C. UN ESSOR LIMITÉ EN RAISON DES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES

1. Malgré un niveau d'intentionnalité élevé, une part de porteurs de projet plus faible et des projets moins ambitieux

Malgré des réussites, la dynamique entrepreneuriale peine à prendre son essor dans les quartiers . Selon l'indice entrepreneurial français (IEF) 27 ( * ) , seuls 20 % des habitants des QPV participent, en effet, à la dynamique entrepreneuriale, contre 30 % des Français. Si cette proportion est en hausse de six points par rapport à celle de 2018, la concrétisation des projets demeure l'un des principaux points de blocage .

En effet, alors que de nombreux habitants des quartiers expriment la volonté de mener à bien un projet entrepreneurial, peu d'entre eux le réalisent . La part des porteurs de projets 28 ( * ) est ainsi plus faible en QPV, s'établissant en 2021 à 3 % contre 11 % au niveau national. De même, la proportion de chefs d'entreprise y est inférieure (2 % contre 13 %).

En revanche, la part d'intentionnistes, c'est-à-dire de personnes envisageant de créer une nouvelle entreprise ou de reprendre une entreprise existante, sans avoir encore engagé de démarches pour le faire, est selon l'IEF (2021) plus importante parmi les habitants des quartiers (12 %) qu'au sein du reste de la population (9 %).

Ainsi, malgré un important vivier d'entrepreneurs, peu d'entre eux concrétisent leur projet de création ou de reprise d'une entreprise, la part de porteurs de projet étant trois fois inférieure à celle des intentionnistes.

Les composantes de l'indice entrepreneurial français 2021 en QPV

Source : Indice entrepreneurial français (2021).

De plus, la faible représentativité de la population parmi les entrepreneurs reste une réalité . Malgré des progrès, plusieurs auditionnés chargés de mettre en oeuvre les programmes d'accompagnement nous ont fait part de leur difficulté à diversifier la population franchissant le pas de l'entrepreneuriat. La population de la chaîne entrepreneuriale des QPV demeure ainsi plus masculine, jeune et diplômée que l'ensemble des habitants en QPV.

Enfin , parmi les créateurs d'entreprises, l'enjeu réside aujourd'hui dans la pérennisation des projets . Si la démarche d'immatriculation est aujourd'hui simple et accessible, la capacité à aller au bout du projet entrepreneurial et à créer des entreprises rentables et pérennes demeure une difficulté en QPV. Bien que le taux de pérennité des entreprises des QPV à trois ans soit similaire, voire supérieur, à celui des entreprises hors QPV, s'établissant respectivement à 77 % et 74 %, les entrepreneurs des quartiers revoient néanmoins régulièrement l'ambition de leur projet à la baisse durant les cinq années suivant le lancement 29 ( * ) .

2. Des difficultés qui freinent l'essor entrepreneurial

L'essor limité de l'entrepreneuriat dans les quartiers s'explique par plusieurs difficultés . Bien que communes à l'ensemble des entrepreneurs, ces dernières sont particulièrement rencontrées par les entrepreneurs des quartiers, dont la situation économique et sociale est d'ores et déjà plus fragile. Ces difficultés empêchent non seulement un certain nombre d'intentionnistes en QPV de concrétiser leur projet, mais réduisent également l'ambition des projets entrepreneuriaux et leurs chances de réussite.

Tout d'abord, le manque de financement constitue l'un des principaux obstacles. Les entrepreneurs des QPV entretiennent, en effet, une relation distante avec les banques , ce qui les prive d'un moyen de financement considérable.

D'une part, ces derniers rencontrent une plus grande difficulté à accéder aux services bancaires (ouverture d'un compte bancaire professionnel, autorisation de découvert, obtention d'un financement). Selon une étude de Bpifrance et Terra Nova (2020) 30 ( * ) , 32 % des entrepreneurs des QPV affirment avoir rencontré ce type d'obstacles au moment de la création de leur entreprise, contre 28 % des entrepreneurs hors QPV. Ces difficultés sont en particulier rencontrées par les moins diplômés et dans les deux principaux secteurs des QPV (le commerce et la construction).

Parmi les entrepreneurs des QPV ayant effectué une demande de financement, seuls 22 % ont ainsi obtenu un emprunt, contre 29 % des entrepreneurs hors QPV.

D'autre part, un sentiment d'illégitimité, couplé à un manque de confiance dans le système bancaire s'observe parmi les entrepreneurs des QPV. Ainsi, 60 % d'entre eux ne contactent pas leur banque au lancement du projet, soit 10 points de plus que les entrepreneurs hors QPV 31 ( * ) .

En ce qui concerne les entrepreneurs ayant contracté un prêt bancaire, les sommes empruntées sont faibles.

Peu d'entrepreneurs des QPV réalisent, par ailleurs, une levée de fonds, qui constitue pourtant un moyen de financement alternatif utile. Dans le cadre d'une étude sur les entrepreneurs accompagnés dans les QPV de la métropole de Nantes (2020), la chercheuse Lorena Clément constate, en effet, que la recherche d'investisseurs extérieurs est un impensé dans les quartiers.

Les projets sont donc principalement financés à partir de fonds propres . Or, les QPV se caractérisant par un taux de pauvreté élevé, les entrepreneurs se trouvent, pour la plupart, dans une situation économique et sociale précaire et ne disposent ainsi que de faibles ressources.

La difficulté de financement des projets constitue une barrière à la fois au lancement et à la pérennité du projet entrepreneurial.

En effet, selon l'IEF (2021), le revenu insuffisant ou trop instable est cité comme la première crainte par rapport au projet entrepreneurial par plus d'un tiers des intentionnistes en QPV. En outre, les habitants des quartiers situés en dehors de la chaîne entrepreneuriale citent principalement l'investissement financier trop important ou la difficulté à trouver des financeurs comme freins par rapport au projet entrepreneurial.

Les porteurs de projet sont, quant à eux, souvent amenés à revoir l'ambition de leur projet à la baisse, faute de moyens financiers suffisants. Ces derniers renoncent notamment à la location d'un local et exercent, par conséquent, leur activité depuis leur domicile.

Ensuite, les entrepreneurs des quartiers manquent de compétences entrepreneuriales . Parmi les intentionnistes interrogés dans le cadre de l'enquête IEF (2021), 18 % d'entre eux soulignent que le manque de compétences constitue l'une des craintes pour leur projet entrepreneurial. Ces lacunes s'observent non seulement en matière de gestion, de comptabilité ou encore de marketing, mais également dans le domaine du numérique.

La mauvaise connaissance de l'administration française et le manque d'informations sur les dispositifs de développement économique local limitent, par ailleurs, le recours aux aides existantes . Dans le contexte de la crise sanitaire de la covid-19, certains entrepreneurs en Seine-Saint-Denis n'avaient ainsi pas connaissance des dispositifs d'aides auxquels ils étaient éligibles 32 ( * ) .

Les barrières mentales demeurent, en outre, un frein à l'essor entrepreneurial. Si les auditionnés soulignent l'ampleur des progrès réalisés, le sentiment d'un manque de légitimité persiste, conduisant un certain nombre d'intentionnistes des QPV à s'autocensurer. Les habitants des quartiers prioritaires continuent non seulement à être stigmatisés, mais leurs activités restent également insuffisamment valorisées.

Enfin, les entreprises peinent, au cours de leur développement, à s'intégrer au sein du tissu économique local . Ces dernières ont en effet, au-delà de leur quartier, un accès plus restreint au marché et aux réseaux professionnels locaux. Les entrepreneurs des QPV sont ainsi plus nombreux à rencontrer des difficultés pour trouver une clientèle quatre à cinq ans après le lancement de leur activité (26 % contre 21 % hors QPV) et indiquent souhaiter la délocaliser pour bénéficier d'un environnement économique plus favorable 33 ( * ) .

Les acteurs chargés des dispositifs d'accompagnement à l'entrepreneuriat dans les QPV se sont jusqu'à présent peu saisis du sujet. La chercheuse Clara Hercule souligne, à cet égard, que si les acteurs intermédiaires jouent le rôle d'entremetteur et de facilitateur, en permettant notamment aux entrepreneurs de se rencontrer, ils ne contribuent, en revanche, que marginalement à la mise en relation des entreprises avec les clients et les fournisseurs installés sur le même territoire 34 ( * ) .

La faible intégration aux réseaux d'acteurs économiques locaux s'avère en particulier problématique à l'issue de l'accompagnement par les dispositifs d'aides . En effet, un suivi de ces entreprises n'est par la suite que rarement assuré par les structures d'accompagnement, qui perdent souvent de vue les entrepreneurs.

3. Une sous-représentation persistante des femmes

Les femmes demeurent tout particulièrement sous-représentées au sein de la dynamique entrepreneuriale des QPV . Ces dernières ne représentent que 33 % de la population en QPV placée dans une dynamique entrepreneuriale, contre 48 % à l'échelle nationale 35 ( * ) .

La directrice de la Maison de l'Initiative Économique Locale (MIEL), Sylvie Saget, observe à cet égard que si les femmes sont autant que les hommes à la recherche d'un accompagnement ou d'une aide, elles sont moins nombreuses à s'immatriculer à l'issue de leur accompagnement. Ainsi, alors que les femmes représentent 50 % du public accueilli à la MIEL, elles ne constituent que 39 % des créateurs d'entreprises.

Cette sous-représentation des femmes s'explique notamment par les obstacles spécifiques qu'elles rencontrent .

Les entrepreneures font en effet davantage face à la difficulté du partage entre la vie professionnelle et personnelle . Souvent chargées de la vie familiale, les mères sont moins mobiles géographiquement et disposent de moins de disponibilités pour participer notamment aux événements collectifs d'accompagnement à l'entrepreneuriat, ces derniers pouvant se dérouler en soirée 36 ( * ) .

Faisant l'objet de discriminations, les femmes rencontrent, en outre, une plus grande difficulté à accéder aux financements. Plus fréquemment sans emploi avant la création de leur entreprise que les hommes, elles disposent également de moins de moyens financiers (moins de 2 000 euros) au démarrage de leur projet 37 ( * ) .

Les femmes mentionnent, enfin, plus régulièrement le manque de confiance en elles.


* 27 L'indice entrepreneurial français (IEF) est une enquête produite tous les deux ans, qui prend en compte la chaîne entrepreneuriale, c'est-à-dire la part et la typologie des Français concernés par l'entrepreneuriat, et la culture entrepreneuriale, mesurée à travers la perception et la représentation qu'on les Français de l'entrepreneuriat, des compétences et qualités entrepreneuriales, de leur sensibilisation à l'entrepreneuriat. L'enquête de 2021 a été menée au niveau national sur un échantillon représentatif de 5 066 personnes, âgées de 18 ans et plus. Dans les QPV, l'enquête a été menée auprès d'un échantillon représentatif de 501 personnes, âgées de plus de 18 ans. https://lelab.bpifrance.fr/get_pdf/1786/bpifrance_le_lab_quartiers_110x177_022 020_cl10_web_09 072 020.pdf .

* 28 Selon l'IEF, les porteurs de projets sont définis comme les personnes ayant engagé des démarches ou créer ou reprendre une entreprise et dont les projets déjà abouti ou est en cours de réalisation.

* 29 https://lelab.bpifrance.fr/get_pdf/1786/bpifrance_le_lab_quartiers_110x177_022 020_cl10_web_09 072 020.pdf.

* 30 https://lelab.bpifrance.fr/get_pdf/1786/bpifrance_le_lab_quartiers_110x177_022 020_cl10_web_09 072 020.pdf .

* 31 Ibid .

* 32 Audition de Sylvie Saget, directrice de la Miel.

* 33 https://lelab.bpifrance.fr/get_pdf/1786/bpifrance_le_lab_quartiers_110x177_022 020_cl10_web_09 072 020.pdf.

* 34 Contribution écrite de la chercheuse Clara Hercule.

* 35 IEF (2021).

* 36 Clément, Lorena (2020).

* 37 https://lelab.bpifrance.fr/get_pdf/1786/bpifrance_le_lab_quartiers_110x177_022 020_cl10_web_09 072 020.pdf.

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