II. LA LOI N'A TOUTEFOIS PAS ENTRAÎNÉ, DANS SON SILLAGE, UNE FÉMINISATION DE LA GOUVERNANCE ET DE LA DIRECTION OPÉRATIONNELLE DE TOUTES LES ENTREPRISES

La loi de 2011 a permis des avancées considérables en matière de parité économique mais elle a aujourd'hui atteint ses limites.

Deux principales « zones d'ombre » entourent aujourd'hui l'application de cette loi :

- la loi de 2011 ne concerne pas de la même façon toutes les entreprises ;

- la loi ne concerne que les conseils d'administration et de surveillance des entreprises entrant dans son champ d'application. Les instances décisionnaires, telles que les comités de direction (Codir) et les comités exécutifs (Comex), n'entrent pas dans le champ d'application de la loi. On peut légitimement en conclure que la parité économique s'est finalement arrêtée aux « portes du pouvoir », comme le soulignait le HCE dans son rapport de décembre 2019 intitulé Accès des femmes aux responsabilités et rôle levier des financements publics .

Lors de son audition par la délégation, notre collègue députée Marie-Pierre Rixain, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, l'a ainsi formulé : « la loi Copé-Zimmermann a (...) produit ses effets et prouvé son efficacité. Malheureusement, (...) elle n'a pas entraîné dans son sillage la féminisation de la direction opérationnelle des entreprises, non pas parce que le texte de loi manquait d'ambition, mais parce que des résistances à l'entrée des femmes dans la sphère économique sont encore trop puissantes ».

A. LA PARITÉ RESTE LIMITÉE DANS LA GOUVERNANCE DES ENTREPRISES HORS GRANDES CAPITALISATIONS BOURSIÈRES

La loi de 2011 ne concerne pas de la même façon toutes les entreprises.

En effet, comme indiqué précédemment, les quotas imposés par la loi de 2011 n'ont été atteints que dans les entreprises cotées du SBF 120.

Pour les plus petites capitalisations , les femmes étaient encore moins d'un tiers dans les conseils d'administration en 2018. Les entreprises non cotées, de 500 salariés et plus et d'au moins 50 millions d'euros de chiffre d'affaires, comptaient, elles, moins de 25 % de femmes au sein de leur conseil d'administration en 2019. Enfin, les entreprises de 250 salariés et plus et 50 millions de chiffre d'affaires, concernées par les mêmes quotas depuis le 1 er janvier 2020, n'ont pas encore atteint l'objectif de 40 % de femmes dans les conseils d'administration et de surveillance.

Trop peu de femmes sont donc encore représentées au sein des conseils d'administration et de surveillance des entreprises hors grandes capitalisations boursières.

Ainsi que le rappelait Françoise Savés, présidente de l'AFEC, lors de la table ronde de la délégation le 21 janvier 2021, « l'application de la loi de 2011 est imparfaite. En effet, seules les entreprises très médiatisées l'appliquent, parmi les 625 entreprises de la cote que nous suivions et à laquelle nous avons ajouté les entreprises cotées sur le marché Alternext . Plus on descend dans le classement, plus on perd les entreprises pour arriver à peine à 28 % ».

Même au sein des conseils appliquant la loi, les inégalités de genre ne sont pas pour autant éradiquées .

Dans une tribune 8 ( * ) publiée par Le Monde le 26 janvier 2021, les économistes Sophie Harnay et Antoine Rebérioux indiquaient ainsi : « on notera, pour s'en tenir au SBF 120 (les 120 plus grandes sociétés d' Euronext Paris ), que, selon nos calculs à partir des rapports annuels des sociétés, seules 17 % d'entre elles présentent une part d'administratrices supérieure ou égale à 50 %. La parité au sein des conseils n'est donc pas encore parfaite, les femmes représentant pourtant plus de la moitié de la main-d'oeuvre française. Ensuite, la parité ne signifie pas l'égalité ». Ils poursuivaient en expliquant que « si la loi Copé-Zimmermann a bien brisé le plafond de verre qui s'exerçait à l'entrée des conseils, elle n'a pas mis à bas les barrières à l'intérieur des conseils . Ces derniers sont organisés en différents comités dédiés à des tâches particulières (audit, choix du directeur général, RSE, etc.) ; les administrateurs sont répartis entre ces divers comités. Or, aujourd'hui comme hier, l'accès des femmes aux comités les plus stratégiques et les mieux rémunérés (le comité d'audit notamment) est limité. Et lorsque des femmes président ces comités, ce sont bien moins souvent les comités d'audit que les comités RSE - un exemple édifiant de répartition genrée des rôles... ».

Ainsi, on ne compte que 26 % de femmes dans les comités stratégiques des entreprises en 2021.

En outre, certaines entreprises entrant pourtant dans le champ d'application de la loi ne disposent pas toujours d'un organe de gouvernance collégial. C'est le cas notamment des sociétés par action simplifiée (SAS) ainsi que le rappelait également la présidente de l'AFEC : « des sociétés qui pourraient être concernées suivant les seuils d'effectif et de chiffre d'affaires n'ont pas d'organe de gouvernance collégial (conseil d'administration ou de surveillance, Comex, Codir, etc.) ; c'est notamment le cas des sociétés par action simplifiée (SAS), dont la gouvernance est organisée en toute liberté, selon les statuts définis par l'entreprise elle-même ».

La question du contrôle de l'application de la loi dans les sociétés non cotées , par définition moins scrutées par les analystes financiers que les grandes sociétés et les sociétés cotées de façon générale, se pose donc. Des progrès restent en effet à accomplir de ce point de vue, notamment au sein des entreprises de taille intermédiaire (ETI), car le risque de plafonnement de la proportion de femmes à des niveaux inférieurs à ceux fixés par la loi existe.

Dans ce contexte, « il apparaît nécessaire de communiquer davantage auprès des entreprises pour leur rappeler leurs obligations, mais aussi les sanctions qu'elles encourent, car aujourd'hui le quota n'est pas atteint dans un grand nombre d'entre elles » ainsi que le préconisait Anne-Françoise Bender, maîtresse de conférence au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), lors de son intervention devant la délégation le 21 janvier 2021.

De même, Marie-Jo Zimmermann appelait, lors de cette table ronde, à un « contrôle renforcé, et pas seulement pour les entreprises du CAC 40 ou du SBF 120, mais pour toutes les entreprises que Najat Vallaud-Belkacem a intégrées dans la loi de 2014 ».

La question du contrôle de l'application de la loi est donc primordiale . Si le suivi de l'application de la loi est transparent s'agissant des grandes capitalisations boursières, il est plus aléatoire pour les autres entreprises non cotées pourtant aujourd'hui, en grande partie, soumises aux mêmes dispositifs contraignants. L'État manque d'outils et surtout de moyens pour contrôler l'application des dispositifs de paritéqu'il a instaurés.

En outre, toutes les entreprises n'entrent pas dans le champ d'application de la loi de 2011 . Notre collègue Alexandra Borchio Fontimp, membre de la délégation aux droits des femmes et par ailleurs membre du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), le soulignait lors de la table ronde précitée du 21 janvier 2021 : « dans les PME, où cette loi ne s'applique pas, moins de 18 % des femmes sont représentées (...) C'est un premier constat d'insuffisance : quand il n'y a pas de quota, la part des femmes reste en deçà de 20 %. Le cas des PME montre bien la limite des pratiques d'autorégulation ».


* 8 Sophie Harnay et Antoine Réberioux « La gouvernance des entreprises reste un univers fortement genré, pour ne pas dire masculin » - tribune publiée par Le Monde le 26 janvier 2021.

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