EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi20 juillet 2022 sous la présidence de M. Bernard Delcros, vice-président, la commission a entendu une communication de MM. Charles Guené et Claude Raynal, rapporteurs spéciaux, sur les dotations d'investissement aux collectivités territoriales.

M. Charles Guené , rapporteur spécial . - Nous avons décidé de mener cette année, avec Claude Raynal, un travail de contrôle sur les dotations d'investissement de l'État aux collectivités territoriales. Commençons par quelques rappels, même si je ne doute pas que ces dispositifs vous sont bien connus.

L'État attribue quatre dotations budgétaires aux collectivités territoriales et à leurs groupements afin de cofinancer leurs projets d'investissement. Les deux principales dotations sont la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), qui s'adressent toutes deux aux collectivités du bloc communal. Viennent ensuite la dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID) et la dotation politique de la ville qui s'adresse spécifiquement aux communes abritant des quartiers de la politique de la ville (QPV).

Sur le plan budgétaire, on constate une montée en puissance de ces dotations, dont le montant global passe de 920 millions d'euros en 2014 à 2,3 milliards d'euros en 2022, avec un pic à 3,6 milliards d'euros en 2021 lié au plan de relance.

Cette hausse des crédits est cependant à relativiser pour deux raisons.

En premier lieu, si l'on exclut les dispositifs ponctuels du plan de relance et un abondement exceptionnel de la DSIL en 2022, le niveau « socle » de l'effort budgétaire de l'État est stabilisé depuis 2016 à près de 2 milliards d'euros.

En outre, les dépenses d'investissement des collectivités ont connu dans le même temps une progression de plus de 9 % pour s'établir à 57,4 milliards d'euros. On constate en effet un très fort dynamisme actuel des projets d'investissement dans le contexte de la relance, ce dont témoigne la bonne consommation des enveloppes.

M. Claude Raynal , rapporteur spécial . - Ce cadre posé, et avant de décliner nos principales observations et recommandations, je souhaite ajouter quelques mots d'explications sur l'état d'esprit dans lequel nous avons conduit nos travaux sur ce vaste sujet.

Notre but n'était pas de « passer en revue » chaque dispositif, sa mécanique propre et ses résultats. Les rapports récents de nos collègues députés François Jolivet et Christine Pires Beaune relatifs à la DETR et la DSIL ont en effet déjà accompli un important travail à cet égard.

Pour notre part, nous avons entendu adopter un point de vue transversal sur la doctrine d'emploi des dotations d'investissement et sur la façon dont celles-ci s'inscrivent dans le cadre global des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales.

Or, ces relations sont elles-mêmes déterminées par le contexte budgétaire, fortement contraint sur la dernière décennie. Une bonne illustration de ce phénomène est la création de la DSIL comme modeste contrepartie à la baisse massive et unilatérale de la DGF intervenue entre 2014 et 2018, qui a fortement pesé sur l'épargne des collectivités et, partant, sur leurs capacités à investir.

La parenthèse du plan de relance refermée, la prochaine loi de programmation reflétera vraisemblablement le retour de la contrainte budgétaire s'imposant aux administrations publiques.

Nous identifions en particulier deux points de vigilance s'agissant de l'investissement public local.

Premièrement, bien que les éventuelles modalités futures d'encadrement des finances locales ne soient pas connues à ce jour - leur opportunité même est d'ailleurs très largement discutée - la perspective d'une contrainte accrue sur l'endettement des collectivités territoriales au regard de la soutenabilité de la dette publique, et donc sur le financement de leurs investissements, n'est pas à exclure.

Deuxièmement, nous assisterons probablement à une baisse relative des dotations de l'État sous le double effet de l'extinction du plan de relance et de la diminution des enveloppes en termes réels dans le contexte inflationniste actuel.

M. Charles Guené , rapporteur spécial . - Outre la contrainte budgétaire, une autre tendance de fond caractérise l'octroi des dotations d'investissement : celle d'un fléchage accru des dotations sur les priorités thématiques fixées par l'État.

Les dotations d'investissement ont en effet changé de nature par rapport aux premières décennies de la décentralisation. Nous sommes passés d'un système de dotations globales d'équipement libres d'emploi à des dotations fonctionnant suivant une logique de subventions sur projets sélectionnés par le préfet.

Si elle peut exister localement au gré des relations entre les préfets et les élus, les textes ne prévoient en principe pas d'association de ces derniers aux décisions d'attribution. Seule la procédure d'octroi de la DETR prévoit l'intervention d'une commission consultative d'élus, qui fixe les catégories d'opérations prioritaires à soutenir, et qui est informée des projets auxquels le préfet souhaite accorder une subvention et consultée lorsque le montant de celle-ci dépasse 100 000 euros.

Au travers différentes instructions relatives aux dotations d'investissement adressées aux préfets, l'État définit chaque année les priorités thématiques qui serviront de base à la sélection des projets. Le fléchage des dotations sur certaines thématiques s'est d'ailleurs avéré particulièrement strict dans le contexte du plan de relance. En effet, l'octroi de la DSIL exceptionnelle était resserré sur trois priorités seulement (transition écologique, résilience sanitaire et rénovation du patrimoine) et celui de la dotation régionale d'investissement (DRI) sur deux (rénovation thermique et mobilités du quotidien).

Nos travaux ont à cet égard mis en évidence certains obstacles à la bonne appréhension par les élus locaux de la doctrine d'emploi des dotations.

Premièrement, les critères nationaux manquent parfois de précision, en particulier s'agissant du critère de maturité des projets. Si celui-ci se justifie aisément par la nécessité d'engager rapidement des opérations, notamment dans le cadre du plan de relance, afin de générer un effet levier et un impact sur la croissance à brève échéance, il ne saurait servir les seuls objectifs de communication de l'État quant à la consommation des crédits du plan de relance.

Il arrive également que des critères de sélection soient ajoutés localement par les préfets et manquent de transparence. Ils sont même parfois, contre l'esprit de la loi, présentés comme de véritables critères d'éligibilité, comme les travaux de notre commission l'ont mis en évidence lors de l'examen de la proposition de loi de notre collègue Hervé Maurey relative à l'octroi de la DETR.

Il en découle le sentiment partagé par de nombreux élus d'une insuffisante prise en compte des spécificités et des besoins locaux.

Nos recommandations visent ainsi un renforcement du pouvoir consultatif des élus, en prévoyant notamment une saisine obligatoire du président de conseil départemental sur les subventions allouées au titre de la DSID et en enrichissant l'information transmise aux commissions des élus pour la DETR. Pour être en mesure d'analyser précisément la politique d'octroi menée par le préfet, il nous paraît légitime que les commissions soient informées de l'ensemble des projets candidats et non des seuls projets retenus.

Dans le même souci de meilleure prise en compte des besoins locaux, nous invitons en outre les préfets, lorsque c'est pertinent, à renforcer le subventionnement des dépenses d'études préalables pour les projets éligibles à la DETR, ce qui répond à un besoin exprimé par de nombreuses collectivités, notamment les communes de petite taille ne disposant que de faibles moyens d'ingénierie.

M. Claude Raynal , rapporteur spécial . - La troisième grande tendance que nous avons observée est l'inscription croissante des dotations d'investissement dans les diverses initiatives contractuelles et partenariales lancées localement mais impulsées par l'État central.

On peut notamment citer les différents programmes partenariaux pilotés par l'ANCT, tels qu'« action coeur de ville » ou encore « petites villes de demain ».

Ces dispositifs visent avant tout à orienter, ordonner et valoriser des financements préexistants et émanant de différents acteurs. Cette logique de labellisation n'est pas inintéressante en soi, et permet bien souvent de créer ou d'amplifier des dynamiques locales, mais il reste important de souligner que ces dispositifs ne s'accompagnent, pour l'essentiel, pas de crédits budgétaires nouveaux.

Nous avons en premier lieu relevé que ces initiatives s'ajoutent à des programmes similaires lancés par les départements et les régions, qui déploient leurs propres dispositifs de soutien à l'investissement du bloc communal. Il en résulte un paysage saturé par les contractualisations, au sein duquel nombre d'élus avouent se perdre.

Dans ce contexte, les contrats de relance et de transition écologique (CRTE), qui sont signés à l'échelle des intercommunalités, poursuivent notamment l'objectif de simplifier ce paysage, en adoptant une approche transversale et en regroupant l'ensemble des conventions thématiques signées sur un même territoire.

Nous appelons ainsi à poursuivre les efforts engagés pour mieux articuler les différentes initiatives contractuelles impulsées par l'État ou par les conseils départementaux et régionaux. Une telle démarche est indispensable pour donner aux porteurs de projets la visibilité nécessaire sur les cofinancements dont ils peuvent espérer disposer. Cela vaut tout particulièrement pour les plus petites communes, qui sont les plus pénalisées par la complexité du système.

Le développement de ces démarches contractuelles et partenariales nous inspire par ailleurs une certaine inquiétude : celle d'une forme de « captation » croissante des dotations d'investissement. Ce risque nous paraît en effet sérieusement à considérer dans la mesure où, d'une part, le contexte budgétaire actuel est marqué par une diminution relative des dotations d'investissement et où, d'autre part, ces initiatives contractuelles et partenariales formalisent un certain engagement financier pluriannuel de l'État. Les différentes instructions annuelles relatives à l'octroi des dotations affichent d'ailleurs explicitement le souci de les mobiliser en priorité en appui de ces différentes démarches.

Cette situation est d'autant plus problématique que, pour légitimes que soient ces initiatives, celles-ci ne sauraient couvrir l'ensemble des défis qui se posent aux territoires, que les élus de terrain restent les mieux à même de diagnostiquer.

Ce phénomène est à ce jour difficile à objectiver finement, les informations disponibles étant parcellaires et incomplètes. Les données que nous avons recueillies indiquent cependant bel et bien une tendance au fléchage croissant des dotations sur des projets s'inscrivant dans le cadre d'une contractualisation avec l'État. Nous vous renvoyons au rapport pour davantage de détails, avec notamment l'étude détaillée de la situation de quatre départements que nous avons visités dans le cadre de nos travaux.

Face à ce constat, la principale recommandation de notre rapport est une position de principe. Nous souhaitons que soit affirmé clairement qu'une collectivité ne saurait se voir exclue du bénéfice d'une dotation d'investissement au seul motif qu'elle ne s'inscrirait pas dans une démarche contractuelle ou partenariale impulsée par l'État. À l'inverse, la participation à de telles démarches ne saurait conférer à une collectivité un « droit de tirage » sur les dotations.

Sur un plan plus pratique, nous proposons en outre que les commissions DETR puissent fixer un quota indicatif de subventions qui seraient mobilisées pour le financement d'opérations ne s'inscrivant pas dans ces démarches. Il n'est pas question évidemment de fixer une règle nationale mais, département par département, ces commissions pourraient décider de préserver une enveloppe pour les projets lancés en dehors de toute contractualisation.

Pour le dire schématiquement, il ne faudrait pas que les élus locaux, demain, soient élus sur un programme et jugés en fin de mandat sur celui de l'État. Nous espérons faire oeuvre utile en soulevant préventivement ce point d'alerte. Nous vous remercions.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - J'ai du mal à comprendre ou à tout le moins accepter que les décisions d'attribution soient à la seule main de l'État dans une république décentralisée. Dans les recommandations, vous demandez la communication de tous les éléments d'information relatifs à ces dotations. Il faut effectivement avoir accès à tous ces éléments sur les attributions mais le mieux encore serait de trouver un moyen d'améliorer la participation des élus au dispositif. Cela me semble indispensable. Je voudrais en outre faire deux commentaires. Pour un certain nombre de collectivités, communes de petite taille ou syndicats scolaires, les frais d'études préalables sont parfois très élevés et ces petites collectivités n'ont pas toujours les moyens d'y faire face. Je souscris donc à votre recommandation relative au subventionnement des frais d'études préalables. Par ailleurs, il faut améliorer la coordination des procédures pour les projets qui font l'objet de financements croisés avec plusieurs acteurs : régions, départements... A cet égard, il faudrait mettre en place un document de suivi qui permettrait de faciliter les attributions.

M. Loïc Hervé , rapporteur pour avis . - Je partage l'essentiel des recommandations que vous formulez à la fin du rapport qui permettent d'éviter au maximum le caractère parfois trop discrétionnaire du préfet dans les choix qu'il est amené à opérer ou dans les critères qu'il serait amené à fixer en tournant le dos, à la fois à l'esprit du législateur mais également à l'association nécessaire des élus. Vous n'allez certes pas jusqu'à proposer une départementalisation de la DSIL. Cependant, dans vos recommandations, vous renforcez les prérogatives des membres de la commission DETR et vous invitez le préfet à être plus transparent et plus communiquant vis-à-vis de cette commission d'élus, ce qui ne peut que renforcer les liens entre les préfets de département et cette commission DETR. Je partage également vos recommandations sur la dimension contractuelle des projets afin de la renforcer mais aussi afin qu'elle ne soit pas le seul cadre d'intervention de l'État en matière de subventions d'investissement d'autant que ces politiques contractuelles recyclent des crédits déjà existants, sans dotation supplémentaire. Je tenais à vous faire part de ma totale disponibilité pour travailler et avancer avec vous sur ces sujets.

M. Bernard Delcros , président . - On constate effectivement une évolution de la nature des dotations, qui étaient libres l'emploi et qui aujourd'hui sont absorbées par des programmes nationaux et des politiques contractuelles, ce qui pénalise principalement les petites communes. À cet égard, y a-t-il des différences entre départements ou cette tendance est-elle généralisée ? Je suis très favorable à vos recommandations qui visent à éviter ce phénomène. Il y a même un risque, à terme, que la totalité de la DETR soit absorbée par les CRTE et les politiques partenariales. Concernant la DSIL, il serait intéressant de disposer d'éléments sur les critères qui sont retenus pour la redistribution de cette enveloppe entre les départements et plus généralement de se poser la question du bon niveau de la décision d'octroi de cette dotation : régional ou départemental.

M. Michel Canévet . - Je voudrais savoir si l'inventaire fait par les rapporteurs spéciaux est exhaustif concernant les dotations d'investissement ou s'il existe encore de la réserve ministérielle ou bien des crédits au titre du Fonds National d'Aménagement et de Développement du Territoire (FNADT). Par ailleurs, effectivement, les actions partenariales, comme « Action coeur de ville » ou « Petites villes de demain » se font dans le cadre des crédits qui sont alloués à la DETR et à la DSIL sans enveloppe spécifique. Aussi, la recommandation n° 11 prévoit un quota indicatif de subventions qui seraient réservées à des opérations hors cadre contractuel. Les rapporteurs envisagent-ils une part majoritaire ou ne souhaitent-ils pas préciser ce quota à ce stade ?

Par ailleurs, les commissions DETR doivent aujourd'hui donner un avis sur les propositions d'attribution de subventions supérieures à 100 000 euros. Ne serait-il pas souhaitable d'abaisser ce seuil à 50 000 euros, afin d'éviter que les commissions ne soient que informées des opérations financées sans que les élus aient leur mot à dire sur les attributions décidées par le corps préfectoral ?

De surcroit, le dispositif est-il réellement simple pour les collectivités, sans trop de formalités administratives pesant sur les demandes de financement ?

Enfin, le dernier point que je souhaiterais aborder est celui de la nomination des membres de la commission DETR, notamment des parlementaires. Le système pourrait-il être simplifié afin que les commissions soient plus rapidement opérationnelles ?

M. Thierry Cozic . - Ce travail témoigne de ce qui se passe aujourd'hui dans les territoires en matière d'attribution de ces crédits, qui est donc discrétionnaire. Le niveau d'information des commissions DETR est très différent en fonction des préfets, ce qui me parait pénalisant pour les élus.

Aussi, je me demande si les commissions ne devraient pas être sollicitées pour tous les demandes de subventionnement de projet, et ce dès le premier euro et non pas uniquement pour les opérations de plus de 100 000 euros. Par ailleurs, ne faudrait-il pas étendre les compétences de ces commissions à l'ensemble des dotations d'investissement, notamment la DSIL, sur laquelle les élus n'ont actuellement aucun regard, ou alors trouver une alternative qui consisterait à renforcer le rôle de ces commissions afin de rendre plus transparentes les attributions ?

M. Antoine Lefèvre . - Merci à nos deux rapporteurs spéciaux pour la présentation de ce rapport, particulièrement éclairant dans une période à risque pour nos collectivités territoriales. Il est vrai que leur relative bonne santé financière a été soulignée récemment par le Cour des comptes. Mais on peut aussi s'attendre à ce qu'elles soient fortement affectées par la spirale inflationniste actuelle et ses conséquences, avec notamment l'augmentation du point d'indice des fonctionnaires qui représente un coût prévisionnel d'environ 1,1 milliard d'euros en 2022.

Je voulais également évoquer la dégradation de l'épargne brute des collectivités qui va porter un coup assez rude à leurs investissements, alors qu'ils avaient connu une certaine reprise depuis 2021.

Je rejoins les rapporteurs sur leur proposition concernant la DETR. Et quand on évoque la DETR, je n'oublie pas non plus que lorsque l'on avait supprimé la réserve parlementaire il y a cinq ans, l'État s'était engagé à ce que les crédits soient intégralement préservés pour les collectivités, notamment en abondant de façon équivalente la DETR. Je voulais donc savoir si l'on avait une étude ou si l'on savait, soit par département, soit au niveau global, ce qui était autrefois réservé à cette dotation d'action parlementaire et si cela a bien été redonné aux collectivités via la DETR ou la DSIL.

Mme Sylvie Vermeillet . - Je souhaiterais aborder trois points.

Le premier porte sur la répartition nationale de la DETR entre les départements. J'ai compris que celle-ci s'effectuait sur la base de quatre critères d'égale importance : la population des EPCI éligibles, le potentiel fiscal des EPCI éligibles, la densité départementale et le potentiel financier des communes éligibles. Ne croyez-vous pas que cette répartition de l'enveloppe nationale dévoie la DETR ? Je souscris à ce que Bernard Delcros a évoqué : la DETR doit viser les territoires ruraux.

Par ailleurs, concernant l'attribution de la DETR, je vous rejoins parfaitement sur le fait qu'il ne devrait pas y avoir de fléchage automatique sur les politiques nationales. Les besoins des territoires doivent rester la seule priorité. Mais une autre forme de fléchage est à craindre : dans mon département, l'attribution de la DETR bénéficie désormais dans sa quasi-totalité aux EPCI. Je voudrais donc connaître votre point de vue sur cette évolution, qui m'inquiète. Disposez-vous d'éléments sur la répartition de la DETR entre EPCI et communes ?

Enfin, le dernier point que je souhaite évoquer concerne la conjoncture marquée par la hausse du coût des matières premières et de l'énergie et les charges exceptionnelles que celle-ci entraîne pour les collectivités. Une fois que la DETR a été notifiée, le préfet n'a pas la possibilité de réviser le montant attribué, même si les communes font finalement face à des surcoûts élevés. Avec éventuellement une DETR supérieure, pensez-vous que l'on pourrait permettre au préfet d'accompagner davantage, par la DETR, les projets impliquant les marchés les plus affectés par la hausse des prix ? À défaut, les collectivités risquent d'abandonner purement et simplement le projet et ne plus réaliser l'opération prévue.

M. Patrice Joly . - Merci aux rapporteurs spéciaux pour la liste précise qu'ils ont dressée de ces interventions de l'État.

Nous sommes très loin de l'esprit de la décentralisation et de l'esprit du dispositif à l'origine de la DETR, la dotation globale d'équipement (DGE), qui s'est elle-même inspirée de l'initiative prise par Maurice Faure dans le Lot, Philippe Madrelle en Gironde et François Mitterrand dans la Nièvre, qui consistait à extraire une enveloppe du budget qui était géré dans les années 1970 par le préfet pour la remettre aux conseillers généraux à l'époque.

On en est très loin aujourd'hui, avec une DETR orientée vers les dispositifs contractuels et qui est même parfois dévoyée. Je ne sais pas si c'est le cas dans tous les départements mais dans le mien, par exemple, les rénovations de gendarmerie sont portées par les communes, soucieuses de garder des moyens de sécurité en rapport avec les besoins. Aujourd'hui, entre 500 000 et 1 million d'euros sur une enveloppe de 12 millions d'euros sont ainsi attribués à des projets d'investissement qui relèvent pourtant très clairement de la compétence de l'État.

Par ailleurs, comme vous l'avez rappelé, l'évolution des crédits n'est pas en rapport avec la dynamique des investissements, notamment parce qu'il y a des besoins nouveaux qui s'imposent aux collectivités. Je pense en particulier aux investissements en matière de réseau d'eau ou de stockage d'eau qui sont liés aux problématiques climatiques que vous connaissez.

S'agissant de la DSIL, je serais curieux également de connaître les modalités de répartition des crédits entre les départements ainsi que votre analyse quant à leur caractère péréquateur. Ma crainte est, en effet, que ce dispositif soit plutôt anti-péréquateur, comme c'est le cas des dispositifs de soutien aux collectivités prévus par le plan de relance. En effet, si les enveloppes du plan de relance avaient été attribuées en fonction du nombre d'habitants, 330 millions d'euros auraient dû être attribués à mon département. Or celui-ci n'a bénéficié in fine que de 200 millions d'euros.

M. Bernard Delcros , président . - Pour mémoire, en effet, la DETR est née de la fusion de la DGE et de la dotation de développement rural (DDR).

M. Jean-Claude Requier . - Patrice Joly a rappelé les origines de la DETR avec la DGE, qui permettait l'attribution d'enveloppes cantonales. C'était un moyen de ne pas trop impliquer le préfet dans la répartition des crédits et de déléguer une enveloppe à chaque conseiller général, quelle que soit sa couleur politique. Ainsi, le conseiller général était maître d'une partie de la voirie et des investissements. C'était un très bon système qui a été en effet inspiré de celui mis en place par François Mitterrand dans la Nièvre et par Philippe Madrelle en Gironde.

Je voulais quand même saluer l'augmentation des dotations de l'État puisque, dans mon département, la DETR a beaucoup augmenté. Des projets sont subventionnés à 80 %, ce qui était auparavant inenvisageable.

Par ailleurs, je relève qu'on demande davantage de transparence à l'État. Ne faudrait-il pas exiger la même transparence des conseillers régionaux et départementaux ? La pratique varie, en effet, peut-être suivant les régions et les départements.

Enfin, je souhaite exprimer mon regret de la disparition de la réserve parlementaire. Au-delà des moyens financiers qu'elle apportait, ce dispositif avait l'avantage d'informer les parlementaires des projets d'investissements portés par les communes de nos départements, que les maires nous faisaient remonter.

M. Bernard Delcros , président . - Merci à chacun d'entre vous pour l'ensemble de ces questions et observations sur ce sujet qui, évidemment, nous concerne particulièrement.

Je voudrais simplement faire deux remarques avant de donner la parole à nos deux rapporteurs spéciaux. La DSIL a été créée essentiellement pour accompagner les contrats de ruralité qui ont été institués au même moment. Ce qui amène au questionnement suivant : ne faudrait-il pas que la DSIL soit prioritairement orientée vers les CRTE et que la DETR reste fidèle à son esprit d'origine, à savoir tournée vers le soutien des projets des territoires les plus ruraux ?

Par ailleurs, pour rebondir sur l'observation de Sylvie Vermeillet, j'observe qu'aujourd'hui certaines intercommunalités perçoivent la DETR afin de réaliser des projets situés dans des communes qui ne sont pas éligibles à la DETR.

M. Charles Guené , rapporteur spécial . - Plusieurs collègues ont abordé la question d'une départementalisation de la DSIL. Nous sommes, pour notre part, attachés à préserver la complémentarité qui existe entre la DETR et la DSIL. On observe en effet que la première permet le financement de plus petits projets, avec des taux de subvention plus élevés, tandis que la seconde subventionne des projets plus importants, avec la possibilité de réaliser des arbitrages au niveau régional pour cibler les projets supposés les plus structurants.

Dans le cadre de nos travaux, nous avons visité quatre départements qui présentaient des caractéristiques très différentes. Nous avons pu nous apercevoir que les pratiques pouvaient effectivement varier en fonction des territoires, mais aussi des préfets ou encore des conseils départementaux et régionaux. J'observe, par exemple, qu'un territoire comme le mien, la Haute-Marne, bénéficie d'une enveloppe de DETR relativement importante si on la rapporte à sa population, puisque celle-ci est presque égale à celle attribuée au Bas-Rhin, ce qui traduit une forme de péréquation.

Il est ainsi relativement plus simple de distribuer l'enveloppe de DETR entre les différents projets dans un département comme le mien. En outre, en Haute-Marne, le préfet se montre particulièrement soucieux de financer, par la DETR, une partie des études préalables, ce qui est favorable aux plus petites communes disposant de peu de moyens d'ingénierie. Nous pensons que cette pratique pourrait être développée dans d'autres départements.

Je ne partage pas l'analyse de Sylvie Vermeillet selon laquelle la DETR serait dévoyée lorsqu'elle est attribuée à un EPCI. Les intercommunalités se sont en effet saisies de nombreuses compétences ces dernières années, même dans les départements ruraux. Il est normal qu'elles bénéficient des attributions de DETR en lien avec les projets d'investissement qui correspondent à l'exercice de ces compétences.

Plusieurs collègues ont également exprimé le souhait d'abaisser ou de supprimer le seuil au-delà duquel la commission DETR est consultée par le préfet pour l'attribution des projets, aujourd'hui fixé à 100 000 euros. Une telle proposition engendrerait selon nous un engorgement des travaux de ces commissions, préjudiciable à leur bon fonctionnement.

M. Claude Raynal , rapporteur spécial . - Concernant les critères départementaux de répartition de la DSIL, celle-ci est, dans les faits, souvent corrélée à la densité de population du département. Il nous a paru important de ne pas fixer une règle trop précise pour conserver la souplesse d'attribution de la dotation. Par exemple, un département qui bénéficie généralement d'enveloppes limitées peut mener un projet de grande ampleur nécessitant une DSIL plus importante : il faut laisser cette capacité d'arbitrage au préfet. Nous demandons, en revanche, que le résultat de cet arbitrage soit formulé assez tôt, de manière à ce que le préfet de département puisse disposer d'une visibilité suffisante sur les projets qui pourront être soutenus. Plus les attributions de la DSIL sont tardives, comme c'est le cas dans certaines régions, plus les préfets de département, et en aval les collectivités et les projets, demeurent dans l'attente. Nous vous proposons donc de fixer une procédure d'arbitrage incluant une date limite.

Pour répondre à Michel Canévet, la réserve ministérielle n'existe plus. Le FNADT, qui quant à lui existe heureusement toujours, finance entre autres la participation de l'État à certaines politiques contractuelles.

S'agissant du périmètre d'examen des projets dans les commissions DETR, je pense que dans l'hypothèse où nous devrions examiner tous les projets, nous serions amenés à nous pencher sur des sujets d'intérêt moindre. Il faut donc un seuil. Il y avait eu au Sénat une proposition d'abaissement de celui-ci à 80 000 euros. Il est certain que la situation est variable selon les territoires. Dans des départements comme le Rhône ou la Haute-Garonne, les gros projets sont nombreux. Dans d'autres, comme la Haute-Marne, les projets de plus de 100 000 euros ne sont pas si fréquents, alors même que les enveloppes DETR sont globalement les mêmes dans les territoires ruraux et urbains - ce qui favorise les territoires ruraux. Dans les départements métropolitains, un petit nombre de projets mobilisent l'essentiel des crédits DETR et il est compliqué pour des communes d'obtenir des financements destinés à des projets de plus faible ampleur. À l'inverse, dans les départements très ruraux, il reste des marges pour des études financières anticipées. Les pratiques sont cependant très variables selon les départements et les préfets, qui n'ont ni les mêmes orientations ni les mêmes modes de discussion avec les élus locaux. La dimension personnelle joue donc en pratique un rôle important.

M. Charles Guené , rapporteur spécial . - Cette dimension personnelle peut également faciliter ou à l'inverse rendre plus complexe la mise en place de « guichets uniques » pour l'attribution des différentes subventions et répondre ainsi à la demande clairement exprimée par les élus d'une meilleure articulation des interventions des différents financeurs. Dans les départements où les préfets ont l'expérience du terrain, les échanges sont plus fluides avec les préfectures de régions et les élus locaux.

M. Claude Raynal , rapporteur spécial . - En effet. Michel Canévet a abordé à cet égard la question de la complexité des formalités administratives nécessaires au montage des dossiers. On a parfois l'impression que le rejet de certains projets, au motif que le dossier serait incomplet, est parfois utilisé comme un moyen de tenir dans l'enveloppe attribuée, qui est toujours entièrement consommée. À moins bien sûr que le montant des enveloppes ne corresponde exactement, par extraordinaire, au montant total des projets capables de présenter un dossier complet dans le département...

Dans certains départements, des plateformes communes de demande ont été mises en place pour harmoniser les pièces demandées par les différents financeurs, mais c'est encore assez rare. L'État, les conseils départementaux ou selon les cas les conseils régionaux invoquent l'incompatibilité de leurs systèmes d'information. Nous recommandons qu'à tout le moins les différents partenaires puissent harmoniser leurs délais limites. Dans la mesure où les dispositifs peuvent être mobilisés conjointement sur un même dossier, le désalignement des calendriers administratifs complexifie parfois fortement le démarrage des projets.

On observe en effet certaines réticences à s'engager dans ce type de démarche, car chaque financeur tient à préserver l'identité de son dispositif. C'est même parfois à se demander s'ils ne se livrent pas le concours de celui qui apposera sur le chantier le plus gros panneau avec le logo de son dispositif. Il y a de réels progrès à faire en la matière, pour mieux aider les collectivités.

Comme Charles Guené, je ne crois pas à la suppression du seuil déclenchant la saisine consultative de la commission DETR, même si son niveau peut bien sûr être discuté.

Plusieurs d'entre vous nous ont également interrogés sur les modalités de répartition des enveloppes entre les départements et les régions. Dans le cadre du présent rapport, nous ne nous sommes pas penchés sur cette question, qui a été très largement traitée par les rapports récents de nos collègues députés François Jolivet et Christine Pires Beaune. Nous vous y renvoyons.

En réponse à l'observation de Sylvie Vermeillet, je pense que les préfets ont bien à l'esprit, dans leurs décisions d'octroi des dotations, les problématiques liées à l'impact de l'inflation, ne serait-ce que parce que la capacité effective des collectivités à mener le projet jusqu'à son terme est pour eux un critère important de sélection. Une instruction du ministère pourrait éventuellement les inviter à se montrer vigilant sur cette question, mais j'imagine mal comment l'on pourrait édicter une règle générale en la matière. Toutes les collectivités n'ont pas la même capacité à puiser dans leur épargne pour absorber le choc inflationniste.

S'agissant de la question de la répartition des attributions de subventions entre EPCI et communes, la situation peut fortement varier d'un département à l'autre : en Lozère par exemple, les EPCI ont perçu 5,6 millions d'euros contre 8,8 millions d'euros pour les communes, tandis que dans l'Oise les EPCI ont perçu 2,3 millions d'euros contre 12 millions d'euros pour les communes. J'ajouterais que les CRTE ont été conclus au niveau des intercommunalités. Il est possible que les communes puissent ainsi moins facilement demain émarger aux dotations d'investissement et que le développement de la logique contractuelle entraîne une augmentation de la part des intercommunalités.

Je rejoins par ailleurs l'analyse de Patrice Joly : la rénovation des gendarmeries devrait être financée par l'État et non par la DETR.

M. Bernard Delcros , président . - Je vous remercie.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et a autorisé la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

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