II. PROMOUVOIR DES PRÉFÉRENCES INDIVIDUELLES FAVORABLES À LA SANTÉ SANS CULPABILISER LES INDIVIDUS

A. ÉDUQUER LES ENFANTS À L'ALIMENTATION DÈS LE PLUS JEUNE ÂGE

1. En éduquant le goût et la pratique culinaire le plus tôt possible
a) Par l'éducation à l'alimentation

Faut-il invoquer l'anthropologie pour le soutenir ? « La nutrition en tant que processus biologique est plus fondamentale que les relations sexuelles ; c'est même le besoin le plus primaire et le plus fréquent dans la vie d'un organisme individuel ; dans la société des hommes, il détermine plus qu'aucune autre fonction physiologique la nature des regroupements sociaux et la forme de leurs activités » 95 ( * ) . « Il n'est rien que le nouveau-né ne fasse qui manifeste avec autant de promptitude son rapport social au monde que l'expression et la satisfaction de sa faim. La faim est la quintessence même de sa relation de dépendance avec l'univers social où il doit s'insérer » 96 ( * ) . Il n'y a dès lors rien d'incongru à promouvoir des pratiques alimentaires saines dès le plus jeune âge, et tout au long de l'enfance . Car bien s'alimenter, comme le reste, s'apprend en société .

Dès la naissance

Les 1 000 premiers jours, une période charnière
pour l'alimentation et le poids

Cette période correspond à la vie foetale et aux deux premières années de l'enfance. La croissance y est maximale, et la dépendance en terme d'alimentation totale. Plusieurs éléments se mettent en place durant les 1 000 premiers jours et influenceront le développement pondéral ultérieur de l'enfant :

- avant même la naissance, il existe des facteurs de risques de l'obésité : tabagisme maternel, diabète ou surpoids maternel, prise de poids excessif pendant la grossesse, déficit ou excès de croissance du foetus, milieu socio-économique défavorable ;

- le poids de naissance : la corpulence d'un enfant est associée à son poids de naissance. Ainsi, les gros bébés (> 4 kg) sont plus nombreux que les nouveau-nés de petit poids (< 2,5 kg) à être en surcharge pondérale à l'âge de 5-6 ans (20 % contre 8 %). De la même manière, les petits poids à la naissance se retrouvent davantage en sous-poids que les gros bébés en grande section de maternelle (12 % contre 2 %). Ce lien perdure jusqu'à l'adolescence ;

- l'allaitement permettrait de prévenir une obésité ultérieure ;

- l'apprentissage des signaux alimentaires internes de l'enfant (sentiments de faim et de satiété). Dans ce cadre, l'étape de la diversification alimentaire est fondamentale.

Dans son dernier rapport sur l'obésité dans la région Europe, l'OMS conclut de sa revue de littérature que le lien entre allaitement maternel et surpoids, mis en évidence par plusieurs études, et bien que moins évident une fois pris en compte le poids des parents ou le niveau socio-économique, est sans doute « faible mais fait partie d'un système d'interactions psychologiques, sociales, environnementales, et économiques plus large et complexe qui protège du risque de surpoids » 97 ( * ) . L'organisation promeut en conséquence tout ce qui peut faciliter l'allaitement maternel, de la réglementation sur le congé maternité à l'application du code international de commercialisation des substituts au lait maternel, en passant par la législation autorisant l'allaitement en public.

Comme les précédents, le quatrième PNNS promeut également l'allaitement maternel, conformément aux recommandations de l'OMS. Les objectifs fixés sont d'augmenter de 15 % au moins, le pourcentage d'enfants allaités à la naissance pour atteindre un taux de 75 % d'enfants allaités à la naissance, et d'allonger de deux semaines, en la passant à 17 semaines, la durée médiane de l'allaitement total.

Le bilan à mi-parcours du plan, publié à l'été 2021 98 ( * ) , faisait apparaître que les mesures relatives à la promotion de l'allaitement maternel et à la surveillance des substituts industriels au lait maternel ne font pas partie des plus rapidement mises en oeuvre.

À l'école primaire

Aujourd'hui, le code de l'éducation dispose qu' « une information et une éducation à l'alimentation et à la lutte contre le gaspillage alimentaire, cohérentes avec les orientations du [PNNS] et du [PNA] sont dispensées dans les établissements d'enseignement scolaire, dans le cadre des enseignements ou du projet éducatif territorial » 99 ( * ) , lequel, d'après l'article qui lui est consacré, consiste en des « activités périscolaires prolongeant le service public de l'éducation, et en complémentarité avec lui » et « vise notamment à favoriser, pendant le temps libre des élèves, leur égal accès aux pratiques et activités culturelles et sportives et aux nouvelles technologies de l'information et de la communication » 100 ( * ) .

Un vadémécum sur l'éducation à l'alimentation et au goût, rédigé en collaboration avec la direction générale de la santé et la direction générale de l'alimentation, a été diffusé en septembre 2020. Il propose aux équipes éducatives des repères et des ressources pédagogiques pour la mise en oeuvre de l'éducation à l'alimentation dans l'ensemble de ses dimensions avec les élèves.

Divers dispositifs de distribution de nourriture sont en outre déployés à l'école : le programme européen fruits et lait porté par le ministère de l'agriculture, et le dispositif petits déjeuners dans les écoles et financé par le ministère de la santé dans le cadre du plan pauvreté, qui tous deux s'appuient sur des actions d'éducation à l'alimentation - les produits distribués dans le cadre du premier sont ainsi nécessairement des produits de qualité, bruts et sous signe officiel d'identification de la qualité et de l'origine, notamment ceux issus de l'agriculture biologique.

Les classes du goût, pilotées par le ministère de l'agriculture, proposent principalement aux élèves de troisième cycle des séances thématiques autour des sens, du patrimoine alimentaire, de l'étiquetage, visant à permettre aux enfants de développer leur capacité à goûter les aliments, à favoriser leur curiosité, à développer leur esprit critique mais aussi à dompter l'appréhension envers de nouveaux aliments, notamment les légumes.

Des progrès sont néanmoins encore possibles . Une enquête de l'association santé environnement France de 2013 a révélé que 87 % des 910 enfants interrogés en Provence-Alpes-Côte d'Azur par un réseau de 2 500 médecins ignoraient ce qu'est une betterave, un tiers ce que sont les poireaux, artichauts et courgettes, et que seuls 28 % avaient une idée de la composition des pâtes 101 ( * ) . Selon l'Association nationale de développement des épiceries solidaires (Andes), un enfant sur trois ne sait pas reconnaître ce qu'il mange 102 ( * ) .

La mission d'information sénatoriale sur la sécurité sociale écologique a plaidé récemment pour « des politiques publiques volontaristes et ambitieuses en matière d'éducation alimentaire, avec des efforts renouvelés en matière de santé publique et d'éducation nutritionnelle » , estimant que « l'école a en effet un rôle important à jouer pour apprendre aux élèves ce qu'est un régime alimentaire sain et varié, tout en les sensibilisant aux effets de l'alimentation sur la santé. Une éducation alimentaire précoce démultiplie les effets et accroît les bénéfices pour la santé publique » 103 ( * ) . Les rapporteures ne sauraient mieux dire.

Un tel enseignement devra viser un difficile équilibre en inculquant aux enfants la connaissance des aliments, de leur production à leur consommation, et des métiers correspondants, les principes d'une alimentation saine, en les aidant à déjouer les pièges de l'alimentation industrielle, sans les culpabiliser ni perdre de vue la dimension positive et l'aspect social et culturel de l'alimentation. Ainsi que l'écrit la sociologue Marie Berthoud, aujourd'hui, « l'alimentation de manière générale n'est pas présentée à partir de la notion de plaisir ou de goût, mais comme une pratique menacée par des risques de mauvaise santé. [...] Les programmes et plans nationaux mettent l'accent sur le fait que ce sont les conduites individuelles des consommateurs qui constituent le risque principal » 104 ( * ) . Inverser la tendance en développant une éducation enthousiasmante à l'acte de manger en société ne doit pas sembler insurmontable.

b) Par l'enseignement pratique de la cuisine

Il n'y aurait rien d'incongru non plus à ce que l'école républicaine contribue bien plus décisivement à l'éducation de la fonction biologique et sociale de l'alimentation par la pratique de la cuisine.

Ce fut d'ailleurs une de ses missions dès sa création . « Dès que l'institution scolaire se met en place pour tous à la fin du XIX e siècle, les modalités d'une alimentation rationnelle et morale sont enseignées. Foin de la goinfrerie, lutte contre le manque ou l'insuffisance, il faut apprendre à grandir non seulement dans sa tête mais aussi de l'estomac. [...] Dès les débuts de l'instruction obligatoire, gratuite, laïque, les programmes prévoient des enseignements d'“économie domestique”, d'“hygiène”, d'“instruction morale et civique”, de la “leçon de chose” qui devraient permettre de diffuser les bons principes alimentaires et le savoir-vivre à table » 105 ( * ) .

L'économie domestique est introduite dans les programmes scolaires en 1882. Au tournant du siècle, la municipalité parisienne y introduit les cours de cuisine, consistant à apprendre à acheter les provisions nécessaires au déjeuner et à les préparer. Aux invitations originelles à « la sobriété et la tempérance » succède la science alimentaire avec le développement de l'hygiène et de la diététique dans l'entre-deux-guerres : les fruits et légumes, une ration quotidienne de lait, le poisson, font concurrence au « traditionnel fayot » dès les années 1930 106 ( * ) .

L'enseignement ménager, au sens large, a vécu son âge d'or dans les années d'après seconde guerre mondiale : les « sciences et techniques de la vie heureuse » ont permis de conjuguer la politique nataliste et de reconstruction et le désir de la population d'effacer les souvenirs de malnutrition et de cuisine de guerre. La commission Langevin estimait même qu'« indépendamment de son rôle social, il présente en lui-même une véritable discipline intellectuelle et, à ce titre, il devra figurer dans tous les examens du second degré ». Puis la modernisation des Trente Glorieuses et le souci d'harmonisation des cursus et de promotion professionnelle des jeunes filles ont conduit à la disparition de cet enseignement au milieu des années 1970 107 ( * ) .

L'association de défense, d'éducation et d'information du consommateur (Adeic), auditionnée par la mission, estime qu'« on sait que les apprentissages sont d'autant plus efficaces qu'ils sont progressifs, associés à des activités répétées et impliquant des mises en oeuvre pratiques (dégustations, cours de cuisine, ateliers autour de la sensorialité, jardinage) et associent les familles ». Aussi les rapporteures estiment-elles utiles de songer à la (re)création d'un enseignement obligatoire visant à transmettre aux enfants, dès le plus jeune âge, les connaissances pratiques utiles pour continuer à faire du repas préparé soi-même le socle de pratiques saines et respectueuses de l'environnement tout au long de la vie.

Nul n'ignore bien sûr qu'un tel enseignement est allé de pair pendant presque un siècle avec une certaine conception du rôle social des femmes, réputé réduit à la sphère privée. Mais précisément : un tel enseignement pourrait désormais s'ordonner à un tout autre horizon, celui de l'égalisation des rôles dans la sphère domestique, comme d'autres pays
- souvent cités en exemple pour leur progressisme - s'y sont employés 108 ( * ) . Accessoirement, un tel enseignement serait également « un fort vecteur de partage culturel, de valorisation personnelle et de créativité », favoriserait « le sentiment d'intégration sociale des plus défavorisés » et serait donc « un facteur de réduction des inégalités sociales de santé » 109 ( * ) .

2. En les protégeant des séductions de l'industrie agroalimentaire
a) Un phénomène bien connu, mais un certain retard français

L'impact sur les enfants de la publicité pour les aliments de faible qualité nutritionnelle est si bien documenté, et les propositions pour lutter là-contre si rapidement convergentes, qu'on peine à s'expliquer l'inaction publique en la matière .

Selon Santé publique France, les investissements publicitaires sur l'ensemble des médias pour les produits de Nutri-Score D et E, c'est-à-dire de plus faible qualité nutritionnelle, représentent 48 % des investissements alimentaires en 2018 110 ( * ) . De plus, les publicités vues à la télévision par les enfants, les adolescents et dans une moindre mesure par les adultes sont majoritairement des publicités pour des produits de Nutri-Score D et E. En 2018, ces publicités pour des produits Nutri-Score D et E représentent 53 % des publicités alimentaires vues par les enfants et les adolescents, et 51 % des publicités vues par les adultes ; 87,5 % des publicités pour des produits Nutri-Score D et E sont vues aux heures où plus de 10 % des enfants et des adolescents regardent la télévision. La moitié sont vues entre 19 heures et 22 heures, moment de la journée où plus de 20 % des enfants et des adolescents sont devant la télévision.

L'association UFC-Que Choisir est parvenue à des résultats plus inquiétants : d'après son étude de 2020, les enfants sont placés, à l'heure où les programmes leur sont destinés, devant des spots concernant à 88 % des aliments au Nutri-Score D ou E, contre 43 % pour les publicités destinées à tous les publics, et sont par conséquent « deux fois plus ciblés que les adultes par les publicités pour des aliments trop riches » 111 ( * ) .

Source : UFC-Que choisir, septembre 2020

Lecture : les produits récoltant un Nutri-Score D représentent 31 % des spots destinés à tous les consommateurs, mais 72 % des spots destinés aux enfants.

L'effet sur les habitudes de consommation de la publicité pour les aliments de moindre qualité nutritionnelle est en outre bien documenté : dans son étude de 2018 sur la question, l'OMS cite une douzaine d'études démontrant que le marketing pour les produits de mauvaise qualité nutritionnelle provoque, chez les enfants, une attitude plus positive à l'égard de tels produits, une augmentation de la préférence pour ceux-ci et pour ceux de la même famille, une pression accrue sur les parents pour les obtenir, une consommation plus grande et plus immédiate de ces produits qui n'est pas compensée par les prises alimentaires ultérieures, une moindre appétence pour les produits sains et, en dernière instance, une prise de poids. Le rapport de 2022 cite une étude indiquant, quant à elle, que l'effet du marketing est très différent chez les enfants et chez les adultes - pour qui il est très faible 112 ( * ) .

En conséquence, d'assez nombreux États ont maintenant adopté des mesures contraignantes de restriction du marketing à destination des enfants, comme le Québec, la Norvège, la Suède, le Royaume-Uni, l'Irlande, le Chili ou encore le Mexique.

L'encadrement du marketing destiné aux enfants au Chili

Au Chili , où 48 % des enfants de moins de 6 ans sont en surpoids, et où la fréquence des publicités pour des aliments de faible qualité nutritionnelle destinés aux enfants est particulièrement forte 113 ( * ) , la loi a interdit le marketing - incluant la publicité télévisée - pour les produits dépassant les seuils de quantité de sucre, sel ou acides gras saturés définis par le gouvernement et justifiant l'apposition de l'étiquetage spécifique, lorsque ce marketing est destiné aux enfants de moins de 14 ans ou diffusé dans des programmes dont l'audience est composée d'au moins 20 % d'enfants de moins de 14 ans.

En mai 2018, une nouvelle modification législative a étendu les restrictions aux publicités pour les produits recevant l'étiquetage d'avertissement au cinéma et à la télévision entre 6 heures et 22 heures , et imposé aux publicités pour ces produits d'inclure un message invitant le consommateur à choisir moins de produits porteurs de l'étiquetage spécifique, accompagné du logo du ministère de la santé.

La loi chilienne considère comme visant les enfants de moins de 14 ans les publicités et arguments marketing qui :

- utilisent un dispositif interactif, un jeu, un concours ou tout autre dispositif analogue destiné aux enfants ;

- promettent un jouet, accessoire, autocollant ou tout autre type de cadeau ;

- utilisent des personnages, de la musique, des animaux ou toute figure piquant l'intérêt des enfants ;

- recourent à des arguments sur les effets exceptionnels du produit, des voix ou des expressions enfantines, ou des situations représentant les enfants dans la vie de tous les jours.

Ces éléments de qualification servent également à interdire le marketing sur l'emballage des produits : ceux qui affichaient par exemple une mascotte destinée à susciter l'intérêt des enfants ont été tenus de neutraliser leur image de marque.

Exemple : paquet de céréales de petit-déjeuner vendu au Chili
avant et après la loi de 2016

Source : Corvalan, Reyes, Garmendia, Uauy, 2018 114 ( * )

Les études disponibles montrent que les résultats de ces mesures sont très encourageants : l'exposition réelle des enfants à ce type de publicités en est réduite, le paysage de la publicité télévisuelle en est modifié, et en dernière instance, la consommation d'aliments ultra-transformés par les enfants diminue 115 ( * ) .

Notons que certains États sont allés bien plus loin encore. Au Mexique, l'État d'Oaxaca a purement et simplement interdit la vente aux mineurs d'aliments ou boissons trop caloriques 116 ( * ) . De même, l'État de Tabasco a interdit la vente aux mineurs de boissons sucrées préconditionnées 117 ( * ) .

b) Les propositions de régulation

Les appels à la réglementation sont désormais nombreux 118 ( * ) . Car, comme le rappelle le HCSP, « actuellement, aucune législation nationale ne répond aux conditions prescrites par l'OMS pour que la limitation du marketing alimentaire puisse être un outil puissant d'amélioration de l'état nutritionnel des populations ».

La hiérarchie européenne des normes n'y fait apparemment pas obstacle , puisque la directive Services média audiovisuels » (SMA) de 2010 qui régit les communications commerciales audiovisuelles est d'harmonisation minimale et permet aux États d'adopter des normes plus strictes à l'instar de pays qui ont opté pour une limitation de la publicité au bénéfice des enfants. Les techniques de marketing non couvertes par la directive SMA peuvent être régies par la directive 2005/29 sur les pratiques commerciales déloyales, qui vise toutes les pratiques commerciales quel que soit leur support et encadre le contenu des techniques marketing et à laquelle les États peuvent déroger en adoptant des mesures justifiées par la protection de la santé dès lors qu'elles sont nécessaires et proportionnées 119 ( * ) .

En France, le seul dispositif contraignant est celui de la loi dite Gattolin du 20 décembre 2016 , qui dispose que « les programmes des services nationaux de télévision [...] destinés prioritairement aux enfants de moins de douze ans ne comportent pas de messages publicitaires autres que des messages génériques pour des biens ou services relatifs à la santé et au développement des enfants ou des campagnes d'intérêt général. Cette restriction s'applique durant la diffusion de ces programmes ainsi que pendant un délai de quinze minutes avant et après cette diffusion. Elle s'applique également à tous les messages diffusés sur les sites internet de ces mêmes services nationaux de télévision qui proposent des programmes prioritairement destinés aux enfants de moins de douze ans » 120 ( * ) .

Or ce dispositif rate en grande partie sa cible . D'abord, il ne concerne pas les chaînes privées. Ensuite, il ne concerne pas les programmes tous publics, qui sont également regardés, et même majoritairement, par les enfants : l'UFC-Que choisir a mesuré que les cent programmes les plus regardés par les 4-10 ans sont à 77 % des programmes tous publics, et sont diffusés dans deux tiers des cas en première partie de soirée, tandis que le palmarès est pour les adolescents exclusivement constitué de programmes tous publics diffusés dans 90 % des cas en première partie de soirée. Enfin, il se prive - si l'on y tient - de l'outil marketing pour promouvoir des produits qui pourraient correspondre aux recommandations nutritionnelles.

Les autres dispositifs de régulation sont, d'une part, les règles de déontologie définies par l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) et l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), ex-CSA, et d'autre part les engagements pris individuellement par certaines entreprises. L'ARPP a rédigé en 2003 des recommandations en matière de comportements alimentaires, et l'Arcom parraine depuis 2009 une charte d'engagements volontaires des professionnels.

La nouvelle charte 2020-2024 121 ( * ) , élargie aux acteurs radiophoniques, à la publicité extérieure et aux acteurs du numérique, affiche parmi ses objectifs « réduire efficacement l'exposition des enfants aux communications commerciales audiovisuelles relatives à des denrées alimentaires ou des boissons contenant des nutriments ou des substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique - notamment les matières grasses, les acides gras trans, le sel ou sodium et les sucres -, dont la présence en quantités excessives dans le régime alimentaire global n'est pas recommandée ». On y trouve encore, parmi les nouveautés, « Lutte contre l'obésité : adaptation des messages pour les Journées Mondiales de lutte contre l'obésité à destination du jeune public », ainsi que « Numérique : encouragement à faire en sorte que les mauvais comportements de consommation alimentaire soient endigués sur les plateformes ».

Les rapporteures plaident pour une adoption sans détour des recommandations faites par le HCSP en matière de publicité et de marketing destiné aux enfants 122 ( * ) , sans oublier les supports numériques, le dernier rapport de l'OMS sur l'obésité dans la région Europe ayant particulièrement insisté sur l'importance des « influenceurs » s'adressant aux jeunes sur les réseaux sociaux - tels Youtube et Instagram.

Les recommandations du HCSP en matière de publicité destinée aux enfants (extraits)

1) Réglementer le marketing et interdire les communications commerciales, les ventes promotionnelles (jeux promotionnels) et la promotion des marques agroalimentaires associées pour les aliments de pauvre qualité nutritionnelle (Nutri-Score D et E). Cette recommandation concerne :

- la publicité à la télévision, au cinéma et à la radio sur Internet, de 7 heures à 22 heures ;

- l'utilisation de « personnages de marques » dans tous les supports de communication ;

- les jeux vidéo publicitaires ;

- les applications de type jeu pour mobile ou tablette, payantes ou non ;

- la subordination de la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou d'un autre produit ;

- l'offre ou le don pour l'achat d'un de ces aliments de toute contrepartie directe ou indirecte destinée principalement aux enfants ;

- les loteries publicitaires tendant à l'attribution d'un lot constitué d'un de ces aliments.

2) Interdire la promotion des marques agroalimentaires associées à des aliments moins favorables au plan nutritionnel , c'est-à-dire classés D ou E selon le Nutri-Score.

- interdire le parrainage, placement de produits et sponsoring pour les marques associées à des aliments moins favorables au plan nutritionnel, c'est-à-dire au Nutri-Score D ou E ;

- interdire la communication dite « événementielle » à l'initiative de la marque ou pour des produits alimentaires moins favorables au plan nutritionnel ;

- interdire la promotion des marques associées à des aliments moins favorables au plan nutritionnel dans les médias sociaux et sur les réseaux sociaux numériques : présence sur Facebook, messages par vidéo directe de type « chaîne sur le web » sur Youtube, Twitter, Linkedin, Instagram, Snapchat..., newsletters, webTV, vidéo sur site de partage, e-mailing adressé au moins de 16 ans. Exceptions à l'interdiction sur Internet, avec une autorisation pour les sites Internet de la marque.

3) Interdire l'utilisation de tous supports publicitaires à destination des moins de 16 ans pour des aliments au Nutri-Score D ou E : journaux, tout type de presses (magazines...), annuaires, flyers dans les lieux publics, envoi de messages de type SMS, MMS, téléprospection, applications mobiles, publipostage à destination des moins de 16 ans.

Cette interdiction porte sur les formes de publicité suivantes : jeux vidéo publicitaires dès lors que le jeu met en scène une marque associée à des aliments ayant un Nutri-Score D ou E et qu'il est raisonnablement possible de relier ce jeu à l'univers enfantin et/ou adolescent. Des contrôles réguliers vérifieraient le respect de cette interdiction.

Proposition n° 7 : confier à l'éducation nationale la conception d'un module de formation obligatoire au goût et à la pratique de la cuisine dès l'école primaire. (Ministère chargé de l'éducation nationale)

Proposition n° 8 : encadrer strictement la publicité visant les enfants à la télévision. (Parlement, Gouvernement)

Proposition n° 9 : interdire tous dispositifs marketing ludiques visant à capter l'attention des enfants (jeux, concours, mascottes), conformément aux recommandations du HCSP. (Parlement, Gouvernement)


* 95 Audrey Richards, Hunger and work in a savage tribe: a functional study of nutrition among the Southern Bantu , London, Routledge & Kegan Paul, 1932, cité par Sidney Mintz, op . cit .

* 96 Sidney Mintz, op . cit ., p. 44.

* 97 OMS-Europe, rapport précité de 2022.

* 98 DGS, Bilan à mi-parcours du PNNS 2019-2023, mai 2021.

* 99 Article 312-17-3 du code de l'éducation. Cet article, créé par la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, n'a été modifié depuis que pour mentionner la lutte contre le gaspillage alimentaire et le PNA.

* 100 Article L. 551-1 du code de l'éducation.

* 101 Voir https://www.asef-asso.fr/notre-sante/mon-enfant/notre-enquete-sur-lalimentation-des-enfants-2013/

* 102 Voir notamment Construire la sécurité sociale écologique du 21 e siècle , rapport d'information n° 594 (2021-2022) de Mme Mélanie Vogel, fait au nom de la mission d'information sur la sécurité sociale écologique, déposé le 30 mars 2022.

* 103 Ibid ., p. 206.

* 104 Marie Berthoud, « L'éducation alimentaire dans les écoles : diffusion, circulation et réappropriation des normes nutritionnelles » , Les Enjeux de l'information et de la communication , 2020/S1 (N° 20/3A), pp. 131-143.

* 105 Didier Nourrisson, « Faire-savoir et savoir-faire à l'École : l'alimentation à l'écran » , Les Enjeux de l'information et de la communication , vol. 20/3a, no. S1, 2020, pp. 117-130.

* 106 Voir Claire Marchand, Le médecin et l'alimentation Principes de nutrition et recommandations alimentaires en France (1887-1940) , thèse d'histoire contemporaine soutenue à l'université François Rabelais de Tours le 3 février 2014.

* 107 Voir Joël Lebeaume, L'enseignement ménager en France. Sciences et techniques au féminin 1880-1980, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

* 108 Voir par exemple « Cuisine, repassage, pliage de draps... : des cours d'économie domestique à l'école pour garçons et filles en Finlande », Francetvinfo , le 13 décembre 2020.

* 109 Voir Eric Bertin, « Pour une approche tridimensionnelle de l'éducation à l'alimentation », dans Cahiers de nutrition et de diététique vol. 55 n° 3, juin 2020, pp. 119-126.

* 110 Santé publique France, Exposition des enfants et des adolescents à la publicité pour des produits gras, sucrés, salés , 2020.

* 111 Voir UFC-Que choisir, « Pour une loi de moralisation du marketing alimentaire, étude du dispositif français d'encadrement des publicités alimentaires destinées aux enfants, à la télévision et sur Internet », septembre 2020.

* 112 Boyland EJ, Nolan S, Kelly B, Tudur-Smith C, Jones A, Halford JC et al ., « Advertising as a cue to consume: a systematic review and meta-analysis of the effects of acute exposure to unhealthy food and nonalcoholic beverage advertising on intake in children and adults », Am J Clin Nutr. 2016;103(2):519-33.

* 113 Kelly, Vandevijvere, Ng et alii ., « Global benchmarking of children's exposure to television advertising of unhealthy food and beverages across 22 countries », Obesity reviews 2019;20(S2), pp. 116-128.

* 114 Camila Corvalán, Marcela Reyes, María Luisa Garmendia, Ricardo Uauy, « Structural responses to the obesity and non-communicable diseases epidemic : Update on the Chilean law of food labelling and advertising », Obesity reviews 2019;20, pp. 367-374.

* 115 Voir notamment Francesca R Dillman Carpentier, Teresa Correa, Marcela Reyes et Lindsey Smith Taillie, « Evaluating the impact of Chile's marketing regulation of unhealthy foods and beverages : pre-school and adolescent children's changes in exposure to food advertising on television », Public Health Nutrition : 23(4), 747-755 ; Melissa L. Jensen, Francesca Dillman Carpentier, Linda Adair, Camila Corvalán, Barry M. Popkin, Lindsey Smith Taillie, « Examining Chile's unique food marketing policy : TV advertising and dietary intake in preschool children, a pre- and post- policy study », Pediatric Obesity 2021;16 ; Correa T, Reyes M, Taillie LS, Corvalán C, Dillman Carpentier FR. « Food Advertising on Television, Before and After a National Unhealthy Food Marketing Regulation in Chile », 2016-2017 in American Journal of Public Health . 2020(0) : e1-e6 ; Mediano Stoltze F, Barker JO, Kanter R, et al . « Prevalence of child-directed and general audience marketing strategies on the front of beverage packaging: the case of Chile », Public health nutrition , 2018;21(3):454-464 ; Mediano Stoltze F, Reyes M, Smith TL, Correa T, Corvalán C, Carpentier FRD, « Prevalence of Child-Directed Marketing on Breakfast Cereal Packages before and after Chile's Food Marketing Law : A Preand Post-Quantitative Content Analysis », International journal of environmental research and public health , 2019;16(22):4501.

* 116 Article 20 bis de la « Ley de los derechos de las niñas, niños y adolescentes », modifiée le 5 août 2020.

* 117 Article 87 de la « Ley de salud del Estado de Tabasco », modifiée le 21 août 2020.

* 118 Santé publique France, même étude, qui cite aussi : l'Inserm dans son rapport sur la réglementation, le marketing et l'influence des communications de santé en matière de comportements nutritionnels (Inserm, 2017), le Haut Conseil de santé publique dans son rapport sur le programme national nutrition santé 2017-2021 (HCSP, 2017), l'Inspection générale des affaires sociales dans son rapport sur l'évaluation du programme national nutrition santé 2011-2015 et 2016 et du plan obésité 2010-2013 et dans le récent rapport de la Cour des comptes sur la prévention et la prise en charge de l'obésité (Cour des comptes, 2019).

* 119 HCSP, Pour une Politique nationale nutrition santé en France PNNS 2017-2021, septembre 2017.

* 120 Loi n° 2016-1771 du 20 décembre 2016 relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique.

* 121 Charte visant à promouvoir une alimentation et des comportements favorables à la santé dans les programmes audiovisuels et les publicités (2020-2024).

* 122 HCSP, Pour une Politique nationale nutrition santé en France PNNS 2017-2021, septembre 2017.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page