PREMIÈRE PARTIE :
SYNTHÈSE DES DONNÉES DE L'APPLICATION DES LOIS

I. LE BILAN ANNUEL DE L'APPLICATION DES LOIS : UN DISPOSITIF INCONTOURNABLE DU CONTRÔLE PARLEMENTAIRE

A. LE RÔLE ENRICHI DES COMMISSIONS PERMANENTES DANS LE SUIVI DE LA MISE EN APPLICATION DES LOIS

1. L'adoption rapide des textes d'application par le Gouvernement, indispensable à la bonne application des lois : une exigence juridique et politique

L'année 2021 marque le cinquantième anniversaire de la mise en place du dispositif de contrôle de l'application des lois par le Sénat. Le présent rapport constitue ainsi un bilan de l'application des lois adoptées au cours de la session 2019-2020, c'est-à-dire entre le 1 er octobre 2019 et le 30 septembre 2020 . Il s'interrompt au 31 mars 2021, soit six mois après la fin de la session sous revue. C'est en effet le délai dans lequel le Gouvernement s'est fixé pour objectif, depuis la circulaire du Premier ministre du 29 février 2008 , de publier les mesures réglementaires d'application des lois 1 ( * ) .

Les différentes commissions continuent également à assurer le suivi de l'application des lois adoptées antérieurement à la session , ce qui permet de repérer certaines anomalies plus anciennes. Ainsi, les textes concernant le régime des redevances pour l'obtention de certificats sanitaires en matière agricole prévus par la loi n °2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 ne sont toujours pas pris au motif que des négociations avec certaines professions seraient encore en cours. Comme l'indique M. Claude Raynal, président de la commission des finances, « il n'est pas acceptable que des mesures prévues par la loi restent inappliquées depuis des années, certaines depuis presque dix ans. » 2 ( * )

Au-delà d'être une exigence juridique, l'application des lois est une attente légitime de nos concitoyens. À l'heure des chaînes d'information en continu, la médiatisation des projets du gouvernement dès leur adoption en conseil des ministres contraste souvent avec la lenteur de leur application concrète - ou inapplication - sur le terrain. Trop fréquemment, ce décalage est incompréhensible pour une grande partie de la population, en demande de l'entrée en vigueur concrète d'une mesure annoncée depuis de longs mois. Ce phénomène constitue une justification supplémentaire du suivi exercé de longue date par le Sénat des textes pris en application de dispositions législatives.

De ce point de vue, les lois se divisent en quatre catégories :

- les lois d'application directe , pour lesquelles aucune disposition d'application n'est attendue ;

- les lois applicables , pour lesquelles l'ensemble des textes réglementaires attendus ont été pris ;

- les lois partiellement mises en application , pour lesquelles seule une partie des mesures attendues ont été prises ;

- les lois non mises en application , pour lesquelles aucune des mesures attendues n'a été prise.

Sont rangées parmi les lois non mises en application celles qui comportent des dispositions d'application directe, mais pour lesquelles aucun des textes réglementaires prévus par d'autres dispositions n'a été pris.

Le Sénat suit également la publication des rapports demandés par le Parlement au Gouvernement et nécessaires à sa bonne information, ainsi que le délai dans lequel sont prises les mesures d'application. Afin d'avoir une vision globale de l'application des lois, il suit également la publication des ordonnances, préoccupation croissante du Sénat - en témoigne la nouvelle dénomination de la délégation du bureau chargée du travail parlementaire 3 ( * ) .

2. Le suivi de l'application des lois par les commissions permanentes et leur contribution au bilan annuel

Le Sénat , en contrôlant l'application des lois, veille donc à ce que les textes prévus aient bien été pris ; il recense également les textes réglementaires non prévus par la loi, mais qui précisent ses conditions d'application. Il en déduit un taux global d'application des lois , qui s'établit à 62 % pour la session 2019-2020. Comme l'a rappelé Mme Catherine Di Folco, vice-présidente de la commission de lois lors de l'audition de la Secrétaire générale du Gouvernement, « ce taux d'application des lois ne préjuge pas de la qualité des mesures prises » : il ne faut pas le « surinterpréter » 4 ( * ) . C'est pourquoi le Sénat assure un suivi qualitatif en vérifiant que l'intention du législateur est bien respectée par les textes réglementaires. Comme l'a rappelé Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, « si les décrets d'application ne traduisent pas la loi votée par le Parlement, c'est la fin de la démocratie parlementaire.» 5 ( * )

Inacceptable lorsque le Parlement a adopté une disposition modificatrice du droit existant, une telle méconnaissance de la volonté du législateur ne saurait non plus intervenir au détour d'une loi de codification . M. Cédric Perrin, vice-président de la commission des affaires étrangères, a ainsi alerté la Secrétaire générale du Gouvernement, lors de son audition, sur l'effacement, à l'occasion d'une codification, des dispositions de l'article 44 de la loi de programmation militaire du 13 juillet 2018 pour 2019-2025 permettant de lever les pesanteurs dans les procédures d'achat du ministère des armées. Il a ainsi évoqué « un mépris total de la volonté du législateur [...] tout à fait contraire aux principes de la codification à droit constant ».

Conformément à l'article 19 bis A du Règlement du Sénat , ce sont les commissions permanentes qui « mettent en oeuvre, dans leur domaine de compétence [...] le suivi de l'application des lois. » La révision du Règlement du Sénat du 18 juin 2019 a consacré leur contribution à l'élaboration du bilan annuel de l'application des lois 6 ( * ) . Leur analyse s'accompagne du bilan de la prise en compte et de la mise en oeuvre des positions européennes adoptées par le Sénat, effectué par la commission des affaires européennes. Lors de l'audition de la Secrétaire générale du Gouvernement, son président a ainsi signalé que, dans plus de 80 % des cas, les positions exprimées par le Sénat dans les résolutions européennes qu'il a adoptées au cours de la session 2019-2020, ont été prises en compte par la Commission européenne et que cinq d'entre elles l'ont été en totalité ou en quasi-totalité dans le texte définitif (règlement ou directive).

3. Un contrôle renforcé par le travail des rapporteurs

Le contrôle de l'application des lois par les commissions permanentes a récemment connu une évolution supplémentaire. En effet, aux termes du nouvel article 19 bis B du règlement du Sénat , « le rapporteur est chargé de suivre l'application de la loi après sa promulgation et jusqu'au renouvellement du Sénat. » 7 ( * ) Le présent bilan marque l'entrée en vigueur de ces dispositions. Les commissions des affaires économiques, de l'aménagement du territoire et du développement durable ainsi que celle des lois, en s'emparant de cet outil de contrôle renforcé, ont contribué à l'enrichissement du contrôle de l'application des lois.

Pour la commission des affaires économiques, le rapporteur de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (dite loi « Énergie-Climat »), M. Daniel Gremillet, a effectué un travail spécifique sur l'application de cette loi , qui a vocation à être publié sous forme de rapport d'information et qui est également intégré à la contribution globale de la commission figurant ci-après. Dans un cadre comparable, Mmes Dominique Estrosi Sassone et Valérie Létard ont été rapporteures d'une mission sur l'évaluation de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), qui a débouché sur un rapport d'information adopté par la commission des affaires économiques le 19 mai 2021.

Pour le compte de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, Mme Marta de Cidrac a procédé au suivi de l'application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (dite loi « AGEC »), M. Didier Mandelli à ceux de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire et de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (dite « LOM ») et M. Louis-Jean de Nicolaÿ à celui de la loi du 22 juillet 2019 portant création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires .

Enfin, pour le compte de la commission des lois, Mme Marie Mercier a examiné l'application des lois relatives aux violences conjugales et intrafamiliales dont elle avait été rapporteure (loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille et loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales). Il en a été de même de M. André Reichardt pour la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, ainsi que de Mme Françoise Gatel et M. Mathieu Darnaud pour la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et la proximité de l'action publique (dite « Engagement et proximité »).


* 1 Au demeurant, la publication des décrets d'application d'une loi dans un délai raisonnable est une obligation juridique pour le Gouvernement, sanctionnée le cas échéant par la mise en cause de la responsabilité de l'État. Conseil d'État, 27 novembre 1964, Dame veuve Renard.

* 2 Compte rendu de la réunion de la commission des finances du 5 mai 2021 .

* 3 Délégation en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances.

* 4 Le compte rendu de l'audition de la secrétaire générale du Gouvernement figure en annexe au présent rapport.

* 5 Compte rendu de la réunion de la commission des affaires économiques du 5 mai 2021 .

* 6 Article 19 bis A du Règlement du Sénat.

* 7 « Il peut être confirmé dans ces fonctions à l'issue du renouvellement. Les commissions permanentes peuvent désigner, dans les mêmes conditions, un autre rapporteur à cette fin. »

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