C. LA PLEINE EFFICACITÉ DES QUOTAS SE HEURTE À DES TRACES DE RÉSISTANCE

Diverses traces de résistance de la part des employeurs publics et au sein des administrations, de la part de hauts fonctionnaires notamment, expliquent la lenteur des progrès constatés et peuvent encore freiner la poursuite de ces progrès. Ainsi, Alban Jacquemart, maître de conférences en science politique à l'Université Paris-Dauphine, a souligné devant la délégation le fait que « si le projet de loi Sauvadet a fait l'objet de relativement peu d'oppositions frontales et publiques, par rapport à d'autres, dont la loi Copé-Zimmermann ou les mesures de parité en politique, dix ans plus tôt, et si l'outil s'est légèrement normalisé dans l'action publique, nous voyons néanmoins des traces de résistance plus feutrées dans les institutions et dans les cercles du pouvoir politique et administratif. »

Cinq exemples peuvent être relevés :

• le décalage déjà évoqué dans la publication des chiffres et le fait que ce décalage ne soit apparu qu'en 2017. Alban Jacquemart a attiré l'attention de la délégation sur ce point et indiqué : « en tant que sociologue, j'ai envie de mener une enquête sur les rouages de l'administration, pour identifier la bascule et comprendre dans quelle mesure ce constat peut témoigner d'une forme de résistance ou de frein à cette politique » ;

• la fluctuation de la définition du périmètre des emplois soumis aux quotas Sauvadet. Ainsi un décret 7 ( * ) publié le 27 décembre 2018 a réduit d'un tiers le périmètre des emplois concernés au ministère de l'économie et des finances, lui permettant d'atteindre plus facilement le quota. À l'inverse, le dépassement du quota par le ministère de l'intérieur a été facilité par un élargissement du périmètre des emplois concernés ;

• la comptabilisation plus ou moins fine des emplois . Corinne Desforges, vice-présidente de Femmes de l'Intérieur , inspectrice générale de l'administration, a ainsi évoqué devant la délégation les discussions qui ont eu cours au printemps 2012 au sein des ministères en vue de l'élaboration des décrets d'application de la loi Sauvadet. Elle a déploré le fait que « le ministère de l'intérieur comptabilise de la même façon une préfète de région et une sous-préfète débutante : il s'agit toujours d'un effectif » ;

• la règle de l'arrondi inférieur qui permet de considérer que l'objectif de 40 % est atteint à l'unité inférieure. Alban Jacquemart s'est interrogé devant la délégation sur l'incongruité que représente selon lui cette règle : « la nomination de trois femmes sur neuf nominations totales respecte l'obligation de 40 % au moins de personnes du sexe sous-représenté. 40 % de neuf personnes équivaudraient en réalité à 3,6 femmes. Le texte demande pourtant au moins 40 % de femmes. Pourquoi, dans ce contexte, autoriser un dispositif permettant la nomination de moins de 40 % ? » ;

• enfin, certains employeurs publics préfèrent encore payer des pénalités financières plutôt que d'appliquer les quotas . Agnès Arcier, présidente de la commission Parité du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), déplorait devant la délégation le fait que « certains ministères préfèrent encore payer plutôt qu'agir », tandis que Nathalie Pilhes, présidente de l'association Administration moderne , notait que « le système de pénalités est aussi un système de contournement pour éviter d'appliquer la règle ».

Ces réticences des employeurs publics à faire progresser la parité au sein des postes à responsabilités se sont fait ressentir, selon Nathalie Pilhes, au moment de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique qui, dans son volet égalité femmes-hommes n'a pas traité l'égalité dans les postes de direction, hormis un article élargissant le dispositif de nominations équilibrées aux communes de plus de 40 000 habitants (contre 80 000 auparavant). Selon elle, encore aujourd'hui , les employeurs publics « perçoivent la loi Sauvadet comme une contrainte plutôt que comme une opportunité » et « un certain nombre de secrétaires généraux de ministères ne sont aujourd'hui pas du tout convaincus de l'impact positif de la mixité dans leurs organisations et dans le partage de la décision ».

Cette analyse rejoint celle d'Alban Jacquemart qui a estimé devant la délégation que « malgré la rigidité du quota, son efficacité reste corrélée à un soutien politique, à des soutiens individualisés à tel ou tel endroit de l'administration ou du champ politique. Il peine à devenir un outil structurel, permanent et efficace . »

Au-delà de ces traces de résistance diffuses, force est de constater que la situation demeure très contrastée selon les versants de la fonction publique, les départements ministériels ou encore les types d'emplois.


* 7 Décret n° 2018-1306 du 27 décembre 2018 modifiant le décret n° 2012-601 du 30 avril 2012 relatif aux modalités de nominations équilibrées dans l'encadrement supérieur de la fonction publique.

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