II. UNE ACCÉLÉRATION NÉCESSAIRE DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE QUI DOIT ACCOMPAGNER LA STRUCTURATION DU TISSU INDUSTRIEL

A. EXPLORATION OU EXPLOITATION : UN DÉBAT PRÉMATURÉ

1. Les grands fonds marins : un milieu peu connu mais aux potentialités nombreuses
a) Les grands fonds marins s'apparentent à une « terra incognita »

Cela a été rappelé à de nombreuses reprises lors des auditions menées par la mission d'information : nous connaissons mieux la surface de la lune que celle des grands fonds marins. Alors qu'il est désormais possible d'envoyer des touristes dans l'espace, seuls 4 êtres humains sont allés en deçà de 10 000 mètres de profondeur.

Les grands fonds marins, soumis à une pression décuplée par rapport à la pression atmosphérique, privés de lumière à partir de 200 mètres de profondeur et dans lesquels les ondes satellitaires passent très mal, représentent « une des dernières frontières de la connaissance » 30 ( * ) , quel que soit l'indicateur choisi (bathymétrie, connaissance du vivant, cartographie des ressources minérales, etc.).

L'indicateur le plus aisément quantifiable est celui de la bathymétrie 31 ( * ) . Or le niveau de connaissances estimé du relief des fonds marins varie très fortement en fonction de la résolution retenue et donc de la précision des données attendues. Sans surprise, les fonds les plus profonds sont ceux pour lesquels nous disposons du moins de données, sachant que la profondeur moyenne de l'océan mondial est de l'ordre de 3 800 mètres et que 75 % des fonds marins se situent à des profondeurs supérieures à 3 000 mètres.

Si 100 % des fonds marins ont été cartographiés par satellite, la résolution obtenue par ce moyen inadapté aux fonds marins est de l'ordre du kilomètre voire, pour les zones les plus profondes, de l'ordre de la dizaine de kilomètres, ce qui est évidemment insuffisant pour de l'exploration fine. En effet, pour avoir une résolution fine, la pénétration des ondes satellitaires est limitée à une profondeur de 20 mètres. En outre, s'il est possible d'effectuer des relevés bathymétriques depuis la surface (par exemple avec des sondeurs multifaisceaux opérant depuis la coque du navire, un outil privilégié par le SHOM), en l'état actuel de la technologie, ceux-ci n'offrent qu'une faible résolution pour les grands fonds. Obtenir des relevés précis nécessite donc de s'approcher du plancher océanique, notamment grâce aux drones autonomes ou téléopérés.

Le chiffre de 20 % des fonds marins cartographiés , souvent mis en avant dans le débat public et dans la presse, est quant à lui sujet à précautions. Il fait référence aux critères de l'Organisation hydrographique internationale, qui fixe la résolution minimale attendue par gamme de profondeur : la cartographie d'une zone est considérée comme convenable si elle atteint une résolution de 100 mètres jusqu'à 1 500 mètres de profondeur, de 200 mètres entre 1 500 et 3 000 mètres de profondeur, de 400 mètres entre 3 000 et 5 750 mètres de profondeur et enfin de 800 mètres à partir de 5 750 mètres de profondeur. Ces mesures sont certes précieuses compte tenu des difficultés et du coût inhérents aux travaux de cartographie sous-marine, mais restent rudimentaires. En outre, elles ne donnent aucune indication sur la nature du sol marin ou sur les espèces y vivant.

Suivant ces normes internationales, très peu de zones de grands fonds sont connues avec une haute résolution. Au mieux, la connaissance de la bathymétrie dans les zones de grands fonds n'est connue qu'avec une résolution supérieure à 50 mètres. Lorsqu'elle existe, la connaissance de la bathymétrie dans les grands fonds se limite donc à la description de la morphologie générale à basse résolution.

En définitive, il est estimé que nous ne disposons de bonnes connaissances bathymétriques , c'est-à-dire ayant fait l'objet d'une cartographie multi-paramètres et avec une résolution inférieure à 50 mètres, que pour approximativement 2 à 5 % du plancher océanique , une proportion « anecdotique en termes de surface au regard de l'immensité des fonds marins », selon les mots de M. Christophe Poinssot, directeur scientifique du BRGM.

Cette proportion est similaire pour l'ensemble de l'océan et pour les zones sous juridiction française. Comme l'a indiqué le SHOM à la mission d'information, « contrairement à ce que beaucoup imaginent, des zones entières sous juridiction française sont actuellement inconnues, même à quelques kilomètres au large des côtes françaises ». Au rythme actuel de l'avancée des travaux de cartographie et des moyens dont il dispose, le SHOM évalue à 60 ans la durée qu'il lui faudra pour obtenir une « description pertinente » du territoire national sous-marin au large de la métropole . Pour l'ensemble de la ZEE française, il faudrait 3 500 ans à un robot autonome de type AUV fonctionnant sans interruption pour couvrir tous nos fonds marins.

Si la quasi-totalité des façades maritimes hexagonales a fait l'objet a minima d'une exploration partielle du fond, même avec une « faible précision » selon le référentiel du SHOM, au sein de notre ZEE ultramarine le degré de connaissance du relief des fonds marins est fortement lacunaire . Ainsi, en 2020, moins de 0,1% des fonds marins ultramarins avaient fait l'objet d'une exploration totale du fond et environ 20 % avaient fait l'objet d'une exploration partielle avec un faible degré de précision, selon les critères du SHOM :

Zone concernée

Proportion de la zone ayant fait l'objet d'une exploration totale du fond 32 ( * )

Proportion de la zone ayant fait l'objet d'une exploration partielle du fond, avec une bonne justesse de mesure de la profondeur 33 ( * )

Proportion de la zone ayant fait l'objet d'une exploration partielle du fond, avec une faible justesse de mesure de la profondeur 34 ( * )

Saint-Pierre-et-Miquelon

0,04 %

0,4%

17,1%

Antilles françaises

0,01%

1,8%

31,6%

Guyane

0,001%

0,6%

49,2%

Clipperton

0%

0,0003%

3,2%

Polynésie française

0,0003%

0,03%

19,2%

Wallis-et-Futuna

0,003%

0,015%

12,7%

Nouvelle-Calédonie

0,08%

0,8%

11,4%

Océan indien

0,003%

1%

18,7%

Terres australes et Terre-Adélie

0%

0,005%

23,4%

Source : SHOM 35 ( * ) - données pour l'année 2020

Ces chiffres corroborent le constat effectué par l'ensemble des collectivités d'outre-mer auditionnées par la mission d'information, qui ont toutes déclaré à regret avoir une connaissance très parcellaire, voire inexistante, des grands fonds marins constituant leur ZEE (cf I. B).

En ce qui concerne les zones explorées biologiquement, elles se limitent à 0,0001 % du plancher océanique, soit une part par million. Selon l'IFREMER, nous ne connaîtrions, en étant « très optimistes » 36 ( * ) , que 5 % de la biodiversité de l'océan profond . Comme l'écrivent conjointement l'IFREMER et le CNRS, « d'une manière générale, l'inventaire de la diversité des espèces dans les environnements profonds, miroir de la diversité des habitats, [est] largement incomplet » 37 ( * ) . Chaque campagne d'exploration permet néanmoins de découvrir une centaine d'espèces biologiques inconnues.

Bien que les caractéristiques des principales ressources minérales commencent à être connues ( cf . infra ), permettant aux géologues d'appréhender dans quels types d'environnement se situent les potentiels gisements de nodules polymétalliques (plaines abyssales), d'amas sulfurés (rides médio-océaniques actives, zones volcaniques à hydrothermalisme actif ou fossile) et les encroûtements cobaltifères (monts sous-marins), leur localisation précise est encore à déterminer. En tout état de cause, il n'existe pas de cartographie des ressources minérales sous-marines dans notre ZEE, ni même dans la zone internationale . Les cartes existantes ne présentent que des potentiels métallogéniques.

Ainsi, nous ne sommes qu' au stade de la description des grands fonds marins. L'état actuel des connaissances ne nous permet pas de comprendre avec finesse le fonctionnement de ces milieux, notamment les interdépendances et les interactions entre leurs différentes composantes, ni leur rôle dans l'écosystème global de notre planète.

b) Les connaissances recueillies jusqu'à présent préfigurent néanmoins une grande richesse des écosystèmes de l'océan profond

Un des résultats majeurs des campagnes d'exploration des grands fonds marins est la mise en évidence du fait que les fonds marins « ne sont pas des déserts vierges » 38 ( * ) : ces milieux a priori hostiles accueillent de nombreuses espèces vivantes et seraient riches en ressources minérales 39 ( * ) .

(1) La vie est abondante dans les grands fonds marins et peut trouver des applications dans le domaine des biotechnologies

Bien que nous ne connaissions que peu la biodiversité sous-marine profonde (5 % au mieux, cf . supra ), il est avéré que les abysses abritent une grande diversité biologique , qui a réussi à se développer malgré un environnement difficile (absence de lumière, forte pression, rareté de l'oxygène, etc.).

La découverte des sources hydrothermales sous-marines dans les années 70 a même « révolutionné » 40 ( * ) la biologie et nos connaissances sur le développement de la vie sur Terre puisque, sous des températures extrêmes et sans oxygène à ces profondeurs, la vie s'est développée autour du cycle du soufre et des écosystèmes abondants ont été mis à jour. Des bactéries chimiotrophes (oxydant les sulfures) sont à la base de la chaîne trophique des abysses qui a permis le développement d'organismes (mollusques et vers géants pouvant atteindre 2 mètres, crevettes, crabes, moules, etc.) aux dimensions « incroyables » 41 ( * ) compte tenu des conditions extrêmes et aux capacités inhabituelles. Par exemple, l'hémoglobine du ver Riftia pachyptila permet de transporter à la fois de l'oxygène et des sulfures.

Vers géants Riftia Pachyptila photographiés par le ROV Victor 6000 dans leur habitat par 2 630 mètres de fond, sur la dorsale du Pacifique oriental - source : océanothèque de l'IFREMER

Aujourd'hui, plus de 500 espèces animales évoluant prés de sources hydrothermales profondes ont été décrites, dont 75 % sont des espèces endémiques de ce milieu .

Dans les plaines abyssales où gisent les nodules polymétalliques, les écosystèmes se développent plus lentement en termes de biomasse, en raison du peu d'énergie disponible. La vie y est néanmoins existante : des organismes, tels des coraux et des éponges, se fixent aux nodules qui offrent un support solide au milieu des sédiments des plaines abyssales. Ils vivent de matière organique en provenance de la colonne d'eau. D'autres organismes comme les holothuries ou les vers polychètes vivent dans les sédiments du plancher océanique. 90 % des espèces trouvées dans ces milieux sont nouvelles 42 ( * ) . Une étude de l'IFREMER parue en 2018 43 ( * ) a par exemple décrit 17 nouvelles espèces de vers marins, découvertes dans la zone de Clarion-Clipperton à 5 000 mètres de profondeur.

Les microorganismes des abysses présentent en outre une réelle stabilité à l'agression physique et chimique dont les caractéristiques peuvent être déclinées dans le domaine des biotechnologies . Les « extrêmozymes », c'est à dire les enzymes de l'extrême, pourraient apporter des réponses à des questions industrielles anciennes qui nécessitent l'utilisation d'enzymes à des températures élevées pour diminuer la viscosité ou augmenter la solubilité de certains constituants, ou pour éviter les contaminations par des bactéries pathogènes mésophiles. Ils peuvent aussi être employés dans des filières plus récentes, telles que les techniques d'amplification des acides nucléiques utilisées, entre autres, pour le diagnostic médical ou pour les recherches génétiques. Les tests PCR utilisés pour détecter la covid-19 sont notamment constitués de molécules récupérées dans les écosystèmes des grands fonds.

Aucun grand laboratoire français ne travaille cependant sur les adaptations médicales qui pourraient être faites à partir des caractéristiques spécifiques aux espèces vivant dans l'océan profond 44 ( * ) . Depuis les années 2000, seuls huit médicaments venant de la mer ont reçu une autorisation de mise sur le marché 45 ( * ) .

Recommandation

12) En association avec les laboratoires pharmaceutiques volontaires, consacrer une partie des crédits du plan d'investissement France 2030 dédiés aux grands fonds marins à l'étude des potentialités biologiques des organismes des grands fonds marins et des adaptations médicales qui pourraient en résulter.

Afin d'agréger et de valoriser davantage les connaissances acquises par la France sur la biodiversité présente dans les grands fonds marins et de signifier un intérêt public égal à celui apporté à l'étude des ressources minérales, le rôle de l'Office français de la biodiversité (OFB) doit être réévalué . Jusqu'à présent peu associé aux groupes de travail et décisions relatives à la politique française dédiée aux grands fonds marins, l'OFB est pourtant gestionnaire des parcs naturels marins, commande de nombreuses études sur la biodiversité marine et souhaite participer autant que possible aux réflexions entourant la valorisation des grands fonds marins 46 ( * ) .

Recommandation

13) Associer davantage l'Office français de la biodiversité à l'acquisition des connaissances scientifiques sur la vie marine profonde ainsi qu'à la gouvernance des grands fonds marins français en faisant de l'OFB un pôle d'expertise de référence sur la biodiversité des grands fonds marins, chargé de conseiller les pouvoirs publics en vue de la protection de la biodiversité ainsi référencée.

(2) Les grands fonds marins recèleraient d'importantes ressources minérales

Les campagnes d'exploration du plancher océanique ont permis d'y déceler et de catégoriser trois principaux types de ressources minérales non énergétiques , ayant chacune leur composition et leur localisation propres. Il s'agit des sulfures polymétalliques, ou sulfures hydrothermaux, des encroûtements cobaltifères et des nodules polymétalliques.

Les sulfures polymétalliques , dont la présence est liée aux sorties de fluides hydrothermaux, se rencontrent dans des zones volcaniques et tectoniques actives ou récentes, comme les dorsales océaniques. Les sites hydrothermaux favorables à la formation des sulfures polymétalliques se trouvent à des profondeurs très variables, allant de 1 000 à 5 000 mètres, tandis que les zones moins profondes ne contiennent généralement que des dépôts d'oxyde de fer.

Les sulfures hydrothermaux sont très localisés et couvrent des surfaces généralement limitées à moins d'un kilomètre carré. Ils ont en moyenne des teneurs en métaux sensiblement supérieures à celles des mines exploitées à terre, notamment en cuivre et en zinc. Ils peuvent également présenter de fortes teneurs en métaux précieux, tels l'or et l'argent, et en métaux rares (indium, sélénium, germanium...).

Les encroûtements cobaltifères sont présents dans les volcans anciens et les atolls immergés. Ils peuvent recouvrir des surfaces de plusieurs milliers de kilomètres carrés, pour une épaisseur pouvant atteindre 25 centimètres, et ont été découverts à des profondeurs allant de 400 à 4 000 mètres. Ils contiennent principalement de l'oxyde de fer et du manganèse et, comme leur nom l'indique, sont en moyenne trois fois plus riches en cobalt que les autres minerais (près de 2% de cobalt dans les encroûtements de la Polynésie française), notamment les nodules. Ils peuvent en outre contenir une forte concentration de platine et de terres rares (yttrium, lanthane, cérium).

Enfin, les nodules polymétalliques sont des boules d'une dizaine de centimètres de diamètre, formées à partir des sédiments marins, qui peuvent tapisser les plaines abyssales de l'ensemble des océans à des profondeurs allant de 4 000 à 6 000 mètres. L'abondance et la composition des nodules polymétalliques varient selon les zones. Des champs de nodules peuvent s'étendre sur des surfaces de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés mais, à la différence des sulfures polymétalliques et des encroûtements cobaltifères, leur concentration sur leurs zones de présence est hétérogène et leur recensement nécessite donc un fin travail de cartographie, particulièrement difficile à cette profondeur.

Ils sont riches en fer et manganèse, mais les métaux valorisables sont surtout le manganèse (26%), le nickel (1,2%), le cuivre (1,1%) et le cobalt (0,3%). Cette ressource n'est pas nécessairement plus riche qu'à terre, mais elle combine de nombreux minerais utilisés pour les activités humaines et serait présente en grande quantité dans les fonds marins. Le CNRS et l'Ifremer estiment que les réserves contenues dans les champs de nodules polymétalliques de la seule Zone de Clarion-Clipperton s'élèvent à 34 milliards de tonnes, ce qui représente 6 000 fois plus de thallium, trois fois plus de cobalt, et plus de manganèse et de nickel que toutes les ressources avérées hors des océans.

Au total, ces trois types de ressources minérales contiendraient au moins 27 métaux différents .

Teneur en métaux des nodules polymétalliques, des sulfures hydrothermaux et des encroûtements cobaltifères - Source : IFREMER (2011)

Si les caractéristiques de ces ressources minérales sont globalement identifiées, la localisation précise de leurs gisements est encore largement inconnue, y compris pour la ZEE française pour laquelle la connaissance des richesses minérales est très lacunaire.

Au vu des potentialités métallogéniques ainsi que des campagnes d'exploration qui ont été menées jusqu'à présent, il semblerait que la France soit très substantiellement dotée des trois types de ressources . Il existerait un fort potentiel s'agissant des sulfures hydrothermaux dans la ZEE de Wallis-et-Futuna, mais également au large de la Nouvelle-Calédonie, de La Réunion, des Antilles, des îles Kerguelen et de la Polynésie française. Les eaux de la Polynésie française se démarqueraient par la présence de riches gisements d'encroûtements cobaltifères. Enfin la zone Clarion-Clipperton étant considérée comme la plus prometteuse en matière de nodules polymétalliques, la ZEE de Clipperton pourrait en être particulièrement pourvue, bien que dans cette zone les campagnes d'exploration, y compris françaises, ne se soient concentrées jusqu'à présent que sur les fonds des eaux internationales.

Carte synthétique des ressources minérales des grands fonds - Source : IFREMER (2017)

Les nodules polymétalliques, qui peuvent être prélevés sans forage ni galeries, ont fait l'objet de beaucoup d'intérêt à partir des années 70, avant que chercheurs et industriels ne prennent conscience de la complexité de leur récolte, et notamment de l'identification des zones dans lesquelles les nodules sont à la fois nombreux et dont la teneur en métal est la plus forte, dans un contexte de rentabilité économique incertaine ( cf . infra ). Néanmoins, plusieurs entreprises travaillent sur l'élaboration de robots récolteurs de nodules, comme l'entreprise belge GSR qui table sur un début d'exploitation en 2028, à l'aide de son robot le Patania II .

Concernant les encroûtements cobaltifières, la surface à couvrir sera importante et le fond pentu. Ils seront donc, a priori, complexes à extraire, d'autant que leur potentiel est à ce jour insuffisamment connu, expliquant le faible investissement sur cette ressource.

En conséquence, ce sont désormais les sulfures hydrothermaux qui sont considérés comme les ressources les plus immédiatement disponibles et dont la teneur en métal pourrait justifier les lourds investissements nécessaires à leur exploitation. En France, l'entreprise TechnipFMC, l'un des leaders des équipements industriels sous-marins, travaille depuis plus d'une dizaine d'années sur cette ressource. Jusqu'à présent, la seule tentative sérieuse d'exploitation de ressources minérales des grands fonds marins a d`ailleurs été consacrée aux sulfures hydrothermaux, au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, mais le projet est à l'arrêt à la suite de la faillite son promoteur, l'entreprise minière canadienne Nautilus.

2. La recherche scientifique française doit être soutenue
a) La France dispose d'acteurs reconnus et actifs dans le domaine de l'exploration des grands fonds marins
(1) Une filière scientifique de premier plan

La France est dotée d' une filière scientifique de premier plan pour la recherche sur les grands fonds marins, investie de longue date sur le sujet et dont l'expertise est reconnue au sein de la communauté scientifique internationale. Selon le décompte de l'IFREMER, la France se classe en effet en 5 e position mondiale en termes de publications scientifiques en rapport avec les ressources minérales profondes dans les domaines de l'environnement et des géosciences, derrière la Chine, les Etats-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni. 5 % de ces publications scientifiques ont la France pour pays d'affiliation du premier auteur 47 ( * ) .

Cette filière est principalement articulée autour de cinq organismes publics de recherche assez complémentaires, qui travaillent fréquemment ensemble, notamment au sein d' unités mixtes de recherche (UMR), ainsi qu'avec des pôles universitaires bien positionnés dans la recherche marine tels que l'université de Bretagne occidentale ou Sorbonne Université. Il s'agit de l'Institut français de la recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), du Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) et, dans une moindre mesure, du Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) et de l'Institut de recherche pour le développement (IRD).

L'IFREMER est identifié comme principal opérateur de la recherche scientifique française consacrée aux grands fonds marins, notamment grâce à son département dédié spécifiquement à l'étude des ressources physiques et des écosystèmes de fond de mer. Selon son président-directeur général, M. François Houllier, l'IFREMER est ainsi à l'origine de 25 % des connaissances produites en France sur les écosystèmes marins. À ce titre, c'est à lui qu'ont été attribués avec le soutien de l'État les deux permis d'exploration dont bénéficie la France dans la zone internationale, l'un destiné à l'étude des nodules polymétalliques dans la zone Clarion-Clipperton et l'autre aux sulfures hydrothermaux dans la zone de la dorsale médio-Atlantique.

C'est également l'IFREMER, par le biais de sa filiale Genavir, qui assure la gestion, l'exploitation et la maintenance de la flotte océanique française . Celle-ci est constituée de quatre navires hauturiers ( Marion Dufresne, Pourquoi pas ?, L'Atalante, Thalassa ) capables de réaliser des campagnes océanographiques sur tous les océans, hors zones polaires. De 30 à 120 mètres de long, ils peuvent effectuer des levés bathymétriques des fonds marins, déployer des systèmes sous-marins profonds afin de prélever des échantillons, réaliser des mouillages et des prélèvements dans des colonnes d'eau ou encore effectuer des carottages sédimentaires. À ces navires amiraux s'ajoutent deux navires semi-hauturiers ( Antea et Alis ) réalisant des missions océanographiques de physique, chimie, halieutique, d'exploration de la colonne d'eau et de cartographie sous-marine, cinq navires côtiers ( L'Europe, Thalia, Côtes de la Manche, Tethys II et Haliotis ) et sept navires de station (pour des sorties en mer de 1 à 3 jours). L'IFREMER dispose en outre d'engins sous-marins profonds uniques en Europe, comme le sous-marin Nautile , le robot télé-opéré Victor 6000 , et, bientôt, le robot autonome UlyX , capables d'opérer jursqu'à 6 000 mètres de profondeur.

Cette flotte océanographique française constitue un patrimoine essentiel à la recherche, qui doit être constamment renouvelé et modernisé. Le navire Alis doit en particulier être remplacé. « Dans les années à venir, il faudra un navire moderne de type semi-hauturier d'une quarantaine de mètres pour pouvoir intervenir en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. C'est vital si l'on veut notamment déployer des drones », a indiqué à la mission le directeur délégué à la science de l'IRD, M. Philippe Charvis.

Au sein du CNRS , environ 2 000 scientifiques travaillent sur le monde marin au sens large, notamment grâce à un vaste réseau de 40 laboratoires de recherche sur le milieu marin. Concernant plus spécifiquement les grands fonds marins, le CNRS a une approche pluridisciplinaire et participe à de nombreux projets, comme par exemple l'observatoire européen sous-marin au large des Açores qui lui permet d'effectuer du monitoring (mesure dans le temps de l'écosystème marins sur une zone fixe). Le CNRS s'associe régulièrement à l'IFREMER, comme par exemple en 2014 lors de la publication d'une expertise scientifique collective sur les impacts environnementaux résultant de l'exploration et de l'exploitation des ressources minérales profondes ou plus récemment pour le pilotage du programme prioritaire de recherche « océan et climat », doté de 40 millions d'euros et dont le quatrième des sept « défis » concerne l'exploitation des grands fonds marins et de leurs réserves en ressources minérales.

Bien que le SHOM n'ait pas pour vocation l'exploration des grands fonds marins afin d'en évaluer les ressources vivantes et minérales, il apparaît comme un acteur essentiel dans le domaine de la cartographie bathymétrique des fonds marins dans le cadre de sa mission de réalisation et de mise à jour des cartes de navigation. Il produit un grand nombre de données grâce au partage du navire océanographique Pourquoi pas ? avec l'IFREMER et à l'accès aux 3 navires hydrographiques ( La Pérouse , Borda et Laplace ) et au navire hydro-océanique ( Beautemps-Beaupré ) de la marine nationale. En outre, dans le cadre des accords internationaux sur la recherche scientifique marine, il est destinataire de toutes les données bathymétriques acquises dans les eaux françaises, y compris lorsqu'elles sont produites par des entités privées ou étrangères.

Au titre de sa mission de gestion et de référencement des ressources et des risques du sol et du sous-sol français, le BRGM , qui emploie environ 700 chercheurs et ingénieurs, est également actif dans l'acquisition de connaissances sur les grands fonds marins, avec cette fois-ci une attention particulière sur leur géologie et les ressources minérales qu'ils contiendraient. Il est associé aux diverses campagnes d'exploration pour apporter un soutien technique à la caractérisation des ressources minérales qui y sont décelées et pour évaluer, à partir des résultats et données obtenus par l'IFREMER, le potentiel minier et économique des gisements.

Enfin, l' IRD , qui rassemble une communauté de plus 7 000 personnes dont de nombreux chercheurs, est fréquemment sollicité pour coordonner ou participer à des expertises sur les grands fonds marins. À titre d'exemple, il a participé à plusieurs campagnes d'exploration, notamment au large des îles Wallis et Futuna dans les années 2010 et, dans le cadre de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des grands fonds marins, a été missionné par le ministère de la mer pour effectuer deux études pluridisciplinaires liées aux enjeux relatifs aux grands fonds marins et à leur gouvernance.

Le dynamisme de ces instituts permet à la France de se placer parmi le « top 10 des grands pays océaniques » 48 ( * ) et de participer à de nombreux programmes internationaux qui valorisent la recherche française, comme par exemple les programmes Seabed 2030 et EMODnet qui visent à agréger les données bathymétriques des fonds marins, respectivement au niveau mondial et européen. En effet, les moyens profonds français sont « parmi les plus innovants et efficaces du monde » 49 ( * ) et seule une dizaine de pays maîtrise l'intervention scientifique profonde de façon intégrée comme en France. La recherche scientifique française peut s'appuyer pour cela sur de rapides avancées technologiques portées en collaboration avec un secteur industriel encore balbutiant mais mobilisé pour proposer des solutions innovantes en matière d'exploration sous-marine profonde.

(2) Des avancées technologiques portées en collaboration avec une filière industrielle investie dans le domaine de l'exploration des grands fonds marins

L'exploration des grands fonds marins a été facilitée par les avancées technologiques dans le domaine des capteurs ou de l'autonomie des robots sous-marins, dont une partie relève des travaux de recherche et développement du secteur industriel français.

L'amélioration continue des sondeurs acoustiques et des sonars offre désormais aux chercheurs français des capacités d'analyse des fonds marins « stupéfiantes » 50 ( * ) lorsque ces outils sont embarqués sur des vecteurs performants, comme un navire océanique ou un drone, et qu'ils sont associés à des algorithmes d'intelligence artificielle.

L'usage des drones sous-marins s'est banalisé à mesure que ceux-ci ont gagné en performance et en autonomie . Pour l'étude des grands fonds, l'IFREMER dispose depuis 1999 du Victor 6 000 , un ROV ( remotely operated vehicle ), c'est-à-dire un robot lié au navire océanographique par un câble, qui peut opérer jusqu'à 6 000 mètres de profondeur et d'un sous-marin habité, le Nautile , mis en service en 1984 mais dont l'arrêt est programmé pour 2024. Un deuxième ROV pouvant atteindre 6 000 mètres de profondeur est par conséquent en projet. En effet, les autres drones sous-marins que possède l'IFREMER (l' Ariane , l' IdefX et l' AsterX ) ne peuvent quant à eux descendre qu'à 3 000 mètres de profondeur, ce qui réduit fortement la capacité exploratoire de l'IFREMER puisque 65 % des fonds marins sont situés à plus de 3 000 mètres de la surface.

2022 devrait néanmoins marquer une rupture puisqu'en juillet est prévue la mise en service de l' UlyX , développé en collaboration avec les entreprises française iXblue et ECA (faisant partie aujourd'hui d'un seul et même groupe) , l'un des seuls AUV ( autonomous underwater vehicle ) au monde à pouvoir descendre à 6 000 mètres de profondeur , sans être lié au navire. Il est capable d'accomplir à cette profondeur une mission en autonomie de 24 à 48h de durée, une prouesse à l'échelle planétaire. En revanche, le drone UlyX ayant vocation à remplacer le Nautile , à partir de 2024 la France n'aura plus de sous-marin habité dédié à la recherche.

Dans le domaine des planeurs sous-marins , dans lequel l'entreprise française Alseamar s'est positionnée, le SeaExplorer n'est pour l'instant capable d'opérer que jusqu'à 1 000 mètres de profondeur. Les planeurs sous-marins présentent l'avantage de collecter des données en toute autonomie sur une longue période pouvant aller jusqu'à 4 mois. Les innovations dans ce domaine pourraient néanmoins être rapides, le plan d'investissement France 2030 prévoyant le soutien à la conception d'un planeur sous-marin français pouvant atteindre 3 500 mètres de profondeur.

Les avancées technologiques les plus « spectaculaires » 51 ( * ) dans le domaine des sciences de l'océan concernent le monitoring , c'est-à-dire la capacité de mesurer sur le long terme (10 ans) en continu et de façon multiparamétrique une zone d'étude. Ces mesures peuvent être faites à point fixe, par des instruments dérivants ou par des robots. Dans cette logique, deux projets d'observatoires sous-marins ont été initiés dans les eaux françaises, l'un en Nouvelle-Calédonie, l'autre à Mayotte.

À terme, les capacités de monitoring pourraient être fortement accrues par l'usage des câbles sous-marins , sur lesquels des capteurs pourraient être fixés pour effectuer des mesures géophysiques. L'IFREMER et le CNRS travaillent avec des entreprises de tailles diverses (Sercel, Orange Marine, Thalès, ASN) pour concrétiser cette avancée « prometteuse » 52 ( * ) .

Ces innovations ont, pour la plupart, été portées en étroite collaboration entre les organismes de recherche scientifique , en premier lieu l'IFREMER, et les industriels français qui s'investissent et investissent dans les systèmes et équipements dédiés à l'exploration des grands fonds marins. Si certaines de ces entreprises sont historiquement liées à l'offshore pétrolier, comme par exemple TechnipFMC qui travaille depuis une dizaine d'années sur les sulfures hydrothermaux, de nouveaux acteurs se mobilisent pour se concentrer sur les enjeux liés directement aux grands fonds marins. Dans cette catégorie, peut être citée l'entreprise Abyssa, l'une des rares entreprises au monde spécialisée dans la cartographie des fonds marins.

Les Pôles mer, qui rassemblent un millier d'entreprises du monde marin pour soutenir l'innovation dans ce secteur, ont ainsi recensé parmi leurs adhérents 94 acteurs industriels impliqués dans l'exploration des fonds marins . Ceux-ci se répartissent en cinq catégories : les dronistes, les équipementiers de la détection, les acteurs de la navigation et du management des missions d'exploration, les spécialistes du recueil et du traitement des données et enfin ceux du secteur de l'ingénierie sous-marine.

Le Cluster maritime français a quant à lui identifié une « cinquantaine » d'entités de toutes tailles « prêtes à s'investir » dans l'exploration des grands fonds marins 53 ( * ) parmi ses 430 membres.

En ce qui concerne les systèmes et équipements nécessaires à l'exploration des grands fonds marins, la France est donc dotée d'un tissu économique de qualité , ce qui ne peut être qu'un atout dans un contexte de fort déficit de connaissances sur ces écosystèmes qui nécessitera inévitablement des investissements aussi bien en France que chez nos partenaires commerciaux. Néanmoins, bien que certaines de ces entreprises se trouvent au premier rang mondial sur ces sujets, elles restent de taille modeste et ne couvrent pas l'intégralité des besoins . L'IFREMER a ainsi regretté ne pas pouvoir s'appuyer sur des entreprises françaises pour se procurer des sondeurs multifaisceaux ou encore des moteurs pour les petits engins. En tout état de cause, la France n'est pas en mesure de concurrencer la Norvège, unanimement considérée comme le leader européen dans le domaine industriel de l'exploration sous-marine.

b) Adapter les moyens de la recherche française aux objectifs ambitieux qui lui ont été fixés

« Mieux connaître les grands fonds, c'est faire preuve d'humilité » 54 ( * ) , tant l'ampleur de la tâche parait grande face au degré d'ignorance que nous avons de ces milieux.

Pourtant, la France s'est fixé des objectifs ambitieux : à long terme, une cartographie de 100 % de nos fonds marins 55 ( * ) , un inventaire précis du vivant et des ressources minérales présentes dans les fonds marins de nos ZEE 56 ( * ) , un rôle actif au sein de la communauté scientifique internationale par le biais de nos deux contrats d'exploration auprès de l'AIFM et, surtout, pouvoir comprendre le fonctionnement, le rôle et les interactions de l'écosystème des grands fonds marins 57 ( * ) .

En l'état actuel des progrès technologiques et des moyens humains et matériels alloués à la recherche publique scientifique consacrée aux grands fonds marins, l'atteinte même très partielle de ces objectifs semble lointaine .

À titre d'exemple, une cartographie des fonds marins des eaux française à haute résolution, qui nécessite des drones capables de s'approcher du fond, prendrait 3 500 ans avec un AUV fonctionnant de façon continue, sachant que le prix d'un tel engin est approximativement de 2 millions d'euros, hors maintenance et hors traitement des données récoltées. Pour rappel, l'IFREMER ne sera doté de son tout premier AUV capable de descendre à 6 000 mètres de profondeur qu'en juillet 2022. Sans compter les moyens humains nécessaires au traitement des données, il faudrait donc multiplier par cent cet investissement pour pouvoir disposer d'une connaissance fine de la bathymétrie de nos fonds marins à l'horizon 2060.

Pour maintenir la France parmi les nations de référence dans la production de connaissances sur les fonds marins, de nombreux projets ont été initiés, comme la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, le plan d'investissement France 2030, le programme prioritaire de recherche océan et climat ( cf . supra ), mais également plusieurs initiatives de plus petite envergure, pas forcément coordonnées avec le reste des projets, comme les 21 projets de recherche centrés sur les fonds marins financés par l'Agence nationale de la recherche (ANR) entre 2008 et 2021, pour un montant total de 9,25 millions d'euros.

Ce volontarisme d'ensemble se heurte à des limites matérielles et de ressources humaines . Ainsi, bien que l'IFREMER soit titulaire depuis 2001 d'un permis sur les nodules polymétallique dans la zone Clarion-Clipperton et depuis 2014 d'un permis sur les sulfures polymétalliques dans la zone de la dorsale médio-Atlantique, il n'est en mesure d'effectuer sur chacune de ces zones qu'une campagne d'exploration tous les cinq ans , quand des pays comme la Chine ou certains industriels en accomplissent jusqu'à 4 par an. L'IFREMER n'est pas en mesure de mener de front les campagnes d'exploration dans la zone internationale et des campagnes d'exploration d'envergure dans notre ZEE 58 ( * ) . Celle-ci est donc largement inexplorée, le Secrétaire général de la mer adjoint, M. Thierry de la Burgade, ayant reconnu lors de son audition que la France priorisait la zone internationale pour mener des campagnes d'exploration, en contradiction avec l'objectif n° 2 de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins, qui préconise d'effectuer des chantiers en mer aussi dans notre ZEE.

Au cours des dernières années, seuls les fonds marins au large de Wallis-et-Futuna ont fait l'objet d'une campagne d'exploration poussée . Celle-ci n'a cependant pas pu arriver à son terme en raison de l'opposition de la population locale et des chefferies coutumières, qui ont estimé ne pas avoir été suffisamment associés en amont, résultant en plusieurs prises de position en faveur d'un moratoire sur toute activité d'exploitation minière pour au moins 50 ans. Moins récemment, des campagnes d'ampleur ont eu lieu au cours des années 1990 en Nouvelle-Calédonie (campagnes Zonéco) et en Polynésie française (campagnes Zepolyf). En 2019, l'entreprise française Abyssa a mené une étude sur le potentiel minier des encroûtements cobaltifères de Polynésie française, mais il s'agissait moins d'une campagne d'exploration que d'un projet préparatoire en vue de déterminer les conditions et les méthodologies permettant à la Polynésie française de programmer des campagnes d'exploration de ses grands fonds marins.

À court et moyen termes, les capacités exploratoires françaises ne pourront qu'être peu augmentées, puisqu'il n'est prévu que de renouveler progressivement la flotte océanique française à horizon 2035, sans l'étendre. Les sommes en jeu sont en effet significatives pour l'IFREMER, le remplacement ou la rénovation d'un navire hauturier se chiffrant en dizaines de millions d'euros.

Dans ce contexte contraint et consciente des coûts que représentent les campagnes d'exploration pour les organismes publics de recherche, la mission d'information ne peut que réitérer son appel à une application dans leur entièreté de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins et du plan France 2030 qui fixent des objectifs ambitieux mais accessibles, afin que les investissements réalisés pour mieux connaître nos fonds marins représentent bien une enveloppe totale de 600 millions d'euros comme annoncé initialement et que tous les projets qui y sont associés, pourtant validés par les Cimer de 2021 et de 2022, voient le jour.

3. L'objectif de protection des fonds marins n'impose pas de tout arrêter
a) Les grands fonds marins sont sensibles à l'activité humaine

En raison de l'inertie et de la faible résilience des milieux marins profonds, « il serait vain de penser qu'une éventuelle exploitation n'aurait pas d'impact notable sur ces écosystèmes » 59 ( * ) . Ce constat, qui s'applique également aux activités d'exploration, fait l'unanimité auprès des scientifiques que la mission d'information a auditionnés, bien que l'ampleur et la nature précises de ces effets sur l'environnement marin soient encore indéterminées.

Malgré le caractère balbutiant de la recherche en la matière, l'IFREMER a d'ores et déjà découvert que des traces de dragage dans une zone riche en nodules explorée dans les années 80 n'avaient pas été restaurées au bout de 37 ans, alimentant l'hypothèse de milieux marins profonds fragiles et sensibles à l'activité humaine .

En l'état actuel des connaissances, les variables définissant le degré de sensibilité sont nombreuses. En tout état de cause, les fonds marins n'étant pas un espace homogène, les effets de l'activité humaine sur l'écosystème marin profond ne peuvent être que multiples. Comme le notaient en 2014 l'IFREMER et le CNRS dans un rapport commun consacré aux impacts environnementaux de l'exploitation des ressources maritimes profondes 60 ( * ) , ces impacts « pourront être très localisés ou, au contraire, très étendus, d'une durée plus ou moins longue, et [ils] seront plus ou moins spécifiques selon la nature de la ressource exploitée, les spécificités des communautés biologiques associées à cette ressource, les caractéristiques de l'environnement, la vulnérabilité et les capacités d'adaptation des écosystèmes face à ces impacts. »

Un premier panorama des conséquences principales d'une potentielle exploitation des ressources minérales sous-marines peut néanmoins être dès à présent dressé 61 ( * ) .

Représentation des impacts environnementaux de l'exploitation des ressources minérales marines profondes - Source : IFREMER

En premier lieu, malgré les progrès promis en la matière, l'activité extractive elle-même pourrait difficilement s'exempter de la destruction de la structure géologique et de l'écosystème proche qui lui est associé lors de la récupération des minéraux. Par ailleurs, au cours de l'opération, du sédiment et des particules seront mis en suspension, formant un panache affectant la composition de l'eau , aussi bien sur la zone d'extraction que dans des zones plus éloignées et dans la colonne d'eau, ce qui aura un impact sur les communautés microbiennes et animales présentes. En se redéposant, ces sédiments ainsi que les déchets miniers laissés sur place, transformeront inévitablement le sol océanique autour de la zone exploitée, modifiant significativement les conditions d'existence dans la zone concernée, et notamment son apport en nutriments pour les espèces s'y développant. En outre, le mouvement, le bruit, les vibrations et la lumière des machines extractives ont une influence sur les organismes sous-marins et risquent de déséquilibrer un écosystème habitué à un environnement stable.

En second lieu, la libération dans l'environnement marin des métaux contenus dans les sédiments ou de produits nécessaires à l'extraction peut être toxique pour certaines espèces.

Enfin, les effets de l'exploitation ne seront pas limités au fond océanique, mais peuvent affecter l'ensemble de la colonne d'eau ainsi que la surface en raison du rejet des déchets miniers et de l'eau pompée en même temps que le minerai. Ces rejets changeront la composition de la colonne d'eau, son acidité et sa température .

Aussi bien dans les fonds marins que dans la colonne d'eau, les nuisances sonores et lumineuses , en attirant ou en repoussant certaines espèces, peuvent en outre déstabiliser la faune locale et, partant, la flore.

En conséquence de ces craintes sur la préservation de l'environnement marin en cas d'exploitation des ressources minérales sous-marines, de nombreuses associations de défense de l'environnement 62 ( * ) ont appelé publiquement à un moratoire sur l'exploitation , mais également sur l'exploration lorsque celle-ci a pour objectif l'évaluation de gisements miniers. À titre d'exemple, lors d'un congrès s'étant tenu à Marseille en septembre 2021, l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a fait adopter une résolution appelant à « soutenir et mettre en oeuvre un moratoire sur l'exploitation minière des grands fonds marins, la délivrance de nouveaux contrats d'exploitation et de nouveaux contrats d'exploration » tant que « les risques environnementaux, sociaux, culturels et économiques de l'exploitation minière des grands fonds marins [n'auront pas] été exhaustivement compris, et [que] la protection efficace du milieu marin [ne sera pas] garantie ».

Pour des raisons similaires, le président de la Nouvelle-Calédonie, Monsieur Louis Mapou, ainsi que le comité consultatif de l'environnement du congrès de la Nouvelle-Calédonie se sont également déclarés favorables à un moratoire sur l'exploration et l'exploitation des ressources minérales des fonds marins calédoniens.

Recommandation

14) Conditionner toute ouverture de l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins à une étude d'impact préalable et à la mise en place d'un corps d'inspection, chargé de vérifier le respect par les exploitants des normes environnementales qui encadreront cette éventuelle exploitation. Moyennant un réagencement des missions et des ressources de l'OFB, cette mission pourrait être confiée aux inspecteurs de l'environnement de ce dernier, lesquels seraient formés aux problématiques propres à la vie marine profonde et aux conséquences de l'activité humaine sur ces écosystèmes.

En sus de ces préoccupations environnementales, des considérations plus culturelles peuvent justifier les appels à un moratoire sur l'exploration et l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins. En France notamment, plusieurs élus et les représentants coutumiers de Wallis-et-Futuna se sont prononcés en faveur d'un moratoire de 50 ans pour toutes les activités extractives dans les grands fonds marins de sa ZEE ( cf . supra ), en mettant en avant - notamment - l'opposition des chefferies coutumières en raison de leur attachement à la valeur culturelle de leur patrimoine maritime et du lien fort les unissant à la mer. Ces considérations sont partagées par les gouvernements de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, également auditionnés par la mission d'information.

b) Une protection éclairée et proactive des fonds marins nécessite de les comprendre et de maintenir les efforts de recherche

Si la communauté scientifique s'accorde sur la fragilité des milieux sous-marins profonds et leur sensibilité aux activités humaines, l'état actuel des connaissances ne permet pas pour autant de mesurer pleinement le coût environnemental qu'aurait l'ouverture potentielle de l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins.

Comme l'a indiqué lors de son audition M. Joachim Claudet, conseiller océan au CNRS, « on ne peut établir de façon argumentée et scientifique le ratio coût-bénéfice » d'une éventuelle exploitation .

Comme énoncé précédemment, la connaissance des grands fonds marins est encore parcellaire et s'apparente davantage à la description de ces milieux qu'à leur compréhension. Il n'est par conséquent pas possible, à l'heure actuelle, de définir une position raisonnée sur l'opportunité d'ouvrir ou non les fonds marins français à une éventuelle exploitation et, a fortiori , de prévoir des règles de protection d'un environnement largement inconnu. À l'opposé de la position de certaines associations environnementales prônant une sanctuarisation totale des grands fonds marins qui inclurait la recherche scientifique, il semble au contraire que c'est en prouvant scientifiquement le rôle moteur que joueraient les grands fonds marins dans l'équilibre naturel de la Terre que la France pourrait peser dans les négociations internationales et freiner, le cas échéant, les velléités d'exploitation de certains États.

La mission d'information estime par conséquent indispensable que la France investisse davantage pour une meilleure connaissance physique, géologique et biologique des grands fonds marins et de leurs écosystèmes . Elle s'oppose donc à une protection « à l'aveugle » et passive des grands fonds marins au profit d'une protection éclairée et proactive qui nécessite une meilleure compréhension de ces milieux : c'est en connaissant quelles sont les espèces les plus fragiles qu'il sera par exemple possible de déterminer les moyens de les protéger, y compris en l'absence d'exploitation.

Faute d'une filière de recyclage pleinement efficiente qu'il conviendrait de soutenir davantage et dans le contexte d'une transition écologique fortement consommatrice en certains métaux rares, l'enjeu de protection de l'environnement ne doit par ailleurs pas écarter par principe la question de la comparaison de l'impact environnemental de l'exploitation d'un gisement en mer par rapport à un équivalent à terre , en particulier si les densités en métaux diffèrent. Le BRGM estime par exemple que les étapes de creusement et de broyage représentent approximativement 50 % de l'impact environnemental d'une mine terrestre, le reste étant porté par le traitement du minerai et l'extraction des métaux d'intérêt. Dans le cas des nodules polymétalliques, qui sont dispersés sur la plaine abyssale, il est envisageable de penser que l'action extractive en elle-même aura un impact agrégé moindre qu'une vaste mine terrestre à ciel ouvert, bien que cela ne soit qu'une hypothèse à ce stade.

En tout état de cause, la connaissance aussi bien de la biodiversité que des ressources minérales des milieux marins profonds est indispensable pour assoir une évaluation raisonnée de l'impact d'une éventuelle exploitation des ressources qui y sont présentes. À court et moyen termes, cette exploitation ne prendrait tout son sens que s'il était avéré que son impact global sur l'environnement et la biodiversité était inférieur à celui d'une exploitation à terre. C'est pourquoi la recherche française ne doit ni se concentrer uniquement sur les ressources minérales au détriment de la recherche sur le vivant, ce qui aurait pour conséquence de résumer l'exploration à des activités de prospection, ni écarter d'office les études des gisements miniers sous-marins car celles-ci représentent un pan de la connaissance nécessaire à une compréhension globale de nos fonds marins.

En l'absence de réponse étayée à cette question primordiale , toute décision sur l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins français est donc prématurée et la mission d'information soutient la position de prudence adoptée jusqu'à présent par la France.

Recommandation

15) Créer un conseil scientifique réunissant des représentants de l'ensemble des disciplines scientifiques concernées par la compréhension des grands fonds marins (océanographes, géologues, biologistes, ingénieurs des mines, économistes, etc.) afin de favoriser le dialogue entre les différentes disciplines et d'éclairer les politiques publiques notamment sur le besoin en minerais d'origine marine pour la transition énergétique, compte tenu des ressources alternatives potentielles. Le secrétariat de ce conseil scientifique pourrait être assuré par le service administratif de référence dont il est proposé la création au sein du ministère de la mer.


* 30 Propos de M. François Houllier, président-directeur général de l'IFREMER, lors de la visite du siège de l'IFREMER par la mission d'information, le 29 avril 2022.

* 31 « La bathymétrie regroupe les sciences et technologies de mesure ou d'estimation de la profondeur. Elle vise à connaître le relief de l'océan profond ou côtier. » - Source : SHOM.

* 32 Selon le référencement du SHOM, il s'agit des zones dites « CATZOC A1 » et « CATZOC A2 » qui ont fait l'objet d'une exploration totale du fond ayant permis d'obtenir soit une très bonne mesure (CATZOC A1), soit une bonne mesure (CATZOC A2) de la position et de la profondeur.

* 33 Selon le référencement du SHOM, il s'agit des zones dites « CATZOC B ».

* 34 Selon le référencement du SHOM, il s'agit des zones dites « CATZOC C ».

* 35 Les données du tableau sont issues des travaux du SHOM, compilées dans un document présentant le programme national d'hydrographie 2021-2024, accessible en ligne à l'adresse : https://www.shom.fr/sites/default/files/2020-11/PNH_2021-2024_Web.pdf

* 36 Audition de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer de l'IFREMER, le 25 janvier 2022.

* 37 J. Dyment, F. Lallier, N. Le Bris, O. Rouxel, P.-M. Sarradin, S. Lamare, C. Coumert, M. Morineaux, J. Tourolle (coord.), 2014. Les impacts environnementaux de l'exploitation des ressources minérales marines profondes. Expertise scientifique collective, Rapport, CNRS - Ifremer

* 38 Réponse écrite de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer de l'IFREMER.

* 39 Ainsi qu'en hydrocarbures mais cette ressource n'a pas fait l'objet des travaux de la mission d'information.

* 40 Réponse écrite de M. Philippe Charvis, directeur délégué à la science à l'IRD.

* 41 Ibid.

* 42 Source : IFREMER.

* 43 Bonifácio, P. and Menot, L. New genera and species from the Equatorial Pacific provide phylogenetic insights into deep-sea Polynoidae (Annelida). Zoological Journal of Linnean Society. DOI : 10.1093/zoolinnean/zly063

* 44 Contacté par la mission d'information, le groupe Sanofi a indiqué qu' « il n'est pas prévu de la R et D pour investiguer des applications dans le domaine médical des ressources biologiques des fonds marins. »

* 45 Vaudon-Marie Mathilde, La mer monde : une odyssée de la recherche océanique , Paris, Le cherche midi, 2021.

* 46 Audition de M. Michel Peltier, délégué mer de l'Office français de la biodiversité, le 25 mai 2022.

* 47 IFREMER, Rapport de veille scientifique et technologique relative aux ressources minérales non énergétiques des grands fonds marins, décembre 2021.

* 48 Audition de M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du BRGM, le 1 er février 2022.

* 49 Réponse écrite de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer de l'IFREMER.

* 50 Réponse écrite de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer de l'IFREMER.

* 51 Réponse écrite de Mme Mathilde Cannat, chercheuse au CNRS.

* 52 Réponse écrite de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer de l'IFREMER.

* 53 Audition de M. Francis Vallat, président d'honneur du Cluster maritime français, le 1 er février 2022.

* 54 Audition de Mme Annick Girardin, ministre de la mer, le 18 janvier 2022.

* 55 Cf. les « niveaux de connaissance cible » présentés dans le programme national d'hydrographie 2021-2024, accessible en ligne à l'adresse : https://www.shom.fr/sites/default/files/2020-11/PNH_2021-2024_Web.pdf . Aucune date n'est cependant donnée pour l'atteinte de cet objectif de 100 % des eaux françaises ayant a minima fait l'objet d'une « exploration partielle du fond, avec une faible justesse de mesure de la position et de la profondeur ».

* 56 « L'objectif est bien d'explorer à terme l'ensemble des zones françaises », audition de M. Xavier Grison, conseiller grands fonds marins au Secrétariat général de la mer, le 19 janvier 2022.

* 57 Voir par exemple les déclarations du Président de la République, M. Emmanuel Macron, lors de la présentation du plan d'investissement France 2030 le 21 octobre 2021 : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/10/12/presentation-du-plan-france-2030

* 58 « On a beaucoup de travaux à réaliser dans les eaux internationales. Tant que les choses ne seront pas réglées dans ce secteur, il sera très compliqué d'avancer ailleurs », audition de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer de l'IFREMER, le 25 janvier 2022.

* 59 Réponse écrite de M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières.

* 60 J. Dyment, F. Lallier, N. Le Bris, O. Rouxel, P.-M. Sarradin, S. Lamare, C. Coumert, M. Morineaux, J. Tourolle (coord.), 2014. Les impacts environnementaux de l'exploitation des ressources minérales marines profondes. Expertise scientifique collective, Rapport, CNRS - Ifremer

* 61 Ibid.

* 62 De façon non exhaustive, peuvent être citées WWF, Greenpeace, Bloom et l'UICN.

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