1. Les effets délétères de la politique des « petits pas »
a) Un continuum de soutien mal adapté au financement des entreprises à vocation industrielle
Les dispositifs publics de financement, d'accompagnement et de soutien en vigueur ne permettent pas toujours d'appréhender les spécificités des entreprises innovantes à vocation industrielle.
Premièrement, la durée de l'accompagnement financier, les exigences de rentabilité à court ou moyen terme, la faible appétence pour le risque et le manque de connaissance des enjeux industriels ne permettent pas de s'adapter à la durée inhérente au développement de certaines innovations.
Par exemple, comme l'a indiqué Pascale Augé, présidente du directoire d'Inserm Transfert, « un médicament, c'est au minimum dix ou quinze ans de développement, un dispositif médical, sept à neuf ans, et les innovations en santé digitale, cinq à sept ans. En d'autres termes, les médicaments qui sortent aujourd'hui ont émergé voilà plus de quinze ans » 2 .
1 Audition du HCÉRES du 1 er février 2022.
2 Audition de l'Inserm du 2 mars 2022.
Deuxièmement, le développement des entreprises innovantes à vocation industrielle est intensément capitalistique , requérant dès les premières étapes de développement des investissements importants, notamment en raison des infrastructures à financer.
En France, des efforts significatifs ont été consentis par les pouvoirs publics pour développer les fonds d'amorçage, et le relais est assuré par l'investissement privé. Toutefois, le volume des financements accordés reste plus faible que dans d'autres pays européens et insuffisant pour financer des projets de dimension industrielle . Selon le baromètre du capital-risque élaboré par le cabinet de conseil Ernst & Young, le montant moyen d'une levée de fonds était de 14,76 millions d'euros en France en 2021 (avec 80 % des investissements en valeur pour l'Île-de-France !), alors qu'il est de plusieurs dizaines de millions d'euros dans des pays comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne.
Par ailleurs, les auditions menées lors de cette mission d'information mettent en évidence un manque de fonds de croissance capables de financer des innovations industrielles à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros et surtout pour effectuer des levées de fonds supérieures à 100 millions d'euros .
Troisièmement, le développement d'innovations en matière industrielle et technologique présente des risques spécifiques et continus , comme le résume par exemple Célia Hart, associée chez Supernova Invest :
« il faut pouvoir accompagner les projets sur des durées très longues. Les phases se succèdent : risque lié à la technologie mobilisée, puis risque lié au produit, puis problématiques d'industrialisation, de commercialisation, de mise sur le marché » 1 .
Enfin, le développement d'une innovation industrielle sur plusieurs années représente également un défi en matière de ressources humaines , à la fois pour la constitution des équipes de chercheurs chargés du développement, mais également pour les investisseurs et les fonds d'investissement, qui ont besoin de recruter des profils sensibilisés aux enjeux industriels (cf infra ).
b) Le risque d'une « fuite » des innovations françaises
Au regard des spécificités et des difficultés inhérentes au développement des innovations à vocation industrielle, il apparaît que le continuum de financement de l'écosystème français présente des lacunes qui peuvent être préjudiciables, car les bénéfices tirés des brevets, inventions et innovations françaises profitent à des sociétés étrangères capables de mobiliser massivement des capitaux pour les commercialiser et de les développer à plus grande échelle.