B. TOUTEFOIS, LA PRESSION SUR SES CAPACITÉS DE FORMATION POSE DES DÉFIS MAJEURS

1. La gestion budgétaire de l'école se heurte au manque d'attractivité structurelle de celle-ci
a) La volatilité du recrutement par concours entraîne des difficultés concrètes de gestion budgétaire

L'ensemble des personnes auditionnées par le rapporteur spécial ont partagé le constat selon lequel le principal défi de gestion budgétaire pour l'Énap reposait sur les incertitudes relatives au plan de charge de l'école , c'est-à-dire aux variations du nombre d'élèves à accueillir chaque année, en particulier pour les promotions d'élèves surveillants .

Si une première réponse a été apportée avec la réforme du calendrier de la formation de ces derniers à compter de 2019, des incertitudes sur le plan de charge demeurent. En effet, le plan de charge annuel de l'école est habituellement transmis à celle-ci au dernier trimestre de l'année N-1 . Or, comme la direction de l'école l'a indiqué au rapporteur spécial en réponse au questionnaire, les effectifs des promotions mentionnés dans le plan de charge prévisionnel peuvent être très différents des effectifs entrant réellement en formation , en raison de la faible attractivité de certains concours.

Recrutement des agents de l'administration pénitentiaire en 2021

Formation

Nombre de postes offerts

Candidats inscrits au concours

Emplois pourvus

Taux d'emplois pourvus

Directeurs des services pénitentiaires

21

766

19

90 %

Directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation

46

977

40

87 %

Directeurs techniques

8

151

8

100 %

Conseillers pénitentiaires en insertion et probation

352

4 205

324

92%

Techniciens

8

342

7

88 %

Lieutenants pénitentiaires

55

1 744

55

100 %

Adjoints techniques

16

249

14

88 %

Surveillants

1 678

24 050

NC

NC

Source : direction de l'administration pénitentiaire en réponse au questionnaire budgétaire pour le projet de loi de finances pour 2022

Le recrutement des surveillants est particulièrement sensible pour sécuriser la gestion budgétaire de l'école, compte tenu du fait qu'il constitue le public en formation le plus nombreux, mais aussi celui dont le nombre varie le plus fortement. Ainsi, la direction de l'école a indiqué au rapporteur spécial que les derniers concours n'avaient pas permis de pourvoir toutes les places disponibles, près de 20 % en moyenne des lauréats « s'évaporant » entre la sélection et l'entrée à l'école . Au-delà de la question de gestion budgétaire, ce constat est particulièrement inquiétant par rapport à l'exigence de sélectivité de ce concours de la fonction publique .

En outre, par le passé, le plan de charge communiqué n'a pas toujours comporté l'intégralité des promotions à former . Ainsi, en 2020, celui-ci ne mentionnait ni la promotion de directeurs techniques, ni celle d'assistants de service social, obligeant l'école à s'adapter dans des délais très contraints .

Ces incertitudes contraignent les conditions d'élaboration du budget de l'école. Avant la transmission du plan de charge par la direction de l'administration pénitentiaire en fin d'année N-1, l'école construit son budget pour l'année N+1 à partir de moyennes constatées au cours des trois dernières années pour chaque poste de dépenses.

Le dialogue budgétaire avec la tutelle se déroule en trois phases et est cantonné à un horizon annuel, et non pluriannuel :

- une pré-notification indicative du plafond autorisé d'emplois et du montant de la subvention pour charges de service public (SCSP) est transmise à l'école, en théorie, fin septembre en année N-1 ;

- la notification initiale indicative du plafond d'emplois et du montant de la SCSP est communiquée courant janvier de l'année N, permettant éventuellement à l'école de modifier son budget prévisionnel avec un budget rectificatif ;

- en cours d'année, l'école peut également se voir rendue destinataire d'une notification modificative , ce qui nécessite aussi l'adoption d'un budget rectificatif.

Même si l'évolution du nombre de jours élèves (NJE) n'est pas directement intégrée dans le montant de la SCSP, la direction du budget estime néanmoins « qu'une connaissance anticipée, pluriannuelle et fiable du plan de charge serait bénéfique à l'amélioration budgétaire de l'école » 26 ( * ) . Alors que les décisions relatives au recrutement et à l'organisation des concours relèvent de la responsabilité de la direction de l'administration pénitentiaire, il est certain qu'un dialogue continu et exigeant avec la direction de l'école contribue à mieux anticiper les variations du plan de charge de celle-ci.

b) L'augmentation des capacités pédagogiques se heurte au difficile recrutement des formateurs

La question de l'attractivité de l'école et de ses formations pour les élèves se pose également pour le recrutement des formateurs nécessaires au bon déroulement de la scolarité . En effet, alors que les capacités d'accueil et de formation de l'école doivent augmenter dans les prochaines années, l'ensemble des personnes auditionnées ont témoigné de la difficulté à recruter des formateurs répondant aux exigences pédagogiques de l'école.

Devenir formateur à l'Énap requiert de réussir un examen professionnel et de disposer d'une habilitation pédagogique, obtenue au terme d'une formation. Or, les auditions ont soulevé la question du statut des formateurs, qui ne serait pas suffisamment attractif pour inciter des personnels de l'administration pénitentiaire à franchir le pas , malgré le maintien du régime de rémunération et d'indemnités qui leur était applicable dans leur précédente affectation 27 ( * ) .

Il est vrai qu'exercer ces fonctions nécessite généralement de s'installer à Agen, et ce pour une durée déterminée : en effet, les modifications réglementaires prises en 2016 limitent à quatre ans la période d'affectation à l'Énap des formateurs, renouvelable une fois pour une durée totale qui ne peut excéder sept ans 28 ( * ) . Cette limitation de la durée d'affectation a été conçue comme un gage de qualité des compétences des formateurs, qui ne restent pas éloignés du terrain trop longtemps . Cette modification fait suite aux recommandations de la Cour des comptes de 2014, qui avait préconisé une durée maximale de six ans pour une école d'application comme l'Énap.

Lors de son déplacement à Agen, le rapporteur spécial a constaté que ces difficultés de recrutement des formateurs - mais également des moniteurs - limitent les capacités de formation de l'école. Concrètement, l'extension du stand de tir ne pouvait, à l'époque, être pleinement utilisée par les élèves, faute de personnels suffisants, ce qui se traduisait par une réduction du temps dédié à la pratique du tir.

Pour pallier ces carences, la direction de l'école peut recruter des contractuels . Ce recrutement relève du directeur de l'école, et non de la direction de l'administration pénitentiaire, cette dernière étant responsable du recrutement des formateurs. Toutefois, ce vivier s'avère en pratique limité , compte tenu de la concurrence des rémunérations proposées dans le secteur privé pour des compétences similaires. Les marges de manoeuvre pour proposer une rémunération attractive pour ces contractuels sont en réalité limitées, compte tenu de la difficulté interne à l'administration pénitentiaire à proposer un traitement plus avantageux pour des personnels contractuels que pour des agents pénitentiaires. Or, cette possibilité doit pouvoir être envisagée afin de combler les ressources pédagogiques manquantes.

2. Des tensions budgétaires commencent à apparaître

L'augmentation des dépenses de l'école étant plus rapide que l'évolution de la subvention pour charges de service public (SCSP), des tensions budgétaires ont commencé à apparaître au cours des derniers exercices .

Ainsi, en 2021, la SCSP, d'un montant de 32,1 millions d'euros, n'était pas suffisante pour couvrir les dépenses de personnel et de fonctionnement, qui se sont élevées à 33 millions d'euros environ en crédits de paiement. Par conséquent, un prélèvement sur le fonds de roulement de l'école a été effectué à hauteur de 2,1 millions d'euros environ.

Depuis 2019, des prélèvements sont réalisés sur le fonds de roulement de l'école afin de financer l'augmentation des dépenses de celle-ci. En 2022, le fonds de roulement devrait atteindre le montant de 8,4 millions d'euros , ce qui correspond à environ trois de mois de fonctionnement.

Évolution du fonds de roulement depuis 2017

(en euros)

Source : Énap

En réponse aux inquiétudes suscitées par la baisse continue au cours des dernières années du fonds de roulement, la direction du budget a indiqué au rapporteur spécial qu'il n'existait pas de norme conseillée pour les opérateurs de l'État en matière de niveau adéquat du fonds de roulement. Celui-ci dépend en effet du nombre de jours de fonctionnement à couvrir avant le versement de la SCSP, du niveau des restes-à-liquider et du niveau le plus bas de trésorerie dans l'année.

S'agissant de la trésorerie de l'Énap, le rapporteur spécial rappelle que le fonds de roulement ne doit pas être excessivement élevé, au risque de « thésauriser » des ressources budgétaires qui pourraient être mobilisées pour le financement de dépenses d'investissement . Dans cette perspective, il convient de rappeler que le niveau anticipé pour 2022 correspond environ au niveau atteint en 2011 et 2012. Par le passé, un niveau trop élevé de fonds de roulement avait été compensé par une réduction drastique du montant de la SCSP, ce qui témoigne pas d'une gestion budgétaire ni sereine ni anticipée . Ainsi, en 2006, alors que le fonds de roulement avait atteint le montant de 16 millions d'euros, la SCSP avait été réduite de 22,7 à 15 millions d'euros.

Néanmoins, le rapporteur spécial partage l'analyse selon laquelle une vigilance accrue doit être apportée aux moyens budgétaires dont disposera l'école dans les prochaines années, dans un contexte d'augmentation des effectifs pour la mise en oeuvre du plan de construction des 15 000 places de prison supplémentaires . Alors que le niveau du fonds de roulement devrait être normalisé, de nouvelles ressources budgétaires devraient être apportées à moyen terme.

3. La hausse des effectifs de l'administration pénitentiaire interroge la place de la formation continue après la formation initiale

Si la formation continue fait partie des missions de l'Énap, cette dernière ne dispose pas d'antennes régionales. Elle s'appuie sur des unités régionales de formation et de qualification (URFQ) , au sein des directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP).

Malgré une offre de formation continue importante, le directeur de l'école considère que « malheureusement, l'administration ne parvient pas à entretenir les connaissances de ces derniers [ les surveillants ], par le truchement de la formation continue. Le directeur de l'administration pénitentiaire a donc souhaité que l'Énap conduise des réflexions sur la formation au sens large, dans le cadre des états généraux de la justice » 29 ( * ) .

Les auditions conduites ont fait état d'une réelle appétence des personnels pour la formation continue. Toutefois, les organisations syndicales auditionnées ont souligné les obstacles matériels nombreux qui ne permettent pas d'assister à ces modules de formation dans les meilleures conditions, tels que le remboursement tardif des frais de déplacements, les difficultés d'adaptation des emplois du temps, ou encore les applications informatiques peu performantes pour traiter ces demandes de formation. Par ailleurs, le suivi statistique des agents participant à un module de formation continue apparaît comme étant perfectible, dans la mesure où chaque participation d'un agent à une formation est comptabilisée, y compris lorsqu'il participe plusieurs fois au même module (par exemple, les formations au tir).

Le rapporteur spécial considère qu'une réflexion d'ensemble doit être menée pour garantir une formation continue accessible et régulière pour l'ensemble des agents . Si l'Énap doit nécessairement assurer un rôle clé dans la matière, la formation continue au sein même des établissements pénitentiaires doit être encouragée . L'objectif est d'éviter que la formation des nouveaux agents soit laissée à la seule responsabilité des plus anciens, en particulier dans les établissements qui connaissent un fort « turn over ».

Le « turn over » des effectifs : exemple de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis

La maison d'arrêt de Fleury-Mérogis comprend, en février 2022, 3 601 détenus (selon le dernier décompte), ce qui en fait le plus grand établissement pénitentiaire d'Europe, avec un taux d'occupation actuel avoisinant 120 %. Environ 1 375 agents « en tenue » y exercent leurs fonctions. La gestion des ressources humaines y est marquée par une rotation importante des effectifs : 925 surveillants sur 1 475 ont moins de cinq ans d'ancienneté dans l'établissement, soit 63 % du personnel de surveillance . Compte tenu des effectifs de détenus et de la rotation du personnel, l'établissement accueille chaque année un nombre très élevé de stagiaires (230 en moyenne). Pour les agents recrutés à l'issue de leur scolarité à l'Énap, un module de formation complémentaire est dispensé lors de leur prise de poste, assurant ainsi un relai entre la formation initiale et leur arrivée sur le terrain . Il convient de relever que la stabilité des effectifs, et la formation des nouvelles recrues, sont en partie assurée par les personnels ultra-marins, qui représentent environ 30 % des effectifs, qui restent plus longtemps plus longtemps sur leurs postes dans la région Île-de-France.

Source : commission des finances du Sénat


* 26 Réponse écrite de la direction du budget.

* 27 Article 12 du décret n°2000-1328 du 26 décembre 2000 relatif à l'École nationale d'administration pénitentiaire.

* 28 Article 12-1 du décret précité.

* 29 Compte-rendu de l'audition de M. Christophe Millescamps par la commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française de l'Assemblée nationale, en date du 16 septembre 2021.

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