B. LES PROGRÈS DANS LES FLUX PEINENT À SE TRADUIRE DANS LES STOCKS

1. Le nombre de femmes en fonctions sur des postes à responsabilités augmente lentement, sans accélération notable

Lors de la table ronde précitée, Alban Jacquemart, maître de conférences en science politique à l'Université Paris-Dauphine et auteur d'un ouvrage collectif intitulé Le plafond de verre et l'État 6 ( * ) , s'est montré mitigé sur l'impact des quotas portant sur les primo-nominations sur la proportion de femmes en fonctions sur des emplois supérieurs de la fonction publique. Selon lui, ces quotas ont surtout permis de ne pas freiner la féminisation de ces emplois, sans pour autant accélérer le processus: « Les chiffres sont compliqués à analyser, puisque le périmètre Sauvadet n'existait pas en tant que catégorie statistique avant la loi du même nom ; nous ne disposons donc des chiffres pour ce périmètre que depuis 2015. Pour autant, si nous nous intéressons à d'autres indicateurs tels que la féminisation des directeurs généraux ou des chefs de service, nous constatons à peu près toujours les mêmes courbes. L'accélération date du milieu des années 2000 et le dispositif Sauvadet accompagne ce mouvement, évitant un plafonnement habituellement observé dans la féminisation des professions supérieures (à 25, 30 ou 35 %). Je ne sais pas si c'était l'objectif initial mais le dispositif a donc pour vertu principale de permettre le maintien de la hausse de la féminisation du stock. Il n'a toutefois pas produit d'accélération de sa féminisation. »

Au 31 décembre 2020, sur les 5 796 agents en fonctions sur des postes d'encadrement supérieur et dirigeant, entrant dans le périmètre de la loi Sauvadet, 35 % étaient des femmes, contre 27 % en 2015.

Proportion de femmes en fonctions dans des emplois de direction
et d'encadrement

Source : ministère de la transformation et de la fonction publiques

2. L'impact des quotas de flux sur les stocks n'est pas automatique
a) Le dispositif des nominations équilibrées ne concerne que les primo-nominations

Si le nombre de primo-nominations est faible, à la fois par rapport au nombre total de nominations et par rapport au nombre total d'emplois concernés par le dispositif, alors la vitesse de renouvellement du stock est faible et le dispositif peine à faire évoluer la féminisation des emplois à court et moyen termes . Il importe donc d'examiner le taux de renouvellement des emplois et la part de personnes primo-nommées au sein de ces emplois.

En 2015, les emplois d'encadrement supérieur et dirigeant de la fonction publique d'État n'ont été renouvelés qu'à hauteur de 32 % dont 14 % par des personnes primo-nommées (au sein desquelles 33 % de femmes). En revanche, en 2019 et 2020 le taux de renouvellement était de respectivement 38 et 36 % dont 16 et 18 % de personnes primo-nommées (au sein desquelles 37 et 43 % de femmes), permettant dès lors au dispositif d'avoir un impact sur la féminisation de ces emplois : la proportion de femmes en fonctions a augmenté de deux points entre 2018 et 2019, puis de deux points entre 2019 et 2020.

En outre, les résultats de primo-nominations peuvent varier fortement d'une année sur l'autre, comme ce fut le cas entre 2013 et 2019, limitant donc leur impact sur la féminisation du stock.

b) Les femmes nommées ne restent pas nécessairement en fonctions

Certaines femmes nommées sur des postes à responsabilité peuvent ne pas rester, par la suite, en fonctions sur ces postes. Si de nouvelles femmes sont nommées à ces postes, le taux de primo-nominations féminines reste élevé sans effet durable ou démultiplicateur sur le stock.

Corinne Desforges, vice-présidente de Femmes de l'Intérieur , inspectrice générale de l'administration, a par exemple souligné devant la délégation l'existence de ce phénomène dans la préfectorale : « Lorsqu'une femme prend un poste, elle compte pour une. Si elle part et est remplacée par une autre femme, celle-ci compte aussi pour une. Les stocks augmentent lentement mais il est compliqué de mesurer combien de temps les femmes restent en poste. Elles occupent généralement un ou deux postes, puis s'en vont après avoir constaté les contraintes de disponibilité, de visibilité, de mobilité. Elles sont remplacées par d'autres femmes, ce qui répond aux quotas de flux de la loi Sauvadet. Dans le même temps, le stock disparaît . »

c) La composition initiale des viviers des emplois concernés par le dispositif importe

Si le vivier des candidats éligibles aux emplois est trop peu féminisé, les quotas peuvent manquer d'efficacité à court terme.

Le vivier de candidates existe indéniablement et le nombre de femmes au sein des grandes écoles de service public a augmenté de façon continue. Ainsi, alors que l'École nationale d'administration (ENA) comptait 22 % de femmes en 1996, la première promotion de l'Institut national du service public (INSP) en 2022 comptait 44 % de femmes.

Cependant, l'écart de vingt points entre la proportion de femmes au sein de la catégorie A (65 %) et celle de la catégorie A+ (42 %), qui constitue le vivier naturel pour les postes d'encadrement, interroge.

En outre, les viviers ne sont pas toujours assurés dans tous les départements ministériels. Cette problématique a été relevée par Corinne Desforges lors de la table ronde du 24 février 2022 : « Nous rencontrons le même problème de stock dans le vivier que nous devons constituer. À la sortie de l'ENA, il y a cinq ou six postes au ministère de l'intérieur. Certaines années, il n'y a pas de femmes. Dans ce cadre, comment pouvons-nous arriver à une moitié d'effectifs féminins des années plus tard ? On fait venir beaucoup de femmes de l'extérieur à l'heure actuelle. [Le métier de sous-préfet] est toutefois souvent très solitaire et les femmes partent. Nous ne disposons pas d'un vivier solidifié, parce que trop peu de femmes font carrière dans ce corps. Le fait que l'on contractualise ce corps fera venir, je le crains, plus d'hommes en contrat que de femmes. Ce sujet doit être approfondi, Femmes de l'Intérieur l'étudiera . »

Mais alors que les viviers de femmes existent indubitablement et traditionnellement dans des secteurs comme ceux de la fonction publique hospitalière, du ministère de la culture ou des ministères de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, et que l'ensemble des employeurs publics ont eu déjà dix ans pour mener des actions en faveur de la constitution de viviers, l'argument de l'absence de vivier semble souvent utilisé comme un faux prétexte, témoignant de la persistance de résistances systémiques.


* 6 Marry, C., Bereni, L., Jacquemart, A., Pochic, S., Revillard, A. Le plafond de verre et l'État : La construction des inégalités de genre dans la fonction publique. Armand Colin, 2017.

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