Rapport d'information n° 785 (2020-2021) de M. François-Noël BUFFET , fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 juillet 2021

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N° 785

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 juillet 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur les dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales de juin 2021 ,

Par M. François-Noël BUFFET,
Rapporteur

MM. Stéphane LE RUDULIER, Éric KERROUCHE, Mme Nathalie GOULET, M. Alain RICHARD, Mme Cécile CUKIERMAN, MM. Jean-Yves ROUX, Guy BENARROCHE et Dany WATTEBLED

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Ludovic Haye, Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

AVANT-PROPOS

Le récit des semaines qui ont précédé les élections départementales et régionales des 20 et 27 juin 2021 ressemble à la chronique d'un désastre annoncé.

Le 25 mai 2020, quelques jours après l'expiration du délai imparti aux candidats aux élections départementales pour remettre leurs bulletins de vote et professions de foi aux commissions de propagande, des employés municipaux d'Hérimoncourt (Doubs) découvrent plusieurs centaines d'enveloppes jonchant le sol à la lisière d'une forêt, contenant les documents du seul binôme de candidats en lice dans le canton de Delle (Territoire de Belfort), Anaïs Monnier-Von Aesch et le sénateur Cédric Perrin. Une cinquantaine d'enveloppes avaient été incendiées, comme le rapporte l'édition du lendemain de L'Est républicain .

L'Est républicain , 26 mai 2021

Le 26 mai, le maire de Vovray-en-Bornes (Haute-Savoie), Xavier Brand, signale à la préfecture avoir fait une découverte similaire sur le territoire de la commune de Copponex.

Dans les jours et les semaines qui suivent, les témoignages d'habitants et d'élus, faisant état de dysfonctionnements plus ou moins graves dans la distribution des plis de propagande - principalement dans les régions où celle-ci avait été confiée à la société Adrexo - affluent auprès des préfectures et de l'administration centrale du ministère de l'intérieur : plis distribués au hasard dans les boîtes aux lettres ou déposés en tas dans les halls d'immeuble, boîtes aux lettres bourrées d'enveloppes, propagande retrouvée dans des poubelles, absence de distribution dans des communes entières...

Photos adressées aux préfectures de Haute-Savoie et du Bas-Rhin (respectivement le 26 mai et le 4 juin 2021)
Source : ministère de l'intérieur

Courriel d'Édith Legrand, maire de Bergesserin, à la préfecture de Saône-et-Loire (6 juin 2021)
Source : ministère de l'intérieur

À l'approche des scrutins, les signaux d'alarme se multiplient . Le mercredi 16 juin, lors des questions d'actualité au Gouvernement au Sénat, Pierre Louault, sénateur d'Indre-et-Loire, interpelle le Gouvernement sur ces dysfonctionnements, après la situation déjà « catastrophique » constatée lors des élections législatives partielles des 30 mai et 6 juin, et il demande des engagements en vue de la suite des opérations. Le même jour, le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, reconnaît sur le réseau Twitter des difficultés « dans quelques communes » seulement...

Source : Twitter

Dès le soir du premier tour, le 20 juin, dans une allocution télévisée, le Président du Sénat, Gérard Larcher, appelle solennellement le ministre de l'intérieur à assurer la distribution des documents de propagande dans des conditions plus satisfaisantes en vue du second tour. Le lendemain matin, les dirigeants des deux prestataires, La Poste et Adrexo, sont convoqués place Beauveau, où il leur est demandé d'être « imaginatifs » - ce qui conduira Adrexo à sous-traiter à La Poste, au second tour, une partie de la prestation qui lui incombait.

Face à la gravité et à la multiplicité des dysfonctionnements dont témoignent citoyens et élus locaux, la commission des lois du Sénat entend, dès le mercredi 23 juin, Gérald Darmanin, responsable, en tant que ministre de l'intérieur, du déroulement des opérations électorales.

Si le ministre de l'intérieur reconnaît alors des dysfonctionnements, il relativise immédiatement leur impact sur l'abstention massive constatée au premier tour. Les explications qu'il donne des défaillances constatées sont, en outre, assez confuses et, pour une part, manifestement erronées.

Dans la foulée de cette audition, la création d'une mission d'information est décidée au sein de la commission des lois 1 ( * ) . Par un vote du Sénat, elle est dotée le lendemain, 24 juin, des pouvoirs d'une commission d'enquête.

Malgré l'émotion publique et les efforts de l'administration, la situation, loin de s'améliorer, s'aggrave dans l'entre-deux-tours, notamment en ce qui concerne les élections régionales. Il est désormais établi qu' au moins quatre Français sur dix n'ont pas reçu les documents de propagande remis par les listes restant en ballottage dans la perspective du second tour des élections .

Depuis cette date, le travail d'enquête que la mission d'information a souhaité mener dans les meilleurs délais, sur la base d'une série d'auditions et de l'analyse de nombreux documents dont elle a obtenu communication en application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires , a permis de mesurer plus exactement l'ampleur du fiasco et de mieux en comprendre les raisons. Il conduit aussi à formuler plusieurs recommandations afin de sécuriser la tenue des prochains scrutins.

Les conclusions de la mission d'information
dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête

Un fiasco sans précédent

Au terme de ses travaux, la mission d'information constate que les chiffres et la variété des incidents dont il a été fait état, dans les jours qui ont suivi le premier comme le second tour des élections de juin 2021, ont été manifestement sous-estimés tant par le ministre de l'intérieur que par les opérateurs chargés de la logistique électorale.

Au premier tour, les chiffres avancés par la société Adrexo (5,3 % de non-distribution aux élections départementales et 7,2 % aux régionales) doivent être confrontées aux remontées des préfectures qui, toutes sans exception, font état de graves difficultés d'acheminement dans les zones couvertes par cette société. Les statistiques fournies par La Poste semblent plus plausibles (9,5 % de non-distribution aux deux catégories d'élections).

Au second tour, de l'aveu même des opérateurs, 26,6 % des électeurs n'ont reçu aucune propagande pour les élections départementales et 40,3 % pour les élections régionales, cette proportion se montant même à plus de 90 % dans plusieurs départements. Encore ces statistiques sont-elles vraisemblablement sous-évaluées, comme en témoignent les discordances relevées par les élus et les préfectures.

Un enchaînement de dysfonctionnements à plusieurs étapes du processus d'acheminement du matériel électoral

Les dysfonctionnements constatés résultent d'une pluralité de facteurs, qui tiennent à la fois à certains choix discutables de l'administration et à l'impossibilité pour certains opérateurs privés d'offrir le niveau et la qualité de service auxquels ils s'étaient contractuellement engagés.

La complexité de l'organisation des opérations de propagande électorale ainsi que la spécificité de la tenue d'une double élection simultanée - élections départementales et élections régionales - pourtant décidée par le législateur dès 2013, n'ont manifestement pas été pris suffisamment en considération. Cette attitude a conduit à une multiplication de difficultés à plusieurs stades du déroulement des opérations préélectorales qui, par agrégation, ont abouti à un véritable fiasco, sans commune mesure avec les quelques difficultés récurrentes qui peuvent, il est vrai, se rencontrer dans la plupart des scrutins.

Les dysfonctionnements relevés sont, en premier lieu, largement imputables à l'attribution par le ministère de l'intérieur - au niveau central comme au niveau des préfectures - de l'organisation d'une partie des opérations de mise sous pli, de routage et de distribution à des opérateurs qui n'en avaient pas la capacité opérationnelle. La rédaction des cahiers des charges et les modalités d'examen des offres n'ont en effet pas permis de s'assurer pleinement de la capacité réelle des soumissionnaires à exercer les missions qui leur étaient contractuellement assignées.

En second lieu, certaines entreprises choisies pour assurer la distribution, mais aussi la mise sous pli et le routage, n'ont visiblement pas pris la mesure des efforts logistiques à mettre en oeuvre pour répondre aux besoins identifiés par l'administration, que ce soit au stade de la formulation de leurs offres ou lors de l'exécution des marchés. À cet égard, il doit être souligné que les prestations concernées relevaient, pour le distributeur Adrexo, d'une activité exercée jusqu'alors de manière très accessoire ; pour Koba Global Services, elles impliquaient un effort logistique particulièrement important eu égard au nombre de marchés locaux qui lui avaient été attribués par les préfectures.

12 recommandations pour garantir l'indispensable information
des électeurs lors des prochains scrutins

À quelques mois d'échéances électorales majeures pour la vie démocratique de notre pays, il est urgent de prendre les mesures nécessaires pour que les défaillances constatées ne se reproduisent pas, sous peine d'entacher la sincérité des scrutins, de détourner plus encore nos concitoyens des urnes et d'affaiblir la légitimité des élus.

Recommandation n° 1 : Inviter le ministère de l'intérieur à poursuivre les investigations sur les manquements des distributeurs, notamment de la société Adrexo, et à envisager le cas échéant la résiliation de l'accord-cadre dès cette année.

Recommandation n° 2 : Ne pas exclure, le cas échéant, l'attribution de tous les lots du marché à un même opérateur postal, sans pour autant lui octroyer un monopole ou le soustraire à toute mise en concurrence, ce qui serait contraire au droit européen.

Recommandation n° 3 : Revoir les critères de sélection des candidats au marché de la distribution des plis électoraux, pour donner la prépondérance aux moyens opérationnels.

Recommandation n° 4 : Mieux associer l'administration centrale du ministère de l'intérieur à la passation des marchés locaux de mise sous pli, et contrôler le volume des prestations confiées à chaque entreprise de routage au niveau national.

Recommandation n° 5 : Exclure toute dématérialisation intégrale de la propagande électorale.

Recommandation n° 6 : Afin de limiter le nombre de plis non distribués, mieux tirer parti des bases d'adresses des opérateurs postaux pour corriger le fichier des électeurs.

Recommandation n° 7 : Préciser et uniformiser les consignes de distribution à donner aux agents.

Recommandation n° 8 : Préciser, dans les clauses du marché public, les exigences minimales de formation des agents chargés de la distribution.

Recommandation n° 9 : Améliorer les systèmes de reporting imposés aux opérateurs, afin de mettre fin aux discordances entre chiffres déclarés et constatés.

Recommandation n° 10 : Informer par tous moyens les électeurs de la publication en ligne des professions de foi des candidats.

Recommandation n° 11 : Permettre aux électeurs qui en feraient la demande expresse de ne recevoir la propagande électorale que sous format numérique.

Recommandation n° 12 : En cas de concomitance de deux élections générales, porter d'une à deux semaines le délai de l'entre-deux-tours.

Quelques déclarations du Gouvernement décryptées

Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté

« Je veux être très précise : 42 millions de plis ont été confiés à Adrexo. Adrexo déclare, suite à interpellation du ministère de l'Intérieur, en avoir livré 99 %, ils nous disent qu'1 % de ces plis n'ont pas été livré. [...] Il y a donc environ 21 000 électeurs au total qui n'ont pas reçu la propagande . » (France 2, soirée électorale du 20 juin 2021)

La disproportion entre le chiffre avancé par la ministre et la réalité est abyssale. Le ministère de l'intérieur était d'ores et déjà informé, par de très nombreuses remontées des préfectures et des élus, de difficultés considérables dans l'acheminement de la propagande électorale dans les zones couvertes par Adrexo .

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur

« Seules deux sociétés sont qualifiées par l'Arcep pour répondre à l'appel d'offres, et comme la loi nous oblige à faire des lots, nous devons retenir les deux sociétés... » (Sénat, commission des lois, 23 juin 2021) « Ces sociétés sont les deux seules que l'Arcep, autorité administrative indépendante, a validées comme pouvant concourir à ces marchés. (...) Selon les règles en vigueur et voulues par le législateur, l'autorité a considéré que la société Adrexo était capable de répondre à ce marché. » (Assemblée nationale, commission des lois, 29 juin 2021)

Ces déclarations sont trompeuses à plusieurs égards .

1° Il existe une cinquantaine d'opérateurs autorisés à délivrer des services postaux de distribution du courrier, même si deux d'entre eux seulement exercent cette activité sur tout le territoire national ou la plus grande partie de celui-ci.

L'autorisation délivrée par l'Arcep ne certifie pas la capacité des opérateurs à exécuter n'importe quelle prestation de distribution de courrier , quelles qu'en soient l'ampleur et les contraintes. En l'occurrence, il appartenait au ministère de l'intérieur, pouvoir adjudicateur, de s'assurer de la capacité de ses cocontractants à honorer leurs obligations.

Aucune règle n'impose à un acheteur public, en cas de pluralité de candidatures, de répartir les lots d'un marché public entre les différents candidats . Tout au contraire, il a l'obligation d'attribuer chaque lot au candidat le mieux-disant pour ce lot.

« Quand La Poste ne trouve pas les destinataires du courrier dans l'immeuble, elle reprend les plis, ce qui n'a pas été le cas d'Adrexo, qui les a laissés sur place, jetés ou brûlés... » (Sénat, commission des lois, 23 juin 2021)

Le ministre oubliait d'indiquer que le ministère lui-même a, pendant un temps, donné instruction à la société Adrexo de laisser les plis de propagande en tas dans les halls d'immeubles, en cas d'impossibilité d'identifier les boîtes aux lettres des destinataires .

« La France est à peu près le seul pays à organiser l'information électorale de cette manière. » (Sénat, commission des lois, 23 juin 2021) « La France est aussi le seul pays où la propagande électorale est envoyée gratuitement à l'ensemble des électeurs. » (Assemblée nationale, commission des lois, 29 juin 2021)

La France n'est nullement le seul pays où la distribution de la propagande électorale soit prise en charge par la puissance publique, au moins financièrement .

Jean-Benoît Albertini, secrétaire général du ministère de l'intérieur

« Le code de la commande publique dresse une liste limitative d'éléments qu'il est possible de demander. (...) Nous nous en sommes tenus au strict respect de ce que le code prévoit qu'un client puisse demander à des candidats prestataires . » (Sénat, commission des lois, 12 juillet 2021 - en réponse à une question de François-Noël Buffet, président de la commission et rapporteur de la mission d'information, sur la vérification par le ministère des capacités économiques et financières des candidats au marché de distribution)

Ces affirmations sont erronées . Depuis le 1 er avril 2016, le droit de la commande publique ne limite plus les informations qu'un acheteur public peut exiger des candidats à un marché public pour s'assurer de leurs capacités économiques et financières 2 ( * ) .

I. LA PROPAGANDE ÉLECTORALE ET SA PRISE EN CHARGE PAR L'ÉTAT

A. UNE GARANTIE POUR LA SINCÉRITÉ DU SCRUTIN

La loi désigne comme « documents de propagande électorale » les circulaires (aussi appelées « professions de foi ») et les bulletins de vote dont l'envoi et la distribution peuvent être confiés gratuitement par les candidats, binômes ou listes de candidats aux commissions de propagande électorale instituées localement avant chaque élection 3 ( * ) .

Les commissions de propagande

Des commissions de propagande sont instituées à l'occasion de la plupart des élections politiques, en application de textes législatifs spéciaux 4 ( * ) . Elles sont néanmoins régies par des règles communes, énoncées aux articles R. 31 et suivants du code électoral.

Ces commissions sont instituées par arrêté préfectoral dans le cadre des circonscriptions électorales, étant entendu qu'une même commission peut être commune à plusieurs circonscriptions et plusieurs élections. Elles sont installées au plus tard à l'ouverture de la campagne électorale, c'est-à-dire, en règle général, quinze jours avant le scrutin (ou, le cas échéant, le premier tour).

Chaque commission de propagande est présidée par un magistrat désigné par le premier président de la cour d'appel. Elle comprend en outre un fonctionnaire désigné par le préfet et un représentant de l'opérateur chargé de l'envoi de la propagande. Des suppléants peuvent être désignés dans les mêmes conditions.

Le secrétariat est assuré par un fonctionnaire désigné par le préfet.

Les candidats, leurs remplaçants ou leurs mandataires peuvent participer, avec voix consultative, aux travaux de la commission concernant leur circonscription.

Le président fixe, en accord avec le préfet, le lieu où la commission doit siéger.

L'élaboration et l'impression de ces documents sont laissées aux soins des candidats , qui sont néanmoins tenus de respecter des prescriptions légales et réglementaires régissant leur format (taille, couleur, grammage du papier...) et leur contenu (prohibition de l'utilisation de l'emblème national, interdictions spécifiques aux bulletins de vote) 5 ( * ) .

Après s'être assurée que les documents sont conformes à ces prescriptions 6 ( * ) , la commission de propagande est chargée :

- d'une part, d' adresser à tous les électeurs de la circonscription , au plus tard le mercredi précédant le premier tour de scrutin et, en cas de ballottage, le jeudi précédant le second tour une circulaire et un bulletin de vote de chaque candidat, binôme ou liste ;

- d'autre part, d' envoyer dans chaque mairie de la circonscription , dans les mêmes délais, les bulletins de vote de chaque candidat, binôme ou liste en nombre au moins égal à celui des électeurs inscrits . Il appartient au maire de répartir ces bulletins entre les différents bureaux de vote de la commune, le cas échéant 7 ( * ) .

La prise en charge par l'État de l'acheminement auprès des électeurs de la propagande électorale des candidats constitue une garantie, parmi d'autres, de la sincérité du scrutin . Elle assure la bonne information des électeurs et réduit l'inégalité des moyens dont les candidats disposent pour faire campagne. Elle permet aussi aux électeurs qui le souhaitent de préparer leur vote depuis chez eux, en se munissant du bulletin de vote choisi avant de se déplacer au bureau de vote.

La prise en charge de l'acheminement des bureaux de vote en mairie participe, de son côté, à l'organisation matérielle du scrutin .

B. LES OPÉRATIONS PRISES EN CHARGE PAR L'ÉTAT : MISE SOUS PLI, COLISAGE ET DISTRIBUTION

En pratique, ces deux missions se décomposent en plusieurs opérations .

Avant d'être adressés aux électeurs, les circulaires et bulletins de vote des différents candidats, binômes ou listes de candidats de la circonscription doivent être assemblés et mis sous enveloppe à l'adresse de chaque électeur : c'est l'opération de mise sous pli . Les plis sont ensuite remis à un opérateur postal en vue de leur distribution au domicile des électeurs : c'est la distribution .

De même, les bulletins de vote doivent être conditionnés de manière à ce que chaque mairie reçoive, pour chaque candidat, binôme ou liste, un nombre de bulletins égal au nombre des électeurs qui y sont inscrits, ce que l'on appelle le colisage , après quoi les colis sont acheminés en mairie.

Chacune de ces opérations pourrait, en théorie, être effectuée en régie par les services de l'État . En pratique :

- la mise sous pli et le colisage sont tantôt réalisés par les services préfectoraux , tantôt délégués aux communes ou à certaines d'entre elles, tantôt confiés à un ou plusieurs prestataires privés , titulaires de marchés publics de services conclus au niveau local, par la préfecture de département ou de région ; selon le montant du marché, celui-ci peut ou non donner lieu à publicité et mise en concurrence préalables, en application du droit européen et national de la commande publique 8 ( * ) ;

- la distribution des plis aux électeurs est confiée à l'un ou l'autre des deux opérateurs postaux titulaires d'un marché public conclu, au niveau national et après publicité et mise en concurrence, par le ministère de l'intérieur, à savoir les sociétés La Poste 9 ( * ) et Adrexo 10 ( * ) ;

- l'acheminement des colis de bulletins de vote en mairie fait également l'objet d'un marché public conclu au niveau national et alloti par zones géographiques, dont sont actuellement titulaires les sociétés SVP Transport (en Île-de-France hors Paris), Geodis (à Paris) et La Poste (dans le reste de la France).

La distribution de plis et l'acheminement de colis constituent des services postaux au sens de l'article L. 1 du code des postes et des communications électroniques, domaine d'activité dans lequel s'applique le principe de libre concurrence 11 ( * ) . Toutefois, les plis constituent des « envois de correspondance » au sens de l'article L. 3 du même code, dont la levée, le tri, l'acheminement et la distribution sont soumis à l'autorisation préalable de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) . Les deux prestataires choisis par le ministère de l'intérieur, La Poste et Adrexo, sont titulaires d'une telle autorisation, comme quarante-huit autres opérateurs.

Schéma des opérations liées à l'acheminement
des documents de propagande électorale

Source : commission des lois du Sénat

C. LE CALENDRIER DES OPÉRATIONS

Les candidats, binômes et listes de candidats qui souhaitent obtenir le concours de la commission de propagande sont tenus de lui remettre leurs professions de foi et bulletins de vote avant une date fixée par arrêté préfectoral . Cette date est nécessairement comprise dans l'intervalle entre la date limite de dépôt des candidatures - elle-même fixée, pour les élections départementales, par arrêté préfectoral et, pour les élections régionales, par décret - et l'échéance fixée par la loi pour l'envoi des documents aux électeurs et aux mairies par les commissions de propagande.

Compte tenu de l' allongement exceptionnel d'une semaine de la durée de la campagne électorale en vue du premier tour des élections départementales et régionales de juin 2021 , décidé par le législateur 12 ( * ) , une date limite plus précoce qu'habituellement a été fixée pour le dépôt des candidatures en vue du premier tour, à savoir le mercredi 5 mai 2021 pour les élections départementales 13 ( * ) et le lundi 17 mai pour les élections régionales 14 ( * ) . La date limite de remise des professions de foi et bulletins de vote aux commissions de propagande électorale a, quant à elle, varié d'un département à l'autre .

En vue du second tour, qui intervient pour l'ensemble des élections, à l'exception de l'élection présidentielle, une semaine après le premier, le calendrier fut comme toujours très resserré .

Aux élections départementales, les binômes de candidats avaient jusqu'au lundi 21 juin à 18 heures (au lieu de 16 heures habituellement) pour déposer leur candidature 15 ( * ) et jusqu'au mardi 22 juin à 18 heures pour remettre leurs documents de propagande. Aux élections régionales, la date limite de dépôt des candidatures était fixée au mardi 22 juin à 18 heures 16 ( * ) , celle de remise des documents aux commissions de propagande à la même heure et celle de livraison des documents sur les sites de mise sous pli le lendemain à 8 heures.

Le code électoral, comme il a été rappelé, impose aux commissions de propagande d'envoyer les plis et colis au plus tard le mercredi précédant le premier tour et le jeudi précédant le second tour.

S'agissant de la distribution des plis aux électeurs, l'examen des pièces des marchés publics communiquées à la mission d'information montre qu' il était convenu avec les routeurs que les plis soient remis aux distributeurs avant le mercredi précédant le premier tour (soit, en l'occurrence, le 16 juin) à 18 heures ou, pour l'éventuel reliquat, avant minuit, et le jeudi précédant le second tour (soit le 24 juin) à 18 heures ou, pour le reliquat, avant minuit . Quant aux distributeurs, le contrat passé avec eux prévoit la distribution des enveloppes électorales dans les boîtes aux lettres des électeurs « dans le délai le plus court, avant l'élection, à J+4, J+3 ou J+2, J étant le jour de l'enlèvement des plis 17 ( * ) », ce qui implique que les plis leur soient remis avant jeudi minuit afin qu'ils parviennent aux électeurs au plus tard la veille du scrutin.

Chronologie de la propagande électorale
(élections départementales et régionales des 20 et 27 juin 2021)

Source : commission des lois du Sénat

La prise en charge de la propagande par la puissance publique :
comparaisons internationales

Royaume-Uni

L'État britannique finance l'envoi de la propagande électorale en version papier au domicile des électeurs pour les élections nationales . En effet, aux termes de la section 91 de la loi de 1983 sur la représentation du peuple ( Representation of the People Act ), tout candidat à une élection parlementaire a droit à la prise en charge de l'envoi des documents de propagande aux électeurs de sa circonscription.

La responsabilité de l'envoi a été entièrement attribuée à la Royal Mail . Celle-ci traite directement avec les candidats et détaille les conditions auxquelles les candidats sont soumis pour pouvoir prétendre à cet envoi (poids, dimensions, etc .).

En revanche, les candidats ont la responsabilité et la charge financière du graphisme, de l'impression et de la mise sous pli des documents de propagande.

Le coût budgétaire d'envoi de la propagande électorale est important et du même ordre qu'en France, rapporté au nombre de membres du Parlement : 42,9 millions d'euros pour les élections générales de 2010 à la Chambre des communes, 48,7 millions d'euros pour celles de 2015, contre 37,6 millions d'euros pour les élections législatives de 2012 en France.

Allemagne

Le principe d'impartialité, tel qu'il est conçu en République fédérale d'Allemagne, impose à la puissance publique de ne pas connaître du contenu des documents de propagande électorale et de ne pas intervenir dans leur diffusion. En revanche, au plus tard six mois avant le scrutin, les partis peuvent demander communication des coordonnées des personnes inscrites sur les listes électorales qui n'ont pas expressément refusé de recevoir de la propagande électorale. Ils s'engagent à détruire les informations communiquées dans le mois suivant le scrutin. L'impression, le routage et la distribution de ces documents sont entièrement à la charge des partis.

L'envoi des bulletins de vote par la Deutschepost , opérateur postal historique, n'est prévu que lorsque l'électeur a demandé à recourir au vote par correspondance .

Espagne

Les partis sont responsables de l'impression, du routage et de la mise à disposition des documents de propagande électorale et perçoivent, à ce titre, une subvention.

Correos y Telégrafos , le prestataire de service postal universel, est chargé de réaliser les envois postaux de propagande électorale en vertu d'un arrêté du Conseil des ministres du 8 avril 2021 fixant ses obligations dans le cadre des élections prévues en 2021. Les partis bénéficient d'un tarif spécial de 0,006 euros par envoi dans la limite d'un envoi par électeur et jusqu'à 50 grammes. Les partis sont libres d'adresser des documents supplémentaires en s'acquittant des tarifs habituels. L'opérateur postal a l'obligation de traiter en priorité les envois électoraux durant la période électorale .

Les bulletins de vote ne sont pas adressés par voie postale, sauf si l'électeur a déclaré recourir au vote par correspondance.

Italie

Aucun envoi de propagande électorale par la puissance publique ou pour le compte de celle-ci n'est prévu par le droit italien.

Même lorsqu'il a été recouru, en septembre 2020 et en raison du contexte sanitaire, à la procédure de vote à domicile, aucun bulletin de vote n'a été envoyé aux électeurs avant le scrutin. Les bulletins ont été remis par les membres du bureau de vote itinérant chargé ensuite de les collecter.

II. LE FIASCO DES ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES ET RÉGIONALES : ÉTAT DES LIEUX PROVISOIRE

A. LES STATISTIQUES DES PRESTATAIRES CONFRONTÉES AUX REMONTÉES DE TERRAIN

1. Au premier tour : « Circulez, il n'y a rien à voir »

Au premier tour des élections départementales et régionales, si l'on en croit les tableaux de reporting fournis par les deux prestataires de distribution des plis de propagande au ministère de l'intérieur, tout s'est passé normalement ou presque . Malgré les nombreux incidents rapportés par les élus et relayés par la presse, la proportion de plis non distribués, comparée au nombre de plis livrés aux distributeurs (lui-même légèrement supérieur au volume attendu, égal au nombre d'électeurs), aurait été conforme à ce qui s'observe habituellement, ou seulement légèrement supérieure dans les départements confiés à La Poste. Ces cas de non-distribution auraient donc les mêmes causes qu'à l'accoutumée, et tiendraient notamment au défaut d'actualisation des listes électorales ou à l'imprécision des adresses postales figurant sur celles-ci . Il faut cependant noter que, depuis l'entrée en vigueur du répertoire électorale unique en 2019, les électeurs peuvent s'inscrire, en règle générale, jusqu'au sixième vendredi précédant le scrutin, ce qui devrait limiter le nombre de mauvaises inscriptions.

Les statistiques avancées par les opérateurs postaux
sur la distribution des plis électoraux au premier tour

Plis distribués

Plis non distribués

Départementales

Adrexo

20 419 522

1 144 158

La Poste

19 538 662

2 044 569

Régionales

Adrexo

21 260 567

1 601 829

La Poste

23 481 514

2 220 947

Commission des lois du Sénat

Ces statistiques agrégées au niveau national masquent cependant des disparités territoriales importantes , surtout dans le cas d'Adrexo : toujours selon les chiffres fournis par l'opérateur, le taux de non-distribution aurait varié de 1 % (dans la Marne) à 19 % (dans le Jura et la Nièvre) aux départementales, et de 2 % (dans le Haut-Rhin, le Pas-de-Calais, la Sarthe et la Somme) à 25 % (dans le Jura) aux régionales.

Électeurs n'ayant reçu aucune propagande 18 ( * ) au premier tour des élections
(chiffres des opérateurs)

Élections départementales

Commission des lois - Fait avec Khartis

Élections régionales

Purement déclaratifs, ces chiffres doivent être pris avec la plus grande réserve, comme le montre l'enquête diligentée par le ministère de l'intérieur auprès des préfectures le lendemain du premier tour.

Dans les 52 départements où la distribution des plis de propagande était confiée à La Poste (47 départements de métropole et 5 départements ou collectivités uniques d'outre-mer), onze préfectures ont signalé des dysfonctionnements, généralement mineurs . Parmi les plus graves, on peut mentionner le cas de la commune de Saint-Jurs, dans les Alpes-de-Haute-Provence, où aucun électeur n'aurait reçu la propagande électorale ; un mouvement de grève semble également avoir freiné la distribution en Corse-du-Sud.

En revanche, toutes les préfectures des départements où la société Adrexo était chargée de la distribution ont fait état d'anomalies, souvent graves et généralisées à l'ensemble du territoire départemental : secteurs ou communes entières non distribués, plis abandonnés dans les parties communes, sur la voie publique ou dans la nature, plis jetés à la poubelle ou détruits... Plusieurs préfectures, destinataires des tableaux de reporting départemental d'Adrexo, signalent la discordance abyssale entre les chiffres avancés et la réalité vécue par les habitants et les élus . La préfecture des Vosges, par exemple, note que le maire d'une commune avait constaté qu'aucun des habitants de celle-ci n'avait reçu la propagande électorale, alors que le reporting affichait un taux de 100 % de plis distribués....

Selon les résultats d'une enquête (à paraître) conduite par l'institut Ipsos à la demande de le Centre de recherches politiques de Sciences-Po (CEVIPOF) de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, un Français sur quatre déclare ne pas avoir reçu de propagande électorale avant le premier tour .

Enquête CEVIPOF - AMF 19 ( * )

2. Au second tour : la débâcle

Au second tour, les dysfonctionnements dans l'acheminement de la propagande électorale ont pris une telle ampleur qu'il est devenu impossible de nier l'évidence . Les chiffres fournis par les opérateurs eux-mêmes donnent le vertige.

Contrairement au premier tour, le nombre de plis effectivement pris en charge par les distributeurs s'écarte sensiblement du volume attendu , ce qui s'explique, comme on le verra, par les difficultés rencontrées au cours des étapes successives de la chaîne de production, depuis l'impression et la mise sous pli jusqu'à la livraison des enveloppes aux distributeurs. Il faut d'ailleurs compter avec le fait qu'Adrexo a sous-traité pour le second tour une partie de la distribution des plis qui lui incombaient à La Poste.

Proportion des plis pris en charge par les distributeurs au second tour
par rapport au nombre d'électeurs (chiffres des opérateurs)

Commission des lois du Sénat

En outre, bon nombre des plis pris en charge n'ont pas été distribués dans les boîtes aux lettres des électeurs, notamment là où la distribution relevait d'Adrexo : 27,2 % en moyenne pour les élections départementales et 46,2 % pour les régionales, selon les statistiques fournies par la société Adrexo, avec cette fois encore des disparités considérables d'un territoire à l'autre (de 2,2 % dans le Cantal à 92,2 % dans le Cher pour les régionales).

Les statistiques avancées par les opérateurs postaux
sur la distribution des plis électoraux au second tour

Plis distribués

Plis non distribués

Départementales

Adrexo

13 826 867

5 169 860

La Poste

17 517 688

1 668 972

Régionales

Adrexo

10 425 103

8 943 049

La Poste

16 936 598

1 645 723

Commission des lois du Sénat

Les deux phénomènes de non-prise en charge et de non-distribution des plis par les opérateurs postaux s'additionnant, une proportion considérable d'électeurs n'auraient pas reçu les documents de propagande électorale au second tour , pour les élections départementales (26,6 % en moyenne nationale et jusqu'à 80,2 % dans le Bas-Rhin) comme pour les élections régionales (40,3 % en moyenne et jusqu'à 96,5 % dans le Cher).

Électeurs n'ayant reçu aucune propagande au second tour des élections
(chiffres des opérateurs)

Élections départementales

Commission des lois - Fait avec Khartis

Élections régionales

Ces chiffres affolants sont pourtant, très certainement, sous-évalués . Au second tour plus encore qu'au premier, les remontées des préfectures font état de discordances manifestes entre les tableaux de reporting de la société Adrexo et les constatations du terrain . La préfecture du Cantal rapporte même un épisode qui, s'il est avéré, relève de la pure et simple manipulation : « Alors que nous savons que seuls 28 000 plis sur 114 000 (pour les élections régionales) ont été livrés sur le site d'Adrexo Aurillac, la société nous annonce dans le tableau susvisé des chiffres de plis enlevés à 113 084 et des plis livrés à 112 924, avec des taux avoisinant les 90 %, ubuesque au regard de la réalité de la situation. »

B. LA CONSULTATION DES MAIRES PAR LE SÉNAT

Afin de compléter son information et d'approfondir sa réflexion, la mission d'information a estimé indispensable de consulter les maires de France sur les difficultés rencontrées sur leur territoire dans l'acheminement de la propagande électorale, mais aussi sur les remèdes à y apporter. Elle a publié à cet effet un questionnaire sur la plateforme Internet de consultation des élus locaux du Sénat , qui, entre le 29 juin et le 14 juillet 2021, a recueilli 3 019 réponses .

Les résultats de cette consultation sont peut-être plus inquiétants encore que ce que laissent apercevoir les réponses des préfectures au ministère de l'intérieur.

Certes, ces résultats doivent être pris avec précaution. L'échantillon ainsi obtenu n'est représentatif, ni du nombre de communes ou de la population par département, ni de la répartition des communes par strate démographique, par exemple. On observe au contraire, parmi les répondants, une nette surreprésentation des élus de certaines régions, notamment Auvergne-Rhône-Alpes et Bourgogne-Franche Comté. Dans l'ensemble, les régions où la distribution de la propagande a été confiée à la société Adrexo sont surreprésentées : elles comprennent 66,3 % des communes françaises mais représentent 77,9 % des réponses à la consultation .

Répartition géographique des réponses
à la consultation des maires organisée par le Sénat

Nombre de réponses par commune et opérateur postal compétent
dans chaque département

Source : commission des lois du Sénat - Fait avec Khartis

Nombre de réponses par habitant et opérateur postal compétent
dans chaque département

Source : commission des lois du Sénat - Fait avec Khartis

Dans l'ensemble, pas moins de 91,3 % des élus déclarent que des dysfonctionnements ont été constatés dans la distribution des plis de propagande électorale dans leur commune . Cette proportion est à peu près équivalente dans les régions couvertes par les deux prestataires (93,2 % dans celles relevant de La Poste, 90,6 % dans celles relevant d'Adrexo), étant entendu que les signalements sont nettement plus nombreux en valeur absolue dans les régions couvertes par Adrexo (2 131 contre 620). Dans 80,4 % des cas, ces dysfonctionnements ont été constatés aux deux tours de scrutin, mais 44,7 % des élus estiment qu'ils se sont aggravés au second tour (pour 39,6 % d'entre eux, ils ont été aussi graves qu'aux deux tours, et pour 15,7 % d'entre eux, la situation s'est améliorée au second tour). Par comparaison, 94,4 % des élus n'avaient rencontré aucun dysfonctionnement de cette sorte lors des scrutins antérieurs .

Part des élus déclarant des difficultés d'acheminement
des plis électoraux dans leur commune

Source : commission des lois du Sénat

Les faits constatés sont accablants : 82,8 % des maires déclarent une absence totale de distribution des plis , 22,1 % la distribution de plis incomplets, 12,1 % une distribution après le scrutin. Dans l'écrasante majorité des cas, ces faits auraient concerné plus de 30 % des électeurs de la commune .

Dysfonctionnements déclarés dans la distribution des plis de propagande

Source : commission des lois du Sénat

Part des électeurs de la commune touchés par les dysfonctionnements
dans la distribution de la propagande électorale

Source : commission des lois du Sénat

À l'inverse, le colisage et l'acheminement des bulletins de vote en mairie ne semblent pas avoir provoqué de difficultés majeures : seuls 12 % des maires déclarent en avoir constaté, dont un peu moins d'un sur deux (46 %) au second tour seulement.

Pour 81,7 % des répondants, les dysfonctionnements constatés ont eu une incidence négative sur la participation au scrutin , et même une incidence majeure dans 41,5 % des cas.

Incidence sur la participation électorale des dysfonctionnements dans l'acheminement de la propagande, selon l'avis des maires

Source : commission des lois du Sénat

C. QUELLE INCIDENCE SUR L'ABSTENTION ?

La non-distribution de la propagande électorale porte atteinte à la sincérité du scrutin en réduisant l'information des électeurs, en ne leur permettant pas de préparer sereinement leur vote et en mettant à mal l'égalité entre les candidats. En l'occurrence, elle a peut-être également contribué à la très faible participation. Rappelons qu'au niveau national, l'abstention s'est élevée :

- aux élections départementales, à 66,7 % au premier tour et 65,7 % au second tour (contre respectivement 49,8 % et 50 % en 2015) ;

- aux élections régionales, à 66,7 % au premier tour et 65,3 % au second tour (contre respectivement 50,1 % et 41,6 % en 2015).

Certes, il ne saurait être question d'imputer aux défaillances de la distribution de la propagande électorale, à elles seules, la progression de l'abstention, qui a de multiples facteurs. Y sont-elles pour autant étrangères ? Rien n'est moins sûr .

En l'état de l'information disponible, tout effort pour établir une corrélation statistique serait hasardeux, puisque les seules données chiffrées existantes encore sont celles, déclaratives, des opérateurs postaux, dont on a vu qu'elles étaient sujettes à caution.

Certains faits n'en restent pas moins troublants.

Pour s'en tenir au cas des élections régionales , et si l'on se fie aux statistiques fournies par les distributeurs, on observe une assez nette corrélation entre la proportion d'électeurs n'ayant reçu aucune propagande électorale et la hausse de l'abstention entre les scrutins de décembre 2015 et juin 2021, au second tour sinon au premier tour . À titre d'exemple, l'abstention a progressé au second tour de 29 points en Indre-et-Loire et en Meurthe-et-Moselle, où 81 % des électeurs n'auraient reçu aucune propagande ; la Côte-d'Or, l'Eure-et-Loir, l'Orne affichent des chiffres très semblables.

Corrélation entre la non-réception des documents de propagande (selon les chiffres des opérateurs) et la hausse de l'abstention aux élections régionales

Premier tour

Second tour

Source : commission des lois du Sénat, d'après les données des opérateurs postaux
Fait avec Khartis

En outre, alors qu'il semble désormais établi que les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande ont été beaucoup plus nombreux et massifs dans les départements et régions où cette mission avait été confiée à la société Adrexo , on constate également que l'abstention a progressé dans une proportion nettement plus importante sur ces mêmes territoires, au premier et plus encore au second tour .

Corrélation entre l'identité du distributeur de la propagande électorale
et la hausse de l'abstention aux élections régionales

Premier tour

Second tour

Source : commission des lois du Sénat - Fait avec Khartis

Les résultats du sondage déjà cité organisé par le CEVIPOF et l'AMF (organisé en France métropolitaine hors Corse) établissent eux aussi, pour le premier tour des élections et au niveau régional, un degré de corrélation entre la non-réception des documents de propagande, la hausse de l'abstention et l'identité de l'opérateur.

Corrélation entre l'identité de l'opérateur postal, la non-réception des documents de propagande (selon le sondage CEVIPOF-AMF) et la hausse de l'abstention aux élections régionales

Source : commission des lois du Sénat, d'après les résultats d'un sondage CEVIPOF-AMF
Fait avec Khartis

En tout état de cause, il apparaît certain que jamais les électeurs n'ont été privés, dans de telles proportions, de l'information individuelle qui leur est due sur « l'offre électorale » avant d'exercer leur droit de suffrage à des élections politiques. Cette défaillance d'information majeure n'a, bien évidemment, pas été compensée par la plateforme numérique mise en place par le ministère de l'intérieur pour publier en ligne les professions de foi des différents candidats qui, selon les déclarations devant la mission d'information, de Jean-Denis Combrexelle, président du comité de suivi pour les élections départementales et régionales de juin 2021, n'a reçu que 186 000 visites... à comparer avec les quelque 47,9 millions d'électeurs français.

Pour autant, ce panorama général, aussi accablant soit-il, ne permet pas de tirer des conséquences juridiques globales sur la validité des scrutins tenus dans de telles conditions, la jurisprudence administrative en la matière étant empreinte de casuistique et de pragmatisme. C'est donc en fonction des considérations propres à chaque élection départementale ou régionale, dans chaque circonscription considérée, que le juge sera amené à trancher, soit en tant que juge de l'élection, soit en tant que juge de la réparation du préjudice.

Quelles conséquences contentieuses ?

Les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale peuvent donner lieu à deux types d'actions contentieuses :

- des protestations électorales (actions en annulation ou en réformation des résultats des opérations électorales) qui doivent être portées devant le juge de l'élection 20 ( * ) ;

- des actions en réparation du préjudice causé par les dysfonctionnements allégués, devant le juge administratif de droit commun .

Ces deux types de contentieux sont indépendants l'un de l'autre. Par exemple, le Conseil constitutionnel, juge des élections législatives, se déclare incompétent pour connaître de conclusions à fins d'indemnisation adossées à des protestations électorales 21 ( * ) .

1. Le juge électoral ne sanctionne les irrégularités dans la distributions de la propagande électorale que dans la mesure où elles ont altéré la sincérité du scrutin.

Les irrégularités substantielles ou les manoeuvres de nature à affecter la sincérité d'un scrutin peuvent justifier son annulation totale ou partielle.

Afin d'apprécier l'incidence d'irrégularités constatées sur la sincérité du scrutin, le juge électoral met en regard leur gravité, leur ampleur et leurs répercussions potentielles avec l'écart des voix .

Ainsi, saisi par une liste de candidats aux élections régionales qui avait obtenu au premier tour un nombre de voix légèrement inférieur au seuil de 5 % exigé pour fusionner avec une autre liste au second tour, le Conseil d'État a rejeté la requête, considérant qu'il ne résultait pas de l'instruction « que les difficultés d'acheminement de ces documents de propagande électorale (...) aient entravé leur distribution à un nombre d'électeurs suffisamment significatif, eu égard au nombre d'inscrits et à l'écart séparant la liste conduite par lui du seuil 5 pour cent, pour que la sincérité du scrutin puisse être regardée comme en ayant été altérée 22 ( * ) ».

Le Conseil constitutionnel, en tant que juge électoral, adopte la même approche. Alors que le contentieux des élections législatives de 2017 s'était singularisé par de nombreuses requêtes dénonçant l'absence de réception par les électeurs, ou bien une réception incomplète ou tardive, des documents de propagande électorale, le Conseil constitutionnel n'a pas fait droit aux griefs en cause, « dans la mesure où les faits dénoncés, qui n'étaient pas toujours établis, n'avaient pas pu, eu égard aux écarts de voix entre les candidats, avoir d'incidence sur les résultats des scrutins contestés 23 ( * ) ».

2. La faute de l'État dans la distribution de la propagande électorale peut ouvrir droit à indemnisation du préjudice financier lié au non-remboursement des dépenses de campagne ou du préjudice lié à la perte d'audience électorale.

L'existence d'une faute de l'État dans la distribution de la propagande électorale est également susceptible d'engager sa responsabilité si elle a causé un préjudice.

Si le requérant impute à un tel manquement le fait de n'avoir pas atteint le seuil de suffrages exprimés nécessaires pour obtenir le remboursement intégral de ses dépenses de propagande ou le remboursement forfaitaire de ses autres dépenses électorales , il est fondé à demander à l'État réparation du préjudice financier résultant de cette « perte de chance » 24 ( * ) .

La jurisprudence reconnaît aussi un préjudice « moral » lié à la perte d'audience électorale provoquée par la non-distribution des documents de propagande. Le Conseil d'État a ainsi jugé que « l'absence de distribution par la commission de propagande d'une partie de ses circulaires et bulletins de vote » était de nature à priver le requérant « d'un moyen d'expression essentiel à sa campagne et d'une possibilité de faire davantage connaître ses idées et propositions et, le cas échéant, d'obtenir davantage de suffrages 25 ( * ) ».

III. COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ?

De toute évidence, et même si la mesure de cet échec reste à affiner, l'État a failli à la mission qui lui incombe d'organiser les élections dans de bonnes conditions , en privant un grand nombre d'électeurs de la possibilité de prendre connaissance, chez eux, des documents de propagande remis par les candidats et de préparer ainsi leur vote.

Pour comprendre les raisons de ce qui ressemble à un « krach industriel » , la mission d'information s'est attachée à remonter la chaîne des opérations , depuis la distribution des plis au domicile des électeurs jusqu'à l'impression des documents, en passant par leur mise sous enveloppe et leur conditionnement.

A. LA FAILLITE DE LA DISTRIBUTION POSTALE DES PLIS DE PROPAGANDE

Il est manifeste que les dysfonctionnements constatés tiennent, en bonne partie, à l'organisation de la distribution elle-même, notamment aux défaillances de la société Adrexo . C'est pourquoi il convient d'abord de s'interroger sur les raisons qui ont présidé au choix de ce prestataire.

1. Le cadre juridique applicable à la distribution postale de la propagande électorale
a) Une mission de l'État assurée grâce à un marché public de services

Les services de l'État ne pouvant procéder eux-mêmes à la distribution des plis de propagande électorale au domicile des électeurs, force est de recourir à un ou plusieurs prestataires . Depuis la libéralisation totale du marché des services postaux à la date du 1 er janvier 2011, ce prestataire n'est pas nécessairement la société La Poste. Vu l'ampleur et le prix de ce cette prestation, l'État ne saurait la confier à un prestataire extérieur par un contrat conclu de gré à gré. En effet, le coût pour l'État de la distribution des plis électoraux - très variable d'une année à l'autre, en fonction de l'actualité - est d'environ 50 millions d'euros par an, ce qui excède très largement les seuils en-deçà desquels un marché public peut être passé sans publicité ni mise en concurrence préalables .

À l'approche de l'échéance du marché précédemment conclu avec La Poste pour les années 2017-2020, le ministère de l'intérieur a donc engagé une nouvelle procédure de passation d'un marché public de services relatif à l'acheminement des enveloppes de propagande dans les boîtes aux lettres des électeurs.

Comme les fois précédentes, le ministère a fait le choix d' un marché passé au niveau national , alors qu'il aurait été concevable de laisser les préfectures de département sélectionner leur prestataire, comme c'est le cas pour la mise sous pli. En l'occurrence, l'État a retenu la formule d' un accord-cadre à bons de commande, dont la durée de validité est de quatre ans : le titulaire du marché s'engage à assurer la distribution des plis de propagande électorale à l'occasion de toutes les élections politiques au cours de ces quatre années, un bon de commande étant émis par l'administration pour chaque élection. Conformément à la réglementation, ce marché est alloti : il comporte quinze lots, soit un pour Paris, un pour le reste de l'Île-de-France, un pour chaque autre région métropolitaine, un pour l'outre-mer et un pour l'étranger. Le marché a été passé suivant une procédure adaptée , comme l'autorise l'article R. 2123-1 du code de la commande publique s'agissant de services postaux 26 ( * ) ; le règlement de la consultation prévoyait une négociation après examen des offres initiales.

Contrairement à ce que le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, a plusieurs fois laissé entendre lors de déclarations publiques au cours des dernières semaines, aucune règle n'impose au pouvoir adjudicateur, en cas de pluralité des candidatures, de répartir les lots du marché entre les différents candidats . Tout au contraire, il a l'obligation d'attribuer chaque lot au candidat ayant présenté, pour ce lot, l'offre économiquement la plus avantageuse , en fonction des critères d'analyse fixés préalablement par le règlement de la consultation. Il peut en résulter l'attribution de l'ensemble des lots du marché à un même soumissionnaire, si son offre apparaît la mieux-disante sur chacun de ces lots.

b) Une activité réservée aux opérateurs titulaires d'une licence postale

Les plis électoraux constituent des « envois de correspondance » au sens de l'article L. 3 du code des postes et des communications électroniques, dont la levée, le tri, l'acheminement et la distribution sont soumis à l'autorisation préalable de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). L'autorisation délivrée par celle-ci ne couvre pas nécessairement l'ensemble des « services postaux portant sur les envois de correspondance intérieure et transfrontière » mentionnés audit article L. 3. Au contraire, les décisions d'autorisation et leurs annexes décrivent précisément la nature des prestations autorisées et le territoire desservi. Pour répondre à l'appel d'offres lancé par le ministère de l'intérieur, les entreprises devaient donc obligatoirement être titulaires d'une « licence postale » couvrant effectivement la distribution de correspondance sur l'intégralité du territoire correspondant à chaque lot .

Il existe aujourd'hui cinquante opérateurs autorisés à délivrer des services postaux portant sur les envois de correspondance intérieure et transfrontalière 27 ( * ) . Pour un grand nombre d'entre eux, l'autorisation ne porte que sur la correspondance transfrontalière ; d'autres sont habilités à délivrer des services d'envoi de correspondance intérieure, mais sur une partie limitée du territoire français, par exemple une ou plusieurs régions, un département ou une agglomération seulement. Quatre opérateurs sont autorisés à délivrer des services d'envoi de correspondance incluant la distribution sur un ressort territorial plus large : la société La Poste, sur tout le territoire national ; la société Mediapost, qui appartient au groupe La Poste, sur tout le territoire national ; la société Adrexo, en France métropolitaine sauf en Corse ; la société Colis Privé, filiale d'Adrexo, sur tout le territoire métropolitain.

En pratique, selon les informations recueillies par la mission d'information, les sociétés Mediapost et Colis Privé se sont spécialisées dans d'autres activités (la distribution d'imprimés publicitaires non adressés pour la première, la livraison de colis pour la seconde), de sorte que la société Adrexo est la seule à concurrencer La Poste dans la distribution de courrier adressé sur une grande partie du territoire français .

c) Les critères et la portée de l'autorisation de l'Arcep

Avant de délivrer son autorisation, l'Arcep doit s'assurer que l'entreprise demanderesse dispose des capacités techniques et financières nécessaires pour respecter les obligations légales et réglementaires afférentes à l'activité postale .

Les obligations des prestataires de services postaux

En application de l'article 3-2 du code des postes et des communications électroniques, toute prestation de services postaux est soumise aux règles suivantes :

« a) Garantir la sécurité des usagers, des personnels et des installations du prestataire de service ;

« b) Garantir la confidentialité des envois de correspondance et l'intégrité de leur contenu ;

« b bis ) Garantir le secret des correspondances, ainsi que la neutralité des services postaux au regard de l'identité de l'expéditeur et de la nature des envois postaux ;

« c) Assurer la protection des données à caractère personnel dont peuvent être dépositaires le prestataire du service universel ou les titulaires de l'autorisation prévue à l'article L. 3, ainsi que la protection de la vie privée des usagers de ces services ;

« d) Être fournie dans les conditions techniques respectant l'objectif de préservation de l'environnement ;

« e) Mettre en place des procédures simples, transparentes et gratuites de traitement des réclamations et respecter les intérêts des usagers au regard des obligations fixées à l'article L. 7 ;

« f) Garantir l'accès aux services et aux installations aux personnes handicapées dans les conditions prévues à l'article L. 161-1 du code de la construction et de l'habitation ;

« g) Respecter les obligations légales et conventionnelles applicables en matière de droit du travail et la législation de sécurité sociale en vigueur, sans préjudice des dispositions spécifiques applicables aux personnels ayant, le cas échéant, le statut de fonctionnaire ;

« h) Respecter l'ordre public et les obligations liées à la défense nationale. »

Ces obligations sont précisées par l'arrêté du 3 mai 2006 pris en application de l'article R. 1-2-6 du code des postes et des communications électroniques relatif aux obligations des prestataires de services postaux titulaires d'une autorisation .

En revanche, l'autorisation délivrée par l'Arcep ne certifie pas que l'entreprise concernée est en mesure d'assumer n'importe quelle prestation entrant dans le champ des services autorisés . Laure de La Raudière, présidente de l'Autorité, a insisté sur ce point lors de son audition par la commission des lois. En l'espèce, il appartenait donc au ministère de l'intérieur, pouvoir adjudicateur, de s'assurer que chacun des soumissionnaires disposait des capacités humaines, techniques et financières nécessaires pour assumer une mission d'ampleur exceptionnelle telle que la distribution d'enveloppes de propagande électorale auprès des 47,9 millions d'électeurs français 28 ( * ) , pendant une durée de quatre ans et, le cas échéant, lors de deux élections simultanées .

2. Les défauts de conception du marché
a) Les conditions de participation à la consultation : un contrôle insuffisant de la capacité économique et financière des candidats

Le droit des marchés publics permet aux acheteurs publics d'imposer aux candidats des conditions de participation à la procédure de passation propres à garantir qu'ils disposent « de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière ou des capacités techniques et professionnelles nécessaires à l'exécution du marché » 29 ( * ) . Or, au moment de la passation du marché, la société Adrexo traversait depuis plusieurs années de graves difficultés financières. En outre, quoique titulaire d'une « licence postale » depuis 2006, elle n'avait qu'une faible expérience de l'activité de distribution du courrier - même si son redressement impliquait, aux yeux de ses dirigeants et créanciers, le développement de ses activités dans ce secteur.

(1) Adrexo en 2020 : une entreprise en grave difficulté, dont la restructuration passe par le développement de l'activité de distribution du courrier

Adrexo est une société par actions simplifiée (SAS), dont le siège social est situé à Aix-en-Provence, et qui est détenue indirectement à 100 % par la SAS Hopps Group, holding du groupe Hopps.

Organigramme du groupe Hopps (janvier 2020)

Source : commission des lois du Sénat

Les sociétés Adrexo et Hopps Group (anciennement CIP) ont été rachetées en janvier 2017 par Frédéric Pons, Eric Paumier et Guillaume Salabert, pour un euro symbolique , dans le cadre d'une procédure de conciliation ouverte en application de l'article L. 611-5 du code de commerce. Adrexo rencontrait alors, depuis 2016, d'importantes difficultés en raison de la baisse des prix pratiqués sur le marché de la distribution d'imprimés publicitaires et, surtout, de très nombreux litiges prud'homaux et redressements de cotisations sociales liés à un mode de calcul forfaitaire du temps de travail des salariés reconnu abusif par la Cour de cassation 30 ( * ) . Le plan d'affaires présenté par les acquéreurs pour assurer le rétablissement de la situation financière des sociétés reposait, en particulier, sur l'exploitation de synergies avec la société Colis Privé, dont ils étaient les actionnaires principaux.

Malheureusement, le retournement espéré ne s'est pas produit, ce qui a conduit les sociétés Hopps Group, Distri'Hopps et Adrexo à solliciter l'ouverture de trois nouvelles procédures de conciliation, en septembre 2019 . La situation financière de ces sociétés se dégradait alors rapidement, comme l'illustrent les données comptables présentées ci-dessous 31 ( * ) , et il semble même qu'elles se soient trouvées de fait en état de cessation des paiements 32 ( * ) .

Extraits des comptes annuels de la société Hopps Group

2016

2017

2018

2019

BÉNÉFICE OU PERTE

- 1 317 968

- 3 248 859

- 2 304 347

- 3 276 840

Dont :

Chiffre d'affaires

17 826 927

19 526 941

18 770 650

20 446 665

Résultat d'exploitation

- 723 512

- 2 920 175

- 3 044 289

- 2 001 202

TOTAL DU PASSIF
(= TOTAL DE L'ACTIF)

15 965 707

42 347 312

101 414 010

112 349 670

Dont :

Capitaux propres

5 167 699

15 371 174

13 066 828

9 789 988

(dont : capital social)

8 950 000

22 402 432

22 402 432

22 402 432

Provisions

1 766 153

1 765 046

1 755 846

1 931 421

Dettes

9 031 855

25 211 092

86 591 336

100 628 261

Source : commission des lois du Sénat

Extraits des comptes annuels de la société Adrexo

2016

2017

2018

2019

BÉNÉFICE OU PERTE

- 25 811 928

- 1 756 296

- 19 611 883

- 41 611 636

Dont :

Chiffre d'affaires

280 855 270

286 738 806

301 193 676

279 434 861

Résultat d'exploitation

- 26 188 776

- 20 328 613

- 21 246 498

- 28 911 918

TOTAL DU PASSIF
(= TOTAL DE L'ACTIF)

15 965 707

42 347 312

167 336 916

149 852 324

Dont :

Capitaux propres

- 80 966 237

-15 562 286

9 825 831

- 31 767 800

(dont : capital social)

836 000

4 500 000

41 318 176

41 318 176

Provisions

30 306 409

16 454 055

1 755 846

12 947 298

Dettes

125 402 287

114 715 083

142 659 849

168 672 826

Source : commission des lois du Sénat

Par un accord de conciliation daté du 18 février 2020 , conclu sous l'égide du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) et homologué par le tribunal de commerce de Marseille le 25 février suivant, Hopps Group a obtenu 31,5 millions d'euros de nouveaux financements , dont 25,5 millions de prêts et un nouveau moratoire portant sur 6 millions d'euros de dettes fiscales et sociales (s'ajoutant à un passif fiscal et social de 26 millions d'euros déjà constitué). En contrepartie, Adrexo a dû consentir à ses principaux créanciers privés une fiducie-sûreté portant sur l'intégralité de ses actions dans sa filiale Colis Privé, la société la plus dynamique du groupe 33 ( * ) .

Pour convaincre ses créanciers et le CIRI, le groupe a présenté un plan d'affaires dont la mission d'information a obtenu communication, et qui reposait notamment sur le fort développement de l'activité de courrier au sein de la société Adrexo et de sa filiale Adrexo Production, activité qui ne représentait jusque-là qu'une part très minoritaire (quoique en progression) de leur chiffre d'affaires .

Répartition des activités d'Adrexo et Adrexo Production dans leur chiffre d'affaires consolidé : constats et prévisions établis à la fin 2019

2017

2018

2019
(attendu)

2020 (prévisions)

2021
(prévisions)

En M€

En % du total

En M€

En % du total

En M€

En % du total

En M€

En % du total

En M€

En % du total

Imprimés publicitaires

251,2

87,6%

259,3

86,1%

233

84,4%

225,3

71,2%

218,5

61,1%

Courrier

5,2

1,8%

8

2,7%

9,1

3,3%

40

12,6%

75

21%

Colis

1,4

0,5%

8,3

2,8%

13,7

5%

30,3

9,6%

41,9

11,7%

Autres activités

28,9

10,1%

25,6

8,5%

20,2

7,3%

20,9

6,6%

22,4

6,3%

Chiffre d'affaires

286,7

100%

301,2

100%

276

100%

316,5

100%

357,8

100%

Source : commission des lois du Sénat

Le tribunal a estimé, au vu des plans prévisionnels de trésorerie présentés, que l'accord de conciliation était de nature à assurer la continuité de l'exploitation d'Adrexo et de ses holding Distri'Hopps et Hopps Group. Le représentant du ministère public, tout en se déclarant favorable à l'homologation de l'accord, n'en avait pas moins fait observer que la gestion d'Adrexo se caractérisait par une « fuite en avant » .

(2) Un contrôle défaillant... et un mensonge par omission ?

Au moment même où s'achevait la procédure de conciliation ouverte au bénéfice des trois sociétés, Adrexo manifestait son intérêt pour le marché de la distribution de la propagande électorale, en répondant, le 13 février 2020, à un appel à compétences publié le 6 février précédent par le ministère de l'intérieur. La procédure de passation fut lancée le 12 juin 2020 par la publication d'un avis de marché sur la plateforme des achats de l'État (service en ligne PLACE).

Pour vérifier la capacité économique et financière des candidats au marché de distribution, le ministère de l'intérieur s'est contenté de leur demander transmission d' « une déclaration concernant le chiffre d'affaires global et le chiffre d'affaires concernant les services objet de l'accord-cadre, réalisés au cours des trois derniers exercices disponibles 34 ( * ) » . Il suffisait, pour cela, de remplir un tableau au sein du formulaire de déclaration de candidature numéroté DC2.

Il est assez surprenant que le pouvoir adjudicateur n'ait pas exigé la production d'informations plus complètes sur la situation économique et financière des candidats , alors même que la société Adrexo, candidate probable, traversait des difficultés notoires. Lors de son audition par la mission d'information, le secrétaire général du ministère de l'intérieur a déclaré que celui-ci s'en était tenu « au strict respect de ce que le code prévoit qu'un client puisse demander à des candidats prestataires », ce qui est inexact . D'une part, en effet, la liste, fixée par arrêté, des documents qu'un acheteur public peut demander aux candidats pour apprécier leurs capacités économiques et financières est indicative et non limitative 35 ( * ) . D'autre part, cette même liste comprend d'autres éléments, notamment des bilans ou extraits de bilan concernant les trois dernières années, qui, en l'occurrence, auraient été utiles pour prendre la mesure des difficultés de la société. Le formulaire-type mis à disposition par la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie, des finances et de la relance prévoit d'ailleurs le cas où l'acheteur exige, par exemple, des « informations sur les comptes annuels » ou le « rapport entre les éléments d'actif et de passif ».

Ce qui est plus surprenant encore, c'est la teneur des informations fournies par la société Adrexo , qui figurent dans le tableau reproduit ci-dessous :

On constate que la société a additionné, pour calculer le chiffre d'affaires concernant les « services objet de l'accord-cadre », celui qu'elle avait réalisé grâce à ses activités liées aux imprimés publicitaires et au courrier . Cette présentation est trompeuse, car la distribution d'imprimés publicitaires non adressés est une activité entièrement différente de la distribution de courrier adressé . Elle ne fait pas appel aux mêmes compétences, et elle n'est d'ailleurs pas soumise à la même réglementation 36 ( * ) . Le ministère s'est apparemment contenté de ces données biaisées.

b) L'analyse des offres : des critères négligeant les moyens opérationnels

L'évaluation par l'administration des offres des candidats réserve aussi quelques motifs d'étonnement .

Les critères de choix, fixés préalablement par le règlement de la consultation puis précisés au cours de l'analyse des offres, sont indiqués dans le tableau ci-après. La lecture du rapport d'analyse des offres permet de mieux comprendre les attentes de l'administration et, par conséquent, ce que recouvrent ces différents critères, sous-critères et items.

Critères de sélection des candidats au marché de distribution des plis électoraux

Critères

Poids

Sous-critères

Poids

Items

Poids

Critère technique

400 pts

Sous-critère technique 1 : qualité des moyens techniques et humains affectés au pilotage de l'accord-cadre en relation avec le BEEP

160 pts

Item 1.1 : qualité des moyens et de l'organisation déployés pour assurer les relations avec l'administration centrale du ministère de l'intérieur

64 pts

Item 1.2 : pertinence des moyens mis en oeuvre pour réaliser le reporting

64 pts

Item 1.3 : qualité du profil proposé pour assurer la représentation du titulaire auprès de l'administration centrale du ministère de l'intérieur

32 pts

Sous-critère technique 2 : qualité des moyens techniques et humains affectés à l'exécution de l'accord-cadre au niveau départemental

160 pts

Item 2.1 : qualité des moyens mis en oeuvre pour organiser l'enlèvement et la distribution des enveloppes de propagande

64 pts

Item 2.2 : qualité des moyens techniques déployés

64 pts

Item 2.3 : qualité des profils proposés pour réaliser la prestation d'acheminement des enveloppes de propagande

32 pts

Sous-critère technique 3 : qualité des moyens et de l'organisation déployés pour la gestion des incidents et assurer l'information auprès des préfectures et de l'administration centrale

80 pts

Item 3.1 : qualité des dispositifs mis en oeuvre pour informer l'administration des incidents et des retards

40 pts

Item 3.2 : qualité des mesures palliatives proposées en cas de dysfonctionnement dans la réalisation de la prestation

40 pts

Critère de prix

600 pts

-

Source : ministère de l'intérieur

(1) Le poids accordé au « reporting »

Les incidents rencontrés lors des précédents scrutins, notamment lors des élections législatives de 2017, et les lacunes de l'information statistique fournie jusqu'alors par La Poste sur les plis non distribués et autres anomalies de distribution, semblent avoir conduit le ministère de l'intérieur à accorder une attention particulière, dans la définition des critères relatifs à la valeur technique des offres puis dans leur analyse, aux moyens organisationnels et techniques proposés par les candidats pour assurer la fluidité des échanges avec l'administration, la transmission d'information sur les difficultés rencontrées et, plus généralement, une reddition de comptes (« reporting ») fidèle sur l'exécution de la prestation .

Ainsi, l'item 1.2 « Pertinence des moyens mis en oeuvre pour réaliser le reporting » du critère de valeur technique s'est vu accorder un poids de 64 points sur 1 000. Le rapport d'analyse des offres est particulièrement élogieux, à cet égard, sur l'offre d'Adrexo, qui s'était engagée à faire parvenir dès le lendemain du jour de distribution à midi, à la préfecture, un fichier de type Excel recensant pour chaque commune le nombre de plis reçus, distribués et non distribués, l'ensemble de ces fichiers accompagnés de synthèses régionales et nationale devant parvenir au ministère le même jour à 18 heures. Adrexo ainsi obtenu 51,2 points sur 64.

Procédure proposée par Adrexo en matière de reporting

Source : ministère de l'intérieur

La Poste, qui avait pris des engagements similaires, s'est vu reprocher de proposer un tableau certes plus complet, mais « dont la présentation complique le travail de l'administration qui devra reclasser les colonnes et les lignes pour effectuer les calculs prévus ». Elle a obtenu 38,4 points, écart qui laisse assez perplexe.

Procédure proposée par La Poste en matière de reporting

Source : ministère de l'intérieur

L'un des mérites reconnus à l'offre d'Adrexo, par rapport à celle de La Poste, tenait aussi à la procédure dématérialisée mise en oeuvre pour assurer le contrôle des plis non distribués (nombre, causes de non-distribution, etc.). Nous y reviendrons 37 ( * ) .

(2) Une évaluation insuffisante des moyens proposés pour prévenir et corriger les anomalies de distribution

Si le ministère tenait à être correctement et diligemment informé des conditions d'exécution du marché, ce qui est bien légitime, il s'est en revanche montré moins attentif aux moyens proposés par les candidats pour prévenir et corriger les anomalies de distribution .

Au-delà de la question des ressources humaines mobilisées par les prestataires, le rapport d'analyse des offres appelle, à cet égard, plusieurs observations.

(a) Un malentendu sur le traitement du fichier des électeurs ?

On lit dans l'analyse de l'offre d'Adrexo, à propos de l'item 1.1 « Qualité des moyens et de l'organisation déployés pour assurer les relations avec l'administration centrale du ministère de l'intérieur », que la société « prévoit de procéder à un redressement du fichier des électeurs, ce qui garantit la qualité de la distribution ultérieure des enveloppes et constitue un véritable atout de l'offre . En effet, le fichier corrigé, qui permet d'optimiser la réalisation des tournées, sera transmis aux routeurs afin que l'adressage sur les enveloppes soit conforme aux prescriptions des normes postales ».

L'offre d'Adrexo ne prévoyait pourtant rien de tel . Elle promettait seulement le traitement préalable des adresses des électeurs afin de générer une « ligne technique » (comprenant un numéro de centre de distribution, un numéro de secteur, etc .) à imprimer sur l'étiquette d'adressage des enveloppes pour faciliter les opérations de distribution. Que l'édition d'une telle « ligne technique » puisse être utile à l'opérateur pour remplir correctement sa mission, cela s'entend. Mais il est difficile d'y voir une réelle plus-value, justifiant l'attribution à Adrexo de la note maximale de 64 points pour cet item. En tout état de cause, il ne s'agissait nullement de « redresser » le fichier des électeurs, par exemple pour corriger ou compléter des adresses défectueuses - ce qui aurait d'ailleurs été impossible, le cahier des clauses techniques particulières interdisant tout croisement de ce fichier (issu du répertoire électoral unique) avec d'autres fichiers d'adresses.

(b) Les consignes de distribution prévues en cas de difficulté

En raison de la présentation du cadre de réponse technique imposé par le ministère, les engagements pris par les candidats pour le cas où des difficultés surviendraient dans la distribution se trouvent dispersés sous différentes rubriques. On s'intéressera ici, plus particulièrement, au cas où le distributeur se trouve dans l'incapacité de déposer un pli au domicile de l'électeur, en raison d'une adresse lacunaire, de l'absence de boîte aux lettres ou de l'impossibilité d'accéder à celle-ci, de l'absence de boîte au nom indiqué sur l'enveloppe, etc .

Il convient d'abord de rappeler qu'en application de l'article L. 3-1 du code des postes et des communications électroniques, tous les opérateurs de services postaux autorisés à traiter les envois de correspondance ont accès aux moyens, détenus ou contrôlés par le titulaire du service postal universel (La Poste) qui sont indispensables à l'exercice de leurs activités postales. Les distributeurs d'Adrexo disposent notamment des badges Vigik conçus par La Poste pour l'accès aux parties communes des immeubles.

Les deux candidats avaient d'abord pris des engagements pour limiter le nombre de plus non distribués (PND), en envisageant différents cas de figure .

Consignes de distribution des plis de propagande prévues au marché public

CONSIGNES AUX DISTRIBUTEURS

La Poste

Adrexo

HABITAT INDIVIDUEL

Boîte aux lettres au nom indiqué sur l'enveloppe

Distribuer le pli.

Distribuer le pli.

Boîte aux lettres sans nom ou avec un autre nom

Distribuer le pli à l'adresse indiquée.

« Par sa connaissance approfondie de la tournée, le facteur peut distribuer à la bonne personne y compris si l'adresse figurant sur l'enveloppe est erronée. »

Distribuer le pli à l'adresse indiquée.

Absence de boîte aux lettres

« Le facteur fait ses meilleurs efforts
(sonner à la porte, à l'interphone...) pour remettre le pli à l'électeur en mains propres.
»

Sinon, P.N.D.

P.N.D.

HABITAT COLLECTIF

Boîte aux lettres au nom indiqué sur l'enveloppe

Distribuer le pli.

Distribuer le pli.

Absence de boîte aux lettres au nom indiqué sur l'enveloppe

« Le facteur s'efforce par tous les moyens locaux à sa disposition (demande à la gardienne, aux voisins) de distribuer le pli à l'électeur. »

Sinon, P.N.D.

P.N.D.

Proposition alternative formulée par la société candidate dans son offre finale :

« Adrexo demandera à ses distributeurs de servir la boîte à lettre même en l'absence de nom sur celle-ci, en respectant les consignes suivantes : 1/ Servir toutes boîtes nominatives ;
2/ De mettre un trait de feutre/marqueur noir sur les noms des plis restant et destinés à la même adresse ; 3/ De servir un pli "corrigé" par boîte non nominative.
»

Source : commission des lois du Sénat

On appréciera le niveau de diligence promis par l'une et l'autre société - qui importe sans doute moins, d'ailleurs, que la connaissance effective de leur métier par les distributeurs.

La solution proposée par Adrexo pour distribuer les plis restants dans les immeubles collectifs (dans le cas où certaines boîtes aux lettres ne porteraient pas de nom), en rayant les noms indiqués sur les enveloppes et en distribuant celles-ci au hasard, est inattendue. Il semble que le ministère, au cours de la négociation, ait demandé à La Poste de prendre le même engagement, mais celle-ci s'y est refusée pour des raisons juridiques, considérant que la loi ne permettait pas à un opérateur postal de changer le destinataire d'un envoi ou la nature du pli. Tout cela témoigne, sinon d'une certaine improvisation, du moins d' une appréhension approximative du statut juridique des plis de propagande qui, à défaut de dispositions dérogatoires, constituent des « envois de correspondance » au sens du code des postes et des télécommunications, soumis aux principes du droit postal .

Comme on le verra, des instructions encore différentes ont été données par le ministère au distributeur en cours d'exécution du contrat, et celles-ci ont d'ailleurs varié dans le temps .

(c) Le traitement des plis non distribués

Sur le traitement et le recensement des plis non distribués, les engagements pris par les deux opérateurs diffèrent notablement .

Le ministère, semble-t-il, envisageait initialement que ces plis soient renvoyés à l'adresse d'une boîte postale.

La Poste , faisant observer que cette solution était inadaptée aux volumes concernés (elle aurait imposé une relève quotidienne des PND renvoyés) et peu sécurisée, a proposé une solution de remplacement, finalement acceptée par l'administration, consistant à entreposer les plis dans un établissement postal par départemen t, désigné en accord avec la préfecture.

Quant à la société Adrexo , elle a convenu avec le ministère d'assurer un traitement dématérialisé des PND : les distributeurs eux-mêmes devaient signaler sur un outil informatique portable appelé Mobibox chaque pli non distribué avec le motif de non-distribution, ces informations étant collectées et agrégées - après occultation des données nominatives, mais non des adresses - dans les systèmes d'information de la société, en vue de leur transmission aux préfectures et au ministère. (En cas de panne de l'outil informatique ou du réseau, ces informations devaient être saisies par un agent d'encadrement à l'issue du « débriefing » de fin de tournée.) Les plis seraient ensuite détruits et recyclés, aux soins de la société - et, semble-t-il, à son profit.

Cette procédure numérisée, censée assurer un contrôle fiable et presque en temps réel de la distribution des plis de propagande, semble avoir particulièrement séduit l'administration . Il ressort du rapport d'analyse des offres que le ministère a demandé à La Poste, en cours de négociation, de développer à son tour un nouveau système d'information garantissant « la cohérence entre le reporting et la facturation », ce à quoi la société se serait engagée d'ici 2022.

À l'heure où le présent rapport d'information est publié, le fichier numérique des plis non distribués n'a pas encore été transmis par Adrexo au ministère, ce qui ne permet pas de juger de l'intérêt de cet outil .

(3) Les moyens humains, grands oubliés

L'un des aspects les plus surprenants de la passation du marché réside dans le peu d'importance accordé, dans la pondération des critères de sélection des candidats, aux moyens humains effectivement déployés sur le terrain pour distribuer les plis . L'item 2.3 du critère de valeur technique, qui y est consacrée, ne représente que 32 points sur 1 000, soit 3,2 % de la note totale .

Du moins le ministère de l'intérieur n'a-t-il pas été tout à fait aveugle aux forces et aux faiblesses des candidats dans ce domaine. À propos de La Poste, le rapport d'analyse note que son offre se situe au-delà des attentes de l'administration : « Le dimensionnement de l'équipe dédiée au suivi du projet, ainsi que les profils qui la composent sont très pertinents. De plus, 66 668 facteurs sont mobilisables pour l'exécution des prestations, signataires d'une charte de déontologie, sur leur comportement et leurs obligations professionnelles. La société dispose d'un vivier de ressources humaines supplémentaires en cas de besoin, ce qui constitue une réelle plus-value de l'offre ».

À l'inverse, on lit à propos d' Adrexo que « le dimensionnement des équipes affectées à la distribution des plis paraît assez réduit. La taille des effectifs conduit l'administration à s'interroger sur l'adéquation des moyens humains que le candidat mettra en oeuvre pour la réalisation de la prestation et ce, en dépit du fait que la société affirme dans son offre être capable de mobiliser des ressources exceptionnelles en cas de besoin . » L'expérience devait montrer que ces inquiétudes étaient justifiées... Il est difficilement compréhensible qu'un marché d'une telle sensibilité ait été confié à un prestataire dont l'administration elle-même doutait de la capacité à honorer ses engagements .

3. L'exécution du marché : les défaillances d'Adrexo et les responsabilités du ministère

Le choix de la société Adrexo pour assurer la distribution des plis de propagande dans sept régions métropolitaines, résultant à la fois d'une pondération discutable des critères techniques et d'une analyse des offres qui aurait pu être plus précise sur certains points, laissait présager des difficultés dans l'exécution du contrat. Mais les défaillances observées lors des élections du mois de juin dernier ont dépassé les prévisions. Le ministère de l'intérieur et son prestataire portent chacun une part de responsabilité dans cette situation.

a) Une dépendance excessive au travail temporaire

L'une des principales raisons des difficultés rencontrées par Adrexo pour honorer ses engagements tient au sous-dimensionnement de ses équipes de distributeurs .

Alors que la société affichait dans son offre (remise en juin 2020) plus de 22 000 salariés ou « Hoppers », elle n'en comptait plus qu'environ 15 000 à la fin de l'année, selon les déclarations des représentants syndicaux entendus par la mission, non démenties par la direction. Selon la même source, il s'agit pour la plupart d'entre eux de salariés à temps partiel (la durée de travail moyenne se montant de 14 heures), représentant au total environ 6 200 équivalents temps plein (ETP).

On comprend dès lors que la proportion des salariés par intérim affectés à cette prestation se soit élevée à 60 % pour le premier tour, taux qui devait être « plus important encore pour le second tour », selon les déclarations du directeur général d'Adrexo lors de son audition par la mission. Des contrats ont été passés avec pas moins de huit entreprises d'intérim , auxquelles le recrutement d'une majorité de distributeurs a ainsi été délégué.

b) Un recrutement et une formation expéditifs

La sélection des candidats intérimaires a répondu, semble-t-il, à des critères assez simples . La société Gojob, agence d'intérim qui a la particularité de fonctionner presque exclusivement grâce à une plateforme Internet, a conçu avec son client Adrexo un « quiz d'évaluation » en ligne pour chacun des métiers concernés (distributeur de courrier, manutentionnaire, chauffeur-livreur), les candidatures des personnes obtenant les meilleurs scores étant ensuite examinées par un recruteur. Il s'agissait de tester quelques compétences de base, au moyen de questions à choix multiples, qu'il s'agisse de l'orientation dans l'espace, de la capacité de lire un nom sur une boîte aux lettres, ou encore de compréhension écrite :

Le test de sélection des distributeurs d'Adrexo
par une entreprise d'intérim (exemples)

Source : Gojob

La formation de ces salariés intérimaires fut également expéditive .

S'agissant par exemple des salariés mis à disposition par Gojob, ils étaient d'abord invités à suivre un « parcours d'intégration » entièrement numérique conçu conjointement par l'agence d'intérim et Adrexo, sous la forme d' une vidéo de 3 minutes 26 secondes 38 ( * ) présentant l'entreprise et les tâches à accomplir, suivi d'un bref questionnaire à choix multiples permettant de vérifier sa bonne compréhension 39 ( * ) .

Le parcours d'intégration conçu par Gojob et Adrexo

Source : Gojob

Une heure de formation in situ était ensuite dispensée aux intérimaires, et c'est à la même occasion que le matériel nécessaire à la tournée leur était remis. Par contraste, le directeur général adjoint du groupe La Poste a déclaré à la mission d'information que les intérimaires recrutés par La Poste recevaient deux jours de formation, dont une journée consacrée aux gestes du métier en doublure avec un autre postier.

Rappelons que la formation de salariés intérimaires incombe à l'entreprise auprès de laquelle ils sont mis à disposition . Les insuffisances constatées en l'espèce ne sauraient être reprochées aux agences d'intérim concernées. En tout état de cause, il appartenait à la société Adrexo de se doter des moyens nécessaires à l'exécution du contrat souscrit avec l'État.

c) Des consignes de distribution erratiques

Comme on l'a noté précédemment, les deux prestataires s'étaient engagés à donner à leurs distributeurs des consignes de distribution précises, mais différentes dans les deux cas.

En pratique, chez Adrexo, ces consignes ont fluctué, ce qui est en partie le fait du ministère lui-même .

Le document servant de support à la formation des distributeurs est laconique à ce sujet (voir la reproduction ci-dessous). S'agissant des habitations individuelles, la consigne est conforme aux prévisions du contrat avec le ministère, mais elle ne détaille pas les cas envisageables (absence de nom sur la boîte aux lettres, discordance entre les noms figurant sur la boîte et sur l'enveloppe...). S'agissant des habitations collectives, il n'est pas question d'une distribution aléatoire des plis surnuméraires anonymisés.

Extrait du support de formation des distributeurs (source : Adrexo)

Pourtant, il ressort des documents transmis à la mission d'information et des déclarations du secrétaire général du ministère de l'intérieur que des instructions différentes avaient d'abord été données au prestataire : en cas d'impossibilité d'identifier la boîte aux lettres d'un ou plusieurs destinataires en habitat collectif, le ministère avait d'abord demandé que les plis restants soient laissés en vrac dans les parties communes . Ce n'est que le 25 mai, après avoir reçu un nombre inhabituel de plaintes d'élus et de candidats, que l'administration centrale, par courriel adressé au directeur national du développement commercial d'Adrexo, a modifié ses instructions et demandé que ces plis soient rapportés au centre.

Source : ministère de l'intérieur

Par ailleurs, des élus se sont étonnés auprès des préfectures que certains de leurs administrés aient trouvé dans leur boîte aux lettres des plis anonymisés , ce qui montre qu'une consigne encore différente avait été donnée à certains distributeurs. Dans d'autres cas, ces plis anonymisés n'ont pas été déposés en boîte aux lettres, mais déposés en tas... et retrouvés sur la voie publique.

Source : ministère de l'intérieur

d) La désorganisation de la chaîne de production : les relations d'Adrexo avec les routeurs

Les difficultés rencontrées par les titulaires du marché de distribution, et plus particulièrement par la société Adrexo, tiennent aussi aux relations entretenues avec les opérateurs chargés de la mise sous pli des documents de propagande et du conditionnement des enveloppes , qu'il s'agisse des préfectures ou de communes agissant en régie ou d'entreprises privées de routage.

Les responsabilités semblent partagées dans ces dysfonctionnements de la chaîne de production. Rappelons qu'aux termes du cahier des clauses techniques particulières du marché de distribution, il appartient au distributeur de fournir les contenants dans lesquels l'opérateur de mise sous pli doit entreposer les enveloppes de propagande électorale, avant leur enlèvement par le distributeur. La réunion de lancement organisée par chaque préfecture, entre un et trois mois avant chaque élection, doit être l'occasion de préciser la nature de ces contenants, ainsi que les autres modalités logistiques de l'opération, en particulier les dates d'enlèvement (en principe échelonnées au fur et à mesure de la mise sous pli). La société Adrexo avait en outre indiqué dans son offre qu'elle transmettrait à l'opérateur de mise sous pli les données nécessaires à l'édition d'une « ligne technique » sur chaque enveloppe (voir ci-avant), ainsi qu'un plan de conditionnement des plis et une fiche signalétique pour chaque contenant.

Au second tour des élections, les deux distributeurs font état d'importants retards de livraison des plis , sur lesquelles nous reviendrons et dont nous essaierons d'élucider les causes.

Les dirigeants d'Adrexo signalent également des livraisons non conformes aux prescriptions adressées aux routeurs, qu'il s'agisse de plis non complets ou restés ouverts, de boîtes ne contenant pas l'intégralité de plis correspondants, de discordances entre le contenu des boîtes et la fiche signalétique apposée, ou encore de défauts de classement des plis. Trois constats d'huissier ont été communiqués à la mission d'information, établissant des manquements sur les sites de Koba Global Services à Treillières (Loire-Atlantique) et Romans-sur-Isère (Drôme) et sur celui de Duhamel Logistique à Val-de-Reuil (Eure).

Extrait d'un constat d'huissier établi par M e Gontier à Treillières (source : Adrexo)

Extraits d'un constat d'huissier de M e Da Costa Fernandes à Val-de-Reuil (source : Adrexo)

À l'inverse, les représentants de Koba Global Services, lors de leur audition, se sont plaints de relations difficiles avec le distributeur Adrexo, qui auraient compliqué le travail du personnel de routage . Philippe Grenier, président de Koba Global Services, a notamment déclaré que le cahier des charges imposé par Adrexo à sa société avait été modifié la veille du second tour. Plus précisément, « Adrexo devait nous livrer dans les vingt-sept cellules les mêmes types de contenants que La Poste avait l'habitude de nous livrer, à savoir des bacs, des rolls. Il y a une approche purement industrielle, avec des gros bacs à la sortie de la machine ; et une approche manuelle, avec des petits bacs contenant 200 ou 300 plis, qui sont ensuite installés sur des rolls. C'est cette manipulation manuelle qui aurait dû être mise en oeuvre dans les cellules. Mais la veille du démarrage de nos opérations, ou deux jours avant, Adrexo nous a informés par mail qu'il ne nous livrerait pas de bacs, ni de rolls. » Dans un courriel adressé par la suite à la mission d'infomation, Alain Brousse, directeur général, renvoie Koba Global Services à ses propres responsabilités, puisque le mode de mise sous pli (manuelle ou industrielle) aurait été modifié sur le site de Saint-Priest sans que le distributeur ait été informé.

Toujours est-il que d'autres témoignages font état, dès le commencement des opérations, de problèmes liés à la qualité du matériel fourni par Adrexo aux opérateurs de mise sous pli . On peut citer un courriel adressé dès le 12 mai par la préfecture de la Marne (où la mise sous pli était effectuée en régie) au responsable local d'Adrexo : la préfecture y déplore d'avoir appris au tout dernier moment que les bacs plastiques qui devaient être livrés seront finalement remplacés par des cartons dont elle ne connaît ni le nombre, ni la capacité.

Source : ministère de l'intérieur

e) L'encadrement aux abonnés absents

Alors que les signes de dysfonctionnement se multipliaient depuis la fin mai, il a été d'autant plus difficile de corriger le tir que, selon un constat unanime, les administrations comme les autres prestataires impliqués ont eu le plus grand mal à joindre les responsables locaux d'Adrexo et à obtenir d'eux des réponses satisfaisantes à leurs questions .

Les témoignages abondent à ce sujet. Dès le 18 mai, le bureau des élections du ministère de l'intérieur doit signaler à la direction nationale d'Adrexo que le directeur régional de la société dans les Pays-de-la-Loire ne répond plus aux appels de la préfecture de la Mayenne ; ses correspondants infradépartementaux, de leur côté, ne répondaient plus aux appels des communes, confrontées au manque de contenants et de chariots pour la mise sous pli. Entre les deux tours, alors que le ministère de l'intérieur - dans ses efforts pour resserrer le contrôle des préfectures sur les opérations - avait demandé à la société une mise à jour de la liste de ses correspondants locaux, il a eu la surprise de constater qu'une bonne partie d'entre eux n'étaient pas ceux qui avaient été initialement désignés. Les représentants de la société Koba Global Services ont eux aussi déclaré avoir été dans bien des cas incapables d'identifier leur interlocuteur local chez Adrexo.

Lorsque les cadres locaux de l'entreprise ont répondu aux sollicitations, ce fut parfois avec une désinvolture pour le moins étonnante . À la suite de l'élection législative partielle des 30 mai et 6 juin dans la sixième circonscription du Pas-de-Calais, où la distribution de la propagande électorale, confiée pour la première fois à Adrexo, avait déjà été entachée par de multiples dysfonctionnements, l'administration centrale du ministère de l'intérieur a par exemple reçu ce message désemparé du responsable des élections de la préfecture :

Source : ministère de l'intérieur

Au niveau national , les échanges entre le ministère et la direction d'Adrexo semblent avoir été plus fluides, mais ce ne fut pas toujours le cas. Le vendredi 18 juin, avant-veille du premier tour, l'adjointe à la cheffe de la section financière du bureau des élections s'agace du silence conservé par les dirigeants d'Adrexo alors que les signaux d'alerte se multiplient.

Source : ministère de l'intérieur

B. DES DIFFICULTÉS AGGRAVÉES AU SECOND TOUR PAR LES DYSFONCTIONNEMENTS DES ÉTAPES ANTÉRIEURES DE LA CHAÎNE DE PRODUCTION

Les graves manquements observés au premier tour dans la distribution de la propagande électorale se sont mués, malgré le scandale naissant et le resserrement du contrôle du ministère, en une véritable « catastrophe industrielle » au second tour, en raison des difficultés rencontrées à l'amont de la chaîne de production, lors de l'impression des documents et, surtout, de leur mise en pli et de leur routage.

Pour le comprendre, il convient d'abord de prendre une vue d'ensemble de la manière dont ces opérations sont organisées.

1. La mise sous pli et le routage des plis de propagande : une activité de plus en plus externalisée, des dysfonctionnements récurrents
a) Un recours désormais massif à des prestataires privés

La mise sous pli des documents de propagande électorale remis par les candidats ainsi que leur routage (c'est-à-dire leur conditionnement avant remise à l'opérateur postal) étaient traditionnellement effectués en régie par les préfectures ou délégués aux communes.

Depuis une vingtaine d'années, les préfectures, confrontées à la baisse de leurs effectifs, ont eu de plus en plus fréquemment recours à des prestataires privés pour effectuer ces opérations . Alors que 31 préfectures externalisaient la mise sous pli lors de l'élection présidentielle de 2012, elles étaient 47 lors des élections régionales de 2015, 57 lors des élections présidentielle et législatives de 2017, et le mouvement s'est encore accéléré depuis, malgré plusieurs appels d'offres infructueux. Lors du second tour des élections départementales de juin 2021, la mise sous pli était confiée en tout ou partie à des routeurs privés dans 65 % des départements , et cette proportion s'est élevée à 84 % lors du second tour des élections régionales .

Sources : ministère de l'intérieur

Ces marchés publics de services sont passés soit au niveau départemental, soit de manière groupée par plusieurs préfectures de département, soit par la préfecture de région. Il semble que la passation d'un marché national, même alloti, n'ait jamais été envisagée, sans doute pour laisser la latitude nécessaire aux services déconcentrés de l'État.

Le marché est dominé par quelques prestataires :

- aux élections départementales, la société Koba Global Services a été choisie dans trente-trois départements, la société Diffusion Plus dans sept départements, La Poste dans six départements, les autres opérateurs privés (au nombre de dix) n'étant présents que dans un à trois départements ;

- aux élections régionales, Koba Global Services est intervenue dans trente-cinq départements, La Poste ou ses filiales Docapost ou Viapost dans treize départements, Diffusion Plus dans sept départements, la société RDSL dans six départements, les onze autres prestataires se répartissant le reste à raison d'un à trois départements chacun.

Ces prestataires privés, pour la plupart d'entre eux, réalisent la mise sous pli de façon automatisée , grâce à des machines conçues à cet effet, alors que l'opération s'effectue encore manuellement en préfecture.

b) Des dysfonctionnements récurrents

La mise sous pli des documents de propagande électorale donne lieu, depuis plusieurs années, à des dysfonctionnements d'ampleur certes limitée, mais récurrents . Selon une étude diligentée par le bureau des élections et des études politiques du ministère de l'intérieur à la suite des scrutins de 2017 , pas moins de 76 % des préfectures avaient signalé des difficultés imputables à leurs prestataires . Avaient ainsi été relevés :

- des problèmes d'ordre technique, imputables soit à la vétusté des machines (guère utilisées en dehors des élections), au maniement de celles-ci par des agents insuffisamment formés ou au papier sur lequel avaient été imprimés les documents, non conforme aux normes techniques ;

- des plis incomplets (dans 30 % des départements), vides ou abîmés ;

- des retards de livraison (20 % des départements).

Certains prestataires semblaient avoir surévalué leurs capacités de production en répondant à un nombre excessif d'appels d'offres ; les mêmes ou d'autres n'avaient prévu aucun plan de secours en cas d'avarie, ce qui a imposé à des préfectures de réinternaliser le processus en urgence.

Des problèmes similaires ont été rencontrés cette année, aggravés par d'autres facteurs.

2. De graves retards de livraison dans l'entre-deux-tours, imputables à une pluralité de facteurs
a) Au premier tour, une situation qui paraît globalement satisfaisante

La mise sous pli des documents de propagande électorale avant le premier tour des élections départementales ou régionales de juin 2021 ne semble pas avoir suscité de difficultés majeures . Le calendrier laissait au moins trois semaines entre la date limite de dépôt des documents des candidats (fixée par arrêté) et la date limite de remise des plis par les routeurs aux opérateurs postaux (fixée contractuellement), ce qui a généralement permis de trouver, en cas de problème, des solutions de secours plus ou moins satisfaisantes .

Ainsi, la société Koba Global Services, titulaire du marché de mise sous pli dans les Landes (comme dans l'ensemble dix départements de Nouvelle-Aquitaine), a dû interrompre le 25 mai les opérations commencées sur son site de Mérignac (Gironde) pour les transférer à Rantigny (Oise), en raison du désistement d'un grand nombre d'intérimaires . Cela a empêché la commission de propagande de se rendre sur le site de production pour vérifier le bon déroulement des opérations.

Quelques préfectures ont signalé au ministère avoir constaté l'existence de plis incomplets, sans que les responsabilités soient toujours établies . Dans les cantons de Guéret-2 et de Saint-Vaury (Creuse), par exemple, les documents d'un binôme de candidats manquaient dans les enveloppes ; le routeur Koba Global Services prétendait qu'une quantité insuffisante de documents lui avait été livrée, ce que contestait l'imprimeur. Un problème du même ordre a également été signalé par les préfectures de l'Ariège (où la mise sous pli incombait à la société Routage Services) et du Var (où elle incombait à Koba).

b) Au second tour, seulement un pli sur deux livré à temps ?

Les tableaux de reporting communiqués par les distributeurs postaux au ministère de l'intérieur montrent qu'au niveau national et au total, le nombre de plis de propagande remis à ces derniers représente, au second tour, 94 % du volume attendu pour les élections départementales et 87 % pour les élections régionales . De fortes disparités régionales peuvent être observées, non sans lien avec l'identité des prestataires .

Nombre de plis non livrés aux opérateurs postaux par département

Source : commission des lois du Sénat (fait avec Khartis)

Il est plus délicat de savoir quelle proportion de plis ont été remis dans le délai prévu contractuellement, soit le jeudi soir à minuit , afin de permettre aux distributeurs d'exécuter leur mission dans de bonnes conditions.

Les informations communiquées à la mission sont, à ce sujet, lacunaires . En audition, Éric Paumier a déclaré qu'Adrexo avait reçu 60 % des plis dans le délai imparti. Philippe Wahl, pour La Poste, a fait état de données plus précises ; la société aurait pris livraison :

- le jeudi à minuit, de 44 % des plis attendus pour les élections régionales et de 88 % pour les départementales ;

- le vendredi jusqu'à minuit, de 29 % de plis supplémentaires pour les régionales et 5% pour les départementales ;

- le samedi jusqu'à 3 heures, de 7 % de plis supplémentaires pour les régionales

La société de routage Diffusion Plus a fourni, pour ce qui la concerne, les chiffres suivants :

- le jeudi à minuit aurait été mis à disposition des opérateurs postaux 86 % de plis prévus ;

- le vendredi jusqu'à 6 heures 6 % de plus (soit un total de 92 %) ;

- le vendredi de 6 heures à midi 5,5 % de plus (97,5 %) ;

- le vendredi de midi à 18 heures les 2,5 % restants.

Les représentants de la société Koba Global Services sont, eux, restés évasifs à ce sujet et n'ont pas répondu à la demande de précision écrite formulée par la mission d'information.

Les remontées des préfectures auprès du ministère de l'intérieur font également état de multiples difficultés, en particulier là où la mise sous pli avait été confiée à Koba Global Services . Au total, 56 préfectures sur les 96 ayant répondu aux sollicitations du ministère signalent des dysfonctionnements, dont 100 % de celles qui avaient choisi Koba Global Services. La préfecture des Hauts-de-Seine écrit par exemple : « La mise sous pli s'est très mal déroulée, les services de KOBA ont été très rapidement submergés, et dès le jeudi fin de matinée il était clair que les délais ne seraient pas tenus et qu'il serait difficile pour eux de mettre sous pli toute la propagande électorale. Après plusieurs échanges jeudi en fin d'après-midi, il a été demandé par leur direction de leur fournir des consignes sur d'éventuelles priorisations, actant que la production ne pourrait pas se faire pour l'ensemble des plis du département. Au final la production de plis (et donc la distribution) n'a pas été effectuée pour certaines communes. »

À plusieurs reprises, les services de l'État ont dû être appelés en renfort , par exemple dans les Alpes-Maritimes : « La société KOBA a été largement dépassée par la tâche qui lui était confiée et n'a pas pu livrer au distributeur tous les plis destinés aux électeurs. La préfecture a organisé en urgence le jeudi 24 juin une opération de mise sous plis en régie (130 agents mobilisés jusqu'à 1h30 du matin) pour résorber une partie du retard du prestataire. » Outre les retards de livraison, certaines préfectures signalent divers manquements, tels que le non-respect des procédures définies préalablement, des erreurs et oublis dans la mise sous pli, des problèmes d'ordonnancement des plis, etc .

c) Des causes multiples
(1) Des délais très resserrés pour deux scrutins concomitants

Le délai d'une semaine qui sépare (sauf pour l'élection présidentielle) les deux tours de scrutin d'une même élection rend toujours les opérations d'impression, de mise sous pli et d'acheminement de la propagande électorale assez complexes . En juin 2021, les routeurs - ou les préfectures et communes effectuant la mise sous pli en régie - disposaient au second tour :

- de 54 heures (entre le mardi 22 juin à 18 heures, date limite fixée dans la plupart des départements pour la livraison des documents par les binômes de candidats, et le jeudi 24 à minuit, date limite de remise des plis aux distributeurs) pour mettre sous pli les documents de propagande des binômes de candidats aux élections départementales , dans les 1 909 cantons concernés ;

- de 40 heures (entre le mercredi 23 juin à 8 heures et le jeudi 24 à minuit) pour mettre sous pli la propagande des listes de candidats aux élections régionales .

La concomitance des deux scrutins rendait cette fois les opérations encore plus complexes, en imposant une mobilisation exceptionnelle des ressources humaines et techniques des prestataires. Dès le mois de janvier 2020, un rapport de la commission des lois du Sénat relevait l'inquiétude des professionnels à l'approche de l'échéance 40 ( * ) .

À cela s'est ajouté, lors du second tour des élections départementales et régionales de juin 2021, un nombre inhabituel de triangulaires voire de quadrangulaires , multipliant le nombre de documents à traiter.

(2) Des problèmes techniques liés notamment au défaut de séchage du papier

Dans un calendrier aussi contraint, aucun imprévu ne peut être toléré. Or des dysfonctionnements techniques (bourrage papier, etc .) ont perturbé la mise sous pli sur certains sites, imputables principalement, semble-t-il, au séchage insuffisant des documents après leur impression, lui-même lié aux délais très resserrés imposés aux candidats... ainsi qu'aux conditions météorologiques dans certaines régions comme le Centre-Val-de-Loire.

Peut-être la vétusté des machines utilisées par certains routeurs n'est-elle pas étrangère à ces dysfonctionnements.

Il ne semble pas, en revanche, que l'assouplissement exceptionnel des règles de grammage des documents de propagande électorale , décidé par le ministère à la demande de nombreux candidats et pour faire face à la pénurie de papier, doive être incriminé 41 ( * ) .

(3) Les difficultés liées aux relations avec les distributeurs

Le fait même que deux titulaires aient été choisis pour assurer la distribution des plis de propagande constituait un facteur de complexité supplémentaire pour les routeurs , comme l'ont relevé en audition les représentants de Koba Global Services et Diffusion Plus. En effet, les consignes de mise sous pli et de conditionnement des plis adressées par La Poste et Adrexo différaient, et il est arrivé que, sur un même site de production, des documents soient mis sous pli pour être livrés à l'une et l'autre société.

En outre, il est possible que des changements imposés à la dernière minute par Adrexo, notamment en ce qui concerne le matériel fourni, aient rendu plus difficile encore la tâche des routeurs, mais ce point reste à établir et, comme on l'a vu, les responsabilités semblent partagées 42 ( * ) .

(4) Un sous-dimensionnement des capacités productives de Koba

Enfin, il y a des raisons de penser que certains routeurs, en particulier la société Koba Global Services, ont surévalué leurs capacités productives et pris des engagements qu'ils n'étaient pas en mesure d'honorer .

Cette société, comme il a été dit, est intervenue dans la mise sous pli de la propagande électorale dans 33 départements aux élections départementales et 35 aux élections régionales . Elle était l'unique prestataire de mise sous pli dans cinq des dix départements les plus peuplés (les Bouches-du-Rhône, le Rhône, la Gironde, les Hauts-de-Seine et les Yvelines). Au total, le nombre d'électeurs inscrits dans les départements couverts par Koba s'élève à 16,3 millions (sur environ 44,5 millions en France métropolitaine, soit 37 % ) pour les élections départementales et à 18,4 millions (41 %) aux élections régionales.

Pour faire face à une telle masse de documents dans des délais aussi brefs, la société a dû ouvrir, en plus de ses deux sites de production mécanisés de Rantigny et Mérignac, 27 « sites éphémères » en des points divers du territoire, où la mise sous pli s'est effectuée de manière manuelle.

Elle a dû recourir massivement au travail temporaire , les intérimaires représentant la quasi-totalité des salariés des sites « éphémères » et la moitié environ de ceux des sites permanents, selon les déclarations des dirigeants de la société. Cette dépendance au travail intérimaire s'est révélée un facteur de fragilité , car la société n'a pas pu recruter aussi facilement qu'attendu, y compris sur ses sites industriels comme en témoigne le courriel déjà cité de la préfecture des Landes. Philippe Grenier, président du conseil d'administration, a souligné lors de son audition que le distributeur Adrexo avait « asséché » le marché de l'intérim.

La plupart des préfectures concernées soulignent ainsi l'insuffisance criante des moyens humains déployés par Koba Global Services pour faire face à sa mission . Plusieurs signalent aussi des conditions de travail déplorables sur certains sites de la société, voire une « démission » de l'encadrement.

IV. QUE FAIRE POUR SÉCURISER LES PROCHAINS SCRUTINS ?

À quelques mois d'échéances électorales majeures pour la vie démocratique de notre pays, il est urgent de prendre les mesures nécessaires pour que les défaillances constatées ne se reproduisent pas, sous peine d'entacher la sincérité des scrutins, de détourner plus encore nos concitoyens des urnes et d'affaiblir la légitimité des élus.

A. METTRE DE L'ORDRE DANS LE CHOIX DES PRESTATAIRES

Une remise en ordre semble s'imposer dans le choix, par le ministère de l'intérieur et les préfectures, de prestataires extérieurs pour effectuer les travaux de mise sous pli et de distribution de la propagande électorale .

S'agissant de la distribution , un grand nombre de témoignages et d'indices laissent à penser que la société Adrexo a manqué gravement à ses obligations vis-à-vis de l'État. Les investigations doivent se poursuivre à ce sujet. Les différents documents de reporting fournis par la société, y compris le fichier Excel des plis non distribués qu'elle doit transmettre d'ici quelques semaines au ministère, devront être systématiquement soumis à un examen contradictoire. Si les manquements sont avérés, la résiliation unilatérale du contrat par l'État doit être sérieusement envisagée dans les meilleurs délais.

Recommandation n° 1 :  Inviter le ministère de l'intérieur à poursuivre les investigations sur les manquements des distributeurs, notamment de la société Adrexo, et à envisager le cas échéant la résiliation de l'accord-cadre dès cette année.

Il appartiendrait alors au ministère de lancer une nouvelle procédure de passation d'un accord-cadre pour les sept lots aujourd'hui attribués à Adrexo. Si La Poste est seule à offrir les garanties nécessaires sur l'exécution du contrat, elle devra être choisie.

Le ministre de l'intérieur a esquissé d'autres pistes qui doivent sans aucun doute être écartées . Il a évoqué l'idée que l'État reprenne en régie la distribution de la propagande électorale , ce qui est tout à fait hors de portée : on n'imagine pas les agents des préfectures faire la tournée des boîtes aux lettres des habitants du département. Précisant peut-être sa pensée, il a parlé de « travailler en direct avec la société La Poste 43 ( * ) », sans la soumettre à la concurrence. On ne sait s'il s'agirait d'attribuer à cette société un monopole à proprement parler, c'est-à-dire un droit exclusif d'exercer l'activité de distribution de la propagande électorale, ou seulement de lui attribuer le marché sans mise en concurrence. L'une et l'autre solutions se heurtent à des obstacles juridiques insurmontables, qui tiennent à la fois aux engagements internationaux de la France et à nos principes constitutionnels :

- les services postaux appartiennent désormais au secteur concurrentiel, et la directive du 15 décembre 1997 modifiée interdit expressément aux États membres de l'Union européenne d'instituer ou de maintenir dans ce domaine des droits exclusifs ou spéciaux au bénéfice d'une entité quelconque 44 ( * ) ;

-  le droit européen des marchés publics aussi bien que les principes constitutionnels de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures interdisent qu'un marché d'une telle importance soit attribué par l'administration à une société commerciale sans mise en concurrence préalable.

L'octroi d'un monopole de droit ou de fait à La Poste ne serait d'ailleurs pas opportun, car la concurrence, dans ce domaine comme dans d'autres, contribue à l'amélioration du service rendu et à la modération des prix.

Recommandation n° 2 :  Ne pas exclure, le cas échéant, l'attribution de tous les lots du marché à un même opérateur postal, sans pour autant lui octroyer un monopole ou le soustraire à toute mise en concurrence, ce qui serait contraire au droit européen.

À l'occasion de ce nouvel appel d'offre, il paraît impératif de revoir les critères de sélection des candidats en attribuant un poids beaucoup plus important aux moyens opérationnels, tant humains que techniques, qu'ils sont en mesure de déployer pour assurer la bonne exécution du marché.

Il conviendra aussi de s'assurer, peut-être plus diligemment que par le passé, de la bonne santé économique et financière des entreprises candidates, afin de vérifier qu'elles sont en mesure d'honorer leurs engagements pendant toute la durée de l'accord-cadre.

Recommandation n° 3 :  Revoir les critères de sélection des candidats au marché de la distribution des plis électoraux, pour donner la prépondérance aux moyens opérationnels.

En ce qui concerne la mise sous pli des documents de propagande, il serait utile que l'administration centrale du ministère de l'intérieur renforce la coordination entre les préfectures dans le choix éventuel de prestataires extérieurs, afin notamment d'éviter qu'une même entreprise se voie attribuer une proportion trop considérable de marchés locaux, excédant ses capacités productives.

Recommandation n° 4 :   Mieux associer l'administration centrale du ministère de l'intérieur à la passation des marchés locaux de mise sous pli, et contrôler le volume des prestations confiées à chaque entreprise de routage au niveau national.

B. RÉAFFIRMER L'IMPORTANCE DE LA PROPAGANDE ÉLECTORALE « PAPIER » ET ASSURER SON ACHEMINEMENT, TOUT EN DIVERSIFIANT LES MODES D'ACCÈS À L'INFORMATION

Le triste épisode des dernières élections départementales et régionales a confirmé l'importance qu'attachent les Français aux documents de propagande électorale qu'ils reçoivent (en principe !) à leur domicile. Comme il a été relevé, les dysfonctionnements dans la distribution des plis de propagande semblent avoir eu une incidence d'autant plus importante sur l'abstention que la campagne électorale en vue de ces élections a eu peu d'écho dans les médias, compte tenu du contexte sanitaire, et que la communication du Gouvernement sur la tenue de ces scrutins a été très limitée.

Il est donc hors de question, pour la mission d'information, que les défaillances pratiques constatées lors de ces élections servent de justification à la dématérialisation intégrale de la propagande électorale , plusieurs fois proposée par les gouvernements successifs. Sur les 3 019 maires ayant répondu à la consultation en ligne lancée par la mission d'information, seuls 608 se déclarent d'ailleurs favorables à une telle évolution, soit seulement 20 % d'entre eux.

Recommandation n° 5 :  Exclure toute dématérialisation intégrale de la propagande électorale.

Il convient au contraire de faciliter l'acheminement des plis. Au-delà de la question déjà abordée du choix des prestataires, la réflexion doit se poursuivre sur les moyens d' améliorer les bases d'adresses postales des électeurs, afin de limiter le nombre de plis non distribués. Un amendement présenté il y a quelques mois par Alain Richard, membre de la mission d'information, préconisait d'imposer à La Poste et aux distributeurs d'électricité, en tant que concessionnaires de services publics, l'obligation d'informer les électeurs des modalités d'inscription sur la liste électorale de leur commune, dans le cas où ces entreprises auraient connaissance du changement de domicile ou de résidence d'un de leurs clients 45 ( * ) .

Les représentants de La Poste, lors de leur audition, ont pour leur part proposé de mettre à disposition leurs propres bases d'adresses pour corriger le fichier des électeurs issu du répertoire électoral unique - ce qui soulèverait certes des difficultés, car l'adresse indiquée par l'électeur lors de son inscription doit continuer à faire foi. Une solution pourrait consister à communiquer suffisamment à l'avance le fichier des électeurs au distributeur titulaire du marché, en le chargeant de croiser ce fichier avec ses propres bases d'adresses et de communiquer aux maires les éventuelles anomalies ; il appartiendrait alors au maire, chargé de l'établissement de la liste électorale de la commune, de prendre les décisions appropriées 46 ( * ) .

Recommandation n° 6 :   Afin de limiter le nombre de plis non distribués, mieux tirer parti des bases d'adresses des opérateurs postaux pour corriger le fichier des électeurs.

Par ailleurs, les errements constatés, de la part des opérateurs comme du ministère lui-même, à l'occasion des dernières élections montrent que les consignes à donner aux agents en cas de difficulté de distribution doivent avant le premier tour des élections doivent impérativement être précisées et stabilisées. Comme tout pli de correspondance, les plis de propagande ne doivent être remis qu'à leur destinataire ou rapportés au centre de distribution.

Recommandation n° 7 :  Préciser et uniformiser les consignes de distribution à donner aux agents.

De même, le ministère de l'intérieur doit être attentif à la formation dispensée aux agents chargés de la distribution, y compris les vacataires et intérimaires, notamment pour qu'ils soient sensibilisés aux enjeux propres à l'acheminement de la propagande électorale.

Recommandation n° 8 :  Préciser, dans les clauses du marché public, les exigences minimales de formation des agents chargés de la distribution.

Les systèmes de reporting imposés aux opérateurs doivent être améliorés afin de mettre fin aux discordances maintes fois observées entre les statistiques déclarées et les constatations du terrain.

Recommandation n° 9 :  Améliorer les systèmes de reporting imposés aux opérateurs, afin de mettre fin aux discordances entre chiffres déclarés et constatés.

Il serait illusoire de penser que le nombre de plis non distribués peut être réduit à zéro. Au bénéfice des électeurs qui, pour une raison ou une autre - changement d'adresse non signalé, etc . - n'auraient pas reçu à domicile les documents de propagande électorale, il serait concevable d'en mettre quelques exemplaires à disposition en mairie. En revanche, l'idée émise par le ministre de l'intérieur, consistant à mettre les professions de foi des candidats à disposition des électeurs dans les bureaux de vote, doit être fermement écartée, car elle favoriserait la confusion entre professions de foi et bulletins de vote ; or il faut rappeler qu'une enveloppe contenant une profession de foi au lieu d'un bulletin est comptabilisée comme un vote nul.

L'envoi des documents de propagande électorale sous format papier n'exclut pas leur publication sous format numérique. Ouvert à titre expérimental dans quelques départements par le ministère de l'intérieur lors des élections législatives de 2017, le site Internet « Programme des candidats aux élections » ( https://programme-candidats.interieur.gouv.fr/ ) a vu son existence consacrée par le législateur en vue des élections départementales et régionales de juin 2021 47 ( * ) . Tout candidat, binôme ou liste de candidats pouvait donc transmettre à la préfecture, en vue de sa mise en ligne, une version numérique de leur profession de foi, ainsi qu'une version numérique du même document adapté aux normes dites « facile à lire et à comprendre » (FALC). La mise en ligne était effectuée par la préfecture, sous réserve du contrôle de conformité effectué par la commission de propagande.

Malheureusement, ce site Internet reste mal connu, et il est demeuré longtemps difficilement accessible depuis le site du ministère de l'intérieur. Le sujet a été évoqué lors de la réunion du 3 juin du comité de suivi des élections, présidé par Jean-Denis Combrexelle. Il conviendra d'y remédier à l'avenir, ce qui peut passer par plusieurs moyens : affichage d'un lien en tête de la page d'accueil du site Internet du ministère de l'intérieur, voire des préfectures et des communes, campagne d'information, etc .

Recommandation n° 10 :  Informer par tous moyens les électeurs de la publication en ligne des professions de foi des candidats.

Enfin, il serait envisageable de permettre aux électeurs qui en feraient la demande expresse de recevoir la propagande électorale sous format numérique , plutôt que sous format papier. La mission d'information insiste pour que cela demeure une simple option, révocable ultérieurement .

Cette solution aurait néanmoins le mérite de diminuer le volume total des documents à mettre sous pli et des plis à distribuer et, par conséquent, de réduire le risque de dysfonctionnements, lié en partie à un effet de masse. En raison de la baisse du trafic de courrier en France, nos systèmes de production (qu'il s'agisse d'impression, de mise sous pli et de routage ou de distribution) semblent de moins en moins adaptés à de tels envois massifs, et il y a tout lieu de penser que ce processus ne s'inversera pas.

La baisse du volume des plis distribués aurait également pour avantage de diminuer le coût de la distribution de la propagande électorale pour l'État, ainsi que ses incidences sur l'environnement.

Cette solution a recueilli l'approbation de 1 827 des 3 019 maires ayant répondu à la consultation, soit 60,5 % d'entre eux.

Recommandation n° 11 :   Permettre aux électeurs qui en feraient la demande expresse de ne recevoir la propagande électorale que sous format numérique.

C. RÉFLÉCHIR À UNE ÉVOLUTION DU CALENDRIER ÉLECTORAL

L'aggravation des dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale au second tour des élections départementales et régionales de juin dernier est sans doute imputable en partie aux délais extrêmement resserrés imposés aux différents acteurs de la chaîne, alors même que deux élections générales se tenaient concomitamment sur l'ensemble du territoire national.

Faut-il, dès lors, envisager d'allonger d'une à deux semaines l'intervalle entre les deux tours de scrutin pour les élections autres que la présidentielle ? Cette question mérite une réflexion approfondie, car ses implications sont multiples. La durée actuelle de l'entre-deux-tours façonne les opérations préélectorales, la campagne et le déroulement même du scrutin. Elle impose des délais très brefs pour l'enregistrement des candidatures au second tour, ce qui limite la durée des tractations entre les candidats (notamment en vue d'éventuelles fusions de liste), ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Elle évite aussi, selon certains, une démobilisation des électeurs. Il ne serait pas satisfaisant d'être conduit à modifier nos règles électorales pour des raisons purement pratiques liées à l'acheminement de la propagande.

Le principe de la concomitance du renouvellement général des conseils départementaux et régionaux, inscrit dans la loi depuis 2013 (mais auquel il avait été dérogé en 2015), mérite également d'être interrogé. Ce double scrutin a provoqué de nombreuses difficultés d'organisation pour les préfectures comme pour les communes. Il a également conduit à adopter ou à envisager des évolutions juridiques qui, pour certaines d'entre elles, suscitent des réserves 48 ( * ) . Le principal objectif recherché, qui était de réduire l'abstention, n'a de toute évidence pas été atteint ; la dissociation des deux scrutins permettrait au contraire aux électeurs de mieux cerner les enjeux propres à chacun d'entre eux, ce qui pourrait les inciter davantage à y participer.

Sur ces différentes questions, la réflexion doit être approfondie, sur la base d'éléments factuels tirés notamment de ce qui peut être observé dans d'autres pays. Une éventuelle réforme des modalités de vote (qui introduirait par exemple le vote à distance ou le vote anticipé, ce qui ne fait pas consensus) changerait d'ailleurs les données du problème. Par leur ampleur et leurs implications, ces sujets dépassaient le cadre de travail assigné à la mission d'information.

Recommandation n° 12 : En cas de concomitance de deux élections générales, porter d'une à deux semaines le délai de l'entre-deux-tours.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 21 JUILLET 2021

M. François-Noël Buffet , président . - Nous vous présentons ce matin le rapport de la mission d'information sur les dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales de juin 2021 et résultant en particulier de la distribution de la propagande électorale.

Le récit des semaines qui ont précédé les élections départementales et régionales des 20 et 27 juin 2021 ressemble à la chronique d'un désastre annoncé.

Vous vous en souvenez sans doute, dès la fin du mois de mai dernier, alors que le délai imparti aux candidats pour déposer leurs documents de propagande n'était pas encore expiré ou venait de l'être, plusieurs incidents avaient déjà défrayé la chronique : bulletins de vote et professions de foi retrouvés déposés en vrac dans des halls d'immeuble, bourrés à ras bord dans certaines boîtes aux lettres, jetés à la poubelle, abandonnés dans la nature, voire brûlés - nous en avons eu les preuves photographiques dans plusieurs départements.

Dans les jours et les semaines qui ont suivi et jusqu'au premier tour, les témoignages d'habitants et d'élus, faisant état de graves dysfonctionnements dans la distribution des plis de propagande - principalement dans les régions où celle-ci avait été confiée à la société Adrexo - ont afflué auprès des préfectures et de l'administration centrale du ministère de l'intérieur.

Le 16 juin dernier, notre collègue Pierre Louault a interpellé le Gouvernement à ce sujet, lors de la séance des questions d'actualité, se référant aussi à des difficultés rencontrées lors d'une élection législative partielle.

Dès le lendemain du premier tour, nous avons décidé d'entendre le ministre de l'intérieur afin de faire la lumière sur ce qui s'était passé et de vérifier que les mesures nécessaires étaient prises pour assurer le bon déroulement du second tour.

Si le ministre a alors reconnu des dysfonctionnements, il a immédiatement relativisé leur impact sur l'abstention massive constatée au premier tour. Les explications qu'il nous a données sur les défaillances constatées étaient assez confuses et, pour une part, manifestement erronées : sans vouloir l'exonérer de ses responsabilités, nous pouvons considérer qu'il ne disposait pas de tous les éléments d'analyse.

Malgré le scandale et le contrôle redoublé de l'administration, la situation, loin de s'améliorer, s'est aggravée dans l'entre-deux-tours, notamment en ce qui concerne les élections régionales.

Il en est résulté un fiasco sans précédent.

Au terme de ses travaux, la mission d'information constate que les chiffres et la variété des incidents qui ont été relevés dans les jours qui ont suivi le premier comme le second tour ont été manifestement sous-estimés, tant par le ministre de l'intérieur que par les opérateurs chargés de la logistique électorale.

Au premier tour, les chiffres avancés par la société Adrexo - 5 % de non-distribution aux élections départementales et 7 % aux régionales - doivent être confrontés aux remontées des préfectures qui, toutes sans exception, font état de graves difficultés d'acheminement dans les zones couvertes par cette société. Les statistiques fournies par La Poste semblent plus plausibles - 9,5 % de non-distribution pour les deux catégories d'élections. Au total, selon un récent sondage du Cevipof - dont je remercie Éric Kerrouche de nous avoir communiqué les résultats en avant-première -, un quart des Français n'auraient reçu aucun document de propagande électorale avant ce premier tour, avec un écart très net entre les zones qui relevaient de la distribution de La Poste et celles qui incombaient à Adrexo.

Au second tour, de l'aveu même des opérateurs, 27 % des électeurs n'ont reçu aucune propagande pour les élections départementales et 40 % pour les élections régionales, cette proportion atteignant même plus de 90 % dans plusieurs départements. Toutefois, dans les délais impartis nous n'avons pas pu faire une analyse plus fine de ces statistiques ; telle n'était pas non plus notre mission. J'ajoute qu'une assez nette corrélation peut être établie entre la non-réception de la propagande électorale et la hausse du taux d'abstention entre les élections de 2015 et celles de 2021, quoique celle-ci ait bien sûr d'autres raisons.

Nous notons des défaillances en chaîne, dont la responsabilité incombe conjointement au ministère et aux prestataires. Nous avons cherché à mesurer précisément ces dysfonctionnements et à en déterminer les causes.

Pour résumer, les dysfonctionnements constatés tiennent à la fois à certains choix discutables du ministère de l'intérieur et à l'incapacité de certains opérateurs privés d'offrir le niveau et la qualité de service auxquels ils s'étaient contractuellement engagés. La complexité de l'organisation des opérations de propagande électorale ainsi que la spécificité de la tenue d'une double élection simultanée n'ont manifestement pas été pris suffisamment en considération - les triangulaires, qui plus est, les quadrangulaires, ont favorisé la congestion.

En ce qui concerne la distribution des plis, des défaillances peuvent être constatées aussi bien au niveau de la passation du marché qu'au stade de son exécution. Je rappelle qu'il s'agit d'un accord-cadre, conclu par l'État en décembre 2020, pour quatre ans, pour un montant de 50 millions d'euros par an. Sept lots ont été attribués à la société Adrexo, correspondant à sept régions, et les huit autres lots à La Poste.

Au niveau de la passation du marché, le ministère, selon nous, ne s'est pas donné tous les moyens d'apprécier pleinement la capacité des soumissionnaires à exercer leur mission.

Nous avons examiné soigneusement toutes les pièces du marché, et elles réservent quelques surprises.

Par exemple, Adrexo a déclaré que les services « objet de l'accord-cadre » représentaient 87,5 % de son chiffre d'affaires, alors que la société ne réalisait en fait que 3,3 % de son chiffre d'affaires grâce à la distribution de courrier. La société exerce, en effet, plusieurs types d'activités : la distribution d'imprimés publicitaires non adressés, qui représente la majeure partie de son chiffre d'affaires, le portage de colis et la distribution de courrier adressé. Le chiffre de 87,5 % correspond en réalité à l'addition de la distribution du courrier et d'imprimés publicitaires non adressés. Le ministère n'a pas cherché à en savoir plus, ce qui laisse interrogatif. La distribution de plis adressés implique une organisation et un savoir-faire spécifiques.

De même, le poids accordé dans les critères de sélection aux moyens humains déployés par les candidats pour assurer la prestation ne représentait que 3,2 % de la note globale. Or le ministère était pourtant conscient des fragilités d'Adrexo en la matière : la société - qui avait par ailleurs tout récemment fait l'objet d'une procédure de recapitalisation et de soutien financier - avait clairement indiqué qu'elle aurait recours à l'intérim. Ce fut le cas de façon très majoritaire.

Au stade de l'exécution du marché, ces fragilités se sont révélées au grand jour. Adrexo était extrêmement dépendante du travail temporaire ; or elle a eu du mal à recruter des intérimaires en nombre suffisant, et leur formation s'est révélée expéditive. Le président de l'entreprise d'intérim Gojob, que nous avons auditionné, nous a décrit sa manière de procéder : il recrute des personnels après avoir passé une annonce sur internet, et ces derniers ne suivent pas une réelle formation pour distribuer un courrier adressé.

Dans ses relations avec les routeurs, la société a parfois modifié ses procédures en cours d'opération, désorganisant ainsi toute la chaîne de production, notamment dans la semaine précédant second tour - les responsabilités semblent partagées sur ce point. Enfin, l'encadrement a, semble-t-il, été aux abonnés absents, surtout au niveau local.

Concernant les conditions d'exécution du marché, le ministère n'est pas non plus exempt de reproches. Il a, par exemple, modifié, en pleine campagne, ses instructions à Adrexo sur la distribution du courrier dans les immeubles d'habitation : initialement, la société avait instruction de laisser les plis en tas sur les boîtes aux lettres en cas d'impossibilité d'identifier la boîte aux lettres des destinataires et, à compter du 25 mai, consigne a été donnée de rapporter ces plis au centre de distribution.

Les difficultés d'acheminement de la propagande ont été aggravées, surtout au second tour, par des défaillances en « amont de la chaîne », c'est-à-dire chez les routeurs qui, désormais, sont chargés dans une majorité de départements d'assurer la mise sous pli.

Malgré des difficultés techniques imputables en partie aux conditions météorologiques, il nous apparaît que le principal prestataire, Koba Global Services, titulaire du marché dans un tiers des départements, n'a pas pris la mesure des efforts à accomplir pour honorer ses engagements.

Bien sûr, il faut aussi prendre en compte les difficultés liées à la brièveté du délai entre les deux tours et à la tenue de deux scrutins simultanés sur la quasi-totalité du territoire national.

En définitive, le système ne pouvait qu'échouer. La Poste n'est pas exempte de tout reproche, mais elle a fait son travail ; elle a même pris en charge, sur les 5 millions prévus, 3,8 millions de plis supplémentaires entre les deux tours pour soulager Adrexo - elle n'a pas pu honorer totalement ses engagements, car les routeurs ont livré les plis avec retard. La distribution qui devait être assurée à partir du jeudi dans les boîtes aux lettres a été systématiquement décalée au vendredi midi, puis au vendredi soir, voire au samedi matin. L'ensemble de la chaîne a dysfonctionné.

L'idée même de recourir, dans le cadre d'un marché public, à plusieurs entreprises ne pose pas de difficulté particulière. Mais il en va autrement de la capacité du soumissionnaire à exercer sa mission. Il ne fait aucun doute que La Poste a un savoir-faire. Qui plus est, elle fait appel à ses personnels : les personnels à temps plein travaillent plus, les personnels à temps partiel travaillent plus pendant la période électorale et elle recourt à quelques agents sous contrat à durée déterminée. En termes de formation, les nouvelles recrues suivent une formation de plusieurs jours et accompagnent un facteur dans sa tournée. Chez Adrexo, les intérimaires ont deux heures de formation, en comptant les modules en ligne ; ils font la distribution sans connaître le terrain.

Permettez-moi de rappeler que le ministre de l'intérieur a indiqué, lors de son audition, avoir été obligé par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) d'attribuer les lots aux deux entreprises soumissionnaires.

M. Philippe Bas . - Ce n'est pas vrai.

M. François-Noël Buffet , président . - Effectivement, il n'en est rien. L'Arcep délivre simplement une autorisation à exercer une activité postale ; elle n'a aucune responsabilité dans le choix des entreprises qui se voient confier le marché, pas plus que dans le contrôle des opérations.

Il n'y a qu'un seul prestataire dans certains pays européens ; l'État pourrait tout aussi bien également attribuer l'ensemble des lots à La Poste. La question de fond est la capacité d'établir un cahier des charges suffisamment rigoureux et d'en assurer le contrôle au moment de l'attribution et de l'exécution des marchés.

Le second problème tient à la concomitance de deux élections le même jour sur l'ensemble du territoire national, et surtout à l'entre-deux-tours. Ne faut-il pas prévoir deux semaines entre les deux tours, au lieu d'une semaine ? À défaut, si l'on veut s'en tenir à l'usage, il importe de recourir à des sociétés qui détiennent un savoir-faire.

Au vu de tous ces éléments, nous formulons douze recommandations dans notre rapport d'information.

Recommandation n° 1 : Inviter le ministère de l'intérieur à poursuivre les investigations sur les manquements des distributeurs, notamment de la société Adrexo, et à envisager le cas échéant la résiliation de l'accord-cadre dès cette année.

Recommandation n° 2 : Ne pas exclure, le cas échéant, l'attribution de tous les lots du marché à un même opérateur postal, sans pour autant lui octroyer un monopole ou le soustraire à toute mise en concurrence, ce qui serait contraire au droit européen.

Recommandation n° 3 : Revoir les critères de sélection des candidats au marché de la distribution des plis électoraux pour donner la prépondérance aux moyens opérationnels.

Recommandation n° 4 : Mieux associer l'administration centrale du ministère de l'intérieur à la passation des marchés locaux de mise sous pli, et contrôler le volume des prestations confiées à chaque entreprise de routage au niveau national.

Recommandation n° 5 : Exclure toute dématérialisation intégrale de la propagande électorale.

Recommandation n° 6 : Afin de limiter le nombre de plis non distribués, mieux tirer parti des bases d'adresses des opérateurs postaux pour corriger le fichier des électeurs.

Recommandation n° 7 : Préciser et uniformiser les consignes de distribution à donner aux agents.

Recommandation n° 8 : Préciser, dans les clauses du marché public, les exigences minimales de formation des agents chargés de la distribution.

Recommandation n° 9 : Améliorer les systèmes de reporting imposés aux opérateurs, afin de mettre fin aux discordances entre chiffres déclarés et constatés.

Recommandation n° 10 : Informer par tous moyens les électeurs de la publication en ligne des professions de foi des candidats.

Recommandation n° 11 : Permettre aux électeurs qui en feraient la demande expresse de ne recevoir la propagande électorale que sous format numérique.

Recommandation n° 12 : En cas de concomitance de deux élections générales, porter d'une à deux semaines le délai de l'entre-deux-tours.

Vous trouverez dans le rapport d'information tous les éléments statistiques et d'analyse. Je vous rappelle, toutefois, que, pendant vingt-quatre heures, vous n'avez pas le droit de communiquer sur son contenu, conformément aux règles applicables aux commissions d'enquête. Une conférence de presse se tiendra demain, jeudi, à onze heures, et vous recevrez alors le rapport sous forme dématérialisée.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - À la page 73 du rapport d'information, vous indiquez qu'« il appartiendrait au maire, chargé de l'établissement de la liste électorale de la commune, de prendre les décisions appropriées ». Mais, depuis 2019, les maires ne peuvent plus modifier les listes électorales ; il appartient à l'Insee de le faire.

M. François-Noël Buffet , président . - Le maire continue d'inscrire les électeurs sur les listes électorales.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Oui, mais il ne peut plus mettre le fichier à jour comme auparavant.

Mme Marie Mercier . - Je vous félicite pour la qualité du travail effectué et, surtout, pour le vocabulaire choisi.

À la page 11 du rapport d'information, quelques déclarations du Gouvernement sont décryptées. Les personnes que nous avons auditionnées ont prêté serment. Quelles suites comptez-vous donner aux déclarations du ministre ?

M. François-Noël Buffet , président . - Toutes les personnes ont prêté serment, à l'exception du ministre de l'intérieur, qui a été auditionné avant que la mission d'information soit créée, et donc avant d'être dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête.

M. André Reichardt . - Merci pour ce rapport d'information de qualité.

Le ministre de l'intérieur avait très clairement indiqué que les dysfonctionnements constatés n'avaient pas influé sur le résultat des élections. Force est de constater qu'ils ont eu, à n'en pas douter, une incidence sur le taux de participation, voire sur les résultats des élections. Pouvez-vous nous donner quelques informations à ce sujet ? Connaît-on le nombre de recours déposés par les candidats malchanceux ?

M. François-Noël Buffet , président . - Vous trouverez des informations à ce sujet à la page 35 du rapport d'information. Les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale peuvent donner lieu à deux types d'actions contentieuses : des protestations électorales, qui doivent être portées devant le juge de l'élection ; des actions en réparation du préjudice causé par les dysfonctionnements allégués, devant le juge administratif de droit commun. Ces deux types de contentieux sont indépendants l'un de l'autre. Le juge électoral ne sanctionne les irrégularités dans la distribution de la propagande électorale que dans la mesure où elles ont altéré la sincérité du scrutin.

M. Combrexelle, que nous avons auditionné, a souligné que le juge statue au cas par cas.

M. Éric Kerrouche . - Je remercie la commission du travail de bénédictin réalisé dans des délais très contraints. Le rapport d'information est extrêmement cruel en ce qu'il pointe l'ensemble des manquements constatés dans la chaîne de décision. L'effet boule de neige n'a pas tardé à se manifester dans des proportions accablantes et déconcertantes.

Il sera scientifiquement possible de démontrer la corrélation entre la non-distribution de la propagande électorale dans certains endroits et la sur-abstention.

Je m'explique mal la façon dont a agi le ministère de l'intérieur, avec des manquements importants aussi bien pour ce qui concerne la procédure décisionnelle que corrective - c'est quasiment une certitude, même si vous ne pouvez pas l'écrire. Pourquoi avoir choisi de se compliquer la tâche dans une situation déjà extrêmement complexe ? Quand bien même l'objectif aurait été de challenger La Poste... On le voit bien, la distribution de la propagande électorale est un métier ; un entrepreneur privé ne peut s'en acquitter qu'en y consacrant les moyens nécessaires. Or les moyens humains mis en place par Adrexo n'ont pas été à la hauteur !

L'ensemble des dysfonctionnements constatés nous conduit à engager une réflexion sur les élections à venir.

Mme Cécile Cukierman . - Ces travaux ont été menés dans des délais limités, dans le contexte d'une activité législative intense.

Même si les auditions ont montré plusieurs dysfonctionnements, le véritable problème demeure celui de la non-distribution d'une grande partie de la propagande électorale, même s'il est difficile de mesurer exactement le ratio. Il ne s'agit pas d'une question anecdotique, cela a inévitablement joué sur la participation, voire peut-être sur les résultats. La propagande électorale a une réelle importance pour faire vivre et satisfaire nos exigences démocratiques.

Nous avons tous été surpris par l'attachement de nos concitoyens à la distribution papier de la propagande électorale, ce qui remet en cause la dématérialisation immédiate voulue par certains. Il importe au contraire de revoir les procédures, car la distribution des plis adressés nécessite un certain professionnalisme, et donc une formation.

Outre les différentes recommandations, poursuivons notre réflexion afin que nous ne revivions pas à l'avenir la même situation.

Mme Laurence Harribey . - Comme l'a dit M. Kerrouche, le rapport est cruel, mais les recommandations, dans leur ensemble, me semblent fades. J'aimerais avoir des explications sur ce décalage.

M. Patrick Kanner . - Quelles conséquences tirons-nous de la gestion de cette crise en termes de responsabilité du ministre, qui n'a certes pas prêté serment lors de son audition entre les deux tours des élections ? Il est bon de poser un diagnostic, mais encore faut-il établir une ordonnance. En l'espèce, se pose au moins la question de la responsabilisation du donneur d'ordre ! Or rien ne figure dans le rapport d'information. Ne pourrions-nous pas aller plus loin ? Ou allez-vous nous laisser le soin de réagir sur un plan plus politique ?

M. François-Noël Buffet , président . - Le rapport est assez clair et entre dans le détail des différents niveaux de responsabilités : il y a plusieurs responsabilités, mais aucune au sens pénal du terme. Il existe incontestablement une responsabilité pour ce qui concerne l'organisation du système, en particulier au moment de la passation du marché national de distribution des plis au mois de décembre 2020. On peut déceler une faiblesse dans l'analyse des candidatures, s'agissant notamment du chiffre d'affaires d'Adrexo, qui, comme je l'ai souligné, a usé d'une forme de manoeuvre pour attester sa capacité à distribuer.

Nous avons aussi constaté d'autres difficultés, qu'il s'agisse de la corrélation entre ce marché national et les marchés locaux de routage, de l'imprévisibilité liée à l'apparition de quadrangulaires plutôt que de triangulaires... Le point primordial, c'est bien le choix de l'entreprise retenue, Adrexo, qui n'était pas en capacité de remplir sa mission. Une autre responsabilité, plutôt collective, tient à la capacité d'organiser deux élections nationales au même moment et dans le délai imparti entre les deux tours.

Chacun interprétera, comme il le veut, la situation sur le plan politique, mais le rôle de la mission d'information était d'abord d'établir les faits, puis de dresser les points de faiblesse. On peut en déduire des responsabilités à tous les niveaux. Je ne cherche à disculper personne, pas plus qu'à accuser quelqu'un en particulier. Mais à ce stade, on y voit plus clair sur tout ce qui n'a pas fonctionné.

M. Jean-Pierre Sueur . - Je reviendrai sur la question du délai entre les deux tours. Dans le rapport d'information, vous proposez que ce délai soit de quinze jours dans le cas de deux élections conjointes. Cela me paraît bien compliqué : il faudrait distinguer dans la loi le cas d'une double élection de celui d'une élection simple. Par ailleurs, il faut tenir compte des délais incompressibles liés à la fourniture de papier et à l'impression des documents. Même si les choses ont fonctionné ainsi pendant très longtemps, le délai d'une semaine se révèle trop bref. Ne serait-il pas plus judicieux de prévoir systématiquement deux semaines entre les deux tours de chaque élection, et sinon, pourquoi ?

M. François-Noël Buffet , président. - La loi prévoit que les élections régionales et départementales ont lieu le même jour. Si l'on devait maintenir cette règle, il faudrait envisager un passage à quinze jours entre les deux tours, pour des raisons d'organisation. Mais nous ne remettons pas en cause le principe du délai d'une semaine entre les deux tours pour toutes les autres élections.

M. Jean-Pierre Sueur . - Sauf pour l'élection présidentielle, dont il n'est évidemment pas question de modifier les règles...

M. François-Noël Buffet , président. - Si les élections départementales et régionales étaient séparées, le délai de huit jours s'appliquerait sans difficulté particulière.

M. Philippe Bas . - Je salue la qualité de ce travail qui honore notre institution et démontre notre capacité de travailler vite. Utiliser les pouvoirs d'investigation d'une commission d'enquête et réussir à finaliser les travaux dans un délai aussi contraint est une première ! Il faudra retenir cet enseignement pour l'avenir.

Tout le crédit du travail réalisé par la mission d'information repose sur l'objectivité. Cela explique que les conclusions tirées dans le projet de rapport livrent les faits tels quels à la connaissance du public et en tirent des recommandations dont certaines sont au conditionnel. En effet, la dénonciation de l'accord avec la société Adrexo ne saurait avoir lieu sans une procédure contradictoire en vertu du droit des marchés publics. Cela étant, je suis convaincu qu'il faudra en arriver là...

Par son manque de curiosité lorsque la société Adrexo a présenté son offre, le ministère de l'intérieur est absolument coupable. Il est très grave d'avoir permis à une société dont l'état critique était parfaitement connu de concourir en faisant, de surcroît, preuve d'une absence de rigueur dans l'appréciation de la qualité de l'offre. Tout cela soulève de très sérieuses interrogations concernant une appréciation peut-être anormalement favorable de l'offre proposée, avec pour résultat une véritable débâcle pointée dans le rapport.

Une élection présidentielle et des élections législatives se tiendront l'année prochaine. Si l'on devait dénoncer le contrat avec Adrexo tout en respectant les procédures, il n'en demeurerait pas moins que l'on devrait être en capacité d'acheminer la propagande électorale dans des conditions normales. Cet impératif majeur devrait ressortir dans votre communication de jeudi prochain, à défaut de l'inscrire dans le rapport d'information.

À mon sens, il vaut mieux éviter de distendre la durée entre les deux tours des élections autant que faire se peut. En effet, si le contexte évolue fortement entre-temps du fait de l'actualité, la cohérence du scrutin peut être mise en cause. L'élection présidentielle est différente des autres scrutins, car les candidats sont nombreux au premier tour mais ne sont que deux au second tour. Faire prévaloir les conditions matérielles d'acheminement de la propagande électorale sur cet impératif de cohérence du scrutin à deux tours serait une erreur, d'autant que l'on a toujours réussi jusqu'à présent à distribuer les plis électoraux. Pourquoi tout changer au seul motif que certains opérateurs ont échoué cette année ? Si l'on engage ce débat, prenons en compte tous les paramètres.

M. François-Noël Buffet , président. - Lors de son audition, le président-directeur général de La Poste, M. Wahl, a affirmé que celle-ci était en capacité de reprendre l'ensemble des lots. Les dirigeants de la société Adrexo ont déclaré, de leur côté, qu'ils s'interrogeaient eux-mêmes sur leur capacité à poursuivre la mission qui leur avait été confiée. D'après les informations qui nous sont remontées, le Gouvernement réfléchit, en prévision de l'élection présidentielle et des élections législatives de 2022, à relancer un appel d'offres pour les sept lots qui étaient attribués à Adrexo. L'idée est de clarifier la situation dans les mois qui viennent. Notre commission n'a pas à prendre position en la matière. C'est au ministre d'assurer sa responsabilité, qui est réelle, dans sa capacité à apprécier les offres des candidats.

Madame Harribey, nous avons consulté les maires via la plateforme du Sénat. Plus de 3 000 d'entre eux ont répondu. Leurs témoignages, dont certains sont retranscrits en annexe du rapport d'information, sont tous convergents sur la non-distribution des plis de propagande, son incidence sur l'abstention et l'importance de la distribution des documents en format papier dans les boîtes aux lettres - comme l'a souligné Cécile Cukierman, on ne mesure pas toujours l'attente de nos concitoyens à cet égard.

Mme Cécile Cukierman . - Les dysfonctionnements constatés - pour reprendre le titre du rapport - ont eu lieu dès le premier tour et se sont illustrés par des enveloppes éparpillées et brûlées. On peut débattre de la nécessité ou non de prévoir un délai de quinze jours entre les deux tours. Personnellement, je n'y suis pas a priori favorable. Mais on ne peut pas prendre les dysfonctionnements dans l'acheminement de la propagande comme argument pour justifier l'élargissement du délai entre les deux tours.

Dans mon département, la Loire, la distribution était catastrophique à la veille du premier tour, mais, dans l'entre-deux-tours, la mobilisation de la préfecture et la reprise de 200 000 plis environ par La Poste ont permis de réduire le nombre d'électeurs n'ayant pas reçu la propagande électorale. Je suis la première à déplorer les difficultés qui sont intervenues, ainsi que la modification des délais impartis aux candidats. Mais certains délais avaient été anticipés, et la distribution n'a pas été parfaite lors du premier tour, tant s'en faut...

M. François-Noël Buffet , président. - Vous avez raison, les problèmes constatés lors du premier tour relèvent moins du routage que de la distribution.

Concernant le laps de temps entre les deux tours, je suis en principe plutôt attaché au délai de huit jours. Mais nous devons prendre en compte les difficultés matérielles provoquées par un double scrutin. Toute modification législative nécessiterait un travail préalable substantiel.

M. Éric Kerrouche . - Le passage de huit à quinze jours ne fait l'objet d'aucun consensus. Comme l'a dit Philippe Bas, chacun peut apprécier à sa guise la position du ministre de l'intérieur, mais il existe un faisceau d'indices concernant l'attribution du marché dans des conditions assez étonnantes et selon des jugements déconcertants sur l'appréciation et le choix des critères. Il est quelque peu surprenant de reprocher à La Poste d'avoir un reporting trop important !

Le délai d'une semaine entre les deux tours n'est qu'une habitude. Je ne pense pas que le passage de huit à quinze jours aura une quelconque influence politique si les règles concernant le dépôt des listes restent inchangées.

Cécile Cukierman a raison, des dysfonctionnements ont eu lieu avant le premier tour, qui ont été largement amplifiés dans l'entre-deux-tours en raison de la brièveté des délais. J'indique, sans vouloir jouer les Cassandre, que des personnes auditionnées ont souligné que des difficultés pourraient se reproduire l'année prochaine au moment des élections législatives avec un délai d'une semaine entre les deux tours. Nous ne sommes plus il y a dix ou quinze ans, le marché postal est en chute libre. Désormais, très peu d'acteurs peuvent assurer cette distribution.

Je suis plutôt favorable, dans un souci de sécurisation, à une systématisation du délai de quinze jours, et au-delà si d'autres moyens de vote - le vote par correspondance par exemple - étaient retenus. Mais j'entends bien que ce sujet ne fait pas l'objet d'un consensus. Quant aux maires, ils ont préconisé la nécessité d'augmenter ces délais. Nous serons donc conduits à poursuivre cette réflexion.

M. Patrick Kanner . - M. Kerrouche a parlé d'un faisceau d'indices. J'ajouterai un élément très factuel qui n'a pas encore été évoqué : quatre élections législatives partielles s'étaient déroulées un mois avant, lors desquelles des incidents de distribution avaient aussi été relevés. Le ministre de l'intérieur ne peut pas arguer de l'imprévisibilité de la situation. La moindre des choses aurait été d'alerter sur le sujet. Dans une démocratie anglo-saxonne, le ministre de l'intérieur aurait démissionné à la suite d'un tel fiasco, un point c'est tout !

M. François-Noël Buffet , président. - Il est incontestable que la société Adrexo n'était pas en capacité de remplir sa mission, comme le montrent les éléments d'analyse figurant dans le rapport d'information. Des dysfonctionnements se sont effectivement produits au cours des élections législatives partielles, mais ce fut aussi le cas auparavant lorsque La Poste était seule attributaire du marché de distribution de la propagande électorale. La mise en concurrence, qui était saine sur le fond, s'est révélée catastrophique en raison des critères d'analyse et du choix des offres.

M. Ludovic Haye . - Merci pour ce rapport de qualité. J'insisterai sur l'importance de la conscience professionnelle des distributeurs, qui n'a pas été évoquée ce matin. Quand une société s'engage dans une mission, elle doit la respecter, que ses personnels soient en CDI, en CDD ou qu'ils soient intérimaires. Et se débarrasser de certains plis dans des fossés ou dans des forêts, c'est bâcler son travail en essayant de le cacher. Il n'est pas question ici de l'adresse des destinataires. La responsabilité incombe donc aussi aux distributeurs.

M. François-Noël Buffet , président. - Des poursuites pénales ont été engagées contre certaines personnes qui avaient été recrutées pour cette mission. À ce stade, nous n'avons pas d'éléments sur les suites qui y ont été données par les entreprises concernées.

Nous arrivons au terme de notre réunion. Je vous propose d'intituler ainsi le rapport de la mission d'information : « Dysfonctionnements lors des élections de juin 2021 : chronique d'un fiasco annoncé ».

Le rapport est adopté et la commission en autorise la publication.

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS EN COMMISSION

Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur

(Mercredi 23 juin 2021)

M. François-Noël Buffet, président. - Le premier tour du scrutin des élections départementales et régionales a été marqué par des dysfonctionnements majeurs concernant l'acheminement des professions de foi aux électeurs.

La ministre déléguée, Mme Marlène Schiappa, a indiqué que 21 000 électeurs seulement n'auraient pas été rendus destinataires du matériel électoral, mais les remontées du terrain rendent cette estimation peu crédible et attestent qu'un dysfonctionnement majeur a eu lieu, car les électeurs qui n'ont pas reçu ces documents paraissent bien plus nombreux, et surtout, sont répartis dans plusieurs départements et régions. En région Bourgogne-Franche-Comté, par exemple, on a noté des incidents dans 300 communes.

Vous avez mis nommément en cause les prestataires retenus pour l'acheminement des documents électoraux : Adrexo et La Poste. C'est un fait : dans certains départements, les personnels de ces prestataires ont préféré détruire les courriers plutôt que de les acheminer. Les photos projetées, où vous pouvez voir des enveloppes d'expédition brûlées en Haute-Savoie, des enveloppes éparpillées sur des routes de l'Eure, des cartons d'enveloppes non distribuées dans l'Ain, constituent des exemples parmi d'autres des conditions dans lesquelles la distribution du matériel a été effectuée : elles se passent de tout commentaire, me semble-t-il...

L'organisation des élections dépend de l'exécutif. Certains mettent en cause les conditions dans lesquelles le marché de l'acheminement a été conclu, sans s'assurer avec le sérieux nécessaire de la capacité des prestataires d'exécuter le marché.

Les routeurs n'ont pas été capables de mener à bien leur mission alors qu'ils n'étaient pas contraints de distribuer la propagande électorale en urgence : or, pour le second tour, dans les départements, les listes ne sont déposées qu'aujourd'hui, et le scrutin a lieu dimanche. Peut-on vraiment espérer que l'acheminement sera accompli en temps et en heure ? Quelles dispositions le ministère a-t-il prises ?

La distribution de la propagande électorale est essentielle au bon fonctionnement de la démocratie. Nous devons donc tirer les leçons d'un tel dysfonctionnement, sinon d'un tel fiasco.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur. - Vous avez raison, il y a eu des dysfonctionnements. Sont-ils pour autant l'unique raison de l'abstention ? Je ne le crois pas. Le taux de participation n'est pas meilleur dans les pays qui ont mis en place le vote par correspondance : en Angleterre, l'abstention a été similaire pour les élections municipales de 2021. Mais il est vrai que la connaissance des documents de propagande électorale contribue à l'égalité entre candidats.

La mise sous pli est le plus souvent effectuée en régie dans les préfectures. Elle s'est faite dans des conditions normales. En raison de la réduction du nombre d'agents publics dans les préfectures depuis quinze ans, même si pour la première fois l'an dernier les effectifs dans les préfectures et sous-préfectures n'ont pas diminué, le ministère a eu recours parfois à des sous-traitants pour réaliser cette mise sous pli.

Le sujet qui nous occupe concerne la distribution de la propagande électorale. Celle-ci est complexe pour trois raisons. Il faut d'abord évoquer les causes classiques de non-distribution. Les listes électorales ne sont pas toujours parfaitement tenues, notamment dans les zones urbaines. La non-distribution s'élève à 13 % en Seine-Saint-Denis, contre 3 % en Corrèze : la mobilité des électeurs ou la difficulté à accéder à certains immeubles contribue à expliquer cet écart.

La concomitance exceptionnelle de deux élections, départementales et régionales, constituait aussi un défi logistique. Depuis 1986, la France n'avait pas organisé deux élections en même temps sur tout le territoire national, même si l'on a organisé des régionales ou des municipales dans toute la France en même temps que des cantonales sur une moitié du territoire. Le défi logistique était réel et M. Capus, auteur d'une proposition de loi relative à la simplification et à la modernisation de la propagande électorale, l'avait d'ailleurs évoqué. Dailleurs, dans le cadre des auditions, des titulaires du marché reconnaissaient la difficulté à remplir leurs engagements en période de pandémie.

Enfin, il faut aussi évoquer la libéralisation de la distribution de la propagande électorale. Jusque dans les années 2000, celle-ci relevait des agents de l'État, en lien direct avec La Poste. Sous le gouvernement de Lionel Jospin, deux directives européennes de 1997 et 2002 ont été adoptées, qui ouvraient le marché postal, y compris la propagande électorale, à la concurrence. En 2005, il a été prévu qu'il serait procédé par appel d'offres. Le premier appel d'offres a eu lieu en 2009. L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), qui est chargée de donner son blanc-seing aux opérateurs souhaitant concurrencer La Poste, a donné son aval à la société Adrexo. Cette société a obtenu une partie du marché, pour un montant d'environ 200 millions d'euros ; Adrexo et La Poste se sont réparti les régions. Dans certaines régions, les envois, notamment pour les départementales, ont eu lieu très tôt, parfois avant même les législatives partielles qui avaient lieu trois semaines avant, ce qui a pu donner lieu à des confusions dans l'esprit des électeurs. Mais le législateur n'a pas prévu de bornes temporelles. Sans doute pourrions-nous modifier ce point.

Nous avons constaté des manquements dans l'exécution du marché par Adrexo, même si La Poste n'est pas exempte de reproches puisque 9 % de ses plis n'ont pas été distribués, pour différentes raisons - décès, déménagements, mauvaise tenue des listes , etc. -, mais ce taux est particulièrement élevé. Je pourrai vous fournir les chiffres détaillés par régions.

Pour Adrexo, en revanche, nous avons constaté des dysfonctionnements : documents de propagande électorale entreposés par terre, mis à la poubelle, parfois brûlés, etc. La société a évoqué une attaque informatique. Elle emploie un grand nombre de vacataires ; ce marché était peut-être trop important pour cette société. Il faudra en tirer les leçons pour la présidentielle, mais, pour l'instant, l'important est de réussir l'organisation du second tour.

Le marché est divisé en deux parts équivalentes en termes de population : les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire, Grand Est, Hauts-de-France, Normandie, Pays de la Loire ont été attribuées à Adrexo ; la Bretagne, la Corse, l'Île-de-France y compris Paris, la Nouvelle-Aquitaine, l'Occitanie, l'outre-mer et Provence-Alpes-Côte d'Azur ont été attribuées à La Poste.

Dès les premiers dysfonctionnements, le secrétaire général du ministère a écrit aux prestataires et les a convoqués. Au lendemain du premier tour, j'ai convoqué les deux sociétés. Je leur ai demandé des améliorations, notamment dans la remontée d'informations dans les communes où les gens n'ont pas reçu la propagande. C'est mis en oeuvre depuis lundi soir en lien avec les préfectures. J'ai demandé aux sociétés d'écrire directement aux maires pour signaler les problèmes ou de trouver des moyens de distribution alternatifs lorsqu'elles ne peuvent accéder à certains immeubles.

La France est l'un des derniers pays à fonctionner ainsi ; depuis longtemps le ministère de l'intérieur, y compris sous certains de mes prédécesseurs, plaide pour une dématérialisation de la propagande électorale, au moins pour ceux qui ne souhaitent pas la recevoir en format papier. Le législateur a toujours refusé. Je constate aussi que 87 % des moins de 35 ans se sont abstenus, alors qu'il est légitime de penser que la propagande électorale est plutôt lue par les plus âgés. On peut donc penser que l'abstention est due à d'autres causes, notamment à un effet de génération. En tout cas, on peut penser que le taux de non-distribution est certainement plus élevé que le taux de 1 %, chiffre avancé par les sociétés. Il y a toujours eu des erreurs - lors du dernier scrutin, La Poste n'avait pas distribué l'intégralité de la propagande électorale à Annecy par exemple -, mais jamais à ce niveau. J'ai aussi demandé aux sociétés de nous communiquer par écrit leurs difficultés.

M. François-Noël Buffet, président. - En effet, il y a toujours eu des erreurs dans la distribution, mais en l'occurrence, on doit plutôt parler de fautes graves.

Par ailleurs, à Marseille, 34 des 481 bureaux de vote n'ont pas pu ouvrir en début de journée, en raison de l'absence du président, voire d'un ou plusieurs assesseurs. Des électeurs ont dû rentrer chez eux sans avoir pu voter. Les élus qui président les bureaux de vote agissent en tant que représentants de l'État. Le préfet des Bouches-du-Rhône a-t-il pris des dispositions pour que cette situation ne se reproduise pas dimanche prochain ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Je veux souligner le professionnalisme des maires et des agents de préfectures, qui ont assuré le déroulement d'un double scrutin dans des conditions exceptionnelles. Tous les bureaux de vote ont ouvert dans des conditions conformes aux recommandations du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État, y compris dans l'Aisne ou l'Essonne qui avaient été frappées la veille par des inondations. Ceux qui le souhaitaient ont pu être vaccinés. Des autotests étaient disponibles. Certes, 34 bureaux à Marseille n'ont pas ouvert à l'heure. Le préfet a été informé à 6 h 30 le matin que 34 sacoches n'avaient pas été retirées ; ce n'était pas le fait de la préfecture, mais des élus, agissant comme représentants de l'État. Douze bureaux ont pu être ouverts grâce à la réquisition d'agents de la préfecture. Les autres bureaux ont pu ouvrir par la désignation par la ville d'autres personnes. Les problèmes tenaient à des changements d'affectation. Certains élus sont très attachés à certains bureaux de vote.

M. Jérôme Durain. - Merci à M. Buffet d'avoir soutenu l'idée de la création d'une commission d'enquête lancée par M. Kanner. Je peux témoigner des difficultés en Bourgogne-Franche-Comté. Il est évident que la mauvaise distribution de la propagande électorale a eu des conséquences sur le vote. Je m'étonne du motif invoqué : le double scrutin... Mais s'il s'agit d'une épreuve insurmontable, il ne fallait pas l'organiser ! Quelle image donne l'État s'il n'a pas les moyens d'assurer ses missions ? On dit que 21 000 électeurs n'ont pas reçu la propagande. Ce chiffre me semble très sous-évalué... Je ne comprends pas non plus pourquoi vous mettez sur le même plan Adrexo et La Poste. Enfin, savez-vous pourquoi le dirigeant d'Adrexo cite M. Macron parmi les personnes qui ont marqué sa vie ? Est-ce parce qu'il a remporté un appel d'offres public ?

M. Dany Wattebled. - Les problèmes de distribution de la propagande électorale ne suffisent pas à expliquer l'abstention, mais c'est une ombre au tableau... Quels ont été les critères de choix des prestataires ? Quelles seront les sanctions ? Leurs sous-traitants sont-ils bien formés ? L'État ne devrait-il pas reprendre la main sur la distribution ?

M. Patrick Kanner. - La situation est sans précédent. Vous ne pouviez pas dire que ne vous ne saviez pas, car vous aviez été interrogé lors d'une séance de questions d'actualité sur les dysfonctionnements rencontrés à l'occasion des élections législatives partielles. L'État a failli. Il est vrai que ce n'est pas pour cette raison que 32 millions de Français ne se sont pas déplacés pour aller voter, mais cela n'a pas aidé : des personnes âgées m'ont ainsi dit qu'elles n'avaient pas pu préparer leur vote. Le fiasco concerne aussi bien les régionales que les départementales. Certains ont reçu les documents électoraux avant même l'ouverture de la campagne, alors que, normalement, la profession de foi est le dernier document que l'on reçoit, quelques jours avant le scrutin, et qui permet de déterminer son vote. L'État est le donneur d'ordre. La sincérité du scrutin vous paraît-elle en cause ? Estimez-vous avoir pris les bonnes mesures après les problèmes rencontrés lors de législatives partielles ? Estimez-vous que la responsabilité du ministère est engagée, et donc la vôtre ?

Mme Cécile Cukierman. - Nous n'avons pas seulement eu affaire à un problème de mauvais adressage, mais bien de non-distribution, voire de destruction de matériel électoral. Cela pose une question d'ordre démocratique. Certes, cela n'explique pas toute l'abstention, mais lorsqu'il n'y a que quelques voix d'écart et que la qualification au deuxième tour est en jeu, on peut légitimement se demander si les résultats auraient été les mêmes sans ces dysfonctionnements.

Certes, vous avez raison d'évoquer la libéralisation du marché. Adrexo, avec ses 17 000 emplois à temps partiel, n'est pas spécialisée dans la distribution de plis adressés, mais plutôt dans la distribution toutes boîtes. Nous vous avions fait remonter certaines difficultés en amont. On peut donc déplorer le manque de publicité pour le site internet où figurent l'ensemble des professions de foi et que des mesures n'aient pas été prises pour anticiper les difficultés. L'e mail des préfectures, vendredi soir, nous demandant de contacter les électeurs pour leur demander de vérifier leurs boîtes aux lettres le samedi soir, parce que la distribution continuait, était pour le moins étrange : si nous avions les moyens de contacter les électeurs en amont, il serait inutile de distribuer du matériel électoral officiel !

M. Philippe Bas. - Des millions de Français déterminent leur vote après avoir lu les professions de foi. Les défaillances graves et générales constatées ont nécessairement eu un impact sur le déroulement du scrutin. Vos explications ne m'ont pas convaincu. Lionel Jospin et les directives européennes ont bon dos : voilà vingt ans qu'elles s'appliquent ! De plus, en 2008, les scrutins cantonaux et municipaux étaient déjà concomitants et il n'y a eu aucun problème. Concernant les inscriptions sur les listes électorales, je vous rappelle que c'est vous qui avez mis en oeuvre le nouveau système d'inscription, qui était justement destiné à apporter plus de fiabilité ! Lorsque des appels d'offres ont lieu, il faut que les cahiers des charges soient suffisamment précis. Combien d'électeurs n'ont pas reçu les professions de foi ? Si c'était à refaire, que feriez-vous pour éviter ce fiasco ?

Mme Nathalie Goulet. - La distribution s'est mal passée dans l'Orne, mais la préfète a bien réagi en publiant les professions de foi sur le site internet de la préfecture. Le ministère a-t-il été informé de l'attaque informatique qui a visé Adrexo ?

Je rejoins la question de Mme Cukierman sur la perte de chances : certains électeurs ne sont pas allés voter, car ils n'avaient pas reçu la propagande électorale. Lorsque les résultats ont été serrés, la question de l'invalidation du scrutin risque de se poser.

M. Éric Kerrouche. - Vous continuez à affirmer que le vote par correspondance n'est pas une solution. Les événements de dimanche devraient vous inciter à plus d'humilité. Il est facile de prendre comme exemple la Grande-Bretagne, un pays où le gouvernement local n'a pas la même importance qu'en France. En Allemagne, le vote par correspondance a accru le taux de participation. Les délais que vous avez imposés étaient trop serrés pour assurer un séquençage des élections. La question de l'acheminement a été abordée de nombreuses fois lors de la préparation des élections au sein du comité de suivi des élections. À chaque fois, le ministère a répondu que les problèmes étaient marginaux. D'où ma question : quand avez-vous été alerté des difficultés ? Qu'avez-vous fait ?

M. Mathieu Darnaud. - Je veux revenir sur la question de l'anticipation : vous auriez pu redresser la barre quand vous avez constaté des distributions anticipées de propagande électorale dans certains lieux. Notre commission avait formulé de nombreuses propositions, car nous étions convaincus que le contexte de crise sanitaire pouvait entraîner des difficultés. Nous en avons fait aussi au sein du comité de suivi : notamment sur l'approvisionnement en papier, sur le matériel de propagande, car, pour les élections départementales, les candidats ont dû fournir ce matériel très tôt. Nos propositions ont toujours été balayées d'un revers de main. Des dysfonctionnements ayant été constatés assez tôt, comment expliquer que des mesures n'aient pas été prises pour éviter des problèmes plus importants ? Que ferez-vous pour assurer une bonne distribution pour le second tour ? On entend que, pour le second tour, le matériel électoral pourrait être distribué le week-end. Rares sont nos concitoyens qui relèvent leur boîte aux lettres le dimanche matin !

M. Loïc Hervé. - La propagande électorale pour les départementales ayant été distribuée trop tôt, celle pour les régionales trop tard, voire pas du tout, les prestataires auront à réaliser un exploit pour assurer une bonne distribution avant la fin de la semaine pour le second tour ! Vous avez souligné les problèmes à Annecy, je n'y reviens pas. Je voudrais poser la question des difficultés d'accès aux copropriétés. Les facteurs disposaient de pass pour accéder aux boîtes aux lettres. Comment faire désormais ?

M. Jean-Pierre Sueur. - Vous avez dit que 9 % des plis acheminés par La Poste n'étaient pas arrivés. Quel est le pourcentage pour Adrexo ?

M. Alain Richard. - La commission de suivi mise en place par le ministère de l'intérieur et présidée par Jean-Denis Combrexelle a rempli très correctement sa mission. Chaque fois qu'une question ne relevant pas de la loi a été évoquée, le ministère a répondu avec diligence. La distribution du courrier est une activité qui est destinée à rester en situation de concurrence. Mais l'acheminement est peu rentable : outre La Poste, un seul candidat avait répondu à l'appel d'offres. Que faut-il ajouter dans le cahier des charges pour sanctionner les manquements constatés ? Ne faudrait-il pas étendre la période entre les deux tours à deux semaines ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - M. Durain a évoqué les moyens de l'État pour les élections : en 2010, le budget pour les élections s'élevait à 189 millions d'euros ; en 2021, ce budget d'élève à 328 millions ! Ce n'est donc pas un problème des moyens. Anticipation, disiez-vous ? Les investigations conduites par votre commission montreront que cette question a été peu abordée dans les discussions du comité de suivi des élections, présidé par Jean-Denis Combrexelle, où siégeaient des représentants des partis. La plupart des pays qui devaient avoir des élections en 2021 les ont décalées : Italie, Finlande, Autriche, Pologne, Serbie, etc. Je rappelle aussi que c'est le Parlement qui s'est prononcé en faveur d'un double scrutin - encore parlementaire à l'époque, j'avais voté contre. C'est aussi le Parlement, en accord avec les associations d'élus, qui a décidé de maintenir les élections qui avaient été deux fois reportées.

Monsieur Bas, vous dites une bêtise : 2008 n'a pas été une année de double scrutin ; il y a eu un scrutin municipal dans toute la France, avec un scrutin cantonal dans la moitié de la France. Cette fois, un double scrutin avait lieu dans toute la France. Chacun conviendra que lorsque la moitié du pays n'organise pas les élections cantonales, il est plus facile de les organiser ailleurs, car des prêts sont possibles entre départements - matériel de vote, isoloirs, mise à disposition d'agents des préfectures, etc. Donc, je le répète, depuis 1986, notre pays n'avait pas organisé de double scrutin. Le défi logistique était important et il a été relevé, grâce, notamment, aux maires de France. Toutefois, la question n'est pas celle de l'organisation du scrutin, mais de l'acheminement de la propagande électorale. N'étant pas juriste, et n'ayant jamais vu mon élection annulée, je ne saurais répondre à la question sur la sincérité du scrutin.

Les critères de choix du marché public sont les suivants : 40 % pour l'offre technique et 60 % pour le prix. Ces critères n'ont pas changé depuis que des appels d'offres existent. Le ministère est confronté à la position monopolistique de La Poste. La Poste a été privatisée en 2008. Je n'étais pas alors ministre : je le rappelle, car M. Kanner en appelle presque à ma démission au motif que la propagande n'a pas été distribuée - ce dont j'assume la responsabilité...

M. Patrick Kanner. - Quelle conséquence en tirez-vous ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Ce scrutin s'est tenu dans des conditions tout à fait acceptables. Les agents des préfectures et des communes ont su l'organiser dans des conditions sanitaires complexes.

La Poste pratique des prix élevés. Elle n'a qu'un seul concurrent validé par l'Arcep, Adrexo, qui a peut-être trop recours à la sous-traitance. C'est sans doute le problème principal dans la situation. Le marché prévoit que l'on puisse revenir sur certaines clauses en cas de mauvaise exécution. Peut-être en arriverons-nous là, mais je ne veux pas prendre de décision avant le second tour et avant de voir les mesures de redressement que prendra la société.

Les taux de plis non distribués sont identiques pour La Poste et Adrexo : 9 %, mais les écarts entre départements sont plus importants pour Adrexo. Quand La Poste ne trouve pas les destinataires du courrier dans l'immeuble, elle reprend les plis, ce qui n'a pas été le cas d'Adrexo, qui les a laissés sur place, jetés ou brûlés... Le président de la société nous a présenté ses excuses. Dans les Bouches-du-Rhône ou dans les Alpes-Maritimes, la non-distribution s'élève à 13 %.

Adrexo nous a fait savoir le 24 avril dernier qu'elle avait subi une attaque informatique, sans nous en dire l'étendue.

Monsieur Kerrouche, je ne vois pas le lien avec le vote par correspondance, car celui-ci passe aussi par la voie postale...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Demandez à Richard Ferrand !

M. Gérald Darmanin, ministre. - La France a connu le vote par correspondance jusqu'en 1975. Le législateur a souhaité l'abroger pour garantir le secret et le caractère personnel du vote. Les taux de participation ne sont pas plus élevés dans les pays où le vote par correspondance est pratiqué, comme au Royaume-Uni ou aux États-Unis, à l'exception peut-être de l'Allemagne. La question est de faciliter le vote, tout en garantissant son caractère secret. Je constate aussi que, lorsque le vote par correspondance est pratiqué par certains partis, les résultats sont souvent contestés par ceux qui ont perdu ! Le juge de l'élection a annulé beaucoup de votes pour l'élection des représentants des Français de l'étranger, considérant que le principe de sincérité du scrutin n'était pas respecté. La modalité de vote n'est pas responsable de l'abstention, qui relève d'un problème politique plus profond. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), considérant que les attaques informatiques étaient trop nombreuses, nous interdit de renouveler les machines à voter dans les communes qui en ont installé.

Le ministère a suivi le déroulement du scrutin. Il a une part de responsabilité dans la mesure où il a passé le marché. Il a exercé ses responsabilités. Comme vous, monsieur Bas, nous n'avons pas été convaincus par les explications des sociétés. Si le législateur souhaitait que nous reprenions en régie la distribution du matériel électoral pour assurer le service public des élections, nous le ferions avec plaisir, et cela permettrait d'ailleurs de remuscler les effectifs des préfectures.

Il y a toujours eu des distributions de propagande électorale le samedi, même si l'on peut convenir que ce n'est pas optimal. C'est dû à l'organisation du second tour cinq jours ouvrés après le premier tour. Les délais sont serrés pour les imprimeurs, les routeurs, etc.

Pour la première fois, toutes les professions de foi ont été mises en ligne sur les sites internet des préfectures. De même, pour la première fois, nous avons autorisé les e procurations, qui permettent de donner procuration sans avoir à se déplacer : 262 000 procurations ont été délivrées, même si les personnes doivent se présenter à un moment devant un officier de police judiciaire, car il faut bien attester l'identité de la personne. La carte d'identité électronique à puce permettra peut-être de fournir une solution pour lutter contre les usurpations d'identité. On pourra peut-être identifier quelqu'un grâce à un terminal numérique dans les lieux publics. Mais la question est de savoir quelles informations doivent contenir cette pièce d'identité. Est-ce simplement l'identité, sans autres informations ? Doit-on accepter une identité numérique, comme en Estonie ? Tant que l'on n'aura pas résolu la question de la vérification de l'identité d'une personne, le développement des procurations sera limité.

Enfin, les prestataires, notamment Adrexo, société la plus concernée, font le maximum pour remédier aux problèmes. Il est évident que le taux de distribution n'atteindra pas les 100 % dans trois jours. Il serait absurde de le promettre. J'espère toutefois que l'on observera une amélioration générale. Le ministère de l'intérieur s'emploie à mettre à disposition les professions de foi pour ceux qui ne les ont pas reçues, notamment dans les territoires les plus urbains, et à faire savoir davantage que les professions de foi sont en ligne sur les sites des préfectures. Le ministère s'efforce donc de reprendre la main sur ces marchés de plus de 200 millions d'euros ; nous sommes en droit d'attendre des sociétés qu'elles respectent leurs obligations. En tout cas, nous en tirerons toutes les conséquences si ces sociétés ne les respectent pas.

M. François-Noël Buffet, président. - Je vous rappelle la question posée par Mme Cukierman, à laquelle vous n'avez pas répondu.

M. Philippe Bas. - Tout occupé à contester qu'il y ait eu simultanément en 2008 des élections cantonales et municipales, vous avez oublié de répondre à mes questions : si c'était à refaire que feriez-vous ? Combien d'électeurs n'ont pas reçu les professions de foi ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Je n'ai effectivement pas répondu à Mme Cukierman. Celle-ci a raison de soulever la question de la sous-traitance : vacataires, intérimaires, etc. Comme le savent les élus nombreux qui ont passé des contrats avec Adrexo, la société emploie des personnes en situation d'insertion : cela exige un encadrement élevé. Distribuer le courrier est un métier difficile, peut-être que la société a sous-estimé cette difficulté.

Monsieur Bas, comme je l'ai indiqué, le taux de plis non distribués s'est élevé à 9 %. On peut estimer que la moitié correspond à un taux résiduel normal, qui s'explique par les déménagements, les décès, l'absence de boîte aux lettres, notamment outre-mer, etc. Le reste de la non-distribution correspond aux difficultés des sociétés. Nous vérifierons aussi que les sociétés n'ont pas minoré les chiffres.

Que faudrait-il changer ? Pas grand-chose, dans la mesure où la difficulté tient à au principe de la mise en concurrence et à l'attribution du marché à une société qui n'était pas à la hauteur du marché. C'est pourquoi je suis favorable à sortir ce secteur du champ concurrentiel et à créer une régie. Je ne voulais pas critiquer Lionel Jospin. Simplement à l'époque, on aurait pu exclure du champ des directives la distribution de la propagande électorale. J'assume volontiers mes responsabilités, mais je ne dirige pas les sociétés concernées.

Il faut aussi accepter que ceux qui ne veulent pas recevoir la propagande électorale au format papier puissent la recevoir par voie électronique, ou bien n'en recevoir qu'un exemplaire par famille, cela allégerait les coûts et le bilan carbone. Il faudrait aussi que la loi fixe des dates pour distribuer les documents, comme il en existe pour le dépôt des candidatures. Pourquoi aussi ne pas mettre à disposition des électeurs les professions de foi dans les bureaux de vote pour que chacun puisse les consulter sur place s'il le souhaite ? Les affiches y sont bien affichées. Beaucoup de pays ont reporté les élections. Je ne sais pas si aurions pu faire mieux, vu les contraintes de la crise sanitaire et les obligations liées au droit de la concurrence.

M. Ludovic Haye. - En cas de défaillance, on peut s'interroger sur le cahier des charges, mais il faut aussi s'interroger sur les entreprises qui s'engagent : étaient-elles capables d'exécuter le marché ? Il appartient aux entreprises d'honorer les marchés qu'elles remportent, sinon la concurrence est faussée.

Mme Brigitte Lherbier. - Les imprimeries auront-elles la capacité de produire les documents électoraux en des temps très courts ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Seules deux sociétés sont qualifiées par l'Arcep pour répondre à l'appel d'offres, et comme la loi nous oblige à faire des lots, nous devons retenir les deux sociétés... Le choix est limité ! Certes, on peut prévoir des pénalités financières, faire une mauvaise publicité en cas de problèmes, mais cela ne résout pas la question de la distribution de la propagande électorale. Je suis prisonnier d'une concurrence qui n'en est pas une.

Madame Lherbier, comme à chaque scrutin les imprimeurs sont sous tension, mais il n'y a pas eu de problème cette fois et tous les candidats ont pu faire imprimer leurs documents. Trois problèmes se posent. D'abord la qualité du papier, définie par un règlement : il doit être d'un certain grammage, répondre à certaines obligations écologiques, etc. À chaque scrutin, la situation est donc tendue, d'autant plus que le nombre d'imprimeries a chuté en France et que les délais imposés par le code électoral sont serrés, notamment entre les deux tours.

Une autre difficulté est celle du routage : les sociétés ont 48 heures pour distribuer l'équivalent d'une journée de courrier !

Enfin, la crise de la covid a créé une pénurie de matières premières. Toutefois, il n'y a pas eu de pénurie de papier, même s'il y a eu une tension sur les prix. Les modalités de remboursement de l'État ne correspondent pas forcément aux prix pratiqués par les imprimeurs. Enfin, certains s'étonnent d'avoir dû livrer les résultats des élections départementales à la sous-préfecture et ceux des régionales à la préfecture. Le Gouvernement aurait souhaité simplifier et tout donner à la préfecture. Mais cela relève du législateur. À la demande de l'Assemblée des départements de France (ADF) et du Sénat, on a accepté de donner aux chefs-lieux de canton, les résultats du canton, et à la préfecture de département, les résultats de la section départementale de la liste régionale : cela fonctionne très bien quand un seul scrutin a lieu, mais, pour ce double scrutin, les gens n'ont pas compris, dans les départements ruraux notamment, pourquoi on devait faire deux déplacements.

Enfin, en ce qui concerne la perte de chance, il n'y a pas, selon les analyses du ministère comme celles de Jean-Denis Combrexelle, de risque de mise en cause de la sincérité du scrutin.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - On ne sait pas, la situation est inédite !

M. Gérald Darmanin, ministre. - Le Conseil d'État a déjà considéré que l'absence de distribution de propagande électorale ne remettait pas en cause la sincérité du scrutin. Je pense notamment à une décision relative à la ville d'Annecy où aucune propagande électorale n'avait été distribuée.

M. François-Noël Buffet, président. - Je vous remercie.

Audition de MM. Alain Brousse, directeur général d'Adrexo et Éric Paumier, co-président de Hopps Group

(Lundi 5 juillet 2021)

M. François-Noël Buffet , président . - Nous sommes aujourd'hui réunis dans le cadre de la mission d'information, dotée des pouvoirs de commission d'enquête sur les dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales de juin 2021 et résultant en particulier de la distribution de la propagande électorale.

Nous recevons, à l'occasion de cette première audition, Alain Brousse, directeur général de la société Adrexo, ainsi que Éric Paumier, co-président de Hopps Group.

Cette audition est ouverte à la presse et est diffusée en direct sur le site Internet du Sénat et sur la chaîne parlementaire Public Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je le rappelle, pour la forme et par obligation légale, un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Alain Brousse et Éric Paumier prêtent serment.

M. François-Noël Buffet , président . - Nous sommes dans une situation très particulière en ce moment postérieur aux élections départementales et régionales. En effet, dans nombre de communes, départements et régions, ont été constatées des difficultés et, plus encore, des absences de distribution de propagande électorale. Or l'exercice du droit de vote est l'aboutissement absolu de notre système démocratique, puisqu'il permet à chacun de faire librement un choix dans le secret de l'isoloir. C'est pourquoi la distribution de la propagande électorale constitue, au travers de la loi, une information importante et massive à destination de l'ensemble des électeurs de France, chacun ayant accès de façon égalitaire à toutes les professions de foi des candidats et, donc, à une information parfaitement éclairée. Les constatations de visu et les témoignages qui nous sont remontés démontrent à l'évidence plus que des carences dans la distribution de cette propagande.

Nous sommes ici pour essayer de clarifier les choses et comprendre ce qui s'est passé. Pour ce faire, nous vous poserons une série de questions.

Vous avez été retenu dans le cadre d'un marché public au mois de décembre 2020 pour une durée de quatre ans aux fins de distribution de cette propagande électorale pour les élections se déroulant en cette période. Le marché concernait un lot, l'autre étant confié à La Poste. Or à la fin de l'année 2019, la société Adrexo présentait quelques difficultés financières, à cause desquelles elle a d'ailleurs engagé des procédures pour tenter de trouver des solutions. Cela a abouti en février 2020 à un accord du tribunal de commerce de Marseille qui a entériné un projet de restructuration, à tout le moins de refinancement. Quelque temps plus tard, vous avez répondu, non pas à un appel d'offres, mais à une consultation du ministère sur la future propagande électorale, notamment sur la capacité à pouvoir remplir la mission qui vous sera confiée. Au moment de l'appel d'offres, un certain nombre de questions vous ont aussi été posées par l'acheteur public sur les réponses que vous avez données aux conditions financières du marché. D'après les pièces que nous avons pu nous procurer, vous avez accepté de réduire de façon importante le coût de votre offre. Avez-vous pris la mesure de la mission qui vous était confiée, et mis en place tous les moyens pour apporter dans les boîtes aux lettres de nos concitoyens l'ensemble des documents de propagande électorale ? Comment justifiez-vous que le premier prix présenté ait été ensuite considérablement réduit ? Cela n'a-t-il pas restreint les moyens que vous vous étiez donnés au départ pour pouvoir remplir cette mission ? Nous souhaiterions vous entendre sur ces points avant d'en venir aux autres questions.

M. Éric Paumier, co-président de Hopps Group . - Merci monsieur le président. Nous ne sommes pas venus chercher aujourd'hui des excuses, mais vous présenter des faits et vous donner des informations, même si nous sommes conscients que répondre sous serment nous oblige. Je profite de cette introduction pour remercier tous mes collaborateurs d'Adrexo qui ont travaillé ardemment à la distribution de la propagande électorale durant plus d'un mois et demi, et ce dans des conditions difficiles sur lesquelles nous allons revenir.

La situation d'Adrexo est un sujet plus large chez nous, car le groupe Hopps, officiellement constitué le 3 janvier 2017 - précisément à l'occasion de la reprise d'Adrexo -, existait depuis mars 2012, lors de notre première reprise d'entreprise en difficulté
- aujourd'hui dénommée Colis Privé. Ce groupe est bâti sur la volonté de reprendre des entreprises à forte intensité de main d'oeuvre, en CDI, en développant l'activité et le chiffre d'affaires sans jamais opérer de plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) et donc en préservant l'emploi.

Le groupe Hopps compte 22 000 collaborateurs, dont 97 % sont employés en CDI. Ces chiffres sont la démonstration la plus claire de notre mission sociale de distribution jusqu'au dernier kilomètre et de protection des emplois, qui sont inévitablement non délocalisables - je sais que vous y êtes sensibles - et dont les salariés n'ont pour la plupart pas d'autre choix que de travailler avec une entreprise comme Adrexo.

La société Adrexo, reprise le 3 janvier 2017, était en difficulté puisqu'elle clôturait l'exercice de 2016, pour la cinquième année consécutive, avec des pertes : un déficit de 36 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires qui avoisinait à l'époque les 280 millions d'euros. Le projet initial avait pour objet d'augmenter le chiffre d'affaires et de développer de nouvelles activités au sein d'Adrexo, en faisant jouer au maximum les synergies entre notre première entreprise Colis Privé et Adrexo de telle sorte que cela profite aux deux. Adrexo faisait déjà de la distribution adressée de longue date, puisqu'elle a obtenu sa licence postale en 2006, depuis l'ouverture du marché à la concurrence, et elle a beaucoup développé cette activité ces dernières années. C'est dans le cadre classique de notre métier, à savoir la livraison à domicile par des messagers, et non des facteurs, que nous participons à l'appel d'offres mené par le ministère de l'intérieur sur la distribution de la propagande électorale.

En 2019, Adrexo a subi une première crise de plein fouet, due au mouvement des « gilets jaunes » et à la réduction, par la grande distribution, de ses budgets de distribution de publicité non adressée. En 2018, la société a enregistré un bilan négatif de 15 millions d'euros, qui s'est rapproché de la tendance initiale avant 2016, date de la reprise de l'entreprise qui faisait l'objet d'une conciliation avec l'accord du tribunal de commerce de Marseille. Toutes ces difficultés ont plongé l'entreprise dans une situation qui n'avait pas été prévue. À cette occasion, en février 2020, nous avons refinancé l'entreprise principalement par de la dette privée, mais aussi grâce à l'accompagnement du comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) en vue de la signature d'un moratoire. L'entreprise a alors retrouvé sa pleine capacité financière et a pu envisager un avenir serein.

Malheureusement, à la mi-mars 2020, avec la crise du covid, Adrexo s'est retrouvée sans aucune activité, c'est-à-dire avec zéro chiffre d'affaires durant deux mois, du 25 mars au 25 mai. Les affaires ont progressivement repris ensuite, jusqu'à la fin de l'année 2020. À l'occasion de cette crise, que personne n'avait anticipée, nous avons cherché à contracter un prêt garanti par l'État (PGE), mais nous n'étions pas éligibles. En dépit de notre forte intensité de main d'oeuvre, non délocalisable, et dont les emplois sont cruciaux pour les salariés au bout de la chaîne, ceux-ci ne peuvent pas bénéficier des mêmes dispositifs que la plupart des entreprises en France. Nous nous sommes une nouvelle fois adressés au CIRI, mais aussi à des prêteurs privés - l'affaire Morgan Stanley n'est qu'un pan du sujet. En décembre 2020, nous avons remboursé une partie de nos emprunts du mois de février, y compris ceux de l'État dans le cadre d'un refinancement, toujours de manière minoritaire, avec des garanties très fortes et officielles pour que l'accompagnement de trois ans puisse se faire. Alors que nous sommes censés rembourser l'intégralité en mars 2023, notre plan de remboursement devrait être apuré dès cette année.

Oui, Adrexo sort des difficultés financières. Nous nous attachons à faire en sorte que cette entreprise soit pérenne, à commencer en maintenant les emplois. Elle fait partie d'un groupe qui est bénéficiaire à la mi-2021 ; il n'est pas riche, mais normalement solide et financé pour faire face à ses besoins quotidiens. Nous avons donc participé à cet appel d'offres à partir de la mi-2020, et c'est nous qui avons sollicité le ministère de l'intérieur. Quelques mois plus tard, nous avons gagné le marché : sept régions, près de la moitié du marché, et 51 départements. Notre entreprise est la seule en France, à l'exception de La Poste, à être capable de répondre à ce type de marché. C'est notre coeur de métier : nous livrons des plis dans les boîtes aux lettres des Français toutes les semaines, toute l'année ! En l'espèce, nous nous sommes rendu compte que cet appel d'offres était particulier. M. Alain Brousse vous exposera la façon dont il a été mené, remporté et en fonction de quels critères.

Même s'il est question d'un marché de la « distribution » à proprement parler, il s'agit bien de « propagande électorale » qui fait l'objet d'une sensibilité démocratique bien compréhensible. En toute franchise, nous n'avions pas imaginé nous retrouver devant vous aujourd'hui à ce titre, et surtout, nous ne pensions que notre entreprise et ses salariés se trouveraient un jour confrontés à un tel déchaînement médiatique - nous le vivons ainsi -, à des insultes dans la rue, à de la diffamation médiatique - c'est encore le cas aujourd'hui dans Le Monde - et politique. Nous n'avions sans doute pas suffisamment mesuré ces risques.

M. François-Noël Buffet , président . - Vous êtes ici devant des parlementaires dotés de pouvoirs de commission d'enquête. Nous ne sommes pas un tribunal, nous ne faisons pas de conférence de presse quotidienne et ne diffusons pas d'informations à ce titre. En revanche, nous sommes ici pour comprendre ce qui s'est passé compte tenu des enjeux liés à une élection dans un pays démocratique comme le nôtre. Nous voulons assurer la parfaite égalité entre nos concitoyens dans l'exercice de leur droit de vote. C'est l'essentiel !

M. Alain Brousse, directeur général d'Adrexo . - Permettez-moi de vous donner quelques indications sur la chronologie de cet appel d'offres. Comme l'a dit Éric Paumier, après avoir manifesté notre intention d'être interrogés, nous avons reçu le 19 juin 2020 la publication de cet appel d'offres, pour une réponse prévue le 31 juillet 2020. La première soutenance a eu lieu en octobre 2020, qui a donné lieu à une seconde offre à la fin du mois et une seconde soutenance au début du mois de novembre 2020 pour la formulation d'une troisième offre le 17 novembre 2020, et une signature du marché le 16 décembre 2020.

Ce marché comporte deux parties : le volet prix, et l'autre, plus technique, relatif à la description de l'organisation. Les prix sont fixés au kilo et en fonction des trois délais de livraison possibles, à J+2, J+3 et J+4. Au cours du processus de soumission, les équipes commerciales en interaction avec le ministère de l'intérieur ont récupéré des informations sur la position financière de l'entreprise. Des efforts ont été réalisés avec l'objectif d'appréhender la meilleure équation prix-journée de livraison afin que le modèle économique puisse fonctionner. À ce stade, j'ignore la comparaison qui peut être déduite de notre tarification avec notre confrère La Poste. Néanmoins, les interactions ainsi que le processus de qualification d'un prix et d'une organisation nous a rendus attributaires de 7 lots sur 16.

Vous nous avez demandé si nous étions en capacité de réaliser ce marché. Si nous avons répondu à cette offre, c'est que nous avions la conviction de pouvoir le faire. Notre expérience historique dans la distribution est une réalité, notamment au travers de l'adressage.

Deux enjeux se sont dégagés : la logistique et la distribution avec la capacité de mobiliser des distributeurs et la préoccupation du délai extrêmement contraint pour le deuxième tour.

Concernant la distribution, la première opération consistait à dimensionner les ressources horaires dans les délais imposés au regard du nombre d'électeurs concernés par les zones que nous devions couvrir. Des algorithmes nous permettent d'évaluer, dans un secteur, le temps nécessaire à la distribution, lesquels ont été expérimentés au début de l'année lors d'élections partielles. Nous avons accompagné ces algorithmes d'amortisseur, en vue de fixer ce que l'on appelle un « temps repère ». En fonction du volume d'heures qui découle des algorithmes, nous devons mobiliser nos propres ressources et prévoir des renforts, soit en interne, soit via des sociétés d'intérim.

Le temps repère n'a aucune incidence sur le temps de travail effectif. Tous nos distributeurs sont équipés d'une badgeuse. Même si le temps estimé pour effectuer la distribution dans un secteur est de quatre heures, le distributeur sera rémunéré sur son temps de travail effectif. D'ailleurs, pour le premier tour, nous avons dépassé de 20 % les montants horaires initialement prévus.

Non seulement les ressources ont été évaluées, mais elles ont été attribuées - nous reviendrons sans doute sur les difficultés que nous avons pour autant rencontrées dans certains secteurs.

M. François-Noël Buffet , président . - Je m'interroge : comment avez-vous réussi, dans le cadre de la négociation, à réduire les prix entre 30 et 50 %, tout en parvenant à un équilibre économique ?

M. Éric Paumier. - Le prix de vente est un prix au poids, c'est-à-dire dépendant du nombre de documents dans l'enveloppe. Dans le cadre de notre deuxième offre, le ministère nous a indiqué le nombre de candidats et le poids des enveloppes lors des élections précédentes. Facturer au poids revient à facturer à l'objet ; c'est le modèle historique. Nous nous y sommes donc conformés. Nous avions sous-dimensionné le poids et avions donc augmenté le prix moyen au poids dans notre première offre. Nous avons revu nos prix en fonction des données qui nous ont été transmises par le ministère.

Les chiffres font aujourd'hui apparaître une rentabilité de l'ordre de 10 % pour les premier et deuxième tours. L'opération n'est pas extrêmement intéressante pour l'entreprise, cela correspond à un chiffre d'affaires de 25 millions d'euros environ, dont un Ebitda - earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization - de 2,3 millions d'euros. Cela démontre que l'opération est certes rentable pour l'entreprise, mais qu'elle n'est pas très fructueuse, avec une marge de 10 millions d'euros. Nous estimons que nos prix ont été assez justement calculés. Au final, l'opération s'est révélée moins rentable pour ce qui concerne les élections départementales que les élections régionales - les candidats ont été moins nombreux.

Mme Cécile Cukierman . - Comme cela a été rappelé par le président de la commission, l'objectif est non pas de juger, mais d'essayer de comprendre, et permettez-moi d'avoir quelques interrogations après avoir entendu deux interventions plutôt dissonantes.

Dans un premier temps, vous nous avez expliqué le caractère social de votre mission, avec la capacité de vos employés de distribuer du pli adressé, tout en précisant, dans un second temps, que vous aviez eu recours à plusieurs prestataires, notamment à des intérimaires.

Je n'ai toujours pas compris le rapport entre la qualité de la distribution et l'enjeu démocratique de la qualité de cette distribution avec le fait de bénéficier ou pas d'un PGE. Même si vous avez rencontré des difficultés financières, comme beaucoup d'entreprises, à la suite de la crise sanitaire, vous saviez depuis l'été 2020 que ces élections allaient avoir lieu. D'ailleurs, le report de ces élections n'a fait que vous octroyer plus de temps pour anticiper votre organisation.

Les élus et le Gouvernement ont joué le jeu au travers du comité de suivi présidé par M. Combrexelle, en prévoyant la possibilité d'exiger de la part des candidats la transmission des documents de propagande bien en amont. Avez-vous mis à profit ce délai ? Permettez-moi de m'interroger. Ma région - la région Auvergne-Rhône-Alpes - est l'une de celles qui ont reçu de nombreuses réclamations en matière de non-distribution, de mauvaise distribution, avec des plis éparpillés sur le bord de la route, etc.

Même si vous avez répondu par avance aux questions que vos propres organisations syndicales soulèvent, comment, concrètement, recrutez-vous les agents ? Sur quelles compétences ? Quel contrôle qualité effectuez-vous ? Le temps maximum n'est-il pas à un moment donné un handicap face à la qualité ? Si La Poste raisonne en fonction du poids et non pas du nombre de plis, c'est précisément parce que c'est très différent de distribuer 1 000 plis de 20 grammes et 1 000 plis de 60 grammes. La question du poids n'est pas qu'anecdotique si l'on veut que chaque électeur ait reçu les documents, en vue de garantir l'égalité républicaine.

Mme Nathalie Goulet . - Dans le département de l'Orne, nous avons constaté des dysfonctionnements : une non-distribution, des paquets entiers devant les mairies, à charge pour les maires de déposer les plis à l'adresse indiquée...

Les sous-traitants qui sont intervenus ont notamment indiqué qu'ils ne pouvaient pas faire mieux compte tenu de leur salaire et qu'en outre ils n'avaient pas la liste des adresses. Il est fort différent de distribuer de la publicité, que l'on met en vrac dans les boîtes aux lettres, et des plis qui doivent être adressés aux citoyens inscrits sur les listes électorales.

Par ailleurs, j'ai lu ici ou là - pouvez-vous infirmer ou confirmer ces propos ? - que vous aviez des liens avec Amazon. Quels sont-ils dans un cadre global ?

Enfin, quid des participations des collectivités locales, qui vous ont soutenus ? Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce sujet ?

M. Éric Kerrouche . - Vous avez parlé d'algorithmes, de temps repères et de votre capacité à apprécier la façon de faire au mieux la distribution. Ces temps repères valent-ils pour tous les personnels ?

Il arrive que des élus distribuent des plis et nous nous rendons compte que la distribution ne s'improvise pas, même dans une commune que l'on connaît bien. Avez-vous assuré un minimum de formation aux agents ? Je ne vois pas comment un algorithme peut déterminer le niveau de méconnaissance de l'endroit où l'on se trouve.

Vous nous avez parlé des efforts que vous faites pour l'entreprise, mais les syndicats qui nous ont contactés présentent une image assez différente. Rencontrez-vous des difficultés avec le personnel ? Quel est le taux d'absentéisme et quel est le taux de turn-over ?

Considérant les termes de votre contrat, vous deviez adresser un compte rendu quotidien circonstancié et tout dysfonctionnement devait être signalé par téléphone dans un délai de quatre heures et transmis au préfet et au bureau des élections du ministère de l'intérieur. Votre système de reporting a-t-il fonctionné ? À partir de quand avez-vous signalé les difficultés au ministère de l'intérieur ? Quelles réponses vous ont été apportées, quelles solutions ont été envisagées et à quel moment l'ont-elles été ?

M. Jean-Yves Leconte . - Vous avez indiqué que vous aviez sollicité le ministère de l'intérieur pour répondre à l'appel d'offres. Mais j'imagine que l'appel d'offres était public... Même si l'on peut se demander à quoi il sert dans la mesure où les deux sociétés qui ont répondu ont été choisies...

Quel a été le rôle de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) ? D'autres sociétés auraient-elles pu être retenues ?

M. Alain Richard . - Votre effectif permanent représente opérationnellement un volume d'heures. Lorsque vous avez répondu à cet appel d'offres, quelle était la proportion du volume d'heures que vous deviez sous-traiter pour accomplir cette mission ? Cette proportion est-elle substantiellement variable d'un département à l'autre ?

Mme Marie Mercier . - Un salarié d'Adrexo m'a expliqué qu'il n'avait tout simplement pas pu distribuer de plis les mercredi et jeudi avant le deuxième tour. Pouvez-vous nous parler de la livraison de la propagande électorale ?

M. Philippe Bas . - Quel accompagnement avez-vous reçu de la part de l'État dans les mois qui ont précédé les élections pour mettre en oeuvre le marché ? Quel contrôle les services de l'État ont-ils exercé sur les préparatifs de l'exécution du marché ? Quelles mesures vous a-t-il ordonné de prendre dans les jours qui ont précédé le premier tour - nous savions alors qu'il y avait des problèmes de distribution - et dans les jours qui l'ont suivi pour rétablir l'exécution normale du marché ? Enfin, le ministère de l'intérieur a-t-il engagé à l'encontre de votre société une procédure de sanction pour mauvaise exécution du marché ?

M. Éric Paumier . - Monsieur Leconte, quand nous avons appris qu'un appel d'offres allait être lancé, nous avons indiqué au ministère de l'intérieur que nous serions potentiellement candidat, après avoir lu l'appel d'offres.

Nous ne sommes pas capables de répondre à votre question concernant l'Arcep. Nous ne savons pas quel rôle elle a joué. Tout ce que je puis vous dire c'est que nous faisons ce métier depuis 2006 et, en quinze ans, l'Arcep ne nous a jamais notifié un quelconque dysfonctionnement quant à la livraison de courriers adressés ou la façon dont nous gérons les réclamations.

Madame Goulet, nous n'avons aucun lien avec Amazon, que ce soit sur le plan capitalistique ou commercial. Amazon est le client le plus important de Colis Privé ; il est aussi, me semble-t-il, le premier client de La Poste et de Chronopost pour la distribution de colis. Amazon a participé un temps au capital de Colis Privé, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Pour votre parfaite information, cette entreprise a encore des bons de souscription d'actions (BSA), à hauteur de 10 % du capital de Colis Privé, mais elle n'est pas actionnaire en tant que telle. Amazon n'a aucun lien avec Adrexo.

Concernant nos relations avec les collectivités locales, nous avons sollicité l'année dernière la région lorsque nous cherchions des financements - notre siège social est à Aix-en-Provence. Dans le cadre du refinancement que j'ai décrit précédemment, la région Sud nous a accompagnés en nous octroyant 1 million d'euros, qui sera remboursé cette année.

Madame Mercier, le premier tour et le second tour sont deux sujets très différents. Nous l'avons dit, nous reconnaissons une part de responsabilité quant aux dysfonctionnements qui ont eu lieu lors du premier tour ; nous vous donnerons des chiffres. Mais nous ne reconnaissons pas une part de responsabilité pour le second tour, absolument pas. À cet égard, l'exemple que vous avez cité est flagrant : nous n'avons pas été livrés en temps et en heure - La Poste a d'ailleurs fait la même déclaration que nous. Nous avons été livrés à hauteur de 60 % dans les temps requis, le jeudi soir à 23 heures 59, alors que, contractuellement, nous aurions dû avoir reçu 100 % des plis. Nous n'avons pas pu combler ce retard. Effectivement, des salariés et des milliers d'intérimaires - 2 400 intérimaires exactement - se sont présentés le mercredi pour travailler, mais sont repartis, sont revenus le jeudi et sont encore repartis, car nous n'avions rien à leur donner.

Je n'ai pas grand-chose à ajouter sur le second tour, car 40 % des plis nous sont parvenus en retard - nous avons même reçu entre 10 et 15 % des plis jusqu'au samedi matin. Ces difficultés tiennent aux acteurs de la chaîne en amont - les imprimeurs, les routeurs, je n'incrimine personne en particulier. Nous avons évidemment plus que communiqué avec le ministère de l'intérieur, notamment lors du second tour - envoi de mails à 1 heure du matin le vendredi pour indiquer que nous n'arriverions jamais à assurer la distribution. Il nous était impossible de distribuer des plis que nous n'avions pas. Alors que nous avons reçu 60 % des plis à 23 h 59, nous avons réussi à distribuer quelque 67 % des documents. Le pourcentage de 33 % de non-distribution est bien sûr colossal, mais nous avons fait tout ce que nous avons pu. Nous avons mis en place plus de moyens que prévu - 20 % de plus, comme l'a dit Alain Brousse - lorsque nous avons vu les problèmes qui se posaient, en recourant à d'autres agences d'intérim. La Poste a sans doute un peu mieux réussi que nous, mais je pense qu'ils sont loin des 100 %.

Le ministre de l'intérieur nous a reçus le lundi entre les deux tours, avec La Poste ; il a constaté un taux de non-distribution de 9 % équivalent entre La Poste et notre société, avec des écarts-types plus forts chez nous - nous sommes là pour vous dire la vérité -, nous vous en dirons plus ultérieurement. Le ministre nous a demandé d'être le plus créatif possible. Dès le mardi, j'ai pris personnellement contact avec La Poste. Lorsque les routeurs nous ont dit qu'ils n'arriveraient pas à tenir les délais, nous imaginions un retard de livraison de l'ordre de 10 ou 15 % le vendredi matin, mais des plis nous ont été livrés le samedi matin, c'est-à-dire trop tard. Dès que nous avons eu connaissance des problèmes, nous avons décidé de sous-traiter à La Poste 5,4 millions de plis, qui en a livré 3,8 millions. La Poste non plus n'a pas pu faire de miracle. Nous étions en étroite communication avec le ministère. Nous en sommes parfaitement conscients, derrière les chiffres, des circonscriptions entières n'ont reçu aucun document, ou n'ont eu des plis que pour les départementales et pas pour les régionales - le problème est plus aigu pour les régionales. Au bout de la chaîne, ce sont effectivement des Français qui n'ont pas reçu les plis. En tant qu'opérationnels, 3 % de dysfonctionnements pour le premier tour, c'est une proportion relativement limitée, mais les citoyens qui ont été privés de plis l'ont été à 100 %.

Voilà la réalité pour ce qui a concerné le second tour.

M. Alain Brousse . - Je dirai un mot sur les questions relatives à l'intérim.

M. Paumier l'a expliqué, nous n'avons passé qu'un contrat de sous-traitance, au sens strict du terme, avec La Poste. Nous vous avons envoyé, je crois, tous les contrats que nous avons passés avec les sociétés d'intérim. La distribution de propagande électorale pour deux élections dans un délai contraint ne correspond pas au rythme de fonctionnement normal d'une entreprise. Aussi, comme nous l'avions annoncé lors de l'appel d'offres, nous avons prévu des renforts, que nous aurions pu intégrer dans nos propres effectifs en CDD, mais nous avons fait le choix de recourir à des sociétés d'intérim spécialisées dans le sourcing.

Je le redis, nous nous faisions une joie, dans le contexte actuel, de proposer du travail à des jeunes non diplômés. Nous avons fait appel à huit grandes sociétés d'intérim que nous avons consultées, pour la plupart d'entre elles, dès le mois de janvier dernier. Nous avions alors évalué les besoins prévisionnels de renforts.

M. Alain Richard . - Quelle a été la proportion d'intérimaires ?

M. Alain Brousse . - Pour le premier tour, 60 % d'intérimaires, contre 40 % de personnels internes ; le personnel intérimaire devait être plus important encore pour le second tour. Je tiens à le dire, un intérimaire est un salarié comme un autre : il a été sélectionné à partir d'un cahier des charges, une vidéo lui montre tous les enjeux de l'opération de distribution de propagande électorale. Ce personnel est ensuite formé aux métiers de la distribution, avec des recommandations particulièrement précises sur la nécessité absolue de ne pas jeter les documents en cas de difficultés de distribution. Le personnel interne et externe signe un document aux termes duquel tout jet de document est socialement et pénalement répréhensible. Tout courrier est nécessairement rattaché à un salarié ou à un intérimaire.

Vous nous avez demandé si nous avions imposé des cadences qui auraient pu nuire à la qualité de la distribution. Le fameux algorithme nous permet de formuler des dimensionnements et il n'est absolument pas capé. Je le répète, tous nos distributeurs, qu'ils soient internes ou intérimaires, sont rémunérés pour le temps de travail réalisé.

M. Éric Paumier . - Pour répondre à Mme Cukierman, nous avons des temps maximum : nous capons en temps certains types de distribution - on demande alors au distributeur de s'arrêter à la fin du temps maximum -, mais ce process n'a évidemment pas été mis en place pour les opérations de distribution de la propagande électorale.

M. Alain Brousse . - On peut considérer qu'un intérimaire peut être moins performant qu'un facteur - c'est un fait que l'on ne conteste pas -, mais, pour autant, nous lui donnons la capacité de distribuer la totalité des plis qui lui sont confiés.

Concernant le contrôle qualité, une cellule centrale a précisément pour vocation de vérifier que notre personnel a bien actionné la badgeuse, qui nous permet de savoir que la distribution est en cours. En cas de difficulté, nous pouvions joindre le collaborateur sur site pour l'aider à résoudre tout problème. Cette cellule a reçu 10 000 signalements.

M. François-Noël Buffet , président . - Vos collaborateurs sont-ils payés à l'heure ?

M. Alain Brousse . - Oui.

M. François-Noël Buffet , président . - Pas au nombre de plis distribués ?

M. Alain Brousse . - Non, ils sont rémunérés pour le temps de travail réellement effectué.

En zone rurale, la cadence est de 30 plis à l'heure environ, contre 200 plis en zone urbaine et la moyenne nationale est de 120 plis à l'heure. Si cette cadence n'est pas tenue, il n'en reste pas moins vrai que le collaborateur est, je le répète, rémunéré sur le temps effectué. In fine , pour le premier tour, nous avons dépassé de 20 % les évaluations. Il est possible que cette proportion comprenne des temps d'improductivité. Tout notre système logistique était fondé sur du programmatique. Or nous avons constaté que le programmatique n'était pas possible pour plusieurs raisons, notamment des problématiques de visibilité et de cadences de production chez nos partenaires en amont. C'est pourquoi nous avons basculé d'une organisation logistique programmatique vers une organisation logistique réactive : nous sommes allés chercher les plis lorsque les régies ou les routeurs nous informaient qu'ils étaient disponibles. Cela a perturbé la programmation de nos propres équipes dans la mesure où le planning de production ne dépendait pas de nous. La presse s'en est fait l'écho, dans de nombreux cas, notre personnel n'a pas pu travailler faute de livraison.

Pour le premier tour, la distribution était séparée pour les départementales et les régionales, contrairement au second tour, où l'agent distribuait la totalité des plis. Compte tenu des dysfonctionnements évoqués, nous avons pris la décision à un moment donné de distribuer séparément les plis pour les départementales ou les régionales qui nous avaient été livrés. On nous a signalé des zones où la distribution était très largement incomplète ; nous l'avons effectivement constaté et en avons informé le ministère de l'intérieur. La principale raison tient à la difficulté de réarmer un distributeur sur la zone concernée, mais ce dysfonctionnement est aussi dû à un problème logistique - la perte d'une caisse qui contient l'ensemble des plis, des caisses incomplètes. Nous ne sommes pas responsables des enveloppes vides. Nous sommes en train de faire un diagnostic pour répertorier tous les cas de figure afin de savoir exactement ce qui s'est passé, et nous vous communiquerons toutes les informations nécessaires sur les causes de non-distribution.

M. Loïc Hervé . - En tant qu'élu de la Haute-Savoie, les dysfonctionnements que vous avez évoqués sont en réalité comparables à une véritable catastrophe industrielle. Un certain nombre de problèmes viennent en partie de vos salariés ou de vos intérimaires. Quelles mesures, voire quelles sanctions, avez-vous prises à l'égard des personnels qui ont jeté les plis dans les poubelles par exemple ?

Rétrospectivement, eu égard à la situation financière de l'entreprise, répondriez-vous à cet appel d'offres ?

Avez-vous eu des contrats directs avec des candidats ? Si oui, comment cela s'est-il passé ?

Enfin, il ne vous aura pas échappé que des élections présidentielle et législatives auront lieu l'an prochain, serez-vous candidats à cet appel d'offres ?

M. Philippe Bas . - Permettez-moi de répéter mes questions.

Premièrement, quel accompagnement avez-vous reçu de la part de l'État dans les mois qui ont précédé les élections pour mettre en oeuvre le marché ? Deuxièmement, quel contrôle les services de l'État ont-ils exercé sur les préparatifs de l'exécution du marché avant même le premier tour des élections ? Troisièmement, quelles mesures l'État vous a-t-il ordonné de prendre dans les jours qui ont précédé le premier tour et dans les jours qui l'ont suivi pour rétablir l'exécution normale du marché ? Quatrièmement, le ministre de l'intérieur a-t-il engagé à l'encontre de votre société une procédure de sanction pour mauvaise exécution du marché ?

M. Stéphane Le Rudulier . - Vous avez évoqué le ratio de 40 % de salariés et de 60 % d'intérimaires. N'est-ce pas le signe d'un sous-dimensionnement de vos effectifs par rapport au marché ? Est-ce un ratio habituel pour les autres marchés ?

M. Jean-Yves Leconte . - Votre réponse concernant l'Arcep n'est pas complète. N'importe quel prestataire pouvait-il candidater ou y a-t-il eu une procédure d'homologation particulière ?

M. Éric Kerrouche . - Vous avez dit que votre personnel avait la capacité d'appréhender les adresses. Cela signifie-t-il que les intérimaires n'ont aucune formation ? Avez-vous été confrontés à de l'absentéisme ? Votre turn-over est-il élevé ?

M. François-Noël Buffet , président . - L'activité de courriers adressés est-elle mineure pour l'entreprise Adrexo ? N'est-ce pas une première expérience - qui plus est malheureuse ? Avez-vous insuffisamment appréhendé la situation ?

M. Éric Paumier . - Monsieur Hervé, dans votre département, pour le deuxième tour, nous avons reçu 43,02 % des documents pour les départementales et 5,73 % pour les régionales le jeudi soir à 23 heures 59. Je n'ai pas les chiffres de distribution par département, mais j'imagine qu'elle a été catastrophique dans votre département.

Vous êtes revenu sur la situation financière de l'entreprise, je veux être très clair : l'ensemble du groupe est parfaitement sain depuis quelques mois et est bénéficiaire. Au sein du groupe, certaines entreprises sont florissantes, d'autres moins, comme Adrexo, qui sera peu ou prou à l'équilibre cette année.

Nous avons effectivement eu des contrats directs avec des candidats, comme Médiapost. Cette activité a représenté un peu plus de 2 millions d'euros de chiffre d'affaires. De manière générale, les élections sont un sujet commercial pour notre entreprise.

Vous me demandez si nous participerons à un nouvel appel d'offres. J'ai envie de vous faire une réponse honnête à ce stade. Aujourd'hui, le contrat vaut encore pendant trois ans. Jusqu'à preuve du contraire, il n'y aura donc pas de nouvel appel d'offres. J'ai entendu les velléités de vouloir rompre ce contrat. Sur le plan juridique, cela ne me paraît pas évident. Toutefois, au vu de la situation que nous vivons actuellement, nous n'avons pas la volonté absolue de conserver ce contrat.

M. François-Noël Buffet , président . - Ne voulez-vous pas tenir compte de cette expérience pour apporter des améliorations ?

M. Éric Paumier . - Nous sommes tout à fait prêts à continuer. Mais nous n'étions sans doute pas armés pour faire face à cette pression médiatique et politique. Certains de nos salariés sont insultés, en burn-out, poursuivis par des journalistes ; des directeurs régionaux qui ont plus de vingt ans de métier pleurent. La situation n'est pas tenable. Nous n'avons pas à subir ce type de pression.

Pour répondre de manière plus précise à la question concernant l'Arcep, à ma connaissance, seules deux entreprises distribuent du courrier adressé sur l'ensemble du territoire, La Poste bien sûr et Adrexo. Il n'y avait donc que deux candidats possibles. Que penser dès lors d'un appel d'offres ? Cette question ne relève pas de notre ressort. Depuis 2006, le marché ne s'est pas vraiment ouvert.

Concernant les sanctions potentielles du ministère de l'intérieur à notre encontre, nous n'en sommes pas informés à ce stade. Le ministère nous a accompagnés dans la mesure du possible - je ne cherche pas à le protéger -, dans les mois qui ont précédé le démarrage en nous donnant un maximum d'informations sur les précédentes élections.

Je rappelle aussi que nous avons subi une cyberattaque le 23 avril dernier. Nous en avons immédiatement informé le ministère. Cela a eu un impact sur la préparation du premier tour, mais nous n'avancerons pas cet argument pour expliquer les dysfonctionnements.

Vous avez évoqué le contrôle des services de l'État ; je ne sais pas ce que vous entendez par là, mais nous avons communiqué quotidiennement, voire plusieurs fois par jour, avec le ministère durant toute l'opération. M. le ministre nous a demandé pour le deuxième tour de communiquer directement avec les préfectures - nous avions été défaillants sur ce point lors du premier tour. Une personne a été dédiée pour assurer la communication avec chaque préfecture. Le ministère a essayé d'aider son prestataire dans la mesure du possible, mais il nous revenait évidemment de faire le travail, nous en sommes bien conscients.

Monsieur Le Rudulier, nous sommes habitués à une proportion de 60 % d'intérimaires dans nos autres métiers. Nous préparons des commandes pour le e-commerce, en amont de la distribution ; lors des les pics d'activité, à Noël par exemple, nous employons entre 70 et 80 % d'intérimaires.

Concernant la formation des intérimaires, on entend des choses qui nous choquent. À nos yeux, un intérimaire est un salarié comme un autre ; il est formé comme nos salariés. Nos outils informatiques permettent aussi d'accompagner la distribution. Nous avons une base de données, à l'instar de La Poste, avec les adresses de tous les Français ; les fichiers d'adresses qui nous ont été confiés ont été géocodés et transmis aux routeurs, qui ont imprimé une ligne technique et un ordre de séquence - ce processus a été globalement respecté - et, avec la badgeuse, nous pouvons faire le tracing de nos distributeurs, en vue de vérifier la qualité de la distribution. Nous l'avons dit, nous avons procédé à 10 000 appels.

M. François-Noël Buffet , président . - Pouvez-vous nous dire quelques mots de la formation ?

M. Alain Brousse . - Un film est projeté aux intérimaires pour que ceux-ci prennent connaissance de leur mission et une heure de formation ou un peu plus selon les situations est prévue. Puis l'équipement - chariot de distribution, badgeuse, pass Vigik, gilet de sécurité, etc. - est remis à l'intérimaire.

M. Éric Paumier . - Nous avons investi 6 millions d'euros concernant le matériel pour la période de quatre ans.

Nous n'y sommes donc pas allés les mains dans les poches ; nous avons réellement mis les moyens nécessaires en termes de formation, en heures de travail - elles ont été supérieures au prévisionnel - pour réaliser la prestation demandée. Nous sommes une entreprise sérieuse.

Monsieur le président, vous nous avez demandé si nous n'étions pas en quelque sorte des amateurs - même si ce ne sont pas les termes que vous avez employés, c'est ainsi que j'ai perçu votre question. La distribution adressée est aujourd'hui l'activité principale d'Adrexo : cela représente 25 % du chiffre d'affaires de l'entreprise, contre un pourcentage quasi nul il y a quatre ans. Notre métier de base, l'imprimé publicitaire, est en perte de vitesse. Nous n'avons pas retrouvé les volumes de 2018 ou de 2019. Le courrier adressé est le moyen - le seul - de continuer à employer les 17 000 collaborateurs qui font la distribution dans les boîtes aux lettres chez Adrexo. Parallèlement, l'entreprise développe d'autres activités : la livraison de produits frais, de colis. L'année dernière, durant la crise sanitaire, Adrexo a recruté un peu moins de 1 000 personnes à temps plein.

Nous avons répondu à cet appel d'offres parce que nous estimons qu'il correspond à notre activité. Certes, il y a sans doute une part d'« apprentissage », mais nous étions bien conscients de l'importance du sujet. Oui, nous avons appris des choses, car nous n'avions jamais réalisé cette mission.

M. Alain Richard . - Vous n'aviez participé ni aux élections européennes ni aux élections municipales ? Tout était passé par La Poste ?

M. Éric Paumier . - En effet.

M. François-Noël Buffet , président . - Nous vous remercions. Nous vous enverrons peut-être un questionnaire écrit pour vous demander des compléments d'information.

M. Éric Paumier . - Nous sommes à votre disposition.

Audition de Mme Laure de La Raudière, présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep)

(Mardi 6 juillet 2021)

M. François-Noël Buffet , président . - Nous recevons cet après-midi Mme Laure de La Raudière, présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).

Madame la présidente, nous vous remercions d'être présente devant la commission des lois dans le cadre de la mission d'information, dotée des pouvoirs de commission d'enquête, que nous avons créée sur les dysfonctionnements dans l'organisation des dernières élections départementales et régionales de juin 2021.

Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et sera diffusée en direct sur le site internet du Sénat et retransmise sur Public Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Tous les sénateurs qui peuvent participer à cette réunion sont membres de la commission des lois, dont certains sont présents en visioconférence.

Je vous rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant nous est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Laure de La Raudière prête serment.

M. François-Noël Buffet , président . - Nous avons souhaité vous entendre à la suite de l'audition du ministère de l'intérieur qui a indiqué devant la commission des lois, lorsque nous l'avons reçu entre les deux tours des élections, qu'il avait dû choisir la société Adrexo. En effet, selon ses dires, cette société bénéficiant d'une licence postale délivrée par l'Arcep, ses capacités techniques ne pouvaient être mises en doute. De plus, le ministre a laissé entendre que, les deux sociétés ayant présenté une offre, le droit de la commande publique imposait à l'administration de répartir le marché impérativement entre ces deux entreprises.

N'y a-t-il effectivement que deux entreprises en France qui soient bénéficiaires de cette licence et donc capables de répondre à cet appel d'offres porté par le ministère de l'intérieur ? D'autres entreprises dotées de la même licence, mais d'une envergure plus locale, seraient-elles également capables de répondre à ce type de marché public ? Nous attendons de votre part un état des lieux de cette question. De plus, quels sont les critères retenus par l'Arcep dans le choix des entreprises et pour délivrer son autorisation ? Pensez-vous que les spécificités liées à la distribution de la propagande électorale justifient une autorisation spéciale pour cette activité ? Que pensez-vous de la situation que nous venons de vivre et des conditions dans lesquelles ce marché a été attribué ? Ceux de nos collègues qui le souhaitent vous poseront leurs questions à l'issue de votre exposé.

Mme Laure de la Raudière, présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) . - En propos liminaire, je vous remercie d'avoir convié l'Arcep devant votre commission d'enquête chargée d'analyser les dysfonctionnements majeurs qui ont eu lieu dans la distribution de la propagande électorale. Cela va me permettre de préciser le cadre de l'intervention de l'Arcep dans les autorisations des opérateurs postaux.

L'Arcep est chargée de la régulation du secteur postal depuis 2005. Son action est encadrée au niveau européen par la directive postale de 1997, révisée en 2002 et en 2008, organisant l'ouverture progressive à la concurrence du marché du courrier, et à l'échelon national, par le code des postes et des communications électroniques (CPCE). À ce titre, l'Arcep est chargée de plusieurs missions : elle assure notamment le suivi du service universel postal confié à La Poste, et, dans ce cadre, contrôle le respect par La Poste des objectifs de qualité de service fixés par le ministre chargé des postes et définit l'encadrement tarifaire des prestations. De plus, dans le cadre de l'ouverture progressive du service à la concurrence et de la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, l'Arcep est chargée du processus d'autorisation des opérateurs postaux uniquement pour les envois de correspondance intérieure et transfrontalière. Ce processus découle directement de la directive postale et est strictement encadré par le code des postes et des communications électroniques. Compte tenu de la définition des services postaux en vigueur au niveau national, le champ des autorisations délivrées par l'Arcep est limité par la loi aux envois de correspondance. Par conséquent, outre La Poste et ses filiales, sont autorisés une cinquantaine d'opérateurs, dont certains sont de très petite taille et opèrent à une maille locale, tels ceux qui assurent la collecte des plis des entreprises et s'appuient sur le réseau de La Poste pour une partie de leur distribution.

La part de marché de La Poste dans la distribution de courrier est extrêmement importante, les autres opérateurs se partageant une part infime du marché. Parmi ces concurrents de La Poste, Adrexo est l'opérateur qui a la plus grande taille. L'autorisation a été accordée à cette société par l'Arcep en 2006 pour une durée de dix ans, renouvelée en 2016 pour quinze ans, comme le prévoit le code des postes et des communications électroniques depuis le 1 er janvier 2011. Ce processus d'autorisation vise essentiellement à s'assurer que le demandeur est bien conscient des obligations qui seront les siennes en matière de distribution postale et qu'il pourra faire face de manière durable à ses obligations, lesquelles sont précisément listées aux articles L. 3-2 et R. 1-2-6 du code des postes et des communications électroniques : garantir la sécurité des usagers, des personnels et des installations du prestataire de service ; garantir la confidentialité des envois de correspondance et l'intégrité de leur contenu ; assurer la protection des données à caractère personnel et la protection de la vie privée des usagers ; garantir le secret des correspondances, ainsi que la neutralité du service, notamment au regard de l'identité de l'expéditeur et de la nature des envois postaux ; mettre en place des procédures simples, transparentes et gratuites pour le traitement des réclamations ; fournir les prestations dans des conditions techniques respectant l'objectif de préservation de l'environnement ; respecter les obligations légales en matière de droit du travail, l'ordre public et les obligations liées à la défense nationale.

En cas de manquement supposé à l'une de ces obligations, l'Arcep peut ouvrir une procédure au titre de l'article L. 5-3 du CPCE, et, le cas échéant, mettre en demeure l'opérateur de respecter ses obligations. Lorsque l'opérateur n'obtempère pas, des sanctions peuvent être prononcées. Ce processus d'autorisation confié à l'Arcep concerne donc uniquement ces obligations, et ne vise pas spécifiquement à attester de la capacité à réaliser des prestations précises, notamment s'agissant du délai - livraison en un jour - ou d'un type de courrier particulier - de fait, l'autorisation délivrée par l'Arcep ne l'atteste pas. En conséquence, l'Arcep a bien autorisé en 2006 Adrexo, et a renouvelé l'autorisation en 2016, à être opérateur postal. Mais elle n'a en aucun cas autorisé Adrexo à délivrer de la propagande électorale, les prestations fournies dans le cadre de l'autorisation délivrée relevant d'échanges contractuels entre le client et le prestataire agréé.

Vous me demandez, monsieur le président, s'il y a obligation de sélectionner deux prestataires. Cela n'incombe pas à l'Arcep, puisqu'il s'agit des règles de la commande publique. Je préfère donc ne pas répondre sur ce point. Vous me demandez également si d'autres entreprises ont été autorisées par l'Arcep à distribuer de la propagande électorale. L'Arcep n'atteste pas la capacité technique des opérateurs autorisés à délivrer ou non de la propagande électorale. Je ne peux pas répondre non plus sur ce point. On dénombre une cinquantaine d'opérateurs postaux autorisés en France, mais nous n'avons attesté personne, puisque nous n'examinons pas ce sujet.

M. François-Noël Buffet , président . - Les précisions que vous apportez nous intéressent.

Mme Laure de la Raudière . - Nous ne faisons qu'appliquer la loi, qui donne à l'Arcep le rôle d'autoriser des opérateurs postaux. Nous vérifions le respect d'opérations qui sont listées précisément dans le CPCE. Je suis à votre disposition pour répondre aux autres questions.

Mme Cécile Cukierman . - Merci de vos explications et précisions qui contribueront, lors de la catastrophe démocratique à laquelle nous avons assisté à travers ces élections départementales et régionales, à nous permettre d'identifier des dysfonctionnements, et, le cas échéant, un certain nombre de responsabilités des différents acteurs. Dans la mesure où il s'agit d'une chaîne entière, des difficultés sont aussi constatées en amont de la distribution - d'autres auditions devraient nous éclairer sur ce dossier.

Je souhaiterais réagir sur vos derniers propos. À vos yeux, est-il nécessaire que nous, législateur, modifiions cette situation en prévoyant la délivrance a priori de la capacité, pour des entreprises, à distribuer les plis électoraux ? Au moment des appels d'offres, et indépendamment de la nationalisation de ce service concurrentiel, cette forme de « certification conforme » sécuriserait ce marché, pour éviter des situations comme celle qui a été relatée hier lors des auditions. On peut effectivement douter que les dirigeants aient réellement conscience de ce que représentait une telle opération de distribution de plis à très grand échelle dans sept régions !

M. Alain Richard . - L'Arcep est un régulateur de marché appliquant une législation qui est elle-même très encadrée par les directives européennes. Le cadre communautaire vous semble-t-il autoriser, dans le cadre légal des missions postales, une subdivision parmi les activités postales permettant d'établir une catégorie de prestation postale spécifique, à savoir l'envoi à la totalité de la population dans un délai bref de documents nécessaires à l'exercice démocratique ? L'agrément et la possibilité d'être en concurrence pour un seul sous-marché spécifique peuvent-ils être organisés selon les mêmes critères légaux du marché postal général ?

M. François-Noël Buffet , président . - D'un point de vue organisationnel, et compte tenu de votre connaissance du marché de la distribution adressée, pensez-vous que des prestataires d'envergure locale auraient dû procéder à ce type de prestations ?

Mme Laure de la Raudière . - Plusieurs questions se rejoignent.

Madame Cécile Cukierman, est-il utile de prévoir des attestations pour les entreprises qui auraient la capacité à délivrer les plis électoraux ? Au-delà du périmètre législatif actuel qui ne le permet pas, cela entraînerait une modification de la loi. De plus, dans le cadre d'un marché public, la définition du cahier des charges avec les moyens qui doivent être mis en oeuvre par les entreprises pour remplir les prestations demandées par le donneur d'ordre doit permettre d'attester de cette capacité. On pourrait envisager une évolution de la loi en prévoyant des attestations pour autoriser des opérateurs postaux à délivrer les plis électoraux. Encore faut-il un mécanisme de suivi, année après année, pour que les moyens et les formations mis en oeuvre correspondent bien à la prestation attendue. Or, aujourd'hui, le cadre législatif d'attestation des opérateurs postaux n'est pas du tout bâti comme tel !

Monsieur Alain Richard, le cadre communautaire n'interdirait pas, selon moi, au Gouvernement de définir un cadre de mission de service public avec le législateur, afin d'y faire entrer la distribution de plis électoraux.

Monsieur le président, vous me demandez si nous aurions connaissance d'opérateurs d'envergure locale qui seraient capables de réaliser ce type de prestations. Je ne sais pas répondre à cette question, car nous contrôlons la qualité de service du seul service universel exercé par La Poste et non des opérateurs postaux. Nous n'assurons pas le suivi en tant que tel de la qualité de service des prestations réalisées par les opérateurs postaux autorisés. Cela relève en effet des relations entre le client et l'opérateur sélectionné dans le cadre d'un marché par exemple.

M. François-Noël Buffet , président . - Vous avez dit que l'Arcep ne vérifiait pas ou n'avait pas le pouvoir de vérifier si les opérateurs qui soumissionnaient un marché public avaient conscience de leurs obligations. Cette appréciation incomberait donc à celui qui lance le marché public et rédige le cahier des charges. C'est à ce moment qu'interviendrait ce contrôle. Pouvez-vous confirmer mes dires ?

Mme Laure de la Raudière . - Il faut distinguer deux éléments. S'agissant des capacités techniques à réaliser la prestation, c'est au client de s'assurer que l'entreprise à qui il va confier cette prestation a bien les capacités techniques de la réaliser dans le cadre d'un dialogue contractuel. Quant aux obligations légales que j'ai énumérées au début de mon intervention - par exemple le secret des correspondances, la protection des données personnelles, l'intégrité du contenu -, nous pouvons les contrôler, puisque c'est en vertu de ces règles que les autorisations sont délivrées. Nous avons évidemment écrit à Adrexo pour lui demander des précisions concernant le non-respect, non de leurs capacités techniques, mais de certaines de leurs obligations légales. Vu les remontées dans la presse de ce qui s'est produit sur le terrain - je pense aux poubelles accessibles à tous -, l'intégrité du contenu et le respect du secret des correspondances n'ont pas dû être respectés.

M. François-Noël Buffet , président . - Comment exercez-vous en pratique le contrôle des critères que vous imposez ? En l'occurrence, si l'on a su que des documents avaient été laissés dans la nature, et brûlés pour certains, c'est grâce à des photos ou des témoignages. C'est un élément de contrôle, mais ce cas demeure exceptionnel. Il y a peut-être d'autres façons d'aborder ces critères. Par ailleurs, votre autorisation est donnée pour quinze ans. Pouvez-vous la retirer durant cette période, et pour quels motifs ?

Mme Cécile Cukierman . - Je m'interroge sur votre appréciation de ces critères. Estimez-vous réellement qu'il s'agit du secret pour la distribution de plis électoraux qui n'ont rien de confidentiel et sont publiquement accessibles ? Et lors de l'évaluation du respect des différents critères définis dans le CPCE, une défaillance est-elle possible ?

Mme Laure de la Raudière . - Le secret des correspondances n'est peut-être pas l'obligation légale qui a été la plus atteinte en l'espèce, puisque les courriers sont identiques. Cela étant, lorsqu'un pli se retrouve dans une poubelle, cela soulève le problème du secret des correspondances, mais aussi de l'intégrité du contenu. Seules une instruction et une enquête de l'Arcep pourront qualifier les manquements de l'entreprise Adrexo.

Dans le cadre de notre mission, nous avons demandé des explications aux dirigeants du groupe Hopps et de la société Adrexo, et pourrons auditionner cette dernière. Par ailleurs, l'article L. 5-3 du CPCE encadre précisément le mécanisme de sanctions en cas de manquement d'un opérateur autorisé à l'une de ses obligations légales. Le collège de règlement des différends, de poursuite et d'instruction de l'Arcep (RDPI) instruit la procédure, qui débute par une instruction du dossier, se poursuit par une mise en demeure de l'entreprise à respecter ses obligations dans un délai d'un mois, puis par la notification des griefs si l'entreprise n'apporte pas les modifications attendues ; enfin, la formation restreinte peut prononcer une sanction en fonction de la gravité des fautes : l'avertissement, la réduction d'une année de la durée de l'autorisation, la suspension de l'autorisation pour un mois ou plus, ou le retrait de l'autorisation. Mais si l'entreprise respecte ses obligations après la mise en demeure, les sanctions deviennent impossibles.

Mme Nathalie Goulet . - Sur l'intégrité des contenus, nous sommes nombreux à pouvoir citer l'exemple d'enveloppes comprenant la propagande d'un seul candidat. Ces situations sont aisées à appréhender. Il en va différemment du contrôle des sous-traitants. Avez-vous la liste de ceux d'Adrexo ? Comment est organisée l'activité de distribution de plis avec eux ?

M. Stéphane Le Rudulier . - Je m'inscris dans le prolongement des propos de Nathalie Goulet. Hier, nous avons auditionné les représentants de la société Adrexo, qui nous ont indiqué que 60 % de la distribution était assurée par 8 sociétés sous-traitantes. Pensez-vous que la société était capable de répondre à ce marché de 16 lots, dont 7 ont été attribués à Adrexo, au vu des dysfonctionnements et de l'appel à la sous-traitance ? Les dirigeants de la société Adrexo nous ont bien informés que, dès janvier 2020, son modèle économique lui imposait le choix de la sous-traitance, faute de moyens internes pour assurer la prestation.

M. François-Noël Buffet , président . - Lorsqu'une entreprise reçoit l'autorisation de l'Arcep, mais qu'elle sous-traite, a-t-elle l'obligation de recourir à des sous-traitants eux-mêmes autorisés à la distribution ?

Mme Laure de la Raudière . - L'entreprise doit respecter des obligations légales. Nous avons rédigé un guide relatif à la demande d'autorisation pour délivrer un service postal ; l'entreprise doit expliquer les procédures qui sont mises en place pour s'y conformer. Je laisse à votre commission un certain nombre d'exemplaires du guide, ainsi que le formulaire de demande d'autorisation pour délivrer un service postal, qui ne comportent aucune information concernant les sous-traitants ou l'organisation en sous-traitance tant que l'entreprise assure qu'elle respectera ses obligations légales et qu'elle met en place les procédures correspondantes.

Avons-nous vérifié la capacité de l'entreprise Adrexo eu égard à son modèle économique et aux interrogations concernant la réalisation de la prestation de distribution des plis électoraux ? Non, car cela n'entre pas dans nos attributions légales. Nous intervenons non pas sur les prestations, mais sur l'autorisation d'un opérateur postal à distribuer du courrier en France selon tel ou tel délai.

M. Stéphane Le Rudulier . - Vous avez dit que La Poste prend la plus grande part du marché de distribution des plis postaux, et la cinquantaine d'autres prestataires, une part infime. N'avez-vous pas été surprise que ce soit l'un de ces prestataires qui se voie attribuer le marché ?

Mme Laure de la Raudière . - Sur ce sujet, je n'ai pas d'avis personnel à avoir.

M. François-Noël Buffet , président . - Il ressort en tous cas de vos propos que l'argument du ministre de l'intérieur, qui indique qu'il ne pouvait pas faire autrement parce qu'on ne permettait pas à son administration de contrôler les capacités techniques des soumissionnaires, ne tient pas. Le fait d'avoir une autorisation de l'Arcep sur la base des critères qui sont les vôtres ne dispense pas l'acheteur public, qui lance le marché public, d'assurer lui-même le contrôle sur la capacité des soumissionnaires qu'il choisira pour remplir la mission qui est la sienne.

Le ministre indique qu'il faudrait soustraire la distribution de la propagande électorale aux règles de mise en concurrence prévues par le droit européen et national de la commande publique. Cela paraît compliqué. Avez-vous une opinion sur ce point ?

Mme Laure de la Raudière . - C'est au législateur de regarder si cela peut relever d'une mission de service public...

M. François-Noël Buffet , président . - Mais il y aura un problème de directive européenne.

M. Alain Richard . - Il faudra faire une exception dans la directive...

M. François-Noël Buffet , président . - C'est un point que nous allons approfondir. L'hypothèse a été évoquée par le ministre de l'intérieur. Sur le fond, pourquoi pas, si cela est possible juridiquement ?

Nous avons bien compris la part de responsabilité qui est la vôtre dans le processus d'autorisation, ainsi que les possibilités et les limites de ce processus. Nous avons été parfaitement informés, merci. Je garde le document que vous nous avez donné cet après-midi : il n'est pas impossible que, dans la période qui arrive, nous ayons à vous poser de nouveau des questions par écrit.

Mme Laure de la Raudière . - L'Arcep reste à votre entière disposition.

Audition de M. Jean-Denis Combrexelle, président du comité de suivi pour les élections départementales et régionales de juin 2021

(Mardi 6 juillet 2021)

M. François-Noël Buffet , président . - Nous entendons à présent Jean-Denis Combrexelle, président du comité de suivi pour les élections départementales et régionales de juin 2021. Notre commission des lois a constitué une mission composée de membres de chaque groupe politique et disposant des pouvoirs d'une commission d'enquête, à la suite des événements que nous avons connus à l'occasion des élections départementales et régionales, et notamment les difficultés de distribution de la propagande électorale. Nous avons ouvert nos auditions à l'ensemble des membres de la commission des lois. Celle-ci est ouverte à la presse et sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Un faux témoignage devant notre mission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Denis Combrexelle prête serment.

M. François-Noël Buffet , président . - Nous sommes réunis pour essayer de comprendre ce qui a pu se passer dans le processus de distribution de la propagande électorale à l'occasion des dernières élections. Comment avez-vous eu connaissance de ce qui se passait sur le terrain ? Avez-vous pu y apporter une réponse ? Nous avons déjà auditionné des représentants de la société Adrexo hier et, il y a quelques instants, la présidente de l'Arcep, qui nous a décrit les conditions dans lesquelles les licences sont données et, plus généralement, les compétences de cette autorité administrative indépendante. Nous aimerions connaître, monsieur le président, votre point de vue sur ce qui s'est passé.

M. Jean-Denis Combrexelle, président du comité de suivi pour les élections départementales et régionales de juin 2021 . - Merci de m'avoir invité : il est important que nous échangions sur le déroulement et l'organisation de ces élections. Je suis le président du comité de suivi, au sein duquel siégeaient certains sénateurs ici présents - je vois notamment Alain Richard, Cécile Cukierman et Éric Kerrouche.

Ce comité, présidé par une personnalité indépendante, a pour fonction de faire l'interface entre les associations d'élus - association des maires de France (AMF), des départements (ADF), des régions (Régions de France) - les partis politiques et les ministères en charge de l'organisation de ces élections, et plus particulièrement le ministère de l'intérieur, plus précisément la direction de la modernisation et de l'administration territoriale (DMAT) et le bureau des élections. L'objectif était d'assurer la bonne circulation de l'information et, éventuellement, de faire des propositions.

Le principe m'avait paru intéressant. C'est un dispositif assez habituel dans les ministères sociaux. Je préside, par exemple, le Haut Conseil du dialogue social et la réforme de la représentativité est faite par une sorte de comité réunissant le ministère du travail et les syndicats. C'est un peu moins habituel pour un ministère très régalien dans ses traditions et ses pratiques comme le ministère de l'intérieur. La création du comité a donc ouvert une sorte de période de surprise dans l'administration, mais les responsables de la direction et du bureau ont remarquablement joué le jeu, et ils ont été très actifs dans la préparation des séances de ce comité et dans la mise en oeuvre des mesures.

Le comité a été installé par les deux ministres le 23 avril dernier. Au début, certains partis politiques ont envoyé leurs chefs, avant que - comme il est normal - leur représentation s'établisse à un niveau plus technique. Les réunions étaient hebdomadaires, en principe le jeudi matin à 10 heures, sur la base d'un ordre du jour. Dix réunions se sont tenues, en visioconférence, en présence du cabinet du ministre de l'intérieur et des directions concernées, ainsi que du préfet en charge de l'interface avec le corps préfectoral. J'étais accompagné d'un collègue du Conseil d'État, Marc Pichon de Vendeuil, un grand spécialiste des élections.

Les ordres du jour comportaient trois parties principales. Il y avait d'abord les sujets évoqués à la demande des membres du comité de suivi. Beaucoup concernaient l'organisation des meetings politiques en période de crise ou des bureaux de vote. Il y avait ensuite des points d'information du ministère de l'intérieur sur les procurations, le régime des incompatibilités, la campagne de communication, etc. Enfin, nous avons profité de la participation des autorités administratives indépendantes directement concernées par les élections. Je pense notamment à la commission des comptes de campagne, dont nous avons entendu le président, à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, au Médiateur du crédit... Indépendamment de ces réunions, le comité fonctionnait en permanence, grâce à une adresse de messagerie dédiée.

Dans l'esprit du Premier ministre et du ministre de l'intérieur, l'institution de ce comité était, pour l'essentiel, justifiée par la situation très particulière créée par l'organisation de deux élections simultanées dans un contexte de crise sanitaire, qui imposait une bonne circulation de l'information entre les ministères concernés, les partis politiques et les élus. Il était hors de question que le comité devienne une structure parallèle de commandement et de décision, comme c'est parfois le cas. Chacun avait à jouer son rôle, et nous avons fait régner un esprit de confiance réciproque entre le cabinet du ministre, l'administration et moi-même.

Au départ, il y a eu beaucoup d'inquiétudes sur les questions liées à la Covid-19 : déplacements des militants en période de confinement, organisation des tests, vaccination des membres des bureaux de vote, mesures barrières concernant les électeurs... Ces questions, qui se sont estompées aujourd'hui, nous ont beaucoup occupés au début. L'organisation logistique elle-même était loin d'être évidente. Sur le plan sanitaire, nous avions assimilé les meetings politiques aux manifestations sur la voie publique pour les soumettre à la même réglementation. Mais certains ont fait valoir que la réalité de la campagne électorale passait souvent par des réunions informelles qui ne dépassaient pas 50 participants. Le comité a joué son rôle : j'ai informé le Premier ministre et la réglementation a changé, en apportant une souplesse supplémentaire pour les petites réunions informelles de moins de 50 personnes, par un décret du 21 mai 2021. Hormis un malentendu en Seine-Saint-Denis entre le préfet et Clémentine Autain, qui a abouti à un référé devant le Conseil d'État, tout à bien fonctionné de ce point de vue.

Le manque d'assesseurs a été beaucoup évoqué, y compris lors de notre dernière réunion avant le premier tour. Une instruction des services du ministère de l'intérieur a visé les cas où la situation serait catastrophique. Elle a été envoyée et, globalement, malgré des problèmes dans certaines régions, comme à Marseille, il y a eu moins de difficultés qu'on ne le craignait peut-être au départ.

Nos réunions hebdomadaires se sont déroulées dans un climat très positif et très responsable. Nous avons identifié des difficultés dans les questions de logistique et de recours aux prestataires privés. J'ai entendu ou lu les mots de sabotage ou de faillite du service public de l'élection. Comme directeur général du travail, je me suis beaucoup occupé de l'organisation d'élections. Il importe que quelqu'un dise aux parlementaires que vous êtes que les élections, intrinsèquement difficiles à organiser, le sont de plus en plus, alors même qu'au niveau central comme déconcentré, dans les communes, parmi les fonctionnaires territoriaux, compte tenu de la difficulté de la tâche, ce sont souvent les meilleurs des fonctionnaires qui en sont chargés. Ils n'ont qu'une obsession, c'est que les élections dont ils ont la charge se déroulent au mieux - sans compter leurs jours, leurs heures, leurs nuits. Ils sont dans des situations de stress, et parfois même injuriés par les candidats. Et ils sont les premiers à souffrir de la façon dont cela s'est passé, notamment avec les prestataires privés. Parler de sabotage, donc, est loin de correspondre à la réalité.

S'agissant des prestataires privés, il y a quatre phases, dont chacune a posé des difficultés : l'affichage, l'impression, la mise sous pli, c'est-à-dire le routage, et la distribution. Nous vivons encore dans un modèle qui repose sur la prédominance du papier sur le numérique, et qui se caractérise par la forte implication de l'État, couplée à un recours aux prestataires privés. En 2021, nous sommes au milieu du gué : ce modèle qui s'appuie sur le papier a vocation, sans doute, à disparaître progressivement au profit du numérique. Le ministère de l'intérieur, pour ces élections, avait généralisé un mécanisme de mise en place des professions de foi sur un site numérique. Plus de 330 000 professions de foi ont été inscrites sur ce site, qui a reçu 186 000 visites. C'est un succès, mais ce n'est pas suffisant, et l'on ne peut, pour l'instant, envisager de passer résolument à un système entièrement numérique.

Or le recours au papier place l'organisation en situation de dépendance et de fragilité par rapport aux prestataires privés. L'impression des professions de foi a suscité une première difficulté. Il y avait deux élections, pour une capacité limitée. Il a donc fallu prévoir un séquençage entre les professions de foi pour les élections départementales et les élections régionales. Cela a placé les candidats aux élections départementales dans des situations très inconfortables, avec des délais très courts. L'ADF a même déposé des référés et envisagé des poursuites pénales. Pourtant, ce séquençage n'était pas destiné à imposer des contraintes inutiles ! Il répondait au diagnostic selon lequel les forces et les capacités des prestataires privés étaient limitées.

La question du grammage du papier, ensuite, a suscité une opposition entre les imprimeurs, qui voulaient de la souplesse entre 60 et 80 grammes, en raison de problèmes d'alimentation en papier, et les routeurs, dont les machines de mise sous pli risquaient le bourrage en cas de variations de grammage trop importantes, et qui demandaient donc un grammage unique de 70 grammes. Finalement, à la suite des échanges qui ont eu lieu au sein du comité de suivi, un décret a été pris juste avant le premier tour, le 21 mai 2021, qui prévoyait cette souplesse. Du coup, il y a eu des difficultés au niveau du routage entre le premier et le second tour.

Il y a eu aussi des problèmes liés à l'affichage. À mon époque, les partis politiques envoyaient des afficheurs. C'est totalement révolu, et une société, France Affichage Plus est quasiment en situation monopolistique. Les pouvoirs publics, alertés par les candidats, disent que les prestations de cette société, qui consistent à poser les affiches sur les panneaux, ne sont pas satisfaisantes, et qu'il y a de la surfacturation. Le président de cette société, lui, explique que le niveau des tarifs réglementés ne correspond pas aux prestations qui lui sont demandées... Je ne sais pas exactement où est la vérité. La seule chose que je sens, c'est qu'il faut assainir les relations et constituer un dossier économique qui montre si, oui ou non, le niveau des tarifs réglementés est adéquat.

J'en viens à la question de la distribution par Adrexo et La Poste. Le sujet a été évoqué devant le comité, puisque l'administration faisait un point systématique sur les informations dont elle disposait, tant pour ce qui concerne les professions de foi sous forme numérique que sous forme papier. Il y a eu des alertes, mais le niveau d'alerte sur ce point-là a été très mesuré, par comparaison avec d'autres questions. Nous n'avions pas le sentiment d'une sorte de défaut systémique dans la distribution du courrier, mais plutôt qu'il y avait des difficultés dans telle ou telle région, qui pouvaient concerner d'ailleurs aussi bien Adrexo que La Poste. Nous avions pour méthode de demander aux services préfectoraux de régler les difficultés qui nous remontaient.

Sur le recours à Adrexo, le ministère de l'intérieur sera mieux placé pour vous informer, car le comité de suivi n'était pas en place lorsque la décision a été prise. C'était une première, en application du code de la commande publique. Je sais que les agents de la DMAT ont consacré beaucoup de soin à la conclusion des marchés, aussi bien avec La Poste qu'avec Adrexo. Leur sentiment était que les offres d'Adrexo présentaient des particularités intéressantes par rapport à celles de La Poste, notamment en matière de reporting et de remontée d'informations. En tous cas, ils ont été soucieux de bien appliquer le code des marchés publics tout en se montrant innovants.

Nous savions, de toute façon, que la période entre les deux tours était celle de tous les dangers. Ces huit jours étaient très redoutés, puisqu'il s'agit d'un délai très court au sein duquel convergent de multiples obligations, pour les candidats, pour les administrations et pour les prestataires. Or les candidats ont pris un peu de retard, les imprimeurs ont pris du retard, avec parfois du papier mal séché, ce qui a provoqué l'effondrement du routeur principal, et un retard irrattrapable par les distributeurs.

À mon sens, la question de la distribution des professions de foi dépasse Adrexo. Fils de facteur, je sais que la distribution du courrier, c'est un métier,  qui devient de plus en plus difficile : en zone urbaine, dans les copropriétés, arriver à la boîte aux lettres est parfois loin d'être évident ; et dans les zones périurbaines, il y a des problèmes d'adresses... Or les prestataires ont recours à des personnes qu'on qualifie, au ministère du travail, de « très éloignées du marché du travail », souvent peu rémunérées, et peu formées. Une chose est de distribuer des documents publicitaires, sans trop d'obligations autres que quantitatives ; autre chose est de distribuer des professions de foi, avec une obligation quantitative et qualitative. Le problème est donc plus sensible, sans doute, et plus large que le choix du contractant. Comment, en 2021, faire assurer dans des conditions satisfaisantes, avec des contraintes de délais énormes, la distribution de millions de professions de foi ? Je ne prétends pas avoir la réponse, mais je note que La Poste aussi a eu des difficultés, justement parce qu'elle a eu recours, elle aussi, à des intérimaires.

Que faire pour l'avenir ? Je n'ai pas de solution miracle. Nous réunirons de nouveau le comité de suivi pour que ses membres puissent faire des propositions. Je pense que nous avons été dans une situation de contrainte telle, avec ces deux élections et la covid-19, que cela a mis en évidence combien notre modèle avait atteint ses limites. On ne peut pas continuer à fonctionner comme cela.

Parmi les solutions structurelles, figure en bonne place la fin du papier, totale ou partielle. Par ailleurs, dans d'autres pays, on délègue complètement aux partis politiques la distribution de la propagande, dont on leur rembourse ensuite le coût.

Une mesure moins structurelle et plus correctrice serait le rapatriement de toutes les mesures matérielles concernant la propagande papier aux services de l'État, et notamment aux préfectures. Nous pourrions aussi revoir les marchés passés.

Le juge de l'élection s'exprime souvent en disant que, pour regrettable que soit telle ou telle circonstance, elle est restée sans incidence sur le scrutin. J'aurais tendance à reprendre ces termes : pour regrettables que soient les dysfonctionnements observés dans le recours aux prestataires privés dans l'organisation de ces élections départementales et régionales, je ne pense pas qu'ils aient eu une incidence notable sur le scrutin, ni sur le taux de participation, qui reflète des évolutions profondes.

M. François-Noël Buffet , président . - Sauf si ces difficultés de distribution ont atteint un niveau considérable dans certains secteurs ! Nous avons ouvert, sur la plateforme du Sénat, une consultation des maires, et nous avons déjà reçu un peu plus de 2 700 contributions décrivant les difficultés rencontrées. Si l'absence de distribution a eu une incidence sur la participation, n'y aurait-il pas une question à se poser, peut-être pas pour le résultat final de l'élection, mais pour les candidats qui auraient obtenu 4,88 % de voix au premier tour, ou 9,87 % au deuxième tour ? Ces seuils conditionnent le remboursement des dépenses électorales par l'État ou la possibilité d'être au deuxième tour...

M. Jean-Denis Combrexelle . - Je suis un ancien président de la section du contentieux du Conseil d'État, ce qui m'oblige à une très grande prudence dans ma réponse ! Vous connaissez les principes généraux de la jurisprudence électorale. Le juge électoral, d'abord, se caractérise par son extrême pragmatisme. Pour chaque élection, il regarde en fonction des circonstances de l'espèce. En l'occurrence, il y aurait l'importance de l'écart de voix. Souvent, toutefois, le juge considère qu'un manquement ou un dysfonctionnement n'est pas, à lui seul, de nature à remettre en cause la liberté et la sincérité du scrutin, ni ses résultats. Je n'imagine donc pas une grande décision de jurisprudence disant que toutes les élections sont remises en cause, sauf à juger au cas par cas, bureau de vote par bureau de vote.

Mme Cécile Cukierman . - Nul ne songe à imputer à la mauvaise distribution de la propagande électorale les forts taux d'abstention que nous avons observés. Pour autant, à de nombreux candidats qui ne figurent pas au deuxième tour, il n'a parfois manqué, dans les élections cantonales, que trois ou quatre voix ! Même dans une République laïque, l'élection a une dimension sacrée. Le rôle du comité de suivi que vous présidez était d'assurer que les différents temps du processus soient bien respectés, au vu des enjeux démocratiques, dans une situation sanitaire exceptionnelle. Or la distribution de la propagande officielle n'est pas anecdotique pour nos concitoyennes et nos concitoyens. Je ne sais pas si elle conditionne la décision de quitter son domicile pour aller dans le bureau de vote, mais elle crée les conditions collectives du temps électoral. En tous cas, nombre de nos concitoyennes et de nos concitoyens nous ont alertés dans les derniers jours, et même dans les dernières heures, sur le fait qu'ils n'avaient pas reçu le matériel électoral. Peut-être n'auraient-ils pas lu les documents, mais ils savaient qu'ils ne les avaient pas reçus.

Le comité de suivi a pris les problèmes dans un ordre chronologique, sans jamais dresser de rétroplanning. Or c'est la dernière séquence qui a été la plus difficile. Nous avons beaucoup débattu sur la question du grammage du papier, ou sur la problématique des assesseurs, parce que nous avons suivi le déroulé chronologique, et que nous avons été nombreux à faire remonter les problématiques d'affichage. D'ailleurs, cela a été efficace - prouvant d'ailleurs qu'un marché conclu avec un seul prestataire peut être satisfaisant - puisque rapidement, l'ensemble des candidats disposaient des résultats d'un pointage quotidien, circonscription par circonscription, des panneaux qui avaient fait l'objet d'affichages. Et ce n'est que dans la dernière semaine avant le scrutin que la problématique de la distribution est arrivée. Le jeudi après-midi, nous pensions toujours que les difficultés étaient circonscrites à quelques territoires et que, avant le samedi midi, tout allait rentrer dans l'ordre.

Cela pose la question du contrôle de ce qui est fait ou non. Dans toute entreprise, un contrôle qualité ou sécurité existe. En matière de propagande électorale, la question n'était pas de savoir combien de plis avaient été distribués, mais combien de personnes les avaient reçus. Certainement, une semaine de plus nous aurait permis de traiter la difficulté.

Je ne pense pas que la fin du papier soit une solution. D'ailleurs, le site du ministère de l'intérieur a peiné à afficher les sites des candidats, et son taux de consultation est resté faible. En tous cas, ce type de comité doit être pérennisé pour les prochaines élections. En démocratie, l'élection a un caractère sacré.

M. Éric Kerrouche . - Oui, nous avons eu de longues heures de discussion sur de nombreuses questions. Il est sans doute difficile d'organiser deux scrutins en même temps, mais nous ne sommes pas les seuls au monde à le faire ! Nous pourrions donc modifier notre façon de voter, ou la forme du vote. La communication autour de ces élections était tellement faible que, pour certains, la propagande électorale était la seule façon de savoir même qu'il y avait des élections ! De ce fait, ne pas recevoir de documents pouvait constituer une perte de capacité à y participer. Les chiffres que vous donnez sur la fréquentation de la plateforme en ligne sont dérisoires, comparés au nombre d'électeurs. Le bilan coût-avantages est donc très contestable, d'autant plus que ce service a dysfonctionné : je tiens à votre disposition des captures d'écran dans mon département des Landes où, au deuxième tour, s'affichait la profession de foi du premier tour... J'ajoute que l'illectronisme existe, ce qui doit nous empêcher d'abandonner le papier.

Que pensez-vous de l'idée de passer de huit à quinze jours pour l'entre-deux tours, sans changer les règles en ce qui concerne les fusions des listes ? Avez-vous anticipé un tel niveau de dysfonctionnement ? Vous l'avez dit : distribuer, c'est un métier. Hier, les responsables d'Adrexo nous ont royalement expliqué que leurs employés avaient visionné un petit film et reçu une heure de formation avant d'aller sur le terrain : cela m'a laissé songeur ! Ils nous ont dit que leur système de reporting avait affiché 10 000 signalements de dysfonctionnements. Quid du reporting au comité de suivi ? Qu'avez-vous su de ce qui se passait effectivement sur le terrain ? Faut-il un service public de la distribution électorale, confié à La Poste ?

Mme Nathalie Goulet . - Je voulais aussi souligner la perte de chance, et j'ai d'ailleurs posé la question au ministre de l'intérieur. Avez-vous une carte des incidents ? Il serait intéressant de faire un rapprochement avec le score de certains candidats...

M. Stéphane Le Rudulier . - Vous soulignez que le modèle économique du prestataire est en question, du fait du recours massif à l'intérim. Or, la lecture du marché que le prestataire a passé avec le ministère de l'intérieur nous apprend que le critère des moyens humains entre pour à peine 3,2 % dans le choix du prestataire : comment l'expliquez-vous ?

M. Alain Richard . - L'appréciation que nous portons sur les dernières élections est fortement empreinte du constat que l'abstention y a été hors normes. Le comité de suivi a joué son rôle. Il me semble que le risque d'un échec dans l'acheminement des documents n'a pas été perçu, principalement parce qu'il n'était pas apparu dans les élections précédentes. Je crois également que ce défaut d'anticipation a été accru par le cumul des deux élections, qui a en réalité accru les risques. Nous avons notre part : je me souviens qu'après les élections européennes, où nous nous étions inquiétés de savoir si le nombre de panneaux électoraux suffirait au grand nombre de listes concurrentes, les professionnels du routage nous avaient alertés de ce que le cumul des deux élections de cette année et le report d'une semaine pour l'établissement des listes, risqueraient de leur poser des problèmes de logistique - peut-être n'avons-nous pas suffisamment relayé ce message auprès du ministère de l'intérieur.

Mme Cécile Cukierman. - J'entends ces arguments pour le deuxième tour, mais pour le premier, nous avons allongé le délai en demandant un dépôt plus précoce des professions de foi...

M. Jean-Denis Combrexelle. - C'est la première fois, effectivement, qu'il y a un dialogue préalable à l'organisation du scrutin, je crois que cela s'est avéré utile, même s'il y a des marges de progrès. L'élection est une organisation si complexe qu'aucun acteur n'est en position, seul, de détenir toutes les informations nécessaires, et mon expérience m'a montré que le dialogue est toujours un levier de progrès.

Le comité de suivi aurait dû anticiper davantage, mais l'information dont nous avons disposé relatait des incidents qui nous ont paru relever de ce qui est habituel dans la distribution des professions de foi, et ce n'est qu'à partir de jeudi après-midi, donc après la réunion du comité dans la matinée, que nous avons compris le caractère inhabituel des défauts d'acheminement. Nous avons alors pensé que les problèmes seraient encore plus importants pour le second tour, le délai entre les deux tours étant court. Je ne sais pas qui, du reste, a décidé que ce délai serait de huit jours, j'ai cru comprendre que la question a été sensible sur le plan politique - mais je peux vous assurer que la décision n'est pas venue de l'administration, qui se serait très bien accommodée d'un délai de 15 jours.

Je ne demande pas la fin du support papier, c'est encore d'usage plus que courant. Il y a sans doute des améliorations à faire pour numériser les professions de foi. En réalité, nous pensions que la numérisation donnerait moins de résultats pour ces élections ; nous avançons mais il reste beaucoup à faire. La numérisation donne aussi la possibilité de trouver de nouveaux formats, c'est intéressant.

Sur le reporting, j'entends vos propos, mais le paradoxe est que le prestataire choisi est reconnu pour sa compétence en la matière. Le facteur humain est essentiel, la distribution est un métier, il faut insister sur les questions de qualité. J'ai compris qu'entre les deux tours, le match France-Allemagne a pu démobiliser, alors que nous étions au moment où l'effort devait être le plus intense ; nous avons besoin de personnes impliquées, qui comprennent les enjeux de la distribution.

Sur la perte de chances liée aux défauts de la distribution, le ministère examine de près ce qui s'est passé. Une chose cependant est de circonscrire un problème, de le quantifier, une autre est d'établir son lien avec le résultat, en particulier du point de vue contentieux. Le ministère tente de comprendre ce qui s'est passé, pour l'avenir.

M. François-Noël Buffet , président . - À quel moment votre comité a-t-il été informé des difficultés ?

M. Jean-Denis Combrexelle . - Nous avons été tenus informés en continu des difficultés, mais nous avons pris conscience de leur ampleur inhabituelle le jeudi après-midi, quand les préfectures ont fait remonter qu'il y avait des problèmes plus importants.

Mme Nathalie Goulet . - Au Sénat, nous avions pourtant posé une question d'actualité sur ce sujet dès le mercredi après-midi, c'est donc qu'il y avait déjà de quoi s'alerter.

Mme Cécile Cukierman. - France urbaine nous parlait aussi des difficultés avec les assesseurs...

M. Jean-Denis Combrexelle. - C'est exact, et la dernière réunion du comité avant le premier tour a conclu par une inquiétude sur la question des assesseurs, un sujet en soi, sur lequel nous étions alors tenus plus en alerte que sur les problèmes de distribution.

M. Stéphane Le Rudulier . - Le ministère de l'intérieur a en partie expliqué les difficultés par la concomitance des deux scrutins, mais nos auditions nous montrent que certains dysfonctionnements n'ont rien à voir avec ce cumul : le confirmez-vous ?

M. Jean-Denis Combrexelle. - Nous sommes à la fin d'un modèle, il faut réfléchir à ce qui va suivre - des élections importantes arrivent, je crois que c'est l'occasion. La concomitance a accentué les problèmes, révélant la situation de faiblesse dans laquelle nous sommes. Les préfectures n'ont pas non plus pléthore d'effectifs, cela compte dans l'organisation pratique.

Mme Cécile Cukierman. - La question du suivi des élections est reposée. Nous avons vu la capacité de mobilisation pour corriger les manques entre les deux tours. Dans la Loire par exemple, nous avons vu des agents mobilisés bien plus qu'habituellement, jusqu'au samedi soir, pour contrôler la situation. Nous nous sommes trop focalisés sur la concomitance des deux scrutins, ce qui peut nous empêcher de voir le principal : il faut anticiper les difficultés. Il faut aussi retenir l'importance du facteur humain, qui nous a permis, avec un contrôle effectif, de corriger les défauts et les manques.

Il faut considérer aussi que l'entre-deux tours a ses règles. Si une liste ne se met pas d'accord, le bulletin de vote n'est pas dans les documents expédiés, c'est la règle du jeu. La difficulté n'a pas tenu au nombre de listes, mais à ce qui a pu être envoyé, et la défaillance est venue de ceux à qui l'on a confié la distribution.

M. Jean-Denis Combrexelle. - Imaginons qu'on ait pu connaître les dysfonctionnements plus tôt, il n'en resterait pas moins que les élections forment un tout, qu'elles sont comme un tanker difficile à manoeuvrer : 96 millions de plis à distribuer en urgence, ce n'est pas habituel. Les services centraux et les préfectures se sont beaucoup mobilisés, je vous remercie de le souligner, mais je crois que les défauts sont très difficiles à corriger juste avant l'élection, ce qui nous fait dire qu'il faut anticiper bien en amont, en particulier sur les missions confiées aux prestataires. Nous avons un problème quantitatif à gérer.

M. François-Noël Buffet , président . - Vous évoquez des problèmes de mise sous pli, de grammage, est-ce le seul problème ?

M. Jean-Denis Combrexelle. - Non c'en est l'un des aspects seulement. Les entreprises ont recours à des intérimaires en extra lors des pics d'activité, et ce que je peux dire, c'est qu'il y a une différence entre les services préfectoraux et les entreprises de routage - en particulier quand les agents préfectoraux découvrent un problème, ils le signalent et le corrigent, mais si un problème se pose à un intérimaire peu informé, l'alerte ne sera pas nécessairement donnée, le problème pourra prendre plus de proportions. Je peux dire qu'il y a eu des erreurs qui auraient pu être évitées par les agents préfectoraux.

M. Stéphane Le Rudulier . - Le comité de suivi a été installé le 23 avril dernier, pensez-vous qu'un délai de plus de deux mois se justifierait ?

M. Jean-Denis Combrexelle. - Il faut d'abord examiner si le comité de suivi se justifie, puis dans quel délai il faut le constituer. Je crois que dans la conduite opérationnelle, on surestime souvent l'information dont l'administration centrale dispose. Je l'ai constaté au sein du Haut conseil du dialogue social, où la réussite supposait que les syndicats réunis autour de la table soient en phase avec les syndicats territoriaux et les branches, l'information que nous avons dépend de notre articulation avec le terrain ; aussi, pour bien fonctionner, le comité de suivi doit être correctement composé mais il faut également que les associations d'élus disposent des informations et qu'elles les fassent remonter, sinon un comité de suivi ne suffira pas.

M. François-Noël Buffet , président . - Merci pour toutes ces précisions.

Audition de M. Pascal Lorne, président de Gojob

(Mardi 6 juillet 2021)

M. François-Noël Buffet , président . - Nous auditionnons Pascal Lorne, président de Gojob, une société de travail à laquelle a recouru la société Adrexo, dont nous avons parlé dans les auditions précédentes.

Je vous rappelle, Monsieur, que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle sera diffusée en direct sur le site internet du Sénat et retransmise sur Public Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Tous les sénateurs qui peuvent participer à cette réunion sont membres de la commission des lois, dont certains sont présents en visioconférence.

Je vous rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pascal Lorne prête serment.

M. François-Noël Buffet , président . - Nous examinons, à notre propre initiative, les conditions dans lesquelles la propagande électorale a été - ou pas - distribuée à l'occasion des dernières élections départementales et régionales, avant le premier tour et entre les deux tours. Le marché public a été attribué à deux entreprises, La Poste et la société Adrexo - laquelle a eu recours à vos services pour recruter des intérimaires.

Votre entreprise fonctionne essentiellement grâce à une plateforme en ligne, un algorithme destiné à regrouper les profils des candidats intérimaires et les demandes des entreprises, donc de corréler les deux critères pour une réponse la plus opérationnelle possible.

Merci de nous présenter votre entreprise et de nous dire dans quelles conditions Gojob est intervenue pour le compte de la société Adrexo, en particulier comment vous avez formé votre personnel dans les délais qui étaient les vôtres, pour remplir la mission qui a été confiée par l'État à Adrexo, à l'occasion de ces élections.

M. Pascal Lorne, président de la société Gojob. - J'ai fondé l'entreprise Gojob il y a six ans. C'est une place de marché qui met en relation des demandeurs et des pourvoyeurs d'emplois, avec l'objectif d'optimiser la fluidité sur le marché du travail. Gojob est une entreprise sociale et solidaire, dont le principal objectif est de réduire le chômage en France en proposant des missions à toute personne qui cherche du travail, quels que soient son âge, son sexe, son diplôme - j'insiste parce que c'est ce qui a été à l'origine de l'entreprise ; notre objectif, c'est de s'assurer que tout le monde ait la meilleure chance de trouver du travail, même quand on est un petit peu trop ci ou un peu trop cela, trop ou pas assez diplômé, trop jeune ou trop vieux, ou encore « trop » basané.

Créer une place de marché ex nihilo , c'est difficile ; il nous a fallu neuf mois pour trouver un premier accès à l'emploi, encore neuf mois pour parvenir à 25 accès à l'emploi et nous avons désormais 15 000 salariés qui ont tous droit à la retraite, à une mutuelle et au chômage - j'insiste également sur notre modèle qui nous a fait choisir le contrat d'intérim, qui est un contrat de travail conforme à notre modèle républicain ; loin de l'uberisation du marché du travail, c'est un principe fondamental qui nous paraît indissociable de la dignité humaine.

Nous avons quelque 900 clients, dans l'industrie et dans la distribution, la logistique, avec de grands noms du CAC 40 aussi bien que des PME. Nous travaillons avec Adrexo depuis trois ans ; cette société fait régulièrement appel à nous pour la mise en colis et la distribution ; nous avons appris les gestes et les méthodes de leur métier avec eux. Notre entreprise réalise cette année un chiffre d'affaires de 100 millions d'euros, notre siège est à Aix-en-Provence et nous avons une filiale à Paris comptant 20 personnes ; nous sommes en forte croissance.

Pour nous, cette opération de distribution de la propagande électorale est exceptionnelle par son volume, mais pas par son contenu. Notre mission principale consiste à aller chercher des personnes peu qualifiées partout en France, c'est l'une de nos forces, en particulier pour ce métier de la distribution. Dans cette mobilisation, nous appliquons trois critères.

D'abord, la qualification des personnes, qui peut être très problématique dans certains territoires - trouver un boucher-charcutier à Paris, par exemple, c'est très difficile -, et ce premier critère ne posait guère de difficulté en l'espèce. Ensuite, la temporalité de l'opération, c'est-à-dire le fait qu'il y a des périodes où il est ardu de mobiliser des salariés, c'est le cas par exemple pendant les fêtes de fin d'année, où vous ne trouvez plus personne pour de la logistique supplémentaire ; ici non plus, ce critère ne posait pas de grandes difficultés, il y avait certes la fin de l'année scolaire et l'Euro de football - je dirais que la difficulté était de 3 à 4 sur une échelle de 10. Enfin, il y a le critère la tension locale du marché du travail : il n'y en avait guère ici étant donné les qualifications requises.

Nous avons évalué la mission au crible de ces trois critères avant de l'accepter, c'est notre procédure pour ne pas décevoir les clients, puis nous avons mis en place toutes les procédures afférant à cette mission : le recrutement, nous l'avons fait à travers nos campagnes publicitaires, dans la rue, sur Leboncoin ou avec Pôle emploi ; ensuite la qualification des candidats, avec de petits tests en ligne, dont certains ont été définis spécifiquement, pour s'assurer que les candidats étaient capables de se servir de leur smartphone et de Google Maps, car les compétences géospatiales sont très diverses et elles sont fondamentales pour repérer les boîtes aux lettres. Nous avons fait des tests de français, pour s'assurer que les candidats sauraient bien lire les enveloppes et demander leur chemin si nécessaire.

À l'issue de cette phase, nous avons retenu les candidats que nous avons estimés qualifiés et nous les avons formés, comme les 15 000 salariés de Gojob. Cette formation passe par un corpus simple, avec des modules visant le savoir-être et le savoir-faire de base, comme arriver à l'heure et dire bonjour à son chef - cela peut paraître acquis, mais ce n'est pas toujours le cas, alors que les cinq premières minutes d'un contact professionnel comptent bien sûr considérablement. La formation comprenait également une dimension technique, en particulier sur le boitier qui avait été distribué par Adrexo pour accomplir la mission, à quoi s'ajoutait bien entendu une formation sur la mission elle-même, la récupération des colis, les gestes de la distribution, les remboursements kilométriques. Nous nous sommes assurés que chacun de la cinquantaine des responsables opérationnels de centres (ROC) d'Adrexo avait bien mis en place une formation in situ , nous l'avons vérifié par SMS auprès de nos salariés. Légalement, nous nous engageons sur des moyens et pas sur des résultats, nous fournissons de la main-d'oeuvre et nous ne sommes pas garants de la qualité du travail qu'elle délivre ; cependant, pour maintenir une bonne relation avec nos clients, il est normal que nous nous assurions que cela se passe bien et que les salariés reçoivent la formation prévue, afin que nos intérimaires effectuent leur mission dans les meilleures conditions et avec succès ; le taux de satisfaction de nos clients qui en résulte est ce qui nous permet de continuer à travailler.

Voilà comment s'est passé le recrutement des quelque 3 700 intérimaires que nous avons mis à disposition du groupe Adrexo pendant cette opération. Tous ont suivi nos cinq modules de formation en ligne, qui durent chacun entre une demi-heure et une heure et demie, voire deux heures - notre objectif n'est pas de stresser les salariés, mais de leur faire acquérir les compétences ; la durée globale de ces cinq modules varie donc entre deux heures et demie et une dizaine d'heures, soit jusqu'à deux jours de formation. Il y a eu ensuite la formation in situ par Adrexo, qui a été équivalente à celle des formations que l'entreprise dispense à son propre personnel, sachant qu'en tant qu'entreprise spécialisée dans le courrier non adressé, elle a d'abord fait appel à ses propres salariés et que nous sommes intervenus en support. Je ne sais pas le nombre précis d'heures de formation qu'a dispensé Adrexo, je pense qu'il y en a eu une partie en binôme entre un salarié d'Adrexo et l'un de nos intérimaires tout au long de la première journée, sachant que cette formation - qui n'est pas forcément enregistrée comme telle dans la nomenclature - comprend des éléments très variés, depuis le maniement de la badgeuse jusqu'aux gestes qui évitent de se faire mal au dos quand on sort le colis du coffre de la voiture.

M. François-Noël Buffet , président . - Si je comprends bien, vous recrutez des personnes sur la base de critères que vous estimez adaptés, vous les formez sur ce que vous attendez de la qualité de la prestation qu'ils vont délivrer, mais dans tous les cas, pour la spécialisation de la mission qui va être la leur, ce n'est pas vous qui assurez la formation, mais votre client. En l'occurrence, c'est Adrexo qui a formé les intérimaires pour réaliser un service postal adressé, c'est-à-dire, distribuer un courrier à une personne à une adresse précise, dans une commune précise - les qualités requises pour une telle mission n'entrent pas, en réalité, dans les critères de sélection des personnes que vous recrutez ?

M. Pascal Lorne. - Dans les tests de qualification, donc avant la phase de formation, nous nous assurons que les candidats savent gérer une problématique d'adressage et de repères géospatiaux, c'est l'essentiel pour le métier - et c'est une compétence très difficile à acquérir quand on ne l'a pas, on le voit à tous les âges. Les métiers dont nous parlons ne demandent pas des compétences très élevées, mais celle-ci est nécessaire - et pour le reste, il faut surtout être débrouillard.

Je peux citer l'exemple de mon fils qui a été embauché pour faire le recensement dans mon petit village. Il s'agit d'un travail d'adressage très précis. Il n'avait jamais travaillé, mais il a su se débrouiller. C'était sa première mission et il s'en est très bien sorti. Il a eu une heure de formation par la mairie. Il m'expliquait que le plus dur était de se repérer dans Google Maps et de savoir quoi faire lorsque des chemins sont mal indiqués. Bref, l'essentiel n'est pas la formation, mais la capacité de la personne.

M. François-Noël Buffet , président . - Quel est le profil des intérimaires ? Aviez-vous des critères de sélection particuliers ?

M. Pascal Lorne. - Nous ne recherchions pas de profil spécifique et n'avions pas de critères particuliers, sinon être capable de se débrouiller, savoir poser des questions lorsque l'on est perdu, être titulaire du permis B et posséder un véhicule, ou encore être en bonne condition physique.

Mme Cécile Cukierman . - À partir de quel moment Adrexo a-t-il fait appel à vous ? Avez-vous pris le temps d'expliquer aux intérimaires l'importance de la mission au regard des enjeux démocratiques et républicains ? On ne distribue pas la propagande électorale comme on distribue un catalogue de la Redoute...

Vous mettez l'accent sur l'agilité des personnes. Mais il est parfois difficile d'accéder à certaines copropriétés. Comment font-elles pour y entrer ?

Mme Nathalie Goulet . - Je suis admirative en voyant le concept de votre entreprise. Comment l'idée vous est-elle venue ? Vous dites qu'il ne s'agit pas d'uberisation, mais cela y ressemble beaucoup !

Vous avez recruté les 3 700 intérimaires par internet. Vous ne les avez donc jamais rencontrés. Comment avez-vous pu vérifier leur localisation et leur connaissance du terrain, car Google Maps n'est pas toujours accessible dans les zones rurales, faute de réseau ! Il faut donc connaître les lieux. Comment avez-vous vérifié qu'ils avaient bien assimilé la formation que vous leur avez dispensée ?

M. Stéphane Le Rudulier . - Vous avez recruté 3 700 intérimaires. S'agissait-il pour votre entreprise d'une mission d'une ampleur exceptionnelle au regard de la taille ou était-elle assez classique ?

M. Jean-Yves Roux . - Les zones blanches sont fréquentes dans les zones de montagne et certains territoires ruraux. Votre recrutement s'est-il effectué par zones géographiques ? Comment avez-vous recruté dans ces zones ?

Avez-vous eu des remontées à propos de documents qui n'auraient pas été distribués par vos intérimaires ? Dans les zones de montagne, les problèmes ont été nombreux. Les intérimaires ont parfois déposé les documents en bloc à la mairie, car ils n'arrivaient pas à les distribuer dans la zone très vaste qu'ils avaient à couvrir.

M. Pascal Lorne. - Gojob est accessible sur internet et sur les smartphones. Cela signifie que tous nos intérimaires ont une connexion à internet.

À ma connaissance, aucun intérimaire ni aucun responsable opérationnel d'Adrexo ne nous a fait part de tracts brûlés ou déposés en vrac devant des portes. J'ai demandé à Adrexo si ces incidents, rapportés par les médias, étaient le fait de nos intérimaires. Mais, on ne nous a jamais fait de reproche à ce sujet.

J'ai immédiatement pensé, lorsque j'ai accepté cette mission, à sa dimension républicaine et que nous avions un devoir civique à accomplir. Nous avons donc mis en place une formation en ligne à destination des intérimaires. Nous leur avons régulièrement rappelé par SMS et par mails que leur mission avait une dimension civique, qu'elle relevait du code électoral, et que tout manquement était passible de sanctions pénales. Nous leur demandions notamment de signaler les éventuels problèmes de distribution plutôt que de jeter les documents à la poubelle.

M. Guy Benarroche . - En tant que fournisseur d'Adrexo, vous avez rappelé que vous n'aviez qu'une obligation de moyens, pas de résultats, même si vous venez de mettre l'accent sur les résultats. Adrexo ne vous a fait aucun grief ?

M. Pascal Lorne. - En effet, Adrexo ne nous a fait aucun grief, ni sur la qualité de nos intérimaires, ni sur leur formation. Je n'ai jamais eu de remontée quant à des problèmes de retours de documents ou à des difficultés pour accéder à des immeubles, etc.

La mission était exceptionnelle si l'on considère les volumes, puisque nous avons fourni 3 700 intérimaires pour cette mission, alors que notre société comptait 15 000 salariés l'an dernier. Cela représentait donc 20 % de nos effectifs. Nous avions tout à fait la capacité de gérer cette mission, et nous l'avons bien fait. Nous avons envoyé des personnes à temps, au bon endroit, sans avoir à changer nos procédures, même si nous avons modifié un peu nos formations pour mettre l'accent sur l'orientation géospatiale et sensibiliser à l'enjeu républicain. Certes la mission avait un caractère exceptionnel au regard des effectifs et de la durée, mais notre entreprise avait déjà eu à gérer des pics d'activité similaires.

Je n'ai pas le souvenir de la date exacte à laquelle Adrexo nous a sollicités. De mémoire, c'était en mars. Je vérifierai.

Mme Nathalie Goulet . - Vous n'avez pas répondu à ma question : comment avez-vous eu l'idée de cette entreprise ? Je voudrais aussi savoir si les intérimaires utilisent leur propre téléphone ou bien si ceux-ci sont fournis par Adrexo ?

M. Éric Kerrouche . - Cette mission a-t-elle entraîné un turnover particulier ? Si je comprends bien vos propos, aucune difficulté ne vous a été remontée. J'en déduis que si des problèmes ont eu lieu, ils sont le fait des salariés d'Adrexo. Pourrez-vous nous transmettre les modules de formation que vous avez réalisés ?

M. Pascal Lorne. - Nous vous transmettrons évidemment tous les documents que vous souhaitez.

La question sur le turnover est une question piège ! Si je réponds qu'il n'y en a pas eu, vous incriminerez Adrexo pour les difficultés rencontrées ! Simplement, sans vouloir défendre l'État, les préfectures, les prestataires, les routeurs, etc., je peux témoigner que cela fut compliqué pour toute la chaîne : les délais n'étaient pas les mêmes pour le premier et le second tour ; des plis qui devaient être imprimés n'étaient pas prêts à temps : tantôt tous les documents manquaient, tantôt seulement ceux relatifs à l'une des élections, et les intérimaires ne savaient quoi faire. Que fallait-il faire ? La chaîne de responsabilités est longue. Il ne faut pas incriminer uniquement les salariés et intérimaires qui interviennent en bout de chaîne.

M. Éric Kerrouche . - Vous nous avez dit que vous n'aviez pas constaté de dysfonctionnement s'agissant de vos intérimaires...

M. Pascal Lorne. - En effet.

M. Éric Kerrouche . - Mais, pour apprécier la chaîne des responsabilités, nous avons besoin de données précises. Quel a été le turnover ? Dans quelle mesure est-il supérieur à celui constaté habituellement ? Ce n'est pas une question piège, nous voulons juste apprécier la difficulté de la mission.

M. Pascal Lorne. - Le turnover moyen dans l'intérim varie selon les secteurs. Lorsqu'il s'agit d'un placement de plusieurs mois dans l'industrie, le turnover est quasiment nul ; mais pour de petites missions de logistique, comme celle-là, le turnover s'élève en général à 15 % ou 20 % - c'est pour cela que nous avions dit à Adrexo qu'il fallait prévoir un volet d'intérimaires un petit peu plus élevé que le quota initialement demandé. Le turnover a donc été dans la moyenne des missions de logistique pour de courtes durées. Il aurait été identique si le client avait été différent. Adrexo n'a pas été moins-disant.

M. Stéphane Le Rudulier . - Avez-vous réagi sur les réseaux sociaux à l'annonce de la commande d'Adrexo ? Quelle est la nature de vos relations commerciales avec Adrexo ?

Mme Cécile Cukierman . - Il n'y a pas de piège dans nos questions, on essaie simplement de comprendre. Il est évident que personne ne vous a avoué avoir bâclé le travail ou laissé les documents en vrac par terre... J'ai présidé une mission locale, travaillé avec des jeunes et connais bien les difficultés du retour à l'emploi. Je vous repose donc la question : vous n'avez pas eu de retours d'intérimaires choisissant de tout arrêter au motif que la mission était trop compliquée ? Ce ne serait donc pas étonnant. On sait tous que ces distributions sont exigeantes et compliquées.

M. Pascal Lorne. - J'ai eu des retours, évidemment, mais pas plus que pour une autre mission du même ordre. Nous sommes habitués à les gérer : nous avons une ligne directe, un canal de communication par chat ou SMS, etc. C'est notre lot commun d'être confrontés à des personnes qui sont perdues, stressées, qui ne trouvent pas le lieu de la mission, qui renoncent à cause de la rémunération, de la difficulté de la tâche, etc. Encore une fois, le taux de turnover était élevé, mais classique pour ce type de mission.

Je communique beaucoup sur les réseaux sociaux. Lorsque nous avons eu ce contrat, je m'en suis réjoui sur les réseaux sociaux, sans citer le client.

M. Stéphane Le Rudulier . - Vous avez quand même dit que ce serait « chaud »...

M. Pascal Lorne. - Oui, nous nous attendions à un pic d'activité. Mais nous n'aurions pas accepté la mission si nous n'avions pas été capables de la remplir ! Adrexo est notre plus gros client. Nous travaillons avec eux depuis trois ans. Lorsqu'ils nous ont proposé cette mission, ils nous ont clairement dit que nous étions libres de ne pas l'accepter. Nous avons donc été prudents et tout fait pour qu'ils soient satisfaits de la prestation.

M. Éric Kerrouche . - Les salaires n'étaient peut-être pas adaptés à l'enjeu et à la complexité de la mission. Il faudra peut-être revoir cet aspect à l'avenir. Pourrez-vous nous donner la quantification exacte du turnover sur cette mission et l'écart-type avec les missions comparables ?

M. Pascal Lorne. - Bien sûr.

Mme Nathalie Goulet . - Les intérimaires ont-ils leur propre téléphone ou celui-ci est-il fourni ?

M. Pascal Lorne. - Les intérimaires ont leur propre téléphone, comme tous les intérimaires de notre entreprise et de nos concurrents.

M. François-Noël Buffet , président . - Avez-vous donné des instructions précises pour le cas où les plis n'auraient pas pu être distribués ?

M. Pascal Lorne. - Cela faisait partie de la formation. Nous avons insisté sur l'exigence républicaine de cette mission, sur les pénalités et sanctions encourues en cas de non-distribution ou de destruction de documents, ainsi que sur la nécessité de signaler tout problème de distribution et de rapporter systématiquement les plis non distribués au centre opérationnel, plutôt que de cacher l'incident. C'était d'ailleurs une recommandation d'Adrexo.

M. François-Noël Buffet , président . - Je vous remercie. Nous vous adresserons sans doute d'autres questions par écrit.

M. Pascal Lorne. - Je vous remercie. La mission n'était pas simple. Tous les intervenants l'ont prise très au sérieux, des préfectures jusqu'aux intérimaires, en passant par Adrexo. Nous avions mis en place un PC de sécurité pour nous assurer de la bonne exécution de la mission.

Audition de M. Philippe Wahl,
président-directeur général du Groupe La Poste

(Lundi 12 juillet 2021)

M. François-Noël Buffet , président. - Nous sommes réunis dans le cadre de la mission d'information, dotée des pouvoirs de commission d'enquête, sur les dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales de juin 2021 et résultant en particulier de la distribution de la propagande électorale. Nous recevons cet après-midi Philippe Wahl, président-directeur général du Groupe La Poste.

Monsieur le président, vous le savez, le Sénat a créé cette mission d'information afin d'appréhender le mieux possible la ou les raisons ayant entraîné une mauvaise distribution - je mesure mes mots ! - de la propagande électorale durant les élections régionales et départementales. Le groupe La Poste étant, comme avec la société Adrexo, attributaire du marché public, nous avons souhaité vous entendre pour connaître votre point de vue et savoir comment vous avez vécu la situation.

Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse ; elle sera diffusée en direct sur le site internet du Sénat et retransmise sur la chaîne Public Sénat.

Je vous rappelle également, pour la forme, qu'un faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Philippe Wahl prête serment.

M. François-Noël Buffet , président . - Vous êtes attributaire d'un marché public qui vous a permis de distribuer la propagande électorale, notamment celle des élections départementales et régionales. Sachant que, jusqu'en 2021, La Poste était le seul organisme chargé de distribuer les plis de propagande électorale, pourriez-vous nous rappeler la date du marché public et les prix pratiqués à l'époque ?

Dans le cadre de la passation du marché lancé par l'État mi- 2020 pour une attribution en fin d'année, comment les choses se sont-elles réellement passées ? Quels engagements avez-vous dû prendre à l'égard de l'État ? Pour ne rien vous cacher, nous avons eu accès aux notes techniques sur les offres soumises dans le code de la procédure, nous avons constaté que la note attribuée au groupe La Poste était inférieure à celle du groupe Adrexo. Quelles en sont les raisons, selon vous ?

La distribution de la propagande électorale était-elle pour vous une activité économique rentable ?

Des dysfonctionnements importants sont apparus depuis quelques années dans la distribution de cette propagande. Certains disent ne pas avoir reçu les plis à temps, d'autres déplorent de ne pas les avoir reçus du tout. Si les réponses sont variables, il est une constante : cette situation a alimenté du contentieux, en particulier lors des élections législatives de 2017. Quelles raisons le groupe La Poste invoque-t-il pour expliquer ces difficultés ?

Enfin, lors de ces élections, de nombreux documents ont été retrouvés éparpillés dans des forêts, brûlés, abandonnés dans des halls d'immeubles, et jamais distribués, comme s'il fallait s'en débarrasser d'une manière ou d'une autre ? Avez-vous eu de tels retours au sein du groupe La Poste ?

M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste . Je suis accompagné de Philippe Dorge, directeur général de la branche services-courrier-colis, patron des facteurs et membre du comité exécutif de La Poste. Nous sommes là pour répondre à vos questions.

Je commencerai par la dernière, à savoir la question des documents « abandonnés », dans toutes les formes qu'a pu prendre cet abandon. La réalisation de la distribution de la propagande électorale qui nous a été traditionnellement confiée fait partie de notre savoir-faire et a toujours constitué une tâche particulièrement complexe. D'abord, elle donne lieu à des tournées « toutes-boîtes », durant lesquelles le facteur s'arrête partout sur le territoire, ce qui n'est pas le cas en temps ordinaire. Ensuite, la mission de service public liée à l'information électorale nous impose un niveau d'excellence. Enfin, les délais de réalisation sont souvent comprimés, plus encore au deuxième tour de ces dernières élections.

Cette mission de proximité est donc complexe, tout le monde l'a constaté au cours des deux tours des élections. Elle n'aurait pas réussi - c'est bien une réussite pour nous - sans la mobilisation, le professionnalisme et le sens du service public des factrices et des facteurs, à qui je veux rendre hommage, et à leurs capacités de communiquer et de faire des comptes rendus permanents durant toute cette période auprès des préfectures et des élus. C'est grâce à ce travail conjoint de nos équipes, des mairies et des préfectures que nous avons été capables de faire face aux engagements que nous avions pris.

Je n'ai pas d'exemple - pas un seul ! - de document abandonné sous quelque forme que ce soit dans les zones desservies par La Poste. J'illustrerai mon propos en prenant plusieurs exemples et en rappelant les éléments de contexte.

Le 17 juin dernier, soit trois jours avant le premier tour, s'est tenue la réunion de l'Observatoire national de la présence postale (ONPP), qui est, d'une certaine façon, la structure chapeau de nos 100 commissions départementales de présence postale territoriale (CDPPT). Lors de cette réunion, ce sujet de la distribution de la propagande n'était pas à l'ordre du jour, et aucun élu représenté ce jour-là n'a demandé qu'il y soit inscrit. De surcroît, aucun élu n'a, le jeudi, soulevé le moindre problème micro-électoral. Vous le savez, le lien entre vous, élus, et nous, La Poste, est assez direct ; il concerne des points stratégiques et des éléments essentiels à la vie de nos concitoyens. Quand on modifie les horaires d'un bureau de poste, j'en entends généralement parler assez vite. À aucun moment n'a été signalé un seul problème sur un endroit quelconque du territoire !

Comme je l'ai indiqué devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, deux élus m'ont appelé, un sénateur du Grand Est et un président de conseil départemental de la région Auvergne-Rhône-Alpes, me signalant des problèmes, avant que de constater que nous n'étions pas l'attributaire du marché dans ces deux grandes régions. Certaines distributions ont pu être tardives, mais elles étaient liées à ce qui s'est passé au deuxième tour, qui a été très différent du premier.

Lors du premier tour, la phase amont s'est déroulée sans anicroche. Nous avons ainsi reçu 100 % des matériels que nous attendions. De notre point de vue, nous avons distribué la totalité de ce qui était distribuable, avec un taux de documents non distribuables de 8,85 %, en légère croissance par rapport aux dernières élections européennes et municipales. Mais cela reste très peu important et résulte sans doute des mouvements de population qui ont eu lieu au moment de la crise de la covid.

Lors de la réunion au ministère de l'intérieur où j'ai été convoqué au lendemain du premier tour avec l'autre opérateur, M. Darmanin nous a signalé des problèmes dans 64 communes sur les 15 000 que nous avions desservies. Il avait remarqué que les difficultés étaient corrélées à des taux de documents non distribuables supérieurs à la moyenne. Nous avons appelé tous les maires concernés : deux problèmes de distribution, en particulier d'adressage, ont été identifiés, l'un à Biarritz et l'autre à Modène dans le Vaucluse - c'est tout ! J'ai d'ailleurs en ma possession un mail du maire de Royan, qui faisait partie des villes à risque du fait des bases adresses, qui n'a pas mis en avant des problèmes de distribution.

Le deuxième tour a été beaucoup plus compliqué, car la phase amont ne nous a pas permis d'avoir la totalité des plis à temps et en bon ordre. Pour nous, la date ultime de distribution, c'est le jeudi précédent le dimanche du scrutin à 23 h 59. Dans une élection ordinaire, nous recevons en général 100 % du matériel à temps, et nous nous organisons pour assurer la distribution.

En l'occurrence, au deuxième tour, la situation a été différente pour les régionales, qui ont parfois donné lieu à des quadrangulaires, plus compliquées à préparer : jeudi à 23 h 59, nous avions récupéré 44 % des plis attendus, dont nous avons ensuite distribué l'intégralité ; vendredi à 23 h 59, alors que nous ne recevons en principe plus de plis, nous en avons reçu 29 % de plus, et avons distribué 100 % de ce qui était distribuable ; enfin, le samedi après minuit et avant 3 heures, nous avons reçu 7 % des plis, ce qui fait un total de 79 % à 80 %, dont nous avons distribué la quasi-totalité. Les élections départementales ont été moins touchées, car les élections triangulaires ou quadrangulaires sont beaucoup plus rares : jeudi à 23 h 59, nous avions reçu 88 % des documents attendus ; vendredi à 23 h 59, nous en avons récupéré 5 %, soit un total de 93 % des flux.

De notre point de vue, des perturbations ont été constatées lors du deuxième tour des élections : si la livraison a été totale jusqu'au vendredi à 23 h 59, elle s'est révélée plus compliquée dans la nuit. Philippe Dorge et ses équipes ont réalisé une mobilisation maximale le samedi, puisqu'à 18 heures, des factrices et des facteurs distribuaient encore les plis - certains ont fait des double-tournées -, sachant qu'après 14 heures ou 15 heures, la distribution ordinaire s'arrête.

Cette mobilisation était sous-tendue par l'intérêt supérieur de la propagande électorale et de ces élections. Elle était nécessaire en raison de la situation, et aussi parce qu'au deuxième tour l'autre opérateur a souhaité nous confier 5,4 millions de plis - nous n'en avons finalement reçu que  3,8 millions.

Cette distribution est-elle rentable économiquement ? Oui, et pour une raison simple : nous pensons que la représentation nationale et nos deux actionnaires, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) en premier lieu, et l'État au travers de l'Agence des participations de l'État (APE) en second lieu, s'attendent à ce que, sur un marché de centaines de millions d'euros, nous soyons rentables. C'est bien sûr notre volonté d'être rentables, tout en étant capables de faire des efforts sur les marges. C'est ce que nous avons fait lors de ce marché de 2021 pour lequel nous avons proposé un prix inférieur de 4 % à celui du précédent marché.

M. Philippe Dorge, directeur-général adjoint du groupe La Poste, en charge de la branche services-courrier-colis . Lors de cette attribution de marché, dont le prix était le critère essentiel, nous avons effectivement consenti un effort de 4 % par rapport au marché précédent, qui affichait déjà une baisse de prix de 1 % par rapport au marché antérieur.

M. Philippe Wahl . - Dans un contexte global où les volumes du courrier diminuent, et pour répondre à votre deuxième question, monsieur le président, il est très difficile de jouer sur la productivité pour son client. En effet, moins il y a de courrier en général dans le réseau et dans les tournées, plus il est difficile de répercuter des effets d'économie sur des flux nouveaux de courriers liés aux élections. Nous avons donc fait des efforts au fur et à mesure, mais moins que par le passé...

M. François-Noël Buffet , président . - À combien se situe le taux de rentabilité ?

M. Philippe Dorge . - Nous cherchons à couvrir l'ensemble des coûts variables attribuables, mais il est aujourd'hui difficile de l'établir, car ce marché est régi par un critère de poids et de délai. Dans les jours qui viennent, nous allons tenter de dresser ce bilan avec le ministère de l'intérieur. Pour un marché estimé au départ à près de 40 millions d'euros selon une estimation des poids et des délais entre les deux tours, les chiffres se rapprocheraient maintenant plus de 30 millions d'euros en volume.

M. Philippe Wahl . - Et en marges ?

M. Philippe Dorge . - Nous essayons d'avoir un taux de 10 % à 15 % supérieur aux coûts attribuables, sachant que cette base ne comprend pas certains coûts complets opérationnels.

M. Philippe Wahl . - L'une des raisons qui justifient que nous ne sacrifiions pas les coûts, c'est que nous avons des salaires à verser et que cette tâche de qualité est complexe à réaliser. Il est normal de rétribuer normalement nos agents pour cette tâche. Voilà pourquoi nous avons ajusté les prix, de manière raisonnable de notre point de vue. Comme l'a fort bien dit Philippe Dorge, le fait que le critère prix soit à 60 % nous a visiblement défavorisés. Mais c'est le jeu de la concurrence !

S'agissant des contentieux liés à la distribution des plis, nous pouvons citer le cas d'Annecy.

M. Philippe Dorge . - Ce contentieux résulte d'une contestation pour quelques dizaines de plis qui n'ont pas été bien adressés en 2017. À ma connaissance, la plainte a été déboutée par le juge administratif, au motif que ce critère ne serait pas de nature à permettre l'annulation de l'élection.

M. Philippe Wahl . - Il est important de savoir ce que les postiers font du matériel qui n'a pu être distribué. Les bulletins sont rapportés à la préfecture ou à la mairie, et il est fréquent qu'au moment du vote les mairies donnent une carte électorale à un électeur qui n'aurait pas procédé à son changement de domiciliation. En tout état de cause, aucun équipement n'est abandonné ! En la matière, la coordination fonctionne très bien.

M. François-Noël Buffet , président . - En l'espèce, le contrat de marché de l'État prévoyait que l'ensemble de ces plis non distribués devait être rassemblé dans un lieu unique par département.

M. Philippe Dorge . - Absolument, les plis non distribuables sont restitués aux mairies, qui corrigent ensuite la base adresses électorales. Donc, 100 % des plis non distribuables, et par conséquent non distribués, sont restitués - sous le contrôle des préfectures. Nous pouvons clairement établir que les 8,70 % à 8,85 % de plis non distribuables au deuxième tour ne pouvaient pas être distribués. Dans le contentieux d'Annecy, par exemple, La Poste a apporté tous les éléments probants. Il existe en effet deux principaux motifs de « non-distribuabilité » : « N'habite pas - ou plus - à l'adresse indiquée », ce qui inclut les contrats de réexpédition, et les adresses incomplètes, telles qu'on les a connues dans des habitats collectifs, rendant la distribution très complexe.

Mme Cécile Cukierman . - Dans le cas d'une reprise en main d'un seul marché, dans le cadre d'une délégation de service public totale de la distribution de la propagande électorale, La Poste serait-elle en capacité de procéder à cette distribution dans l'ensemble des régions ? J'ai bien entendu les exigences induites pour les agents. Avec une baisse régulière de la distribution du courrier, disposez-vous d'un nombre d'agents suffisant lors des périodes électorales, ou avez-vous recours à des contractuels ou à des vacataires ?

Mme Brigitte Lherbier . Je remercie M. Wahl pour sa présence parmi nous. Souvenez-vous, monsieur le président, nous nous sommes rencontrés voilà quelques années à Lille, à l'Hermitage Gantois, où vous étiez venu proposer aux élus locaux les services d'aide et de surveillance effectués par les facteurs, eu égard à leur connaissance des quartiers. J'étais à l'époque adjointe à la prévention et à la sécurité du maire, et cet élargissement des compétences de La Poste intéressait beaucoup les élus.

La distribution de la propagande électorale est une autre mission de service public confiée à La Poste. Cette mission de proximité est particulièrement complexe pour les raisons que vous avez rappelées, par exemple les difficultés à réceptionner les documents de propagande, les contraintes liées aux délais, etc. Cette mission nécessite-t-elle un recrutement exceptionnel de vacataires ? Pensez-vous que la livraison tardive des documents puisse être organisée différemment ?

M. Alain Richard . - J'ai la même question que Cécile Cukierman et Brigitte Lherbier sur le nombre de personnels face à une opération aussi importante, mais aussi, plus largement, sur la viabilité du système de concurrence organisée : alors que le volume du courrier adressé baisse continûment, est-il opérationnel qu'un autre opérateur que La Poste s'organise et investisse dans cette branche avec les coûts fixes que cela implique ?

Enfin, quid de la mise à jour des adresses, sachant que le nombre de non-distributions pour le motif « n'habite pas à l'adresse indiquée » (NPAI) ne cesse de progresser - chaque année, 8 à 9 % des Français déménagent ? Nous avons déjà travaillé sur le sujet, j'avais déposé un amendement prévoyant que la liste des adresses puisse être mise à jour avec des données venues de La Poste et des entreprises qui délivrent l'eau, le gaz et l'électricité, ou encore de l'Insee ; on m'avait alors répondu que le moment n'était pas encore venu : qu'en pensez-vous ?

M. Philippe Bas . - Comment se peut-il que La Poste soit plus efficace que les autres prestataires : sur quels facteurs repose cette réussite ?

Mme Nathalie Goulet . - Quand avez-vous connu précisément les lieux à couvrir et comment s'est organisée la distribution ? En d'autres termes, quel est le rétro-calendrier de la catastrophe annoncée ?

M. Stéphane Le Rudulier . - Le ministère a argué des difficultés liées au fait qu'il y a eu deux scrutins concomitants, qu'en pensez-vous ?

M. François-Noël Buffet , président . - Dans le marché alloti attribué par l'État, il y a une note sur le prix et une note technique ; La Poste s'est vue attribuer une note technique inférieure à celle de son concurrent, Adrexo, ce qui corrobore l'appréciation du Conseil constitutionnel estimant que la distribution du courrier perd en efficacité à La Poste depuis quelques années : pourquoi ? Enfin, pensez-vous que la concomitance de deux élections importantes le même jour compromette l'efficacité de la distribution ?

M. Philippe Dorge. - Nous avons été notifiés de l'acceptation partielle du marché le 16 décembre 2020, au terme d'un processus qui avait commencé l'été précédent. Le critère du prix comptait pour 60 % et la note technique pour 40 %, sachant que cette dernière avait trois composantes ou sous-notes ; je précise que, quand bien même nous aurions été meilleurs sur le plan technique, nous n'aurions pas été retenus, l'écart de prix étant trop important.

Voici les trois notes composant la note technique d'ensemble : sur la qualité des moyens techniques et humains affectés au pilotage, nous avons obtenu 102,4 points sur 160 - représentant donc 16 % de la note technique -, contre 140,8 pour Adrexo ; sur la qualité des moyens techniques et humains affectés à l'exécution de l'accord-cadre, nous avons obtenu 121,6 points sur 160 contre 131,4 à Adrexo ; enfin, sur la qualité des moyens et d'organisation pour la gestion des incidents éventuels, nous avons reçu l'intégralité des 80 points - comptant donc pour 8 % de la note globale -, contre 72 points à Adrexo.

Je peux vous répondre sur nos moyens, mais pas sur ceux d'Adrexo. Nous avons commencé l'exécution très rapidement, conformément à la demande du client, qui a choisi, entre plusieurs délais, celui de quatre jours à compter de la réception des documents ; nous avons commencé le 14 mai pour La Réunion, puis le 21 mai en Lozère, dans les Côtes-d'Armor, le Tarn-et-Garonne, et le Val-de-Marne.

M. Philippe Wahl. - Pour le second tour, une partie des plis est arrivée en dehors des délais contractuels, mais cela ne nous a pas empêchés d'en livrer la plus grande partie, grâce à la mobilisation des factrices et des facteurs.

La Poste est prête à reprendre la distribution dans la totalité des régions, si l'État le lui demande. Nous considérons que nous avons assez de factrices et de facteurs, le second tour des dernières élections régionales et départementales plaide dans ce sens : nous avons appris le mercredi matin seulement que 5,4 millions de plis supplémentaires étaient à distribuer, nous avons distribué les 3,8 millions qui nous ont été adressés - nous l'avons fait en mobilisant nos ressources habituelles, sachant que les intérimaires et contractuels à durée déterminée représentent ordinairement 12 % de notre force de travail, et nous y avons ajouté un volet supplémentaire d'intérimaires, représentant 5 % de notre force de travail.

M. François-Noël Buffet , président . - Tous les personnels avec qui vous travaillez ordinairement, y compris les intérimaires, sont des professionnels qui connaissent les métiers de la distribution ?

M. Philippe Wahl. - Effectivement, et les intérimaires supplémentaires mobilisés au dernier moment, pour l'immense majorité, avaient déjà travaillé avec nous.

M. Philippe Dorge. - Je précise que nous les avons formés nous-mêmes, nous ne recourons pas à des prestataires sous-traitants. Nous nous arrangeons pour accueillir les personnels une semaine avant le début du travail effectif, la formation dure deux jours, avec une journée consacrée aux gestes du métier en doublure avec un autre postier.

M. Philippe Wahl. Pourrions-nous reprendre la distribution sur la totalité du territoire ? Oui, nous l'avions toujours fait, nous le pouvons encore, même si le nombre de facteurs diminue, dans une proportion moindre que la baisse du courrier. Nous pourrions tout à fait, également, participer à la mise à jour des bases d'adresses, avec les préfectures et les mairies, sachant que 10 % des Français changent d'adresse tous les ans, ce qui est considérable. Nous pourrions aussi prendre le routage et la préparation des plis, nous l'avons fait dans cinq départements. Tout cela, bien entendu, à condition d'en être avertis assez tôt.

La concomitance de deux élections rend les choses plus compliquées, mais l'opération reste possible, nous l'avions fait en 2008. Au second tour, la complexité tient à la phase amont, qui a importé des problèmes. Nous nous sommes mobilisés, nous avons doublé les heures supplémentaires, ce qui nous a permis de passer l'obstacle.

Il m'est très difficile de dire pourquoi nous sommes plus efficaces, nous ne regardons pas ce que font les autres. Les facteurs savent faire de la distribution adressée toutes boites, ils ont une connaissance moléculaire du territoire, et le sens du service public, ils sont habitués aux interactions avec les mairies et préfectures. Si une nouvelle prestation globale nous était confiée, nous pourrions faire face, à condition qu'elle soit bien préparée.

M. François-Noël Buffet , président . - Avez-vous constaté des difficultés avec le routage au premier tour ?

M. Philippe Wahl. - Non.

M. Éric Kerrouche . - Vous parlez de difficultés de transmission entre Adrexo et La Poste : on serait passé de 5,4 à 3,8 millions de plis à distribuer. Comment les choses se sont-elles passées ? Ensuite, rencontrez-vous des problèmes de distribution des cartes électorales et quel est leur taux de retour ?

Mme Nathalie Goulet . - En vous entendant, nous n'avons guère de doute sur la qualité des professionnels de La Poste. Quel service du ministère de l'intérieur a-t-il noté votre proposition ?

M. Philippe Bas . - Naguère, les postiers recevaient un supplément de rémunération pour la distribution des professions de foi : est-ce toujours le cas ?

Mme Cécile Cukierman . - Vous aviez postulé pour tout le territoire national, on a vu dans l'entre-deux-tours le soulagement de voir La Poste à la rescousse de son concurrent, cela a représenté 200 000 plis dans mon département, la Loire, et ce malgré les retards dans la remise des documents. Quels coûts supplémentaires la distribution sur tout le territoire représenterait-elle pour votre groupe ? Il y avait une prime pour cette distribution, qui donnait lieu à des conflits sociaux, qu'est-elle devenue ?

M. Stéphane Le Rudulier . - Avez-vous un cursus de formation spécifique sur la distribution : en quoi consiste-t-il ? Vos offres initiales étaient de 30 à 50 % moins chères que celles de vos concurrents : pourquoi ?

M. Philippe Dorge. - Dans cinq départements - l'Aude, le Gers, les Hautes-Pyrénées, le Lot et le Tarn-et-Garonne -, nous avons préparé l'intégralité des plis pour le second tour. Nous savons donc le faire, et nous avons aussi un très bon suivi des adresses, via le service national de l'adresse, situé à Libourne.

Nous avons fait suivre aux intérimaires ponctuels le cursus que suivent habituellement tous nos intérimaires, alors que nous avions moins de temps.

Enfin, j'ai été informé le mercredi matin qu'il faudrait reprendre la distribution de 5,4 millions de plis, dont 3,8 millions nous ont été adressés par Adrexo - nous les avons intégralement redistribués.

M. Philippe Wahl. - Nous les avons distribués sans rupture de chaîne dans la distribution.

Mme Cécile Cukierman . - Quelle formation avez-vous dispensée aux intérimaires ?

M. Philippe Dorge. - Le cursus habituel, qui s'étend sur deux jours : le premier jour consacré à des enseignements théoriques, en particulier 3,5 heures pour l'accueil, la sécurité, les risques métiers, les équipements de protection, et le deuxième jour consacré à la pratique, en doublure avec un professionnel, un enseignement pratique qui se prolonge parfois un jour supplémentaire.

M. Philippe Wahl. - L'intérimaire voit alors la tournée, c'est un ensemble complexe qu'il est très utile de suivre.

M. Philippe Dorge. - Lorsque je suis arrivé à La Poste en 2015, la prime « élections » avait déjà été retirée, mais nous rémunérons les dépassements horaires. Nous voulions distribuer tous les plis, y compris à 3 heures du matin, ce qui nous a fait décider de doubler les heures supplémentaires.

M. Philippe Wahl. - C'est le surcroît d'activité qui est à l'origine du surcroît de salaire, c'est la raison pour laquelle nous sommes arrivés aux montants dépensés, d'autant que les rémunérations sont plus fortes le samedi.

M. Philippe Dorge. - Pour les remises des cartes électorales, nous n'avons pas rencontré de difficultés particulières, le taux de retour est conforme à celui des changements d'adresse.

La notation des dossiers pour le marché public était entre les mains du secrétariat général du ministère, qui comporte une cellule achat et un bureau des élections, nous étions en relation avec le service « performance achat et organisation des élections ».

M. Stéphane Le Rudulier . - Pourquoi votre offre initiale était-elle 30 à 50 % moins chère ?

M. Philippe Dorge. - En réalité, l'évaluation du prix dépend d'un grand nombre de facteurs, en particulier du poids estimé des plis et du délai de la distribution, nous n'avons pas tous la même vision du poids - il n'est pas toujours prévisible, étant donné qu'il varie avec le nombre de candidats - et le mix de délai peut changer, nous avions estimé celui de 4 jours raisonnable, mais le ministère nous en a ensuite demandé une partie sur deux jours, tout cela change le prix unitaire final. Nous pensions que la mission représenterait 40 millions d'euros, nous sommes plus proches de 30 millions d'euros.

M. François-Noël Buffet , président . - J'ai le tableau de reporting national, vous y distinguez les plis « réalisés », « traités » et « distribués » : quelles sont les différences ?

M. Philippe Dorge. - Le nombre de plis attendus, correspondant au nombre d'électeurs, varie du premier au second tour, du fait que des candidats sont élus au premier tour - l'écart a été d'environ 1 million de plis cette fois-ci. Ensuite, nous prenons en charge ces plis, nous regardons la quote-part des plis non distribuables, et le rapport entre les plis distribuables et les plis attendus. Les plis « traités » correspondent aux plis « distribués » plus les plis non distribuables, 100 % des plis distribuables ont été distribués.

M. François-Noël Buffet , président . - Au regard de l'expérience, quelle serait pour vous la façon la plus efficace de remédier aux dysfonctionnements constatés ?

M. Philippe Wahl. - Cette question ne nous concerne pas nous, mais plutôt l'État, dont nous sommes prestataires. Nous sommes prêts à reprendre l'intégralité du marché, nous sommes pour coopérer avec les mairies et les préfectures, mais la décision revient à l'État. Nous avons essayé de faire au mieux, toujours en coordination avec les maires et les préfets, très sensibles aux difficultés. Notre entreprise n'est pas parfaite, sur des millions d'adresses en jeu, des erreurs sont inévitables, mais dans les 64 communes où des incidents ont été constatés, nous avons appelé le maire aussitôt. Nous saurons nous adapter au choix que l'État fera.

M. François-Noël Buffet , président . - Merci pour vos informations.

Audition de M. Jean Benoît Albertini,
secrétaire général du ministère de l'intérieur

(Lundi 12 juillet 2021)

M. François-Noël Buffet , président . - Nous poursuivons nos auditions avec Jean-Benoît Albertini, secrétaire général du ministère de l'intérieur.

Je vous rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage lors de cette audition, dans le cadre de notre mission d'information dotée de pouvoirs d'enquête, est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Benoît Albertini prête serment.

M. François-Noël Buffet , président . -Nous souhaitons comprendre ce qui s'est passé lors des dernières élections départementales et régionales pour la distribution de la propagande électorale, dont les difficultés n'ont échappé à personne. Je commencerai par deux questions générales : vous est-il possible de faire un bilan complet des dysfonctionnements dans l'acheminement de la propagande électorale avant le premier et avant le second tour ? quelle mesure ces dysfonctionnements diffèrent-ils par leur nature et leur ampleur de ceux qui ont été constatés avant 2017 - nous savons qu'il y avait des difficultés, mais pas dans la même proportion ? Nous parlerons ensuite de la chaîne de décisions, du choix des opérateurs et de l'organisation, des opérations de la mise sous plis et de la distribution des plis. M. Jean-Benoît Albertini, secrétaire général du ministère de l'intérieur. - Merci de nous permettre de nous exprimer sur ces dysfonctionnements. Un bilan complet serait prématuré, la phase de restitution des opérateurs n'est pas achevée ; elle est définie contractuellement : les opérateurs ont trois semaines pour restituer les données sur ce qui était attendu, puis l'administration dispose d'un délai d'un mois pour répondre dans un cadre contradictoire - il y a visiblement matière à réponse, en particulier à Adrexo. Ce processus n'est pas fini, mais nous avons des éléments sur les volumes de plis non distribués. Ils reposent sur les déclarations des opérateurs, mais nous avons interrogé les préfectures et nous allons le faire une seconde fois pour évaluer ce que nous disent les opérateurs. C'était l'un des enjeux du nouveau marché passé, qui explique la pondération spécifique que nous avons donnée au critère de production des données : nous avions voulu que l'information remonte quotidiennement, c'était une première, car, sur les marchés précédents, La Poste disposait de plusieurs semaines pour produire le récapitulatif des volumes distribués ; ce délai était apparu comme un défaut, nous l'avons corrigé dans la définition du nouveau marché. Je relève que La Poste a eu plus de mal à s'adapter à cette demande, nous renvoyant à 2022 pour un dispositif complet de restitution au quotidien, alors qu'Adrexo - c'est ce qui explique sa note plus élevée - nous a d'emblée fait une proposition idoine, liée à son suivi de distribution via les codes-barres des liasses de plis et les lignes de chiffres sur les enveloppes.

Nous disposons des données estimées, elles font apparaître des difficultés sur les deux tours ; même si Adrexo a subi, selon ses dires - je ne les remets pas en cause - une cyberattaque, cela n'a pas obéré sa capacité à faire le reporting dès avant le premier tour. On constate les premiers incidents dès le début de la distribution par Adrexo, en particulier des distributions erratiques de paquets de plis laissés en tas dans des halls d'immeubles. Un incident plus grave nous a été signalé le 25 mai par la préfecture du Territoire de Belfort, la gendarmerie venant de retrouver dans une commune du Doubs 336 plis abandonnés, dont 50 incendiés ; le bureau des élections du ministère de l'intérieur a aussitôt demandé à Adrexo de prendre des sanctions contre le personnel mis en cause, elles sont actuellement suivies et comprennent des mises à pied et des suites judiciaires ; nous avons également demandé à Adrexo de mettre immédiatement en oeuvre des mesures correctives, ce que l'entreprise a fait puisque 265 plis ont été redistribués, le reste étant malheureusement inexploitable.

Ce même 25 mai, nous avons demandé à Adrexo de ne plus déposer au-dessus des boîtes à lettres les plis qui avaient la bonne adresse, mais un nom qui ne correspondait pas à l'une des boîtes à lettres ; cette mesure avait été prévue dans le marché pour laisser une chance aux personnes qui n'avaient pas inscrit leur nom sur les boîtes à lettres, de disposer quand même de la propagande électorale. Or, cette consigne n'a pas été comprise, ou en tout cas pas correctement comprise et appliquée, ce qui nous a conduits à y renoncer. D'autres défaillances, y compris sur la législative partielle d'Indre-et-Loire, nous ont conduits à convoquer Adrexo le 3 juin pour une réunion, puis j'ai adressé le 10 juin un courrier à ses dirigeants, faisant référence à ces incidents et leur demandant d'être pleinement impliqués dans les mesures de remédiation.

Nous prenons acte du niveau d'exécution tel que déclaré par les opérateurs. Nous le comparons aux années antérieures, où La Poste était seul opérateur. Pour le premier tour, le taux de restitution déclaré par Adrexo s'établit à 5 % pour les départementales, soit environ 1 million de plis non distribués, et 7 % pour les régionales, soit 1,6 million de plis ; il est respectivement de 8 % et 9 % pour La Poste. Ces taux sont proches de ceux des scrutins précédents, avec 8 à 9 % pour les élections municipales de 2020, 8 % pour les européennes de 2019, 6 % pour les présidentielles et législatives de 2017. Et pour les dernières élections départementales et régionales de 2015, le taux avait atteint 7 et 6 %.

Ces évaluations vont être confrontées aux observations des préfectures. Nous avons des doutes sur certaines données d'Adrexo, des préfectures nous disent que les états déclaratifs ne correspondent pas au ressenti de terrain ni à des observations ponctuelles qu'elles ont effectuées.

Pour le deuxième tour, nous relevons des dysfonctionnements liés à des défaillances de Koba Global Services et d'Adrexo, qui se sont cumulées sur le terrain. Les incidents constatés au premier tour nous avaient fait resserrer les communications entre les préfectures et Adrexo. Nous avons constaté alors que la liste des correspondants locaux qu'Adrexo nous avait communiquée conformément à ses obligations contractuelles n'était guère à jour, de nombreux correspondants étant injoignables ou inopérants. Nous avons vivement réagi auprès de la direction d'Adrexo, qui nous a communiqué alors une nouvelle liste où nous avons eu la surprise de constater que plusieurs des correspondants locaux avaient été renouvelés. La réaction de l'échelon local d'Adrexo n'a pas été à la hauteur de l'enjeu, alors que la direction de l'entreprise avait pris conscience du besoin de réagir, en particulier après le rendez-vous que le ministre lui avait fixé au lundi, donc le lendemain du premier tour, pour dire à ces dirigeants que la relation opérationnelle de terrain était insuffisante.

Le dispositif que nous avions mis en place pour signaler et traiter l'information nous a permis d'établir un lien plus rapide et précis avec les élus. Dès le 19 juin, donc la veille du premier tour, j'avais envoyé une instruction - évidemment en étroite relation avec le cabinet du ministre - à chacun des préfets pour mettre en place un dispositif qui reposait sur quatre points : une supervision effective et systématique que la mise sous pli se faisait dans des conditions correctes, nous avons pour cela demandé que soit détaché un agent de la préfecture sur les lieux de la mise sous pli ; l'ouverture d'une cellule opérationnelle de suivi de la distribution de la propagande, associant les élus et le prestataire afin de garantir que tout incident nous remonte bien et que la réponse soit traitée avec la diligence appropriée ; la mise en place, pour les élus et les candidats, d'une boîte fonctionnelle dédiée et d'un numéro de téléphone qui leur permettait, quand ils ne souhaitaient pas appeler directement le préfet ou le sous-préfet, de pouvoir obtenir une réponse et une prise en charge ; enfin, l'information systématique du bureau des élections au ministère, pour recenser tous les événements et les agréger.

Le 24 juin, plusieurs difficultés nous étaient signalées, cette fois pour la mise sous pli, sur la qualité du papier, le séchage insuffisant des documents remis par l'imprimeur avant la mise sous pli. J'adresse alors, le jour même, un courrier à Koba Global Services lui demandant de renforcer ses moyens - nous connaissions bien cet opérateur, qui avait du reste signalé auparavant, si j'en crois les propos que son représentant a tenus devant votre assemblée, les tensions qui pourraient naître du court délai entre les deux tours, et il a manifestement été débordé par l'enchaînement des événements. J'ai appelé par exemple le préfet de l'Isère, parce qu'on signalait des difficultés pour la mise sous pli dans ce département, mais aussi que Koba Global Services avait cessé matériellement de mettre sous pli, alors que l'opération n'était pas terminée ; j'ai appelé le préfet pour vérifier les informations, mais aussi m'assurer que la préfecture mette bien en place un dispositif de remplacement ; j'ai ensuite appelé le directeur général de Koba Global Services, qui m'a assuré que le travail se poursuivait sans changement ; j'ai rappelé la préfecture, qui m'a confirmé que le prestataire avait même commencé à déménager le matériel de mise sous pli, installé dans une salle de spectacle. Il a donc fallu plusieurs allers-retours pour que la direction de Koba Global Services prenne conscience qu'un problème grave se produisait dans l'Isère, qui est pourtant un centre important, et qu'il fallait communiquer avec la préfecture pour trouver une solution.

Pour le deuxième tour, on estime à 22 % le taux global de non-distribution des plis enlevés, soit 3,3 millions de plis pour La Poste et 14 millions de plis pour Adrexo, ce qui s'explique pour partie par le fait que 8 % des plis, soit 7 millions, n'ont pas été produits par les routeurs malgré l'accroissement des horaires, jusqu'au vendredi 21 heures, voire davantage localement, ce qui permettait encore - surtout à La Poste - de distribuer.

Parmi les problèmes rencontrés par les routeurs, figure le séchage de la propagande, notamment pour les listes conduites par MM. Fesneau et Bonneau en Centre-Val de Loire, et pour d'autres cas signalés en Normandie. Cela a pu pénaliser fortement les routeurs RDSL et, pour partie, les distributeurs. Manifestement, les moyens de Koba Global Services étaient sous-dimensionnés, alors que ce dernier s'était engagé auprès de 36 départements. Ce chiffre devait rester stable, mais, pour ce scrutin, de très gros départements comme les Alpes-Maritimes ou les Bouches-du-Rhône qui, jusqu'à présent, réalisaient par eux-mêmes une part significative de la mise sous pli, ont souscrit à des offres attractives qu'il leur avait proposées. L'un des enseignements que nous tirons de cette séquence est que le dispositif mis en oeuvre par les prestataires, sous leur responsabilité et dans le cadre des conventions passées avec les préfectures, est un dispositif industriel qui a poussé ses limites. Ainsi, une grande partie de la propagande des Bouches-du-Rhône était mise sous pli à Saint-Priest dans le Rhône. De ce fait, on ne pouvait pas renforcer Koba Global Services ou le suppléer en cas de problème, car les agents de la préfecture des Bouches-du-Rhône auraient eu beaucoup de mal à se rendre sur place dans des délais aussi courts. Inversement, à Lille, en quelques heures, ce sont 500 agents de l'État - préfectures et directions départementales - qui ont été mobilisés par la préfecture pour mettre sous pli 500 000 documents de propagande. Beaucoup d'autres départements ont réagi de la même manière : je citerai le Finistère, les Côtes-d'Armor, ou la Sarthe, par exemple.

Notre sentiment est que les délais, pour tendus qu'ils aient pu être, étaient tenables, y compris avec une seule semaine dans l'entre-deux-tours, à condition de différencier l'organisation selon les scrutins. C'est notamment l'objet du déphasage entre le dépôt des candidatures, celui des documents et la mise sous pli. Ainsi, pour les départementales, nous avions la main pour aménager le délai et gagner 24 heures : cela relève de chaque préfet, et le bureau des élections a piloté le libre arbitre de chaque préfet en imposant de gagner 24 heures sur la mise sous pli. Je salue à cet égard le travail de dentelle qui a été réalisé par les préfectures, même s'il n'a pas permis de pallier les difficultés rencontrées dans tous les endroits.

À ces défaillances de routage s'ajoutent celles d'Adrexo, qui n'a pas été en mesure d'accomplir sa mission dans le cadre des dispositions contractuelles. Nous faisons droit à l'argument des retards en amont de la distribution, mais, à l'article 2.5 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP), il est écrit que « tous les moyens doivent être mis en oeuvre par le titulaire afin que les plis soient déposés dans les boîtes à lettres des électeurs » et que « le titulaire doit prévoir les mesures palliatives nécessaires pour assurer la distribution des enveloppes en cas de panne ou d'indisponibilité d'une partie des moyens techniques ». On peut donc considérer que cette obligation de résultat n'a été que modérément mise à exécution par les opérateurs, malgré les élargissements des délais, certes décidés parfois avec un préavis très court, comme lorsque nous avons accordé le droit de prendre en charge les plis au-delà du jeudi à minuit.

Mme Nathalie Goulet . - La méthodologie utilisée pour noter les différentes offres en concurrence a fait ressortir un différentiel très défavorable pour La Poste, dont c'est pourtant le métier. Pourriez-vous nous la détailler ?

M. Éric Kerrouche . - Une certaine tolérance a été accordée pour le grammage du papier. Les difficultés en la matière découlent-elles de la fixation tardive des dates du scrutin, qui aurait posé un problème d'approvisionnement en papier ? Cette tolérance a-t-elle eu un impact sur la mise sous pli, et donc sur les délais d'acheminement ? Sur les moyens techniques et humains nécessaires chez les opérateurs, vous avez déjà pointé certaines difficultés, notamment chez Koba Global Services. Nous aurions besoin d'éclaircissements sur les critères de choix, et en particulier sur les moyens déployés sur le territoire, qui semblent assez faibles chez Adrexo, ou sur la capacité de ce dernier à réduire son prix de 30 à 50 % pour chacun des lots entre l'offre initiale et l'offre définitive.

M. François-Noël Buffet , président . - Pour vérifier la capacité économique et financière des candidats au marché de distribution, le ministère a imposé, comme condition de participation à la procédure de passation, la transmission d'une déclaration concernant le chiffre d'affaires global et le chiffre d'affaires concernant les services objet de l'accord-cadre, réalisés au cours des trois derniers exercices disponibles. Est-il habituel que le ministère se contente de telles informations et ne demande pas, par exemple, communication des comptes annuels des derniers exercices, voire de l'état d'endettement ? Le ministère avait-il connaissance, lors de la passation du marché, de la procédure de conciliation récemment ouverte au bénéfice des sociétés Hopps Group, Distri'Hopps et Adrexo, qui avait abouti à la conclusion d'un accord de conciliation homologué le 25 février 2020 ? La société Adrexo a déclaré que les activités objet du marché représentaient 87,5 % de son chiffre d'affaires en 2019. Ce chiffre correspond en fait à l'addition du chiffre d'affaires réalisé grâce aux activités de distribution d'imprimés publicitaires - environ 84 % - et de courriers adressés - environ 3,5 %. Le ministère a-t-il cherché à en savoir plus sur la répartition des activités d'Adrexo ?

M. Jean-Benoît Albertini . - Sur les attributions de notes, je tiens à votre disposition le rapport de présentation et le rapport d'analyse des offres, qui détaillent précisément les critères et sous-critères qui ont été utilisés, en particulier sur l'analyse technique des offres : 60 % de l'appréciation repose sur le critère prix et 40 %, sur l'analyse technique, qui se décompose elle-même en trois sous-catégories, elles-mêmes constituées de deux ou trois rubriques.

Parmi les huit items, l'un de ceux qui ont la pondération la plus forte est l'item 1.1, relatif à la qualité des moyens et de l'organisation déployés pour assurer les relations avec l'administration centrale du ministère de l'intérieur, ce qui prend en compte la capacité de l'opérateur à restituer de manière fiable un certain nombre de données pour piloter l'organisation et, le cas échéant, l'adaptation du dispositif en cours de route. L'item 1.2, également affecté de 64 points, soit le niveau le plus élevé, traite de la pertinence des moyens mis en oeuvre pour réaliser le reporting . Pour nous, c'est peut-être la préoccupation la plus importante. Elle nous a conduits, au moment du renouvellement du marché, à rechercher quels étaient les opérateurs capables d'aller au-delà de ce que proposait l'opérateur historique.

Ces documents sont à votre disposition, en tous cas. Ils ont été élaborés de concert par la direction métier, en charge des opérations électorales et de l'organisation du scrutin, à savoir la direction de la modernisation et de l'administration territoriale, et par la direction support, c'est-à-dire celle prend en charge les achats, l'immobilier, les finances et l'évaluation, dirigée par Vincent Roberti, qui m'accompagne. Une commission a été constituée, composée à parité de représentants des deux directions, y compris la chef du bureau des élections et son chef de service direct, ainsi que le sous-directeur compétent pour toute l'organisation des marchés. Elle a eu à élaborer cette grille d'analyse et à évaluer les offres qui nous avaient été transmises.

Sur le grammage, nous avons souhaité être à l'écoute. Six mois avant chaque scrutin, nous effectuons une revue des fournisseurs, qu'on appelle la revue stratégique : fabricants d'enveloppes, routeurs, opérateurs de mise sous plis, imprimeurs... La question de la disponibilité de la ressource papier était incontournable, et le débat sur le grammage s'est posé à ce propos, en fonction de la disponibilité et de la capacité des machines à absorber un grammage de 80 ou de 70 grammes au mètre carré, et en fonction du prix aussi, qui change beaucoup entre les deux grammages. Je n'étais pas personnellement présent au cours de ces phases techniques - j'ai d'ailleurs pris mes fonctions au début du mois de septembre 2020, soit dans la dernière partie du processus de passation du marché, de même qu'Olivier Jacob et Vincent Roberti. À ma connaissance, ce point ne semble pas être une explication particulière du retard et de l'enchaînement difficile des phases d'impression, de mise sous pli et de distribution. Les questions de mauvais séchage, en certains endroits, étaient davantage liées à la plus ou moins grande humidité de l'air ambiant, notamment en Centre - Val de Loire, qu'à des difficultés liées au grammage du papier.

Ce qui nous a intéressés dans l'offre d'Adrexo, par rapport à celle de La Poste, c'est qu'elle mettait en avant des tournées dédiées à la distribution de la propagande électorale, alors que La Poste prévoyait de l'effectuer dans le cadre des tournées classiques de facteurs, selon son modèle traditionnel, qui est incontestablement robuste, comme la suite l'a montré, mais qui n'est pas souple. Nous avons donc choisi la procédure de marché négocié pour pouvoir interpeller La Poste non pas sur son insuffisance - sa capacité à faire a été éprouvée lors des scrutins précédents -, mais sur sa capacité, pour ne pas dire sa volonté, à être un tout petit peu plus agile dans la restitution de l'information et l'adaptation éventuelle de son système de couverture.

Les marchés antérieurs découpaient le territoire national en sept zones, qui étaient celles à partir desquelles La Poste organise son propre service. Nous avons voulu ouvrir le jeu, y compris à des acteurs de surface régionale, à des PME, en allotissant à la région. Et nous sommes entrés dans deux séquences de discussions à partir de l'été 2020. Nous avons retenu La Poste sur la moitié des lots, mais celle-ci est restée assez proche, malgré les phases de négociation, de son offre initiale, à la fois en prix et en modalités de distribution.

Vous m'avez interrogé, Monsieur le président, sur notre capacité à solliciter d'autres éléments d'information. Mais le code de la commande publique dresse une liste limitative d'éléments qu'il est possible de demander. La presse s'est interrogée sur la connaissance que nous aurions pu avoir de tel ou tel rapport d'expertise comptable, notamment sur la situation financière supposée d'Adrexo, alors que nous n'étions aucunement fondés à demander ces documents. Nous nous en sommes tenus au strict respect de ce que le code prévoit qu'un client puisse demander à des candidats prestataires. Nous avons même, d'ailleurs, exploité, au-delà de la liste de la première liste, la liste des éléments complémentaires qui peuvent être demandés depuis le décret de 2019, pour disposer du maximum d'informations.

Les éléments liés à l'analyse du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) étaient connus sur la place publique, et la presse s'en est fait l'écho. Dans deux publications différentes, connues pour leur sérieux en termes d'analyse économique - Les Échos et Challenges -, ces éléments étaient mis en perspective de manière assez différente : l'une insistait sur la difficulté dans laquelle étaient Adrexo et son groupe de rattachement, l'autre, sur les perspectives qui s'ouvraient après la restructuration provoquée par l'intervention du CIRI. Quoi qu'il en soit, il ne nous était pas possible juridiquement de demander davantage de documents. Vous pouvez croire que nos services techniques spécialisés savent de quoi ils parlent : le ministère de l'intérieur est le premier acheteur civil de l'État, et ce sont des procédures que nous fréquentons de manière quasi quotidienne. Tout le savoir-faire de la direction compétente et de l'équipe en charge a été mobilisé pour ce marché, qui fait partie des marchés très importants que passe le ministère. Je peux donc affirmer que nous sommes allés au maximum des possibilités que reconnaît le code de la commande publique à un client de solliciter des éléments d'information à un candidat prestataire.

Vous avez évoqué la politique de prix d'Adrexo. C'est vrai qu'Adrexo a diminué ses prix au cours de la négociation, mais de manière différenciée. D'après les éléments en notre possession, la marge bénéficiaire d'Adrexo restait de l'ordre de 10 %. Il ne m'appartient pas d'apprécier ce niveau, qui résulte de son calcul économique. En fait, Adrexo était plus cher que La Poste pour la distribution à J+2, et moins cher pour la distribution à J+4. C'est ce qui fait que La Poste a accepté assez facilement la proposition d'Adrexo de sous-traiter une partie des plis - environ 3,5 millions, je crois. En effet, la tarification était supérieure à celle qu'elle avait elle-même souscrite dans le cadre de son propre contrat.

Vous avez évoqué, enfin, le rapport entre le chiffre d'affaires total d'Adrexo et l'objet du marché. Nos documents indiquent pour les autres marchés représentent 87 %. Cela nous a laissé penser qu'il n'y avait pas de déséquilibre économique manifeste, loin de là. Adrexo compte EDF parmi ses clients, par exemple, pour un marché de 3,6 millions de plis : EDF n'est pas réputée pour être peu attentive à la qualité et au suivi de la distribution... Nous avons donc considéré que cet opérateur avait la capacité de faire. D'ailleurs, il bénéficiait de l'agrément de l'Arcep, qui attestait de la capacité juridique d'Adrexo à assurer de la distribution postale.

M. François-Noël Buffet , président . - Cette autorisation n'a qu'un caractère administratif... L'administration avait tout de même un doute sur la capacité d'Adrexo à mettre en place les moyens humains nécessaires à l'exécution du marché. On lit en effet dans le rapport d'analyse des offres : « La taille des effectifs conduit l'administration à s'interroger sur l'adéquation des moyens que le candidat mettra en oeuvre pour la réalisation de la prestation, et ce en dépit du fait que la société affirme dans son offre être capable de mobiliser des ressources exceptionnelles en cas de besoin. » Or quelques semaines plus tard, au moment des opérations, Adrexo déclare ne pas avoir trouvé assez de main-d'oeuvre. Avez-vous été averti par Adrexo de la difficulté rencontrée pour distribuer ?

M. Jean-Benoît Albertini . - Pas avant le deuxième tour. C'est à partir du mercredi soir et du jeudi qu'est formulée la demande de sous-traitance en direction de La Poste, pour laquelle celle-ci nous demande notre aval, que nous donnons évidemment, et que nous notifions à Adrexo. Mais nous n'avions reçu aucune espèce de signalement de difficultés. Parmi les éléments qui ont été demandés au moment de la production de la candidature d'Adrexo, sur les capacités techniques et professionnelles, figurait la situation des ressources humaines pour 2019, 2018 et 2017. La dernière référence produite au dossier attestait de 16 000 personnels de distribution - 15 898 pour être précis - auxquels s'ajoutaient 1 088 personnels fixes, dont 409 cadres. Avec ces 17 000 agents, le ratio avec la population desservie était comparable à celui de La Poste. En tous cas, avant le premier tour, aucune espèce de difficulté anticipée sur ce point ne nous avait été signalée. Si cela avait été le cas, nous serions intervenus de manière très opérationnelle pour demander des garanties supplémentaires à Adrexo.

M. François-Noël Buffet , président . - La différence avec La Poste est sans doute moins quantitative que qualitative. Distribuer du courrier adressé relève d'un certain savoir-faire professionnel.

Mme Cécile Cukierman . - Je vais raccourcir ma question au vu des nombreuses explications que vous venez de donner. Ne manquait-il pas dans l'évaluation une donnée initiale : l'appréciation de la connaissance du métier ? N'importe qui ne s'improvise pas n'importe quoi... Même une entreprise de très grande qualité, avec les meilleures recommandations, si elle change de secteurs d'activité, peut se heurter à des difficultés. Et, pour Adrexo, le pourcentage du pli adressé est assez minime en régime normal. Il aurait sans doute fallu se demander comment seraient formées toutes les personnes qui allaient être recrutées temporairement pour exercer cette mission. Vous dites n'avoir reçu aucune alerte avant le premier tour. Ne faudrait-il pas, par conséquent, renforcer les contrôles par les préfectures dans le temps effectif de la distribution ? Cela permettrait de mieux s'assurer de la bonne réception du matériel électoral.

Mme Brigitte Lherbier . - Vous nous avez dit que la gendarmerie avait trouvé des plis, et que cela allait déclencher des sanctions, des dépôts de plainte, mais par qui ? Les candidats ont-ils réagi ? Ou est-ce une simple procédure administrative ? Vous avez dit que La Poste ne vous a pas semblé suffisamment souple. Qu'entendez-vous exactement par le mot « souplesse » en l'espèce ?

M. Éric Kerrouche . - Vous dites qu'il n'y a pas eu de difficultés avant le deuxième tour : étonnant ! Nous en avons parlé dans le cadre des questions au Gouvernement avant le premier tour... Pour rebondir sur ce que vient de dire ma collègue Cécile Cukierman, dans la façon dont vous vous êtes exprimé tout à l'heure, on pouvait avoir l'impression - mais peut-être vais-je trop loin dans mes conclusions - que vous avez utilisé Adrexo pour aiguillonner La Poste, dont le modèle vous a semblé robuste, mais pas assez souple. Vous avez pensé que c'était l'occasion de faire quelque chose avec Adrexo, ce qui s'est avéré une vraie réussite... Allez-vous revoir les critères d'attribution du marché pour les scrutins de 2022 ? Comment appréciez-vous l'efficacité de la propagande dématérialisée, au regard de son coût ?

M. Stéphane Le Rudulier . - La lecture du cahier des charges initial révèle qu'une faible importance est accordée aux moyens humains déployés par l'opérateur s'agissant de la distribution : 32 points sur 1 000 ! Le président de la société Adrexo nous a dit qu'il avait eu recours à de la sous-traitance, ou en tout cas à des sociétés d'intérim, à hauteur de plus de 60 % par rapport aux effectifs initiaux. Aviez-vous connaissance avant l'attribution du marché de ce modèle économique ? Pour les scrutins ultérieurs, pensez-vous, comme le ministre de l'intérieur, que la distribution de la propagande officielle étant un service public essentiel pour la vitalité de notre démocratie, il faut impérativement changer de modèle pour un service public de distribution, à savoir La Poste ?

M. Alain Richard . - Je comprends de l'intervention de la société Adrexo que le marché, pluriannuel, reste en vigueur. Je comprends aussi que ce marché permet de répartir autrement la charge de travail entre ses deux bénéficiaires. Compte tenu des défaillances d'Adrexo, qui sont maintenant avérées, envisagez-vous de le résilier ? Y a-t-il une base légale pour cela ? L'expérience de cette élection, avec un double scrutin complet, dans les conditions actuelles, notamment de préparation des envois, ne suggère-t-elle pas qu'il serait opportun de prévoir un délai de quinze jours entre les deux tours des élections législatives ?

Mme Nathalie Goulet . - Ex post , avez-vous le sentiment d'avoir fait le bon choix ? J'ai le sentiment, en vous écoutant, que vous avez priorisé le reporting sur l'exécution. Quelles seront les sanctions ?

Mme Valérie Boyer . - On sait parfaitement que les sociétés comme Adrexo ou d'autres utilisent énormément de sous-traitance. Je suis très surprise que, pour un marché de cette ampleur, avec une mission de cette importance, il n'y ait pas d'éléments qui permettent d'endiguer cette sous-traitance, ou en tout cas de prendre des garanties. Quelles mesures prendre pour en avoir à l'avenir, notamment sur la nature de la sous-traitance et la réalité des personnels embauchés ?

M. Jean-Benoît Albertini . - Certes, le métier de distribution de correspondance non adressée est fondamentalement différent de celui de distribution de la correspondance adressée. Le sourcing , qui a commencé au début de l'année 2020, a débouché sur l'identification des deux seuls opérateurs susceptibles de concourir à la phase de négociation. Nous avons été convaincus que les deux dimensions de ce métier de distribution postale avaient suffisamment à voir ensemble pour que nous n'ayons pas d'inquiétude particulière sur la proposition d'Adrexo. Cette appréciation a été documentée tout au long du processus de discussion, par les personnes qui, notamment au ministère de l'intérieur, sont des spécialistes de l'ensemble des fonctions logistiques, y compris pour satisfaire aux besoins des forces de sécurité intérieure. Du reste, nous n'avons pas la possibilité d'extrapoler des motifs de non-recevabilité de l'offre qui ne seraient pas formellement adossés à une disposition du code de la commande publique.

Je n'ai pas dit que le premier tour s'était déroulé sans incident, mais que, sous réserve de contradictions dans le cadre de la procédure que nous sommes en train d'instrumenter pour vérifier les déclarations des opérateurs, et particulièrement d'Adrexo, les taux de plis non distribués étaient globalement comparables à ceux des consultations antérieures. Je n'ai aucunement minimisé la portée et la gravité des incidents survenus. J'ai parlé d'ailleurs de celui de Belfort, où la plainte a été déposée par Adrexo à notre demande - et je n'ai aucune raison de penser que cela n'aurait pas été fait. Comme j'ai été préfet du Territoire de Belfort, j'ai été contacté directement par votre collègue Cédric Perrin, qui de surcroît accompagnait le ministre de l'intérieur en Tunisie... Le sujet était donc sur la table, et nous nous en sommes saisis - comme nous l'aurions fait, dans les mêmes conditions, si ce n'avait pas été le Territoire de Belfort. La plainte a été déposée et, d'après mes dernières informations, l'audience est déjà prévue. En tous cas, les conditions globales du premier tour ne traduisaient pas un défaut systémique de l'ampleur de celui que nous déplorons pour le deuxième tour. Il ne s'agit pas d'un satisfecit, mais d'un élément de comparaison.

Dans la comparaison des offres de La Poste et d'Adrexo, l'idée n'était pas de mettre en défaut La Poste, qui est un opérateur que j'ai qualifié de robuste : il a fait ses preuves et on peut compter sur lui. Mais nous voulions aller plus loin, notamment dans la capacité de reporting . Nous aurions été heureux de disposer d'une instrumentation partagée qui nous permette de disposer en temps réel, ou en très léger différé, quotidiennement, à la fois en local et au plan national, d'une agrégation des données que, jusqu'alors, nous ne recevions que plusieurs semaines après.

Oui, les difficultés de premier tour ont donné lieu à deux questions au Gouvernement. Je tiens à votre disposition la liste des réactions, des réponses, des initiatives que nous avons prises, y compris par lettres, et par rendez-vous au niveau du ministre, pour donner suite à ces difficultés au premier tour. Le ministre a reçu dès le lundi matin M. Wahl et les dirigeants d'Adrexo : ce n'était pas pour les féliciter, mais pour qu'ils aient bien conscience de l'exigence qualitative qui se portait sur le deuxième tour. Tous deux l'ont bien compris, et ont réitéré par écrit, dès la sortie du rendez-vous avec le ministre, leur engagement à consacrer tous leurs efforts à l'amélioration du processus.

Vous m'interrogez sur une révision des critères d'attribution pour 2022. Nous sommes tendus vers la préparation des scrutins de 2022, sans exclure d'autres consultations éventuelles - élections partielles, référendum - d'ici là. Nous réfléchissons, comme le ministre l'a dit devant votre assemblée, à une probable résiliation du marché avec Adrexo, au terme du contradictoire que nous engageons avec lui. Nous sommes en phase d'examen. Adrexo reconnaît un certain nombre de manquements, et nous en avons une évaluation provisoire, en nombre de communes où la distribution a été gravement atteinte, près de dix fois supérieure... Le but de la procédure est d'objectiver le plus possible et d'en tirer les conséquences, notamment en termes de pénalités, afin de nous remettre en capacité de pouvoir porter de manière fiable les scrutins à venir. Mais le marché court tant qu'il n'est pas dénoncé. C'est un marché quadriennal et Adrexo est tenu d'assurer une prestation, pour des élections partielles comme pour des élections générales. Nous serons d'autant plus vigilants, pendant cette phase intermédiaire, pour prévenir et traiter le cas échéant des difficultés qui pourraient apparaître. Et nous nous mettons en situation, si la résiliation venait à son terme, d'avoir un relais, qui serait pris très probablement par La Poste, puisque c'est le seul opérateur qui soit en situation de le faire. Quelles que soient les marges de progrès qui peuvent exister, nous savons pouvoir compter sur La Poste. Les services compétents sont en train de lancer un appel aux marchés, qui évidemment ne produira ses effets que s'il y avait résiliation, pour que le relais puisse être pris, probablement à partir du début du mois de décembre, pour les lots attribués actuellement à Adrexo.

Vous m'interrogez sur la qualité de l'information dont nous disposions concernant la sous-traitance. Nous ne recevions pas, de la part d'Adrexo, de précisions sur le taux de sous-traitance. Il nous a toujours dit qu'il recruterait des renforts, et qu'il mettrait surtout en place des équipes renforcées à partir des régions où il n'avait pas été retenu - et où il n'était d'ailleurs pas candidat - pour renforcer ses équipes par des effectifs en CDI, en temps partiel ou intérimaires mais déjà connus.

Je souligne toutefois que, pour la mise sous pli par exemple, que les préfectures exercent en régie, celles-ci le font assez souvent en lien avec des collectivités territoriales - ce qui n'appelle pas de remarque particulière - et que certaines de ces collectivités ont parfois elles-mêmes recours à de la sous-traitance. Je pense notamment à plusieurs intercommunalités importantes. Nous avons maints exemples de situations dans lesquelles la régie de la préfecture, qui délègue, sous son contrôle, à une collectivité, peut conduire cette dernière à recourir à la sous-traitance, sans que nous le sachions. Nous nous sommes aperçus, en fait, que ce système de sous-traitance en cascade, de la part d'Adrexo comme de toutes les autres catégories d'acteurs, était un phénomène qui avait pris beaucoup d'ampleur et qui s'était quasiment généralisé.

Vous évoquez l'avenir du service public postal. Je ne puis m'exprimer que d'un point de vue technique et administratif, et non politique : il faudrait une initiative législative, que le ministre de l'intérieur n'a pas exclue d'ailleurs. L'option est sur la table. Pour nous, nous allons inciter le plus possible les préfectures à réinternaliser et à reprendre le contrôle à vue de ces dispositifs. Le rapport de confiance traditionnel avec les collectivités territoriales peut perdre en réactivité lorsque le recours à la sous-traitance est trop développé. Actuellement, près des trois quarts des préfectures ont externalisé ses prestations, contre la moitié il y a dix ans. Nous avons insisté pour que, à l'approche de ce scrutin, que nous savions à enjeu, ce mouvement d'externalisation ne soit pas renforcé. Il a été suspendu, même si deux départements importants, les Bouches-du-Rhône et les Alpes-Maritimes, ont délibérément choisi l'externalisation. Nous nous consacrons également à la mise en cause d'Adrexo en vue de pénalités pour carence. Nous préparons les scrutins de 2022 et les éventuelles échéances intermédiaires.

Vous m'interrogez, enfin, sur la propagande dématérialisée. Nous avons beaucoup communiqué sur ce point. Je peux vous confirmer que 86 % de tous les documents de propagande pour les élections régionales ont été mis en ligne. Il faut l'accord des candidats pour le faire. Nous l'avons sollicité, mais nous ne l'avons pas toujours obtenu. Cette proportion s'établit à 75 % pour la propagande départementale. Je sais que la question est débattue depuis longtemps, mais, d'un point de vue technique, nous sommes depuis longtemps partisans que la solution soit proposée à celles et ceux qui le souhaiteraient, d'un accès en ligne à la propagande dès lors qu'ils en feraient la demande explicite. Techniquement et civiquement, c'est une solution qui est viable, et d'avenir.

M. François-Noël Buffet , président . - Une précision : nous avons parlé de sous-traitance, mais il ne s'agit pas en réalité de sous-traitance sur le plan juridique. Les entreprises attributaires des marchés ont eu recours à des intérimaires, mais elles sont restées dans la maîtrise - si l'on peut dire - de l'opération. Le marché que vous avez passé est national. Pourquoi ne pas avoir choisi des marchés régionaux ou départementaux ?

M. Jean-Benoît Albertini . - Oui, c'est un marché national, piloté nationalement et négocié nationalement, mais par lots, de tailles correspondant à une échelle régionale, ce qui aurait pu permettre à certains opérateurs de distribution qui sont reconnus à cette échelle de soumissionner. Nous constatons qu'ils ne l'ont pas fait. Nous avons pris acte de ce qu'Adrexo l'avait fait, sur sept lots seulement. C'est un marché piloté nationalement, mais avec une déclinaison locale, à travers un allotissement à mailles plus fines que ce qui était pratiqué antérieurement, car on aurait pu considérer que le ministère ne remplissait pas son devoir d'équité par rapport aux soumissionnaires potentiels en gardant une maille qui était celle, en gros, des zones de découpage propres à La Poste.

M. François-Noël Buffet , président . - Et pourquoi pas une maille départementale ?

M. Jean-Benoît Albertini . - Cela aurait engendré des difficultés de suivi particulièrement lourdes, si l'on voulait le piloter nationalement.

M. François-Noël Buffet , président . - Merci de votre participation.

Audition de MM. Philippe Grenier, président, et Édouard Martin, directeur général, de Koba Global Services, Benjamin Chevallard, chargé de la propagande électorale, et Loïc Lefebvre, directeur du développement, du Groupe Diffusion Plus

(Mardi 13 juillet 2021)

M. François-Noël Buffet , président . - Nous sommes réunis dans le cadre de la mission d'information, dotée des pouvoirs de commission d'enquête, sur les dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales de juin 2021 et résultant en particulier de la distribution de la propagande électorale.

Nous recevons ce matin  Philippe Grenier, président, et M. Édouard Martin, directeur général, de Koba Global Services ainsi que  Benjamin Chevallard, chargé de la propagande électorale, et M. Loïc Lefebvre, directeur de développement, de la société Groupe Diffusion Plus.

Cette audition est ouverte à la presse et est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sur la chaîne parlementaire Public Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je le rappelle, pour la forme et par obligation légale, un faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Philippe Grenier, Édouard Martin, Benjamin Chevallard et Loïc Lefebvre prêtent serment.

M. François-Noël Buffet , président . - Nous souhaiterions éclaircir avec vous un certain nombre de points. Les personnes que nous avons auditionnées font état certes de problèmes de distribution de la propagande électorale, mais également de difficultés en termes de routage, à savoir la capacité à préparer dans les temps voulus les plis en vue de leur distribution. La société Koba Global Services avait environ un tiers des départements à gérer, contre 7 % pour la société Groupe Diffusion Plus.

Pourriez-vous nous présenter vos sociétés respectives, ainsi que le nombre et le volume des marchés publics dont elles sont titulaires pour la mise sous pli des documents de propagande électorale et le colisage des bulletins de vote ? Par ailleurs, de quels moyens humains et matériels disposiez-vous pour remplir cette mission ? À cet égard, je rappelle que la distribution de la propagande électorale est une activité très particulière en ce qu'elle est l'aboutissement de notre système démocratique, permettant d'informer nos concitoyens de leur devoir d'aller voter et de porter à leur connaissance les différentes candidatures, en l'espèce, aux élections départementales et régionales. De surcroît, la distribution de plis adressés est très spécifique.

Enfin, nous aimerions savoir si vous avez eu recours à l'intérim.

Nous vous remercions de bien vouloir répondre à cette première série de questions.

M. Loïc Lefebvre, directeur du développement de la société Groupe Diffusion Plus . - La société Groupe Diffusion Plus, qui est une entreprise de taille intermédiaire (ETI) familiale française, oeuvre dans la mise sous pli des documents de propagande électorale depuis six ans. Ce n'était donc pas un coup d'essai ! Cette activité représente cette année un chiffre d'affaires de 3,5 millions d'euros environ sur un total de 120 millions.

Nous avons opéré, pour la région Normandie, dans les départements de la Seine-Maritime, de l'Eure et de l'Orne à hauteur respectivement de 870 000 plis, 430 000 plis et 205 000 plis ; pour la région Île-de-France, dans les départements de la Seine-et-Marne et du Val-d'Oise ; et, pour la région Bourgogne-Franche-Comté, dans les départements de la Nièvre et de la Saône-et-Loire. Le volume de plis était à peu près équivalent à celui que nous avions accepté lors des élections précédentes. Je précise que nous avons refusé des demandes émanant de plusieurs préfectures : la configuration des élections ne nous permettait pas de prendre des volumes supplémentaires.

Nous déposons chaque année 1 milliard de plis dans nos usines. Avec 3,7 millions d'électeurs, cette activité a représenté environ 15 millions de plis pour les deux élections, soit une faible proportion par rapport au volume global. Toutefois, l'activité était concentrée sur une période extrêmement courte, d'où la criticité de l'opération.

Permettez-moi de souligner en préambule que les problèmes concernent le deuxième tour. La mise sous pli pour le premier tour a été terminée avec plusieurs jours d'avance : 5 à 6 jours d'avance pour les départementales et 3 jours d'avance pour les régionales. Les problèmes se sont cristallisés lors du deuxième tour. Mais, grâce à l'ensemble des soupapes de sécurité que nous avions prévues, nous avons produit et déposé en temps et en heure 98 % des volumes qui nous étaient confiés au deuxième tour à cause d'un problème de transport imprévu entre deux sites, puis 100 %.

Néanmoins, nous avons constaté, comme l'ensemble de la profession, des difficultés liées au double scrutin, que nous avions d'ailleurs évoquées lors de notre audition devant votre commission en décembre dernier - nous avions demandé un délai supplémentaire. À cette difficulté se sont ajoutées des complexités dues au temps de séchage des documents, à l'hygrométrie de la période de production, à la crise sanitaire, mais nous y reviendrons ultérieurement si vous le voulez.

M. Philippe Grenier, président de Koba Global Services . - L'entreprise existe depuis quarante ans, et nous gérons l'activité liée aux élections depuis plus de vingt-cinq ans : celle-ci a démarré en 1995 avec 200 000 plis pour la Seine-Maritime et nous traitons aujourd'hui les documents à destination de 15 à 25 millions d'électeurs par tour d'élection, avec un process 100 % industriel. Nous sommes dimensionnés industriellement pour répondre aux marchés qui nous ont été notifiés et, à l'inverse de Groupe Diffusion Plus, nous n'avons pas de machines complémentaires pour doubler notre capacité.

Pour vous donner un ordre de grandeur des volumes, pour le premier tour, nous avions 32 116 529 plis à traiter. Nous avons produit 100 % des plis sans incidence aucune. La répartition était la suivante : un peu plus de 14 millions de plis pour les départementales et 17 millions pour les régionales : 35 préfectures sont clientes, avec une ville en sous-traitance. Nous avons alimenté 642 cantons - 698 au premier tour - ; nous sommes titulaires de marchés dans 5 régions - Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), Nouvelle-Aquitaine et une partie de l'Occitanie - et nous produisons aussi les colis des bulletins de vote qui vont dans les mairies, ce qui a représenté 9 445 communes, pour les départementales et les régionales.

Au niveau des moyens de production, Koba Global Services a deux sites de production historiques, basés à Creil et à Bordeaux. Et, lors de chaque élection, un site éphémère est prévu à Lyon. Pour répondre au double scrutin dans des temps très contraints, nous avons mis en place vingt-sept cellules sur l'ensemble du territoire dans des lieux assez inhabituels - des salles de spectacle, l'aéroport de Nice, des parcs des expositions. Trois cellules ont été installées dans l'Oise, sept en région Auvergne-Rhône-Alpes, six en région PACA, neuf en Nouvelle-Aquitaine et deux en Occitanie.

Concernant les moyens techniques et humains, nous disposons de 52 assembleuses, 41 matériels de mise sous pli ou de mise sous film et 2 540 tables dans les vingt-sept cellules pour une mise sous pli manuelle ; 8 500 personnes ont été mobilisées pour le deuxième tour.

M. Éric Kerrouche . - J'ai bien entendu votre exposé, mais que s'est-il passé ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

M. Stéphane Le Rudulier . - On parle de millions de plis non distribués. Dans la chaîne de responsabilités - il n'y a certes pas qu'un seul responsable -, selon vous, quelle proportion de manquements peut-on vous imputer ?

M. François-Noël Buffet , président . - Avez-vous pu remplir à la date prévue l'ensemble de votre mission de remise de plis aux distributeurs ? La mise sous pli a-t-elle été faite, à quelques heures près, dans les délais ? Si non, quel a été le délai supplémentaire nécessaire, voire pour quelles raisons n'avez-vous pas pu la faire ?

Mme Valérie Boyer . - Avez-vous eu recours à la sous-traitance, dans quelles proportions et pour quel type de tâches ? Si oui, combien de temps avez-vous consacré à la formation des sous-traitants ? Avez-vous l'habitude de travailler avec eux ? Comment vérifiez-vous la qualité de leur travail ?

M. Loïc Lefebvre . - Groupe Diffusion Plus a géré la demande de délai supplémentaire avec les préfectures et le ministère de l'intérieur. Dans le cadre qui a été autorisé, 98 % de la production a été terminée le vendredi midi et 100 % à 14 heures - une navette a dû traverser Paris. M. Albertini a indiqué hier que l'accord a été implicitement repoussé le vendredi à 21 heures. Il a d'abord été différé le vendredi matin, puis à 21 heures.

La question de la chaîne de responsabilité, c'est la vraie question. Les routeurs sont au milieu de la chaîne. Nous sommes alimentés par les imprimeurs, le premier maillon de la chaîne - encore que les candidats, avec la validation de leur profession de foi, constituent le premier maillon. Nous donnons les plis aux opérateurs postaux - le deuxième maillon. J'ajoute que, lorsque nous avons accepté les marchés, nous ne savions pas qu'il y aurait un second opérateur postal ; nous pourrons revenir sur la conséquence de cette nouvelle contrainte dans nos usines.

M. François-Noël Buffet , président . - Vous pouvez l'évoquer maintenant.

M. Loïc Lefebvre . - Vous doublez la complexité du travail : il faut faire deux ordres de fabrication sur machine, un pour La Poste et un pour Adrexo ; il y a deux interlocuteurs, deux administrations des ventes ; il faut remplir deux contenants différents. En fait, la multiplication du nombre d'opérateurs de distribution complexifie le travail dans les usines.

Mme Valérie Boyer . - Je ne comprends pas.

M. Loïc Lefebvre . - Vous devez gérer deux typologies de prestataires différentes, des développements informatiques différents.

Mme Valérie Boyer . - La mise sous pli est identique. Les professions de foi sont les mêmes, qu'elles soient distribuées par La Poste ou par un autre opérateur. En quoi est-ce différent ? C'est l'étiquetage sur les plis qui est différent à gérer ? Les plis sont distribués par bureau de vote, et non pas par ordre alphabétique.

M. Benjamin Chevallard, chargé de la propagande électorale de la société Groupe Diffusion Plus . - Le cahier des charges est différent pour ce qui concerne la logistique postale entre Adrexo et La Poste. Nous sommes obligés de mettre les plis dans des contenants différents ; l'ordre de tri est différent - l'organisation de production est donc très différente d'une chaîne à l'autre.

Mme Valérie Boyer . - Pourquoi ?

M. Benjamin Chevallard . - C'est lié à la finesse du tri : l'opérateur postal nous demande d'aller plus loin dans la préparation physique des plis pour gagner du temps dans la distribution.

M. Loïc Lefebvre . - Quand le ministère a choisi d'intégrer un deuxième opérateur, il s'est ensuivi un certain nombre de réunions avec ce dernier entre le moment où il a défini son cahier des charges lors de la soumission de son appel d'offres et le moment où nous sommes passés en production. Nous avions alors expliqué que nous ne pouvions pas tenir les délais avec le cahier des charges tel qu'il nous avait été présenté. Adrexo a fait évoluer son cahier des charges, il faut le reconnaître, pour coller au plus proche de nos usines de production. Chaque opérateur a ses spécificités.

Mme Valérie Boyer . - Je n'arrive pas à comprendre. L'appel d'offres est unique, quel que soit le distributeur...

M. Édouard Martin, directeur général de Koba Global Services . - Nous avons tous répondu à un appel d'offres en 2019-2020. Les marchés avec les préfectures étaient basés sur une distribution faite à 100 % par La Poste. Nous n'avons pas eu d'avenant avec l'arrivée du second opérateur. Nous avons dû prendre en compte les nouvelles contraintes d'Adrexo, avec une double production et une double gestion. Nous avons donc subi l'arrivée d'un nouvel entrant sur un marché pluriannuel.

Mme Valérie Boyer . - Votre cahier des charges a été modifié en cours d'exécution du marché ?

M. Édouard Martin . - Oui.

M. Stéphane Le Rudulier . - À quelle date avez-vous eu connaissance du second opérateur ? Combien de temps vous a-t-il fallu pour réviser l'ensemble de vos process ? La concomitance des deux scrutins a-t-elle eu un impact sur votre mission première ?

M. Guy Benarroche . - Je suppose que vous aviez déjà travaillé avec Adrexo. Vous connaissiez donc leurs méthodes de travail.

M. Philippe Grenier . - Nous avons eu connaissance du marché d'Adrexo en septembre ou en octobre 2020.

M. François-Noël Buffet , président . - Le marché a été attribué en décembre 2020.

M. Philippe Grenier . - J'avais un doute sur la date. De décembre 2020 jusqu'au premier tour, tous les routeurs ont travaillé sur le mode opératoire. Nous avons affiné notre process pour les bacs, les contenants, les étiquetages afin de trouver le juste équilibre entre les besoins d'Adrexo, qui sont tout à fait compréhensibles, et nos outils de production, que nous avons dû adapter.

Pour ce qui concerne Koba Global Services, le cahier des charges d'Adrexo a été modifié la veille du deuxième tour.

M. François-Noël Buffet , président . - Pour quelle raison ?

M. Philippe Grenier . - Adrexo devait nous livrer dans les vingt-sept cellules les mêmes types de contenants que La Poste avait l'habitude de nous livrer, à savoir des bacs, des rolls.

Il y a une approche purement industrielle, avec des gros bacs à la sortie de la machine ; et une approche manuelle, avec des petits bacs contenant 200 ou 300 plis, qui sont ensuite installés sur des rolls. C'est cette manipulation manuelle qui aurait dû être mise en oeuvre dans les cellules. Mais la veille du démarrage de nos opérations, ou deux jours avant, Adrexo nous a informés par mail qu'il ne nous livrerait pas de bacs, ni de rolls.

M. François-Noël Buffet , président . - Comment avez-vous fait ?

M. Philippe Grenier . - Ils devaient nous livrer des grands kubs, des cartons, quelques rolls. À deux jours du démarrage, la chaîne de travail dans les cellules a été complètement bouleversée. Je ne vous le cache, nos relations se sont légèrement tendues, pour ne pas dire plus...

M. Loïc Lefebvre . - Groupe Diffusion Plus avait uniquement un processus industriel. Nous avons discuté ensemble du cahier des charges. L'ensemble des maillons de la chaîne, des imprimeurs aux distributeurs, en passant par les routeurs, a vraiment intérêt à travailler main dans la main. C'est cette coconstruction que nous avons privilégiée, y compris avec La Poste, qui a également fait évoluer son système d'information : elle a demandé sur les e-bordereaux un certain nombre de nouvelles informations.

Concernant la sous-traitance, nous n'y recourons pas, sauf si vous considérez que l'intérim en fait partie. Nous avons opéré directement dans nos usines les marchés que nous avons signés.

M. François-Noël Buffet , président . - Quelle est la proportion de l'intérim ?

M. Loïc Lefebvre . - Pour le deuxième tour, sur un total de 15 000 heures de travail, la proportion est de 8 000 contrats à durée indéterminée et 6 500 intérimaires.

Vous nous demandez si le double scrutin a été un problème. Il a clairement été le problème du deuxième tour, d'autant que les élections départementales ont été complexes.

Avant de lancer la production des documents de propagande pour les régionales, nous avions trois bons à rouler parce que nous nous opérions dans trois régions. Les productions sont communes aux départements de la même région. Pour les départementales, nous avions 183 bons à rouler. Le cumul des élections n'est pas un problème en soi s'il s'agit de scrutins simples, industrialisables. Mais si l'un est complexe, il en va différemment.

M. François-Noël Buffet , président . - Monsieur Grenier, quelle est la proportion de l'intérim chez Koba Global Services ?

M. Philippe Grenier . - La proportion est très variable selon qu'il s'agit de sites industriels ou de cellules : 50 % d'intérim pour les premiers - des habitués pour les trois quarts d'entre eux -, des personnels expérimentés et d'encadrement chez Koba Global Services ; et 8 000 intérimaires dans une cellule, à savoir quasiment 100 %, car ces emplois ne demandent pas de compétences particulières ; Koba Global Services assure l'encadrement et la formation. Nous avons toujours fonctionné de la sorte, y compris sur le site éphémère.

M. Stéphane Le Rudulier . - Monsieur Grenier, avez-vous fait part de vos difficultés avec Adrexo aux services préfectoraux ? Quelle a été leur réponse ?

Monsieur Lefebvre, qu'entendez-vous pas scrutin simple ? Est-ce par rapport au nombre de candidats ?

M. Éric Kerrouche . - Si je vous ai bien compris, il est plus simple de ne travailler qu'avec un seul distributeur. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Un entre-deux-tours de quinze jours serait-il de nature à résoudre les problèmes que vous avez rencontrés ? Doit-on l'envisager dans le cas d'une double élection ou faut-il le généraliser ?

Mme Valérie Boyer . - Je reste perplexe. On a l'impression que c'était la première fois qu'était organisé un double scrutin. Or, il n'en est rien, et c'est la première fois que nous avons connaissance de difficultés de cette ampleur. Le cas de figure était pourtant strictement identique, avec des élections départementales et régionales. Quels problèmes avez-vous rencontrés cette année ?

M. François-Noël Buffet , président . - Certes, deux élections ont eu lieu en 2015, mais l'une a été organisée en mars et l'autre en décembre. C'est précédemment encore qu'avait été organisé un double scrutin.

Mme Cécile Cukierman . - Chaque élection a évidemment ses particularités, mais on ne découvre pas les difficultés d'un entre-deux-tours en une semaine... On savait de manière anticipée que ces deux scrutins allaient avoir lieu, et donc qu'il convenait de renforcer les moyens humains et matériels pour satisfaire cette exigence démocratique.

Nous avons connu par le passé des élections concomitantes, des élections municipales et des élections départementales. La difficulté ne tient pas, me semble-t-il, à l'impression de quatre noms ou de deux noms sur un bulletin de vote... Les problèmes sont-ils dus à la situation sanitaire ? Faut-il anticiper de nouvelles contraintes ? Sont-ce les résultats du premier tour, avec des triangulaires, voire des quadrangulaires, dans nombre de régions, qui ont posé problème ? Ces contraintes matérielles nous imposent-elles de revoir notre système démocratique ? Il serait préoccupant que la démocratie doive s'adapter à des problématiques matérielles.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les spécificités de ce scrutin ? Dans certaines régions, des candidats sortants auraient pu être élus dès le premier tour... Le débat aurait été tout autre si deux présidents de région sortants avaient été élus dès le premier tour.

J'entends les difficultés matérielles qui sont les vôtres en tant que professionnels, mais on ne préjugera jamais des résultats du premier tour. Comment, collectivement, pouvons-nous anticiper les problèmes ?

M. Guy Benarroche . - Vous avez défini quatre causes aux anomalies que vous avez connues : les doubles scrutins, le laps de temps rapproché entre les deux tours, les doubles opérateurs de distribution, et, enfin, le changement inopiné de processus imposé par l'un des deux opérateurs quarante-huit heures avant le second tour. Certaines de ces causes ont dû être décisives en vous empêchant de remplir totalement votre mission, entraînant nombre d'incidents lors de la distribution. Toutefois, je ne parviens pas, à l'instar de mes collègues Éric Kerrouche et Cécile Cukierman, à identifier ce qui nécessite une correction impérative pour éviter que la situation ne se reproduise.

M. Philippe Grenier . - Qu'a-t-on réussi et qu'a-t-on raté dans le traitement des volumes ? Il faut le reconnaître, tout n'a pas été parfait. Néanmoins, lors des élections départementales, nous avons réussi à atteindre 90,71 % de notre objectif, soit 12, 948 millions de documents sur 14, 274 millions, pour un total de 54 heures - 36 heures plus 18 heures -, et pas 60 heures comme cela a été dit hier. Ces élections sont les plus complexes à organiser, compte tenu du nombre de candidats par canton, mais nous n'avons pas connu de problèmes majeurs lors du premier tour. À l'inverse, pour les régionales, qui sont beaucoup plus simples, nous n'avons pas été très bons, avec un taux de réussite de 62 %, très variable en fonction des départements - 100 % à certains endroits et 27 % à d'autres.

Oui, nous sommes évidemment en relation permanente avec le ministère de l'intérieur, la société Adrexo et La Poste, qui a dû s'adapter aux vingt-sept cellules et à une organisation qui n'était pas prévue au départ. Ce ne fut pas facile, on peut même parler d'un véritable casse-tête, notamment pour les contenants, l'organisation et les transports. Mais globalement, les choses se sont très bien passées. Avec Adrexo, nous avons eu des échanges de mail, mais le problème est que l'on ne savait pas à qui s'adresser. Avec La Poste, on ne s'adresse pas au président ; nous avons des relais régionaux, locaux, voire sur site, et on essaie de trouver des équilibres justes entre leurs besoins et nos problématiques. Notre relation avec Adrexo était plutôt commerciale, puis technique et locale, et nous avons connu de vraies difficultés pour avancer. J'en veux pour preuve que nos relations se sont tellement dégradées qu'une préfète a pris son téléphone le 24 juin pour jouer le rôle de médiateur - je l'en remercie !

M. François-Noël Buffet , président . - Où cela s'est-il passé ?

M. Philippe Grenier . - Je vous le dirai en aparté, car la situation a été très difficile...

Adrexo a-t-elle été la cause de tous nos problèmes ? Clairement non, sinon nous aurions été uniquement pénalisés en région Auvergne-Rhône-Alpes. Nous avons eu des difficultés en région PACA, en Nouvelle-Aquitaine, en Occitanie - mais un peu moins -, et en Île-de-France pour des raisons très différentes. Pour ce qui est de la région Nouvelle-Aquitaine, que nous traitons historiquement depuis plus de dix ans, quand vous avez 5 candidats, donc 10 documents à mettre sous plis en 36 heures pour les élections régionales, cela coince ! On pourrait le transposer dans une moindre mesure en Île-de-France : 4 candidats, 8 documents...

Donc, au-delà du double scrutin, les 36 heures restent un véritable sujet dans les élections des cinq ou dix dernières années.

M. François-Noël Buffet , président . - Si je comprends bien, et pour reprendre un peu différemment les propos de Mme Cukierman, le cumul du deuxième tour d'une élection, où il peut y avoir trois ou quatre candidats, avec une autre élection pose incontestablement problème dans le délai qui vous est imparti.

M. Philippe Grenier . - Sauf si l'on divise par deux nos volumes ou si l'on refuse des marchés comme ceux que nous avons signés entre 2014 et 2018, nous aurons un problème en 2022. Pour les législatives, si l'on maintient les 36 heures, nous aurons un problème. Je l'ai dit en 2020 pour le double scrutin, et je l'ai redit en début d'année. Mais ces 36 heures ont été maintenues.

M. François-Noël Buffet , président . - Pour les législatives, le maintien au deuxième tour est un peu plus compliqué, car les candidats doivent obtenir un nombre de voix égal à 12,5 % des inscrits sur les listes électorales. Mais cela peut se produire pour les triangulaires.

M. Loïc Lefebvre . - Je voudrais apporter un complément d'information, qui tiendra lieu de réponse à plusieurs questions, notamment sur les raisons qui expliquent les difficultés rencontrées. Chez Groupe Diffusion Plus, nous sommes solidaires au sein de la filière que nous représentons, mais le premier problème qui a entraîné des dysfonctionnements en chaîne a donné lieu à des communications à l'ensemble des préfectures, voire à un procès-verbal de constat sur site concernant la qualité de séchage des documents. Les bourrages ont eu un impact direct sur la cadence des machines, à tel point que nous avons décidé de faire des photos et de les envoyer aux préfectures. Nous avons même sollicité de l'une d'elles un constat sur le site.

La gestion d'un double opérateur est notre quotidien, puisque, en dehors des élections, nous remettons des plis à de multiples opérateurs de distribution. D'ailleurs, cela fait trois ans que nous travaillons sans problème avec Adrexo pour des clients privés - EDF, Engie, BNP. Les difficultés proviennent du mode de travail spécifique lié à une opération coup de poing lors des élections qui nous a été imposé pour déposer les plis Adrexo.

Mme Valérie Boyer . - Cela figure dans le cahier des charges.

M. Loïc Lefebvre . - Quand Adrexo a répondu à l'appel d'offres, il a fixé une règle, mais indépendamment des discussions en amont. Tout le travail a été d'adapter cette chaîne, ce qui a été fait, au moins pour la filière industrielle.

Les triangulaires et les quadrangulaires, c'est notre métier, et nous avons prévu des soupapes de sécurité ! Nous avons fini le vendredi à midi la plupart des productions qui nous incombaient, parce que nous avons utilisé tout le back up à notre disposition, dont la constitution de plis plus importante que celle qui était initialement prévue. L'hypothèse la pire était une triangulaire. Les plannings, sans engagement, devaient reposer sur cet étalon, comme celui de 2015. Malheureusement, nous n'avons eu que des quadrangulaires... Cela étant, nous devons nous adapter. Mais nous ne pouvons pas influer sur le temps de séchage des documents qui nous sont livrés. Même si l'on maintenait un délai de 36 heures, un laps de temps entre les deux tours d'une ou deux semaines, ce n'est pas la même chose : les documents peuvent sécher moins longtemps quand l'imprimeur doit démarrer l'impression le lundi et livrer les routeurs dès le mardi.

Enfin, les cahiers des charges signés avec les préfectures avant les scrutins sur une période de trois ou quatre ans prévoient, par élection, 1,5 jour pour le deuxième tour. C'est ce que nous contractualisons. On pourrait se dire que, pour deux scrutins, on passe à 3 jours, soit 72 heures. Or nous avons eu seulement 60 heures.

M. Philippe Grenier . - Non, 54 heures.

M. Loïc Lefebvre . - Oui ; cela peut paraître insignifiant à l'échelle du Groupe Diffusion Plus, mais une heure de production, c'est 120 000 plis. Nous avons fini à midi le vendredi, au lieu du jeudi à 23h59. Alors, 1,5 jour multiplié par deux ou 1,5 jour en 54 heures, voilà tout le débat que nous devrons avoir dans le retour d'expérience de ce scrutin pour préparer l'avenir.

M. Stéphane Le Rudulier . - Vous nous avez dit que, pour le second tour des élections régionales, 60 % de la prestation avait été exécutée, ce qui signifie que 40 % des plis n'ont pu être fournis aux deux opérateurs de distribution. Quelles en sont les raisons principales ?

Certains scrutins ne sont pas simples, je le reconnais. Avez-vous déjà dû gérer des élections municipales, organisées sur 36 000 communes, dans lesquelles plusieurs listes se sont qualifiées au second tour ? Les dysfonctionnements ont-ils été de la même ampleur ?

M. François-Noël Buffet , président . - Pour information, la propagande électorale n'est obligatoire que pour les communes de plus de 2 500 habitants.

M. Guy Benarroche . - J'ai bien compris que vous aviez reçu des documents qui n'étaient pas assez secs pour pouvoir être mis sous pli. Les avez-vous tout de même mis sous pli, et si tel est le cas, dans quels délais ?

Vous parliez d'un taux de réussite de 90 % pour le premier tour. Est-ce le taux normal pour l'ensemble des scrutins, et s'approche-t-il des 100 % ? Sinon, cela voudrait dire qu'il reste 10 % de dysfonctionnements.

Comme mon collègue Stéphane Le Rudulier, je n'ai pas très bien compris vos explications sur les 60 % de propagande distribuée au second tour, avec des endroits à 100 % et d'autres à 25 %. Pourriez-vous nous apporter quelques éclaircissements à ce sujet ?

Mme Cécile Cukierman . - Nous avons opéré une petite modification législative qui peut être importante pour ces élections, car, parfois, c'est une question d'heure. Vu de l'extérieur, quelques heures de plus ou de moins, c'est peu, mais ces inconvénients sont cumulatifs dans la cascade de la chaîne. Initialement, la date limite du dépôt des listes aux élections régionales était fixée en temps normal au mardi à midi. En l'espèce, le délai a été allongé au mardi à 18 heures, dans un contexte sanitaire inédit et une situation politique « nouvelle » - je ne porte aucun jugement de valeur. Il me semble que les retours concernant les listes fusionnées ont été plus tardifs que pour une élection régionale ordinaire, indépendamment du nombre de listes en présence au second tour. Cela s'explique aussi par l'exigence de qualité qui pèse sur les candidats. Qui prendrait aujourd'hui le risque, pour une liste de 200 noms, de lancer un bon à tirer sans validation de la préfecture sur l'enregistrement des noms et prénoms ? Ce temps supplémentaire de quelques heures qui visait à permettre un meilleur accueil en préfecture n'a-t-il pas eu lui aussi un impact ? Il faudrait en tirer les enseignements pour les prochains scrutins : faut-il maintenir les élections départementales et régionales le même jour ? Faut-il faire passer l'entre-deux-tours à 15 jours ? Faut-il limiter le nombre de listes susceptibles de pouvoir se maintenir au second tour ? L'important est de maintenir les exigences démocratiques qui seront celles du choix majoritaire.

Mme Valérie Boyer . - Je n'ai toujours pas compris la différence entre le scrutin de 2021 et les scrutins précédents. En effet, les élections municipales étaient couplées aux élections départementales, ce qui rendait les choses encore plus compliquées. Et nous avions eu l'expérience identique des élections régionales organisées selon le nouveau scrutin binominal, puisque, pour les élections départementales, deux candidats se retrouvent au deuxième tour dans 90 % des cas. En l'occurrence, le scrutin a donné lieu à des quadrangulaires et des quinquangulaires, ce qui n'avait pas été anticipé.

Madame Cukierman, je ne vois pas pourquoi l'enregistrement des noms serait plus compliqué pour le deuxième tour, car toutes les vérifications d'identité ou de statut ont déjà été effectuées. En revanche, nous voyons l'appauvrissement de notre tissu industriel, notamment celui des imprimeurs, qui a un impact direct sur le fonctionnement démocratique, en ce qu'ils ne sont pas en capacité de livrer en temps et en heure des documents de qualité. Nous connaissons tous la course à l'imprimeur pour les bulletins de vote ou les affiches entre les deux tours, etc.

Ces failles dans notre tissu industriel justifient-elles les difficultés lors d'un scrutin à 8 jours d'intervalle ? Quid des heures manquantes pour que les papiers soient suffisamment secs pour pouvoir être mis sous pli ? Toutes ces problématiques, nous les avons connues dans nos campagnes, mais elles prennent aujourd'hui une ampleur inédite. Or ce n'est pas notre première expérience en la matière. Pour les deux précédentes, nous n'avons pas connu les mêmes difficultés. Je reformule donc ma question : quelles spécificités liées à ces dernières élections ont pu entraîner de tels manquements massifs dans la distribution de la propagande électorale ?

M. Édouard Martin . - Nous sommes sur des systèmes d'accords-cadres pour nos marchés. Les préfectures déclenchent ou non l'externalisation par rapport aux différentes solutions. Pour les dernières municipales, la contractualisation portait sur 17 millions d'électeurs, pour ne concerner en définitive que 7,5 millions d'entre eux. Toutes les autres productions sont restées en régie, les préfectures donnant pouvoir aux communes pour le réaliser. La régie touche beaucoup moins les élections nationales.

M. Benjamin Chevallard . - Sur la qualité des documents et le temps de séchage, toute heure perdue est dramatique. Cela a dégradé nos cadences, qui sont passées de 100 % à 60 %.

M. François-Noël Buffet , président . - Il convient de distinguer, d'une part, la capacité des imprimeurs à imprimer le volume de documents, et, d'autre part, le temps suffisant pour assurer la qualité du produit, c'est-à-dire le temps de séchage. Quel volume représente ce dernier, sachant que les imprimeurs ont tous produit ?

Mme Valérie Boyer . - Il faut aussi tenir compte d'une différence technique.

M. Benjamin Chevallard . - Chez Diffusion Plus, la quasi-totalité des départements ont reçu des produits insuffisamment secs.

M. Loïc Lefebvre . - La situation est profondément injuste, car il suffit d'un seul document défectueux pour que l'ensemble de la chaîne soit pénalisée. Cela est moins problématique dans un mode de production manuel. Face aux contraintes de temps, renforcées par la pression médiatique et une hygrométrie exceptionnellement humide cette année, les professionnels ont privilégié le délai d'acheminement par rapport au temps de séchage. Je citerai le cas, exceptionnel, de cet imprimeur qui m'a appelé à 14 h 30 pour livrer les plis non plus à midi, mais à 18 heures. À 120 000 plis à l'heure, c'était impossible, d'autant qu'une commission électorale a entériné la poursuite du processus quoi qu'il arrive.

La question du tissu industriel mériterait une réflexion approfondie. Si le secteur voit le nombre de ses entreprises diminuer, l'externalisation de la propagande électorale depuis une dizaine d'années a nécessité des investissements massifs. Pour notre entreprise, les élections représentent un investissement de 2 millions d'euros dans des assembleuses toujours plus élaborées pour traiter plus de documents, même humides. Cela est valable pour la plupart de nos confrères.

Nous ne voudrions pas vous donner l'impression que nous sommes irréprochables et qu'il n'y a eu aucun problème. Mais quand on nous a convoqués en audition au Sénat voilà six mois,...

M. François-Noël Buffet , président . - Je m'en souviens parfaitement !

M. Loïc Lefebvre . - ... nous n'avons pas demandé l'absence de quadrangulaire ou autre, nous avons juste sollicité de l'aide.

M. Philippe Grenier . - Au premier tour, un travail sur le double scrutin a été réalisé en lien avec le ministère de l'intérieur, les préfectures, les élus et les candidats. En revanche, une chape de plomb a entaché le deuxième tour.

S'agissant de notre production, le seul chiffre acceptable est 100 % ; 90 %, c'est une catastrophe pour une entreprise comme Koba, et je ne parle pas des 60 %... Au cours des dix dernières années, nous avons massivement investi, de l'ordre de 5 à 6 millions d'euros. Rien que pour monter les cellules, il a fallu employer 8 500 intérimaires ; l'encadrement et les transports ont requis chacun 3 millions d'euros, et seulement pour le deuxième tour. Quand je vois le résultat, je suis un peu déçu...

Puisqu'il faut toujours s'appuyer sur le passé pour construire l'avenir, il convient de revenir sur les causes de cette situation. On s'est beaucoup focalisé sur Adrexo, certainement à juste titre, mais les problématiques de Koba ne résultent pas seulement de cette société. De manière générale, ce double scrutin sur le premier tour a épuisé nos équipes, qui ont travaillé non-stop durant six semaines pour produire le double de leur production normale. Il convient d'ajouter à cela les difficultés liées au papier.

Après avoir créé vingt-sept cellules et employé 8 500 intérimaires, sans aucune sous-traitance, après avoir organisé d'importantes sessions de formation pour la mise sous pli, les tests de cadence réalisés par Adecco, Crit et Axxis, nous avons connu lors du déconfinement une énorme déperdition d'intérimaires formés. Nous avons eu beaucoup de mal à retrouver du personnel qualifié, et durant ces quelques jours de production, notre masse salariale intérimaire a même baissé. En région Rhône-Alpes par exemple, Koba emploie 8 500 intérimaires, Adrexo en recrute des milliers, et La Poste fait de même. Résultat : avec ce double scrutin, on a asséché le marché des intérimaires et des transports - les camions finissaient par être introuvables !

Mme Valérie Boyer . - Même les candidats !

M. Philippe Grenier . - Chacun voit les choses par le petit bout de la lorgnette, et personne n'a pris la hauteur nécessaire pour envisager les conséquences logistiques du double scrutin. On a tous les mêmes besoins au même moment. Et je comprends mieux pourquoi nous avons eu autant de difficultés à trouver des intérimaires le vendredi : quand La Poste paie les siens à 200 %, pourquoi viendraient-ils chez Koba ? Je ne dis pas que c'est bien ou mal, mais face à cet arbitrage, la lutte était inégale !

On se focalise sur ces élections, mais nous avons pu nous faire une idée avec toutes les élections précédentes, des départementales, des régionales, les élections présidentielles de 2012 et de 2017. Lors des élections européennes, nous avons pris en charge 25 millions de plis. Il en a été de même lors des municipales pour les 8 millions de plis à distribuer en plein covid. Tout s'est très bien passé. Des anomalies ponctuelles peuvent se produire, mais là on parle de problèmes concernant toutes les régions de manière globale.

Mme Valérie Boyer . - Si je vous comprends bien, la distorsion de concurrence d'Adrexo a eu un impact sur l'exécution de votre cahier des charges ?

M. Philippe Grenier . - Non, cela n'a rien à voir.

M. François-Noël Buffet , président . - Il n'y a pas eu de concurrence. C'est le marché de l'intérim qui s'est trouvé à un moment saturé.

Mme Valérie Boyer . - Et cela n'avait pas été le cas lors des doubles scrutins précédents ?

M. Philippe Grenier . - Absolument.

M. Loïc Lefebvre . - En ce qui nous concerne, nous n'avions jamais été confrontés à un double scrutin. Nous avons commencé à traiter la propagande électorale en 2015, ce qui explique notre extrême prudence à ne pas avoir répondu aux demandes de certaines préfectures. C'était une première pour nous, et nous n'avons voulu prendre aucun risque. Nous avons prévu des soupapes de sécurité pour le deuxième tour, et c'est un miracle qu'elles aient tenu.

Nous rendons hommage à tous nos salariés qui ont été à l'oeuvre durant cette période. Avec Benjamin Chevallard, nous avons passé la fameuse nuit du jeudi au vendredi dans l'usine : j'ai négocié avec les transporteurs qui repartaient sans la marchandise ; j'ai appelé à quatre heures du matin les patrons des sociétés de logistique pour leur demander d'accepter de payer une heure supplémentaire pour que le chauffeur attende le dernier kub. Certains salariés de bureau, que l'on appelle chez nous les « improductifs », ont badgé à 18 heures le mercredi soir pour prêter main-forte à leurs camarades dans la mise sous pli, faisant quasiment une double journée. Voilà la réalité des usines !

Nous avons besoin de l'aide du législateur et des préfectures pour sécuriser le processus d'envoi des propagandes électorales. Certes, il y a eu des problèmes au deuxième tour, mais, globalement, depuis une dizaine d'années, les scrutins externalisés fonctionnent - les préfectures nous ont félicités pour les derniers scrutins. La réponse du législateur doit être appropriée. Plutôt que de sanctionner une filière qui a failli sur une partie des plis, il conviendrait de sécuriser le scrutin en prévoyant, par exemple, deux semaines entre les deux tours ou en portant le délai à 54 heures ou 60 heures, au lieu de 36.

M. François-Noël Buffet , président . - Vous avez raison, mais nous avons besoin de comprendre exactement ce qui s'est passé pour essayer d'apporter la réponse réglementaire ou législative la plus adaptée possible. Il faut savoir s'il s'agit d'un problème unique ou multifactoriel.

Je rappelle que nous sommes dans le cadre d'un marché public national valable quatre ans. Les décisions que nous prendrons ne seront pas neutres.

M. Philippe Grenier . - Les personnes auditionnées ont rapporté que Koba Global Services avait « failli » concernant la remontée d'informations. C'est tout à fait inexact.

Les routeurs se retrouvent dans une situation tripartite, voire quadripartite. À l'inverse de La Poste ou d'Adrexo, dont le marché est géré par le ministère de l'intérieur, les prestataires que nous sommes ont plusieurs interlocuteurs : nous contractualisons avec des régions ; les bons de commande émanent des préfectures, qui sont indirectement nos donneurs d'ordres ; nous sommes sous la tutelle théorique du ministère de l'intérieur - le travail en amont se fait avant tout avec le ministère de l'intérieur ; nous avons des contacts avec La Poste et Adrexo sur le terrain. En temps normal, il est déjà très compliqué de transmettre les informations à ces quatre interlocuteurs ; c'est encore plus l'enfer - je pèse mes mots - en trente-six heures !

Nous avons fait le choix de communiquer principalement avec le ministère de l'intérieur, ce qui n'est pas ressorti de vos auditions. Nous avons également communiqué avec les préfectures de région. Tout le monde a été informé, à tous les instants, de ce qui se passait.

M. François-Noël Buffet , président . - Permettez-moi de résumer ce que j'ai compris de l'organisation des marchés. Il y a un marché national de distribution de la propagande électorale ; deux opérateurs ont été choisis. Les routeurs sont sur des marchés locaux de nature départementale ou régionale, pilotés par les préfectures. Le cahier des charges auquel ont répondu les distributeurs a un caractère général, mais ceux-ci, sur le plan local, vous ont fait part de leurs propres demandes en matière de préparation des plis - je simplifie volontairement les choses pour comprendre. Ce cahier des charges a été bouleversé le lendemain du premier tour, notamment par la société Adrexo, ce qui a provoqué des difficultés. Qui plus est, il ne vous est pas interdit de produire ailleurs que dans le département où vous produisez les documents et vous devez adapter vos chaînes de production en fonction de ce que demande le distributeur.

M. Benjamin Chevallard . - Je tiens à préciser qu'Adrexo n'a pas modifié son cahier des charges pour Groupe Diffusion Plus.

M. Loïc Lefebvre . - Je souligne que l'ensemble de cette coordination a donné lieu à un certain nombre de réunions avec le ministère du travail. Dès le 19 décembre 2019, nous avons fait un retour d'expérience sur le scrutin des élections européennes ; le 29 septembre 2020, une réunion préparatoire a été organisée au cours de laquelle le principe des deux élections a été évoqué ; le 3 décembre 2020, nous étions auditionnés par votre commission pour évoquer les problématiques qui y étaient liées ; nous avons eu une réunion le 9 janvier 2021, puis le 16 janvier.

Les auditions précédentes ont mis l'accent sur les plis non distribués (PND). Nous avons produit 100 % des plis, mais nous pourrions nous affranchir d'en produire entre 8 et 10 %, car ils ne parviendront jamais à destination.

Le 11 janvier 2021, au cours d'une réunion appelée « Big Data » avec le ministère de l'intérieur, nous avions réfléchi à l'idée de mettre en place un dispositif permettant d'évincer les plis dont on sait qu'ils n'arriveront jamais à destination. Ce serait une avancée importante. Nous revendiquons le fait d'être un intermédiaire capable d'apporter cette solution de façon privée et non partisane ; comme nous ne distribuons pas les documents de propagande électorale, nous ne sommes pas juge et partie.

M. François-Noël Buffet , président . - Cela signifie que l'on ne produit pas 100 % de ce qui est demandé !

Mme Cécile Cukierman . - J'entends vos contraintes, une partie des plis non distribués peut être identifiée, mais d'un point de vue politique, l'objectif est de distribuer le plus de plis possible plutôt que de vous permettre d'en distribuer moins.

Mme Valérie Boyer . - Cela veut dire que la liste électorale est mal faite. Or il ne revient pas aux sociétés de la corriger.

M. François-Noël Buffet , président . - C'est une compétence du ministère de l'intérieur.

Mme Valérie Boyer . - Il appartient plutôt au ministère de l'intérieur de vérifier la qualité des adresses figurant sur les listes électorales de façon que les documents de propagande soient correctement distribués.

M. Benjamin Chevallard . - Nous sommes capables d'identifier les adresses qui ne seront pas acheminées et de les restituer aux préfectures pour qu'elles puissent les corriger.

M. François-Noël Buffet , président . - Cette précision est importante, voire essentielle à nos yeux.

Je vous remercie de votre participation et nous vous enverrons certainement un questionnaire pour vous demander des pièces complémentaires.

Audition de MM. Philippe Viroulet, délégué syndical central, et Alain Gueguen, secrétaire général, du syndicat Confédération autonome du travail des personnels Adrexo (CAT-Adrexo)

(Mardi 13 juillet 2021)

M. François-Noël Buffet , président . - Notre commission des lois a constitué une mission d'information disposant des pouvoirs d'une commission d'enquête pour éclaircir la situation liée aux événements des dernières élections départementales et régionales, et en particulier à la distribution de la propagande électorale.

Cette audition est ouverte à la presse. Elle sera diffusée en direct sur le site internet du Sénat et retransmise sur la chaîne Public Sénat.

Je vous rappelle également, pour la forme, qu'un faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Philippe Viroulet et Alain Gueguen prêtent serment.

Nous sommes heureux de vous recevoir. Vous êtes les représentants du syndicat Confédération autonome du travail (CAT) des personnels Adrexo, et nous aimerions avoir votre avis sur la situation que nous avons connue dans la distribution des documents de propagande qui ont été confiés à votre entreprise, et dont on a pu établir, par témoignage ou par constat, qu'un certain nombre n'ont pas été distribués et ont parfois même été abandonnés en plein milieu de forêts, brûlés ou déposés dans des halls d'immeubles...

Nous avons auditionné les dirigeants d'Adrexo. Il nous a paru important de recueillir votre point de vue, car il nous a été indiqué qu'un préavis de grève a été déposé au sein de l'entreprise. Nous aimerions en connaître les raisons, les conditions, et avoir votre regard sur la manière dont les choses se sont passées.

M. Philippe Viroulet, délégué syndical central du syndicat Confédération autonome du travail des personnels Adrexo (CAT-Adrexo) . - Merci d'écouter les salariés d'Adrexo, qui sont une partie importante de l'entreprise, puisque la distribution des documents se fait grâce à eux, chaque semaine, que ce soit pour les imprimés publicitaires ou pour le courrier. Ils font en général un travail remarquable et de qualité, dans des conditions difficiles. Nous sommes des représentants syndicaux, et nous représentons aujourd'hui l'ensemble des salariés d'Adrexo. Nous faisons partie de la Confédération autonome du travail (CAT), qui est une confédération créée en 1953. Le syndicat d'entreprise existe depuis 2010 et il est le premier syndicat de l'entreprise depuis 2020.

Les salariés d'Adrexo étaient un peu plus de 15 000 fin 2020 ; 58 % de ces distributeurs ont plus de 50 ans, et 25 %, plus de 64 ans. Ce sont majoritairement des retraités et des actifs, avec un tout petit peu d'étudiants. Les retraités cherchent un complément d'activité et un complément de revenu et les actifs, un complément de revenu. Les 15 000 distributeurs d'Adrexo sont pratiquement tous à temps partiel. Ils représentent environ 6 200 équivalents temps plein (ETP) ; 46 % d'entre eux disposent d'un contrat compris entre 7 et 12 heures par semaine, 16 % ont un contrat inférieur à 7 heures et 38 %, un contrat supérieur à 12 heures. Il s'agit donc vraiment de compléments de revenus et d'activité. La moyenne nationale des contrats pour Adrexo est de 14 heures par semaine.

Sur la zone qui concernait la diffusion de la propagande électorale et qui a été confiée à Adrexo, environ 8 000 distributeurs à temps partiel étaient présents, ce qui correspond à 2 600 ETP. Ceux-ci, en CDI chez Adrexo, sont très déçus, voire honteux, du traitement qui a été fait du travail qu'ils ont rendu. Ils sont habitués à distribuer chaque semaine des secteurs, des communes. Ils connaissent bien leur secteur et ont généralement très bien effectué leur mission. Les incidents que vous avez pu noter, comme des jets de documents, sont anecdotiques en ce qui concerne les salariés d'Adrexo.

Ceux-ci distribuent chaque semaine de la publicité. C'est un métier qui n'est pas facile : il nécessite de marcher et de porter des poids, et n'est pas très bien rémunéré. Malheureusement, pour cette opération de distribution de la propagande électorale, au premier tour, il n'y avait que 2 200 salariés en capacité de travailler pour cette mission. Il s'agissait de personnes en CDI, formées, habituées au secteur, qui ont travaillé pour le premier tour des élections départementales et régionales. Pour le deuxième tour, ils étaient 4 000.

Un préavis de grève a été déposé par notre syndicat pour des raisons simples. Adrexo est une entreprise où le climat social est extrêmement tendu. Il y a très peu de place pour la négociation. En 2020, par exemple, la direction n'a convoqué les organisations syndicales à des négociations qu'à quatre reprises, contre huit en 2018 et douze en 2019. Il y a très peu de respect des organisations syndicales en général, et notre syndicat a été victime d'un véritable tir de barrage quand il est devenu le premier syndicat de l'entreprise, avec plusieurs manoeuvres auprès de notre confédération, en proposant un don, et en contestant en justice l'ensemble des mandats syndicaux. Le groupe Hopps se refuse depuis 2017 à créer un comité de groupe, et nous n'avons eu aucune négociation sur ce point. Adrexo n'a signé qu'une seule fois un accord concernant les négociations annuelles obligatoires, en 2017, qui a octroyé 9 euros par mois à une centaine de salariés de l'entreprise. On a dénombré 83 nouveaux dossiers prud'homaux en 2020, 135 en 2019, et 139 en 2018.

Nous avons voulu attirer l'attention en déposant ce préavis de grève, qui permettait aux distributeurs qui n'auraient pas souhaité faire ces travaux de ne pas les faire. Il a été assez peu suivi car ceux qui étaient en capacité de faire ce travail ont besoin de ces heures supplémentaires et de ces revenus supplémentaires pour améliorer leur salaire, qui avoisine les 450 euros par mois en moyenne.

Dans la gestion du courrier, les salariés ne sont pas rémunérés du temps de tri de ces courriers, qui se fait à domicile : ils reçoivent des courriers, ils doivent les trier par rue, par ordre dans la rue, et ce temps n'est pas pris en charge par l'entreprise. C'est la revendication principale qui nous avait conduits à déposer ce préavis de grève. Je précise qu'elle ne concerne pas la propagande électorale, pour laquelle le travail avait été fait en amont par les routeurs et par les régies.

Le turn-over observé dans cette entreprise est important : sur quelque 15 000 distributeurs, 793 en moyenne quittent l'entreprise chaque mois. Dans 79 % des cas, c'est pour une démission ou une fin de période d'essai : de nouveaux entrants ne restent jamais longtemps dans l'entreprise, et il faut énormément de candidats avant de stabiliser quelqu'un sur un poste de distributeur. Principalement, ces départs sont dus au fait qu'une partie du temps de travail n'est pas rémunérée - temps de tri du courrier, temps de trajet, parfois certains temps de distribution - ou que l'utilisation d'un véhicule personnel n'est que partiellement prise en charge, ou encore aux conditions de travail difficiles, avec une rémunération au salaire minimum.

Mme Cécile Cukierman . - Merci pour cette présentation d'une situation sociale particulière... Sur la situation plus spécifique de la distribution de la propagande électorale, avez-vous été alertés par des salariés qui, finalement, n'y arrivaient pas ? La distribution de plis adressés leur a-t-elle parue beaucoup trop compliquée, au point d'exercer sur eux une pression énorme ? Comment l'entreprise a-t-elle pris en compte ces difficultés et accompagné les salariés pour qu'ils puissent mieux exercer leur tâche ? ll y a tout de même un enjeu démocratique derrière, et l'on n'évalue pas la rentabilité commerciale comme on évalue la rentabilité démocratique. Je comprends toutefois que les salariés concernés étaient exemptés de l'organisation de la tournée. Comment, d'ailleurs, les tournées sont-elles organisées pour être aussi rentables que possible ?

Mme Nathalie Goulet . - Les dirigeants d'Adrexo nous ont décrit la formation dispensée. Vous avez dit que les salariés d'Adrexo connaissent bien leur terrain. Ont-ils des zones affectées ? Avez-vous quadrillé la France, ou les zones qui vous ont été affectées par l'appel d'offres ? Nous avons entendu des choses assez terrifiantes, notamment au sujet d'une formation à la géolocalisation par rapport à une grande enseigne de vente de meubles qui ne semble pas très pertinente dans nos territoires ruraux...

Vos collègues ont-ils des relations avec les sous-traitants ? Je comprends que les salariés d'Adrexo aient été choqués de la mauvaise publicité faite par cette opération, mais la réalité est que l'uberisation de la fonction par la sous-traitance éloigne manifestement de la connaissance du terrain. Avez-vous transmis votre savoir et votre méthodologie ? Avez-vous été tuteurs, en quelque sorte, des sous-traitants ? Avez-vous eu des échanges avec les syndicats des entreprises sous-traitantes ?

M. Stéphane Le Rudulier . - Vous avez dit que 2 000 salariés ont été mobilisés pour le premier tour, sur un total de 15 000. C'est une mobilisation assez faible par rapport à l'ensemble de l'effectif... Est-ce pour cela qu'Adrexo a dû faire appel à de l'intérim ? Vous avez doublé le nombre de salariés d'Adrexo impliqués entre le premier et le second tour. Cela reflète-t-il une volonté, de la part de la société, de corriger les effets néfastes du recours excessif à l'intérim ? On a pu vérifier que la qualité de la prestation n'était pas au rendez- vous.

M. Éric Kerrouche . - Vous avez dit qu'au premier tour, 2 200 salariés formés, en CDI, étaient disponibles. S'agit-il de salariés ou d'ETP ? Même question sur le chiffre de 4 000 que vous avancez pour le second tour. Je suppose que, pour le deuxième tour, une grande partie des distributeurs provenaient de l'intérim. La Poste forme les nouveaux salariés en leur faisant faire des tours à blanc. Cette pratique vous est-elle connue, ou Adrexo se contente-t-elle de modules de formation ? Quelles ont été, selon vous, les difficultés de l'entreprise au deuxième tour ? Quelle est votre lecture de la désorganisation qui a eu lieu au second tour dans la distribution d'une partie des plis ?

M. Philippe Viroulet . - En temps normal, pour la distribution de la publicité, la société dispose de distributeurs formateurs qui sont en capacité d'accompagner les nouveaux entrants, de les former à la lecture d'un plan, à la préparation des documents et, ensuite, sur le terrain, à la distribution, en accompagnant les débuts. Ce dispositif n'était pas en place pour la distribution de la propagande électorale, et les personnes qui ont été engagées en intérim n'ont bénéficié que d'une vidéo diffusée par certains prestataires d'intérim, et d'une formation d'environ une heure dans les sites où étaient stockés les imprimés, sur la façon dont il fallait appréhender la tournée, avec la remise d'un plan et quelques explications sur les modalités de distribution. Pas d'accompagnement pour les intérimaires, donc.

Les personnes en CDI, en revanche, étaient la plupart du temps affectées à leur tournée habituelle. Ils connaissent donc les rues, ils connaissent leur secteur. Il s'agissait de 2 200 individus, soit environ 800 ETP, et de 4 000 personnes au deuxième tour, soit environ 1 200 ETP. Ils n'ont pas eu de difficultés pour distribuer les plis électoraux dont ils ont disposé. Il s'agissait d'un travail supplémentaire, avec une tournée dédiée à la distribution de la propagande électorale, qui se faisait en fin de semaine, alors qu'ils avaient distribué leurs publicités en début de semaine. Mais ils restaient dans leurs zones affectées : on appelle cela la fidélisation au sens de la convention collective de la distribution directe.

La mobilisation des salariés peut paraître faible. Elle fut effectivement assez limitée, mais pour des raisons qui tiennent au fait que les salariés sont à temps partiel, et qu'ils ont souvent un emploi ailleurs, pour compléter ce temps partiel chez Adrexo. Ils n'ont pas forcément la liberté de travailler un jour, deux jours ou trois jours supplémentaires, parce qu'ils sont occupés sur un autre emploi. Un contrat de sept heures, par exemple, peut tout à fait se cumuler avec les 35 heures : on l'exécute en deux ou trois soirées, sachant que la préparation se fait à domicile, le week-end par exemple. Pour quelqu'un qui a 700 boîtes aux lettres à visiter, c'est tout à fait possible.

Le nombre de CDI a augmenté entre le premier et le second tour, car la société Adrexo a sollicité énormément de salariés en CDI d'autres régions qui n'étaient pas concernées par la distribution au départ, et ont été déplacés, avec mise à disposition d'hôtels, vers des régions qui avaient besoin de personnel.

Quelles furent les causes de ces dysfonctionnements ? Au premier tour, les 2 200 individus en CDI n'ont pas eu de problèmes pour la distribution. Il y avait 4 000 intérimaires, sur un besoin évalué au départ à 18 000 personnes au total. Entre les CDI et les intérimaires, on était donc à 6 200 personnes, ce qui était clairement insuffisant.

Au premier tour, sur les 4 000 salariés intérimaires, 1 500 ont abandonné lors de la première journée de travail. Le nombre d'intérimaires est donc descendu d'un seul coup. Il faut dire qu'ils étaient partis avec un coffre plein d'enveloppes, sur un secteur qu'ils ne connaissaient pas, faire un métier qu'ils ne connaissaient pas, après une formation qui a duré environ une heure...

Au deuxième tour, la situation a été très différente et, de notre point de vue, n'a pas posé autant de problèmes qu'au premier tour. Les choses ont été très vite, et d'autres problèmes sont arrivés : les routeurs, les imprimeurs, toute la chaîne amont, les livraisons... Mais Adrexo disposait de 4 000 personnes en CDI. Certes, celles-ci ne connaissaient pas les secteurs, mais elles connaissaient le métier, et n'étaient pas totalement perdues. Quelque 11 000 intérimaires ont été recrutés pour le deuxième tour, dont 3 000 ont abandonné dans la première journée.

M. François-Noël Buffet , président. - Pourtant, il y avait moins de plis...

M. Philippe Viroulet . - Effectivement, mais ils sont arrivés parfois tardivement - et ont tout de même été pris en charge par les équipes.

Mme Cécile Cukierman . - Pour les zones, principalement urbaines, où il y a des interphones, des codes, des badges d'accès, comment font les intérimaires ? Les milliers de démissions que vous avez mentionnées ont-elles été compensées par autant d'embauches ?

Mme Nathalie Goulet . - Ces démissions sont-elles dues au fait que les personnes concernées étaient dépassées par la tâche ? Qu'est-il advenu des documents qu'ils avaient ? Les ont-elles rapportés ?

M. François-Noël Buffet , président. - Vous avez parlé de 18 000 personnes.

M. Philippe Viroulet . - Il n'y a que 15 400 distributeurs, mais le besoin exprimé par l'entreprise en interne s'élevait à 18 000 personnes. Adrexo dispose d'une licence postale et, à ce titre, des badges électroniques et des passes PTT pour accéder aux immeubles, ou au moins aux sas qui contiennent les boîtes aux lettres. La société avait mis à disposition des salariés le matériel nécessaire pour disposer de ces badges et de ces clés en nombre suffisant, y compris pour les intérimaires. En ce qui concerne les réembauches après les abandons, je n'ai pas d'informations, je ne connais que le total des salariés qui ont été recrutés : 4 000 en intérim et 1 500 abandons. Les réseaux d'entreprises de travail temporaire ont été sollicités en continu pour fournir tout au long de l'opération des salariés et, éventuellement, de nouveaux salariés.

Vous m'interrogez sur le retour des documents, dans les cas d'abandon. La formation indiquait qu'il fallait donner une importance particulière à la valeur des documents qui étaient distribués et que, si d'aventure le salarié souhaitait arrêter sa tournée, il devait les rapporter. Il était d'ailleurs obligé de déposer un rapport indiquant le nombre d'heures effectuées. C'était l'occasion de rendre les documents qu'il n'avait pas distribués, en indiquant sur le plan la zone non desservie. Il était possible de réaffecter un salarié pour poursuivre une distribution qui avait été interrompue.

Mme Nathalie Goulet . - Pourrions-nous obtenir une copie des contrats qui sont donnés aux salariés, et des notes de service ?

M. François-Noël Buffet , président. - Question un peu plus délicate : l'organisation prévue par l'entreprise a-t-elle été à la hauteur des enjeux ?

M. Alain Gueguen, secrétaire général du syndicat Confédération autonome du travail des personnels Adrexo (CAT-Adrexo) . - Notre présence ici donne une partie de la réponse : non, l'entreprise n'a pas su anticiper et construire la réponse attendue.

M. François-Noël Buffet , président. - Le personnel qui devait remplir cette mission avait-il conscience de la différence de l'enjeu de cette distribution par rapport à ce qui est fait habituellement ? Il s'agissait de la distribution d'un courrier adressé à vocation électorale...

M. Alain Gueguen . - Sur le terrain, il avait une réelle conscience, dans les agences, que cette opération, appelée Propaganda en interne, était essentielle pour l'image d'Adrexo. Mais nous n'avions aucune responsabilité sur la mise en oeuvre de toutes les solutions décrites.

M. François-Noël Buffet , président. - À la réflexion, est-ce une mission que vous souhaiteriez continuer à effectuer ?

M. Alain Gueguen . - Les salariés ont envie de faire leurs preuves.

M. Éric Kerrouche . - Comment les cadences de distribution sont-elles fixées ? Y a-t-il un nombre moyen de boîtes aux lettres par heure ?

M. Philippe Viroulet . - La distribution a évolué ces dernières années, notamment avant la reprise par les actionnaires actuels de la société Adrexo, puisque la convention collective prévoyait auparavant une pré-quantification du temps de travail, calculée en fonction du nombre de boîtes aux lettres, de la difficulté du secteur, et de différents paramètres, du poids des documents, etc. Ce temps pré-quantifié a fait l'objet de deux annulations par le Conseil d'État, ce qui le rendait inapplicable à la société Adrexo. Celle-ci a donc négocié, peu avant la cession, un accord d'entreprise qui mettait en place un système de badgeuses permettant de mesurer le temps de travail et de localiser le salarié non pas en temps réel, mais à la fin de sa distribution. L'entreprise peut ainsi vérifier le temps de travail, la qualité du travail, et elle peut s'assurer que le travail a bien été réalisé sur le secteur prévu.

Lorsqu'il y a du courrier, celui-ci est distribué en même temps que les documents publicitaires. Le distributeur passe devant une boîte aux lettres ; la badgeuse lui signale qu'il a un pli adressé à remettre à une adresse à proximité ; il met la publicité et fait un geste supplémentaire en distribuant un courrier au passage. Pour la propagande électorale, c'était une tournée dédiée, car il aurait été tout à fait impossible d'avoir autant de documents à distribuer en même temps que la publicité. En ce qui concerne la rémunération, c'est normalement cette badgeuse qui prend en compte la réalité du temps passé sur le secteur et génère une rémunération.

À l'arrivée des actionnaires actuels, un certain nombre de dispositifs ont été mis en oeuvre, qui replacent le salarié dans la position d'être payé au temps pré-quantifié, par exemple s'il utilise mal sa badgeuse, ou si elle ne fonctionne pas. Il existe aussi un dispositif qui permet de bloquer le temps de travail : c'est le fameux Temps max, que nous critiquons depuis sa mise en oeuvre, et qui bloque le travail du salarié à un temps de référence déterminé. Le salarié dispose d'un code qu'il doit taper pour débloquer sa badgeuse - si le manager lui en a donné un. Sinon, il doit cesser de travailler et rentrer chez lui.

M. François-Noël Buffet , président. - Ce Temps max a-t-il été appliqué pour la distribution de la propagande électorale ?

M. Philippe Viroulet . - Non. L'application utilisée sur la badgeuse pour la propagande électorale permettait d'ailleurs une géolocalisation des salariés en temps réel, contrairement à l'application classique de mesure du temps de travail. Cette application ne comportait pas de limitation du temps nécessaire à la distribution : le salarié pouvait aller au bout de sa tournée sans avoir à générer un code pour débloquer sa badgeuse.

M. Guy Benarroche . - Je ne connais pas précisément le poste de travail que vous décrivez, fort bien du reste. Pour le salarié qui est en train de distribuer, les plis de propagande électorale sont-ils source d'un revenu supplémentaire ? Il y a eu beaucoup de défaillances la première journée : est-ce parce que les intéressés ont compris que le rapport entre ce qu'ils vont gagner et ce que ça leur coûte est particulièrement défavorable pour eux ?

Mme Cécile Cukierman . - Vous nous avez donné la proportion des CDI dans l'entreprise qui ont effectué ces tournées, faible, notamment pour des raisons d'incompatibilité avec une autre fonction. Chaque salarié a-t-il été contacté pour savoir s'il était intéressé ? Y a-t-il eu des négociations particulières sur des prises en charge ou des compensations, pour s'assurer qu'un grand nombre de CDI puissent faire ses missions ? À quelle date l'entreprise a-t-elle procédé, en interne, à ce recensement auprès des salariés, pour estimer les besoins en personnel intérimaire ?

Mme Nathalie Goulet . - En tant que délégué au comité d'entreprise, vous devez connaître le bilan économique de l'entreprise. Avez-vous eu connaissance de difficultés financières ou de rémunérations disproportionnées à l'intérieur de l'entreprise, qui auraient pénalisé la juste rémunération de certains de vos salariés ?

M. Stéphane Le Rudulier . - Vous nous avez dit que la formation comportait deux temps : la diffusion d'une vidéo, et une mise en pratique d'une heure. Cette formation vous paraît-elle suffisante ? Dans le groupe La Poste, il y a trois ou quatre heures de formation pratique et deux jours de tournée avec le facteur qui a l'habitude de pratiquer le secteur.

M. Philippe Viroulet . - L'impact sur la rémunération est important, puisque quelqu'un qui fait une tournée de distribution publicitaire habituelle, hebdomadaire, aura à peu près le même salaire chaque semaine. Quelqu'un qui a une tournée dédiée de courrier supplémentaire va voir s'ajouter à son salaire le temps réel qu'il va passer à distribuer ces plis : s'il y passe dix heures, il aura sur cette semaine dix heures de rémunération supplémentaire. Cela se traduit donc immédiatement sur le bulletin de salaire par des heures supplémentaires.

Le recensement des besoins et des personnes disponibles a commencé dès le mois de février.

Mme Cécile Cukierman . - Vraiment ? Heureusement que nous avons reporté les élections !

M. Philippe Viroulet . - Le recrutement a été terminé au moins deux mois avant l'opération de distribution. Il s'agissait de connaître les personnes qui allaient être en capacité d'y participer et de prévoir avec elles les secteurs qui allaient leur être affectés. Certains distributeurs n'ont pas pu prendre tous les secteurs qu'ils assurent habituellement en publicité, parce que cette opération prenait beaucoup de temps.

La vidéo durait cinq minutes, et était très synthétique et pratique. La formation proposé n'a pas été suffisante, à notre avis. Le dispositif employé pour accompagner les nouveaux distributeurs de publicité par des formateurs est un moyen de limiter le turn-over . Il n'a pas été mis en place pour la propagande électorale, et a beaucoup manqué : l'accompagnement sur le terrain permet de rassurer le distributeur, et de lui montrer quelques gestes et méthodes. Des salariés intérimaires auraient pu être formés spécifiquement à l'accompagnement des collègues... La comparaison avec La Poste est difficile, car le modèle économique d'Adrexo repose sur des salariés à temps partiel, alors que nos collègues de La Poste sont presque tous à temps plein.

Mme Nathalie Goulet . - Vous venez dire « nos collègues de La Poste ». Est-ce à dire que vous considérez que vous faites le même métier ?

M. Philippe Viroulet . - De plus en plus, parce que l'activité de distribution publicitaire n'était pas spécifiquement en concurrence avec La Poste, autrefois, mais avec une filiale de La Poste, qui opère désormais davantage en milieu urbain et sous-traite à La Poste - comme Adrexo - les zones rurales. Et comme le courrier est venu s'ajouter en 2017 et 2018 à l'activité de l'entreprise, le salarié fait un travail comparable à ce que peut faire un facteur, même si le volume de courrier n'est pas le même. C'est d'ailleurs pour nous un point de valorisation du métier. L'importance d'un courrier nominatif adressé permet aussi aux salariés d'Adrexo se considérer comme étant de vrais porteurs de messages, au-delà de la publicité.

M. François-Noël Buffet , président. - Un article publié récemment dans Le Monde laisse entendre que les dirigeants du groupe auraient délibérément affaibli Adrexo dans le but d'améliorer les résultats de Colis privé, avant l'entrée en bourse de cette dernière société. Qu'en pensez-vous ?

M. Alain Gueguen . - Adrexo fait partie du groupe Hopps, créé en 2017 et qui a repris Adrexo avec une soulte de l'ordre de 65 millions d'euros plus le siège, d'une valeur d'une vingtaine de millions d'euros. Cette entreprise était parfaitement connue des repreneurs actuels, puisqu'ils avaient été respectivement directeur général d'Adrexo et d'Adrexo Colis entre 2008 et 2012, quand la filiale Adrexo Colis avait été sortie d'Adrexo avec une soulte de 50 millions d'euros. Le groupe se reconstitue en 2017 avec les actionnaires actuels. Ensuite, il ne s'agit que de choix stratégiques. Oui, nos experts comptables ont mis le doigt sur les déséquilibres qu'il y avait et sur les liens entre Adrexo Colis et Colis privé. De vrais choix stratégiques sont faits. Nous sommes convaincus qu'Adrexo peut être une entreprise d'avenir puisqu'elle procure la capacité à couvrir le dernier mètre. À l'ère d'internet, c'est une vraie valeur ajoutée. Adrexo offre aussi une vraie alternative à un monopole, celui de La Poste. Elle a un vrai avenir, mais ses dirigeants en font ce qu'ils sont en train d'en faire...

M. François-Noël Buffet , président. - Merci.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LA MISSION D'INFORMATION

Mercredi 23 juin 2021

M. Gérald Darmanin , ministre de l'intérieur

Lundi 5 juillet 2021

Adrexo

M. Alain Brousse , directeur général

Hopps Group

M. Éric Paumier , co-président

Mardi 6 juillet 2021

Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep)

Mme Laure de La Raudière , présidente

Comité de suivi pour les élections départementales et régionales de juin 2021

M. Jean-Denis Combrexelle , président

Gojob

M. Pascal Lorne , président

Lundi 12 juillet 2021

Groupe La Poste

M. Philippe Wahl , président-directeur général

Ministère de l'intérieur

M. Jean Benoît Albertini , secrétaire général

Mardi 13 juillet 2021

Koba Global Services

M. Philippe Grenier , président

M. Édouard Martin , directeur général

Groupe Diffusion Plus

M. Benjamin Chevallard , chargé de la propagande électorale

M. Loïc Lefebvre , directeur du développement

Syndicat Confédération autonome du travail des personnels Adrexo (CAT-Adrexo)

M. Philippe Viroulet , délégué syndical central

M. Alain Gueguen , secrétaire général

CONTRIBUTIONS ÉCRITES

I. COURRIEL DE M. ALAIN BROUSSE, DIRECTEUR GÉNÉRAL D'ADREXO, À M. FRANÇOIS-NOËL BUFFET, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES LOIS, RAPPORTEUR

II. COURRIER DE REPRÉSENTANTS DES SYNDICATS SASD, FO SNPEP ET CFE-CGC SNCTPP DE L'ENTREPRISE ADREXO, À M. FRANÇOIS-NOËL BUFFET, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES LOIS, RAPPORTEUR

ANNEXE :
RÉPONSES À LA CONSULTATION
DES MAIRES DE FRANCE PAR LE SÉNAT

La présente annexe récapitule les résultats de la consultation organisée sur la plateforme Internet de consultation des élus locaux du Sénat, entre le 29 juin et le 14 juillet 2021 (en nombre de réponses, pour chaque choix proposé).

Votre commune comprend :

Moins de 500 habitants

1 296

Entre 500 et 999 habitants

615

Entre 1 000 et 3 499 habitants

694

Entre 3 500 et 9 999 habitants

272

Entre 10 000 et 19 999 habitants

73

Entre 20 000 et 99 999 habitants

60

Plus de 100 000 habitants

11

Dans quel département votre commune est-elle située ?

01 - Ain

65

02 - Aisne

87

03 - Allier

26

04 - Alpes-de-Haute-Provence

18

05 - Hautes-Alpes

8

06 - Alpes-Maritimes

8

07 - Ardèche

44

08 - Ardennes

34

09 - Ariège

22

10 - Aube

32

11 - Aude

14

12 - Aveyron

17

13 - Bouches-du-Rhône

11

14 - Calvados

44

15 - Cantal

14

16 - Charente

22

17 - Charente-Maritime

20

18 - Cher

25

19 - Corrèze

13

21 - Côte-d'Or

101

22 - Côtes d'Armor

10

23 - Creuse

7

24 - Dordogne

17

25 - Doubs

85

26 - Drôme

58

27 - Eure

48

28 - Eure-et-Loir

22

29 - Finistère

9

30 - Gard

33

31 - Haute-Garonne

33

32 - Gers

15

33 - Gironde

28

34 - Hérault

10

35 - Ille-et-Vilaine

64

36 - Indre

27

37 - Indre-et-Loire

40

38 - Isère

47

39 - Jura

83

40 - Landes

7

41 - Loir-et-Cher

27

42 - Loire

72

43 - Haute-Loire

18

44 - Loire-Atlantique

33

45 - Loiret

41

46 - Lot

13

47 - Lot-et-Garonne

22

48 - Lozère

1

49 - Maine-et-Loire

37

50 - Manche

49

51 - Marne

56

52 - Haute-Marne

33

53 - Mayenne

45

54 - Meurthe-et-Moselle

35

55 - Meuse

22

56 - Morbihan

16

57 - Moselle

98

58 - Nièvre

43

59 - Nord

28

60 - Oise

26

61 - Orne

24

62 - Pas-de-Calais

19

63 - Puy-de-Dôme

66

64 - Pyrénées-Atlantiques

53

65 - Hautes-Pyrénées

16

66 - Pyrénées-Orientales

11

67 - Bas-Rhin

60

68 - Haut-Rhin

26

69 - Rhône

65

70 - Haute-Saône

38

71 - Saône-et-Loire

90

72 - Sarthe

68

73 - Savoie

66

74 - Haute-Savoie

56

75 - Paris

1

76 - Seine-Maritime

72

77 - Seine-et-Marne

19

78 - Yvelines

14

79 - Deux-Sèvres

22

80 - Somme

24

81 - Tarn

22

82 - Tarn-et-Garonne

3

83 - Var

6

84 - Vaucluse

9

85 - Vendée

43

86 - Vienne

8

87 - Haute-Vienne

13

88 - Vosges

24

89 - Yonne

50

90 - Territoire de Belfort

17

91 - Essonne

11

92 - Hauts-de-Seine

6

93 - Seine-Saint-Denis

2

94 - Val-de-Marne

7

95 - Val-D'Oise

4

973 - Guyane

1

974 - La Réunion

1

Autres

1

Dans votre département, quelle est la société attributaire du marché de distribution des plis électoraux ? (un seul choix) 49 ( * )

Adrexo

2 194

La Poste

827

Avez-vous constaté, dans votre commune, des dysfonctionnements dans la distribution des documents de propagande électorale aux électeurs ?

Oui

2 757

Non

264

Quand ces dysfonctionnements dans la distribution des documents de propagande électorale aux électeurs se sont-ils manifestés :

Seulement au premier tour ?

107

Seulement au second tour ?

433

Aux deux tours de scrutin ?

2 217

Quels types de dysfonctionnements avez-vous constatés ou vous ont-ils été révélés par les électeurs de votre commune ? (plusieurs réponses possibles)

Absence totale de distribution des plis (pour les élections départementales ou régionales ou pour les deux)

2 501

Distribution de plis ne contenant pas l'ensemble du matériel de propagande (par exemple, seulement les professions de foi ou seulement les bulletins)

670

Distribution des plis avant le début de la campagne officielle

164

Distribution des plis après la tenue du scrutin

365

Selon les données et informations dont vous disposez, quelle est la proportion d'électeurs de votre commune qui a connu au moins l'un des dysfonctionnements évoqués ci-dessus ?

Entre
0 et 4,9 %

Entre
5 et 9,9 %

Entre 10 et 14,9 %

Entre 15 et 19,9 %

Entre 20 et 24,9 %

Entre 25 et 29,9 %

Plus
de 30 %

Au premier tour

463

178

144

130

163

98

1 581

Au second tour

211

103

103

88

97

70

2 085

Avez-vous déjà connu, à l'occasion de scrutins antérieurs, des dysfonctionnements dans la distribution des documents de propagande électorale aux électeurs ?

Oui

170

Non

2 851

Les dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales de juin 2021 sont-ils :

Plus importants ?

116

Moins importants ?

30

Aussi nombreux ?

24

Dans la distribution des documents de propagande électorale aux électeurs, avez-vous constaté au second tour des élections, par rapport au premier tour :

Moins de dysfonctionnements ?

473

Plus de dysfonctionnements ?

1 352

Autant de dysfonctionnements ?

1 196

Avez-vous constaté, dans votre commune, des difficultés dans l'acheminement jusqu'à la mairie des bulletins de vote, aux soins de la commission de propagande électorale ?

Oui

363

Non

2 658

Quand ces dysfonctionnements dans l'acheminement en mairie des bulletins de vote se sont-ils manifestés :

Seulement au premier tour ?

102

Seulement au second tour ?

167

Aux deux tours de scrutin ?

94

Dans un ou plusieurs bureaux de vote de votre commune, est-il arrivé que le nombre de bulletins de vote pour certaines listes de candidats ou certains binômes soit insuffisant ?

Oui

573

Non

2 448

Cela a-t-il donné lieu à des réclamations de la part des électeurs ?

Oui

573

Non

2 448

Avez-vous déjà connu, à l'occasion de scrutins antérieurs, des dysfonctionnements dans l'acheminement en mairie des bulletins de vote ?

Oui

90

Non

2 931

Les dysfonctionnements d'acheminement en mairie constatés lors des élections départementales et régionales de juin 2021 sont-ils :

Plus importants ?

39

Moins importants ?

21

Aussi nombreux ?

30

Dans l'acheminement en mairie des bulletins de vote, avez-vous constaté au second tour des élections, par rapport au premier tour :

Moins de dysfonctionnements ?

1 216

Plus de dysfonctionnements ?

307

Autant de dysfonctionnements ?

1 498

Quel était le taux de participation dans votre commune pour les élections départementales ?

Moins de 15 %

Entre 15 et 19,9 %

Entre 20 et 24,9 %

Entre 25 et 29,9 %

Entre 30 et 34,9 %

Entre 35 et 39,9 %

Entre 40 et 44,9 %

Entre 45 et 49,9 %

Plus de 50 %

Au premier tour

30

30

136

378

770

507

464

318

388

Au second tour

55

29

140

362

758

523

435

319

400

Quel était le taux de participation dans votre commune pour les élections régionales ?

Moins de 15 %

Entre 15 et 19,9 %

Entre 20 et 24,9 %

Entre 25 et 29,9 %

Entre 30 et 34,9 %

Entre 35 et 39,9 %

Entre 40 et 44,9 %

Entre 45 et 49,9 %

Plus de 50 %

Au premier tour

9

28

144

390

770

504

477

310

389

Au second tour

9

27

147

377

771

536

450

316

388

Résulte-t-il de vos échanges avec les électeurs de votre commune que les dysfonctionnements constatés ont eu sur la participation aux scrutins :

Une incidence majeure ?

1 253

Une incidence mineure ?

1 215

Une absence d'incidence ?

553

Parmi les mesures susceptibles de limiter ces dysfonctionnements, seriez-vous favorable à l'une des mesures suivantes ? (plusieurs réponses possibles)

Mieux faire connaître la plateforme du ministère de l'intérieur publiant les professions de foi des candidats aux élections

1 426

Dématérialiser entièrement la propagande électorale

609

Permettre aux électeurs qui en feraient la demande de ne recevoir la propagande électorale qu'en version électronique

1 827

Mettre les professions de foi des candidats à disposition des électeurs dans les bureaux de vote

808

Rallonger le délai entre les deux tours de l'élection

1 050

Si vous avez d'autres commentaires et remarques à partager, n'hésitez pas à laisser votre contribution dans ce dernier champ.

(Exemples de réponses reçues)

« Plusieurs électeurs nous ont apporté des piles d ' enveloppes de propagande électorales qui avaient été jetées dans les fossés. Des enveloppes ont été déposées dans des boîtes aux lettres ne correspondant pas aux destinataires. Près de 60 % des électeurs n ' ont pas reçu leur propagande électorale au second tour et au moins 40 % au premier tour. Des enveloppes ont été distribuées dans les heures avant l ' ouverture du scrutin. Nombreuses doléances des électeurs... »

« Dans notre commune le prestataire a déposé des piles d ' enveloppes électorales à travers la commune sans les distribuer. La non-réception de ces enveloppes a contribué à l ' abstention, les électeurs ayant pour certains estimé ne pas être assez informés et d ' autres ayant même considéré qu ' il n ' y avait pas de 2 ème tour... Des remarques sur le gaspillage d ' argent public et l ' incapacité de l ' État à organiser correctement le scrutin ont été formulées par de nombreux habitants. »

« Les dysfonctionnements relevés sont sans précédents sur ma commune (650 habitants, 508 électeurs, Nièvre) : aucune profession de foi pour aucun électeur au 1 er tour, seules les professions de foi des départementales au 2 ème tour, et encore, arrivées le samedi dans la journée veille de l ' élection. Les électeurs étaient absolument furieux, et cela a porté atteinte à l ' idée que l ' on se fait d ' une démocratie. Une élection a besoin d ' une campagne, d ' informations écrites, de temps pour réfléchir. Voir le spectacle des personnes âgées qui ne savaient pas pour qui voter, en l ' absence de programmes, les jeunes désoeuvrés, cette vision terrible, je n ' imaginais pas rencontrer un jour. Est-ce comme cela que l ' on donne aux électeurs le goût de voter ? Une démocratie doit prendre les moyens d ' informer, de permettre l ' équité entre candidats, et surtout d ' assurer la sérénité des votes. Quel manque de respect ! Je regrette profondément cette situation. »

« Nous n ' avons reçu que la propagande pour les régionales au 2 e tour, rien pour le reste, jamais vu ça en 50 ans de vie citoyenne !!!!!!!! Des électeurs m ' ont dit: « pourquoi voter, on ne sait même pas pour qui!! » (Cela concerne surtout les régionales...) J ' estime la perte de participation à 20 points dans mon village, qui vote généralement à largement plus de 70% à tous les scrutins. »

« Les dysfonctionnements constatés sont dus à l ' absence de pilotage, de suivi et de moyens dans les opérations de distributions avec des salariés livrés à eux-mêmes, sans cartes ni plans, et des distributions à pied là où un facteur passe en voiture. J ' ai interpellé des personnes qui réalisaient les distributions... Elles avaient une charge de travail impossible à réaliser avec les moyens dont elles disposaient. Au-delà du sous-traitant, l ' État aurait dû tirer les leçons du premier tour. C ' est une bien médiocre considération pour les territoires non métropolitains ou citadins. »

« J ' ai mobilisé 25 personnes pour la mise sous pli des élections départementales, même pas un quart de distribué, c ' est véritablement irrespectueux pour ceux qui ont participé à cet effort. »

« Le problème majeur a été la confusion pour les électeurs entre la circulaire et le bulletin de vote pour les élections régionales à l ' occasion du 2 ème tour. Les bulletins de vote n ' ont pas été renvoyés dans les enveloppes avec les professions de foi, ainsi une grande partie des électeurs a mis la circulaire à la place du bulletin de vote - 11 % d ' entre eux (16 % dans le village voisin pour cette même raison), d ' où un nombre de votes nuls énorme ! »

« Beaucoup d ' électeurs ont dit, qu ' en raison de cette absence de distribution, ils n ' avaient pas d ' information sur les candidats ; certains sont venus pour voir si le second tour était bien maintenu. (...) Cette non distribution a probablement été de nature à modifier les résultats des scrutins, en provoquant d ' une part une diminution du taux de participation, et d ' autre part, en mettant en avant les candidats ayant quant à eux fait distribuer dans toutes les boîtes aux lettres des propagandes appelant à voter pour eux, seules propagandes à disposition des électeurs. »

« Ces dysfonctionnements ont sans doute joué sur les résultats : à savoir une large reconduction des candidats sortants, souvent seuls candidats connus des électeurs. Cela pose un réel souci démocratique, d ' autant que les conditions sanitaires ont réduit les possibilités des candidats d ' échanger avec les électeurs et d ' aller à leur rencontre. »

« On ne peut pas dématérialiser la propagande électorale car certaines personnes n ' ont pas internet ou l ' accès internet dans certains territoires est faible. »

« Dématérialiser entièrement la propagande ne serait, à mon sens, pas pertinent, car cela créerait une inégalité d ' accès à l ' information. En effet, notre population est composée de jeunes connectés mais aussi de personnes plus âgées, non initiées et non équipées en informatique. Cette population est attachée à la réception de la propagande au format papier. »

« À titre personnel, j ' ai essayé de chercher les professions de foi sur internet afin de les lire et de connaître les candidats autrement que par les médias (radio, TV) mais je ne connaissais pas le site mentionné ci-dessus et il n ' est jamais apparu lors de ma recherche. Je suis déçu de ne pas avoir reçu les professions de foi mais aussi que l ' information d ' un site regroupant ces professions de foi n ' ait pas été plus fortement véhiculée entre les deux tours au vu de la situation de la distribution des documents au premier tour. »

« Ces dysfonctionnements de distribution pourraient résulter de la non-corrélation entre la base de données utilisée par le ministère de l ' Intérieur (listes électorales), et la base adresses de La Poste. Pour notre commune, la renumérotation des adresses a eu lieu en 2018-2019, alors que les listes électorales n ' ont pas été révisées dans leur totalité depuis 2017-2018. Celles-ci ne tiennent donc pas compte des nouvelles numérotations et adresses (utilisées par La Poste). Il est donc impératif soit de corréler les 2 bases de données, soit de proposer des révisions de listes de manière plus régulière, ou plus automatique... »

« Je propose de ne distribuer les documents pré-électoraux que dans une enveloppe par foyer, sans préciser les coordonnées sur l ' enveloppe. La distribution en serait ainsi facilitée, en glissant l ' enveloppe dans toutes les boîtes aux lettres de la commune. »


* 1 Composition de la mission d'information : François-Noël Buffet, rapporteur, Stéphane Le Rudulier, Éric Kerrouche, Nathalie Goulet, Alain Richard, Cécile Cukierman, Jean-Yves Roux, Guy Benarroche et Dany Wattebled, membres.

* 2 Voir ci-après, p. 47 .

* 3 Il ne s'agit pas d'une obligation : les candidats sont évidemment libres de diffuser tout message écrit auprès des électeurs, et ils peuvent faire déposer eux-mêmes des bulletins de vote dans les bureaux de vote (article L. 58 du code électoral). Mais outre le fait que le concours de la commission de propagande électorale est gratuit, il permet en principe de toucher tous les électeurs, puisque les commissions ont accès, pour la distribution des plis, à leur liste complète et à leur adresse postale.

* 4 Il s'agit, pour les élections départementales, de l'article L. 212 du code électoral et, pour les élections régionales, de son article L. 354. Pour les élections municipales, une commission de propagande n'est instituée que dans les communes de plus de 2 500 habitants. Pour l'élection présidentielle, la commission nationale de contrôle de la campagne électorale (prévue par le décret n°2001-213 du 8 mars 2001 portant application de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel ) en remplit les fonctions.

* 5 Articles L. 52-3, R. 27, R. 29 et R. 30 du code électoral. Mis à part l'interdiction de l'utilisation de l'emblème national, les prescriptions relatives aux circulaires ne s'appliquent que dans le cas où les candidats veulent obtenir pour leur distribution le concours de la commission de propagande.

* 6 Lorsque la circonscription excède les limites du département (comme c'est le cas pour les élections régionales), le contrôle de conformité est effectué par la commission de propagande du département chef-lieu de circonscription qui transmet sans délai ses décisions aux commissions de propagande des autres départements (article R. 38 du même code).

* 7 Article 34 du même code. Cet article pourvoit au cas où le nombre de circulaires et de bulletins remis par les candidats est insuffisant : à défaut de proposition de répartition formuée par le candidat, le binôme ou la liste ou, en tout état de cause, si la commission le décide, les circulaires demeurent à la disposition du candidat et les bulletins de vote sont distribués dans les bureaux de vote, à l'appréciation de la commission, en tenant compte du nombre d'électeurs inscrits.

* 8 Plusieurs opérateurs ont été retenus dans le cadre de ces marchés, certains pour plusieurs départements. Ainsi, la société Koba Global Services a été retenue pour effectuer tout ou partie de la mise sous pli dans 33 départements pour les élections départementales et 35 pour les élections régionales, la société Groupe Diffusion Plus dans sept départements.

* 9 Pour les lots n os 1 (Île-de-France hors Paris), 2 (Paris), 5 (Bretagne), 7 (Corse), 11 (Nouvelle-Aquitaine), 12 (Occitanie), 14 (Provence-Alpes-Côte-d'Azur), 15 (Outre-mer) et 16 (étranger).

* 10 Pour les lots nos 3 (Auvergne-Rhône-Alpes), 4 (Bourgogne-Franche Comté), 6 (Centre-Val-de-Loire), 8 (Grand Est), 9 (Hauts-de-France), 10 (Normandie) et 13 (Pays-de-la-Loire).

* 11 En application de la directive 97/67/CE, modifiée, du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service .

* 12 Article 7 de la loi n° 2021-191 du 22 février 2021 portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique.

* 13 Il semble que cette date ait été retenue par toutes les préfectures.

* 14 Article 7 du décret n° 2021-483 du 21 avril 2021 portant convocation des collèges électoraux pour procéder à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers régionaux, des conseillers à l'Assemblée de Corse, des conseillers à l'assemblée de Guyane et des conseillers à l'assemblée de Martinique , tirant les conséquences sur ce point de l'article 8 de la loi n° 2021-191 du 22 février 2021 précitée.

* 15 Article 7 du décret n° 2021-483 du 21 avril 2021 précité.

* 16 Ibid ., en application de l'article L. 350 du code électoral.

* 17 Cahier des clauses techniques particulières, II.5.

* 18 Il s'agit de la différence entre le nombre d'électeurs et le nombre de plis distribués (égale à la somme des plis non livrés aux distributeurs et des plis non distribués par ces derniers).

* 19 Enquête auprès de 10 105 personnes inscrites sur les listes électorales, constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas (appliquée au sexe, à l'âge, à la profession, à la région et à la catégorie d'agglomération), du 7 au 11 juillet 2021.

* 20 À savoir, pour les élections régionales, le Conseil d'État en premier et dernier ressort, et pour les élections départementales, les tribunaux administratifs en premier ressort et le Conseil d'État en appel.

* 21 Conseil constitutionnel, décision n° 97-2273 AN du 10 juillet 1997.

* 22 Conseil d'État, 17 novembre 2010, Élections régionales d'Alsace , n° 338089.

* 23 Conseil constitutionnel, décision n° 2019-28 ELEC, 21 février 2019, Observations relatives aux élections législatives des 11 et 18 juin 2017 .

* 24 Conseil d'État, 22 juin 2001, Élections cantonales de l'Isle-Adam , n° 220052. Voir aussi, tout récemment, Cour administrative d'appel de Marseille, 7 avril 2021, M. Bou, n° 19MA05186 : « Compte tenu de la proportion des électeurs n'ayant pas reçu les documents électoraux de M. Bou et du très faible nombre de voix ayant manqué à ce dernier pour recueillir au moins 5% des suffrages exprimés, la faute commise par l'État a été de nature à le priver d'une chance sérieuse d'obtenir le remboursement forfaitaire des dépenses électorales prévu à l'article L. 52-11-1 du code électoral ». En revanche, le seul fait d'avoir engagé des dépenses pour l'impression de bulletins ou de circulaires non distribués ne constitue pas un préjudice financier indemnisable, puisque la loi prévoit le remboursement de ces dépenses aux candidats et aux listes ayant dépassé un certain nombre de voix (Conseil d'État, 8 juillet 2020, Ministre de l'intérieur c/ M. Morel et l'Union centriste démocrate , n° 438228).

* 25 Conseil d'État, 8 juillet 2020, n° 438228, décision précitée.

* 26 Voir l'avis relatif aux contrats de la commande publique ayant pour objet des services sociaux et autres services spécifiques, annexé au code de la commande publique.

* 27 Leur liste complète peut être consultée sur le site de l'ARCEP, à l'adresse suivante : https://www.arcep.fr .

* 28 En mai 2021, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), 47,9 millions de personnes étaient inscrites sur les listes électorales françaises hors Nouvelle-Calédonie. Les électeurs appelés à voter aux élections départementales et régionales de juin 2021 étaient un peu moins nombreux, puisque ces scrutins ne concernaient aucune des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution (étant entendu, en outre, que les élections départementales n'ont pas lieu à Paris ni sur le territoire de la métropole de Lyon, et qu'il existe en Corse, en Guyane, en Martinique et à Mayotte des collectivités uniques exerçant à la fois les compétences départementales et régionales).

* 29 Article L. 2142-1 du code de la commande publique.

* 30 Cour de cassation, chambre sociale, 15 juin 2016, n° 15-10273. Le temps de travail des distributeurs était fixé préalablement, sur la base de l'estimation de la durée nécessaire à l'exécution de la mission, et sans qu'aucune régularisation ne soit possible en fonction du temps de travail réel.

* 31 Ces données, issues des comptes annuels déposés au greffe du tribunal de commerce, sont publiques.

* 32 C'était en tout cas l'appréciation du procureur de la République lors de l'audience préalable au jugement d'homologation de l'accord de conciliation, le 25 février 2020. Rappelons qu'une procédure de conciliation peut être ouverte au bénéfice d'une entreprise qui ne se trouve pas en état de cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours. Pour être homologué, l'accord doit mettre fin, le cas échéant, à cet état.

* 33 Ces informations figurent, pour l'essentiel, dans le jugement d'homologation, qui a un caractère public.

* 34 Le règlement de la consultation imposait en outre, pour la vérification des capacités techniques des candidats, la remise d'une copie de l'autorisation délivrée par l'ARCEP et d'une déclaration indiquant les effectifs moyens annuels et l'importance du personnel d'encadrement pour les trois années précédentes, et pour celle de leurs capacités professionnelles, la transmission de la liste des principaux services fournis au cours de ces trois années.

* 35 I de l'article 2 de l'arrêté du 22 mars 2019 des ministres des armées, de l'économie et des finances et des outre-mer fixant la liste des renseignements et des documents pouvant être demandés aux candidats aux marchés publics . La liste des documents nécessaires à l'appréciation des capacités techniques et professionnelles des candidats, fixée à l'article 3 du même arrêté, est au contraire limitative. Sous l'empire de l'ancien code des marchés publics (abrogé le 1 er avril 2016), la liste était limitative dans les deux cas (voir l'arrêté du 28 août 2006, pris en application de l'ancien article 45 du code des marchés publics).

* 36 Aucune autorisation préalable n'est nécessaire pour la distribution d'imprimés publicitaires.

* 37 À propos de l'item 3.1 « Qualité des dispositifs mis en oeuvre pour informer l'administration des incidents et des retards », les deux offres sont jugées excellentes et obtiennent 40 points sur 40.

* 38 Cette vidéo est disponible à l'adresse suivante :

https://www.youtube.com/watch?v=WsDSF3S85sQ .

* 39 La société Gojob met également à disposition de ses salariés des modules de formation vidéo généralistes de mise en situation professionnelle.

* 40 Rapport n° 266 (2019-2020) de François Bonhomme, fait au nom de la commission des lois, sur la proposition de loi relative à la simplification et à la modernisation de la propagande électorale , 22 janvier 2020, p. 7. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l19-266/l19-2661.pdf .

* 41 Décret n° 2021-569 du 11 mai 2021 portant dérogation aux règles de grammage des circulaires et des bulletins de vote pour l'élection des conseillers départementaux, des conseillers régionaux, des conseillers à l'assemblée de Corse, des conseillers à l'assemblée de Guyane et des conseillers à l'assemblée de Martinique des 20 et 27 juin 2021.

* 42 Voir ci-avant, paragraphe III.3. d .

* 43 Audition de Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur, par la commission des lois de l'Assemblée nationale, 29 juin 2021.

* 44 Article 7, point 1 de la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service .

* 45 Amendement n° 47, présenté par Alain Richard et les membres du groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendantes, lors de l'examen en séance publique du projet de loi portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique , le 26 janvier 2021. Cet amendement peut être consulté à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/amendements/2020-2021/288/Amdt_47.html .

* 46 Le maire est compétent pour statuer sur les demandes d'inscription sur la liste électorale de la commune (article L. 18 du code électoral). Il est également chargé de transmettre à l'INSEE les informations nécessaires à la tenue du répertoire électoral unique, notamment l'adresse au titre de laquelle l'électeur est inscrit sur la liste électorale et son adresse postale de contact (décret n° 2018-343 du 9 mai 2018 portant création du traitement automatisé de données à caractère personnel permettant la gestion du répertoire électoral unique pris en application des dispositions du I de l'article 2 et de l'article 7 de la loi n° 2016-1048 du 1er août 2016 rénovant les modalités d'inscription sur les listes électorales ).

* 47 Article 14 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire .

* 48 Le Sénat s'est par exemple opposé à ce que le nombre d'isoloirs soit durablement divisé par deux en cas de double scrutin : voir le rapport n° 596 (2020-2021) de Philippe Bas fait, au nom de la commission des lois du Sénat, sur le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire , p. 69-70. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l20-596/l20-5961.pdf .

* 49 Les réponses sont ici comptabilisées telles quelles. Pour l'analyse des résultats de la consultation dans le corps du rapport (II.B), elles ont été redressées en fonction de la localisation de la commune et de l'attribution des lots du marché de distribution.

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