DES FRANÇAIS DANS LE NOIR :
UN RISQUE QUI N'EST PLUS À EXCLURE ?

I. LA FRANCE CONNAÎT DE GRAVES DIFFICULTÉS SUR LE PLAN DE LA SÉCURITÉ D'APPROVISIONNEMENT CET HIVER

La France est confrontée à une situation de tension sur le plan de sa sécurité d'approvisionnement cet hiver, et au-delà.

Pour preuve, Réseau de transport d'électricité (RTE), qui est en charge de l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité, a placé le pays en situation de « vigilance particulière », pour cet hiver 12 ( * ) et, plus largement, pour les hivers 2021-2024 13 ( * ) .

RTE indique ainsi que, s'agissant de cet hiver, « le système électrique est exploité dans des conditions dégradées par rapport au critère de sécurité d'approvisionnement ».

En premier lieu, concernant la production d'électricité, le pays fait face à de faibles capacités, du parc nucléaire comme de celui renouvelable.

Tout d'abord, la disponibilité du parc nucléaire est faible ; fin janvier, sa capacité a atteint 48 gigawatts (GW), ce qui correspond à « son plus bas niveau historique », avec la mise à l'arrêt de 9 réacteurs .

• Ainsi, 4 réacteurs ont été mis en maintenance , dans le cadre d'une visite décennale (Dampierre, Bugey 5 et Gravelines 1) et d'un rechargement de combustible (Gravelines 6) ;

• De plus, 5 réacteurs ont été l'objet de contrôles liés à un phénomène de « corrosion sous contrainte » (Civaux 1, Civaux 2, Chooz 1, Chooz 2 et Penly 1). En effet, le 13 février dernier 14 ( * ) , le groupe EDF a annoncé que des défauts ont été détectés à proximité de soudures des tuyauteries du circuit d'injection de sécurité du réacteur de Civaux 1, lors de sa visite décennale, puis sur les autres réacteurs précités, au cours de travaux préventifs, ce qui a conduit à leur arrêt pour y réaliser des contrôles et y instruire et déployer des solutions techniques, sous le contrôle de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

• Cependant, si le programme d'« arrêts de tranche » du groupe EDF prévoyait initialement 8 arrêts de réacteurs en février et 9 autres arrêts en mars, 6 de ces arrêts ont été décalés (Cruas 4, Flamanville 2, Cattenom 4, Golfech 1, Gravelines 3 et Flamanville 1).

Au total, selon RTE, entre 9 et 13 réacteurs doivent être à l'arrêt, en février, et entre 12 et 19, en mars . Si le niveau de disponibilité du parc sera proche de celui de l'an passé en février (entre 38 et 46 GW fin février), il sera « à un niveau très en-deçà sur la majeure partie du mois de mars » (entre 35 et 43 GW à la mi-mars).

Le graphique ci-après, repris des travaux de RTE, présente les calendriers prévu et observé des arrêts de réacteurs.

Interrogé par les rapporteurs, le groupe EDF a fait part de ses propres prévisions actualisées :

• la capacité nucléaire s'est établie entre 45 et 50 GW en janvier et sera de 45 GW en février ;

• 12 réacteurs seront arrêtés en février ;

• 4 réacteurs supplémentaires seront arrêtés fin février , dont 1 pour le phénomène de « corrosion sous contrainte » (Chinon B3), tandis que 1 réacteur sera reconnecté (Bugey 5) ;

• 8 réacteurs supplémentaires seront arrêtés début mars , dont 1 réacteur pour ce même phénomène (Cattenom 3), alors que 2 réacteurs seront reconnectés (Gravelines 1 et Gravelines 6).

RTE 15 ( * ) estime que les contrôles liés au phénomène de « corrosion sous contrainte » pourraient affecter, y compris à moyen terme, la sécurité d'approvisionnement : « La stratégie de contrôle de ce type de défaut sur le reste du parc, qui sera mise en oeuvre par EDF sous le contrôle de l'ASN, aura des conséquences en matière de sécurité d'approvisionnement électrique au-delà de cet hiver ».

Il considère a contrario que le décalage du programme d'« arrêts de tranche », contribue, dès à présent, à limiter les effets des contrôles susmentionnés : « Cette action est favorable du point de vue de la sécurité d'approvisionnement et permet de réduire le risque en contrebalançant l'effet de la mise à l'arrêt des réacteurs concernés par l'anomalie de corrosion » .

De son côté, le groupe EDF a précisé, à l'issue de son audition, que le phénomène de « corrosion sous contrainte » n'avait pas, pour l'heure, d'incidence sur l'équilibre offre-demande : « Depuis la fin 2021, nous sommes confrontés à une baisse de la production liée à la “corrosion sous contrainte”. [...] EDF a activé tous les leviers disponibles pour limiter les risques sur l'équilibre offre-demande ».

Le groupe a précisé mobiliser aussi d'autres leviers que ceux nucléaires, pour garantir la sécurité d'approvisionnement : « EDF a également maximisé la puissance thermique à flamme pendant l'hiver, [...] géré les barrages pour garantir au mieux la production hydraulique [et] contractualisé des effacements avec certains clients, pour l'utilisation en situation de très forte tension du système ».

Pour autant, les 7 et 11 février derniers 16 ( * ) , le groupe a réévalué sa production d'énergie nucléaire entre 295 et 315 térawattheures (TWh) pour 2022 (contre 300 à 330 précédemment) et entre 300 et 330 TWh pour 2023 (contre 340 à 370 précédemment) .

Cela s'explique par la conjonction d'un « programme industriel chargé » , avec 44 arrêts de réacteurs pour maintenance et contrôle, et la poursuite du « programme de contrôles et de réparations des tuyauteries concernées par le phénomène de corrosion sous contrainte » .

En complément de son audition, l'ASN a qualifié le phénomène de « corrosion sous contrainte » d' « inattendu » , car il concerne l'acier de circuits « a priori peu sensible à ce phénomène » et de « sérieux en termes de sûreté », car ces circuits sont connectés au circuit primaire du réacteur, « sans possibilité d'isoler la fuite éventuelle » .

S'agissant du nombre de réacteurs faisant l'objet de contrôle, l'ASN a rappelé que 5 sont à l'arrêt et que 6 le seront d'ici avril , précisant qu' « à terme, EDF envisage de contrôler l'ensemble des réacteurs » .

Par ailleurs, elle a précisé que le phénomène de « corrosion sous contrainte » était « potentiellement générique » , c'est-à-dire « susceptible d'affecter plusieurs réacteurs » , ajoutant qu' « à ce stade, on ne peut en exclure aucun » .

En effet, elle a rappelé que la standardisation du parc nucléaire peut constituer un inconvénient sur le plan de la sûreté nucléaire : « La standardisation a beaucoup d'avantages en termes industriels (effet de série), mais elle a un inconvénient, c'est le caractère potentiellement générique de défauts. »

Enfin, l'ASN a indiqué que les contrôles nécessaires à la mesure de la profondeur des fissures ne peuvent pas actuellement être réalisés par « les systèmes de contrôle par ultrasons », ce qui suppose de « découper le tuyau et de réaliser une expertise en laboratoire, puis de remplacer la zone découpée par une pièce neuve » .

Cependant, de nouveaux instruments de contrôle sont « en cours de développement et de qualification » et devraient être « disponibles courant mai » ; ils permettront d'accélérer les contrôles et de limiter leur impact sur la disponibilité du parc nucléaire et la sécurité d'approvisionnement.

Sollicité par les rapporteurs, le groupe EDF a confirmé que 6 autres réacteurs feront l'objet de contrôles dans les 3 mois, lors d'arrêts programmés (Bugey 3, Flamanville 1 et Flamanville 2) ou spécifiques (Chinon 3, Cattenom 3 et Bugey 4).

Il a précisé avoir défini « des calculs permettant de connaître la taille des défauts », « des analyses permettant de comprendre l'origine de l'apparition de la corrosion » et bientôt « des procédés d'examens non destructifs plus rapides à mettre en oeuvre ».

À ce stade, le phénomène de « corrosion sous contrainte » semble limité, avec « des fissures qui varient de 0,75 mm à 5,6 mm au maximum [...] à comparer à l'épaisseur des tuyauteries de près de 30 mm ».

Si la situation du parc nucléaire n'est donc pas satisfaisante, la diversification du mix électrique n'est pas d'un grand secours sur le plan de la sécurité d'approvisionnement, fin janvier :

• tout d'abord, bien que les capacités de photovoltaïque et d'éolien ont atteint respectivement 18,4 GW et 11,9 GW en 2021, RTE 17 ( * ) constate que « la production d'éolienne a été très faible, voire nulle certains jours » ;

• de plus, si la production de stocks hydrauliques, d'environ 2 500 gigawattheures (GWh) en octobre, « contribue fortement à sécuriser l'exploitation du système électrique » , la capacité des batteries , d'environ 100 mégawatts (MW) en octobre, « reste relativement limitée » 18 ( * ) ;

• enfin, si la capacité des effacements de consommation s'élève à 3,4 GW, « toute [...] augmentation de la capacité soutenue ne correspond pas à de nouvelles capacités », cette dernière n'étant d'ailleurs « pas encore précisément connue » .

En second lieu, s'agissant de la consommation d'électricité, le pays est confronté à une demande haussière, mais à des conditions météorologiques favorables.

Tout d'abord, la consommation atteint un « niveau proche de celui d'avant-crise » , avec 468 TWh en 2021 contre 458 TWh en 2020, selon RTE.

On constate une baisse (jusqu'à 2 % ) de la consommation par rapport aux niveaux d'avant-crise, avec une baisse de cette consommation pour l'industrie (jusqu'à 6 % ) et les transports (jusqu'à 10 % ), une stagnation pour le logement et une hausse pour le tertiaire (jusqu'à 2 % ).

En revanche, les aléas météorologiques ne pèsent pas sur la consommation d'électricité , car « les températures observées ne sont pas descendues significativement en dessous des normales saisonnières ».

Or, il faut savoir qu' « en cas de vague de froid » , chaque degré perdu entraîne une hausse de 2,4 GW de la consommation d'électricité.


* 12 Réseau de transport d'électricité (RTE), L'équilibre offre-demande d'électricité pour l'hiver 2021-2022 , publié en novembre 2021 et actualisé en février 2022.

* 13 Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan prévisionnel de l'équilibre offre-demande d'électricité en France , Édition 2021.

* 14 Groupe EDF, EDF actualise son estimation de production nucléaire en France pour 2022 , 13 janvier 2022.

* 15 Réseau de transport d'électricité (RTE), L'équilibre offre-demande d'électricité pour l'hiver 2021-2022 , publié en novembre 2021 et actualisé en février 2022.

* 16 Groupe EDF, EDF ajuste son estimation de production nucléaire en France pour 2022, 7 février 2022, et EDF ajuste son estimation de production nucléaire en France pour 2023 , 11 février 2022.

* 17 Réseau de transport d'électricité (RTE), L'équilibre offre-demande d'électricité pour l'hiver 2021-2022 , publié en novembre 2021 et actualisé en février 2022.

* 18 Des demandes de raccordement, entre 50 et 100 MW, étant attendues.

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