B. FAIRE ABOUTIR LA RELANCE DU NUCLÉAIRE, POUR PRÉVENIR L' « EFFET FALAISE » ANTICIPÉ À COMPTER DE 2040

Au-delà de cette clarification stratégique, les rapporteurs plaident pour faire aboutir la relance de l'énergie nucléaire, pour prévenir tout « effet falaise », anticipé à compter de 2040 .

Lors de son audition, le Gifen a ainsi indiqué que « les annonces du Président de la République sont une première étape », qui doit être suivie par « une vision claire, précise et ferme des projets à venir », de manière à « enclencher la mobilisation des moyens industriels, humains et financiers par les acteurs concernés, au premier rang desquels les grands donneurs d'ordre ».

Les rapporteurs retiennent de l'étude Futurs énergétiques à l'horizon 2050 de RTE, la nécessité de se pencher sur certaines hypothèses :

- d'une part, sur le plan de la production, ils plaident pour privilégier le scénario « N03 » , qui permettrait de maintenir à 50 % au moins la part de l'énergie nucléaire dans le mix électrique d'ici 2050, dans la trajectoire de référence 207 ( * ) ;

- d'autre part, sur le plan de la consommation, ils appellent à tenir compte de l'hypothèse de « réindustrialisation profonde » , qui impliquerait 107 TWh d'électricité supplémentaires par rapport à la trajectoire de référence, et de la variante « Hydrogène + » , qui représenterait 109 TWh d'électricité supplémentaires par rapport à la trajectoire de référence 208 ( * ) .

Lors de son audition, The Shift Projet a rappelé que son Plan de transformation de l'économie française (PTEF) se fonde sur le scénario « N03 » de RTE : « Le plan s'est calé sur le scénario “ N03 ” de RTE, c'est-à-dire celui qui contient le plus de nucléaire, avec environ 54 %. »

De son côté, la SFEN a indiqué la nécessité de considérer l'hypothèse de « réindustrialisation profonde », en ces termes : « Nous considérons que les hypothèses du scénario ” réindustrialisation N3 “ sont à privilégier. De cette façon notre mix électrique serait suffisamment robuste si la consommation électrique devait être plus élevée. »

Enfin, France Hydrogène a relevé la nécessité d'examiner la variante « hydrogène + », précisant que les besoins induits en électricité pourraient être couverts par des énergies nucléaire comme renouvelables : « Le passage d'un scénario de consommation à l'autre 209 ( * ) nécessiterait [...] un fort besoin en déploiement de capacités électriques décarbonées additionnelles pour produire les + 110 TWh d'électricité supplémentaires à l'horizon 2050. Ces capacités devraient reposer sur un mix diversifié entre capacités nucléaires, capacités éoliennes et capacités solaires. »

Les rapporteurs retiennent aussi de l'étude précitée de RTE le besoin de décider vite, dès la prochaine loi quinquennale sur l'énergie de 2023 : en effet, compte tenu des délais incompressibles et des capacités industrielles, un renouvellement du parc nucléaire nécessite du temps pour que ce parc soit pleinement mobilisable pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050.

C'est pourquoi RTE a indiqué que « seule une décision politique sur la construction de nouveaux réacteurs au cours de l'année 2022 ou 2023 permettrait de disposer de nouvelles tranches à l'horizon 2035, et elle ne pourrait conduire à une accélération du rythme de mise en service qu'à compter de 2045. La fenêtre d'action pour permettre à une relance du nucléaire de contribuer à l'atteinte des objectifs de baisse des émissions de CO 2 à horizon 2040 et 2050 est donc extrêmement étroite » 210 ( * ) .

Pour acter la relance de l'énergie nucléaire, les rapporteurs estiment indispensable de modifier rapidement la législation :

- tout d'abord, il faut supprimer le principe d'un plafonnement à 63,2 GW , de la capacité totale autorisée de production d'énergie nucléaire, figurant à l'article L. 311-5-5 du code de l'environnement ;

- ensuite, il faut inscrire la construction de 14 EPR2 et de 4 GW de SMR , proposé par RTE dans son scénario « N03 » , parmi nos objectifs énergétiques, prévus à l'article L. 100-4 du code de l'énergie.

Les rapporteurs considèrent que le scénario « N03 » doit être regardé comme minimum , la construction d'EPR supplémentaires 211 ( * ) devant être étudiée, compte tenu de deux incertitudes :

- tout d'abord, le nombre d'EPR prévus par le scénario « N03 » pourrait s'avérer insuffisant à couvrir la hausse de la consommation d'électricité , RTE considérant que 9 EPR2 (soit 15 GW) seraient requis dans le cas de l'hypothèse d'une « réindustrialisation profonde » 212 ( * ) ;

- plus encore, la prolongation de quelques réacteurs existants au-delà de 60 ans envisagée dans le scénario « N03 » doit être permise par l'autorité de sûreté nucléaire , RTE estimant qu'entre 3 et 5 réacteurs (soit 3 à 5 GW) seraient concernés pas une telle prolongation.

Or, si une telle prolongation a été conduite dans les pays étrangers, à l'instar des États-Unis, sa faisabilité doit encore être démontrée.

Interrogée sur ce point, l'ASN a indiqué le besoin de « justifier avec suffisamment d'anticipation la possibilité de poursuivre l'exploitation des installations nucléaires au-delà de 50, voire de 60 ans » et l'IRSN qu'« une question essentielle à aborder dans le cadre d'une éventuelle prolongation à 60 ans de ces réacteurs sera l'aptitude à la poursuite d'exploitation des cuves des réacteurs, qui sont des composants non remplaçables ».

Plus largement, l'ASN a insisté sur la nécessité de disposer « de marges suffisantes pour pouvoir faire face à des aléas importants ou génériques » et l'IRSN sur celle de privilégier « la construction de nouveaux réacteurs conçus pour répondre aux meilleures exigences de sûreté au prolongement des réacteurs existants ».

Pour ce qui les concerne, les rapporteurs souhaitent que les enjeux de sûreté et de sécurité nucléaires soient pris en compte en amont : il faut prévoir suffisamment de marge et, par voie de conséquence, suffisamment de nouveaux réacteurs.

À cette fin , ils souhaitent que l'hypothèse de la prolongation des réacteurs existants au-delà de 60 ans fasse l'objet d'une étude , remise d'ici la loi quinquennale sur l'énergie de 2023, ce qui permettrait au législateur de disposer de tous les éléments pour dimensionner la relance de l'énergie nucléaire.

En tout état de cause, les rapporteurs estiment que la construction des EPR2 représente une occasion unique pour appliquer à ces réacteurs , dès leur conception, les meilleurs standards environnementaux.

Sollicité sur ce point, le groupe EDF a indiqué intégrer ces standards, précisant que « la conception de l'EPR2 [...] bénéficie de tout le REX des EPR dans le monde et du parc nucléaire français ».

Aussi pourrait-il en rendre compte, dans un plan d'actions, de cet engagement pour conforter les standards environnementaux des futurs EPR2 et SMR (enjeux climatiques, enjeux numériques, emprise foncière, limitation des ressources, des déchets ou des pollutions).

2. Faire aboutir la relance du nucléaire, pour prévenir l' « effet falaise » à compter de 2040 :

- Privilégier le scénario « N03 » de RTE comme scénario minimal, sous réserve de sa faisabilité sur le plan de la sûreté et de la sécurité nucléaires, et considérer l'hypothèse de « réindustrialisation profonde » voire la variante « hydrogène + »

- Supprimer le plafonnement a priori des autorisations nucléaires de 63,2 GW

- Acter la construction de 14 EPR2 et de 4 GW de SMR dans la loi quinquennale de l'énergie de 2023

- Étudier la construction d'EPR2 supplémentaires pour tenir compte des incertitudes du scénario « N03 » de RTE : 3 (soit 5 GW) en cas d'infaisabilité de la prolongation des réacteurs au-delà de 60 ans ; 9 (soit 15 GW) selon l'hypothèse de « réindustrialisation profonde »

- Inclure la sûreté et la sécurité nucléaires en amont, en veillant à rétablir une marge permettant l'arrêt des réacteurs pour sûreté voire en préférant, si les capacités industrielles le permettent, la construction de nouveaux réacteurs à la prolongation de ceux existants

- D'ici la loi quinquennale sur l'énergie de 2023, évaluer les implications, sur les plans de la sécurité et de la sécurité nucléaires, de l'hypothèse d'une prolongation de 3 à 5 réacteurs (soit 3 à 5 GW) au-delà de 60 ans du scénario « N03 » de RTE

- Consacrer, dans un plan d'actions, un engagement sur la réduction de l'impact environnemental des futurs EPR2 et SMR (enjeux climatiques, enjeux numériques, emprise foncière, économies de ressources, gestion des déchets, limitation des pollutions)


* 207 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques 2050, Les scénarios de mix de production-consommation , 2022, p. 211.

* 208 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques 2050. La consommation, 2022, p. 145.

* 209 En l'espèce, du « scénario de référence » à la « variante hydrogène + ».

* 210 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques 2050, La production d'électricité , 2022, p. 165.

* 211 Des SMR pourraient l'être également, mais le projet de SMR Nuward n'est pas attendu d'ici 2030 et présente une puissance de 340 MW.

* 212 Réseau de transport d'électricité (RTE), Futurs énergétiques 2050, Le scénarios de mix production-consommation , 2022, p. 221.

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