D. L'ACCUEIL ET L'ORIENTATION MANQUENT ENCORE DES MOYENS QUI LEUR PERMETTRAIENT D'ASSURER PLEINEMENT LEURS MISSIONS

Les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO), couramment désignés par le numéro de téléphone 115 qui permet de les contacter, sont des plateformes de mise en relation de l'offre et de la demande d'hébergement . La loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) a posé le principe d'un SIAO unique par département 38 ( * ) , le même opérateur gérant les deux volets du service : urgence (orientation vers un hébergement d'urgence) et insertion (orientation vers un logement intermédiaire entre l'hébergement et le logement ordinaire, tel qu'un logement adapté).

Les missions des SIAO

- Recensement des places d'hébergement, les logements en résidence sociale et les logements des organismes qui exercent les activités d'intermédiation locative.

- Service d'appel téléphonique du 115.

- Réalisation d'une évaluation sociale, médicale et psychique des personnes ou familles concernées, traitement de leurs demandes et propositions d'orientation adaptées à leurs besoins, transmises aux organismes susceptibles d'y satisfaire.

- Suivi du parcours des personnes ou familles, jusqu'à la stabilisation de leur situation.

- Contribution à l'identification des personnes en demande d'un logement, si besoin avec un accompagnement social.

- Coordination des personnes concourant au dispositif de veille sociale.

- Production des données statistiques d'activité, de suivi et de pilotage du dispositif d'accueil, d'hébergement et d'accompagnement vers l'insertion et le logement.

- Participation à l'observation sociale.

Source : commission des finances, à partir de l'article L. 345-2-4 du code de l'action sociale et des familles

Les deux tiers des SIAO sont portés par une association, qui est souvent gestionnaire également d'une structure d'hébergement.

1. Les limites de l'efficacité des SIAO poussent à envisager de nouvelles réformes

Le rapporteur spécial a déjà noté les limites de l'action des SIAO 39 ( * ) , qui ressortent en particulier du taux très faible de réponse aux demandes de logement adapté ou ordinaire : ce taux est inférieur à 1 % en 2019 et en 2020 40 ( * ) .

Les demandes d'hébergement donnent mieux satisfaction : en 2020, 6 195 demandes d'hébergement en moyenne ont été recensées par jour, dont 2 766 n'ont pas pu être pourvues.

Demandes d'hébergement et demandes non pourvues (DNP) en moyenne
par jour sur l'année 2020

Source : commission des finances, à partir de données DGCS

Ces chiffres rendent compte de l'efficacité des SIAO par rapport aux demandes qui leur sont faites, mais pas nécessairement par rapport aux besoins effectifs des personnes en grande précarité : ils ne tiennent en effet pas compte des appels non décrochés en raison de la saturation du système, ni du non-recours de personnes sans abri. Par ailleurs, l'administration reconnaît que la qualité des chiffres ci-dessus a été significativement dégradée depuis le mois d'octobre 2020 par le dysfonctionnement du système d'information des SIAO, qui sera discuté plus en détail infra .

Une enquête de l'Agence nouvelle des solidarités actives, publiée juste avant la crise sanitaire 41 ( * ) , notait ainsi que la connaissance de la demande n'est pas exhaustive en raison de la saturation du 115 et du non-recours. En outre, si les SIAO ont une bonne vision des places d'hébergement disponibles en CHRS ou CHU, c'est moins le cas pour les places de logement adapté.

Il importe à cet égard que les SIAO disposent bien du recensement de la totalité des offres de pensions de familles, d'intermédiation locative, de résidences sociales afin de pouvoir remplir leur mission d'orientation vers le logement adapté. Des marges de progression existent en effet concernant les relations entre les SIAO et les opérateurs, pour améliorer la connaissance de l'offre mais aussi pour comprendre les raisons des refus d'admission de la part de certains opérateurs, même si ces refus semblent avoir diminué. En tout état de cause, la saturation du parc d'hébergement oblige dans bien des cas les SIAO à prioriser les publics.

Les SIAO peinent ainsi à remplir des missions qui, il est vrai, sont en extension avec le déploiement de la politique du « Logement d'abord » , allant de l'hébergement d'urgence au logement adapté et au logement.

La DIHAL pousse pour une réforme des SIAO, afin que l'ensemble des financeurs soient représentés dans la gouvernance, par exemple sous la forme d'un groupe d'intérêt public. Cette réforme suscite des résistances dans des territoires où le SIAO est géré par une structure unique et non par un groupement.

En application de la loi ALUR, les SIAO se sont réorganisés afin qu'il n'y ait qu'un seul service unifié, pour les volets hébergement et insertion, dans chaque département.

La fédération des acteurs de la solidarité (FAS) dresse un bilan plutôt positif de la départementalisation pour les missions de recensement de places, de recensement de la demande et d'orientation des SIAO.

Le rapporteur spécial se demande toutefois s'il ne conviendrait pas d'aller plus loin , notamment en Île-de-France où la question de l'hébergement dépasse les limites des départements. La réservation hôtelière, par exemple, est déjà confiée à un opérateur unique, le Samu social de Paris, pour l'ensemble des départements. Il suggère en conséquence d'étudier la possibilité de mettre en place un SIAO unique sur le périmètre de la Métropole du Grand Paris .

La possibilité de l'interdépartementalisation des SIAO était prévue par la loi ALUR 42 ( * ) et 88 départements sont en cours de réflexion sur la mutualisation de certaines fonctions entre plusieurs départements. Cette évolution suscite certes des réticences de la part de la fédération des acteurs de la solidarité (FAS), qui invoque par exemple le risque de perte de continuité de l'accès aux droits et aux services sociaux, ceux-ci étant organisés sur un mode départemental (assurance maladie, allocations familiales, service social départemental...). Or le rapporteur spécial plaide justement depuis longtemps pour que, en Île-de-France, un certain nombre de compétences des départements, dont la politique sociale, soient exercées au niveau de la Métropole du Grand Paris 43 ( * ) .

En tout état de cause, ces logiques administratives ne devraient pas s'opposer à une rationalisation de l'action des SIAO . La mutualisation des fonctions présente également un intérêt financier : la gestion des réservations hôtelières sur un périmètre étendu, comme en Île-de-France, permet de négocier des prix plus avantageux.

Enfin, la mission « Accès au logement » présente de fortes marges de progrès : les SIAO devraient notamment développer leurs liens avec les bailleurs sociaux. L'Union sociale pour l'habitat (USH), dans un « livre blanc » sur la gestion des attributions de logement social en 2020 44 ( * ) , souligne la nécessité d'une meilleure coordination avec les SIAO, en inscrivant des objectifs d'accueil des personnes hébergées et sans abri dans les conventions intercommunales ou départementales d'attribution.

Le SIAO ne peut toutefois jouer qu'un rôle de mise en relation. L'attribution d'un logement est en effet plus complexe que l'orientation vers un hébergement d'urgence : par exemple, la personne ou le ménage concernés ont plus de marge pour choisir leur logement.

2. Les incompréhensibles dysfonctionnements du système informatique portent atteinte à la capacité des SIAO à accueillir et orienter les personnes sans abri

L'une des pistes d'amélioration des résultats repose sur la mise en place d'un système d'information efficace et unifié. Un système d'information national unique (SI-SIAO) a ainsi été progressivement développé par l'État au profit des gestionnaires des SIAO, des prescripteurs et des structures d'hébergement et de logements adaptés.

En septembre 2020, une refonte de ce système devait permettre l'articulation des données de la mission « urgence » avec celles de la mission « insertion ». Elle a conduit à des dysfonctionnements majeurs . Le rapporteur spécial les a déjà signalés lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021 45 ( * ) , mais leur résolution est beaucoup plus longue que prévu puisque, six mois plus tard, il a été saisi à plusieurs reprises des importantes difficultés rencontrées par les utilisateurs.

Le nouveau système ne permet pas aux opérateurs d'avoir une vision exacte des places d'hébergement disponibles , ce qui les empêche d'orienter correctement les personnes appelant le 115. Une vision nationale synthétisée des personnes appelant le 115 ne peut donc pas être établie.

Plus grave encore, il aurait causé des pertes de dossiers sur les parcours des personnes, même si l'administration explique que les données ont été sauvegardées et qu'un accès, certes complexe, a pu être fourni. En outre, les nouvelles modalités d'accès aux dossiers semblent poser des questions au regard de l'application du règlement général sur la protection des données (RGPD).

Face à ces difficultés, certains organismes ont dû tenir à jour de simples tableaux Excel, ce qui entraîne des pertes de temps et fait peser des risques sur la fiabilité des données.

Les SIAO sont mis dans une situation difficile et le traitement des dysfonctionnements fait perdre beaucoup de temps aux salariés, qui doivent dans le même temps faire face à l'incompréhension des personnes qui appellent le 115. Selon eux, certaines difficultés dans leurs relations avec leurs partenaires prescripteurs et les gestionnaires de structures seraient dues aux difficultés causées par le logiciel.

Le rapporteur spécial s'étonne qu'il n'ait pas été prévu , compte tenu des difficultés rencontrées par le nouveau système alors même que la saison hivernale approchait, de revenir à l'ancienne version en attendant que les problèmes informatiques soient résolus.

Selon les informations qu'il a recueillies, le nouveau système a été testé au mois d'août auprès de structures de petite taille, non représentatives de la situation connue dans les grandes villes. En outre les SIAO n'auraient pas été réellement associés au développement. De fait, une enquête conduite au mois de février 2021 a fait apparaître le manque de simplicité du nouvel outil et un taux d'insatisfaction plus élevé dans les SIAO de taille importante, soumis à une plus grande pression.

L'administration répond que des moyens importants ont été débloqués et il est vrai que tout changement de système d'information s'accompagne d'un changement de pratiques. Le rapporteur spécial note toutefois que ce n'est pas le changement des pratiques qui a été contesté devant lui, mais les « bugs » du nouveau système. L'administration ne parvient d'ailleurs toujours pas à comprendre l'origine de certaines difficultés rencontrées par les utilisateurs.

Au mois de mars 2021 , il a été indiqué au rapporteur spécial qu'un audit externe devait être commandé. Mme Emmanuelle Wargon, ministre chargé du logement, a indiqué lors de son audition devant la commission des finances le 19 mai que cet audit, confié à Cap Gemini, serait remis au mois de juin et conduirait à la définition d'un calendrier de correctifs.

Ces actions sont nécessaires, mais extrêmement tardives pour un système indispensable au fonctionnement des SIAO. Il est impossible de dire, à l'heure actuelle, si le système pourra être conservé, moyennant des corrections des anomalies, ou s'il faudra procéder à une nouvelle refonte.

Le rapporteur spécial constate l'absence manifeste et très préoccupante de pilotage de ce projet. Il lui a ainsi été confirmé que le projet a perdu son chef de projet, côté État, à l'été 2020, soit avant la mise en production. Malgré la révélation immédiate des difficultés et l'impact considérable qu'elles avaient sur le fonctionnement des SIAO 46 ( * ) , la DGCS n'a pas été en mesure de revenir à une version fonctionnelle du système.

D'une manière générale, il convient de s'interroger, comme l'a fait la Cour des comptes dans un rapport remis au mois d'octobre 2020 à la commission des finances sur la conduite des grands projets informatiques de l'État 47 ( * ) , sur la disponibilité des compétences de gestion de projet au sein des administrations centrales.

Un système d'information utilisé par des organismes dédiés à la gestion de l'urgence, comme c'est le cas des SIAO, devrait être en mesure de fonctionner tous les jours, y compris la nuit et le week-end. Une indisponibilité technique ne devrait donc être que très temporaire et une maintenance 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 pourrait même être nécessaire.

Le rapporteur spécial appelle en conséquence :

- dans un premier temps, à apporter le plus rapidement possible les corrections nécessaires , en prenant mieux en compte la diversité des besoins des SIAO (en particulier selon qu'ils opèrent dans des grandes métropoles en forte tension ou dans d'autres territoires) ;

- à mettre en place, en vue des évolutions ultérieures du système (par exemple le projet d'interfaçage entre le SI-SIAO et l'outil Syplo de gestion des attributions du logement locatif social), un processus de changement de version plus sécurisé , afin d'éviter un nouvel épisode similaire à l'approche de la période hivernale ;

- à renforcer les capacités de l'administration centrale pour la gestion des projets informatiques , éventuellement en s'appuyant sur la direction interministérielle du numérique (DINUM).


* 38 Article L. 345-2-4 du code de l'action sociale et des familles, modifié par l'article 30 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.

* 39 Voir le rapport spécial sur les crédits du logement et de l'urbanisme dans le projet de loi de finances pour 2021, annexé au rapport général n° 138 (2020-2021), ou la contribution au rapport n° 528 (2019-2020) sur le projet de loi de règlement pour 2020.

* 40 Selon le rapport annuel de performances de la mission « Cohésion des territoires » annexé au projet de loi de règlement pour 2020, le taux de réponse positive du SIAO aux demandes de logement adapté était de 1,2 % en 2018, 0,75 % en 2019 et 0,8 % en 2020.

* 41 Agence nouvelle des solidarités actives, Enquête nationale sur les SIAO , février 2020.

* 42 Article L. 345-2-4 précité du code de l'action sociale et des familles, dernier alinéa.

* 43 Philippe Dallier, Le Grand Paris : un vrai projet pour un enjeu capital , rapport d'information n° 262 (2007-2008), fait au nom de l'observatoire de la décentralisation, déposé le 8 avril 2008 ; Philippe Dallier et Didier Rambaud, Réformer la gouvernance du Grand Paris : une méthode, une grille de lecture, un calendrier , rapport d'information n° 444 (2020-2021), fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 11 mars 2021.

* 44 Union sociale de l'habitat, Livre blanc : améliorer, simplifier et clarifier la gestion de la demande et des attributions de logements sociaux , 9 décembre 2020.

* 45 Voir le rapport spécial « Logement et ville » de Philippe Dallier, annexé au rapport général n° 138 (2020-2021), faut au nom de la commission des finances, sur le projet de loi de finances pour 2021.

* 46 Un article paru dès le 1er octobre 2020 dans Mediapart, intitulé « Un bug informatique déstabilise l'hébergement des sans-abri », recensait déjà la plupart des difficultés résultant de la mise en production du nouveau système.

* 47 Enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la conduite des grands projets numériques de l'État, annexée au rapport d'information n° 47 (2020-2021) de Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, 14 octobre 2000.

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