C. AUDITION DE M. GUILLAUME GELLÉ, VICE-PRÉSIDENT DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS D'UNIVERSITÉ (MERCREDI 1ER SEPTEMBRE 2021)

M. Étienne Blanc, président . - Mes chers collègues, nous reprenons aujourd'hui le cycle d'auditions en réunions plénières de notre mission d'information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences.

Tout d'abord, nous entendrons M. Guillaume Gellé, président de l'université Reims Champagne-Ardenne et vice-président de la Conférence des présidents d'université (CPU) - c'est en cette qualité qu'il s'exprimera sur les influences étrangères dans le monde universitaire et académique français. Ensuite, dans une seconde séquence organisée en table ronde, nous auditionnerons des responsables d'établissements d'enseignement supérieur sur leurs relations avec les instituts Confucius.

Notre réunion fait l'objet d'une captation vidéo qui sera consultable en vidéo à la demande sur le site internet du Sénat.

M. André Gattolin, rapporteur . - Je tiens à remercier la CPU de l'intérêt qu'elle témoigne à nos travaux. Grâce à vos services, monsieur Gellé, nous avons pu adresser un questionnaire à l'ensemble des établissements universitaires. Les premières réponses que nous avons reçues, en cette fin de période estivale, sont déjà éclairantes.

Le sujet qui nous occupe fait l'objet d'une attention médiatique dont je peux témoigner et qui ne se dément pas. Notre pays est de plus en plus conscient du changement de paradigme qui s'opère dans les relations internationales et qui répond à des logiques à peine dissimulées d'intérêts strictement nationaux. Dans ce contexte, la question de l'enseignement supérieur et de la recherche ne doit pas être négligée, aussi bien au regard de la protection de notre recherche et de nos découvertes que de celle de nos libertés académiques, de notre intégrité scientifique et de notre esprit d'ouverture sur le monde. Il nous a donc semblé essentiel d'entendre les présidents d'université, qui occupent une place centrale dans ce dispositif.

M. Guillaume Gellé, vice-président de la Conférence des présidents d'université . - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Manuel Tunon de Lara, qui m'a demandé de le représenter.

Je tiens à souligner le travail toujours constructif entre le Sénat et la Conférence des présidents d'université sur un grand nombre de sujets embrassant les questions d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation dans notre pays.

La CPU, qui fête ses cinquante ans d'existence, représente environ 120 établissements, près de 2 millions d'étudiants et 200 000 personnels de recherche et d'administration.

Votre mission d'information s'intéresse aux influences étrangères et à leurs incidences sur les valeurs du monde universitaire et académique français, notamment en ce qui concerne l'autonomie des universités, les libertés académiques et l'intégrité scientifique.

La question des libertés académiques, principe fondamental reconnu par les lois de la République et par le Conseil constitutionnel, est au coeur des préoccupations de la CPU. Dans une grande partie du monde, ces libertés n'existent pas, sinon très partiellement.

Le code de l'éducation dispose que le service public de l'enseignement supérieur et de la recherche est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique ou religieuse. Il tend à l'objectivité des savoirs et respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l'enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique.

Nous avons la chance inouïe de vivre dans un pays où les enseignants-chercheurs sont libres de mener leurs recherches. Trop souvent, une partie des élus de la nation ou des représentants publics, parfois même dans votre institution, remet en question cette liberté fondamentale, dont vous êtes les garants. Pour ces raisons, la CPU avait proposé d'inscrire le respect des libertés académiques dans la Constitution.

L'intégrité scientifique constitue bien évidemment l'un des pendants de cette liberté académique. À cet égard, je tiens à saluer l'excellent rapport du sénateur Pierre Ouzoulias. Ce sujet fait l'objet d'attentions particulières depuis un certain nombre d'années - je pense notamment aux travaux de Pierre Corvol. Cette question fait aussi partie intégrante des principes déontologiques liés à nos missions d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation.

Vous avez raison : la vraie menace réside dans le risque d'intrusion d'idéologies diverses dans la science, dans le contenu des enseignements et dans les champs de recherche, au mépris de la liberté de chaque enseignant-chercheur - a fortiori si ces intrusions sont le fait d'organisations étatiques ou de gouvernements. L'enjeu est donc d'être suffisamment informé pour repérer et contrer toute forme de pratique de désinformation, de propagande ou d'intimidation. Il y va de la défense des libertés académiques et de notre souveraineté scientifique.

La crise sanitaire que nous traversons pose, par exemple, la question des outils informatiques utilisés pour les réunions à distance, au risque de voir certains échanges sensibles être aspirés par des services étrangers. Sans surprise, nous notons également, depuis le Brexit, l'explosion des demandes de collaboration émanant du Royaume-Uni afin d'aller chercher des fonds européens...

Si les relations internationales ne sont pas forcément la culture première d'un président d'université, elles le deviennent forcément : une de ses principales missions consiste en effet à représenter son établissement auprès des universités étrangères. Sur ces sujets, la CPU est en lien avec le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Mesri) et avec les fonctionnaires de sécurité et de défense de nos établissements, dont la plupart exercent au plus haut niveau de l'organisation de leur institution - directeurs généraux des services ou vice-présidents. Nous sommes également en train de préparer, avec les services des ministères de la défense, des affaires étrangères et de l'intérieur, des journées de formation des présidents récemment élus.

Il est indispensable de s'appuyer sur des politiques publiques claires, concertées et partagées avec l'ensemble des acteurs, et donc de disposer d'une véritable évaluation des dispositifs en place. Il s'agit d'aller plus loin que l'élaboration d'un simple guide de bonnes pratiques.

Nous voulons travailler sur trois axes.

Le premier concerne la présence ou les déplacements de nos enseignants-chercheurs à l'étranger, et inversement. Il faut distinguer les visites institutionnelles entre établissements, souvent bien préparées et cadrées par les services des relations internationales, en lien avec les ambassades et les consulats, des sollicitations individuelles, beaucoup plus difficiles à suivre. Nous travaillons avec les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, mais cette collaboration pourrait s'intensifier encore.

Par ailleurs, le rayonnement de nos travaux passe aussi par l'invitation d'un certain nombre de chercheurs français à l'étranger. C'est l'un des éléments importants de l'évaluation des dossiers scientifiques de nos collègues, mais aussi d'une fragilité potentielle.

Se pose également la question de la présence des chercheurs étrangers sur notre territoire. Il est important de faire preuve de vigilance : les présidents d'établissements sont sensibilisés, mais il n'existe aucun dispositif particulier, sinon le regard des fonctionnaires de sécurité et de défense et du HFDS du Mesri sur les pays dont les pratiques peuvent être contestables.

Le deuxième axe concerne les travaux de recherche conduits dans nos établissements. En plus des enjeux centraux de formation, il est important de garantir, promouvoir et protéger une culture de l'intégrité scientifique. C'est le sens de certaines des mesures de la loi de programmation de la recherche, notamment des articles 16 et 18 relatifs au serment du doctorant.

Nous partageons les constats et recommandations du rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (Opecst) : la question de la récupération des résultats de recherche d'innovation fait l'objet de toujours plus de vigilance de la part des établissements.

Le financement éventuel des chaires et des thèses par des États étrangers, plutôt apprécié dans le cadre de l'évaluation des chercheurs, doit également faire l'objet d'une vigilance particulière. Cette question renvoie à la dimension cruciale du financement public en France, garantie de l'indépendance de nos chercheurs.

Le troisième axe, c'est la question des étudiants étrangers extra-européens, plutôt à des niveaux infra-doctorat. Vous aurez l'occasion d'évoquer tout à l'heure les instituts Confucius ou les centres d'étude du français dans nos universités, qui sont très prisés, donc je n'irai pas plus loin sur ce sujet.

En conclusion, nous sommes tous conscients des risques et nous ne sommes pas dupes. Nous avons besoin d'organiser, de peaufiner la formation, et ce à tous les niveaux de l'université : présidence, unités de recherche, de formation ; chercheurs eux-mêmes. Dans le même temps, nous souhaitons vous alerter sur un certain nombre d'injonctions contradictoires de la part des pouvoirs publics : d'un côté, on encourage les partenariats et on facilite l'accueil des étudiants étrangers ; de l'autre, on nous appelle à une extrême vigilance. C'est difficilement compatible.

La prise de conscience est importante, mais les moyens sont encore limités pour assurer le suivi. Néanmoins, soyez assurés de notre vigilance sur le sujet.

M. André Gattolin, rapporteur . - Les trois axes que vous avez développés s'inscrivent parfaitement dans notre démarche.

Nous sommes tout à fait conscients des injonctions contradictoires que vous avez évoquées. La France a pour ambition d'accueillir 500 000 étudiants à l'horizon de 2027, même si je pense que la pandémie remet un peu en cause ces objectifs. Nous avons auditionné les représentants de Campus France, qui ont aussi souligné ce paradoxe.

Qui dit autonomie des universités, dit plus grande latitude dans la recherche des financements, mais il est clair également que nous devons vous donner des moyens pour mettre en oeuvre une politique de vigilance à l'égard de ces influences étrangères. On ne peut pas se contenter de la dénonciation. Pouvez-vous rebondir sur ce point ?

M. Guillaume Gellé . - Pour nous, l'autonomie s'accompagne bien évidemment de la responsabilité dans la mise en oeuvre des politiques publiques. Je le répète, nous avons à travailler sur la communication et la formation, de concert avec les différents ministères concernés.

Le point le plus sensible, c'est bien celui des travaux individuels des chercheurs et de leur rayonnement à l'étranger. Et c'est évidemment lié à la question du financement. Dans un contexte où il est difficile d'obtenir des financements publics, une certaine fragilité s'est installée au sein de la recherche française, certains financements obtenus facilement ayant pu paraître orientés. J'y insiste, la garantie d'un financement public des travaux de recherche permettra à notre pays d'être robuste face à ces tentatives d'ingérence.

Bien évidemment, il ne s'agit pas de refuser tout financement dans le cadre d'un partenariat. Ce serait aller à l'encontre des principes dans lesquels nous nous inscrivons. Cependant, faire preuve de vigilance et d'exigence est plus facile quand on peut s'assurer d'un soutien public.

Il faut aussi avoir conscience qu'il est très important dans le déroulement d'une carrière d'être invité à des conférences et colloques à l'étranger. C'est également important pour le rayonnement de la science française. Cependant, certains pays peuvent être tentés d'utiliser nos failles et nos faiblesses.

Depuis plusieurs années, néanmoins, la plupart des partenariats avec les pays dits sensibles sont instruits avec toute l'expertise du haut fonctionnaire sécurité-défense. Il y a eu une réelle prise de conscience, qui a pu conduire, dans certains cas, à des refus de partenariat.

M. Étienne Blanc, président . - Vous avez insisté sur la nécessité de mieux former les responsables de la sécurité au sein de vos établissements. En fait, deux systèmes se superposent : un système interne à l'université et celui des services de l'État. Comment jugez-vous leur articulation ?

M. Guillaume Gellé . - Il y a quelques années, les pratiques étaient très différentes de celles que l'on observe aujourd'hui. Le lien entre les fonctionnaires de sécurité et de défense de nos établissements et le HFDS du Mesri est maintenant établi, régulier. Il va plus loin que l'élaboration d'un guide des bonnes pratiques, avec la mise en place de formations en concertation. La sensibilisation des décideurs est acquise, notamment en ce qui concerne l'accueil des chercheurs étrangers ; il nous faut aller maintenant jusqu'aux chercheurs, qui doivent être mieux formés pour la conduite de leurs travaux individuels, de pair à pair, et ce dès leur arrivée à l'université.

M. André Gattolin, rapporteur. - Je reviens sur les FSD. Ces derniers doivent aussi gérer la sécurité des locaux, en lien avec le risque terroriste. Est-ce compatible avec la dimension analytique des travaux des chercheurs, qui doit éventuellement leur permettre de déceler des problèmes ? N'est-ce pas trop pour une seule personne ?

M. Guillaume Gellé . - Ces fonctions sont confiées à des personnes qui se trouvent au plus haut niveau de la hiérarchie de l'université. Ainsi, elles peuvent s'appuyer sur l'ensemble des personnels de l'université pour assurer leurs missions. La sécurité des locaux est assez bien gérée par les personnels supports de nos établissements et ne représente pas une mission trop chronophage pour les FSD. Je puis vous assurer qu'ils sont extrêmement sensibilisés aux sujets qui font l'objet de votre mission.

M. Jean-Michel Houllegatte . - J'ai trois questions à vous poser.

Tout d'abord, vous avez cité le rapport de Pierre Corvol sur la charte nationale d'intégrité scientifique. Ces travaux ont-ils permis des avancées significatives, au-delà du serment inscrit dans la loi de programmation de la recherche (LPR) ?

Par ailleurs, vous avez évoqué des injonctions contradictoires. À cet égard, la pression que font peser les divers classements internationaux n'a-t-elle pas un effet pervers sur les pratiques de la communauté scientifique ? Selon moi, la qualité devrait primer la quantité.

Enfin, arrivez-vous à mutualiser les bonnes pratiques au sein de la CPU ?

M. Guillaume Gellé. - Les travaux de Pierre Corvol sur l'intégrité scientifique font partie intégrante de notre déontologie. Il y a eu des avancées avec la LPR. Certes, on pourrait aller plus loin, mais l'autonomie des universités s'accommoderait mal d'un cadrage trop strict de la loi. Cependant, je puis vous assurer que ces notions sont au coeur de nos pratiques. Beaucoup d'établissements ont créé des commissions chargées de ces questions d'intégrité, d'éthique et de déontologie. Les débats récents dans la communauté scientifique autour de la pandémie ont rendu cette problématique encore plus prégnante.

S'agissant de l'importance des partenariats dans les classements internationaux, il faut quand même rappeler que la recherche n'est rien sans une ouverture au monde. Un pays refermé sur lui-même ne peut abriter une recherche performante. Il faut s'inscrire dans cette compétition internationale. C'est un élément d'appréciation important, tant au niveau des États qu'au plan individuel. Pour autant, tous les classements ne se valent pas, et il faut savoir faire la part des choses.

Enfin, les fonctionnaires de sécurité et de défense ne sont plus isolés. Ce sont souvent des directeurs généraux des services ou des vice-présidents, et ils ont, à ce titre, développé d'importants réseaux dans la communauté universitaire. Le partage des bonnes pratiques se fait donc de manière naturelle, même si l'on peut toujours améliorer les choses.

Mme Nathalie Goulet . - J'ai peut-être mal compris vos propos, mais il me semble que vous avez mis en cause, d'une certaine manière, l'attitude des parlementaires à l'égard de l'intégrité des universités. Pouvez-vous expliciter votre pensée, même si je pense savoir à quoi vous faites allusion ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous dire si les FSD ont des relations de coopération avec leurs homologues européens ?

Enfin, prenez-vous en compte l'influence des diasporas au sein même de notre pays ?

M. Guillaume Gellé . - Effectivement, nous avons pu entendre certains propos de parlementaires, lors des débats sur la LPR à l'Assemblée nationale, par exemple, qui témoignent peut-être d'une certaine méconnaissance des règles relatives à l'autonomie des universités et aux libertés académiques. Je pourrai aussi citer les propos de notre ministre de tutelle sur l'islamo-gauchisme. Il faut toujours faire la part des choses entre les travaux scientifiques et les avis personnels. Les chercheurs savent le faire.

S'agissant des coopérations européennes, je ne suis pas en mesure de vous répondre aujourd'hui, mais je pourrai vous apporter une réponse écrite par la suite si vous le jugez nécessaire pour les travaux de la mission.

M. Pierre Ouzoulias. - Je vous rejoins maintenant car en tant que conseiller départemental fraîchement réélu, je tenais absolument à participer à la rentrée des enseignants dans le collège dont je m'occupe pour leur dire de vive voix combien ils sont utiles à l'édification de nos principes républicains.

Le Sénat a mené, via notre collègue Laure Darcos notamment, une action extrêmement importante. Nous avions beaucoup travaillé avec la CPU sur l'intégrité scientifique et nous avions entendu votre souhait de ne pas aller trop loin dans la prescription aux établissements, c'est-à-dire de s'arrêter à des principes législatifs généraux, afin de permettre à chaque institution de se saisir en interne de ces nouveaux objectifs.

Il y a là désormais, pour vous, un chantier important : transformer ce qui a été voté par le Parlement en un code de bonne conduite et de procédure. La presse nationale s'est fait l'écho la semaine dernière du cas particulier d'un sociologue qui est intervenu sur un domaine qui n'est pas tout à fait le sien ; j'ai regretté que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) n'utilise pas les outils votés par le Parlement pour gérer cette affaire.

Nous avions travaillé, à la suite du rapport Corvol, sur les méconduites scientifiques, c'est-à-dire les manquements aux règles qui président à la pratique scientifique de terrain ou de laboratoire, mais très peu sur les conflits de compétences, car là n'était pas l'actualité du moment. Or, la crise pandémique a montré qu'il y avait en la matière un problème majeur. Si des mesures sur l'intégrité scientifique ont pu être incorporées aussi facilement dans la loi française, c'est en vertu d'un « effet Raoult » absolument évident, et il faudrait remettre à ce monsieur un prix de l'intégrité scientifique : il nous a beaucoup aidés !

Il faut travailler à transformer, établissement par établissement, ce qui a été voté par le Parlement en un code de règles contraignantes ; il faut surtout que vous mettiez au point des normes d'instruction pour ces affaires.

M. Guillaume Gellé . - Vous avez parfaitement traduit la vision qui est celle de la CPU sur ces sujets. Il me semble que le travail avance dans le bon sens, même si nous attendons un certain nombre de décrets dont la publication sera importante pour franchir une étape supplémentaire. Ces sujets relatifs à l'intégrité scientifique font l'objet d'échanges réguliers avec le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres).

Depuis un certain temps, sur la question des plagiats par exemple, les établissements ont su trouver les réponses, y compris dans le cadre de commissions disciplinaires. Mais l'actualité a montré que l'intégrité scientifique était un sujet beaucoup plus vaste que celui du seul plagiat. Nous essayons d'avancer, par des formations et par des sensibilisations.

M. Jean-Michel Houllegatte . - Le Hcéres a défini des référentiels, mais ils sont un peu vagues : il s'agit d'évaluer, par exemple, si tel ou tel partenariat étranger constitue une « plus-value » pour les écoles doctorales. Ne faudrait-il pas aller davantage dans le détail avec ces référentiels d'évaluation ? Quid, en outre, des processus d'auto-évaluation ? La CPU a-t-elle formalisé des guides d'auto-évaluation ?

M. Guillaume Gellé - J'ai oeuvré au sein du Hcéres pendant trois ans ; j'ai pu à ce titre contribuer à l'élaboration des guides d'évaluation, dont les établissements se saisissent pleinement dans le cadre de leur auto-évaluation.

La CPU a pour vocation de sensibiliser les présidents et chefs d'établissement à l'organisation de leur auto-évaluation sans pour autant trop la cadrer - il y va du respect de l'autonomie des établissements. Autrement dit, nous sommes à l'écoute des sollicitations des établissements sur le sujet, mais nous ne sommes pas prescripteurs. Faire ainsi la part des choses est essentiel.

Un mot sur la question de la communication instantanée et sur le rôle des réseaux sociaux. En la matière, nous sommes à la fois vigilants et un peu démunis : il y a là un risque qu'un certain nombre de chercheurs et d'enseignants-chercheurs ne mesurent pas.

M. André Gattolin, rapporteur . - Nous avons parlé d' « influences » étatiques ; nous n'avons pas utilisé le terme d' « ingérence ». Nos amis anglo-saxons emploient un autre terme, celui d' « interférence » : pour que les choses se passent, il faut deux acteurs. Deux grandes logiques sont à l'oeuvre : celle de l'accaparement de travaux de recherche, de la prise plus ou moins illicite d'informations ; celle de l'influence, qui vise à nourrir un certain récit national depuis des institutions universitaires.

La question se pose de la transparence des financements - en la matière, la surveillance est possible au niveau des établissements universitaires -, mais également de la transparence des travaux de recherche eux-mêmes. Dans les revues américaines, chaque auteur doit le signaler s'il a été invité dans l'université de tel ou tel pays, a fortiori s'il a bénéficié d'une bourse. Ainsi sait-on d'où le chercheur parle ; il y a un effet de déclaration, qui n'interdit d'ailleurs pas la publication. Il ne s'agit pas de censurer, mais de savoir si un travail de recherche a fait l'objet d'une influence, ce qui pourrait d'ailleurs inciter les pouvoirs publics à consacrer davantage de moyens publics à la recherche plutôt que de contraindre les chercheurs à passer des arrangements, parfois nécessaires, avec d'autres pays.

Une telle mesure, sans être attentatoire aux libertés académiques d'investigation, permettrait de relativiser la production.

M. Guillaume Gellé . - Concernant l'influence, il faut faire la part des choses entre ce qui relève du soft power et ce qui relève du délit, des cyberattaques ou de l'espionnage scientifique dans les laboratoires, comme on l'a vu avec des doctorants chinois voilà quelques années. La mission d'influence, elle, passe davantage par la sensibilisation, par l'adhésion, par le financement.

Nous avons l'habitude, dans nos travaux de recherche, de mentionner les partenariats économiques, mais peut-être un peu moins, c'est vrai, les partenariats internationaux financés. C'est pourquoi nous attendons la parution du décret concernant les déclarations d'intérêts scientifiques. Il n'existe pas d'opposition de la part des chercheurs sur ce sujet, mais la sensibilisation est insuffisante.

M. André Gattolin, rapporteur . - Quels sont les secteurs qui vous paraissent les plus sensibles et les plus touchés ? La recherche fondamentale, la recherche technologique, les sciences humaines et sociales ? Tout ce qui est lié au militaire et au stratégique est très surveillé, mais certains sujets sont indissolublement économiques et stratégiques, comme on le voit dans le domaine de la santé.

M. Guillaume Gellé - Il est difficile de répondre à cette question. Notre sentiment est que le problème se pose davantage à l'échelle d'un ensemble d'établissements ou d'un établissement particulier qu'à celle d'un secteur scientifique. Sur un territoire donné, certaines thématiques, l'aéronautique à Toulouse, l'électronique et la microélectronique à Grenoble, doivent faire l'objet d'une attention particulière ; c'est moins le champ disciplinaire qui compte que l'établissement.

M. André Gattolin, rapporteur . - Vous dites que c'est l'écosystème qui lie des entreprises, des collectivités et des universités qui est en cause : l'établissement universitaire serait pris dans un espace qui constituerait un domaine d'intérêt spécifique pour un pays donné.

M. Guillaume Gellé - Vous avez parfaitement résumé ma pensée : le point de fragilité des établissements est bien là.

Cette stratégie d'influence de la part d'États extra-européens peut être très diversifiée. L'adhésion à une idéologie politique et le partage d'intérêts géostratégiques, par exemple, posent des problèmes très différents.

Pour finir, je note, comme vous, madame la sénatrice Goulet, l'absence de réseau européen réunissant les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité.

M. Étienne Blanc, président. - Nous vous remercions de votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

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