EXAMEN EN COMMISSION

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Réunies le mercredi 29 septembre 2021, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, et M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, les commissions ont examiné le rapport d'information de MM. Hussein Bourgi, Laurent Burgoa, Xavier Iacovelli et Henri Leroy, rapporteurs, sur les mineurs non accompagnés.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous entendons les analyses et propositions de nos quatre rapporteurs Hussein Bourgi, Laurent Burgoa, Xavier Iacovelli et Henri Leroy sur les mineurs non accompagnés.

La commission des affaires sociales a publié un rapport de nos collègues Jean-Pierre Godefroy et Élisabeth Doineau en 2017 sur ce sujet difficile, qui reste d'une actualité forte, en particulier pour les départements qui voient leurs capacités d'accueil mises à mal par des flux très importants, au fil des arrivées qui sont un peu le thermomètre de la géopolitique du moment.

C'est donc avec un grand intérêt que nous attendons les conclusions de nos collègues.

M. Laurent Burgoa , rapporteur . - Ce sujet sensible suscite effectivement de vives inquiétudes et certaines crispations politiques : c'est pour cela que nous devons nous en saisir.

Plusieurs travaux importants ont déjà été réalisés sur le sujet, en particulier le rapport d'information très complet réalisé par Élisabeth Doineau et notre ancien collègue Jean-Pierre Godefroy en 2017, intitulé « Mineurs non accompagnés : répondre à l'urgence qui s'installe ». Au printemps dernier, les députés se sont plus particulièrement penchés sur les problématiques de sécurité associées à la présence de MNA.

Pourquoi un nouveau rapport sur le sujet ? Alors que le phénomène s'est durablement installé dans nos territoires, les questions qu'il pose sont restées largement irrésolues, en dépit de certaines avancées. Plusieurs textes en préparation ou en cours de navette tentent d'y apporter des réponses. C'est pourquoi le moment apparaît opportun de clarifier les termes actuels du débat et de proposer des orientations pour l'avenir.

Nous avons choisi d'aborder la question sous trois angles : celui de l'entrée dans le dispositif d'accueil de MNA, qui pose le problème épineux de la répartition des compétences entre les départements et l'État ; celui des problèmes de sécurité posés par certains jeunes isolés, en évaluant le rôle éventuel de filières criminelles ; enfin, celui de la préparation de la sortie de la minorité et de l'accompagnement de ces jeunes vers l'autonomie.

Je vous parlerai en premier lieu des aspects relatifs à la régulation des entrées dans le dispositif MNA.

Les personnes se présentant comme MNA font l'objet d'une procédure spécifique en amont de leur prise en charge de droit commun par l'aide sociale à l'enfance (ASE). Il incombe au département de procéder à une évaluation sociale des demandeurs, le point crucial étant de déterminer s'il s'agit de mineurs. En outre, le département est tenu de mettre en place un accueil provisoire d'urgence, ou « mise à l'abri », d'une durée théorique de cinq jours.

Le nombre de MNA intégrant les dispositifs de protection de l'enfance avait plus que triplé entre 2014 et 2017, passant de 5 033 à 17 022 selon les chiffres du ministère de la justice. L'année 2020 a été marquée par une forte diminution des déplacements du fait de la pandémie : 9 524 placements ont été enregistrés. Toutefois, le nombre d'entrées de MNA à l'ASE avait déjà connu une légère baisse de 1,5 % en 2019.

Le nombre d'évaluations conduites par les départements est cependant resté élevé sans que l'on puisse en connaître le nombre exact. Selon les chiffres provisoires communiqués par le ministère, il s'est élevé à 37 212 en 2019 après 51 337 en 2020. Il se confirme qu'une part prépondérante des personnes évaluées ne sont pas considérées comme mineures à l'issue de ce processus : l'Association des départements de France (AdF) estime à 70 % le nombre de personnes évaluées majeures, le ministère, lui, à 55 % en moyenne entre 2016 et 2019.

Or, cette phase « amont » représente une charge financière importante pour les départements : passé le délai de cinq jours de recueil administratif, la mise à l'abri du jeune demandeur se prolonge tant qu'une décision de l'autorité judiciaire n'est pas intervenue.

En « aval », l'effectif de MNA pris en charge par l'ASE se maintient à un niveau élevé, représentant des dépenses parfois très lourdes. Selon le ministère de la justice, 23 461 mineurs non accompagnés étaient ainsi pris en charge par les conseils départementaux au 31 décembre 2020, après 31 009 fin 2019 et 28 411 fin 2018.

Pour quantifier cette charge, nous estimons à 1,1 milliard d'euros dans le rapport le coût annuel de la prise en charge des MNA par l'ASE. Il s'avère toutefois difficile de retracer avec précision les dépenses d'aide sociale à l'enfance directement imputables aux MNA.

Devant ces chiffres, un soutien plus fort de l'État reste attendu. L'aide de l'État est en baisse cette année dans ses deux composantes. En particulier, le mode de calcul actuel de la contribution de l'État aux dépenses d'ASE, assise sur l'augmentation des flux entrants avec une année de décalage, rend sa contraction quasiment inexorable.

L'entrée dans le dispositif cristallise une grande partie des difficultés et des incohérences de cette politique. Depuis 2013, un référentiel partagé a été progressivement mis en place. L'évaluation doit ainsi s'appuyer sur un faisceau d'indices et avoir un caractère pluridisciplinaire. Le département peut bénéficier du concours des services préfectoraux avec la création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé « appui à l'évaluation de la minorité » (AEM). Enfin, le recours à des examens osseux complémentaires a été encadré par la loi.

En dépit de cet encadrement et de ces efforts d'harmonisation, la Cour des comptes relève dans un référé d'octobre 2020 que « l'évaluation de minorité et d'isolement familial reste très hétérogène d'un département à un autre quant à sa durée et à ses modalités ». Ces constats ont été corroborés par nos auditions. Le degré de professionnalisme de l'organisme en charge de l'évaluation, la durée de l'évaluation et les conditions de mise à l'abri dans le cadre du recueil provisoire d'urgence diffèrent d'un territoire à l'autre et engendrent des taux de prise en charge inégaux à l'issue de l'évaluation. La question de l'impartialité de l'évaluation lorsque l'organisme qui en est chargé assure également la mise à l'abri, a également été posée.

Ces multiples différences de traitement engendrent des différences d'attractivité entre les territoires, qui tendent elles-mêmes à renforcer les inégalités.

En conséquence, le dispositif national d'orientation des MNA est fragilisé par la défiance de plusieurs départements, ce qui donne lieu à des pratiques de réévaluation des jeunes provenant d'autres territoires.

Sur l'ensemble du territoire, on constate un manque de cohérence de la politique conduite par les différents acteurs. La multiplicité des instances susceptibles d'être saisies - procureur de la République, juge pour enfants, juge administratif - engendre une multitude de procédures parallèles, qui amènent à la prise de décisions contradictoires.

Face à ces constats, le rapport formule plusieurs propositions tendant à créer les conditions d'une véritable politique nationale. Il y a en la matière un défaut de pilotage et de coordination qui explique une grande partie des difficultés ; n'oublions pas d'associer à la réflexion sur la réforme de cette gouvernance le ministère des affaires étrangères pour prendre en compte la dimension internationale du phénomène.

La question de la répartition des compétences entre l'État et les départements en ce qui concerne la gestion de l'évaluation et de la mise à l'abri des personnes se présentant comme MNA doit être tranchée dans le sens d'une centralisation de cette phase initiale, qui relève d'une politique migratoire sur laquelle les départements n'ont aucune prise et qui donne lieu à des dépenses indues pour les collectivités. Ce scénario favoriserait la mise en cohérence de la politique conduite entre les différents acteurs.

D'ores et déjà, la compensation par l'État doit couvrir l'intégralité des dépenses des départements afférentes à la prise en charge des personnes se présentant comme MNA pendant la durée de l'évaluation. Par ailleurs, l'ensemble des départements devraient recourir au dispositif AEM afin de fiabiliser les évaluations : bien que la participation financière de l'État soit désormais modulée en fonction de l'utilisation de cet outil, plusieurs départements refusent toujours d'y recourir.

Quelle que soit la collectivité publique responsable de la phase d'évaluation et de mise à l'abri, une homogénéisation des conditions dans lesquelles celle-ci est mise en oeuvre est indispensable.

À cette fin, nous considérons que l'évaluation doit, de préférence, être exercée directement par les services compétents. Dans les cas où elle est déléguée, la personne publique responsable doit imposer à l'association délégataire la présentation de rapports d'activité les plus complets possible et en assurer un suivi rigoureux.

Pour améliorer la qualité de l'évaluation, il est par ailleurs souhaitable qu'un temps de répit, uniquement dédié à la protection et préalable à l'évaluation, soit garanti à toutes les personnes se présentant comme MNA. Il semble également nécessaire, notamment pour des raisons de santé publique, de réaliser effectivement un premier rendez-vous de santé dès le stade de l'évaluation, qui ne doit pas avoir pour objet de déterminer l'âge de la personne.

Concernant les examens osseux, le cadre posé par le Conseil constitutionnel, qui tire les conséquences des avis scientifiques réservés sur la fiabilité de ces tests, doit être respecté sur l'ensemble du territoire national. Le dernier avis du Haut Conseil de la santé publique sur le sujet datant de 2013, il serait toutefois intéressant de réaliser une nouvelle étude afin de vérifier si de nouvelles méthodes scientifiques permettent aujourd'hui de déterminer avec davantage de précision et de fiabilité l'âge d'un individu.

En conséquence de l'application plus uniforme de la procédure d'évaluation sur le territoire, il apparait souhaitable d'interdire les réexamens de la minorité lorsque celle-ci a été actée par un département ou confirmée par décision de l'autorité judiciaire. Nous recommandons d'unifier, par une circulaire du Garde des Sceaux, la politique en matière de traitement par le parquet des demandes de placement à l'ASE.

Pour sécuriser les moyens financiers de la protection de l'enfance, nous plaidons enfin pour pérenniser la contribution « exceptionnelle » de l'État aux dépenses des départements et pour revoir son mode de calcul en se basant non pas sur la variation des flux de MNA entrants, mais sur l'effectif de MNA pris en charge par l'ASE. À cette fin, il est indispensable que les départements soient en mesure de mieux comptabiliser les dépenses liées à la prise en charge des MNA par l'ASE.

M. Hussein Bourgi , rapporteur . - Les inégalités de traitement en matière d'hébergement méritent une attention particulière. D'abord, l'accueil provisoire d'urgence n'est pas toujours effectif. Or, lorsqu'une personne se présentant comme MNA n'est pas mise à l'abri le temps de l'évaluation, elle se retrouve à la rue en attendant l'évaluation de sa situation, ce qui compromet gravement ses chances et la place en position de vulnérabilité, en particulier vis-à-vis des réseaux mafieux.

Il apparaît ensuite que la mise à l'abri des MNA lors de la phase d'évaluation s'opère en très grande partie à l'hôtel. Plusieurs conseils départementaux que nous avons auditionnés ont confirmé recourir habituellement à l'hébergement hôtelier pour tout ou partie des personnes en cours d'évaluation.

Les problèmes posés par l'hébergement hôtelier dépendent de ses conditions de mise en oeuvre, qui varient fortement selon les départements. L'hébergement hôtelier est souvent marqué par un faible contrôle de la qualité des lieux d'accueil, un accompagnement très limité par les travailleurs sociaux ainsi qu'une perception relativement négative de leurs conditions de vie par les jeunes concernés. Ils sont accueillis le soir pour dormir, et le matin ils sont mis à la porte, livrés à eux-mêmes.

Certains hôtels paupérisés se sont spécialisés dans ce type de prestation, ne vivant que du public apporté par les collectivités, avec des redevances garanties, et laissant ainsi leur établissement se dégrader. Dans plusieurs villes, des hôtels n'accueillent que des MNA, ne font plus de travaux de sécurité ni de ravalement, ce qui ne facilite pas l'insertion de ces jeunes dans leur environnement. En tout état de cause, ces lieux ne sont pas appropriés pour l'accueil de mineurs.

Comme nous l'avons constaté en Gironde, il existe des alternatives à l'hôtel, tels les « hébergements diffus » en semi autonomie parfois confiés à des prestataires, qui peuvent offrir des conditions de contrôle et d'accompagnement meilleures.

L'hébergement hôtelier semble fréquemment se poursuivre pour les jeunes ayant été reconnus comme mineurs. Selon l'IGAS, le nombre moyen de mineurs accueillis à l'hôtel s'élève au minimum à 5 % des jeunes de l'ASE. 95 % des mineurs hébergés à l'hôtel seraient des MNA et 28 % des MNA admis à l'ASE seraient pris en charge à l'hôtel.

Cette pratique est très inégalement répandue selon les départements, nos auditions ont montré qu'elle évolue favorablement dans certains cas. Paris a ainsi transformé plus de 600 chambres d'hôtel accueillant des mineurs en foyers ou appartements partagés et veille désormais à faire en sorte que plus aucun enfant confié à l'ASE ne soit hébergé à l'hôtel. C'est une initiative à encourager car elle permet la présence constante de travailleurs sociaux.

Nos recommandations vont dans le sens d'une homogénéisation « par le haut » de la mise à l'abri, qui devrait relever de la compétence de l'État. Il va de soi que la mise à l'abri prévue par la loi doit avant tout être effective, quel que soit le mode d'hébergement retenu. La pratique de l'hébergement hôtelier devrait en principe être exclue s'agissant des MNA reconnus mineurs. Nous estimons également souhaitable de tendre vers la fin de l'hébergement à l'hôtel pour la mise à l'abri des personnes en cours d'évaluation.

Les conditions de prise en charge des MNA peuvent accentuer leur vulnérabilité et le risque pour eux d'entrer dans la délinquance ou dans un réseau mafieux. L'hébergement en structure hôtelière peut notamment en faire la proie de réseaux criminels.

Si, dans le cadre de ce rapport, nous avons souhaité nous intéresser à la délinquance des mineurs non accompagnés, malgré l'existence de travaux déjà nombreux sur le sujet, notamment du rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, c'est que le problème est réel sur nos territoires et qu'il ne sert à rien de le nier. Il suffit de lire la presse régionale pour constater que le phénomène, longtemps concentré dans le centre des métropoles, s'étend maintenant dans le périurbain et dans les transports en commun.

Henri Leroy présentera les questions relatives à la sécurité mais je souhaite souligner un point qui nous a particulièrement intéressés lors de notre déplacement en Gironde, et qui a été confirmé ensuite par les représentants d'autres départements. C'est le fait qu'il ne faut pas confondre les mineurs non accompagnés pris en charge par l'aide sociale à l'enfance et les jeunes délinquants en errance. Même s'il existe des MNA qui ont commis des faits de délinquance et sur lesquels nous avons des données de la part des départements (de 5 % à 10 % selon les cas), ce sont deux populations distinctes qui ne se recoupent que très marginalement.

En effet, les jeunes délinquants en errance présentent un profil sociologique distinct des MNA pris en charge par l'ASE.

Les jeunes délinquants sont plus âgés en moyenne que les MNA pris en charge par l'ASE, avec une proportion importante de jeunes en réalité majeurs, qui détruisent leurs papiers d'identité et proviennent principalement des pays d'Afrique du Nord, alors que la majorité des jeunes pris en charge par l'ASE est issue de l'Afrique sub-saharienne, ils ne posent guère de problème et veulent s'intégrer par la scolarité ou le travail. Surtout, les jeunes délinquants errants ne sont, le plus souvent, pas pris en charge par l'ASE et ils ne s'inscrivent pas dans un parcours d'insertion.

Cette différence a été soulignée avec force par le président du conseil départemental de la Gironde et par la mission MNA relevant de la direction départementale de la sécurité publique de la Gironde. Ils nous ont invités à distinguer les deux populations et à ne pas nier la qualité du travail des travailleurs sociaux et la volonté d'intégration des MNA. Alors même que la situation en Gironde, et particulièrement à Bordeaux, a fait l'objet d'une attention médiatique et politique soutenue, les forces de police ont indiqué aux rapporteurs qu'il ne se produit aucun cas où une personne se présentant comme mineure est arrêtée puis remise au département car, inconnus de l'ASE, les délinquants refusent en réalité toute prise en charge par les pouvoirs publics et les associations.

Dominique Versini, conseillère de Paris et adjointe à la Maire en charge des droits de l'enfant et de la protection de l'enfance, a fait le même constat de refus de prise en charge par les jeunes en errance du quartier de la Goutte d'Or, souvent arrivés très jeunes, à l'âge de 12 ou 13 ans, mais intégrés à des filières de délinquance locale et victimes d'addictions et d'exploitation.

La population des jeunes en errance se caractérise par sa vulnérabilité. En particulier, ces jeunes présentent fréquemment une addiction à des substances psychotropes illicites ou à des médicaments détournés de leur usage initial. Ces jeunes sont aussi victimes de violence et d'exploitation sexuelle, voire de traite des êtres humains.

Nous nous sommes interrogés sur l'éventuelle emprise de filières criminelles internationales organisées sur les jeunes en errance. À l'issue de l'audition des administrations concernées et des acteurs de terrain, il nous apparaît que la question des filières criminelles et de traite des êtres humains, dont il est documenté qu'elles ont recours à des mineurs pour commettre des actes de délinquance, constitue un enjeu grave mais distinct de celui de l'arrivée des MNA en France et de la délinquance de jeunes en errance. Les jeunes délinquants dans les filières, notamment les jeunes Roms, sont en effet étroitement contrôlés par le réseau international auquel ils appartiennent et rarement privés de tous liens familiaux qui peuvent contribuer à leur exploitation.

On constate néanmoins la mainmise de délinquants plus aguerris et expérimentés sur les plus jeunes dès leur arrivée. Ce phénomène est attesté depuis 2016 dans le quartier de la Goutte d'Or à Paris, où un réseau de délinquance locale et à la notoriété fantasmée continue, semble-t-il, à attirer les jeunes en errance. Il a aussi été présenté comme une réalité à Bordeaux, où les jeunes en errance sont repérés et recrutés dès leur arrivée en gare par des délinquants locaux.

Afin d'éviter l'emprise de réseaux de délinquance sur les mineurs non accompagnés, nous préconisons de généraliser les maraudes mixtes entre l'État et les départements pour identifier les MNA et faciliter leur orientation vers les services de protection de l'enfance le plus en amont possible.

Nous proposons également d'éloigner géographiquement les mineurs pris en charge afin, le cas échéant, de les libérer de l'emprise de réseaux criminels organisés à l'instar de la politique conduite en Gironde où le placement en zones rurales des MNA en difficulté a permis de résoudre durablement des problèmes d'emprise criminelle.

Je conclurai en soulignant qu'il nous paraît important de distinguer des populations dont la volonté d'intégration diffère. Ainsi, lorsque l'on traite de la délinquance, il nous paraît plus adéquat de parler de jeunes en errance et non de mineurs non accompagnés.

M. Henri Leroy , rapporteur . - Notre rapport conduit à un constat sans appel : les infractions commises par les jeunes en errance sont de plus en plus nombreuses, graves et violentes.

La délinquance liée à ce public représente, sur la période récente, une part croissante de la délinquance en général. Même s'il n'existe pas de statistiques nationales sur le sujet, les données transmises par la préfecture de police de Paris et par la préfecture des Bouches-du-Rhône sont singulièrement inquiétantes. Sur le ressort de la préfecture de police de Paris, la part des jeunes en errance sur le total des mis en cause a plus que doublé entre 2016 et 2020. Par catégorie d'infraction, le constat est tout aussi alarmant : en 2020, les jeunes en errance représentaient 40 % des mis en cause pour des faits de vol à la tire et 29 % pour faits de cambriolage (contre 3 % en 2016). Sur le ressort de la préfecture des Bouches-du-Rhône, sur la seule année 2020, le nombre de mineurs étrangers mis en cause a progressé de 23,3 % et les services préfectoraux estiment « qu'ils sont à l'origine de près de la moitié des faits relatifs [à la délinquance de voie publique] ». Selon la direction départementale de la sécurité publique de Gironde, les faits de délinquance imputables aux mineurs étrangers représentaient ainsi en 2019 près de 73 % des infractions de voie publique.

Ensuite, les infractions commises par les jeunes en errance tendent à être plus graves et plus violentes. Alors que les principales catégories d'infraction identifiées étaient, par le passé, les vols à la tire, on constate le développement sur la période récente des vols par effraction et, surtout, des vols avec violence. Cette tendance est accentuée par l'usage de plus en plus régulier d'armes blanches.

La montée en puissance de la délinquance liée aux jeunes en errance est également perceptible dans les chiffres transmis par les services du ministère de la Justice. Ainsi, la section compétente du parquet de Paris a traité, pour les trois premiers mois de l'année 2021, un total de 1 870 mesures de garde à vue à l'encontre de ces jeunes, soit une moyenne de 15,6 gardes à vue par jour.

Enfin, les observations convergent dans le sens d'une propagation de la délinquance liée aux jeunes en errance des centres villes vers les communes périphériques, voire dans certaines zones rurales.

Alertés par notre collègue Thani Mohamed Soilihi sur les difficultés de sécurité liée à la présence de MNA à Mayotte, nous avons profité des informations recueillies sur place lors du déplacement d'une délégation de la commission des lois conduite par le Président François-Noël Buffet. Vous trouverez dans le rapport un point sur la situation spécifique de ce département.

Face à la délinquance des jeunes en errance, nous avons constaté un certain sentiment de découragement chez les forces de l'ordre et les magistrats. Des cas où un même jeune est interpellé plusieurs fois dans la même semaine, voire le même week-end, sans qu'il soit possible de fixer son identité, ont été reportés. L'insuffisance et l'inadaptation de la réponse pénale constituent également un motif de préoccupation majeur.

La première des difficultés auxquelles sont confrontées les forces de l'ordre a trait à l'identification des jeunes en errance interpellés. En effet, ces derniers refusent le plus souvent de décliner leur identité et ne possèdent pas de documents d'état civil. De plus, ces jeunes se présentent systématiquement comme mineurs lors de leur interpellation, ce qui implique l'application de la loi pénale pour les mineurs, plus protectrice. Or, les forces de l'ordre ne disposent pas de moyens adaptés pour établir l'âge de la personne et, le cas échéant, établir sa majorité au cours de la période de garde à vue sauf à recourir, avec l'autorisation d'un magistrat, à un test osseux, procédure lourde et peu probante.

En particulier, elles ne disposent pas d'un accès aux données contenues dans le fichier d'appui à l'évaluation de la minorité (AEM), ce qui pourrait pourtant permettre d'identifier immédiatement les jeunes ayant été reconnus majeurs par les services départementaux de l'ASE. Cette difficulté est encore amplifiée par l'utilisation de multiples alias de la part des jeunes interpellés.

Cet état de fait n'est pas sans conséquences sur la poursuite de la procédure judiciaire. En effet, cette difficulté à « fixer » l'identité des jeunes en errance interpellés conduit à les considérer systématiquement comme des primo-délinquants. Elle s'oppose tant à la gradation de la réponse pénale qu'à la mise en place d'un accompagnement adapté et au long cours.

Dans ce contexte, nous avons accueilli favorablement le projet de rendre obligatoire le recours au traitement AEM. Nous souhaitons également ouvrir l'accès aux données qui y sont enregistrées aux forces de l'ordre. Un tel accès ne permettrait certes pas de résoudre l'ensemble des difficultés liées à l'identification des jeunes interpellés, mais il accélérerait a minima le processus pour les jeunes s'étant préalablement présentés aux services de l'ASE.

Nous souhaitons ensuite la création d'un fichier national relatif aux MNA délinquants. Il pourrait répertorier l'ensemble des infractions commises par des jeunes en errance et faciliterait le rattachement, a posteriori, d'une infraction à son auteur. Un tel fichier rendrait ainsi plus aisée l'identification des jeunes multirécidivistes utilisant un alias différent à chaque interpellation.

Une autre difficulté tient au refus systématique des jeunes en errance interpellés de se soumettre à la prise d'empreinte. Or, en application de l'article 78-3 du code de procédure pénale, le relevé des empreintes digitales ne peut être imposé que dans des conditions particulièrement ardues à réunir conduisant fréquemment les forces de l'ordre à y renoncer.

En conséquence, nous serons particulièrement attentifs aux modifications de l'article 55-1 du code de procédure pénale qui pourraient être introduites lors de l'examen du projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure. Par ailleurs, nous estimons nécessaire de renforcer les sanctions liées au délit de fourniture d'une déclaration de minorité mensongère.

Face à l'essor de la délinquance liée aux jeunes en errance, il existe des bonnes pratiques qui sont à généraliser. C'est notamment le cas de la coopération mise en place de juin 2018 à mars 2019 entre la préfecture de police de Paris et les autorités marocaines. Dans ce cadre, une équipe spécialisée d'agents consulaires marocains a, avec l'accord du parquet de Paris, participé à l'identification des jeunes en errance interpellés et se réclamant de la nationalité marocaine. Placée dans le commissariat du XVIII e arrondissement, cette équipe a concrètement mené des entretiens personnalisés auprès des intéressés et exploité les données d'identification saisies. Il s'agissait de fiabiliser les informations d'état civil fournies par ces jeunes et d'objectiver leurs liens familiaux au Maroc.

Ce dispositif a présenté des résultats extrêmement probants et constitue un modèle qui gagnerait à être reproduit.

L'autre voie possible est celle des canaux de coopération policière traditionnels. La préfecture de police de Paris indique ainsi que, depuis septembre 2019, un dispositif d'interrogation des autorités algériennes, marocaines et tunisiennes a été mis en place par la sûreté régionale des transports. Il permet d'obtenir les informations utiles à l'identification des intéressés dans un délai moyen de quatre à cinq semaines ; 1 387 demandes de coopération ont été effectuées et ont permis l'identification de 301 individus, dont une proportion de 93 % de majeurs. Si l'échange d'informations est moins efficace que la présence d'équipes consulaires sur place, il gagnerait néanmoins à être encouragé.

Nous estimons indispensable d'adapter l'organisation et les moyens des forces de l'ordre aux caractéristiques du phénomène des jeunes en errance, en particulier leur forte mobilité. Celle-ci représente un défi d'ampleur pour les services de la police et de la gendarmerie nationales, car elle nécessite une présence accrue dans les transports et plus de coopération entre les deux entités. Notre rapport présente l'exemple de la région de gendarmerie de Nouvelle-Aquitaine qui est particulièrement intéressant puisqu'il a permis de réaliser des patrouilles dans les trains. S'agissant de la coopération, nous souhaitons que puissent se multiplier les échanges entre les deux entités et nous recommandons d'explorer la piste d'une unité mixte police/gendarmerie référente qui pourrait appuyer les équipes des zones police et gendarmerie face à l'extension géographique du phénomène de délinquance.

Enfin, nous recommandons de mettre en place au sein des services de la police et de la gendarmerie nationale des structures d'enquête spécifiquement dédiées aux jeunes en errance. Pour ce faire, l'exemple de la « cellule MNA » mise en place au sein de la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de la Gironde pourrait être utilement répliqué.

Les difficultés rencontrées par la justice ont ensuite été soulignées à la commission des lois en janvier 2020, dans le cadre de l'examen de la révision de l'ordonnance de 1945 relative à la justice des mineurs, par M. Rémy Heitz, alors procureur de la République de Paris, aujourd'hui procureur général, lequel a réitéré ce constat lors de son audition conjointe avec Mme Wipf, vice-procureure de Paris, par la mission d'information.

Ces difficultés sont pour partie les mêmes que celles que rencontrent les forces de l'ordre. Des difficultés procédurales demeurent également. Le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure soumis à l'examen du Parlement entend proposer des solutions et nous serons, là encore, attentifs aux suites qui pourraient lui être données.

Au-delà de cette mesure utile, nous estimons que l'entrée en vigueur du code la justice pénale des mineurs en octobre prochain doit être l'occasion d'une remise à plat de la politique de lutte contre la délinquance des mineurs en errance. Le code de la justice pénale des mineurs offre, en effet, des possibilités pour accélérer considérablement la réponse pénale concernant les mineurs qui sont les plus susceptibles d'ignorer les convocations de l'autorité judiciaire. En effet, si le principe procédural posé par le nouveau code est celui de la césure du procès, la juridiction pour mineurs peut cependant statuer au cours d'une même audience sur la culpabilité et sur la sanction.

D'après la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), environ 20 % des affaires devraient être jugées en audience unique. Il ne fait pas de doute que parmi elles figureront celles concernant les mineurs en errance.

Cette faculté d'audience unique, combinée aux dispositions proposées par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi « responsabilité pénale et sécurité intérieure », devrait grandement faciliter la réponse pénale. Il importe cependant d'éviter les abus et de veiller à l'usage proportionné des procédures de contrainte. Nous souhaitons donc qu'une nouvelle circulaire du Garde des Sceaux sur la question du traitement de la délinquance des mineurs en errance soit diffusée d'ici la fin de l'année.

L'ensemble de ces mesures nous paraît nécessaire pour lutter contre le phénomène de la délinquance des jeunes en errance et ainsi éviter les rapprochements trop hâtifs entre ces derniers et les mineurs non accompagnés pris en charge par l'aide sociale à l'enfance.

M. Xavier Iacovelli , rapporteur . - S'agissant des mineurs non accompagnés, reconnus comme tels et pris en charge par les départements, nous avons souhaité aborder la sortie du dispositif de l'ASE sous l'angle de l'accès à l'autonomie. Le constat général que nous dressons est que, trop souvent, le basculement dans la majorité des MNA entraine une insécurité juridique et matérielle qui vient ruiner parfois des années d'investissement humain et financier déployé lors de leur accueil en protection de l'enfance.

Nous sommes convaincus que la préparation à l'autonomie des MNA se joue dès leur arrivée par une scolarisation rapide. Les auditions que nous avons menées ont révélé que la scolarisation des MNA n'est pas à la hauteur des enjeux. Tant que la phase d'évaluation se prolonge, la plupart des jeunes ne font l'objet d'aucune démarche auprès de l'Éducation nationale. En particulier, les associations que nous avons entendues ont témoigné de délais trop longs de vérification documentaire par la police aux frontières (PAF), qui entravent les démarches de scolarisation.

Lorsque les procédures sont enfin entamées, les jeunes pâtissent de la complexité des démarches administratives. Les délais pour réaliser les tests des centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (CASNAV) ou les délais pour obtenir des rendez-vous en centre d'information et d'orientation (CIO), qui sont nécessaires à leur affectation, varient de quelques semaines à plusieurs mois selon les académies. L'inscription finale en unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A), qui sont les unités les plus adaptées pour accueillir les MNA dont la maitrise de la langue française est souvent faible ou inexistante, peut être retardée de plusieurs mois si le territoire est en manque de places. Des jeunes reconnus comme MNA doivent attendre parfois près d'un an et la rentrée scolaire suivante avant d'être inscrits dans un établissement.

C'est pourquoi, nous recommandons aux départements de contractualiser avec des associations afin de généraliser le modèle de préscolarisation dès la phase de mise à l'abri pour les jeunes qui ne sont pas manifestement majeurs. Il convient également d'engager les démarches d'inscription en établissement scolaire au plus vite, en parallèle si nécessaire des examens des documents d'état civil par les préfectures et la PAF.

Il nous semble également essentiel que la coordination entre les services de l'Éducation nationale et les départements soit accrue. Nous proposons donc qu'une rencontre semestrielle ait lieu entre l'inspecteur d'académie-directeur académique des services de l'Éducation nationale (IA-DASEN) et le président du conseil départemental afin de mieux anticiper les besoins à venir de places dans les unités pédagogiques spécialisées.

Le passage à la majorité des MNA pris en charge cristallise les incertitudes quant à l'avenir de ces jeunes. Une fois devenus majeurs, la détention d'un titre de séjour devient obligatoire pour qu'ils puissent séjourner en France. Les décisions d'expulsion du territoire français prises à l'encontre d'anciens MNA investis dans leur intégration professionnelle, qui émaillent parfois l'actualité, sont ressenties comme des injustices et touchent l'opinion publique.

Des voies spécifiques d'obtention d'un titre de séjour sont prévues pour les MNA. Elles sont toutefois plus favorables aux MNA recueillis avant l'âge de 16 ans, qui bénéficient de droit d'une carte de séjour sous réserve que certaines conditions relatives à leur insertion soient satisfaites. Les données de la direction générale des étrangers en France font état d'un taux d'approbation des demandes de titre de séjour d'environ 93 %. Les préfectures nous ont transmis des données qui vont dans le même sens, à l'exception de Paris où 68 % des dossiers déposés en 2020 ont fait l'objet de réponses positives tandis que 17 % sont toujours en cours d'instruction. Cela nous conduit à affirmer que le problème réside moins dans les procédures en elles-mêmes que dans leur mise en oeuvre, à la fois lente et complexe.

Une des difficultés rencontrées par les MNA tient au fait que, lors de leur demande de carte de séjour, ressurgit encore la question de leur état civil. En effet, le juge des enfants, en reconnaissant leur minorité, parfois au bénéfice du doute, ne statue pas sur l'authenticité de leurs documents d'état civil. De même, la Cour des comptes constate que, lors de la prise en charge des MNA à l'ASE, leur état civil n'est que trop rarement consolidé. Les jeunes se présentent donc plus tard en préfecture avec des papiers d'identité incomplets ou dont la fiabilité est douteuse, et ce alors que le contrôle opéré est bien plus poussé. Les vérifications documentaires, avec l'intervention de la PAF, rallongent alors considérablement les procédures. La préfecture de la Gironde a ainsi indiqué que 15 % des MNA présentant une demande de titre de séjour en 2020 ont vu leurs documents retenus par la PAF pour vérifications.

Le passage à la majorité peut donc se traduire par une insécurité juridique si les demandes de carte de séjour n'aboutissent pas à temps. Or, après 18 ans, la détention d'un titre de séjour devient obligatoire et, si l'intéressé souhaite signer un contrat d'apprentissage ou d'alternance, l'autorisation de travail nécessaire ne lui est délivrée que s'il satisfait aux critères de la régularisation. C'est donc toute l'intégration sociale et professionnelle de l'ancien MNA qui se retrouve en péril.

Par conséquent, notre rapport recommande de faciliter la mise en oeuvre des procédures d'accès au séjour pour les jeunes engagés dans un parcours d'insertion professionnelle.

De même, nous recommandons d'orienter plus systématiquement vers l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) les mineurs susceptibles de prétendre au statut de réfugié. En effet, nos travaux ont montré que le nombre de demandes d'asile déposées est en réalité très en deçà du public potentiellement éligible. Sur l'année 2019, 755 demandes d'asile avaient été déposées par des MNA auprès des services de l'Ofpra, soit un nombre singulièrement bas au regard des 31 009 mineurs pris en charge par les services de l'ASE au 31 décembre de cette même année. Ce « non-recours » s'explique tant par la complexité des démarches administratives, qui nécessitent la désignation d'un administrateur ad hoc pour représenter le mineur, que par la sensibilisation insuffisante des services de l'ASE au sujet de l'importance des demandes d'asile.

Enfin, notre rapport a dressé un constat très mitigé de l'accompagnement des MNA lors de l'entrée dans l'autonomie par les départements mais aussi par l'État.

Concernant l'anticipation de la sortie du jeune MNA, la préparation du projet pour l'autonomie est, tout d'abord, tributaire de l'application très imparfaite de la loi du 14 mars 2016. Une étude révèle que 20 % des départements ne mettent pas systématiquement en place l'entretien devant avoir lieu à 17 ans pour tous les jeunes de l'ASE. Appliquer la loi est donc une priorité absolue.

S'agissant des contrats jeune majeur, pouvant être octroyés aux MNA pour prolonger jusqu'à 21 ans leur accompagnement par l'ASE, ils sont utilisés de façon très hétérogène par les départements, ce qui n'est d'ailleurs pas spécifique aux MNA mais peut aussi concerner les autres enfants de l'ASE. Certains choisissent de contractualiser pour une période très brève (de l'ordre de trois mois) et de renouveler si nécessaire la démarche, au détriment du jeune qui demeure dans l'incertitude quant à son avenir. D'autres décident de conditionner l'octroi d'un tel contrat à une prise en charge par l'ASE de deux ans minimum, ce qui conduit mécaniquement à exclure les MNA, arrivés, dans leur grande majorité, après 16 ans.

Pour que les MNA ne se retrouvent pas dans une situation de précarité et que les années de prise en charge à l'ASE ne soient pas vaines, nous proposons de garantir dans la loi la poursuite de l'accompagnement en contrat jeune majeur jusqu'à l'obtention du diplôme ou de la qualification professionnelle du MNA, ce qui devrait être valable aussi pour les autres jeunes.

En outre, les mécanismes mis en place par les missions locales et financés par l'État ne remplissent que partiellement leur rôle de filet de sécurité. En 2019, seuls 168 MNA bénéficiaient d'une Garantie jeunes. C'est pourquoi, notre rapport recommande de mieux mettre en oeuvre les dispositifs de droit commun pour les MNA. À cet égard, nous serons vigilants à ce que la création d'un revenu d'engagement pour les jeunes (REJ), annoncée par le Gouvernement, soit l'opportunité d'accompagner les MNA désireux de s'insérer socialement.

M. Laurent Burgoa , rapporteur . - La politique concernant les mineurs non accompagnés, tant lors de leur entrée dans le dispositif que de leur sortie, souffre d'un manque de moyens juridiques et financiers ainsi que de cohérence à l'échelle du territoire national. Le même constat peut être dressé pour les mineurs étrangers, prétendus ou avérés, qui commettent des actes de délinquance et jettent injustement l'opprobre sur tous les MNA. Nous sommes donc convaincus qu'une impulsion politique forte est nécessaire pour répondre à ces enjeux. Si le projet de loi relatif à la protection des enfants, en cours de navette, présente certaines mesures qui vont dans le bon sens, le compte n'y est pas encore.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Merci pour ce rapport de grande qualité, qui fait des propositions précises ; place au débat.

M. Dominique Théophile . - Les rapports administratifs et parlementaires montrent tous les difficultés et les carences en matière de mise à l'abri des mineurs suivis par l'ASE, ainsi que la diversité des situations - des jeunes accèdent à des établissements spécialisés, avec un suivi, quand d'autres sont placés dans des hôtels, avec des difficultés de suivi évidentes. Pourquoi ces différences ? Quels sont les départements les plus déficients en la matière ? Constatez-vous des améliorations en général ?

M. Alain Marc . - Je veux souligner l'importance et l'urgence d'une compensation par l'État des dépenses croissantes que les départements engagent pour la protection des mineurs non accompagnés. L'Aveyron a dépensé 6,4 millions d'euros en 2020, la compensation par l'État s'est élevée à 1,2 million d'euros, la différence est énorme pour un département de 280 000 habitants. Or, le nombre de MNA augmente : il faut que la prochaine loi de finances compense réellement les dépenses des départements. Il y a quelques années, Manuel Valls voulait supprimer les départements : s'ils n'étaient plus là, ces dépenses incomberaient bien à l'État, il faut une compensation intégrale.

Mme Florence Lassarade . - Comme sénatrice de la Gironde, un département que vous citez dans votre rapport, je veux signaler le travail que nous avons fait il y a quelques années avec la préfète et les services de l'État sur les bandes de jeunes drogués qui dévastaient littéralement le centre de Bordeaux, des jeunes sous influence de truands qui se présentent souvent comme marocains alors qu'ils sont algériens, qui vivent en squat, refusent toute prise d'empreinte digitale et refusent même tout soin, alors qu'ils peuvent être malades, en particulier de la gale. Or, dans la petite commune où j'habite, nous accueillons des MNA dans un centre et je dois dire qu'après une inquiétude initiale des riverains, les choses se sont bien passées parce que ces MNA, bien accompagnés, se sont insérés. En réalité, les choses se passent bien le temps de la scolarisation, mais ensuite, quand les jeunes devenus majeurs partent pour Bordeaux ou d'autres territoires, on ne sait plus ce qu'ils deviennent.

M. Jean-Yves Leconte . - Dans le débat sur le bon niveau de compétence, entre l'échelon départemental et l'échelon national, il faut tenir compte du besoin que nous avons d'un fichier national avec des éléments biométriques, ou bien les parcours vont consister à passer d'un département à l'autre - il y a une analogie avec les systèmes d'asile à l'échelon européen. Ensuite, je suis réservé sur la recommandation n° 11 relative au test osseux pour déterminer l'âge, car les scientifiques nous disent que la marge d'erreur y est supérieure à celle qui fonde le doute sur la minorité de la personne - en d'autre terme, le recours à cette technique ne sert à rien, sauf quand on n'a pas de doute...

Je salue la recommandation n° 37 sur l'orientation vers l'Ofpra et la recommandation n° 39 pour que l'ASE poursuive une prise en charge jusqu'à la fin de la formation professionnelle ou du cycle universitaire. Il faut parvenir à ce que les MNA suivis par l'ASE ne se trouvent pas démunis face aux services d'état civil pour prouver leur identité lorsqu'ils atteignent 18 ans ; la solution la plus simple et la plus juste serait de considérer que la façon dont la personne a été identifiée dans son suivi par l'ASE, vaille pour le premier titre de séjour, ce serait une façon de reconnaître l'effort d'intégration. Du reste, quand une personne arrive sur notre territoire avec un visa, il n'y a pas de raison de contester l'âge qu'elle a déclaré en entrant sur le territoire.

M. Laurent Burgoa , rapporteur . - Les différences constatées dans les pratiques de mise à l'abri tiennent beaucoup au fait que les départements manquent de moyens, c'est pourquoi nous demandons l'élaboration d'une politique nationale. Nous sommes, ensuite, très demandeurs d'une compensation intégrale des dépenses liées à la phase d'évaluation par l'État, ce qui suppose leur évaluation précise, ainsi que d'une révision du mode de calcul de la contribution de l'État aux dépenses de l'ASE liées aux MNA.

M. Xavier Iacovelli , rapporteur . - Le constat d'une disparité des politiques départementales envers les MNA vaut pour la protection de l'enfance en général, nous constatons qu'il y a autant de pratiques, que de départements. C'est pourquoi je suis favorable à une recentralisation de la politique de protection de l'enfance, y compris celle conduite en direction des MNA, de l'identification à la protection.

Mme Frédérique Puissat . - On parle de recentralisation, va-t-on débattre de nouveau de la suppression des départements ? Autant le dire... Je m'interroge à ce titre sur la recommandation n° 4, visant à transférer à l'État les compétences d'évaluation de la minorité et de mise à l'abri des personnes se présentant comme MNA. Or, sur le terrain, nous avons mis en place des cellules d'évaluation : ne va-t-on pas les déstabiliser en recommandant ce transfert ? N'est-ce pas une ingérence dans la vie des collectivités territoriales - et est-on bien sûr que l'État dispose des moyens d'assumer ces missions ? Ne risque-t-on pas, finalement, de les transférer à des associations, dont certaines entretiennent aujourd'hui des relations difficiles avec les collectivités territoriales ?

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je remercie les rapporteurs d'avoir inclus l'analyse de la situation outremer, y compris à Mayotte, c'est suffisamment rare pour le signaler. L'an passé, la Cour des comptes avait jugé la situation à Mayotte trop « atypique » pour l'inclure dans son analyse des MNA : cela n'aide pas à résoudre les problèmes... Nous avons enregistré à Mayotte 4 446 MNA en 2016, les difficultés se cumulent, les collectivités territoriales n'ont pas de solution, les élus demandent que la solidarité nationale joue, pour que les MNA présents à Mayotte soient pris en charge par d'autres départements français : je ne sais pas si c'est une bonne solution mais elle me semble à examiner. Une mission interministérielle y réfléchit, c'est important que la représentation nationale contribue également à cette réflexion. Je vous remercie, Monsieur le président, pour votre déplacement à Mayotte et pour avoir su, à cette occasion, aborder des sujets aussi difficiles que le suivi des MNA. J'attends avec impatience les solutions concrètes pour nous aider à Mayotte.

M. Henri Leroy , rapporteur . - Une précision sur la place du département de la Gironde dans notre rapport : nous en parlons parce que nous nous y sommes rendus, nous y avons passé une journée avec les services du département et les forces de l'ordre, en particulier parce que la Gironde est le seul département à avoir mis en place une équipe de 12 policiers qui se consacre au phénomène des violences perpétrées par les jeunes errants et les MNA. Nous avons été également attentifs à la situation dans les Alpes-Maritimes, où un groupe de travail a été dépêché à la frontière pour déceler les personnes manifestement majeures qui se présentent comme mineures, avec un résultat positif puisque quatre sur cinq sont apparemment décelées.

Ensuite, lorsque nous faisons référence, dans la recommandation n° 11, aux tests osseux, c'est pour harmoniser les pratiques et en limiter l'usage ; nous appelons, dans la recommandation n° 12, à réévaluer l'ensemble des techniques. En tout état de cause, le doute bénéficie à la personne qui se prétend mineure.

Mme Laurence Cohen . - Je salue ce rapport, intéressant et équilibré. Il faut continuer à réfléchir sur la preuve de minorité qu'on administre, le plus souvent après un entretien qui est déstabilisant, une source d'angoisse pour le mineur qui voit sa parole mise en doute. Le test osseux est remis en cause par les scientifiques, il date de 1930 et je ne vois pas ce que sa recommandation viendrait faire dans un rapport parlementaire.

Ensuite, alors que nous convenons que l'accompagnement est utile le plus longtemps possible, il semble qu'à partir du 1 er octobre prochain, les départements ne seront plus obligés d'accompagner les mineurs devenus majeurs : qu'en est-il ?

Enfin, les moyens des collectivités étant très disparates, on comprend mieux qu'elles n'aient pas toutes les mêmes moyens pour l'accompagnement des MNA.

M. François-Noël Buffet , président . - Qu'en est-il des contrats jeune majeur ?

Mme Michelle Meunier . - J'ai suivi vos travaux et je vous félicite pour l'équilibre que vous avez su préserver entre ce qui relève de la protection de l'enfance et ce qui relève de la jeunesse délinquante en errance. Je me situe côté enfance en danger et protection de l'enfance. Un projet de loi arrive prochainement, avec pour rapporteur Bernard Bonne, je crois savoir qu'il contient des mesures contre cette mauvaise pratique consistant à mettre des mineurs non accompagnés dans des hôtels, où ils se trouvent à la merci des réseaux de criminalité. Ce projet de loi vise aussi les contrats jeune majeur, nous aurons à en débattre, il y a là des solutions aux problèmes que vous avez identifiés.

L'accompagnement est nécessaire, décisif, nous le répétons de loi en loi sur la protection de l'enfance aussi bien que sur celles qui visent à prévenir la délinquance. Je déplore qu'on regarde trop souvent, et de plus en plus, l'enfant en danger comme un futur délinquant. En réalité, il faut accompagner les enfants en danger jusqu'à 21 ans, y compris ceux qui viennent de loin. Vous parlez de moyens supplémentaires, mais les forces de l'ordre elles-mêmes paraissent mal outillées sur le sujet : qu'en pensez-vous ?

M. Daniel Chasseing . - Je félicite les rapporteurs pour leurs propositions concrètes. Comment accélérer les procédures d'état civil et l'obtention de cartes de séjour à la majorité, pour que les jeunes ne se trouvent pas d'emblée lâchés dans la nature, mais accompagnés vers un apprentissage et le travail ? Le manque de suivi peut ruiner tout le travail réalisé par l'ASE : une sorte d'obligation de suivi vous paraît-elle possible ?

Mme Jocelyne Guidez . - Ce rapport est important, merci pour vos travaux. J'ai récemment remis une médaille d'or de l'apprentissage à un apprenti-paysagiste qui était un mineur non accompagné : il y a de beaux parcours, ils sont le plus souvent invisibles, comment les rendre visibles et valoriser l'apprentissage et la formation ? Que deviennent ces MNA formés, une fois majeurs ? Demandent-ils la nationalité française ?

M. Jean-Pierre Sueur . - Je veux souligner la qualité de ce travail important. La recommandation n° 6, cependant, ne va pas de soi : « Inscrire dans la loi des sanctions à l'encontre des actes militants de soutien à la circulation des personnes présentes illégalement sur le territoire, lorsqu'il ne s'agit pas d'actes humanitaires. », qu'est-ce à dire ? Quand un gamin est là, qu'est-ce qu'on fait ? Où commence l'illicite ? Visez-vous un délit de solidarité ?

Ensuite, vous demandez une compensation intégrale du coût par l'État : l'avez-vous chiffrée ? J'ai visité de ces hôtels intégralement habités par des jeunes livrés à eux-mêmes, vous dites que d'autres structures d'accueil sont possibles : à quel coût, et comment faire ?

La recommandation n° 40 donne elle aussi à réfléchir : elle demande de mieux mobiliser les dispositifs de droit commun pour les MNA « insérés socialement et ayant vocation à rester sur le territoire national ». Dès lors, comment faire avec ceux qui ne seront pas « insérés socialement » ? En 1987, le député Gérard Fuchs publiait un livre sur l'immigration avec pour titre « Ils resteront », l'histoire lui a donné raison. Certains peuvent déplorer qu'il n'y ait pas plus de retour vers les pays d'origine, mais la réalité, c'est que ces êtres humains restent.

Enfin, peut-il y avoir une réflexion avec les pays d'origine ?

M. Bernard Bonne . - Le Gouvernement prépare un projet de loi qui traite de l'accompagnement des MNA, il aurait dû être déposé ces jours-ci sur le bureau du Sénat mais il a été retardé. En tout état de cause, le rapport que nous examinons aujourd'hui a toute son actualité. Vous différenciez les jeunes errants et les MNA, ce n'est pas si facile dans les faits. Vous soulignez l'importance de l'ASE, mais vous parlez peu de la PJJ, qui devrait s'occuper des jeunes en errance. Le nombre de MNA diminue cette année du fait du covid-19, mais on peut s'attendre à ce que les arrivées augmentent - ce qui impose qu'on règle la question du financement, car les départements ne pourront pas suivre.

M. Jérôme Durain . - Je salue votre effort de précision pour distinguer les MNA et les jeunes délinquants en errance. Des questions administratives compliquent excessivement la vie de jeunes qui sont intégrés et stabilisés, au point de gâcher parfois le travail accompli pendant des années. J'ai déposé une proposition de loi tendant à sécuriser l'intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l'ASE, nous l'examinerons en séance plénière le 13 octobre : je suis convaincu qu'il ne suffit pas de grand-chose pour résoudre ce problème.

M. Laurent Burgoa , rapporteur . - Je précise que la recommandation n° 4 appelant le transfert à l'État des compétences d'évaluation de la minorité et de mise à l'abri, a été faite par une mission bipartite entre l'Assemblée des départements de France et les inspections générales, elle peut très bien passer par une délégation au département, donc à ses équipes. Notre question, en réalité, porte sur le financement et la responsabilité de cette compétence.

Le régime transitoire de sortie de l'état d'urgence sanitaire prenant fin au 1 er octobre, les modalités de l'accompagnement des jeunes sortant de l'ASE vont effectivement changer. Par ailleurs, un amendement à la loi de gestion de la crise sanitaire ayant prévu une compensation à l'euro près pour les départements, il faudra être vigilant à ce que cette règle soit respectée lors de l'examen du PLF.

Enfin, les dépenses à transférer à l'État ont été évaluées à environ 125 millions d'euros par la mission bipartite en 2018.

M. Henri Leroy , rapporteur . - La Cour de cassation a jugé que la loi ne sanctionnait pas le soutien aux personnes entrées illégalement sur notre territoire, dès lors qu'il s'agit d'actes de solidarité humanitaire. Or, ce que nous avons constaté en particulier lors de notre déplacement à Bordeaux, c'est que certains actes militants désorganisent les services délibérément, c'est la raison de la recommandation n° 6.

M. Hussein Bourgi , rapporteur . - La mise à l'abri coûte cher quand on veut qu'elle soit de qualité, parce qu'elle suppose des locaux et un accompagnement effectif par des travailleurs sociaux. Les départements butent sur ces coûts, ils sont disposés à améliorer l'accueil mais il faut que l'État compense leurs dépenses.

Peut-on mieux répartir les MNA entre départements ? C'est déjà le cas, des départements sont plus touchés que d'autres, l'État incite à une répartition - mais ce mécanisme ne fonctionne pas à Mayotte, ce qui n'est pas normal, effectivement, puisque l'insularité ne doit pas empêcher la solidarité.

Oui, il y a des modèles d'intégration et de réussite scolaire à mettre à l'honneur, c'est ce que font plusieurs ordres de la République, par exemple la Légion d'honneur, en organisant des galas d'apprentissage, des parrainages pour suivre des MNA qui font le choix de s'intégrer - la presse s'en est fait récemment l'écho avec un apprenti boulanger à Besançon, nous nous sommes aussi mobilisés dans l'Hérault pour un apprenti boulanger pâtissier, le secteur est en tension et des MNA veulent s'y engager, ce qui est vrai aussi pour le BTP ; il faut valoriser ces initiatives. Les jeunes errants posent des problèmes de délinquance, ils alimentent la chronique des faits divers, mais cela ne doit pas cacher les réussites d'intégration des MNA.

La question de la PJJ reste entière. Ses moyens baissent constamment, elle reste le parent pauvre de la justice, alors que son action est déterminante dans la lutte contre la récidive.

Enfin, l'accompagnement à la sortie de la minorité est un sujet très important ; des préfectures et des départements ont passé des conventions pour traiter plus efficacement les demandes de titres de séjour quand il y a une promesse d'embauche, le patronat joue le jeu en particulier dans les secteurs où le recrutement est en tension, c'est un enjeu qu'il faut considérer.

M. François-Noël Buffet , président . - Je vais demander à la commission d'autoriser la publication de ce rapport d'information.

M. Laurent Burgoa , rapporteur . - J'en précise le titre : « Mineurs non accompagnés, jeunes en errance : 40 propositions pour une politique nationale ».

M. Alain Richard . - Nous sommes consultés sur la seule publication, pas sur les contenus : c'est un usage du Sénat, une habitude persistante qui est peu conforme à la transparence démocratique.

M. François-Noël Buffet , président . - Une réflexion a été ouverte sur le sujet par le président du Sénat, il devrait nous faire des propositions.

Mme Michelle Meunier . - L'intitulé juxtapose les mineurs non accompagnés et les jeunes en errance, comme s'il y avait une continuité linéaire, alors que les mineurs dont nous parlons ne sont pas nécessairement de futurs délinquants.

M. François-Noël Buffet , président . - Il y a une virgule dans le titre, donc une distinction.

La commission des lois et la commission des affaires sociales autorisent la publication du rapport.

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