D. CONCRÉTISER ET PÉRENNISER LES PROJETS, POUR UNE DYNAMIQUE D'ÉMANCIPATION DES QUARTIERS

1. L'entrepreneuriat a un effet d'entraînement

L'entrepreneuriat constitue un levier de changement dans les quartiers . Nous estimons qu'il s'agit non seulement d'une solution pour réduire le chômage et soutenir le développement économique dans ces territoires, mais également d' un moyen accessible d'émancipation des habitants des quartiers .

En effet, un important vivier d'entrepreneurs potentiels existe dans les QPV . Tandis que la part de porteurs de projets demeure nettement plus faible qu'à l'échelle nationale, le taux élevé, supérieur par rapport à l'échelle nationale, et en hausse d'intentionnistes, témoigne d'une appétence des habitants des quartiers pour la création d'entreprise. À ce titre, 35 % des habitants des QPV affirment qu'exercer à son compte constitue le choix de carrière le plus intéressant , contre 24 % des Français 38 ( * ) .

La crise de la covid-19 semble, en outre, avoir eu un impact positif sur les personnes participant à la dynamique entrepreneuriale dans les quartiers . Les entrepreneurs ont, en effet, davantage eu de temps pour réfléchir et développer leur projet. Selon l'IEF (2021), 42 % intentionnistes des QPV indiquent ainsi que leur réflexion a été positivement affectée par la crise sanitaire.

Au vu de ce potentiel non négligeable, l'entrepreneuriat est susceptible de permettre aux habitants des QPV de lever les barrières économiques, sociales et institutionnelles qui les freinent. Agissant comme un tremplin, il donne aux individus la capacité de choisir leur avenir, avec notamment la possibilité, s'ils le souhaitent, de sortir du quartier.

En particulier, l'entrepreneuriat joue un rôle émancipatoire pour les femmes des quartiers. Plusieurs études mettent en effet en exergue qu'il s'agit d'un moyen à la fois d'échapper à la dépendance vis-à-vis du conjoint et de valoriser le rôle de ces dernières dans leur quartier, ainsi qu'au sein de la société 39 ( * ) .

À l'échelle collective, en incarnant des « role models » accessibles, les entrepreneurs sont, en outre, en mesure d'enclencher un effet d'entraînement au sein du quartier . Tous les auditionnés ont souligné l'impact qu'ont les réussites sur la levée des barrières psychologiques, encourageant d'autres résidents des quartiers à entreprendre à leur tour. Lors de son audition, le cofondateur et codirigeant de l'association My Creo Academy, Mohammed Haddou, a insisté, à cet égard, sur l'importance de la valorisation des trajectoires entrepreneuriales, afin « d'enraciner la réussite ».

Alors que le potentiel entrepreneurial reste à ce jour insuffisamment exploité, il importe donc de lever les freins persistants . L'essor entrepreneurial dans les quartiers et l'enclenchement d'une dynamique d'émancipation des habitants ne pourront survenir qu'en passant de l'intention à la concrétisation et la pérennisation des projets entrepreneuriaux.

Le développement de la dynamique entrepreneuriale est, par ailleurs, susceptible de favoriser l'échange de bonnes pratiques et une entre-aide au sein du quartier. En effet, si les incubateurs de start-ups, ainsi que les dispositifs d'accompagnement à l'entrepreneuriat remplissent efficacement cette mission, l'émulation peut également survenir à l'échelle du territoire .

2. Renforcer la confiance en leur donnant de la visibilité

Au vu des craintes persistantes des entrepreneurs, qui freinent un certain nombre d'entre eux à concrétiser leur projet, il convient, tout d'abord, de leur offrir une visibilité sur l'avenir des dispositifs d'accompagnement et de financement .

À cette fin, nous demandons la pérennisation du programme Entrepreneuriat Pour Tous, porté par Bpifrance, au-delà de 2025 .

Le dispositif a, en effet, su faire preuve d'efficacité , à travers un continuum de solutions proposées aux entrepreneurs aux différentes étapes de la création et du développement de leur projet. Face à la multiplicité des dispositifs d'accompagnement existants, il a également su fédérer les acteurs, en particulier du monde associatif, au sein d'un même programme.

Fort de son succès, le programme est d'ores et déjà en passe d'atteindre un certain nombre de ses objectifs fixés à l'horizon 2025 . À titre d'exemple, les accélérateurs d'entrepreneurs auront, dès 2022, atteint 128 % de l'objectif fixé.

Ces résultats encourageants appellent à poursuivre l'effort, en vue d'atteindre le public cible et l'encourager à entreprendre. La pérennisation du dispositif constitue, à ce titre, un gage de stabilité pour les entrepreneurs, qui leur confère de la visibilité et renforce leur confiance.

Recommandation n° 10 : Pérenniser la dynamique entrepreneuriale dans les QPV

Pérenniser le dispositif Entrepreneuriat Pour Tous de Bpifrance au-delà de 2025.

3. Promouvoir l'entrepreneuriat au féminin dans les quartiers

En vue d'enclencher une dynamique d'émancipation des habitants, la promotion de l'entrepreneuriat des femmes des QPV s'avère, en outre, indispensable .

Certes, divers programmes d'aides à l'entrepreneuriat ont d'ores et déjà été mis en place à destination des Françaises. Depuis 2012, un accord-cadre pour l'entrepreneuriat féminin conclu entre l'État et la Caisse des dépôts, et désormais par Bpifrance, prévoit des plans d'action régionaux pour l'entrepreneuriat des femmes (PAR) dans les territoires. Plus récemment, l'article 16 de la loi Rixain 40 ( * ) , adoptée fin 2021, impose à Bpifrance le respect des objectifs de mixité dans le soutien aux entreprises et prévoit un seuil de 30 % des femmes dans les comités de sélection .

Des programmes de financement facilitent, par ailleurs, l'accès des femmes au crédit bancaire (par exemple, la garantie ÉGALITÉ femmes portée par France Active) et accordent des prêts d'honneur (par exemple, Initiative France et le programme Wom'energy du Réseau Entreprendre).

Enfin, des incubateurs de start-ups promeuvent également l'entrepreneuriat féminin, tels que le programme Female Founders Fellowship de Station F déjà évoqué.

Néanmoins, nous constatons que peu de dispositifs s'adressent spécifiquement aux femmes entrepreneures des quartiers .

Nous regrettons que le nouvel accord-cadre sur l'entrepreneuriat féminin 2021-2023 signé en février 2021 par le ministère chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chance et Bpifrance ne mentionne pas spécifiquement le soutien des femmes des QPV dans ses objectifs.

Pourtant, ces dernières accumulent les difficultés et demeurent moins nombreuses au sein de la dynamique entrepreneuriale, notamment par rapport aux femmes à l'échelle nationale.

Il convient donc de cibler plus spécifiquement les femmes des quartiers dans les dispositifs d'accompagnement des entrepreneurs, afin notamment de prendre en compte les problématiques spécifiques qu'elles rencontrent.

C'est pourquoi, nous proposons de renouveler l'accord-cadre sur l'entrepreneuriat féminin en 2024, en y intégrant la promotion de l'entrepreneuriat féminin dans les QPV comme l'un de ses principaux objectifs.

Nous suggérons également d'intégrer dans le programme « Entrepreneuriat Pour Tous » porté par Bpifrance une action destinée exclusivement aux femmes des QPV.

Enfin, nous voulons compléter le dernier alinéa du I de l'article 16 de loi Rixain, du 24 décembre 2021, afin de préciser que les données publiées annuellement par la Banque publique d'investissement relatives aux bénéficiaires de ses actions de soutien en faveur de l'entrepreneuriat, du développement des entreprises et de l'accès aux prêts sont détaillées par sexe, mais également par origine géographique, en distinguant par sexe les bénéficiaires situés en QPV et hors QPV.

Recommandation n° 11 : Promouvoir l'entrepreneuriat féminin dans les quartiers

- Intégrer au nouvel accord-cadre sur l'entrepreneuriat féminin en 2024 la promotion de l'entrepreneuriat féminin dans les QPV ;

- Intégrer dans le programme « Entrepreneuriat Pour Tous » de Bpifrance une action destinée aux femmes des QPV ;

- Compléter la loi Rixain pour disposer de données par origine géographique, en distinguant par sexe les bénéficiaires situés en QPV et hors QPV.

4. Faire de l'entrepreneuriat un enjeu territorial

Au regard de la multiplicité des dispositifs d'accompagnement et de financement des projets entrepreneuriaux, il importe d'apporter de la clarté aux acteurs .

Le manque d'informations relatives aux dispositifs existants contribue au non-recours par les entrepreneurs aux aides auxquelles ils sont éligibles. De plus, les collectivités locales, pourtant impliquées dans la mise en oeuvre de la politique de la ville, n'ont qu'une visibilité limitée des dispositifs en vigueur.

Toutes ne sont d'ailleurs pas impliquées de la même manière dans l'entrepreneuriat. Les besoins locaux peuvent différer mais il est frappant que là où Plaine Commune a mis en place une mission locale spécifique depuis plus de 20 ans, d'autres balayent encore d'un revers de main l'idée que l'entrepreneuriat puisse présenter un réel intérêt pour les QPV.

Lors de leurs auditions la Caisse des dépôts et Bpifrance ont indiqué que l'intégration du programme « Entrepreneuriat pour tous » dans les futurs contrats de ville permettrait de l'identifier comme la brique structurante des actions en faveur des entrepreneurs des quartiers, et de lui assurer une forte visibilité vis-à-vis des bénéficiaires mais aussi des acteurs publics nationaux et locaux.

5. Accompagner les entrepreneurs et les intégrer au tissu économique

Enfin, accompagner les entrepreneurs signifie s'assurer de la capacité de ces derniers à faire perdurer leur entreprise une fois qu'ils ne sont plus aidés .

Or, la difficile intégration des entrepreneurs au sein du tissu économique local demeure un sujet insuffisamment traité . Pourtant, cette difficulté impacte négativement la pérennité des entreprises et est amplifiée par l'absence de suivi de ces dernières à l'issue de leur accompagnement, ce qui ne leur permet plus de bénéficier d'un interlocuteur local.

Au vu de ce constat, nous recommandons deux choses.

D'une part, une meilleure prise en compte des dynamiques économiques locales par les pouvoirs publics et les structures d'accompagnement est souhaitable à travers une mise en relation des entrepreneurs avec les entreprises implantées sur le territoire. Un système de parrainage des entrepreneurs par des PME, à l'image de ce qu'effectuent d'ores et déjà certains grands groupes, pourrait, par exemple, permettre une première intégration au sein du tissu économique local.

D'autre part, il importe que les entrepreneurs continuent à être suivis à l'issue de leur accompagnement par des structures dédiées via, par exemple, des Groupements de prévention agréés (GPA) ou dans le cadre d'hôtels d'entreprises, ou a minima par les chambres consulaires.

Les Groupements de prévention agréés constituent un format intéressant. Créé par l'article 33 de loi du 1 er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises, et désormais prévu à l'article L. 611-1 du code de commerce, le Groupement de prévention agréé peut être sollicité par ses entreprises adhérentes, lorsqu'elles sont en difficulté. L'article L. 611-1 précise qu'il « a pour mission de fournir à ses adhérents, de façon confidentielle, une analyse des informations économiques, comptables et financières que ceux-ci s'engagent à lui transmettre régulièrement » , en ajoutent que « lorsque le groupement relève des indices de difficultés, il en informe le chef d'entreprise et peut lui proposer l'intervention d'un expert ». Pour être constitué, il doit remplir les conditions prévues aux articles D. 611-2 à D. 611-8 du même code et être agréé par arrêté du préfet. S'adressant à toutes les formes d'entreprise, les Groupements de prévention agréés ont particulièrement été sollicités dans le contexte de la crise sanitaire de la covid-19, afin d'aider un certain nombre d'entreprises, et notamment d'entrepreneurs, en difficulté.

En vue de renforcer l'intervention de ce type de structures au bénéfice des entrepreneurs issus de QPV, il pourrait être proposé soit de rendre automatique le concours des administrations compétentes, soit de prévoir qu'ils peuvent être constitués à l'initiative d'un acteur public.

Par un suivi dans la durée à l'issue de leur accompagnement, il s'agit non seulement de permettre aux entrepreneurs de conserver des interlocuteurs locaux, qui les aident notamment à surmonter les difficultés nouvelles qui se posent à eux et ainsi éviter une baisse progressive de leur ambition, mais également de pouvoir observer les trajectoires des entrepreneurs. Dans cette optique, le suivi doit être effectué indépendamment du fait que les entrepreneurs restent ou non dans le quartier .

Recommandation n° 12 : Faire de l'entrepreneuriat un enjeu territorial

- Intégrer l'entrepreneuriat dans les contrats de ville ;

- Faciliter l'insertion des entrepreneurs au sein du tissu économique local en mettant en place un programme de parrainage ;

- Assurer la poursuite du suivi des entrepreneurs dans la durée, notamment à travers des groupements de prévention agréés et dans le cadre d'hôtels d'entreprises.


* 38 IEF (2021).

* 39 Nakara, Walid A. (2020) ; Notais, Amélie et Tixier, Julie (2018).

* 40 Loi n° 2021-1774 du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle.

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