B. UNE SITUATION FINANCIÈRE DES ÉTABLISSEMENTS PARFOIS PRÉOCCUPANTE : LE HIATUS ENTRE LES DONNÉES NATIONALES ET LA SITUATION INDIVIDUELLE DES ÉTABLISSEMENTS

1. Les dépenses de l'État en faveur de l'enseignement technique agricole ont progressé depuis 10 ans et le coût unitaire s'est mécaniquement accru

La direction du budget du ministère de l'économie, des finances et de la relance a souligné auprès de la mission la forte croissance des crédits consacrés à l'enseignement technique agricole au cours des dernières années : les crédits du programme 143 ont ainsi augmenté de 16,8 % entre 2010 et 2021, comme le montre le graphique suivant.

Source : direction du budget

La direction du budget souligne également que le coût de formation par élève pour l'État a progressé de manière significative : en euros constants, le secteur public a ainsi enregistré une hausse de sa subvention par élève de 8,4 % entre 2011 et 2019 ; quant au secteur privé, la hausse atteint 12,5 % pour le plein temps et 10,1 % pour le rythme approprié 31 ( * ) . Si cette évolution résulte de la probable conjonction de plusieurs facteurs (en premier lieu la diminution des effectifs scolarisés, mais aussi la hausse du taux d'encadrement, l'amélioration des rémunérations des personnels et la hausse des subventions versées aux fédérations du privé), dans ses observations définitives précitées, la Cour des comptes souligne le déficit d'objectivation - et donc de pilotage - du coût de l'enseignement technique agricole, en comparaison du suivi opéré par le ministère de l'éducation nationale pour son propre réseau, dans la mesure où le niveau de la subvention publique repose sur une méthodologie décorrélée de la dépense réelle des établissements et sans distinction des coûts de chaque niveau de formation et où, par ailleurs, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation n'opère pas de recensement des contributions des collectivités locales, des entreprises et des familles.

La rapporteure souhaite néanmoins souligner que cette augmentation n'est pas propre à l'enseignement agricole. Sur la période 2010-2021, les crédits du programme 141, consacrés à l'enseignement du second degré pour l'Éducation nationale ont augmenté de près de 17,4 %. En s'intéressant aux lignes budgétaires comparables entre l'enseignement agricole et l'éducation nationale, à savoir l'enseignement général et technologique au lycée, l'enseignement professionnel sous statut scolaire et l'apprentissage, la progression est de 15 %.

Cette présentation macro-économique de la direction du budget, qui pourrait laisser penser à une certaine opulence de l'enseignement agricole, contraste singulièrement avec les échanges que la mission a pu avoir avec les acteurs de terrain.

Il n'en demeure pas moins que l'objectivation des coûts unitaires de formation apparaît nécessaire afin de permettre une comparaison des coûts directs d'un élève entre l'enseignement agricole et l'éducation nationale, aujourd'hui impossible. La mission tient ainsi à souligner que tout discours selon lequel l'enseignement agricole coûterait plus cher à l'État que l'Éducation nationale ne repose actuellement sur aucune donnée objective.

Par ailleurs, l'attention de la mission a été appelée sur les différences de soutien apportées par les régions au bénéfice des établissements d'enseignement agricole, en fonction de leurs priorités budgétaires mais aussi de leur situation financière et des engagements contractés par le passé.

Isabelle Plassais, présidente de l'association des directeurs et directeurs-adjoints d'EPLEFPA, a ainsi relevé que certaines structures avaient pu « enregistrer une réduction des moyens qui leur étaient alloués par les régions, ce qui a pu mettre certains lycées en difficulté, notamment en touchant à l'équilibre du service restauration/hébergement, même s'il y a toujours eu des aides en faveur des établissements rencontrant des soucis financiers. On a connu la même chose avec l'apprentissage, qui n'a pas été financé par toutes les régions à la même hauteur. La collecte de taxe d'apprentissage devait équilibrer les finances de cette activité, les conseils régionaux apportant le complément pour atteindre l'équilibre. Des régions n'ont pas pu le faire, ce qui a entraîné des déficits importants pour certains CFA ».

Victor Grammatyka, président de l'UNREP, a également souligné que « le soutien des régions en matière d'investissement s'avère très hétérogène en fonction des territoires. Il peut dépasser les 50 % dans certaines régions, mais se résumer à des sommes modiques dans d'autres ».

S'il est logique, au regard de l'autonomie d'action des collectivités territoriales, que les politiques mises en place par les différentes régions diffèrent en fonction de leurs priorités politiques et de leurs moyens, il serait souhaitable d'objectiver davantage la situation. À ce stade, Régions de France n'a pas transmis de données consolidées du soutien apporté par les régions à l'enseignement agricole.

2. Une situation financière des établissements, aggravée par la crise de la covid-19, qui apparaît préoccupante

La crise de la covid-19 a profondément déstabilisé les établissements d'enseignement agricole et a remis en cause, pour certains d'entre eux, une trajectoire de redressement financier entamée depuis plusieurs années.

La Cour des comptes relève, à partir des données transmises par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, qu'une enquête menée par l'Inspection de l'enseignement agricole avait fait apparaître, en 2013, une situation préoccupante pour les établissements publics - 31 % étaient en situation de crise et 28 % suscitaient des inquiétudes fortes - ce qui avait conduit le ministère de l'agriculture à mettre en place en 2015 un plan d'actions qui avait porté des fruits, comme le montre le tableau qui suit.

Bilan de la situation financière des 174 EPLEFPA

(en %)

Source : Cour des comptes à partir des données du ministère de l'agriculture et de l'alimentation

Des données équivalentes n'existent pas pour l'enseignement privé.

La crise liée à la covid-19 a déstabilisé cette trajectoire de redressement des comptes et a conduit le ministère de l'agriculture et de l'alimentation à mettre en place une aide d'urgence à hauteur de 10,2 millions d'euros, selon une méthodologie contestée auprès de la mission par les acteurs de l'enseignement agricole privé.

La crise menaçait de provoquer la faillite financière d'un certain nombre d'établissements pour plusieurs raisons : rupture de trésorerie et impossibilité d'assurer les salaires des agents contractuels sur budget sans recours à l'emprunt, fonds de roulement ne permettant pas d'assurer un nombre de jours de fonctionnement suffisant et mettant en péril les établissements.

La DGER a souligné auprès de la mission le choc important subi par les établissements publics compte tenu de l'importance du secteur économique au sein de leur activité (centres de formation professionnelle continue, exploitations agricoles, ateliers technologiques, centres équestres). En outre, contrairement aux établissements privés qui ont pu en bénéficier, elle précise que les salariés des exploitations agricoles n'ont pas tous bénéficié du chômage partiel, malgré leur statut de salarié, et les agents contractuels sur budget des centres de formation continue ont été exclus de cette aide alors que l'activité de formation en secteur concurrentiel s'était arrêtée.

Deux enquêtes ont alors été réalisées par la DGER pour évaluer les pertes et les surcoûts directement imputables à la crise sanitaire ainsi que la situation financière des établissements sur la base de leur trésorerie et de leur prévision de résultat et de fonds de roulement. Sur cette base, une liste d'établissements susceptibles de recevoir une aide et classés par priorité a été établie. La DGER a ensuite mené une troisième enquête à la date du 31 octobre 2020 auprès des établissements susceptibles de recevoir une aide, afin d'objectiver et de prioriser l'éventuelle aide qui pourrait être accordée.

En 2020, la levée de la réserve du programme 143 ainsi que le transfert de 7,3 millions d'euros de crédits (dont 1,3 million d'euros dédiés au paiement de la prime de 150 euros aux élèves boursiers des BTSA) ont permis de consacrer 10,2 millions d'euros aux établissements en difficulté, selon la répartition suivante.

Répartition de l'aide d'urgence au titre de la covid-19
entre les établissements d'enseignement agricole

Source : direction générale de l'enseignement et de la recherche,
réponse au questionnaire de la rapporteure

La liste des établissements en difficulté financière recensés par l'Inspection de l'enseignement agricole en 2019, complétée par celle des établissements ayant moins de 60 jours de fonctionnement d'avance, a permis d'identifier une liste de 55 EPLEFPA, répartis dans les différentes régions françaises.

Les établissements du privé ont été quant à eux essentiellement touchés par les pertes de recettes de pension ou demi-pension des élèves et apprentis ainsi que par la perte de recettes de location de leurs locaux.

Pour ce qui concerne l'enseignement privé du rythme approprié, la DGER a indiqué à la mission qu'il avait été nécessaire de faire au moins deux relances afin d'obtenir des remontées d'information exploitables et estimé que les établissements en difficulté avaient répondu.

Au regard des auditions et des critiques formulées par les acteurs de l'enseignement agricole privé, la mission d'information a le sentiment que la communication du ministère en direction des établissements aurait pu être améliorée et plus claire, notamment sur les critères d'attribution de cette aide financière 32 ( * ) . En tout état de cause, la photographie qui ressort de ces différentes données fait apparaître un paysage financier des établissements assez préoccupant.

3. La stratégie de réduction des emplois et le blocage des ouvertures de classes apparaissent déstabilisantes

Parallèlement, l'enseignement technique agricole est mis fortement à contribution dans le cadre de la maîtrise des dépenses publiques. Ainsi, le schéma d'emploi pluriannuel, défini en 2017, prévoit une suppression de 300 équivalents temps plein (ETP) sur la période 2019-2022 .

À l'occasion de l'examen du budget pour 2021, le Sénat avait tiré la sonnette d'alarme sur la survie de l'enseignement agricole, et avait voté une augmentation des crédits permettant de couvrir la suppression des 80 ETP prévus en 2021. Malheureusement, l'Assemblée nationale est revenue sur cette augmentation de crédits, et la suppression des 80 ETP a été actée. Or, non seulement la trajectoire d'emplois pluriannuel prévoit des suppressions d'emplois supplémentaires en 2022, mais la marche à supporter est encore plus haute : 110 ETP doivent être supprimés.

Selon le ministère de l'économie, des finances et de la relance, cette cible pour 2022 vise à maintenir une corrélation entre le niveau d'encadrement et la tendance baissière de l'effectif scolarisé. La mission d'information s'oppose à cette vision uniquement comptable et abstraite de l'enseignement agricole .

Premièrement, elle souscrit pleinement à la position du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, exprimée lors de son audition 33 ( * ) , affirmant qu'une « approche budgétaire ne peut pas simplement être conditionnée au nombre d'apprenants. [...] Ce n'est pas le budget qui doit guider la politique, mais la politique qui doit guider le budget . » Encore faut-il, pour cela, que la stratégie de l'État en direction de l'enseignement agricole soit clairement affichée.

Deuxièmement, contrairement aux calculs de la direction du budget, les effectifs dans l'enseignement agricole seraient selon le ministère de l'enseignement agricole en augmentation en 2019 puis en 2021 . Or, comme le souligne le ministre, et parce que l'enseignement agricole a contribué de façon très importante depuis le début du quinquennat au schéma d'emploi fixé par le Gouvernement, en raison de la dynamique des apprenants observée, il « devient une absolue nécessité de conforter le nombre de professeurs, d'établissements et les crédits alloués ».

Troisièmement, et d'une manière qui apparaît inacceptable à la mission d'information, c'est le contenu même des enseignements proposés qui est désormais remis en cause . Deux exemples illustrent cette atteinte au coeur même de l'enseignement agricole :

- la mission d'information constate qu'en 2020, année de déploiement de la réforme du lycée, 54 ETP ont été supprimés chez les enseignants. La suppression de 58 ETP d'enseignants supplémentaires est votée dans la loi de finances pour 2021. En raison d'une dotation horaire globale insuffisante, les chefs d'établissement se voient contraints de ne proposer qu'une seule « doublette » de spécialité en terminale. Certains établissements font le choix de proposer deux doublettes de spécialité, au détriment des enseignements optionnels qui ne sont alors plus financés. Comme alerte le rapport du CGAAER précité sur l'attractivité de l'enseignement agricole, « plusieurs proviseurs de lycée d'enseignement général et technologique d'enseignement agricole (LEGTA) ont constaté une baisse sensible de leurs effectifs de seconde GT lors des deux dernières rentrées et ils s'inquiètent pour la rentrée 2020 [...]. Les chefs d'établissement attribuent principalement cette diminution à l'offre trop réduite d'enseignements de spécialité. En effet, les familles ont la préoccupation de permettre à leur enfant d'accéder au maximum de choix en fin de seconde GT. Elles ont donc tendance à choisir, pour l'admission de leur enfant en seconde GT, le lycée de secteur qui proposera un panel nettement plus large que celui du LEGTA » ;

- la réforme des seuils de dédoublement, entrée en vigueur à la rentrée 2019, conduit à des groupes d'élèves plus importants. Outre la remise en cause de la spécificité d'un enseignement en petit groupe, permettant un meilleur accompagnement du jeune - qui est l'une des forces de l'enseignement agricole -, celle-ci a conduit certains établissements, selon le SNETAP-FSU, à mettre fin à des travaux pratiques sur les grands animaux pour des raisons de sécurité, ces séances se déroulant uniquement sur des animaux plus petits.

Les observations définitives précitées de la Cour des comptes témoignent également des tensions en moyens humains sur l'enseignement agricole affectant son attractivité : « dans le même temps, la baisse des effectifs conjuguée à l'absence de révision de la carte des établissements entraîne mécaniquement une augmentation du coût unitaire des élèves. Cette situation ne peut que conduire les gestionnaires ministériels, à moyen terme, à réduire les effectifs enseignants de façon significative sans par ailleurs disposer de marges de redéploiement en raison d'une carte territoriale figée. S'alimente alors un processus d'attrition et de dégradation de l'offre de formation, contraire aux besoins ».

4. La réforme du lycée : une opportunité pour Bercy de réduire le nombre d'enseignants de l'enseignement agricole ?

La réforme du lycée, effective depuis la rentrée 2019, a pour but de permettre de casser les filières afin de permettre aux élèves de construire leur formation en fonction de leurs orientations professionnelles. En permettant à chaque élève de construire son parcours de formation, cette réforme devrait s'inscrire pleinement dans la philosophie de l'enseignement agricole, particulièrement attaché à l'individualisation des parcours . En outre, la création d'une spécialité spécifique à l'enseignement agricole « Biologie-écologie », incluant des enjeux d'avenir comme le changement climatique, s'appuyant sur des outils pédagogiques concrets que sont les exploitations des établissements d'enseignement agricole, était de nature à attirer de nouveaux élèves vers cette filière de formation.

Or, comme le souligne Bruno Ricard, co-auteur avec Éric Bardon et Danielle Gozard d'un rapport du CGAAER sur l'orientation des élèves vers l'enseignement agricole et son attractivité, « la réforme du baccalauréat général a légèrement « appauvri » le baccalauréat général de l'enseignement agricole » 34 ( * ) . En effet, alors que les lycées de l'éducation nationale doivent proposer au moins 7 spécialités sur les 14 disponibles, une telle diversité n'existe pas dans les établissements de l'enseignement agricole.

Ce rapport du CGAAER dresse un constat inquiétant de la réforme du lycée dans l'enseignement agricole : « les établissements de l'enseignement agricole sont fréquemment confrontés à la problématique des moyens, qui les conduit à ne proposer qu'une seule doublette en terminale (biologie-écologie/mathématique, ou biologie-écologie/physique chimie) et un seul enseignement optionnel. Afin d'améliorer son attractivité et d'élargir les possibilités de poursuite d'études après le baccalauréat général, nous recommandons d'élargir l'offre de formations de l'enseignement agricole » 35 ( * ) . La mission d'information ne peut que faire sienne cette recommandation du CGAAER.

La rapporteure s'alarme ainsi des positions prises par Bercy, qui semble voir dans la réforme du baccalauréat un moyen d'économiser des ETP, au détriment de la qualité de l'enseignement agricole . En effet, il ressort des réponses apportées par la direction du budget que la réforme du baccalauréat semble être vue comme un moyen de supprimer davantage de postes : « en 2020, le schéma d'emplois a été réalisé à hauteur de - 85 ETP, soit un écart de - 25 ETP à la prévision [par rapport à la suppression de 60 ETP initialement prévus]. Cet écart s'explique par l'anticipation d'une partie des suppression 2021 à la rentrée de septembre 2020 dans le contexte de la réforme du baccalauréat ».

La mission d'information dénonce fermement cette situation contraire à la philosophie même de cette réforme du lycée : celle-ci ne vise pas à permettre à l'État de réduire ses dépenses, mais de permettre de construire « un lycée des possibles », pour reprendre les termes du rapport Mathiot 36 ( * ) , à l'origine de cette réforme. De manière symptomatique, alors que l'« agronomie » était obligatoire dans les filières générales de l'enseignement agricole, celle-ci est désormais une option - qui par manque de dotations globales horaires ne peut même pas être proposée dans l'ensemble des lycées agricoles. La promotion d'un enseignement « à produire autrement, pour la transition et l'agro-écologie » par le ministère de l'agriculture restera au stade d'annonce et de communication si les disciplines permettant la mise en pratique de ces déclarations d'intention ne peuvent être financées dans les établissements .

Enfin, la mission d'information voit comme symbole de l'attentisme de l'enseignement agricole sur la réforme du lycée son absence dans le comité de suivi de la réforme du baccalauréat général et technologique, copiloté par Pierre Mathiot et Jean-Charles Ringard - voire même l'existence d'une instance de réflexion similaire au sein du ministère de l'agriculture et de l'alimentation.

5. L'enjeu de l'appropriation de la réforme de l'apprentissage et de son nouveau cadre de financement
a) Un nouveau cadre

À côté du financement de la voie initiale scolaire, le financement de l'apprentissage et de la formation continue a été revu par la loi précitée pour la liberté de choisir son avenir professionnel, ce qui a un impact important pour les établissements de l'enseignement agricole.

En effet, près d'un jeune sur six en formation initiale dans l'enseignement agricole est un apprenti. La voie de formation par apprentissage n'a cessé de se développer ces vingt dernières années pour accueillir à ce jour près de 37 000 apprentis, répartis dans plus de 140 centres de formation d'apprentis sur l'ensemble du territoire.

Les entreprises d'accueil de ces apprentis relèvent majoritairement du domaine de la production agricole et de l'aménagement paysager. Pour autant, les certifications professionnelles de l'enseignement agricole dans les autres domaines de formation (services à la personne et aux territoires, agro-équipements, transformation agroalimentaire, commercialisation...) sont également mobilisées en apprentissage.

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a revu la gouvernance du système et positionné les entreprises et leurs branches professionnelles comme acteurs centraux, tandis que les compétences des régions en matière d'apprentissage ont été réduites. Elle a également bouleversé la logique de financement de l'apprentissage, en passant d'une politique de l'offre, qui conduisait à financer des organismes qui organisaient les cursus de formation jugés opportuns, à un système de financement des organismes de formation en fonction du nombre d'apprentis qu'ils accueillent, par le biais d'un mécanisme de coût-contrat.

Comme le souligne le CGAAER, « avec le financement au contrat, les CFA perdent la sécurité du versement d'une subvention annuelle d'équilibre par la Région. Par ailleurs, au titre de dépenses libératoires, les entreprises conservent la possibilité de leur verser directement une part plafonnée de la contribution apprentissage (13 %), mais uniquement par des contributions en nature (don d'équipements et de matériels conformes aux besoins des formations dispensées). Les CFA doivent donc, d'une part mettre en place un dispositif permettant de bien connaître les coûts de leurs formations, d'autre part développer une stratégie commerciale pour équilibrer ces coûts par un nombre suffisant de contrats et drainer des dons. Outre des conséquences pour la gestion financière des CFA, ces évolutions génèrent des besoins de formation dans les centres dans le domaine de l'ingénierie commerciale et de développement. C'est tout un changement de posture qui s'impose et qui doit être accompagné » 37 ( * ) .

La loi a encouragé le recrutement d'apprentis jusqu'au niveau 4 (baccalauréat) par la mise en place de l'aide unique à l'employeur. Le plan de relance a, pour sa part, permis d'étendre cette aide aux niveaux supérieurs, levant tout ou partie des freins financiers à l'embauche. Cette même loi a confié aux conseils régionaux le dispositif d'orientation pour l'ensemble des voies de formation, permettant ainsi une approche territorialisée, en cohérence avec les politiques de développement économique. Enfin, la loi a confié aux branches professionnelles la promotion de leurs métiers, notamment au travers d'actions conduites dans ce domaine par les opérateurs de compétences.

Pour accompagner au mieux les CFA et CFPPA de l'enseignement agricole, un plan national a été mis en place par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation et propose des formations structurantes (budget d'un million d'euros sur trois ans). Il vise à accompagner tous les personnels concernés par la réforme, tant les formateurs que les gestionnaires et le personnel de direction. Chaque trimestre, c'est en moyenne 10 jours de formation/accompagnement qui ont été déployés dans chaque région depuis début 2019.

La communication auprès du grand public et les mesures d'aides à l'embauche d'apprentis mises en place par le ministère du travail ont été positivement accueillies par les entreprises des secteurs agricoles, aménagement paysager et agroalimentaire, ce qui s'est traduit par une augmentation du nombre d'apprentis à la rentrée 2019.

b) Des pratiques nouvelles et un enjeu d'appropriation

Les personnes auditionnées par la mission ont mis en évidence l'enjeu d'appropriation de cette réforme par les acteurs de l'enseignement agricole, également souligné par le CGAAER dans son rapport précité sur l'appropriation de la réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle continue.

Isabelle Plassais, présidente de l'association des directeurs d'EPLEFPA, souligne ainsi que « la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel change beaucoup de choses. Si nous avions une régulation de la carte des formations jusque-là pleinement entre les mains de l'autorité académique et des conseils régionaux, nous basculons vers un système où la libéralisation de l'offre de formation échappe à toute régulation ordonnée, telle qu'elle se faisait auparavant. D'où la nécessité de réfléchir à d'autres modes de régulation. Il est temps que les acteurs sur le terrain grandissent, deviennent autonomes et en capacité d'interagir ensemble pour que tout le monde ait sa place, de manière à assurer le meilleur service auprès des publics auxquels nous nous adressons et auprès des territoires ».

Patrick Delage, au nom de la Fédération APREFA, a fait état d'une meilleure prise en charge financière globale mais d'une relation chronophage avec les opérateurs de compétences (OCAPIAT pour l'agriculture).

L'accent mis sur le développement de l'apprentissage, qui apparaît positif en soi, amène également à soulever la question, évoquée par les syndicats d'enseignants, d'une éventuelle recomposition des effectifs d'apprenants au profit de l'apprentissage, domaine dans lequel les établissements pourraient bénéficier de marges de manoeuvre plus importantes pour ouvrir des formations.

Le CNEAP a toutefois relevé, s'agissant des établissements privés sous contrat, certaines difficultés qui pourraient freiner le développement de l'apprentissage, d'abord parce que le métier de formateur et celui d'enseignant ne sont pas les mêmes, d'autre part en raison de craintes vis-à-vis des taux de prise en charge de l'apprentissage dans l'avenir. Ce point a également été souligné à la mission lors de déplacements sur le terrain, notamment dans le Puy-de-Dôme.

c) Les difficultés rencontrées par certains établissements pour se conformer aux référentiels de certification

Enfin, un point plus ponctuel, mais symptomatique d'une forme de complexité administrative, a été signalé à la mission d'information lorsqu'elle s'est rendue au lycée Terre d'Horizon, à Romans-sur-Isère.

Le ministère de l'agriculture et de l'alimentation a en effet demandé aux établissements de généraliser en 2021 la comptabilité analytique et la certification qualité des organismes de formation, au travers d'une certification propre intitulée QualiFormAgri, construite avec l'AFNOR.

Or il est apparu que des établissements rencontraient des difficultés à déployer ce référentiel propre au ministère de l'agriculture et de l'alimentation, alors que le maintien des financements au titre de l'apprentissage était conditionné au respect d'un autre référentiel, intitulé Qualiopi. La rapporteure a interpellé le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur ce point lors de son audition du 30 juin 2021. Sans remettre en cause le bien-fondé de ces deux référentiels, elle appelle à une meilleure coordination entre ministères et à une meilleure prise en compte des réalités des établissements sur le terrain.


* 31 Cour des Comptes, Relevé d'observations définitives, « Les coûts et la performance de l'enseignement technique agricole », juin 2021.

* 32 Cf. comptes rendus des auditions du 17 mars 2021.

* 33 Compte rendu de l'audition de M. Julien Denormandie du 30 juin 2021.

* 34 Audition du 10 mars 2021.

* 35 Rapport n° 19069 sur l'orientation des élèves vers l'enseignement agricole et son attractivité, CGAAER, juin 2020.

* 36 « Un nouveau baccalauréat pour construire le lycée des possibles », rapport de M. Pierre Mathiot, 24 janvier 2018.

* 37 « Appropriation par l'enseignement technique agricole public de la réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle continue - Les conditions pour bien répondre aux besoins des branches professionnelles », rapport n° 19084, décembre 2020.

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