint les TAAF en tant que directrice adjointe environnement, cheffe du service marin de la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises, où elle coordonne le dossier d'extension de cette Réserve naturelle et celui relatif à l'inscription des Terres et Mers Australes Françaises sur la Liste du patrimoine mondial de l'Unesco en 2019.

Bonjour à tous,

Je vais vous présenter en quoi les enjeux de conservation et de recherche peuvent constituer des leviers de coopération régionale pour les TAAF.

Les TAAF s'étendent sur un gradient latitudinal unique et sur 80 % de l'hémisphère sud. Ces territoires sont des observatoires pour l'étude de l'évolution du climat et de ses conséquences sur la biodiversité, mais aussi un cadre privilégié pour la coopération régionale.

Ce sont des territoires d'exception en matière de biodiversité du fait de leur insularité, de leur isolement, de l'absence de population permanente et de la présence d'écosystèmes dits simplifiés, c'est-à-dire avec une diversité spécifique peu importante mais une importante concentration d'individus de différentes populations. Le pendant de cette richesse est sa vulnérabilité. Vulnérabilité à des pressions naturelles, de type cyclonique et au changement climatique, ou à des pressions anthropiques, notamment d'exploitation des ressources, principalement halieutiques dans le cadre de pêcheries, avec des problématiques de pêche illégale dans les îles Éparses ou plus globalement de prises accidentelles ou accessoires par exemple. Ils sont aussi soumis à l'introduction et à la dispersion d'espèces invasives qui sont une des premières sources de dégradation de la biodiversité et à différentes pollutions liées à la présence, même faible, d'hommes et de femmes sur les bases techniques et scientifiques présentes dans les différents districts des TAAF (déchets, pollution lumineuse, eaux usées, etc.).

Afin de préserver ce sanctuaire de biodiversité d'intérêt international qui est placé sous la responsabilité de la France, une des missions essentielles des TAAF est de porter cette politique environnementale dans le respect des engagements que nous avons pris au niveau national et international en matière de préservation de l'environnement.

Cette mission passe par la mise en oeuvre d'outils de protection adaptés, notamment le développement d'un réseau de réserves naturelles nationales, dans les Australes et à moyen terme dans les Éparses, et par la mise en application de différentes actions de conservation consignées dans les plans de gestion et feuilles de route environnementales dont disposent les TAAF. Ces actions peuvent concerner la protection des milieux ou des espèces, la restauration des écosystèmes, la lutte contre les espèces invasives, l'encadrement des activités et la gestion durable des ressources.

Les TAAF sont aussi des territoires sentinelles et des laboratoires à ciel ouvert dans lesquels nous disposons de différents observatoires pour les sciences de l'univers et du vivant. Historiquement, nous suivons la météorologie sur nos bases australes, avec des lâchers réguliers de ballons-sondes sur les Kerguelen, une station de mesure de la qualité de l'air sur l'île d'Amsterdam qui permet d'alimenter les suivis réalisés par le GIEC et des marégraphes qui suivent le niveau de la mer. De plus, avec la montée en puissance des enjeux de conservation et de protection de l'environnement, nous suivons les écosystèmes et les habitats, l'évolution de la végétation, celle des espèces invasives et les récifs coralliens. Tous ces éléments alimentent des indicateurs qui viennent eux-mêmes nourrir des observatoires nationaux type ONB (Observatoire national de la biodiversité) ou internationaux comme l'IPBES ou le GCRMN 2 ( * ) pour les récifs coralliens.

C'est donc bien la position unique des TAAF dans l'océan Indien et la quasi absence de pressions d'origine humaine qui offrent à ces territoires un fort potentiel de coopération régionale, sur les sujets relatifs à la préservation de la biodiversité ou l'observation de l'évolution d'écosystèmes faiblement anthropisés dans un contexte de changements globaux . Les TAAF ont ainsi bénéficié d'un appui financier de 4 millions d'euros du 10 ème FED sur un programme touchant à la gestion durable du patrimoine naturel de Mayotte et des îles Éparses entre 2014 et 2019, piloté par le Conseil départemental de Mayotte. Son objectif était d'évaluer l'état de santé des récifs coralliens, de mesurer leur capacité à supporter les pressions anthropiques auxquelles ils font face et d'identifier des mesures de gestion pour améliorer leur trajectoire future. Il a aussi doté les parcs naturels de Mayotte et des Glorieuses de moyens techniques et d'outils d'aide à la décision. Enfin, le projet a permis de former aux métiers maritimes liés au suivi des pêches et donc de renforcer les capacités de Mayotte en matière de gestion durable.

En termes de résultats, ce programme de 4 ans a permis de définir des stratégies et des méthodes de suivi de l'ensemble des écosystèmes récifaux des deux parcs marins. Il a contribué à des propositions d'orientations adaptées en matière de gestion des pêcheries mahoraises, notamment des recommandations sur des pratiques de pêche ou sur l'utilisation d`engins de pêche. Il nous a également aidé à alimenter le dossier d'opportunité de création d'une réserve naturelle nationale dans les Glorieuses. Des guides de formation ont été édités et des formations locales aux métiers de la mer (observateur des pêches, enquêteur de pêche côtière) ont été organisées.

Dans le cadre du programme du 11 ème FED régional, les TAAF ont proposé un nouveau projet RECI sur la restauration des écosystèmes insulaires, portant notamment sur la lutte contre les espèces invasives. Ce projet a démarré en 2020. Il bénéficie de 4 millions d'euros, pour une durée de 4 à 5 ans et est mené en partenariat avec les Naturalistes de Mayotte. Il a pour objectif d'éliminer durablement et à grande échelle des populations invasives, notamment les mammifères introduits (rats, souris et chats), d'améliorer le statut de conservation des espèces natives impactées comme les oiseaux marins et de créer des conditions favorables pour une stabilisation ou une augmentation de la richesse biologique. Une éradication complète des mammifères introduits est envisagée sur l'île d'Amsterdam à l'horizon 2023 et nous étudions la faisabilité d'éradiquer les chèvres marrones sur Europa. Enfin, ce programme est un support au renforcement de nos politiques de biosécurité.

C'est un sujet que partagent de nombreux territoires insulaires de l'océan Indien et c'est une source de coopération régionale. J'ai assisté ce matin à une conférence qui réunissait les gestionnaires des sites « patrimoine mondial » sur cette thématique des espèces invasives. Nous avons pu partager des méthodes et des retours d'expérience

Autre sujet de coopération régionale pour les TAAF, la recherche dans les îles Éparses. En complément des éléments d'information fournis par la sénatrice Vivette Lopez sur les deux consortiums de recherche des îles Éparses lors de son intervention, je souhaiterais attirer votre attention sur la dimension régionale des projets portés dans le cadre du deuxième consortium. En effet, sur les 14 projets sélectionnés, 9 ont impliqué la participation d'organismes étrangers. En outre, ces consortiums s'articulent autour de thématiques qui ont un fort intérêt au niveau régional, que ce soit l'observation des effets des changements climatiques sur les écosystèmes tropicaux insulaires ou l'amélioration des connaissances sur le fonctionnement de ces écosystèmes en milieux isolés et faiblement anthropisés. Les îles Éparses, tout comme les Terres australes françaises, représentent une opportunité de répondre aux grands enjeux nationaux et internationaux que sont les problématiques liées aux espaces maritimes et à leur gouvernance, la gestion des aires marines protégées et leur suivi, la gestion durable des écosystèmes, en matière d'exploitation des ressources halieutiques ou de l'impact du tourisme par exemple. C'est aussi l'occasion de travailler sur la gestion des risques environnementaux, notamment les risques d'érosion du littoral, les risques de pollution liée aux hydrocarbures ou aux micro-plastiques, les risques liés à des pathologies ou à des zoonoses.

C'est un enjeu de coopération, avec des approches qui dépassent le simple enjeu de biodiversité et qui touchent aux problématiques socio-économiques, politiques ou géostratégiques.

Comme l'a rappelé le Président de la République en octobre 2019 lors de sa visite sur l'archipel des Glorieuses, ces projets de consortium de recherche dans les îles Éparses, et plus globalement de développement de la recherche sur ces territoires, ont pour ambition de contribuer à l'intégration de ces îles dans des projets d'étude de la biodiversité et du climat à l'échelle de l'océan Indien et de faire de ces territoires des démonstrateurs en matière d'observation scientifique en milieu isolé, d'ingénierie écologique et de préservation des milieux marins, qui peuvent avoir une résonnance pour l'ensemble du bassin océan indien. Enfin, les TAAF ont bénéficié de façon indirecte du soutien des fonds structuraux de la Commission européenne, notamment de l'Interreg V océan Indien. Elles ont été partenaires de différents projets, notamment du projet IOT ( Indian Ocean sea Turtles ) porté par l'IFREMER et qui a pour objectif de développer le premier réseau d'observation des mouvements de tortues à l'échelle du bassin sud-ouest de l'océan Indien ou encore le projet STORM-OI ( Sea Turtle for Ocean Research and Monitoring ), mis en oeuvre par le LACY (Laboratoire de l'Atmosphère et des Cyclones) de Météo France. L'utilisation des tortues comme bio-indicateur permet d'établir des modélisations météorologiques et de suivre la cyclogénèse dans la région. Enfin, nous avons également bénéficié du soutien de l'Interreg pour le programme de surveillance des pêches de l'océan Indien, notamment pour la mobilisation du navire de patrouille des affaires maritimes Osiris.

Manchots royaux - (c) Nelly Gravier

Pierre VALADE,

Directeur de projets « études et recherche » et membre fondateur de OCEA Consult à La Réunion et de Magnirike à Madagascar

« Observation des juvéniles de poissons migrateurs des récifs et des cours d'eau : des enjeux de connaissances partagés à l'échelle des territoires
du sud-ouest de l'océan Indien »

Propos de présentation de M. Marcel Escure, Ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

Ingénieur généraliste de l'eau, M. Pierre Valade s'est spécialisé dans l'observation et la compréhension des espèces de poissons et de crustacés amphihalins du sud-ouest de l'océan Indien. En lien avec les usages des milieux et les pêcheries, il participe à des programmes d'études et de recherche transdisciplinaire pour le maintien des ressources halieutiques et des activités économiques ou de subsistance. Ces travaux le conduisent à intégrer toute la zone du sud-ouest de l'océan Indien dans ses activités.

Bonjour à tous,

Je vais vous présenter les enjeux portés par des poissons de récifs coralliens et des poissons de rivière pour lesquels nos besoins de connaissances convergent.

De nombreuses espèces de poissons de récifs, mais aussi des espèces de poissons et de crustacés d'eau douce ont une phase larvaire océanique, ce qui leur permet non seulement de croître et se développer mais aussi de se disperser et de coloniser de nouveaux territoires, comme dans le cas des îles volcaniques. L'étude et la gestion des espèces marines et amphihalines sont souvent considérées séparément alors qu'elles présentent pourtant de fortes similitudes :

- pour les poissons de récifs, comme les demoiselles, les chirurgiens ou les mérous, la reproduction a lieu dans des habitats côtiers, comme le lagon ou ses pentes externes. Ensuite, les larves ont une phase de dispersion dans l'océan. À l'issue de cette phase, les post-larves reviennent vers les habitats côtiers récifaux ou lagonaires où elles vont devenir juvéniles puis adultes ;

- pour les espèces de poissons d'eau douces amphihalines, comme les anguilles ou les bichiques, auxquelles s'apparentent également des crustacés, comme les camarons ou les écrevisses, deux stratégies sont observées : l'amphidromie et la catadromie. Les espèces amphidromes, comme les bichiques, se reproduisent en eau douce, alors que les espèces catadromes, comme les anguilles, quittent les eaux douces à maturité sexuelle pour se reproduire en mer. Pour toutes ces espèces les post-larves reviennent en eau douce pour devenir des juvéniles puis des adultes.

Parmi ces espèces récifales et amphihalines, certaines font l'objet d'une exploitation commerciale ou sont des espèces indicatrices du fonctionnement écologique des milieux. Enfin, certaines présentent un danger d'extinction sur les territoires de La Réunion ou de Mayotte.

Pour l'ensemble de ces espèces, la phase larvaire océanique leur permet d'assurer des échanges au sein de leur aire de distribution. Ces espèces peuvent être endémiques d'une île ou d'un archipel, comme les deux espèces connues du genre Cotylopus, dont une est endémique de l'archipel des Comores ( Cotylopus rubripinnis ) et l'autre est endémique de l'archipel des Mascareignes ( Cotylopus acutipinnis ). Cependant, beaucoup de ces espèces ont une aire de distribution qui correspond au sud-ouest de l'océan Indien, comme l'anguille bicolore ( Anguilla bicolor ).

Pour les espèces récifales, comme pour les espèces amphihalines, la connaissance du flux d'arrivée de post-larves est une donnée d'importance pour la gestion d'une espèce ou d'un habitat, en éclairant les variations observées dans les stocks d'adultes des années suivantes. Ces données permettent de répondre à des questions comme : est-ce qu'une faible population d'adultes est due aux conditions d'habitats en rivière ou en lagon, ou est-ce que cette faible population d'adultes est due à une absence de juvéniles les mois ou années précédentes ?

Ensuite, les arrivées de post-larves sont fonction de l'intensité de la reproduction d'une part, et des conditions rencontrées par les larves en mer d'autre part. Leur évolution est un indice global cumulé du succès reproducteur.

Enfin, dans le cas de la gestion d'une pêcherie, la mise à disposition de données standardisées sur l'intensité des arrivées de juvéniles constitue un socle de connaissances partagées permettant d'alimenter les échanges entre pêcheurs et gestionnaires pour la définition de réglementations ad hoc . Par exemple, les services de l'État et les pêcheurs de bichiques de La Réunion travaillent actuellement à une évolution de la réglementation de pêche de ces post-larves. En absence de données sur l'historique des arrivées et des captures de ces post-larves, celles-ci ont dû être contournées dans un premier temps mais devront être collectées sans délai pour permettre de mesurer l'efficacité de la nouvelle réglementation.

Ainsi, si les objectifs vis-à-vis des espèces peuvent être divergents entre acteurs voire entre territoires du sud-ouest de l'océan Indien, ceux-ci se rejoignent sur l'intérêt de disposer de données sur les flux de post-larves ou de juvéniles, à l'échelle de la zone d'expansion des espèces cibles.

Les premiers travaux sur l'arrivée des post-larves de poissons de récifs ont été menés au travers de projets dénommé Post-larves Capture and Culture (PCC®). Ces projets visaient à capturer des post-larves de poissons de récifs pour ensuite les élever à des fins commerciales : aquariophilie ou poissons de bouche. Les tests qui ont été menés dans le sud-ouest de l'océan Indien n'ont pas été pérennisés en raison, entre autres, d'un défaut de maîtrise de l'arrivée des post-larves, ce qui fragilise le maintien d'un modèle économique stabilisé.

D'un autre côté, un projet de collaboration scientifique a pu être lancé dès 2015, entre OCEA, l'Institut halieutique et des sciences marines de Tuléar à Madagascar et l'IRD, en vue de mieux appréhender les arrivées de post-larves. Cette collaboration a donné lieu à cinq autres projets, menés conjointement à La Réunion et à Madagascar, sur le développement et le partage de techniques et de méthodologies d'échantillonnage, mais aussi sur la publication de résultats. Au cours de ces années, le Kenya Marine and Fisheries Research Institute a progressivement été impliqué, démontrant la volonté des territoires d'acquérir ces connaissances à des fins diverses, comme le développement de projets aquacoles durables, l'ingénierie en environnement côtier, le suivi de la biodiversité dans un contexte de changements globaux, etc.

Les espèces amphihalines ont été étudiées dans les années 2000 à l'initiative du Muséum national d'histoire naturelle de Paris et de l'Association réunionnaise de développement de l'aquaculture (ARDA), donnant lieu à la production d'un Atlas commun aux petites îles du sud-ouest de l'océan Indien. Les enjeux portant sur ces espèces sont pour la plupart inféodés à une île ou à un archipel. À l'échelle du sud-ouest de l'océan Indien, ce sont les anguilles qui partagent l'intérêt d'une majeure partie des territoires, que ce soit en raison de leur exploitation ou d'objectifs de conservation. Entre 2002 et 2005 l'ARDA Réunion et l'Université de La Rochelle ont réalisé un programme d'acquisition de connaissance de ces espèces à l'échelle du sud-ouest de l'océan Indien. En conclusion de ce travail, des instituts scientifiques et techniques de Madagascar, du Mozambique, de Maurice, des Seychelles et de La Réunion ont acté la mise en place d'un réseau d'observation des anguilles sur des bassins pilotes de chaque territoire. Finalement, seule La Réunion a mis en oeuvre ce projet sur une période test de 2008 à 2012 et sur trois bassins-versants pilotes.

En 2021, l'Office de l'eau de La Réunion et OCEA reposent les fondations d'un observatoire de la dynamique d'arrivée des juvéniles de poissons et de crustacés d'eau douce, pour au moins trois années. Parallèlement, l'Université du Kwazulu-Natal, en Afrique du Sud, a lancé un projet de suivi de l'arrivée et de l'échappement des anguilles sur trois rivières pilotes, en Afrique du Sud, au Mozambique et au Kenya.

En conclusion, le suivi des espèces de poissons récifaux et des espèces de poissons et de crustacés d'eau douce amphihalines doit être considéré à l'échelle de distribution des espèces. Dans le sud-ouest de l'océan Indien, l'échelle d'un archipel ou de toute la zone doit être envisagée. Cela nécessite un réseau d'acteurs opérationnels sur un maillage complet de ce territoire.

Ensuite, chaque territoire a la nécessité de générer des données interopérables avec les autres territoires, de façon à pouvoir établir des liens et comprendre les tendances d'évolution. Cela nécessite d'utiliser des outils et des méthodologies communes.

Enfin, les territoires doivent être en mesure d'assurer d'une part la bancarisation de leurs propres données, et d'autre part de pouvoir consulter les données de l'ensemble des territoires partenaires. Cela nécessite une plate-forme numérique de bancarisation et de partage des données.

Dans ces trois voies, les territoires français de l'océan Indien ont un rôle majeur à tenir pour remplir leurs engagements dans la conservation et l'usage des biodiversités marines et amphihalines.

"Bouche ronde" (bichique) Cotylopus acutipinnis (c) P. Valade 2019

Jean-Marc GANCILLE,

Responsable communication, sensibilisation, développement de l'Association Globice

« Coopération régionale et science collaborative pour la protection des cétacés du sud-ouest de l'océan Indien »

Propos de présentation de M. Marcel Escure, Ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

Co-fondateur de l'éco-quartier alternatif Darwin à Bordeaux et administrateur de plusieurs ONG de protection de la vie sauvage, M. Jean-Marc Gancille rejoint Globice Réunion en 2018 pour mettre ses compétences au service de la science et de la conservation des cétacés.

Bonjour à tous,

Je représente l'ONG Globice qui existe depuis 20 ans à La Réunion et qui est à l'origine du réseau de coopération régionale pour la science collaborative IndoCet qui agit dans le cadre du sud-ouest de l'océan indien pour mettre en commun les recherches au service de la conservation des cétacés.

Le sud-ouest de l'océan Indien est particulièrement riche en mégafaune marine et notamment en cétacés avec 33 espèces identifiées à ce jour, comme à titre d'exemple le cachalot, la baleine à bosse, le grand dauphin de l'Indo-Pacifique, la baleine à bec de Cuvier ou la baleine bleue. Ces espèces sont migratrices et l'étude de leur habitat, de leurs migrations et des menaces qui pèsent sur elles doit être menée au niveau régional.

À l'origine, Globice et ses partenaires étudiaient les migrations des baleines à bosse dans l'océan Indien lors de leur venue annuelle pendant l'hiver austral pour mettre bas et s'accoupler. À la suite d'un atelier régional en 2014, nous avons décidé de mutualiser davantage les compétences, les informations, les données dont disposaient les experts concernés par ces problématiques à l'échelle du sud-ouest de l'océan Indien. Globice a ainsi fédéré un réseau d'une cinquantaine de membres, essentiellement des chercheurs, présents à La Réunion, à Maurice, à Madagascar, en l'Afrique du Sud, Kenya, etc.

IndoCet est animé par Globice, présidé par Violaine Dulau et compte des membres actifs et des membres associés. Les membres actifs sont des chercheurs impliqués dans la recherche sur les cétacés à l'échelle de la zone et les membres associés apportent des conseils et des appuis extérieurs. Son animation prend de multiples formes. Elle utilise différents médias, réseaux, canaux de mutualisation et de mise en commun. Enfin, IndoCet bénéficie du soutien financier du Fonds français pour l'environnement mondial, de la Commission de l'océan Indien, de l'Europe et de la région Réunion.

IndoCet a pour objectifs de dynamiser la recherche collaborative, partager les connaissances et agir pour la conservation des cétacés. Ces objectifs nécessitent plusieurs types d'intervention parmi lesquelles : la mise en réseau et l'animation des compétences régionales, des échanges d'expériences et le renforcement des capacités, l'harmonisation des protocoles scientifiques, le développement de programmes de recherche en collaboration, l'appui aux actions de conservation et enfin le conseil aux États et aux organisations régionales qui s'intéressent à ces thématiques.

Je vous présente trois exemples concrets de coopération.

Le premier vise à étudier la structure et l'abondance des populations de baleines à bosse à l'échelle régionale. Comme vous le savez, les baleines à bosse qui rejoignent les zones tropicales chaque hiver austral ont des migrations à l'échelle de la zone qui sont aujourd'hui mal connues. Le développement d'outils communs permet, notamment grâce à l'intelligence artificielle, d'automatiser la comparaison des caudales et d'identifier chaque individu et donc de suivre une migration, soit entre les îles, soit année après année en comparant ces catalogues de caudales.

Le deuxième porte sur les cas d'échouage. Il est précieux de pouvoir bénéficier de l'assistance et du soutien de l'ensemble des expertises du réseau dans la collecte de données, l'analyse d'échantillons, la formation des opérateurs sur place et la centralisation des données. La coopération a été récemment de mise en oeuvre avec l'échouage d'une trentaine de dauphins d'Électre à Maurice.

Enfin, le troisième vise à identifier des habitats clés pour plusieurs espèces de mammifères marins menacées d'extinction sur la zone. Dans le cadre des travaux de l'UICN sur ces sujets, IndoCet a participé, via son réseau de compétences et ses recherches, à l'identification des zones de protection prioritaires.

Jean-Philippe DELORME,

Directeur du Parc national de La Réunion

« Coopération entre le Parc national de La Réunion et le réseau des parcs nationaux d'Afrique du Sud ; des synergies pour une meilleure gestion des espaces et des ressources naturelles »

Propos de présentation de M. Marcel Escure, Ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

M. Jean-Philippe Delorme a une double formation en socio anthropologie et en agro économie. Il a fait 10 années de coopération au Brésil et dans le Cône sud pour accompagner des projets (création du Parc naturel régional du Pantanal au Mato Grosso du Sud) et des politiques publiques en matière de gestion territoriale durable. Il a été directeur adjoint pendant 3 ans du parc amazonien de Guyane, directeur pendant 6 ans du parc naturel régional du Vercors. Il est directeur du Parc national de La Réunion depuis juin 2017.

Bonjour à tous,

En préambule, je précise que ma présentation ayant trait à la biodiversité réunionnaise et au parc national de La Réunion, vous allez retrouver un certain nombre d'éléments convergents avec celle de M. Vincent Boullet.

Sur le plan bio géographique La Réunion est une île tropicale, altimontaine et afro-indienne. Cette définition indique clairement que dans la diversité des influences extérieures auxquelles l'île de La Réunion a été soumise, la composante africaine représente une part importante, rendant logique la coopération qui s'est développée entre La Réunion et l'Afrique du Sud.

La Réunion est donc une île altimontaine, cette particularité est illustrée par la distance entre le cratère du Dolomieu culminant à plus de 2 600 mètres et le littoral qui se situe à seulement une quinzaine de kilomètres. Le gradient altitudinal est donc extrêmement important et donne une grande diversité de situations sur une petite surface, offrant aux territoires une compacité exceptionnelle.

Un autre élément fondateur de cette diversité est la diagonale des pluies qui partage l'île en deux, au vent et sous le vent. Dans la partie est, plus précisément sud-est, les maximums de précipitation sont supérieurs à 10 mètres par an, alors que certaines parties à l'ouest reçoivent à peine un mètre. Ces fortes précipitations, combinées à un gradient altitudinal très élevé, ont construit des reliefs très marqués, constituant une très grande diversité de milieux.

Le cumul de ces différents facteurs - la diversité des influences, la diversité des milieux, avec le gradient altitudinal, les différents reliefs et les différences de pluviométrie - a permis le développement d'une diversité exceptionnelle, avec un très fort niveau d'endémicité puisque l'île affiche un taux d'endémisme de 28 %.

Outre cette diversité d'espèces, ces conditions particulières ont permis le développement d'habitats très diversifiés, des savanes de l'ouest aux forêts d'altitude humides, dites forêts de nuages et pour les étages altimontains, d'une végétation de haute montagne puisque le point culminant de La Réunion atteint 3 000 mètres.

Des photos des différents paysages sont présentées.

En mobilisant au cours de son histoire un certain nombre de politiques publiques, La Réunion a su créer les conditions qui ont permis d'atteindre aujourd'hui un niveau de conservation remarquable, puisque 30% des habitats originels ont été conservés. Ce niveau de conservation a facilité la création d'un parc national, renforçant ainsi les moyens en matière de gestion de cette biodiversité exceptionnelle. L'île a également obtenu un label international prestigieux puisque le coeur du parc a été inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité.

Cette biodiversité subit des pressions importantes, notamment liées à la très grande dynamique des espèces exotiques envahissantes végétales. C'est cette problématique qui nous a encouragé à nous rapprocher de nos collègues sud-africains car l'Afrique du Sud dispose d'un réseau de 29 parcs nationaux dont certains sont soumis au même type de problématiques que celles affectant La Réunion. La tête de réseau Sanparks a su développer un important réseau de centres de recherche voués à appuyer les gestionnaires d'aires protégées, notamment sur la question des espèces exotiques envahissantes. Notre collaboration s'appuie plus spécifiquement sur les parcs de Table Moutain et du Drakensberg, ce dernier étant de plus confronté, comme le parc national de La Réunion, à la gestion d'un site classé au patrimoine mondial de l'Unesco au titre du critère 7 (paysages).

Le parc de Table Mountain représentera le point focal de notre coopération car il offre de nombreuses similarités avec le parc de La Réunion. La région du Cap est en effet un hotspot de biodiversité avec un relief accentué, une situation périurbaine et qui bénéficie d'une influence océanique. Ces caractéristiques communes, malgré les différences d'approches sur le plan politique et sur l'aménagement du territoire créent un terreau extrêmement intéressant pour une collaboration entre nos deux pays.

Les points forts de la coopération entre le Parc national de La Réunion et Sanparks sont : des problématiques similaires, des expertises complémentaires et des réseaux de partenaires. Les parcs sud-africains ont une grande profondeur historique sur les problématiques d'incendies, les espèces exotiques, la gestion des flux touristiques et celle des biens inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco. Le Parc national de La Réunion dispose d'un réseau de partenaires nombreux et divers sur l'île et même si l'accord avec Sanparks a été signé par le Parc national, c'est l'ensemble du territoire qui est mobilisé dans cette coopération : les collectivités, les centres de recherche, etc. Il fait également partie du réseau des 11 parcs nationaux français et dispose d'une expérience spécifique sur la gouvernance, l'articulation des politiques publiques, les démarches multipartenariales, la gestion d'un bien classé Unesco et d'une capacité de recherche et de développement.

Nous bénéficions d'un fonds de 1,5 million d'euros, par le biais de l'AFD, pour une durée de trois ans. Celui-ci nous permettra de financer une partie de nos actions communes avec Sanparks. Par ailleurs, un fonds 5.0 de 0,35 million d'euros alloué par le ministère des outre-mer et piloté par l'AFD, toujours sur une durée de trois ans, nous aidera à initier la constitution d'un centre de recherche autour de la problématique des espèces exotiques envahissantes, en collaboration avec le CIRAD. La constitution de cette équipe de recherche est le premier résultat de cette coopération puisque nous avons commencé à contractualiser avec les chercheurs dès le mois de septembre 2020.

Massif du Piton de la Fournaise et le cratère Dolomieu enneigé (c) Hervé Douris

Jean Roger RAKOTOARIJAONA,

Directeur de l'intégration environnementale et du développement durable à
l'Office national pour l'environnement de Madagascar

« Le projet CRAIE  - ONE DEAL : une coopération franco-malgache relative à l'information et à l'évaluation environnementale pour la préservation de la biodiversité dans le sud-ouest de l'océan Indien »

Propos de présentation de M. Marcel Escure, Ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

Économiste du développement et de l'environnement, économètre-statisticien (Université de Toulouse I), M. Jean Roger Rakotoarijaona a plus de 20 ans d'expérience dans l'évaluation environnementale et les systèmes d'informations environnementales. Il est aussi négociateur international en changement climatique et en biodiversité.

Bonjour à tous,

Je suis très honoré de co-présenter devant vous ce projet de coopération régionale impliquant l'Office national pour l'environnement de Madagascar (ONE) et la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de La Réunion.

Le projet présente un intérêt particulier pour Madagascar qui est reconnu comme terre exceptionnelle de biodiversité, mais celle-ci est lourdement menacée. La préservation de la biodiversité nécessite en effet des instruments de gestion environnementale adéquats et performants dont font partie l'évaluation environnementale et l'information environnementale.

Le projet est original car il n'est pas une réponse à un appel d'offres et n'a pas été conçu par des instances internationales. Il est né d'une initiative commune entre les deux partenaires engagés dans un même combat, ce qui assure qu'il répond aux besoins réels. L'idée est d'établir dans le sud-ouest de l'océan Indien une plateforme d'échanges, de collaboration et de renforcement mutuel entre les institutions qui travaillent dans l'évaluation environnementale et dans la gestion des informations environnementales.

Dans sa première phase, il impliquera d'abord Madagascar et La Réunion. Des partenaires techniques et financiers comme l'AFD ont déjà manifesté leur intérêt pour accompagner le projet. Il est en cours de préparation mais des étapes importantes ont déjà été franchies.

En février 2019, l'ONE a mené une mission à La Réunion. À l'issue de celle-ci, une décision a été prise avec la DEAL pour monter le projet. Le financement de la préparation a été bouclé en octobre 2019 avec la réponse positive du Fonds de coopération régionale, l'appui supplémentaire de l'AFD et les contributions de la DEAL et de l'ONE.

Une première mission technique de l'équipe de la DEAL a eu lieu en novembre 2019 à Madagascar. La suite devait être une mission d'une équipe technique de l'ONE à La Réunion en février-mars 2020 mais elle a été annulée à cause de la crise sanitaire. Les contacts ont repris en avril 2021 et devraient permettre de finaliser la formulation du projet pour commencer les activités en 2022.

Le principal objectif de la mission de l'ONE à La Réunion en février 2019 était de visiter les projets de lutte et d'adaptation contre les changements climatiques. Elle a également été mise à profit pour, d'une part, identifier les domaines où les échanges pouvaient être bénéfiques, comme les outils techniques et juridiques, les procédures, les méthodes utilisées, le mode de financement, les types de partenariats et, d'autre part, pour explorer les possibilités de mettre en place un outil commun au niveau du sud-ouest de l'océan Indien pour suivre l'évolution et l'état de l'environnement régional, en s'inspirant du tableau de bord environnemental (TBE) de Madagascar. Elle a finalement abouti à un engagement de l'ONE et de la DEAL pour renforcer leurs relations naissantes par des échanges de connaissances, d'informations et d'expériences et par la mise en oeuvre de ce projet de collaboration.

Ensemble, nous faisons partie de la solution !

Jérôme DULAU,

Chef du service connaissance, évaluation et transition écologique à la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de La Réunion

« Le projet CRAIE  - ONE DEAL : une coopération franco-malgache relative à l'information et à l'évaluation environnementale pour la préservation de la biodiversité dans le sud-ouest de l'océan Indien »

Propos de présentation de M. Marcel Escure, Ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien

M. Jérôme Dulau est écologue diplômé d'un 3 e cycle à l'Université Pierre et Marie Curie. Il a travaillé pour le développement durable local en Nouvelle Aquitaine (1998-2001), puis à la réalisation d'études d'impact au CEREMA dans le Nord-Pas-de-Calais (2001-2005).

Il a aussi été en charge de l'instruction de projets et la réalisation de guides méthodologiques, du pilotage de la Stratégie réunionnaise de la Biodiversité à la DIREN Réunion (2005-2011) et de la création de la mission inter-service de l'eau et de la nature à la DEAL Réunion (2012-2017).

Bonjour à tous,

Après cette première visite d'une délégation de l'ONE à La Réunion, nous avons nous-mêmes constitué une délégation pour aller à Madagascar. L'objectif était de comprendre le contexte et les activités de l'ONE, de travailler sur des ateliers très opérationnels sur les méthodes d'évaluation environnementale de l'ONE et d'étudier son système d'information et de connaissance de la biodiversité qui recouvre tout le territoire. La Réunion et Madagascar ne sont pas à la même échelle en termes de taille mais travaillent sur les mêmes thématiques et enjeux majeurs. Nous cherchions à comprendre comment, à travers des projets très concrets, la démarche d'évaluation environnementale a permis d'éviter, de réduire et de compenser les impacts anthropiques sur l'environnement et la biodiversité.

Nous avons visité la mine d'Ambatovy, qui est l'une des plus grosses mines de nickel du monde. Elle s'est déployée sur une forêt primaire, avec des pistes de chantier importantes, des fronts de taille dans la forêt de 30 à 35 m de haut mais aussi avec une démarche d'évaluation environnementale qui a permis de mettre en place des mesures assez conséquentes pour faire face à ces impacts significatifs sur le territoire, notamment des opérations de restauration écologique.

Ce qui est intéressant dans la démarche malgache, c'est l'appropriation très importante de la part du maître d'ouvrage, qui a généré des centaines d'emplois, y compris internes, pour travailler uniquement sur la préparation de l'évitement et de la restauration écologique. L'évitement a constitué à récolter des graines. Plusieurs milliers d'espèces ont été inventoriées et collectées en amont du projet dans la forêt concernée et des pépinières et des itinéraires techniques de semences ont été mis en place. Par ailleurs, des opérations de plantation de semis à grande échelle ont eu lieu sur plusieurs centaines d'hectares et un orchidarium, sans doute l'un des plus grands du monde, a été constitué avec toutes les orchidées découvertes et déplacées avant la déforestation. Le maître d'ouvrage s'est engagé à reconstituer quasiment intégralement les surfaces impactées de la forêt primaire avec des plantations de plusieurs centaines d'espèces différentes sur 30 ans. À chaque clôture d'alvéole, une restauration, pas à l'identique évidemment, mais avec un cortège d'espèces significatif est prévue. Elle permettra à la forêt de reprendre sa place.

Nous avons partagé tous ces enjeux d'information et d'évaluation environnementale et les difficultés qu'ils représentent sur le territoire sous forme d'ateliers avec les ONG, les services déconcentrés du ministère de l'environnement malgache et nous avons tenu l'AFD, qui nous soutient sur cette mission, informée.

Nous retenons des enseignements de cette mission à Madagascar :

- la mise en place de cahiers des charges environnementaux très détaillés, annexés aux autorisations et aux permis, ce que nous n'avons pas forcément en France où les mesures sont listées mais de manière assez synthétique dans nos arrêtés d'autorisation ;

- les compétences des acteurs qui sont impliqués dans les processus d'évaluation environnementale pour éviter, réduire et compenser, comment les autorités acquièrent de la compétence en matière de biodiversité pour évaluer le respect par le maître d'ouvrage de ces séquences. C'est un sujet sur lequel nous avons aussi des difficultés en France. Les services instructeurs ne sont pas formés à la biodiversité ni à la compréhension et à l'interprétation des systèmes d'information sur la biodiversité ;

- le suivi post-autorisations, c'est-à-dire la mise en place des mesures permettant de suivre la séquence éviter, réduire, compenser. Comme l'a montré le rapport sénatorial du 25 mars 2017, nous avons du mal, en France, à aller au bout de cette séquence alors que des exemples montrent, qu'à Madagascar, les maîtres d'ouvrage ont pris les moyens d'intégrer ces séquences intégralement et de se doter de compétences internes pour la mettre en place jusqu'au bout, sur une trentaine d'années. En France, les maîtres d'ouvrage délèguent souvent cette séquence à des opérateurs tiers, ce qui ne fonctionne pas forcément très bien ;

- Madagascar est intéressée par notre processus de débat public qui n'existe pas sur leur territoire. Les populations sont associées au projet au moment de l'enquête publique, il n'y a pas de débat public en amont pour juger de l'opportunité ou pas de lancer un projet. Cette situation pose des difficultés au service instructeur de l'ONE.

Il y a d'autres sujets sur lesquels nous avons décidé accroître notre collaboration :

- le partage du système d'information, avec le renforcement de compétences techniques, le traitement des données, notamment sur le changement climatique et sur des sujets liés aux littoraux qui sont assez complexes à comprendre dans leur fonctionnement écosystémique ;

- le renforcement des capacités de l'évaluateur sur le contenu du système d'information et sur la collecte des données sur le terrain.

Sur toutes ces thématiques, nous pouvons établir une coopération de long terme. Nous avons monté le projet CRAIE qui nécessite une implication pluriannuelle totale de nos deux entités, une mobilisation des moyens humains, un plan d'actions avec des enveloppes financières modulables pour réunir plusieurs bailleurs.

Nous réfléchissons aussi à élargir cette coopération aux autres pays de la Commission de l'océan Indien pour essaimer les méthodes que nous aurons identifiées.

Nous sommes aujourd'hui dans la deuxième phase du projet. Nous avons été percutés par la crise sanitaire mais nos directions respectives ont confirmé récemment leur souhait de finaliser le projet de coopération d'ici la fin de l'année et de le proposer en 2022 à nos bailleurs, en particulier l'AFD. Nous envisageons également de le soumettre au Fonds français pour l'environnement mondial.

CLÔTURE

Stéphane ARTANO,

Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Monsieur le Directeur général,

Monsieur l'Ambassadeur,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues et amis,

Au terme de cet après-midi particulièrement riche dédié aux biodiversités de l'océan Indien, je voudrais adresser à tous, au nom de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, mes plus chaleureux remerciements.

Je remercie d'abord vivement l'Office français de la biodiversité, représentée par son directeur général, Pierre Dubreuil, ainsi que Jean-Michel Zammite, directeur aux outre-mer, assistés de Nicolas Rouyer, délégué territorial pour océan Indien et de Nathalie Gogalla, chargée de mission, pour leur implication dans la réussite de cette manifestation.

L'OFB a poursuivi avec enthousiasme et professionnalisme le partenariat que la délégation avait engagé précédemment, sous la présidence de Michel Magras, avec l'Agence française pour la biodiversité et nous tenions à souligner et saluer ce partenariat exemplaire. Nous espérons que nous pourrons renouveler de telles opérations à l'avenir tant les défis sont immenses.

Cette journée a ainsi permis de mettre le projecteur sur le patrimoine naturel extraordinaire des outre-mer. Je ne voudrais pas revenir sur un débat récent qui fait écho avec notre colloque d'aujourd'hui, mais la préservation de l'environnement et de la diversité biologique est une responsabilité qui appartient à chacun.

Je tiens à remercier tous les intervenants, pour leurs exposés précis, documentés et passionnants. Ils nous montrent la valeur de l'action et de la culture du résultat.

Je remercie également très sincèrement les très nombreux participants qui ont suivi à distance nos échanges et qui, chacun à leur manière, se mobilisent au quotidien sur ces sujets fondamentaux.

Je souligne surtout à quel point la biodiversité ultramarine est une richesse dont nous sommes comptables, à la fois devant nos territoires et devant les générations futures.

Nous avons achevé notre cycle de conférences sur les bassins océaniques mais notre travail n'est pas terminé, tant s'en faut !

Nous allons d'abord publier les actes de ce colloque. Les contributions présentées vont deviendrons ainsi des documents de référence.

Ils seront disponibles pour les grands rendez-vous des prochains mois, en particulier, pour le Congrès mondial de la nature de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui se tiendra en septembre prochain à Marseille.

Ce Congrès rassemblera la communauté mondiale de la conservation de la nature, les meilleurs experts internationaux en sciences, politiques et pratique de la conservation. Nous pensons que ce sommet sera une étape clé pour l'émergence d'un nouveau cadre mondial pour la biodiversité.

Notre pays se doit d'être pionnier sur la voie des évolutions nécessaires pour protéger la planète : rappelons que, selon l'UICN, plus d'un tiers des aires protégées « exemplaires » sont françaises. La richesse de la biodiversité de nos outre-mer y contribue largement.

Nous pouvons tous contribuer à faire prospérer ces expériences et connaître ces enseignements.

Les outre-mer seront - soyez en sûr - aux avant-postes de ce combat qui est devant nous. Encore merci à tous et à bientôt !

PROGRAMME DU COLLOQUE BIODIVERSITÉS DE L'OCÉAN INDIEN
20 MAI 2021

Les événements sur les biodiversités ultramarines organisés par la Délégation sénatoriale aux outre-mer depuis 2017

Le 7 décembre 2017 , en partenariat avec l'Agence française pour la biodiversité, la Délégation sénatoriale aux outre-mer a organisé deux tables rondes sur la biodiversité ultramarine.
La première avait pour thème " Les changements climatiques, une menace pour la biodiversité ", la seconde " La biodiversité, sentinelle et ressource face aux changements climatiques" .

http://www.senat.fr/evenement/colloque/outre_mer/biodiversite_ultramarine.html

Le 31 mai 2018 , sous le haut-patronage du président du Sénat, M. Gérard Larcher, et en partenariat avec l'Agence française pour la biodiversité, la délégation a organisé, sous la forme de trois tables rondes, un colloque sur le thème des biodiversités de l'océan Pacifique et de leur valorisation.

http://www.senat.fr/evenement/colloque/outre_mer/biodiversite_du_pacifique.html

Le 6 juin 2019, la Délégation sénatoriale aux outre-mer, en partenariat avec l'Agence française pour la biodiversité, a organisé un colloque sur les biodiversités du bassin Atlantique.

http://www.senat.fr/evenement/colloque/outre_mer/biodiversites_du_bassin_atlantique.html

Le 20 mai 2021 , en raison de la crise sanitaire, le colloque, sur les biodiversités du bassin de l'océan Indien , organisé par la Délégation sénatoriale aux outre-mer en partenariat avec l'Office français pour la biodiversité , s'est tenu sous la forme d'un webinaire.

http://www.senat.fr/evenement/colloque/outre_mer/biodiversite_de_locean_indien_2021.html


* 1 En 2019, il a cosigné un rapport d'information sur la santé au travail « Pour un service universel de santé au travail ». Il est co-rapporteur au Sénat de la proposition de loi visant à renforcer la prévention en santé au travail.

* 2 Global Coral Reef Monitoring Network.

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