EXAMEN EN DÉLÉGATIONS

Lors de leur réunion conjointe du 29 septembre 2022, la délégation aux collectivités territoriales et la délégation aux entreprises ont autorisé la publication du présent rapport.

Mme Françoise Gatel, présidente. - J'ai le grand plaisir d'ouvrir cette réunion conjointe à la délégation aux collectivités territoriales et à la délégation aux entreprises, consacrée à la présentation des conclusions de la mission de contrôle sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. C'est la deuxième fois que nous collaborons ainsi, après nos travaux sur la cybersécurité.

Je salue le quatuor qui a oeuvré sur ce rapport : Rémy Pointereau, Sonia de La Provôté, Serge Babary, président de la délégation aux entreprises, et Gilbert-Luc Devinaz.

Vous n'ignorez pas que ce sujet est, depuis des années, une forte préoccupation de notre délégation. MM. Rémy Pointereau et Martial Bourquin ont été pionniers en la matière. Sur leur initiative, le Sénat a adopté de nombreuses mesures qui sont inscrites dans la loi de 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Élan, et qui ont été validées en 2020 par le Conseil constitutionnel, ce dernier ayant consacré la revitalisation des centres-villes comme « un objectif d'intérêt général ».

La boulimie législative nous laisse peu de temps pour mener les études d'impact. Il nous faut davantage examiner les conséquences des lois que nous votons. C'est tout l'intérêt du travail de nos délégations, fortes de leur liberté de ton.

Qu'en est-il sur le terrain près de quatre ans après le vote de la loi Élan ? Quelle est la valeur ajoutée des deux programmes « Action coeur de ville » (ACV) et « Petites villes de demain » (PVD), pilotés par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ? Cette dernière avait suscité quelques doutes lors de sa création ; elle fait l'objet, de la part de notre délégation, d'une « filature exigeante et bienveillante », puisque nous évaluons régulièrement son efficacité et sa diffusion dans les territoires. M. Charles Guéné et Mme Céline Brulin conduisent actuellement un travail d'évaluation de cette agence. Je suis heureuse de constater que votre travail a abouti à un véritable rapport d'évaluation de politique publique, en l'espèce de la politique de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. C'est une nouveauté tout à fait conforme à l'article 24 de la Constitution. Le Sénat est très attaché à sa mission d'évaluation.

M. Serge Babary, président, rapporteur. - La dévitalisation des centres a longtemps été un phénomène occulté par les pouvoirs publics. C'est pourquoi, dès 2016, le Sénat s'était préoccupé de la désertification des centres-villes et centres-bourgs, qui déséquilibre les territoires, fragilise les économies locales et affecte le lien social.

Le Sénat a ainsi inséré plusieurs dispositions dans la loi Élan de 2018 et a contribué à l'émergence des programmes de revitalisation ACV et PVD. Pilotés par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), ces programmes ont été lancés respectivement en décembre 2017 et octobre 2020.

Plusieurs interrogations étaient au coeur de notre mission. Quel a été l'effet concret de la loi Élan sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs en France ? Permet-elle désormais d'analyser les effets des projets commerciaux sur la revitalisation du tissu commercial du centre-ville ? L'essor considérable de l'e-commerce et des dark stores doit-il conduire à des adaptations normatives, ou les documents d'urbanisme suffisent-ils, à droit constant, pour assurer la régulation des nouveaux entrepôts ? Peut-on tirer un premier bilan des opérations de revitalisation des territoires (ORT) et du programme ACV ? Quelles sont les attentes des élus concernant le récent programme PVD ?

C'est pour répondre à l'ensemble de ces questions que nous avons réalisé vingt-neuf auditions, quatre déplacements et deux consultations en ligne auprès des élus locaux et des acteurs des programmes ACV et PVD. Nous vous avons présenté, le 7 juillet dernier, les résultats chiffrés de ces deux consultations.

Au terme de ce long travail, la mission propose quatorze recommandations.

Notre collègue Sonia de la Provôté va présenter le premier bilan que nous tirons de la loi Élan.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - Nous tirons un premier bilan globalement positif du volet « revitalisation » de la loi Élan, qui a été inspiré par une proposition de loi sénatoriale, votée à l'unanimité, plébiscitée par les élus locaux et les deux chambres. Le Gouvernement avait souhaité l'insérer dans la loi Élan, qui ne traitait pas de la revitalisation. L'ORT est un outil partenarial vertueux, apprécié des élus locaux, et l'analyse d'impact du projet commercial est un nouvel outil efficace, quand il est connu et utilisé.

L'ORT, mesure inspirée des propositions sénatoriales, notamment du dispositif « Oser », constitue le coeur du volet « revitalisation » de la loi Élan. Elle permet aux élus de mettre en oeuvre un « projet global de territoire », selon un périmètre donné. Une nouvelle disposition issue de la loi dite 3DS, à savoir l'ORT multisites, peut rassembler plusieurs communes autour d'une même ingénierie. Matérialisée par une convention signée entre la ville, l'intercommunalité et l'État, l'ORT confère aux communes signataires une palette d'outils juridiques et fiscaux pour renforcer l'attractivité commerciale en centre-ville et moderniser le parc de logements. Toute revitalisation est nécessairement multi-axes.

Citons les principales mesures : dispense d'autorisation d'exploitation commerciale en centre-ville ; possibilité de suspension de projets commerciaux périphériques ; accès prioritaire aux aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) ; éligibilité au dispositif fiscal Denormandie dans l'habitat ancien ; renforcement du droit de préemption ; obligation d'information du maire et du président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) six mois avant la fermeture d'un service public.

Ainsi, 60 % des élus consultés dans le cadre de la mission estiment que ces mesures contribuent à la revitalisation. Pourtant, seule la moitié des élus déclarent connaître le fonctionnement et le contenu des ORT, qui sont des outils très intéressants de planification urbaine sur le temps long. Cela nous conduit à faire une recommandation permettant de combler ce déficit de notoriété des élus concernant la politique de revitalisation. Beaucoup ignorent par exemple l'efficacité de certaines des mesures précitées. L'État doit mieux communiquer.

Nous notons également que le principe général d'interdiction de création ou d'extension de projets d'équipement commercial qui conduiraient à une artificialisation des sols, principe posé par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, peut contribuer à un opportun rééquilibrage centre/périphérie, même s'il faut rester vigilant en la matière.

En réalité, au-delà des mesures précises, mal connues des élus, ces derniers apprécient surtout la dynamique créée par les ORT. Elles permettent en effet un espace de dialogue et un mode de gouvernance favorables à la conduite des projets de revitalisation.

Nous tirons donc un premier bilan plutôt positif des ORT.

J'en viens à l'analyse d'impact des projets commerciaux, autre mesure phare de la loi ÉLAN.

Issue d'une proposition du Sénat, l'obligation d'une analyse d'impact du projet commercial envisagé est une avancée considérable. Elle doit notamment évaluer les effets du projet sur l'animation et le développement économique du centre-ville de la commune, des communes limitrophes et de l'EPCI, ainsi que sur l'emploi - cette mesure est en vigueur depuis très longtemps en Allemagne - et démontrer qu'aucune friche existante en centre-ville, ou à défaut en périphérie, ne permet l'accueil du projet envisagé.

Le bilan de l'analyse d'impact est globalement positif. Toutefois, nous avons relevé deux difficultés au cours de notre mission.. Premièrement, les porteurs de projets présentent trop souvent des analyses d'impact incomplètes ou imprécises, de sorte que les effets du projet sur la revitalisation n'apparaissent pas toujours clairement. En outre, l'indépendance des organismes chargés de les réaliser, mais rétribués par les porteurs de projets, pose question. Deuxièmement, le test anti-friches se heurte à la difficulté d'identifier et de répertorier les friches. Voilà aussi un problème d'ingénierie : évaluer le potentiel de réutilisation d'une friche demande une bonne expertise.

M. Serge Babary, président, rapporteur. - Nous présentons plusieurs recommandations pour redynamiser la politique de revitalisation.

Première recommandation : « muscler » le dispositif Denormandie d'aide fiscale à la rénovation de l'habitat ancien, d'une part, en l'étendant aux locaux commerciaux, d'autre part, en le faisant mieux connaître. Le dispositif de base reste très peu connu et très peu utilisé. La plupart du temps, les locaux commerciaux sont imbriqués dans l'habitat, ce qui demande des adaptations d'urbanisme.

Deuxième recommandation : affranchir les actions de revitalisation en ORT des règles contraignantes du « zéro artificialisation nette ». En effet, les règles de sobriété foncière ne doivent pas nuire aux indispensables actions de revitalisation dans les territoires fragilisés, sans quoi nous les achèverons.

Troisième recommandation : utiliser davantage les documentations de planification urbaine pour agir dans un cadre supra-communal, et limiter ainsi le risque de concurrence entre territoires, notamment pour réguler les dark stores. Dans ce cadre, la mission suivra avec intérêt les évolutions réglementaires annoncées par le Gouvernement pour qualifier d'entrepôts ces dark stores, même dotés d'un point de retrait.

Quatrième recommandation : renforcer le contrôle préfectoral des implantations commerciales en périphérie. Le contrôle est faible, et la surface commerciale vient souvent empiéter sur les réserves.

Cinquième recommandation : s'assurer de la mise en oeuvre des dispositions de la loi 3DS visant à limiter l'ouverture dominicale des grandes surfaces en périphérie.

M. Gilbert-Luc Devinaz, rapporteur. - Nous estimons que les dispositions de la loi Élan ont eu un effet globalement positif sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs. Il faut s'en féliciter, car le Sénat est largement à l'origine de ces mesures, proposées à la suite d'un travail transpartisan.

En revanche, l'appréciation que nous portons sur les programmes ACV et PVD est beaucoup plus nuancée. En effet, si les élus sont enthousiastes sur la méthode, ils jugent les financements très insuffisants et la mise en oeuvre trop lourde et complexe.

Nous formulons dans notre rapport trois constats concernant les programmes : la méthode, appréciée des élus locaux, crée une dynamique de revitalisation ; cependant, le sous-financement crée des frustrations chez les élus ; enfin, la mise en oeuvre est complexe et difficilement évaluable.

Pour ce qui est de la méthode, les programmes ACV et PVD ont plusieurs atouts. Premièrement, ils proposent une méthode pour lancer, accélérer ou structurer une dynamique locale de revitalisation qui part des besoins du terrain. Deuxièmement, ils incitent à construire une stratégie transversale : il faut désormais penser la revitalisation de manière globale en y intégrant les services publics, les équipements sportifs, les professionnels de santé, la culture, le patrimoine, les espaces verts et le stationnement. Troisièmement, ils renforcent une démarche partenariale avec l'État et les partenaires des programmes. Quatrièmement, ils permettent le recrutement des chefs de projets, élément très apprécié par les élus rencontrés.

Les élus jouent un rôle décisif dans ces dynamiques et portent avec enthousiasme ces politiques de revitalisation. Deux points importants ressortent des auditions : la coopération interterritoriale est une clé de la réussite des programmes et ces programmes accompagnent un changement de perception des villes petites et moyennes.

En ce qui concerne le sous-financement, ces programmes ACV et PVD font l'objet de cinq critiques fortes sur le volet financier.

Première critique : l'évaluation financière par la mission conjointe de contrôle démontre que les communes ACV n'ont pas d'accès prioritaire aux dotations de l'État. Globalement, la part des subventions qu'elles reçoivent sur ces dotations a même diminué entre 2018 et 2021. Pour faire face à ce désengagement, la mission préconise de créer un fonds d'équipement dédié, doté de 2 milliards d'euros, sur la durée restante des programmes.

Deuxième critique : les subventions pèsent trop peu dans l'enveloppe globale. En effet, les élus ont pu croire que les programmes ACV et PVD leur donnaient accès à des subventions, respectivement de 5 milliards d'euros et 3 milliards d'euros. Or la majorité des aides de l'État et de ses partenaires sont en réalité des prêts, des prises de participation et des aides aux bailleurs privés. Par exemple, les dotations de l'État dans le cadre d'ACV ne représentent que 600 millions d'euros sur les 5 milliards de l'enveloppe du programme.

Troisième critique : les aides de l'État et des partenaires demeurent insuffisantes. Même en prenant en compte toutes les aides, quelle qu'en soit leur nature, elles représentent, en moyenne, moins de 25 % des plans de financement des projets ACV. La politique de revitalisation des centres-villes est donc essentiellement financée par les collectivités territoriales elles-mêmes.

Quatrième critique : les collectivités n'ont généralement pas de visibilité pluriannuelle des financements et doivent donc composer au coup par coup, en tenant compte en outre de multiples appels à projets qui interfèrent avec le calendrier et le projet lui-même. Cette situation génère une grande incertitude sur une politique publique qui a besoin de perspectives claires.

Enfin, cinquième critique : le volet commercial des opérations de revitalisation n'est pas suffisamment développé.

Au regard de ces éléments, de nombreux élus présentent ces programmes comme une « grande illusion », une « machine à frustrations », voire « un pur produit marketing ».

M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Troisième et dernier constat, la mise en oeuvre est complexe et difficilement évaluable. En effet, la stratégie de revitalisation des villes ACV doit se décliner sur cinq axes thématiques qui imposent aux collectivités un formatage de leurs objectifs. Les programmes ont souvent été menés « à marche forcée ». Le contexte local n'est pas toujours suffisamment pris en considération. Des critères nationaux sont ainsi imposés à des logiques locales. Le fonctionnement des programmes est jugé lourd et bureaucratique.

Ces programmes rassemblent des villes très hétérogènes dans leurs caractéristiques et leur dynamique de développement. C'est pourquoi notre rapport plaide pour une différenciation plus forte dans l'accompagnement des villes partenaires de ces deux programmes.

Les objectifs des programmes demeurent flous à l'échelon tant national que local. S'ils traduisent une prise en considération de la France rurale et périphérique, longtemps oubliée des politiques nationales d'aménagement du territoire, les objectifs attendus de la revitalisation ne sont ni chiffrés ni facilement évaluables, notamment pour les programmes ACV. Peu de communes sont engagées dans des processus d'évaluation complets. L'objectif de revitalisation est mesuré seulement par des critères sur la vacance commerciale et le logement, alors qu'il faudrait se concentrer sur tous les dispositifs structurants qui permettront d'attirer dans les centres les emplois, les commerces, les services publics, les professionnels de santé, les activités culturelles ou les équipements sportifs.

Nous faisons un certain nombre de propositions.

Face au constat de la satisfaction que suscitent les deux programmes ACV et PVD, la mission propose d'assurer leur pérennité jusqu'à la fin du prochain mandat municipal 2026-2032, notamment pour le programme PVD. Nous voulons avant tout prolonger les temps de réalisation des programmes existants, pour pallier les retards liés à la pandémie et l'augmentation des coûts de production.

Face aux constats sur le sous-financement et les frustrations que ces programmes suscitent, la mission recommande de créer un fonds dédié, complémentaire des fonds existants que sont la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (Dsil). Trop souvent, la DETR est ponctionnée par les départements pour financer des infrastructures d'assainissement, d'adduction en eau potable ou de voirie. Ce fonds serait doté de 2 milliards d'euros sur la durée restante des programmes de revitalisation, c'est-à-dire jusqu'en 2026.

Nous proposons également de créer un fonds d'intervention pour le commerce. Le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) a disparu, ce que nous déplorons. Les élus rencontrent des problèmes, par exemple, d'adaptation des anciennes réserves commerciales en habitations. Nous proposons d'étendre le dispositif Denormandie aux locaux commerciaux, comme indiqué plus haut.

Nous proposons de réduire le nombre d'appels à projets et appels à manifestation d'intérêt, d'élaborer un agenda prévisionnel pluriannuel et de réaliser un document simple qui retrace l'intégralité des financements de l'État et des principaux partenaires.

Enfin, nous proposons de former les élus à la mise en oeuvre des nombreux outils existants en matière de maîtrise du foncier.

Face au constat de la complexité, des risques de standardisation et de la difficulté d'évaluer ces programmes, la mission présente plusieurs recommandations.

La première recommandation est de faciliter l'action des élus en simplifiant drastiquement les dispositifs ACV et PVD et en présentant les offres en fonction des besoins concrets des élus.

La deuxième recommandation est de notifier pour chaque ville - j'insiste sur ce point - l'enveloppe pluriannuelle prévisionnelle de l'État et de ses partenaires, à l'appui de son projet de revitalisation, pour la durée restante des programmes, afin de rassurer les élus.

La troisième recommandation est d'organiser une fois par an, sur la durée des programmes, à l'initiative du préfet de département, une réunion d'information ouverte aux élus au sujet de la politique de revitalisation, par exemple sur les évolutions législatives, sur l'actualité des deux programmes, sur des exemples de réussites de revitalisation ou sur des difficultés rencontrées.

La quatrième recommandation est de renforcer l'évaluation des programmes, au plan national et sur le terrain.

Je voudrais conclure sur deux points.

Le premier concerne l'exercice même d'évaluation. La mission d'évaluation des politiques publiques est au coeur de l'action du Parlement. Ces démarches demeurent trop rares. En conséquence, il nous appartient de contribuer à développer la culture de l'évaluation dans notre pays. C'est une exigence pour garantir l'efficacité de l'action publique, comme le montrent les exemples de nos voisins européens tels que les Pays-Bas ou l'Allemagne.

Le second point est qu'il n'y a pas de fatalité au déclin des centres. Les outils existent et les élus locaux font souvent preuve d'un volontarisme politique exemplaire. Au terme de ce travail, nous avons acquis la conviction qu'il est possible d'agir et d'enrayer le mouvement de fragilisation de nos centres, mais sans doute nous trouvons-nous à présent placés au pied du mur. Si rien n'est fait, la situation deviendra rapidement irréversible. Malgré le programme ACV, la vacance commerciale a augmenté de 1 % depuis 2018. La revitalisation touche à l'équilibre des territoires, au lien social et à l'identité de notre pays et de nos territoires. En somme, à ce qui nous est le plus cher.

C'est pourquoi nous déposerons une proposition de résolution qui pourrait être débattue en séance dès le 15 novembre prochain. Il nous faut maintenant transformer le verbe en action.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Ce rapport s'intéresse à ce qui fait le coeur de la France, à ce qui fait la vitalité des territoires et à ce qui participe de la cohésion sociale. Sans centre-bourg plein de vitalité, pas d'espace de rencontre, pas d'espace de cohésion ; ne restent que la déprise et la décroissance. Les enjeux sont majeurs.

En matière de financement, les idées sont nombreuses. La DETR augmente, certes, mais les programmes éligibles aussi, ce qui crée des tensions.

Les programmes ACV et PVD ont apporté de nouvelles capacités d'ingénierie, grâce à la présence de chefs de projet.

Il est désespérant d'avoir supprimé le Fisac. Les modes de commerce évoluent. Il serait souhaitable de sensibiliser nos concitoyens au bilan carbone du e-commerce. Outre les dark stores, se posent deux questions : la boulangerie de rond-point, qui participe de la dévitalisation des centres, et le commerce en kiosque et en self-service.

La vitalité des centres tient à tout un écosystème, à la présence de services comme les maisons France Services, les écoles de musique, les bibliothèques, les crèches, etc. Nous échangeons actuellement avec les ministères pour la rédaction du décret d'application qui permettra de trouver des accords locaux en matière d'ouverture dominicale.

Le logement va de pair avec les commerces. Pourquoi les communes PVD ne peuvent-elles pas bénéficier des aides d'Action Logement ? Les PVD subissent des contraintes architecturales et patrimoniales très importantes.

M. Bernard Delcros. - Mes chers collègues, je suis d'accord avec l'ensemble de vos observations.

Pour que ces actions soient efficaces, une inscription dans la durée et une visibilité à long terme sont nécessaires. Il faut du temps pour s'approprier des programmes comme le dispositif Denormandie : il faut donc les pérenniser.

De plus, l'animation territoriale est une condition essentielle pour revitaliser nos centres-bourgs, notamment dans les PVD et les collectivités en milieu rural, qui ne disposent pas de moyens d'ingénierie. Nous devons faire des propositions.

En matière de sous-financement, un fonds dédié est nécessaire. Sur le terrain, comme il n'existe pas de fonds dédié, soit la DETR est utilisée en priorité pour les PVD, au détriment d'autres communes, soit les financements ne sont pas disponibles. Un fonds dédié est la seule solution ; la DETR doit garder sa vocation première.

Les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) peuvent être un bon outil pour accompagner ces programmes. Cependant, ils n'ont pas été gérés comme des contrats, qui demandent des engagements dans la durée.

Enfin, les appels à projets sont trop nombreux. Quant à la différenciation des territoires, une différenciation des normes est aussi nécessaire : chaque territoire ne peut pas appliquer les mêmes normes. Nos guides doivent rester la responsabilité et le bon sens.

M. Hervé Gillé. - Je remercie nos collègues de leur travail très pertinent, qui permet de mettre en perspective des questions importantes, notamment les frustrations créées par ces différents programmes.

Avez-vous eu des retours, lors de vos auditions, sur la façon dont ces projets peuvent faire l'objet d'une coconstruction entre l'État et les différentes collectivités parties prenantes ? On devrait assister dans l'idéal à une véritable alliance pour former une task force dédiée à la mise en oeuvre de ces programmes. À mes yeux, c'est une condition sine qua non de réussite. Qu'en est-il sur le terrain ?

Je m'interroge aussi sur la façon dont ces dossiers s'insèrent dans une dynamique de territoire portée par les intercommunalités. Ils devraient idéalement être inscrits dans le cadre d'un programme pluriannuel d'investissements et accompagnés par l'intercommunalité, mais je ne suis pas certain que ce soit toujours le cas.

Enfin, quelques dérogations ont, me semble-t-il, été accordées pour que ces dispositifs puissent aussi bénéficier à plusieurs communes qui, en se regroupant, peuvent constituer une unité urbaine nouvelle. Pour ma part, je trouve cela très positif.

M. Didier Rambaud. - Ayant été maire d'un bourg-centre de 3 000 habitants, je suis passionné par la question de la revitalisation des centres-villes.

Si les élus locaux maîtrisent plutôt bien l'aménagement urbain, en particulier la création d'espaces ou d'équipements de convivialité, ils rencontrent davantage de difficultés sur la question du logement et du commerce de proximité, notamment parce qu'ils se heurtent au problème de la maîtrise du foncier.

Il y a quelques années, Jacqueline Gourault avait émis l'idée de créer des foncières pour aider les collectivités aux prises avec les logements inoccupés dans les centres-bourgs, les dents creuses et les ventes en cascade de locaux commerciaux. Où en est-on sur ce sujet essentiel de la maîtrise du foncier ?

Mme Françoise Gatel, présidente. - Le rôle des intercommunalités dans ces programmes pose en effet question. Des difficultés sont apparues par endroits, car, au sein d'un même EPCI, certaines communes peuvent être retenues, tandis que d'autres non.

Par ailleurs, la plupart des projets portés étant communaux, les intercommunalités ne peuvent pas assurer la maîtrise d'ouvrage.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - Je converge sur la nécessité d'une programmation pluriannuelle, y compris financière.

S'agissant des chefs de projet, un problème de financement se pose. L'État participe à hauteur de 75 % et pour trois ans seulement alors que les projets s'étalent souvent sur deux mandats municipaux.

Le problème du financement des programmes a été rapidement identifié. Les élus qui siègent dans les commissions d'attribution de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) l'ont bien constaté : si l'on veut que ces projets soient prioritaires, il faut flécher des crédits, mais cela se fait alors au détriment des autres communes. N'oublions pas qu'il y a seulement, en moyenne, deux programmes ACV par département, et beaucoup plus de villes éligibles. Le problème se pose de la même manière, avec encore plus d'acuité, pour le programme PVD. Il faudrait donc une enveloppe dédiée.

Vous avez aussi évoqué l'idée d'une task force. Des contrats de territoires régionaux ou départementaux existaient avant la mise en oeuvre des programmes PVD et ACV, mais, in fine, cette question rejoint celle de la DETR : pourquoi les territoires qui ne sont ni dans PVD ni dans ACV seraient-ils moins accompagnés ?

Des opérations de revitalisation des territoires (ORT) multisites existent par endroits, même si elles restent expérimentales. Il s'agit de plusieurs ORT sur différents périmètres qui s'imbriquent ensemble. Les échanges sont permanents au sein d'un territoire de vie, et, en effet, il est impossible de traiter la question de la redynamisation commerciale sans prendre en compte les différentes échelles du territoire.

Quant à la maîtrise du foncier, j'ai toujours pensé que c'était le nerf de la guerre. On ne manque pas d'outils. Les foncières existent, qu'il s'agisse des foncières commerciales à l'échelle des différentes collectivités ou des établissements publics fonciers (EPF). D'autres structures comme les sociétés d'économie mixte (SEM) d'aménagement peuvent aussi porter le foncier, à condition qu'elles aient le droit d'intervenir dans les ORT. En réalité, les élus ont surtout besoin d'être accompagnés pour trouver le bon outil.

Mais, en effet, quand les maires voient que de grands investisseurs achètent toutes les cases commerciales, y compris dans les territoires ruraux, dans la perspective du « zéro artificialisation nette » (ZAN), ils sont souvent démunis.

M. Rémy Pointereau, président de la mission conjointe de contrôle. - Les programmes ACV peuvent bénéficier des fonds d'Action Logement, ce qui n'est malheureusement pas le cas pour l'instant des projets PVD.

Quand on parle de différenciation des normes, il faut rappeler que le préfet dispose d'un pouvoir de dérogation. Mais il ne l'actionne que très rarement, car ce n'est pas dans la culture de l'État.

Sur la coconstruction des projets, c'est toujours le même problème : l'État lance des programmes et met ensuite les régions et les départements devant le fait accompli. Certaines collectivités suivent, d'autres plus difficilement, notamment pour des raisons financières. Il devrait y avoir davantage de coopération en amont entre l'État et les collectivités.

La gestion des projets au niveau intercommunal pose parfois problème, mais il arrive que les programmes PVD associent deux communes proches, avec des possibilités de mutualisation de moyens à la clé.

Le nerf de la guerre pour revitaliser les centres-villes, ce sont les commerces alimentaires. Parfois, quand elle joue le jeu, il peut être intéressant de s'appuyer sur la grande distribution pour l'installation de petits supermarchés.

M. Serge Babary, président, rapporteur. - L'attractivité des centres-villes et centres-bourgs passe en effet beaucoup par les petits commerces de détail.

Les résultats d'une enquête menée dans la région Centre par la chambre des métiers auprès des artisans et commerçants de proximité des 299 villes de moins de 2 000 habitants montrent que 10 % d'entre eux souhaitent quitter les centres-villes et centres-bourgs, essentiellement pour des problèmes d'agrandissement, de locaux obsolètes mal adaptés aux nouvelles formes de commerce et de coût des loyers. Dans une région assez active comme la nôtre, ce chiffre doit nous alerter et justifie pleinement notre proposition sur l'immobilier commercial. Les commerçants pointent aussi unanimement les problèmes de parking, y compris dans les petites villes.

Enfin, parmi ceux qui restent, 40 % estiment qu'ils ne sont pas sollicités pour participer à l'animation des centres-villes et centres-bourgs, ce qui doit aussi faire réfléchir.

Nous devons parvenir à concilier les attentes des élus et les besoins des entrepreneurs de proximité.

M. Gilbert-Luc Devinaz, rapporteur. - Je prendrai l'exemple des pharmacies, qui ont besoin de plus d'aires de stockage que par le passé. Dans mon département, le maire de Sain-Bel s'est heurté à des difficultés pour trouver des locaux plus grands pour sa pharmacie, entre refus de la préfecture, zones inondables et distance du centre-bourg... Heureusement, une solution a été trouvée grâce à la présence d'un chef de projet.

À Tarare, une commune en plein boom depuis l'inauguration de l'A89 - elle est désormais à trente minutes du centre de Lyon -, le maire n'arrivera pas à revaloriser les logements du centre s'il ne résout pas le problème des commerces. Les deux problèmes sont intimement liés.

Je ne saurais négliger l'ingénierie, j'ai fait toute ma carrière dans ce domaine, et c'est un point qui est revenu chez tous les élus, qui ont bien compris ses avantages ; cela a rassemblé, sur certains territoires, les chefs de projet.

S'agissant du financement, si une commune membre d'une intercommunalité bénéficie d'un label ACV ou PVD et capte en plus les fonds issus d'autres dispositifs, cela nuit à l'entente entre les membres des intercommunalités. Ensuite, il s'agit d'associer la population, ce qui est évidemment souhaitable. Quand les financements ne sont pas acquis, on a tendance à ne pas le faire, car c'est politiquement très dangereux. À Tarare, les commerçants ont été associés, et ont pu réinvestir eux-mêmes dans leurs boutiques, créant une dynamique.

L'implication de la région et des départements est très variable, mais l'État doit comprendre qu'il faut partir du terrain, avec l'aide de l'ingénierie.

M. François Bonhomme. - Une des recommandations concerne la possibilité pour les ORT de déroger aux règles du ZAN. À mon sens, c'est un préalable à toute action.

S'agissant de la DETR, nous connaissons tous les discussions avec le préfet sur les critères d'éligibilité, qui visent à ne pas diluer l'impact des projets. En effet, des critères trop larges finissent par nuire à l'efficacité des projets que nous soutenons.

On voit se multiplier les événements autour des « plus beaux villages de France » qui démontrent l'existence d'un vrai souci esthétique. A contrario, des inquiétudes se font jour sur les entrées de ville de certaines communes, au point que Paysages de France a créé « le prix de la France moche ». Il y a eu un enlaidissement des périphéries de villes, avec ces ronds-points sur lesquels sont posés des blockhaus en tôle ondulée proposant des pizzas surgelées jour et nuit. Ne peut-on pas proscrire ces opérations ? Quel est le gain pour la collectivité ? Les commerces de ce genre se multiplient à proximité de ces ronds-points, peut-être faut-il être plus prescriptif. Certes, l'esthétique ne peut être définie par la loi, mais il existe des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) et d'autres leviers qui doivent prendre en compte le développement durable. Quand on voit ce que devient un bâtiment moche qui vieillit, on devrait pouvoir être plus directif !

M. Rémy Pointereau, président de la mission conjointe de contrôle. - C'est une double peine, et pour le centre-ville et pour les commerces du centre-bourg, parce que les habitants ne font plus leurs courses que dans ces zones de ronds-points.

Mme Sylvie Robert. - Nous avons déjà eu ce débat sur la France moche et sur les zones d'aménagement économique et la situation s'est encore aggravée, à cause de la notion de service immédiat.

Je voudrais revenir sur la dimension culturelle, de plus en plus présente. Elle est liée à l'attractivité, parce qu'elle favorise l'arrivée de nouveaux habitants. J'ai vu ainsi des aménagements de granges permettant d'accueillir des artistes en résidence, qui ensuite achètent, et font venir d'autres personnes. Le problème est le financement. Il ne s'agit pas de faire des tiers lieux, je n'en peux plus de ce mot ! Les maires me parlent de cela, mais on ne sait pas ce que c'est, ça ne sera qu'un effet d'aubaine, du financement sans méthodologie. Nous avons travaillé, avec Sonia de La Provôté, sur l'impact du covid sur le secteur culturel. Il nous semblait que, dans les crédits des directions régionales des affaires culturelles (Drac), on pourrait réserver une enveloppe de 10 %, par exemple, pour des projets menés par les élus et, donc, accompagnés par les Drac. Des programmes intéressants, mais sans moyens et sans expertise, pourraient ainsi en bénéficier. Il s'agit donc de prévoir des crédits de droit commun dans des services déconcentrés, pour soutenir des projets culturels ambitieux.

M. Michel Canévet. - La question du travail en silo est préoccupante. Il y a eu différentes opérations, ACV, PVD, mais chacun travaille dans son coin sans beaucoup de concertation. Or il faut de la coordination.

Dans ces processus, la question du logement est vitale. Au lieu de piquer dans les réserves d'Action Logement, l'État devrait se contenter de ponctionner de manière ciblée pour ACV ou PVD sur les programmes destinés aux centres-villes.

S'agissant du dispositif Denormandie, je souscris à ce qui a été dit. Toutefois, s'agirait-il seulement d'une extension aux commerces ou peut-on envisager d'autres modalités ?

M. Rémy Pointereau, président de la mission conjointe de contrôle. - Je suis d'accord avec les propos de Sylvie Robert, sur la dimension culturelle, comme sur les tiers lieux.

S'agissant du travail en silo, il serait bienvenu que l'État contacte l'Assemblée des départements de France (ADF) ou Régions de France, plutôt que d'imposer des opérations sur lesquelles régions et départements auront déjà travaillé. En outre, c'est ainsi que l'on peut obtenir un effet levier.

Sur le dispositif Denormandie, il faudrait déposer un amendement au projet de loi de finances pour permettre aux locaux commerciaux d'en bénéficier. Les propriétaires pourraient ainsi lancer des travaux grâce à la défiscalisation, qui créerait ainsi un effet levier.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - Cela a déjà été proposé et retoqué dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.

M. Rémy Pointereau, président de la mission conjointe de contrôle. - Nous pourrions tirer argument du fait que 700 ménages seulement ont bénéficié en 2021 du dispositif Denormandie

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - J'en viens à la dérogation aux règles du ZAN. Nous parlons des coeurs de ville. Cela concerne donc peu d'hectares, même s'il en existe encore ici et là qui ne sont pas classés en artificialisés. À mon sens, soit on les classe tous, soit on obtient l'autorisation de déroger. À mon sens, toutefois, ce n'est pas un sujet, car cela sera sans effet sur l'objectif du ZAN. Le bénéfice environnemental d'une revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs est bien plus élevé que le coût de ces dérogations.

En ce qui concerne les bâtiments, il existe beaucoup de labels - « écodurable », « écoresponsable », etc. - mais ils ne sont pas encore identifiés comme référence dans le paysage urbain. Dès lors que l'on impose la réversibilité des bâtiments, la construction devient qualitative.

Sur la culture, je suis d'accord avec Sylvie Robert. La redynamisation est un écosystème à plusieurs axes. Je suis favorable à ce que les Drac consacrent un budget dédié à disposition de la revitalisation dans le domaine culturel.

M. Serge Babary, président, rapporteur. - Je retiens la proposition d'un pourcentage des crédits des DRAC. Il faut décloisonner les procédures, en particulier en ce qui concerne ACV et PVD. Élus, professionnels, acteurs de la culture ou du monde sportif ne peuvent pas travailler séparément. L'attractivité, ça concerne tout le monde. J'appelle donc toutes les bonnes volontés locales à travailler ensemble.

M. Gilbert-Luc Devinaz, rapporteur. - Les tiers lieux ne sont pas une recette universelle, car il faut toujours partir du terrain. À Tarare, le tiers lieu est une très belle réussite, des étudiants y passent du temps, cela leur permet de ne pas avoir à se rendre à Lyon trop souvent, et donc cela leur permet de grosses économies, mais le contexte est très particulier, et le lieu très vaste est installé dans une ancienne usine textile. Je ne sais pas si l'on peut généraliser cette expérience.

J'ai fait partie de ceux qui ont promu les ronds-points, parce que c'était moins onéreux qu'un carrefour avec feux de signalisation. Nous n'en avions alors pas mesuré les effets. Cela a pris cette dimension parce que les gens vont travailler dans la métropole et rentrent ensuite dormir chez eux. Certaines communes ont trouvé des solutions ; le maire de Jonage a ainsi racheté des commerces et définit le montant des loyers, et son centre-ville reprend vie alors que l'activité diminue autour des ronds-points.

Enfin, je suis d'accord avec ce qui a été dit : l'aspect culturel est fondamental.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous parlons d'un écosystème, et nous sommes bien d'accord : il faut partir des atouts des territoires pour inventer du dynamisme. Il faut amener les gens à avoir envie de fréquenter la ville.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.