B. UNE INTERACTION AVEC LE GOUVERNEMENT FRUCTUEUSE MAIS QUI PRÉSENTE DES LIMITES

1. Des échanges en amont, permettant de se concentrer sur les difficultés persistantes

Après rapprochement des états établis au 31 mars, les commissions échangent avec les services correspondants au sein des administrations afin de déterminer les raisons qui ont empêché ou retardé la parution de certains textes. Cela permet d'enrichir l'aspect qualitatif du contrôle et d'éviter d'éventuelles incompréhensions. M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, a récemment rappelé l'intérêt de cette pratique, citant l'exemple d'arrêtés qui auraient dû être pris en application de l'article 41 de la loi du 13 juillet 2018 de programmation militaire pour 2019-2025 : « un échange avec la direction des affaires juridiques du ministère des Armées a permis de comprendre les raisons de la non-parution de ces arrêtés : l'article [...] est entaché d'une « malfaçon » qui sera corrigée par l'article 26 de la proposition de loi pour une sécurité globale. » 8 ( * )

Une interaction complémentaire est organisée entre le Sénat et le Secrétariat général du Gouvernement pour apurer d'éventuelles divergences d'interprétation . Dès lors, plutôt que de se situer « dans le registre du satisfecit », comme l'a souligné Mme Catherine Di Folco, l'audition de la Secrétaire générale du Gouvernement permet de relever des difficultés techniques ou juridiques . Les interrogations persistantes, qui relèvent souvent de considérations plus politiques, telle l'application d'une disposition législative en décalage avec la volonté exprimée par le législateur lors de son examen, sont ensuite abordées dans le cadre du débat en séance publique avec le ministre chargé des relations avec le Parlement.

Cette interaction a permis d'aboutir à une convergence relative des taux globaux d'application des lois calculés par le Sénat et le Gouvernement. Le Sénat a ainsi calculé deux taux d'application : le premier, qui prend en compte les mesures dont le législateur a prévu une entrée en vigueur différée (dites « mesures différées ») est de 62 % ; il passe à 69 % lorsqu'on exclut ces mesures. Leur nombre élevé - 78 selon l'estimation du Sénat - explique l'écart entre les deux chiffres. Au cours de la session écoulée, ces mesures différées concernaient essentiellement les textes relevant des compétences respectives de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires sociales.

Le taux d'application calculé par les services du Secrétariat général du Gouvernement , également hors mesures différées, est quant à lui de 73 % , en retrait de presque dix points par rapport à la session 2018-2019.

Cette convergence relative entre les taux de 69 % et 73 % calculés par le Sénat et le Secrétariat général du Gouvernement, permise par une harmonisation des modes de calcul, n'empêche pas des divergences d'interprétation sur la nature des mesures . Certaines d'entre elles sont en effet considérées comme restant à prendre par le Sénat et pas par le Gouvernement. C'est le cas, par exemple, des mesures réglementaires nécessaires à l'application de l'article 118 de la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, qui prévoit la création d'un droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine. Jugeant la constitutionnalité de ces dispositions problématique, le Conseil d'État a invité le Gouvernement à surseoir à la prise du décret prévu pour son application et à élaborer, dans l'attente, un projet de loi garantissant la constitutionnalité de ces dispositions. Le Sénat considère, à l'inverse, que, aucun contrôle de constitutionnalité n'ayant été opéré sur ces dispositions, celles-ci, dans la mesure où elles ont été adoptées par le législateur, restent en vigueur et devraient pouvoir être appliquées 9 ( * ) .

2. Un regret qui perdure : l'absence de suivi des arrêtés par le Secrétariat général du Gouvernement

C'est toutefois l'absence de suivi des arrêtés par le Secrétariat général du Gouvernement qui constitue la raison principale de l'écart qui subsiste entre le taux d'application des lois qu'il affiche et celui du Sénat . Aux dires de la Secrétaire générale, cette absence résulte de facteurs humains et de considérations juridiques.

Si le Secrétariat général du Gouvernement peut recenser l'ensemble des décrets pris par l'exécutif, ses effectifs réduits ne lui permettraient pas de suivre les quelques 8 000 arrêtés pris annuellement par les ministères : « imaginer que le SGG puisse être la tour de contrôle de la production des arrêtés conduirait à un bouleversement complet de sa physionomie ».

Sur le plan juridique, tout en demeurant ouverte à une réflexion sur « des modes d'aiguillonnage des départements ministériels », le Secrétariat général du Gouvernement explique cette restriction au suivi des seuls décrets d'application des lois par la raison que le Premier ministre en est l'auteur.

Quoi qu'il en soit, cette position de principe complique le contrôle de l'application des lois. Le Sénat ne peut que le regretter. Pour l'application d'une loi, peu importe , en effet, que la disposition adoptée renvoie à un décret ou à un arrêté : la non-adoption de l'un ou de l'autre a pour effet, dans les deux cas, d'empêcher la volonté du législateur de se traduire pleinement dans le droit et dans les faits. En outre, conformément à l'article 21 de Constitution, seul le Premier ministre « exerce le pouvoir réglementaire » 10 ( * ) de droit commun. En dehors du pouvoir d'organisation de leurs services, les ministres ne sont associés à son exercice qu'en vertu d'une délégation accordée par une loi ou un décret. Le Premier ministre a donc à répondre des actes de ses ministres et, à ce titre, le Secrétariat général du Gouvernement n'outrepasserait pas son rôle s'il suivait la publication des arrêtés. Les commissions permanentes du Sénat y veillent d'ailleurs, chacune dans leur domaine de compétences.

Cette année, ce sont les commissions des finances, des affaires sociales ainsi que de l'aménagement du territoire et du développement durable qui pâtissent de la plus faible applicabilité des mesures appelant arrêté . Sur les 47 mesures appelant arrêté et relevant de la compétence de la commission des finances, seules 26 ont reçu application.

S'agissant des textes renvoyés à la commission des affaires sociales, le rapport est plus défavorable, avec sept arrêtés pris sur 52 prévus, et il est quasi nul pour la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qui recense un arrêté pris parmi les 14 prévus dans son champ de compétences.

Le contrôle de l'application des lois exhaustif et minutieux opéré par le Sénat ne saurait faire l'économie du suivi exhaustif des arrêtés, non seulement nécessaire, mais aussi utile. Lors de son audition, la Secrétaire générale du Gouvernement a d'ailleurs répondu à plusieurs questions des représentants des commissions sur le sujet 11 ( * ) . À cette occasion, le président de la commission des finances a rappelé le caractère « indispensable » d'un meilleur suivi de la publication des arrêtés. La commission des finances recommande ainsi, afin de faciliter et développer le suivi des arrêtés attendus pour l'application d'une disposition légale, d'enrichir les rapports prévus par l'article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit en incluant un commentaire sur chaque arrêté prévu par la loi.


* 8 Compte rendu de la réunion de la commission des affaires étrangères du 5 mai 2021 .

* 9 Cf infra, contribution de la commission des Lois.

* 10 Selon l'article 13 de la Constitution, le Président de la République dispose également d'une compétence d'attribution sur les ordonnances et les décrets délibérés en conseil des ministres, laquelle a été progressivement élargie.

* 11 Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, l'a interrogée sur le calendrier de parution de l'arrêté fixant la liste des traitements et pathologies concernées par une adaptation possible par les infirmiers en application d'un décret du 3 février 2021 et celui de l'arrêté concernant la réingénierie du diplôme d'aide-soignant, et M. Claude Raynal, président de la commission des finances, a rappelé sa préoccupation quant à la prise de l'arrêté devant fixer les conditions d'application de l'article 66 de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, qui oblige certaines entreprises dans lesquelles l'État détient une participation à tenir des engagements climatiques.

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