N° 204

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la mission « Outre - mer » du projet de loi de finances pour 2022,

Par Mme Micheline JACQUES,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Marie Evrard, Françoise Férat, Catherine Fournier, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, MM. Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

L'ESSENTIEL

Le budget de la mission « Outre-mer » est proposé à hauteur de 2,63 milliards d'euros (Md€) en autorisations d'engagement (AE) et 2,47 Md€ en crédits de paiement (CP) pour 2022, en recul de 73 millions d'euros (M€) en AE
(- 2,7 %) et en augmentation de 30 M€ en CP (+ 1,25 %) par rapport à la loi de finances initiale pour 2021.

La mission « Outre-mer » connaît donc une baisse inédite de ses moyens, qu'un plan de relance sous-dimensionné et insuffisamment adapté à la réalité de ces territoires ne compense que très difficilement. Même si elle a été déclenchée par le rejet de l'obligation vaccinale, la crise politique que traversent les Antilles depuis fin novembre prend racine dans une situation économique et sociale dégradée. Le choc subi par l'économie informelle qui n'apparaît pas dans les statistiques, a en particulier fragilisé plusieurs secteurs et plusieurs territoires.

La hausse des crédits consacrés sur le papier au logement, via la « ligne budgétaire unique » (LBU), et la prise en compte des recommandations du Sénat en la matière ne se traduisent pas à ce stade par une hausse tangible de l'effort de construction, adaptée aux spécificités de chaque territoire. Trop souvent mise sur le compte d'un manque d'ingénierie des collectivités territoriales ultramarines, la faible consommation des crédits de la mission « Outre-mer » doit aussi être assumée par l'État.

Source : document de politique transversale « Outre-mer », direction du budget.

Une particularité de la mission « Outre-mer » tient à ce qu'elle est loin de regrouper l'ensemble des crédits budgétaires à destination des outre-mer - et plus loin encore de donner une image fidèle de l'effort global de l'État, en incluant les dépenses fiscales à leur endroit. Elle n'est que la deuxième mission à destination des territoires ultramarins, avec 2,6 Md€ (en AE) demandés dans le PLF 2022, derrière la mission « Enseignement scolaire ». Au total, selon le document de politique transversale ou « orange budgétaire » dédié aux outre-mer, la mission « Outre-mer » représente 13 % des montants budgétaires engagés et seulement 10 % de l'effort global de l'État en faveur de ces territoires .

Crédits budgétaires demandés
(en Md€ et en % de l'effort global)

dont mission « Outre-mer »

AE

CP

19,5 (75 %)

21,2 (77 %)

2,6 (10 %)

2,5 (9 %)

Dépenses fiscales en faveur des outre-mer
(en Md€ et en % de l'effort global)

6,4 (entre 23 et 25 %)

Effort global de l'État en faveur des outre-mer (en Md€)

25,9

27,6

Source : commission des affaires économiques,
d'après le document de politique transversale « Outre-mer ».

I. UNE DIMINUTION EXCEPTIONNELLE DES CRÉDITS, REFLET DE LA SITUATION SOCIO-ÉCONOMIQUE DRAMATIQUE DANS LAQUELLE LA PANDÉMIE A PLONGÉ LES OUTRE-MER

A. ALORS QU'EN 2020 LES OUTRE-MER AVAIENT GLOBALEMENT MIEUX RÉSISTÉ À LA CRISE, LE REBOND DE 2021 A ÉTÉ PERTURBÉ PAR DE NOUVELLES MESURES SANITAIRES

En 2020, malgré un choc plus marqué dans le Pacifique, les outre-mer ont connu une chute de croissance de l'ordre de 3 à 4 points de PIB , moins prononcée que dans l'hexagone en raison du rôle amortisseur du secteur public et de mesures restrictives en moyenne moins sévères 1 ( * ) . La Réunion, qui a enregistré une croissance positive, a même été la région française au plus fort taux de croissance économique. Contrairement à l'hexagone, les outre-mer ont dans l'ensemble créé de l'emploi 2 ( * ) .

En 2021, alors que la croissance serait de 6,75 % dans l'hexagone, le rebond ultramarin a été contrarié par de nouvelles restrictions sanitaires 3 ( * ) . Des confinements et couvre-feux ont été décidés en août et septembre 2021, au moment où la situation sanitaire semblait plus favorable dans l'hexagone.

Source : Comptes économiques rapides pour l'outre-mer.

La situation est bien sûr hétérogène, connaît une intensité variable d'un territoire à l'autre et des décalages importants dans le temps, liés à l'émergence aléatoire des vagues épidémiques et aux mesures prophylactiques prises en conséquence. Toutefois, au total, il apparaît bien que les outre-mer pourraient à moyen terme être davantage affectés par la crise que d'autres territoires, en raison de la conjonction de trois facteurs handicapants :

Ø l'éloignement et, bien souvent, l'insularité , qui ont pu dans un premier temps être un atout pour empêcher les premières vagues de l'épidémie, mais ont ensuite joué contre les territoires une fois la crise déclarée (obligation de prendre des mesures prophylactiques très prudentes en raison de craintes sur les lits d'hôpitaux et d'éventuelles difficultés d'approvisionnement en produits médicaux essentiels) ;

Ø une composition sectorielle spécifique des territoires ultramarins (importance, en particulier, de l'économie touristique), qui les rend pour la plupart particulièrement exposés ;

Ø un historique de la crise en décalage par rapport à l'hexagone : les économies ultramarines ont subi un choc économique quand la situation épidémique locale était pourtant bonne, et la dégradation ultérieure du contexte sanitaire a par la suite empêché les outre-mer de profiter pleinement du rebond hexagonal.

S'il est difficile à isoler dans les statistiques de l'Insee, le tourisme revêt une importance cruciale pour les économies ultramarines, d'autant plus qu'il exerce un fort effet d'entraînement sur d'autres secteurs
- transports, restauration, loisirs -, représentant jusqu'à 10 % d'emplois directs et autant d'emplois indirects. Atout France constate « partout [dans les outre-mer] un poids économique et social très important [du tourisme] » .

Alors que la Guyane et La Réunion figurent parmi les destinations jugées moyennement sensibles aux fluctuations du tourisme international, Saint-Martin, la Polynésie française et, dans une moindre mesure, la Nouvelle-Calédonie se sont montrées plus vulnérables au choc, car leurs économies sont résolument tournées vers le tourisme international . Ces destinations sont toutes tributaires, et parfois de façon exclusive, du transport aérien, mis à mal pendant la crise.

À ces spécialisations plus exposées que dans l'hexagone, s'ajoute un décalage dans le temps, qui provoque un effet ciseau - hausse des prix et baisse des revenus. Les outre-mer font face à des pénuries et à la hausse de prix des matières premières et des matériaux, liées à la désorganisation du transport maritime de marchandises et à la surchauffe de l'économie, alors même que l'activité n'est pas revenue à son niveau antérieur.

Ø En somme, le cri d'alarme poussé l'an dernier par la rapporteure sur la crise que traverse le tissu économique et social ultramarin mériterait de trouver un écho renforcé cette année. La crise sanitaire et économique a même bien failli avoir des répercussions institutionnelles, le report du troisième référendum sur l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, prévu le 12 décembre, ayant un temps été envisagé.


* 1 Comptes économiques rapides pour l'outre-mer (CEROM), « Les conséquences économiques de la crise sanitaire dans les outre-mer », mars 2021.

* 2 Coline Bouvart, Jean Flamand et Clément Dherbécourt, « Géographie de la crise », France Stratégie, juillet 2021.

* 3 IEDOM-IEOM, « Les entreprises ultramarines face à la crise sanitaire. Un regain de confiance qui n'est pas partagé par tous », n° 677, septembre 2021.

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