Rapport d'information n° 17 (2022-2023) de M. Vincent CAPO-CANELLAS , fait au nom de la commission des finances, déposé le 5 octobre 2022

Disponible au format PDF (2,1 Moctets)

Synthèse du rapport (346 Koctets)


N° 17

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 octobre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l' Institut national de l' information géographique et forestière (IGN),

Par M. Vincent CAPO-CANELLAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

La commission des finances a examiné, le mercredi 5 octobre 2022, la communication de M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial du programme « Expertise, information géographique et météorologie », sur son contrôle budgétaire de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN).

Si cette représentation reste vivace auprès du grand public, l'IGN producteur de carte papier est devenu une sorte d'image d'Épinal . À l'heure de la révolution des données et des enjeux de souveraineté qu'elle implique, la production de cartes papier ne représente désormais qu'une activité très marginale dans les missions de l'opérateur devenu un outil indispensable à la maîtrise d'une information géolocalisée devenue stratégique . Cet enjeu de maîtrise des données géolocalisées souveraines a poussé l'IGN à réformer son modèle . Aussi nécessaire et plébiscitée par ses partenaires soit-elle, cette transformation ne va pas sans heurts , et laisse planer certaines inconnues quant aux perspectives financières de moyen et long terme de l'institut.

I. UN ACTEUR CLÉ DE LA MAÎTRISE DES DONNÉES SOUVERAINES

A. L'OUTIL DE RÉFÉRENCE POUR GARDER LA MAÎTRISE DE DONNÉES SOUVERAINES QUI DÉTERMINENT LES POLITIQUES PUBLIQUES

Alors que nous vivons dans un « monde de la donnée », les informations qui décrivent le territoire sont des outils stratégiques indispensables à la décision publique. Pour préserver notre autonomie, les données géolocalisées qui fondent nos politiques publiques doivent présenter des garanties d'indépendance. L'emprise des GAFAM sur les géo-données a rendu cet enjeu plus prégnant encore. L'IGN constitue un outil indispensable pour garantir un exercice de la souveraineté nationale fondé sur des données géolocalisées indépendantes et maîtrisées. Alors que la connaissance des capacités de l'IGN au sein des administrations est très inégale, il est nécessaire de mettre en place un guichet cartographique public et de renforcer la communication de l'IGN et de ses autorités de tutelle auprès des ministères.

B. LA NÉCESSAIRE RATIONALISATION DU PAYSAGE DES DONNÉES GÉOLOCALISÉES PUBLIQUES

Du fait d'un écosystème atomisé, la production de l'information géolocalisée dans la sphère publique se traduit par un usage sous-optimal des deniers publics . À côté de l'IGN, de nombreux acteurs produisent de l'information géographique, au premier rang desquels les collectivités locales , dont les capacités ont été considérablement développées ces dernières années. En dépit d'une prise de conscience récente, beaucoup de chemin reste à parcourir pour coordonner l'écosystème et assurer l'interopérabilité des systèmes publics d'information géographique. Le nouveau modèle de l'IGN et son repositionnement au coeur de l'écosystème doit contribuer à cette nécessaire rationalisation, de même que le développement de l'enrichissement collaboratif des référentiels.

II. NÉCESSAIRE, LE NOUVEAU CHEMIN EMPRUNTÉ PAR L'IGN N'EN DEMEURE PAS MOINS SEMÉ D'EMBUCHES

A. CONFRONTÉ À UNE CRISE D'IDENTITÉ ET DE LÉGITIMITÉ, L'IGN A ENTREPRIS DE REFONDER SON MODÈLE

Mis sous tension par les bouleversements du paysage de la donnée géolocalisée, concurrencé par l'émergence d'acteurs publics comme privés, affecté par l'essor des démarches collaboratives, l'IGN s'est vu remis en cause dans son identité et contesté dans sa légitimité. Sa politique commerciale avait suscité la défiance des collectivités locales et constituait un obstacle au développement de partenariats . Le processus d'ouverture et de gratuité des données publiques , s'il lui ouvre de nouvelles perspectives de collaborations, implique une transformation du modèle économique d'un institut dont l'équilibre financier dépendait de la vente de ses données. Pour toutes ces raisons, l'IGN devait se transformer pour attirer et développer de nouvelles compétences, incorporer de nouvelles technologies et rester un opérateur d'excellence, référence nationale de l'information géographique.

En 2019, l'IGN a entrepris de refonder son modèle . D'une mission de production-diffusion d'information géographique, l'IGN évolue vers des rôles d'agrégateur de données, d'expert, de coordinateur ou de certificateur. Il recentre son action sur la production des données socles souveraines ainsi que sur le pilotage de vastes projets d'accompagnement de grandes politiques publiques directement financés par leurs commanditaires.

B. DÉJÀ MARQUÉE PAR CES TRANSFORMATIONS, LA SITUATION FINANCIÈRE ET BUDGÉTAIRE DE L'IGN SERA MISE À L'ÉPREUVE APRÈS 2024

1. Parce qu'elle constituait un obstacle à sa transformation, la trajectoire budgétaire rigoureuse de l'IGN a été assouplie jusqu'en 2024

À l'instar des autres opérateurs du ministère de la transition écologique, en dix ans, la subvention pour charges de service public (SCSP) de l'IGN a été diminuée de 10 % (84,4 millions d'euros en 2022). Mais plus que la contraction de sa SCSP, c'est la baisse continue des effectifs de l'IGN qui constituait un vrai obstacle à la réorganisation de l'établissement dans la mesure où elle imposait une contrainte très forte sur le déploiement du programme de recrutement indispensable à la transformation du modèle de l'opérateur.

Évolution des plafonds d'emplois notifiés et exécutés (2012-2021)

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat d'après les rapports annuels de performance annexés aux projets de loi de règlement des comptes de l'État

Depuis 2017, le schéma d'emplois exécuté par l'IGN représente une baisse d'effectifs annuelle moyenne de plus de 35 ETP, soit 177 ETP sur l'ensemble de la période.

Après un premier assouplissement de la trajectoire budgétaire en 2022 l'IGN a conclu un engagement pluriannuel d'objectifs et de moyens (EPOM) avec la direction du budget qui s'est engagée à stabiliser la SCSP et à assouplir le schéma d'emplois jusqu'en 2024 .

2. La situation financière de l'IGN est déjà marquée par son nouveau modèle économique

de recettes tirées des grands projets en 2021

de financements obtenus du plan de relance et du FTAP

de dépenses de sous-traitance par an dans les prochaines années

de baisse des effectifs depuis 10 ans

de baisse des recettes commerciales professionnelles depuis 2017

Évolution de la part de la SCSP et des ressources propres de l'IGN
dans ses recettes totales (2016-2021)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

2021 a constitué un point de bascule dans la transition du modèle économique de l'établissement puisque, pour la première fois, ses ressources propres , tirées par les grands programmes, sont devenues majoritaires au sein du total de ses recettes. L'EPOM anticipe néanmoins un tassement très net de ces recettes dans les années à venir, en particulier dans un contexte de tarissement des crédits issus du plan de relance et du FTAP.

Ressources tirées des grands projets (2016-2021)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

Maîtrisées, les dépenses de personnel vont augmenter du fait de la transformation de l'IGN , en raison d'un plan de recrutement pour répondre au besoin de nouvelles compétences de l'établissement, du repyramidage des effectifs ou encore de mesures d'attractivité.

C. FACE AUX CONTRAINTES ET AUX INCERTITUDES, LA VIABILITÉ DU NOUVEAU MODÈLE ÉCONOMIQUE DE L'IGN RESTE À DÉMONTRER

Si son EPOM donne une visibilité budgétaire bienvenue à l'IGN jusqu'en 2024, la viabilité économique du nouveau modèle sera mise à l'épreuve à partir de 2025 . À ce stade, l'analyse de cette viabilité repose sur des hypothèses financières fortes qui resteront à confirmer : gel du schéma d'emplois et de la SCSP, bouclage du financement du programme Lidar HD (15 millions d'euros), 100 millions d'euros de nouveaux contrats, etc .

de financements manquants sur le projet Lidar HD

nouvelles compétences à développer

des recettes proviennent des ministères des armées et de l'agriculture

de nouveaux contrats à trouver pour assurer la viabilité du nouveau modèle

Aussi nécessaire et plébiscité par ses partenaires soit-il, le nouveau modèle de l'IGN n'en présente pas moins des fragilités intrinsèques . Le risque du « trou d'air » (un volume insuffisant de grands projets publics) est renforcé par l'excessive dépendance de l'IGN à ses deux principaux commanditaires que sont les ministères des armées et de l'agriculture. Si ce phénomène devait advenir, l'État devrait prendre ses responsabilités et intervenir, en ajustant, au moins temporairement, la SCSP. À l'inverse, son nouveau modèle peut exposer l'IGN à un phénomène de « goulot d'étranglement » . Limité par des moyens humains contraints, l'IGN peut, en cas d'afflux de projets, voir ses capacités saturées. Ce modèle suppose une agilité d'organisation particulièrement complexe dans le cadre budgétaire contraint qui est celui d'un établissement public . Programme phare de la transformation de l'IGN, le projet Lidar HD est aussi emblématique des limites du nouveau modèle . Alors que le projet est entamé et doit être achevé en 2025, un quart de son financement (15 millions d'euros) reste à trouver . L'IGN espère des contributions volontaires des collectivités locales sans avoir de réels moyens pour les inciter .

Alors que son nouveau modèle bouleverse les métiers et l'organisation de l'institut , un défaut de pilotage des grands programmes a sérieusement perturbé les débuts de la transformation de l'IGN. Afin de préserver la cohésion du corps social autour d'une vision partagée de la nouvelle stratégie de l'établissement et de sanctuariser sa mission de service public de mise à jour des données socles, la direction doit organiser un pilotage robuste des grands projets. Dans le même temps, il est nécessaire d'évaluer les gains de productivité qui pourront être réalisés grâce à la réorganisation de l'institut, à l'automatisation, à la diffusion des techniques d'intelligence artificielle, à l'optimisation de l'impression des cartes, aux innovations dans la collecte des données aériennes ou encore au développement des méthodes collaboratives.

La montée en compétence de l'institut dans son activité de pilotage des sous-traitants est l'une des clés de la viabilité de son nouveau modèle. Si la sous-traitance est au coeur de la transformation de l'IGN, celui-ci doit veiller à préserver la maîtrise de ses compétences stratégiques .

Le nouveau modèle de l'IGN se traduit aussi par un besoin de nouvelles compétences . À ce titre, la réussite du programme de recrutement et de formation lancé cette année par l'établissement sera déterminante. Elle suppose de trouver le bon équilibre entre les volets interne et externe du programme ainsi que de promouvoir l'attractivité de l'institut.

Enfin, pour que son nouveau modèle économique soit viable, il est impératif que l'IGN développe et formalise de nouveaux partenariats , en priorité avec les collectivités locales mais également avec le secteur privé.

III. UN OUTIL INDISPENSABLE AU SERVICE DE NOTRE STRATÉGIE ENVIRONNEMENTALE ET DE LA PRÉVENTION DES RISQUES

A. LES « CARTES DE L'ANTHROPOCÈNE », UNE ORIENTATION PROMETTEUSE À CONCRÉTISER

Dans le contexte actuel des dérèglements climatiques et, plus largement, d'une préoccupation croissante au sujet des effets de l'activité humaine sur la nature, l'IGN est toujours plus sollicité pour produire des données décrivant les évolutions de notre environnement dans le but de nous permettre de construire une stratégie crédible de transition écologique .

L'analyse des phénomènes induits par l'anthropocène suppose de disposer de produits d'information géographique permettant de mesurer scientifiquement ses conséquences sur l'évolution de la terre. L'IGN se trouve au coeur de cet enjeu et apporte son appui aux politiques environnementales nationales et européennes .

B. UN ACTEUR MAJEUR DE LA PRÉVENTION DES RISQUES

L'IGN apporte un appui indispensable aux politiques de prévention des risques naturels, tout particulièrement s'agissant des risques inondation et submersion marine que ce soit à travers le suivi du niveau des mers, la caractérisation du profil côtier, la détermination du trait de côte, la production de données altimétriques permettant de caractériser le risque inondation lié au réseau hydrographique, etc .

Dans un contexte d'accroissement de la prévalence et de la gravité des risques naturels il est essentiel que la France dispose d'un établissement géographique souverain de référence tel que l'IGN .

LISTE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

Pour que l'IGN évite les embuches sur le chemin de la transformation de son modèle économique

Recommandation n° 1 : Évaluer les effectifs nécessaires à la mise à jour en continu (MAJEC) des données socles et les gains de productivité qui doivent être générés par la réorganisation de l'établissement et l'incorporation de l'intelligence artificielle (IGN).

Recommandation n° 2 : Structurer et renforcer la gouvernance et le pilotage des grands programmes pour consolider l'adhésion du corps social de l'IGN à sa nouvelle stratégie (IGN).

Recommandation n° 3 : Afin d'accompagner l'IGN dans sa transformation, permettre la requalification de 45 géomètres dans le corps des ingénieurs des travaux géographiques et cartographiques de l'État (État).

Recommandation n° 4 : Générateur d'un effet de levier et désormais au coeur de la nouvelle stratégie de l'institut, le recours indispensable à la sous-traitance doit s'accompagner, au sein de l'IGN, d'une montée en puissance des compétences de pilotage de celle-ci ainsi que d'une vigilance accrue pour garantir le maintien en interne des compétences stratégiques essentielles de l'opérateur (IGN).

Recommandation n° 5 : En 2024, confier à une mission indépendante la réalisation d'un premier bilan approfondi du nouveau modèle économique de l'IGN, bilan qui devra notamment contribuer à déterminer la trajectoire budgétaire de l'institut à compter de 2025 et, le cas échéant impliquer un réengagement de l'État pour accompagner la refondation stratégique de l'opérateur (État, IGN).

Pour un IGN plus performant

Recommandation n° 6 : Au regard des évolutions technologiques et pour optimiser les coûts de production de l'établissement, réévaluer la répartition des technologies employées pour la collecte d'images aériennes (IGN).

Recommandation n° 7 : Optimiser l'activité d'impression des cartes papier de l'IGN (IGN).

Recommandation n° 8 : Poursuivre la formalisation, encore embryonnaire, des dispositifs de contrôle interne comptable et budgétaire de l'institut (IGN).

Recommandation n° 9 : Poursuivre et conforter l'affinement des indicateurs de pilotage de la gestion des ressources humaines (IGN).

Développer les partenariats de l'IGN pour mieux l'intégrer dans son environnement

Recommandation n° 10 : Développer, consolider et systématiser les collaborations de l'IGN avec le secteur local, promouvoir les partenariats et les mutualisations de moyens avec les collectivités locales les plus avancées et clarifier la répartition des missions exercées par l'institut et par les grandes collectivités (les régions et métropoles notamment) dans un cadre formalisé, régi par des standards communs, garantissant l'interopérabilité des données produites (IGN, collectivités locales).

Recommandation n° 11 : Approfondir les relations de l'IGN avec les sociétés privées, les startups, sans oublier les PME et les ETI de l'écosystème de la donnée géolocalisée, à des fins d'efficacité, de souveraineté et pour développer et faire monter en compétence le secteur (IGN).

Recommandation n° 12 : Clarifier le rôle et le positionnement de l'IGN s'agissant du programme de plan de corps de rue simplifiée (État, IGN, collectivités locales).

Recommandation n° 13 : Faire aboutir rapidement, et selon un calendrier prévisionnel déterminé et réaliste, le projet de représentation parcellaire cadastrale unique (RPCU) ou, à défaut, développer une alternative permettant de satisfaire les attentes fortes des collectivités locales (IGN, État, collectivités locales).

Pour une véritable stratégie en matière de données géolocalisées publiques et une organisation plus rationnelle de l'écosystème dans lequel l'IGN occuperait une place centrale

Recommandation n° 14 : Poursuivre la rationalisation du paysage des données géolocalisées publiques en accentuant le recentrage des activités de l'IGN sur ses missions de service public (État, collectivités locales, CNIG, IGN avec le concours possible de l'Afigéo).

Recommandation n° 15 : Créer un véritable guichet cartographique public, renforcer la communication de l'IGN auprès des ministères, et transmettre des recommandations visant à ce que chacun d'entre-eux, lorsqu'ils envisagent un projet concernant les données géolocalisées, s'interroge sur la pertinence d'un recours aux services de l'institut (IGN, État).

Recommandation n° 16 : Réaliser une évaluation de la valeur de l'économie de la donnée géolocalisée en France ainsi que des bénéfices socio-économiques des services rendus par l'IGN qui pourra donner lieu à un réaménagement de la stratégie de l'État dans ce domaine (IGN, CNIG avec le concours possible de l'Afigéo).

Recommandation n° 17 : De par leur caractère éminemment souverain, veiller à garantir de façon absolue la sanctuarisation des compétences et des savoir-faire stratégique de l'IGN en matière d'information géographique militaire (IGN).

PREMIÈRE PARTIE
LE RECENTRAGE DE L'IGN SUR LE CoeUR DE SES MISSIONS DE SERVICE PUBLIC DOIT ASSURER SA LÉGITIMITÉ

I. UN ACTEUR CLÉ POUR GARANTIR LA MAÎTRISE DES DONNÉES GÉOLOCALISÉES SOUVERAINES

A. UN OPÉRATEUR SOUS DOUBLE TUTELLE

Les statuts de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), établissement public de l'État à caractère administratif , sont régis par le décret n° 2011-1371 du 27 octobre 2011 .

La gouvernance de l'IGN s'articule autour d'un conseil d'administration 1 ( * ) composé de 24 membres 2 ( * ) et d'un directeur général nommé par décret en Conseil des ministres. Le conseil d'administration et le directeur général sont assistés par un conseil scientifique et technique, un comité de la filière forêt et bois et un conseil de perfectionnement de l'école nationale des sciences géographiques (ENSG).

Source : site internet de l'IGN

L'IGN fait l'objet d'une double tutelle , d'une part la tutelle principale du ministère de la transition écologique, exercée par le commissariat général au développement durable 3 ( * ) et, d'autre part, depuis la fusion de l'Institut géographique national avec l'Inventaire forestier national (IFN) en 2012 , la tutelle secondaire du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, exercée par la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises.

Le siège social de l'IGN est situé à Saint-Mandé et l'institut est doté d'un réseau composé de cinq directions territoriales 4 ( * ) . Le rapporteur spécial note que dans le cadre de la démarche #IGN2021 , engagée dans la foulée de la réorganisation de l'établissement enclenchée en 2019, l'autonomie des directions territoriales a été réaffirmée et elles ne sont plus astreintes à des objectifs de chiffre d'affaires.

Implantations territoriales de l'IGN

Source : site internet de l'IGN

Les implantations de l'IGN comprennent également des services spécialisés 5 ( * ) , une école à Marne-la-Vallée ainsi que des unités de recherche 6 ( * ) .

B. L'IGN N'EST PAS QU'UN SIMPLE PRODUCTEUR DE GÉODONNÉES

1. Le décret statutaire de l'IGN définit sa vocation et ses missions

L'article 2 du décret n° 2011-1371 précise que la vocation de l'IGN est de « décrire, d'un point de vue géométrique et physique, la surface du territoire national et l'occupation de son sol, d'élaborer et de mettre à jour l'inventaire permanent des ressources forestières nationales prévu par l'article L. 521-1 du code forestier, ainsi que de faire toutes les représentations appropriées, d'archiver et de diffuser les informations correspondantes » .

Ce même article confie treize missions à l'IGN parmi lesquelles la constitution d'une infrastructure géodésique cohérente avec les systèmes internationaux, la gestion du système national de référence géographique, gravimétrique et altimétrique, la réalisation et le renouvellement périodique de la couverture en imagerie aérienne ou satellitaire de l'ensemble du territoire national, la constitution et la mise à jour de bases de données géographiques et de fonds cartographiques essentiels, la réalisation de l'inventaire permanent forestier, la mise en oeuvre de programmes d'observation et de surveillance des écosystèmes ou encore la diffusion des bases de données géographiques et forestières qu'il constitue.

2. Des missions historiques « traditionnelles »
a) La collecte et la production de données géolocalisées souveraines socles

Pour répondre à ses missions actuelles, l'IGN exerce donc une activité de collecte et de production de données dites socles . Les géodonnées socles sont les données « primaires » de base qui servent de support à toute conception de services d'information géolocalisée et à la production de données géolocalisées « secondaires ». Le rapport de la députée Valéria Faure-Muntian de juillet 2018 consacré aux données géographiques souveraines 7 ( * ) intègre dans les données souveraines socles les repères de géodésie et de nivellement, les ortho-images 8 ( * ) , les modèles numériques de terrain ainsi que les données de l'inventaire forestier. Le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 de l'IGN précise que les données socles sont le préalable indispensable à la production de données géolocalisées souveraines et qu'à ce titre, elles doivent aussi être considérées comme des données souveraines à part entière .

L'IGN collecte ainsi des ortho-images via l'imagerie aérienne , notamment en recourant à sa propre flotte aérienne 9 ( * ) mais aussi via l'imagerie satellitaire , au moyen de son service de l'imagerie spatiale (SAS) et grâce aux satellites SPOT et Pléiades.

L'IGN est doté d' une compétence géodésique . La science géodésique se situe à la base de l'information géolocalisée. Elle pourrait être considérée comme « la donnée socle des données socles ». Les références géodésiques constituent des points de repères altimétriques extrêmement précis qui intègrent l'évolution du niveau des mers ou encore les mouvements de la terre. Offrant une précision centimétrique, elles sont la base de toutes capacités à produire des informations géolocalisées fiabilisées. La production de données géodésiques par l'IGN s'appuie sur un réseau GNSS permanent (RGP) composé de stations 10 ( * ) , gérées par l'institut en partenariat avec d'autres organismes 11 ( * ) , qui collectent des informations satellitaires. Ces données géodésiques sont contrôlées et validées par des centres opérationnels de l'IGN avant d'être mises à disposition des utilisateurs.

L'activité de production de données géodésiques de l'IGN s'inscrit dans une dimension mondiale puisque l'institut, en collectant, validant et mettant à disposition ces informations participe au réseau permanent européen (EPN) prévu par la directive 2007/2/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2007, dite « Inspire » 12 ( * ) , ainsi qu'au système international de référence terrestre (ITRS). L'IGN produit aussi des données altimétriques. Il réalise une référence altimétrique nationale à travers le nivellement de référence français (NIREF).

La géodésie

La géodésie est la science qui étudie les dimensions, la forme et le champ de pesanteur de la Terre. Son objectif principal est d'élaborer des systèmes de référence terrestres sur lesquels tout utilisateur ou créateur de données géoréférencées peut s'appuyer par l'intermédiaire de réseaux. La réalisation et l'adoption de ces systèmes constituent un indispensable outil de normalisation pour l'information géographique et pour le positionnement en général. L'évolution des réseaux géodésiques vers des réseaux actifs, utilisant les systèmes de positionnement satellitaires, est le fait le plus marquant des dernières décennies.

Les réseaux constituent les réalisations physiques des systèmes géodésiques. L'accès aux références nationales et internationales se fait au moyen des coordonnées de repères matérialisés, par l'exploitation des données de réseaux de stations permanentes de géodésie spatiale ou encore par l'établissement de coordonnées très précises des satellites de géopositionnement. Les réseaux matérialisés de géodésie sont formés de bornes définies par leurs coordonnées tridimensionnelles. Ils couvrent la France métropolitaine et l'outremer de façon homogène. Les réseaux de nivellement sont matérialisés par des repères stables dont l'altitude est déterminée avec une très grande précision par combinaison de mesures géométriques et de gravimétrie, composante essentielle pour, typiquement, déterminer le sens d'écoulement de l'eau.

Le réseau GNSS permanent (RGP) est constitué de plusieurs centaines de stations GNSS enregistrant en continu les informations envoyées par les satellites des différentes constellations de satellites qui permettent de localiser tout point de la surface terrestre.

Source : site internet de l'IGN

b) La conception et la mise à jour de référentiels géographiques à fort enjeu

À partir des données qu'il produit et qu'il collecte, l'IGN gère et met à jour des bases de données , des référentiels et des fonds cartographiques tels que les différentes couches du référentiel à grande échelle (RGE) , la base de données de précision décamétrique dite BD Carto , la base de données géodésique (BDG) , la BD Topage 13 ( * ) , le registre parcellaire graphique (RPG) pour les besoins agricoles ou encore le fond cartographique au 1/25 000e dit Scan 25 .

Cette activité est notamment régie par le concept de mise à jour en continue (MAJEC) des bases de données socles. Pour rationaliser cette mission, les bases de données de l'IGN sont regroupées dans une base de production unifiée, la BD Uni 14 ( * ) .

Le référentiel à grande échelle (RGE)

Le RGE constitue une infrastructure nationale de données géolocalisées produite et mise à jour par l'IGN. Il décrit le territoire français et l'occupation de son sol de manière homogène. Il couvre l'ensemble du territoire national à l'exception de Mayotte. Prévu par l'article 2 du décret statutaire de l'IGN, son contenu est défini par l'arrêté du 19 avril 2005 définissant les conditions de constitution et de mise à jour du référentiel à grande échelle. Cet arrêté prévoit qu'il se compose de cinq couches différentes :

- la base de données (BD) ORTHO, une image numérique multispectrale réalisée à partir d'images aériennes ou satellites ;

- la BD Topo, pour les données topographiques incluant cinq domaines : les réseaux de transport, l'hydrographie, les constructions et les infrastructures, l'occupation du sol et l'orographie ;

- la BD Parcellaire, pour les informations cadastrales ;

- la BD Adresse, recensant les adresses sur l'ensemble du territoire ;

- le RGE Alti qui décrit la forme et l'altitude de la surface au sol.

Le RGE permet à l'ensemble des acteurs privés et publics de disposer d'une référence géographique commune.

Source : commission des finances du Sénat

Toujours concernant la mise à jour des référentiels de données socles, et à titre d'exemple, le réseau géodésique français (RGF) se compose d'environ 70 000 sites, des points définis par leurs coordonnées tridimensionnelles, dont un peu plus de 1 000 d'entre eux, les principaux, font l'objet d'une visite régulière, tous les cinq ans, dans le cadre de la mise à jour de la BDG. L'IGN entretient également le nivellement général de la France (NGF), un réseau de référence altimétrique composé de 380 000 repères de nivellement. Parallèlement, l'institut gère aussi le réseau de référence gravimétrique.

3. Au-delà de la production de données, des missions émergentes

En plus de ses activités traditionnelles de collecte, de production et de mises à jour de données géolocalisées, l'IGN s'est vue attribué d'autres missions qui prennent de plus en plus d'importance dans le cadre de la transformation de l'institut dont les déterminants et les caractéristiques sont précisées infra .

En tant qu'établissement public de référence en matière de données géolocalisées, l'IGN exerce des activités d'expertise et de conseil dans ce domaine. Tandis qu'il recourt largement à la sous-traitance, notamment pour les grands programmes d'accompagnement des politiques publiques auxquels il contribue et pour réaliser un effet de levier sur son activité dans le cadre de moyens contraints, l'IGN développe de plus en plus son activité d' assistance à maîtrise d'ouvrage (MOA). Il exerce tout particulièrement ce rôle dans le cadre des programmes en matière de défense auxquels il contribue en faveur du ministère des armées. À ce titre, le développement de ses compétences en termes de pilotage et d'encadrement de sous-traitants est devenu un enjeu stratégique pour l'IGN .

Si l'IGN produit certaines données géolocalisées, il a aussi vocation à agréger des données produites par d'autres acteurs et à diffuser et valoriser l'information géographique auprès du grand public, des administrations et du secteur privé. Cette mission de valorisation et de diffusion, renforcée et généralisée avec le processus d'ouverture des données publiques, est actuellement en phase à la fois d'expansion et de rationalisation dans le cadre de la transformation de l'établissement et de sa nouvelle stratégie. Elle a notamment vocation à être revisitée à travers le concept des « géocommuns » affirmé par la direction de l'IGN et à être catalysée par le développement de la géoplateforme (voir infra ).

Par ailleurs, dans le cadre de sa transformation et en lien avec ses missions d'expertise et de conseil, l'IGN a de plus en plus vocation à évoluer vers un rôle de référence et de pilote au sein de l'écosystème national de la donnée géolocalisée. Il doit prendre toute sa place de facilitateur aux côtés notamment du Conseil national de l'information géolocalisée (CNIG) et de l'Association française pour l'information géographique (Afigéo).

Depuis 2012 et sa fusion avec l'IFN, l'IGN a en charge la réalisation de l'inventaire forestier.

L'inventaire forestier national

Chaque année, l'IGN analyse un échantillon représentatif de l'ensemble du territoire métropolitain pour dresser un portrait statistique de la forêt. L'objectif est de connaître précisément l'état, l'évolution et les potentialités de la forêt française.

Concrètement, les agents de l'IGN observent et mesurent les arbres (hauteur, circonférence, croissance, etc.), et recueillent de nombreuses informations sur les écosystèmes forestiers (relevé floristique, qualification des sols, dépérissement, etc.). Les résultats de l'inventaire représentent un outil clé pour le suivi des écosystèmes forestiers et la mise en oeuvre des nombreuses politiques publiques liées à la forêt (filière forêt-bois, biodiversité, énergie, carbone, etc.).

Depuis 2013, au sein de l'IGN, la forêt dispose aussi de son propre laboratoire de recherche (LIF) pour faire évoluer l'inventaire forestier national et mieux répondre à des enjeux de société devenus fondamentaux comme l'estimation de la biomasse et du carbone présents dans les forêts françaises ou l'amélioration de la connaissance de la ressource pour mieux s'adapter au changement climatique.

Source : site internet de l'IGN

Enfin, comme il est précisé infra , l'IGN se trouve de plus en plus partie prenante de programmes d'observation et de surveillance des écosystèmes au service de la stratégie environnementale nationale.

C. DISPOSER DE SA PROPRE ÉCOLE EST UN ATOUT UTILE À L'IGN

1. L'École nationale des sciences géographiques (ENSG) est un atout pour l'IGN

Intégrée à l'IGN, l'École nationale des sciences géographiques (ENSG), qui est aussi une direction de l'institut, regroupe en son sein les missions de formation initiale et professionnelle ainsi que de recherche de l'institut 15 ( * ) .

L'École nationale des sciences géographiques (ENSG)

L'enseignement dispensé par l'ENSG est aujourd'hui au carrefour des sciences de la mesure et des sciences du numérique au service de la connaissance du territoire. Il porte sur les sciences, méthodes, et technologies de l'acquisition, de la localisation, du traitement, de l'intégration, et de la gestion de données multi-sources au sein de systèmes d'information à caractère géographique, la représentation et la diffusion d'informations ou de référentiels géographiques, et leur exploitation dans un cadre géo-décisionnel, dans des domaines économiques variés des secteurs publics et privés.

Les formations initiales ou continues dispensées par l'ENSG mènent aux diplômes de technicien supérieur, de licence professionnelle, d'ingénieur et environ 10 % des élèves de l'ENSG complètent leur formation par une formation de recherche entre autres dans les laboratoires de l'ENSG. Avec 12 cycles de formation complémentaires, toutes les disciplines de la géomatique sont enseignées du post-bac au doctorat.

L'ENSG dispense aussi de la formation professionnelle. Les stagiaires de la formation professionnelle sont formés au bénéfice des acteurs qui oeuvrent pour les politiques publiques ou pour le développement de services au profit d'acteurs privés, du secteur associatif ou du grand public.

L'ENSG dispose également de six centres de compétences, regroupant les enseignants, les enseignants-chercheurs, et les chercheurs, essentiellement sur des disciplines et compétences rares, de renommée internationale. Les chercheurs et enseignants chercheurs sont rattachés à trois unités de recherche.

Source : réponses du commissariat général au développement durable (CGDD) au questionnaire du rapporteur spécial

Les chiffres clés de l'ENSG

Source : site internet de l'ENSG

Un temps menacée, l'ENSG a été sauvée par la mise en oeuvre d'une réforme d'ampleur en 2014. Cette réforme, qui avait notamment pour objectif de repositionner l'école au carrefour des sciences de l'observation et de la mesure et des sciences du numérique, a permis de réaliser des gains de productivité significatifs. Un rapport publié en novembre 2017 par une mission commune conduite par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) 16 ( * ) soulignait que la réforme avait notamment permis de réduire les coûts unitaires de la formation initiale des ingénieurs des travaux géographiques et cartographiques de l'État (ITGCE).

Le rapporteur spécial se félicite que les coûts unitaires de formation de l'école fassent l'objet d'un suivi renforcé à travers un nouvel indicateur intégré au contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 17 ( * ) . En 2020 comme en 2021, le coût de la formation par élève a ainsi été évalué à 7 000 euros . Pour respecter la cible fixée dans le COP, d'ici 2024, ce coût doit baisser de 6 % pour s'établir à 6 600 euros.

Depuis le 1 er janvier 2020, l'ENSG fait partie de l'université Gustave Eiffel (UGE) , université publique 18 ( * ) spécialisée dans l'étude des villes et des processus d'urbanisation située à Champs-sur-Marne et réunissant 17 000 étudiants. Le rapporteur spécial se félicite de ce rattachement qui, d'une part, se traduira par des gains d'efficience sur les fonctions transverses et, d'autre part, permettra à l'ENSG de bénéficier du rayonnement international de cette université .

Le rapporteur spécial considère que, le fait de disposer de sa propre école , ce qui constitue une spécificité dans le monde des instituts géographiques nationaux, est un atout non négligeable pour l'IGN, en particulier pour contribuer à sa dynamique de transformation . L'Institut peut ainsi s'appuyer sur celle-ci pour développer les nouvelles compétences et savoir-faire dont il a besoin et pour former des étudiants sur des technologies pointues de niche telles que le Lidar 19 ( * ) . Le rapporteur spécial note à ce titre que l'ENSG doit jouer un rôle significatif dans la mise en oeuvre du plan de recrutement lancé par l'IGN dans le cadre de sa transformation 20 ( * ) . L'offre de formation de l'ENSG est ainsi en phase d'évolution tandis que les cycles de formation des techniciens et des ingénieurs doivent être consolidés et leurs effectifs renforcés.

2. Une activité de recherche dynamique et reconnue

L'activité de recherche de l'IGN s'organise au sein d'unités mixtes ou propres à l'établissement. La recherche en information géodésique est réalisée au sein d'une équipe intégrée à l'Institut physique du globe de Paris, la recherche en information forestière s'effectue au sein d'une unité propre à l'IGN, le laboratoire d'inventaire forestier (LIF) à Nancy, la recherche en sciences et technologies de l'information géographique est assurée par l'unité mixte de recherche LASTIG 21 ( * ) qui représente environ les deux tiers de l'activité de recherche de l'établissement. La stratégie de la recherche à l'IGN est formalisée dans un schéma directeur de la recherche et des technologies (SDRT).

Le rapport de novembre 2017 précité soulignait la qualité des travaux de recherche produits par l'IGN. L'ENSG dispose de laboratoires de renommée mondiale. Le rapporteur spécial a notamment pu constater avec satisfaction que la grande qualité des recherches en géodésie de l'IGN est reconnue à l'échelle internationale et contribue au rayonnement scientifique de la France .

L'essentiel des recherches menées par l'IGN sont intégrées à des projets partenariaux dans le cadre desquels l'ENSG reçoit des financements extérieurs 22 ( * ) , à hauteur d'environ 10 % de son budget . Les activités de formation et de recherche de l'IGN mobilisent 118 personnes dont 12 au titre du personnel enseignant, 61 au titre du personnel chercheur 23 ( * ) et 35 au titre des fonctions supports 24 ( * ) . Les chercheurs de l'IGN publient en moyenne 60 à 70 articles par an et les publications de l'IGN sont mises en ligne dans l'archive ouverte pluridisciplinaire HAL.

Le rapporteur spécial considère que pour qu'il reste à la pointe des innovations et des connaissances dans le domaine géomatique 25 ( * ) il est utile que l'IGN dispose d'une activité de recherche dynamique au sein de son école .

D. UN MODÈLE ÉCONOMIQUE TROP DÉPENDANT DE DEUX PARTENAIRES

1. L'IGN est un enjeu de souveraineté stratégique pour les forces armées nationales
a) Des relations historiques et étroites

Les ancêtres militaires de l'IGN

L'histoire de l'IGN est très étroitement liée aux armées. Ainsi, en 1688 est créé le dépôt de la guerre qui a la responsabilité des intérêts cartographiques du royaume de France. En 1808, Napoléon crée la carte de l'État-major. La production des cartes militaires se trouve remise en cause par la défaite de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Après plusieurs réorganisations, le Service géographique de l'armée (SGA), ancêtre de l'IGN est créé en 1887.

Le 27 juin 1940, pour éviter que les cartes militaires ne tombent aux mains des allemands, l'IGN est créé en tant qu'organisme civil distinct de l'administration militaire.

Source : commission des finances du Sénat

L'article 2 du décret du 27 octobre 2011 précise, que parmi ses missions, l'IGN « contribue à la défense et à la sécurité nationale » . Ce même article 2 liste, parmi les missions de l'IGN, « la formation technique en géomatique et en cartographie des personnels relevant du ministère de la défense » .

Afin de consolider le rôle de l'IGN comme opérateur de référence auprès du ministère des armées, le décret n° 2015-1613 du 9 décembre 2015 a complété le décret du 27 octobre 2011. Issue du décret de 2015, la nouvelle formulation de l'article 5 du décret de 2011 donne explicitement la priorité aux travaux demandés par le ministère des armées : « dans l'intérêt de la défense ou de la sécurité nationale et sur demande du ministre de la défense, l'institut contribue à la préparation, au développement et à la mise en oeuvre de l'infrastructure de données géographiques nécessaires pour l'exécution des missions des armées et des programmes du ministère de la défense. L'institut réalise en priorité l'exécution des travaux demandés à ce titre par le ministre de la défense » . Parallèlement, la modification effectuée en 2015 a complété la composition du conseil d'administration de l'IGN d'une personnalité qualifiée désignée par le ministre des armées.

Aujourd'hui, pour les prestations qu'il délivre au ministère des armées, l'IGN est en relation avec l'État-major des armées et la direction générale de l'armement (DGA) . Au sein du commandement pour les opérations interarmées (CPOIA) de l'État-major des armées, le bureau géographie hydrographie océanographie météorologie (BGHOM) assure le soutien des forces armées dans chacun de ces quatre domaines. Le ministère des armées dispose aussi de son propre organisme géographique avec l'établissement géographique interarmées (EGI) , intégré lui aussi à l'État-major des armées 26 ( * ) . La DGA a en charge les grands programmes d'information géographique militaire auxquels contribue l'IGN et, par conséquent, la passation des principaux contrats avec l'institut.

L'établissement géographique interarmées (EGI)

Dans la dynamique du livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale qui réaffirmait l'importance de disposer d'une géographie militaire pour la planification et la conduite des opérations, l'EGI est créé en 2008 de la fusion de l'Établissement de Production de Données Géographiques (EPDG) et de la Section Géographique Militaire (SGM).

Organisme interarmées qui relève du chef d'état-major des armées (CEMA), l'EGI est placé sous la tutelle du commandement pour les opérations interarmées (CPOIA). Pour les opérations, l'EGI est en association permanente avec les unités des trois armées, en charge de la production géographique : le 28 ème groupe géographique pour l'armée de Terre, le Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM) pour la marine et l'élément géographique Air-Marine qui assure l'adaptation des produits géographiques standard pour les systèmes de navigation des aéronefs.

Pour répondre aux besoins sur le territoire national, l'EGI travaille en étroite relation avec l'IGN. Enfin, au niveau international, l'EGI entretient des relations bilatérales avec plusieurs pays alliés et participe à des groupes de travail de l'UE et de l'OTAN, notamment pour les travaux de normalisation et pour le soutien géographique des opérations conjointes.

La satisfaction des besoins en produits géographiques est le coeur de l'activité de l'établissement. Stationné sur la base aérienne 110 de Creil, l'EGI est responsable de la production, de la validation, de la gestion et de la diffusion de l'ensemble des données et produits géographiques, sur supports numérique et papier, pour toutes les armées. Il apporte également son expertise technico-opérationnelle.

Recevant des sollicitations des théâtres d'opérations extérieures ou du territoire national, des unités sur le terrain ou des états-majors, l'EGI met tout en oeuvre pour répondre aux besoins des forces armées. Disposant d'un exemplaire numérique ou papier de toutes les cartes produites par le ministère des armées ou acquises auprès de partenaires alliés et producteurs civils, l'établissement est capable de les reproduire en grande quantité ou de les convertir dans des formats numériques compatibles avec l'ensemble des systèmes d'armes des forces françaises.

Composé de plusieurs ateliers spécialisés, l'EGI est en mesure de produire des plans de ville en deux ou trois dimensions, des cartes thématiques, des modèles numériques de terrain et tout type de produits cartographiques en garantissant un très haut niveau de performance et d'interopérabilité.

Enfin, l'EGI déploie du personnel expert auprès des états-majors et les structures de commandement et de conduite des opérations, afin d'apporter son savoir-faire dans la gestion de base de données géographiques et leur diffusion dynamique.

Source : site internet de l'État-major des armées

Les relations entre l'IGN et le ministère des armées sont régies par deux documents principaux. Le protocole de 2012 a été renouvelé en juin 2021 pour une durée de trois ans, prorogeable par tacite reconduction pour une durée de sept ans. L'accord-cadre entre l'IGN et le ministère des armées 27 ( * ) , signé en 2016 pour sept ans est quant à lui en cours de révision . Un nouvel accord doit être finalisé en 2023. Cet accord cadre permet notamment à l'IGN et au ministère des armées de pouvoir conclure des marchés subséquents sans mise en concurrence pour différents types de prestations.

b) Les missions rendues par l'IGN aux forces armées : un enjeu de souveraineté d'une importance stratégique

Le ministère des armées a besoin de pouvoir disposer d'informations géographiques souveraines précises sur le territoire national ainsi que sur les théâtres d'opérations extérieurs. Beaucoup de produits de l'IGN ont un usage dual, civil et militaire mais l'institut fournit aussi aux forces armées des productions spécifiquement conçues pour leurs besoins. Ainsi, l'IGN a-t-elle vocation à assister le ministère des armées dans la constitution d'un patrimoine informationnel géographique physique de référence. La plus grande partie des productions spécialement destinées au ministère des armées est planifiée plusieurs mois à l'avance, toutefois, l'IGN doit aussi pouvoir répondre rapidement à des besoins conjoncturels 28 ( * ) des forces armées.

Le ministère des armées a décrit au rapporteur spécial à quel point disposer d'une capacité géographique, hydrographique, océanographique et météorologique (GHOM) autonome est cruciale pour l'action de nos forces armées, spécialement dans la sphère opérationnelle. Il s'agit d' un déterminant majeur de notre souveraineté . La géographie militaire doit donner aux forces armées les informations nécessaires à leur compréhension de l'environnement, à la préparation et à la conduite des opérations ou encore au guidage des missiles 29 ( * ) . Les techniques et les formes de l'information géographique militaire évoluent rapidement au rythme des innovations. Si les cartes papier sont toujours d'actualité, l'information géographique militaire prend désormais davantage la forme de modèles numériques de terrain, de modèles en trois dimensions d'infrastructures ou de détermination d'obstacles à la navigation aérienne. Par ailleurs, dans les armées modernes, près de 90 % des systèmes d'armes utilisent de l'information géographique .

Le rapport de novembre 2017 précité soulignait que « les représentants du ministère de la défense estiment ainsi que la France fait partie des pays qui maîtrisent le mieux l'information géographique avec les États-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie » . Le ministère des armées a confirmé au rapporteur spécial ce haut degré de satisfaction à l'égard de l'IGN. À la faveur des auditions qu'il a menées, il a également pu constater que la France est aujourd'hui l'un des rares États dans le monde à avoir la compétence sur la totalité de la chaîne de l'information géographique militaire , de la collecte, à la qualification des données en passant par leur production. Le rapporteur spécial a acquis la conviction que cette caractéristique constitue un atout stratégique indispensable à la souveraineté nationale qu'il convient de préserver . En effet, les armées nationales ne sauraient dépendre d'informations géographiques provenant d'entités étrangères. Le rapporteur spécial tient ainsi à souligner qu'il s'avère absolument essentiel de maintenir une capacité de production fiable et souveraine de données GHOM .

Outre la conception de produits, la qualification des données géographiques, notamment d'imageries satellitaires, collectées par d'autres acteurs est une mission stratégique essentielle qui , selon le ministère des armées, ne peut être assurée , en raison de son haut niveau d'expertise, que par un établissement public de référence tel que l'IGN.

Au regard des enjeux de souveraineté éminents qu'ils emportent, il convient d' assurer le maintien des compétences et des savoirs faire stratégiques de l'IGN en matière d'information géographique militaire . Le rapporteur spécial appelle ainsi l'IGN et ses autorités de tutelle à veiller à ce que leur sanctuarisation soit garantie de façon absolue .

Les prestations de formation délivrées par l'IGN au personnel du ministère des armées sont effectuées à l'ENSG pour les officiers et sous-officiers ainsi qu'à l'EGI pour les accompagnants.

Le COP 2020-2024 de l'institut lui fixe notamment pour objectif « d'apporter prioritairement un appui adapté à la défense et de sécuriser les prestations de soutien aux opérations militaires » . Il prévoit aussi que l'IGN contribue à « la préparation de l'avenir » du soutien géographique aux armées et anticipe les nouveaux besoins des forces armées à travers notamment le recours aux « technologies les plus récentes et les plus innovantes » . Le COP insiste aussi sur l'impératif de sécurisation des prestations fournies aux armées et la garantie de leur continuité.

c) Des programmes aux enjeux financiers significatifs pour l'IGN qui exerce un rôle d'assistance à MOA et fait largement appel à la sous-traitance

Les contrats conclus avec le ministère de la défense représentent un enjeu financier très significatif pour l'IGN. Les flux financiers qu'ils génèrent pour l'institut représentent environ 30 millions d'euros par an soit 20 % des recettes totales de l'IGN .

Évolution des recettes perçues par l'IGN au titre des contrats de défense

(en milliers d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

Les principaux programmes d'information géographique militaire auxquels contribue l'IGN sont suivis par la DGA et financés par le programme 146 « Équipement des forces » de la mission « Défense ». De façon plus marginale d'un point de vue financier, des prestations d'expertise, de formation ou d'impression de cartes sont suivis par l'État-major des armées et financés par le programme 178 « Préparation et emploi des forces » de la même mission « Défense ».

Le ministère des armées a signalé au rapporteur spécial que, sur la période de la loi de programmation militaire , les projets d'information géographique représentent environ 230 millions d'euros . Une part non négligeable de ces crédits, 20 à 30 % selon les programmes, doit revenir à l'IGN.

Pour la plupart des programmes de défense auxquels il contribue, l'IGN joue un rôle d'expert , délivre des prestations de conseil , de qualification de données ou d' assistance à maîtrise d'ouvrage (MOA). S'agissant des contrats de défense, la conception directe de produits géographiques par l'IGN est l'exception . Pour satisfaire aux besoins du ministère des armées, l'IGN recourt largement à des sous-traitants ou à des co-contractants . Dans ce cadre, il travaille en partenariat étroit avec l'industrie de défense nationale 30 ( * ) , notamment s'agissant de la collecte et du traitement d'images satellitaires.

Les principaux programmes d'information géographique militaire
auxquels contribue l'IGN

L'IGN assiste la DGA dans le cadre du programme d'armement Geode 4D qui vise la maîtrise de la connaissance de l'environnement géophysique et la prévision de ses effets sur le déroulement des opérations.

Le programme Géomaps 2 vise à concevoir des produits géographiques destinés à enrichir le patrimoine de la défense. Ce programme doit s'achever en 2024.

Hors accord-cadre, les marchés Géosocle et Géosocle 2 31 ( * ) visent à produire un tapis d'images géolocalisées 32 ( * ) exploité au sein du programme Geomaps pour la réalisation de cartes numériques à différentes échelles sur des théâtres d'opération potentiels.

Fruit d'une coopération internationale, le programme de description mondiale du relief Trex 33 ( * ) a pour vocation de constituer un nouveau modèle numérique d'élévation du monde 34 ( * ) plus précis 35 ( * ) .

Source : commission des finances du Sénat

Les contrats de l'IGN avec le ministère des armées sont conclus sous le régime juridique des contrats dits en quasi-régie 36 ( * ) prévu aux articles L2511-1 et suivants du Code de la commande publique. En tant que « marchés de défense ou de sécurité », ces contrats permettent certaines dérogations qui rendent plus souples les partenariats que l'IGN peut nouer avec les industriels pour répondre aux besoins des forces armées. Les « marchés de défense ou de sécurité » permettent notamment à l'IGN de recourir à des « sous-contractants » , un concept étranger aux marchés classiques qui ne connaissent que la notion de « sous-traitants ». Les sous-contrats sont soumis à un régime plus souple que celui applicable aux contrats de sous-traitance.

d) Malgré un partenariat solide, certaines incertitudes font peser une ombre sur les perspectives financières de l'IGN

Le rapporteur spécial sait qu'une réflexion stratégique est en cours en vue de la signature du prochain accord cadre en 2023. Alors que les contrats de défense représentent un cinquième du budget de l'IGN, il souligne que l'issue de cette réflexion est primordiale pour les perspectives financières de l'IGN et la viabilité de son nouveau modèle économique .

Les relations entre l'IGN et le ministère des armées reposent sur des bases très solides et sur une confiance réciproque indéniable. Néanmoins, le rapporteur spécial note que la période d'instabilité géopolitique actuelle et les répercussions de l'agression russe en Ukraine sont susceptibles de rebattre certaines cartes et pourraient conduire à faire évoluer les priorités budgétaires du ministère des armées. Dans un tel contexte, il s'interroge sur le fait de savoir si le prochain accord cadre marquera une continuité ou, au contraire, une certaine inflexion, sans parler de rupture , dans les rapports entre l'IGN et le ministère des armées. Cette seconde perspective, si elle venait à se matérialiser, serait lourde de menace pour l'équilibre financier à moyen-long terme de l'institut .

2. Les incertitudes portant sur l'évolution des flux financiers entre le ministère de l'agriculture et l'IGN pèsent sur les perspectives de l'opérateur
a) Depuis 2016, les flux financiers émanant du ministère de l'agriculture représentent une part significative des recettes de l'institut

Le rapporteur spécial a pu constater le positionnement complexe du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire à l'égard de l'IGN . En effet, celui-ci à la particularité d'une part d'être l' autorité de tutelle de l'institut pour ses missions forestières, étant à ce titre représenté au conseil d'administration de l'établissement, et, d'autre part, d'apparaître, après le ministère des armées, comme le deuxième plus important « client » de l'IGN.

Les rapports entre l'IGN et le ministère chargé de l'agriculture se sont particulièrement renforcés en 2015 sans que pour autant les deux partenaires ne soient réellement à l'origine de ce rapprochement. C'est dans le cadre de la mise en oeuvre des aides de la politique agricole commune (PAC) et sous la pression de la Commission européenne que le ministère de l'agriculture a fait appel aux services de l'IGN pour fiabiliser le registre parcellaire graphique (RPG) . En effet, suite à la constatation de problèmes récurrents dans le cadre de ses audits de la gestion des fonds agricoles par l'Agence des services de paiement (ASP), la Commission avait enjoint à la France de mettre en oeuvre un plan d'action visant à sécuriser la procédure, faute de quoi, le pays pouvait s'attendre à des refus d'apurements de plusieurs milliards d'euros au titre des aides de la PAC. L'intervention de l'IGN dans la fiabilisation du RPG a permis de lever les griefs de la Commission européenne et de sécuriser les audits d'apurement de l'exécutif européen.

Le registre parcellaire graphique (RPG)

Le RPG est un système d'information géographique représentant au 1/5000 ème les îlots culturaux (ensemble de parcelles contigües appartenant à une même exploitation) et les parcelles des exploitants se déclarant à la PAC.

Mises à jour chaque année à partir des déclarations des exploitants souhaitant prétendre à une aide de la PAC, ces données fournissent des informations sur l'usage agricole des sols ainsi que sur les structures foncières. Ainsi, seules les parcelles des agriculteurs déclarées font l'objet d'un référencement et d'une représentation graphique dans cette base de données.

La nomenclature de l'usage du sol comporte entre 24 et 28 grands groupes culturaux principaux. Depuis 2015, ces groupes sont eux-mêmes redivisés en 350 cultures principales associées à l'emprise parcellaire.

Source : portail internet gouvernemental de l'artificialisation des sols

Aussi, depuis 2016, l'IGN est-il délégataire des actions de mise à jour triennale des couches géographiques de référence du RPG 37 ( * ) , outil du système intégré de gestion et de contrôle de la politique agricole commune qui est à la charge de l'organisme payeur qu'est l'Agence de services et de paiement (ASP). Cette mission est formalisée dans une convention cadre . Jusqu'en 2021 , le ministère de l'agriculture finançait la prestation rendue par l'IGN à hauteur d'environ 7 millions d'euros par an. En 2021, pour répondre aux nouvelles exigences de suivi de la PAC, une prestation complémentaire a été demandée à l'IGN au titre des « îlots ». Cette prestation complémentaire a conduit à doubler les flux financiers annuels entre le ministère et l'IGN au titre des activités de mise à jour du RPG. Aussi, la dernière convention-cadre 38 ( * ) qui porte sur les années 2021 à 2024 prévoit-elle un versement annuel de 12 millions d'euros financé par des crédits du programme 149 « Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l'aquaculture » de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».

Recettes encaissées par l'IGN au titre du registre parcellaire graphique (RPG) entre 2017 et 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses du CGEFI au questionnaire du rapporteur spécial

Par ailleurs, et concernant les grands projets auxquels contribue l'IGN, le ministère de l'agriculture est, dans le cadre du plan de relance, le principal contributeur financier du programme Lidar HD France entière. Il y contribue à hauteur de 22 millions d'euros , soit plus d'un tiers du coût total qui s'établit à 60 millions d'euros. Ce financement s'explique par l'intérêt du ministère pour ce projet tant en ce qui concerne l'amélioration de la connaissance de la forêt française que pour le renforcement des contrôles des aides surfaciques de la PAC. De façon plus marginale, le ministère de l'agriculture contribue à hauteur de 750 000 euros au projet de suivi de l'artificialisation des sols (OCS GE 39 ( * ) ) .

En outre, pour des enjeux financiers plus modestes, l'IGN a signé d'autres conventions avec le ministère en charge de l'agriculture pour la gestion de la base de données des incendies de forêt en France (40 000 euros par an), monitoring de la gestion durable de la forêt et du bois (50 000 euros tous les cinq ans), la cartographie numérique pour le transport du bois (625 000 euros entre 2018 et 2021), le module Forêt bois (25 000 euros par an) et les prospectives en ressources forestières bois et carbone (10 000 euros par an).

b) Les incertitudes relatives aux conditions financières du prochain cadre conventionnel sont une source d'inquiétude pour la viabilité du nouveau modèle économique de l'IGN

Actuellement, le ministère de l'agriculture et l'IGN sont en discussion pour redéfinir leur cadre conventionnel pour la période 2024-2026. Plusieurs incertitudes entourent ces négociations. Compte-tenu de la dépendance du budget de l'IGN aux recettes tirées des prestations qu'il délivre au ministère, ces incertitudes pèsent significativement sur la visibilité à moyen terme des perspectives financières de l'institut .

Dans le cadre des négociations, le ministère de l'agriculture demande à ce que l'IGN mette en oeuvre des gains d'efficience significatifs, notamment en développant l'automatisation du processus, en ce qui concerne l'activité de mise à jour du RPG. À compter de 2024, le ministère souhaiterait diviser par deux les crédits qu'il verse à l'IGN à ce titre pour les réduire à 7 millions d'euros annuels. Cette situation explique pourquoi, dans le cadre de l'exercice d'élaboration de l'engagement pluriannuel d'objectifs et de moyens (EPOM) de l'IGN 40 ( * ) , le ministère de l'agriculture ne s'est engagé qu'à hauteur de 7 millions d'euros annuels.

Une autre incertitude tient à l'éventuelle perspective d'une contribution de l'IGN au système de suivi des surfaces en temps réel 41 ( * ) , dit « monitoring » qui doit être appliqué à compter de 2023 dans le cadre de la nouvelle PAC. Ce système doit s'appuyer sur le traitement par des algorithmes d'intelligence artificielle d'images satellites. Depuis plus de deux ans, l'ASP travaille avec une société privée sur la mise en oeuvre de ce système. Compte tenu de sa compétence dans le domaine, la direction de l'IGN a regretté de n'avoir pas pu être intégré au début du projet eu égard au calendrier tendu. Depuis, l'institut a été mandaté pour réaliser des prestations d'appui et des expérimentations au profit du ministère et de l'ASP notamment en matière d'intelligence artificielle, et cela pourrait être amené à se renforcer. Le processus de monitoring de la nouvelle PAC pourrait notamment profiter de synergies avec le projet de suivi de l'artificialisation des sols (OCS GE) conduit par l'IGN dans le cadre de l'objectif législatif du « zéro artificialisation nette » (ZAN). Des discussions sont actuellement en cours pour déterminer la nature de la contribution que pourrait apporter l'IGN au système du monitoring .

Compte-tenu des risques qu'elles supposent sur les perspectives économiques de l'IGN et la viabilité à moyen-terme de son modèle, le rapporteur spécial appelle à ce que les incertitudes dans les relations financières entre l'établissement et le ministère de l'agriculture soient rapidement levées . Il considère par ailleurs que l'IGN doit poursuivre ses efforts visant à diversifier ses partenariats pour limiter son niveau de dépendance économique.

E. L'OUTIL DE RÉFÉRENCE POUR MAÎTRISER LES DONNÉES GÉOLOCALISÉES SOUVERAINES

Définition de la donnée géographique souveraine

La souveraineté d'une donnée géographique se définit par sa destination ou par son usage, qui est de servir de support direct aux décisions de la puissance publique. Une donnée n'est donc souveraine que si sa disponibilité conditionne la possibilité même de la décision publique, c'est-à-dire qu'elle présente pour la puissance publique une véritable criticité.

Source : rapport au Gouvernement sur les données géographiques souveraines de Valéria Faure-Muntian, juillet 2018

En 1999, le rapport sur les perspectives d'évolution de l'information géographique et les conséquences pour l'IGN 42 ( * ) , dit « rapport Lengagne », l'avait déjà mis en exergue, les données qui décrivent le territoire et son évolution sont des outils indispensables à la décision publique . Il précisait que « la dépendance informationnelle serait le premier pas vers la dépendance économique et politique » . Si cette dimension de souveraineté de certaines données géolocalisées est exacerbée en ce qui concerne la défense nationale, elle s'étend bien au-delà en ce sens que, de plus en plus, comme dans presque tous les aspects de nos vies quotidiennes, la mise en oeuvre des grandes politiques publiques s'appuie sur des informations géolocalisées . Pour préserver notre autonomie de décision, les données géolocalisées sur lesquelles se fondent nos politiques publiques doivent présenter des garanties d'indépendance et être produites et certifiées de façon souveraine.

L'enjeu de souveraineté des données géolocalisées est rappelé dans le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 de l'IGN

Les données géographiques et les données d'inventaire forestier ont un lien étroit avec la souveraineté. De fait, la puissance publique mobilise quotidiennement des données géographiques, et plus largement des données géolocalisées, ou des données d'inventaire forestier à l'appui de ses décisions et de son action dans des domaines aussi variés que la défense, la sécurité nationale, la prévention des risques, l'agriculture, la forêt, la préservation de la biodiversité, la transition énergétique, la fiscalité, l'urbanisme, l'aménagement du territoire, les transports, la santé, etc .

Source : contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 de l'IGN

L'enjeu de la souveraineté des données géolocalisées nécessaires à la prise de décision publique est devenu plus prégnant ces dernières années avec l'essor considérable des applications relatives à l'information géographique et l'irruption sur ce marché de grandes sociétés multinationales issues du monde des technologies de l'information. La problématique est d'autant plus forte que le modèle économique même et la puissance de ces sociétés résident dans la maîtrise et l'exploitation de quantités considérables de données, y compris géolocalisées.

La maîtrise des données géolocalisées revêt aussi une dimension économique et il n'est pas neutre que, dans un cadre de concurrence économique internationale, les entreprises et industriels puissent s'appuyer sur des informations géographiques souveraines. Pour garantir la capacité de nos entreprises à rivaliser dans des domaines innovants à fort enjeu tels que la ville du futur ou les véhicules autonomes, il est plus sûr de leur donner la possibilité de développer leurs systèmes à partir de données souveraines.

À l'issue de sa mission de contrôle, à l'exception notable du ministère des armées, le rapporteur spécial a le sentiment que, même pour des missions régaliennes, les pouvoirs publics, au premier rang desquels l'État, ne prennent pas suffisamment en compte la problématique de la maîtrise et de l'indépendance des données géolocalisées . L'IGN estime aujourd'hui que l'enjeu relatif à l'exercice souverain des prérogatives de puissance publique et des missions d'intérêt général n'est une réelle préoccupation que pour les seules forces armées. L'une des difficultés pour sensibiliser les citoyens et les pouvoirs publics à cette dépendance aux données géolocalisées est qu'il s'agit d'un phénomène souterrain dont on ne prend vraiment conscience qu'en période de crise et de catastrophes. Aussi, le rapporteur spécial considère-t-il que des acteurs tels que le Conseil de l'information géolocalisée (CNIG), l'IGN lui-même ainsi que ses autorités de tutelle ont un véritable devoir de pédagogie .

L'IGN , en tant qu'établissement public de référence dans le domaine, constitue un outil indispensable pour garantir que l'exercice de la souveraineté nationale se fonde sur des données géolocalisées indépendantes et maîtrisées . Le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 de l'IGN précise à ce titre que l'opérateur doit « constituer la pièce maîtresse du dispositif de souveraineté de la puissance publique en matière d'information géographique et forestière » . Les référentiels produits et mis à jour par l'IGN, tout particulièrement pour ce qui concerne les données socles, contribuent à préserver la capacité des autorités publiques à fonder leurs décisions sur des données maîtrisées.

Le rapporteur spécial considère que cet enjeu stratégique constitue la principale légitimité d'un opérateur public tel que l'IGN et qu'il doit nous inciter à veiller à ne pas affaiblir cet outil au point où il ne nous permettrait plus de disposer de cette capacité à maîtriser nos données souveraines. Or, la concurrence avec les GAFAM a pu faire courir le risque d'une forme d'obsolescence de l'IGN . Pour se prémunir de ce risque l'institut devait se moderniser tandis que dans le même temps l'État devait se réengager pour le soutenir dans sa nécessaire transformation.

II. L'AVÈNEMENT D'UN « MONDE DE LA DONNÉE GÉOLOCALISÉE »

Le rapport de novembre 2017 précité faisait déjà état d'une économie de la donnée géo-référencée en « pleine expansion ». Force est de constater que depuis, le phénomène n'a fait que s'accélérer 43 ( * ) . Les données géolocalisées sont devenues les informations de référence par excellence qui irriguent notre vie quotidienne, tous les secteurs de notre économie ainsi que la mise en oeuvre et l'évaluation des politiques publiques pour lesquelles elles revêtent désormais une importance stratégique. La croissance de l'économie des données géolocalisées est notamment portée par l'essor des nouvelles technologies, de l'intelligence artificielle ou encore de l'avènement et de la généralisation des objets connectés.

À la faveur de ces innovations, les données géolocalisées sont désormais un atout majeur dans des domaines aussi divers que la construction, les réseaux, les transports de personnes et de marchandises, l'agriculture, l'urbanisme, la gestion forestière, la santé, le commerce, le tourisme, la logistique, la pêche, la gestion des eaux, l'exploitation minière, la banque, l'assurance, etc . Dans tous les secteurs, elles participent à créer de nouveaux usages, de nouveaux services et de la richesse économique . Outre sa dimension stratégique, la maîtrise des données géolocalisées est indéniablement devenue une source de valeur économique absolument déterminante.

Pourtant, au-delà de ce constat encore purement qualitatif, le rapporteur spécial s'étonne qu'il n'existe toujours pas d'étude permettant d'évaluer quantitativement la valeur économique actuelle et dans une vision prospective de l'économie de la donnée géolocalisée en France . Aucune étude n'a cherché non plus à estimer les bénéfices socio-économiques susceptibles d'être générés par les services rendus par un acteur national de référence en matière de données géolocalisées souveraines tel que l'IGN.

Le rapporteur spécial constate notamment que dans un autre domaine, plusieurs études françaises et internationales ont permis d'estimer les bénéfices socio-économiques résultant des prestations délivrées par les services météorologiques nationaux tels que Météo-France . Il a notamment fait état de ces différentes études dans son rapport de septembre 2021 consacré à l'opérateur Météo-France 44 ( * ) . Une étude réalisée en 2018 par France stratégie 45 ( * ) estimait ainsi que les bénéfices socio-économiques générés par les services rendus par Météo-France représentaient de 3,4 à 8 fois le montant du budget de l'opérateur . Il souligne que ce type d'analyse est tout à fait essentiel pour légitimer, aux yeux des contribuables et des usagers, les moyens budgétaires dévolus aux opérateurs publics.

À l'échelle internationale, des études 46 ( * ) ont pu évaluer la valeur économique du marché de l'information géographique à plus de 200 milliards de dollars pour une valeur ajoutée supérieure à 100 milliards de dollars .

Une étude britannique de septembre 2020 47 ( * ) estimait qu'une meilleure utilisation des données géolocalisées pourrait générer de 6 à 11 milliards de livres par an en termes de richesse supplémentaire au Royaume-Uni. Sur la base de cette étude, le gouvernement britannique a défini une nouvelle stratégie géospatiale . En 1999, une étude réalisée outre-manche s'est employée à évaluer les bénéfices générés par les services de l'IGN britannique (l'Ordonance Survey) dans dix secteurs de l'économie nationale. À l'époque, elle avait conclu à des bénéfices situés entre 79 et 136 millions de livres.

À l'échelle régionale, l'ancienne région Languedoc-Roussillon avait commandité une étude qui estimait à quatre euros les bénéfices socio-économiques générés par un euro investi dans une plateforme d'information géographique régionale.

Le rapporteur spécial salue l'initiative prise par le Conseil national de l'information géolocalisée (CNIG), l'Association française pour l'information géographique (Afigéo) et le Centre national d'études spatiales (CNES) de réaliser une étude économique du secteur de l'information géolocalisée en France. Cette étude devrait être réalisée en 2023. Toutefois, pour les raisons exposées supra , le rapporteur spécial considère qu' il est nécessaire de procéder non seulement à une évaluation de la valeur de l'économie de la donnée géolocalisée en France mais aussi des bénéfices socio-économiques des services rendus par l'IGN . Sur le modèle de la méthode employée en 2020 par le gouvernement britannique, une telle étude pourrait être le support à la redéfinition par l'État d'une stratégie ambitieuse en matière de données géolocalisées.

III. LES DONNÉES GÉOLOCALISÉES PUBLIQUES : UN BESOIN DE RATIONALISATION ET D'UNE DYNAMIQUE COLLABORATIVE

A. LE MAQUIS DE L'INFORMATION GÉOLOCALISÉE PUBLIQUE DOIT ÊTRE RATIONALISÉ

1. Un paysage éclaté marqué par la montée en puissance des collectivités locales

L'IGN est loin d'être le seul acteur à collecter, produire et traiter de l'information géolocalisée publique . En effet, le paysage de l'information géolocalisée publique est atomisé et hétérogène . Il est symptomatique de constater qu'avant la publication du rapport de juillet 2018 sur les données géographiques souveraines, aucune réflexion sur la coordination de la production de données géographiques au sein de la sphère publique n'avait été conduite.

Au sein de ce paysage, la montée en puissance progressive du rôle joué par les collectivités locales, et, au premier rang desquels, des régions, est une tendance lourde . Ainsi, depuis la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi Notre » , les régions ont vu leurs compétences renforcées en matière d'information géographique. Chaque région a désormais la responsabilité d'assurer « la coordination, au moyen d'une plateforme de services numériques qu'elle anime, de l'acquisition et de la mise à jour des données géographiques de référence nécessaires à la description détaillée de son territoire ainsi qu'à l'observation et à l'évaluation de ses politiques territoriales, données dont elle favorise l'accès et la réutilisation » . Les régions sont devenues de véritables pilotes stratégiques de la politique d'information géographique. Parallèlement à la montée en puissance des régions, les grandes métropoles consacrent aussi de plus en plus de moyens à l'information géolocalisée. Certaines métropoles pionnières telles que Nice, Bordeaux, Lyon, Rennes ou encore Strasbourg affichent des ambitions particulièrement fortes dans ce domaine.

Les capacités de production d'informations géographiques de certaines collectivités locales sont élevées mais encore hétérogènes . À titre d'exemples, certaines d'entre-elles, notamment faute de solutions proposées au niveau national par l'IGN, ont pu développer de façon précurseur leurs propres outils, par exemple des systèmes de suivi de l'occupation des sols 48 ( * ) . D'autres sont en mesure de réaliser leurs propres prises de vue aérienne ou encore d'utiliser des technologies très pointues telles que le Lidar 49 ( * ) .

L'Association française pour l'information géographique (Afigéo) anime le réseau des centres de ressources en information géographique (CRIGEs) . Ces CRIGEs constituent les « plateformes régionales d'animation territoriale autour de l'information géographique » prévues par la loi Notre 50 ( * ) . Leurs statuts, leurs compositions, leurs modes de gouvernance et leur fonctionnement sont très hétérogènes. Certaines sont autonomes et d'autres sont intégrées aux services du Conseil régional. Animateurs de l'écosystème de la donnée géolocalisée au niveau régional, les CRIGEs ont vocation à soutenir et accompagner les acteurs territoriaux dans leurs projets d'information géographique.

Le réseau des centres de ressources en information géographique

Source : site internet de l'AFIGEO

Le rapporteur spécial a pu constater qu'en dépit de certaines avancées décrites infra , ce paysage atomisé était encore à l'origine de nombreuses redondances dans la production et le traitement des données géolocalisées publiques . Cette situation conduit à un usage sous-optimal des finances publiques .

L'une des démonstrations les plus évidentes de cette situation se manifeste lorsqu' en l'absence d'outils nationaux standards, certaines collectivités locales en sont venues à développer leurs propres outils d'information géographique avant que, plusieurs années après, un système soit imposé à l'échelle nationale mais selon des spécifications différentes et non interopérables avec les solutions locales. Les investissements engagés par les collectivités concernées, parfois importants, deviennent alors obsolètes . Cette problématique souligne l'enjeu de coordination de l'écosystème sur la question de la standardisation afin d'assurer l'interopérabilité de l'ensemble des systèmes publics d'information géographique développés sur le territoire.

2. L'affirmation du Conseil national de l'information géolocalisée (CNIG) est un prérequis indispensable à la rationalisation de l'écosystème de la géo-donnée publique

L'affirmation du rôle du Conseil national de l'information géolocalisée (CNIG) , recommandée par le rapport de juillet 2018 sur les données géographiques souveraines, constitue un jalon important sur la voie de la rationalisation du paysage des données géolocalisées publiques. Il apparaît absolument essentiel que le CNIG assume pleinement son rôle de coordonnateur de l'écosystème.

Le rapport de juillet 2018 faisait le constat d'une insuffisante coordination des acteurs de l'écosystème public des données géographiques souveraines et d'une prise en compte sous-optimale des besoins des utilisateurs publics d'information géographique. Mais plutôt que de revoir en profondeur la gouvernance de la production de données géographiques publiques, il estimait que « l'instance de gouvernance partenariale et agile » nécessaire à la rationalisation de cette production existait déjà « sur le papier » en la présence du CNIG. Le rapport notait néanmoins que des acteurs de l'écosystème estimaient que le CNIG n'avait pas, jusqu'ici, joué pleinement son rôle en raison notamment d'une absence de vision stratégique.

Dans le prolongement du rapport de 2018 et sous l'impulsion de son nouveau président, le CNIG est revenu au-devant de la scène et s'emploie à jouer pleinement son rôle de coordination et de fédération des acteurs du monde de la donnée géolocalisée publique. Modifiant le décret n° 2011-127 du 31 janvier 2011 relatif au Conseil national de l'information géographique, le décret n° 2022-1204 du 30 août 2022 , attendu depuis plusieurs mois, est venu confirmer le renouveau du CNIG. Outre qu'il étend les compétences du conseil à l'ensemble des données géolocalisées, le décret prévoit de faire passer son comité plénier de 35 à 43 membres 51 ( * ) .

Le rapporteur spécial considère que la réaffirmation du CNIG est une bonne nouvelle pour la cohérence du modèle de production des données géolocalisées publiques en France. Pour parvenir à une véritable rationalisation du système, il appelle à ce que cette évolution soit confirmée et confortée.

3. Le nouveau positionnement de l'IGN et le concept de « géocommuns » doivent être clarifiés et concrétisés

L'IGN doit prendre toute sa part dans l'entreprise de rationalisation du paysage de la production des données géolocalisées . Son nouveau modèle, qui induit notamment un repositionnement de l'institut au sein de l'écosystème, a vocation à y participer . Ce modèle suppose que l'IGN se replace au centre de cet écosystème, assumant un rôle de référence , coordinateur ayant vocation à en fédérer les acteurs . Dans le nouveau cadrage stratégique, le directeur général a fait de ce nouveau positionnement un concept, les « géo-communs » . Pour mener à bien sa mission de facilitateur, l'IGN entend ainsi multiplier les espaces d'échanges 52 ( * ) propices à briser le fonctionnement en silos qui tend encore à prédominer.

Ce concept, qui repose sur l'idée que l'information géographique constitue un bien commun, porte aussi l'ambition de généraliser une gouvernance ouverte des productions et bases de données de l'institut afin de favoriser leur appropriation, leur maîtrise et leur valorisation par les différents acteurs de l'écosystème.

Le programme de géoplateforme est au coeur du repositionnement de l'IGN et du concept de « géo-communs ». Destiné à prendre le relai de l'actuel géoportail, voué à devenir la composante géographique de « l'État plateforme », ce programme, piloté par l'IGN, est développé avec de très nombreux partenaires 53 ( * ) . La géoplateforme doit constituer une infrastructure mutualisée pour la gestion et la diffusion de l'information géographique. Pour favoriser les synergies au sein de l'écosystème, elle suppose une interopérabilité, des standards et des spécifications communes entre les données des producteurs ainsi qu'un accès simple et rapide aux informations qui y seront agrégées via des API ( application programming interface ).

Ce projet doit être finalisé d'ici 2024 et son coût total est estimé à 14,4 millions d'euros dont 3,6 millions d'euros sont financés par le fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP), le reste (10,8 millions d'euros) étant pris en charge par le budget de l'IGN.

La géoplateforme présentée dans le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 de l'IGN

Infrastructure ouverte et mutualisée, cet espace public de l'information géographique et forestière permettra de partager des données et des services géolocalisés avec plus de fluidité et de transparence, au service de communautés d'usages, ainsi que de les entretenir de façon collective.

Elle sera aussi un accélérateur d'innovation favorable à la création de produits et de services à valeur ajoutée. Jouant un rôle transversal en appui à la transformation numérique des administrations, notamment pour la dématérialisation des procédures, la Géoplateforme est enfin la capacité de pointe dont l'État a besoin pour administrer en toute indépendance les données géographiques et forestières nécessaires à l'exercice souverain des politiques publiques.

Source : contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 de l'IGN

Le rapporteur spécial considère que le nouveau positionnement de l'IGN et les intentions affichées par sa direction sont intéressants et de nature à optimiser le fonctionnement global de l'écosystème des géo-données. Néanmoins, au cours de sa mission de contrôle, il a été frappé de constater que de nombreux acteurs du monde de l'information géographique peinaient encore à définir le concept des « géo-communs ». Aussi estime-t-il nécessaire de clarifier ce concept et de lui donner une vraie consistance en concrétisant rapidement les évolutions annoncées. La mise en oeuvre effective de la géoplateforme et sa capacité à répondre aux attentes fortes qu'elle suscite seront absolument décisifs à cet égard.

4. L'IGN n'a pas vocation à tout faire seul : développer et formaliser l'enrichissement collaboratif des bases de données

Compte tenu de la pluralité des acteurs collecteurs et producteurs de données géolocalisées, et pour garantir un meilleur usage des deniers publics en évitant les doublons, l'enrichissement collaboratif des référentiels de données géolocalisées publiques est une nécessité . L'IGN ne peut et ne doit pas produire l'intégralité des données. Deux acteurs de l'écosystème des géodonnées publiques ne doivent pas produire la même donnée pour l'intégrer dans deux outils différents ayant la même vocation et, qui plus est, ne partageant pas les mêmes spécifications techniques. Par ailleurs, il est indispensable de tenir compte de la dilatation considérable de l'univers des données géolocalisées. Désormais, avec le développement rapide des technologies de l'information et de la communication, de l'intelligence artificielle ou des objets connectés, chaque individu ou presque collecte des données. Des communautés engagées dans des domaines multiples, bien souvent composées de passionnés, se sont engagées dans la collecte de données et le renseignement de référentiels d'information géolocalisée. L'IGN doit impérativement tenir compte de cet environnement et, tout en veillant à la qualité des données collectées, s'inscrire avec volontarisme dans cette dynamique collaborative porteuse de gains d'efficience pour les finances publiques et d'une actualisation plus rapide des produits d'information géolocalisée publique. À titre d'exemple, sur cette question, la collaboration avec un acteur tel qu'OpenStreetMap France 54 ( * ) , engagée par l'IGN, devrait être confortée.

Le rapporteur spécial considère que l'enrichissement collaboratif formalisé et encadré de référentiels d'informations géolocalisées à partir de données collectées selon des formats interopérables est une approche qui doit être encouragée et généralisée dans toutes les circonstances où elle se justifie.

Si le rapporteur spécial a pu constater que l'IGN a amorcé cette dynamique et que de premiers pas ont été franchis en ce sens, beaucoup de chemin reste encore à parcourir . Il a pu noter qu'en plus de ses moyens propres, pour mettre à jour différentes couches du référentiel à grande échelle (RGE), l'IGN pouvait parfois agréger des données collectées par des partenaires, principalement issus de la sphère publique. Un espace collaboratif qui préfigure la géoplateforme permet notamment à l'IGN de recueillir des données collectées par les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), les géomètres-experts, des collectivités locales ou des parcs naturels. En règle générale, notamment dans le cadre de la mise à jour en continue (MAJEC) de la BD Uni, l'IGN recourt de plus en plus à des données collectées auprès de partenaires extérieurs 55 ( * ) de façon systématique ou plus ponctuelle.

Cependant, les modalités d'enrichissement collaboratif en vigueur actuellement sont balbutiantes et présentent plusieurs limites . Elles sont largement artisanales , non formalisées et sous-optimales dans la mesure où elles sont réalisées en l'absence de spécifications et standards homogènes . Elles se caractérisent aussi par leur fragilité dans la mesure où elles ne font pas l'objet de conventions et ne reposent bien souvent que sur la seule bonne volonté de partenaires et sur des compétences individuelles qui ne garantissent aucunement la continuité des procédures.

La dynamique collaborative concernant l'enrichissement des référentiels de données géolocalisées publiques s'inscrit parfaitement dans la transformation de l'IGN visant à renforcer son rôle d'expert coordinateur, facilitateur et agrégateur au coeur de l'écosystème ainsi que dans la démarche des « géo-communs ». À ce titre, l'un des principaux chantiers du nouveau cadrage stratégique de l'IGN prévoit que l'institut « se nourrisse de la richesse des communautés » en mettant en place un système de label lui permettant de saisir cette « opportunité immense d'enrichissement de données » en autorisant certains partenaires de confiance habilités à mettre à jour directement la BD Uni. La création de la géoplateforme doit aussi favoriser les synergies et l'enrichissement collaboratif de bases de données partagées.

Lors de son déplacement à la direction territoriale sud-ouest, à Saint-Médard-en-Jalles, le rapporteur spécial s'est vu présenter un projet de partage voire de délégation de la mise à jour de la BD Uni à la collectivité de Bordeaux métropole . Après son évaluation, une telle expérimentation pourrait être généralisée au niveau national afin de rationaliser et d'optimiser la MAJEC de la BD Uni. Le rapporteur spécial note également que le portail IGNrando , qui rassemble plus de 3 000 communautés contributives, est un modèle intéressant tandis que le déploiement d'une base de données de gestion des partenaires du collaboratif (BDGC) pourrait permettre d'optimiser le développement de l'approche collaborative avec le secteur local. L'optimisation de l'intégration de données tierces dans les référentiels de l'IGN passera par la conception et le déploiement d'outils d'appariement permettant de systématiser la collecte d'informations en masse .

Le rapporteur spécial ne saurait que trop encourager l'IGN à poursuivre avec volontarisme dans la voie de l'enrichissement collaboratif des référentiels d'information géolocalisée. Il souligne naturellement que cette dynamique doit s'accompagner d'un travail approfondi d'encadrement, de standardisation nécessaire à garantir l'interopérabilité des données mais aussi de qualification ou d'habilitation pour garantir la qualité des informations collectées.

B. LES ENTITÉS PUBLIQUES DOIVENT CHOISIR EN TOUTE CONNAISSANCE DE CAUSE LEURS PRESTATAIRES EN MATIÈRE D'INFORMATION GÉOLOCALISÉE

S'il est tout à fait légitime que l'IGN soit mis en concurrence avec d'autres acteurs du secteur, il est indispensable que, lorsqu'elles envisagent un projet ayant une dimension relative à l'information géolocalisée, les autorités publiques aient une connaissance précise des compétences et services susceptibles d'être rendus par l'établissement public national de référence . Il en va non seulement parfois de la souveraineté nationale, s'agissant de la nécessaire autonomie dans la maîtrise de données indispensables à la mise en oeuvre de politiques publiques, notamment dans des domaines régaliens, mais aussi d'un bon usage des fonds publics.

Sans remettre en cause les choix faits par les pouvoirs adjudicateurs, le rapporteur spécial note que, pour certains marchés, la direction de l'IGN regrette que les ministères concernés n'aient pas suffisamment pris en compte les capacités de l'établissement national à répondre à leurs besoins au moyen de solutions souveraines . Le rapporteur spécial précise que la méconnaissance de certains ministères quant aux capacités de l'IGN, une réalité qui a été soulignée par plusieurs personnes auditionnées au cours de la mission de contrôle, n'est pas de leur seule responsabilité . Il revient en effet à l'IGN et à ses autorités de tutelle de « prêcher la bonne parole » et de communiquer avec volontarisme sur les compétences de l'institut et son aptitude à satisfaire les besoins de ses partenaires publics. Cet aspect constitue même un enjeu majeur et décisif dans le cadre du nouveau modèle de l'IGN fondé sur sa prospection et sa participation à de grands projets d'accompagnement de politiques publiques.

Ce problème n'est pas nouveau. Le rapport de novembre 2017 précité soulignait déjà que « certaines administrations ne connaissent pas bien les productions de l'IGN et acquièrent les référentiels de base auprès de sociétés privées, voire font développer des produits comparables, ce qui est critiquable du point de vue de la bonne utilisation des deniers publics » . Il insistait sur le rôle des autorités de tutelle de l'établissement pour positionner l'IGN au niveau interministériel comme acteur de référence dans la description numérique du territoire national.

L'amélioration du pilotage des programmes de description du territoire, et plus largement des données géolocalisées, au niveau national est un enjeu majeur. Le ministère de la transition écologique a affirmé au rapporteur spécial qu'il entendait procéder à des ajustements sur cette problématique. Afin de rationaliser la satisfaction des besoins d'information géolocalisée des ministères, le rapporteur spécial considère que la méthode qui a été retenue pour l'attribution de financements issus du fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP) est un modèle intéressant . Ce mécanisme prévoit que tous les acteurs de l'État amenés à solliciter le FTAP pour financer la production de données descriptives du territoire doivent préalablement s'être mis en relation avec l'IGN pour vérifier si l'institut n'est pas à même de satisfaire leurs besoins.

Dans le prolongement de recommandations formulées dans le rapport de 2018 sur les données géographiques souveraines, le nouveau cadrage stratégique de l'IGN prévoit, parmi ses chantiers prioritaires, la création d'un guichet « cartographe du service public ». Cette évolution est nécessaire.

Le rapporteur spécial appelle ainsi à la création d'un véritable guichet cartographique public, à renforcer la communication de l'IGN et de ses autorités de tutelle auprès des ministères, et à transmettre des recommandations visant à ce que chacun d'entre eux, lorsqu'il envisage un projet concernant les données géolocalisées, s'interroge sur la possibilité et la pertinence de recourir aux services de l'institut.

C. IL EST URGENT DE TROUVER UNE SOLUTION AUX ANOMALIES DU PLAN CADASTRAL

En France, il existe deux représentations du parcellaire cadastral : d'une part le plan cadastral géré par la direction générale des finances publiques (DGFIP) pour ses missions foncières et fiscales et, d'autre part, la base de données (BD) parcellaire qui constitue l'une des composantes du référentiel à grande échelle (RGE) de l'IGN 56 ( * ) . Cette situation est insatisfaisante , non seulement car elle génère des doublons au détriment du bon usage des deniers publics mais aussi car les anomalies du plan cadastral occasionnent de graves difficultés dans la mise en oeuvre des politiques publiques territoriales.

En effet, depuis la période napoléonienne, le plan cadastral français se compose de feuilles indépendantes réalisées chacune selon une géométrie locale qui lui est propre. Cette configuration n'est pas un obstacle à la gestion foncière et fiscale assurée par la direction générale des finances publiques (DGFIP) en revanche, elle est une contrainte forte pour de nombreux autres usages essentiels dans la mesure où le plan cadastral n'est pas superposable avec les autres cartes qui décrivent le territoire. Cette situation pose de graves difficultés aux collectivités locales , en particulier pour des enjeux aussi importants que la prévention des risques . Ainsi, à titre d'exemple, pour établir leurs plans de prévention des risques (PPR), les collectivités doivent nécessairement croiser les cartes de simulation des risques avec le plan cadastral pour déterminer précisément les propriétés exposées. Faute de pouvoir superposer les deux cartes, les collectivités sont dans l'obligation de corriger comme elles le peuvent les feuilles cadastrales. Cette situation insatisfaisante peut conduire à fausser la cartographie des risques. Le même problème se pose en matière de politique du logement et notamment pour l'élaboration des plans locaux d'urbanisme (PLU).

Ces difficultés ne sont pas propres à notre pays mais, pour les résoudre, l'IGN fait valoir que tous les pays d'Europe, à l'exception notable de la France, ont d'ores et déjà réaménagé leur plan cadastral à l'occasion de sa numérisation pour constituer une base nationale dont la géométrie est continue sur l'ensemble du territoire, permettant ainsi le croisement de celle-ci avec toutes autres données représentées sous forme cartographique. Pour y parvenir, certains pays ont décidé de rapprocher les services de gestion du cadastre avec leur institut géographique national.

La représentation parcellaire cadastrale unique (RPCU)

Le projet de RPCU consiste à réconcilier le plan cadastral de la DGIP avec la base de données (BD) parcellaire de l'IGN et, plus généralement, le corriger pour qu'il soit juste et puisse être superposé avec les autres représentations cartographiques du territoire. En 2014, la DGFIP, l'IGN et le ministère de l'écologie ont signé une convention visant à constituer une nouvelle représentation parcellaire cadastrale unique (RPCU). Co-produite par l'IGN et la DGFIP, la RPCU a vocation à présenter un géoréférencement exacte et continu sur tout le territoire et, ainsi, à pouvoir se superposer avec l'ensemble des cartographies utilisées dans le domaine de l'information géographique.

La RPCU a vocation à être produite et déployée progressivement, département par département. En 2015, une première expérimentation a été conduite sur les départements de l'Île-et-Vilaine et du Loiret. Les contrôles de qualité ont identifié une anomalie structurante induite par le traitement des raccords entres les feuilles du plan cadastral ainsi que d'autres anomalies plus ponctuelles. Suite à ces constatations, la production de la RPCU a été suspendue en mai 2016.

Après la mise au point d'un nouveau process technique, les travaux ont été relancés en septembre 2017. Une phase de pré-généralisation a démarré en 2018. À ce jour, la RPCU est devenue le plan cadastral des départements du Val-de-Marne, de l'Île-et-Vilaine, du Loiret, des Hauts-de-Seine et de la Loire Atlantique.

En 2022, l'IGN a développé un nouvel outil de production baptisé RPCU V2 en cours d'expérimentation dans le département du Morbihan.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DGFIP et de l'IGN au questionnaire du rapporteur spécial

En France, à partir de 2014 une collaboration entre l'IGN et la DGFIP a été lancée pour constituer une représentation parcellaire cadastrale unique (RPCU) . Ce projet en co-production, prévu à l'origine pour être achevé en sept ans, a connu de graves difficultés et des retards très significatifs. En 2016 le projet a été suspendu avant d'être relancé en 2017 sur la base d'une nouvelle méthode. Cette année un nouvel outil de production dit « RPCU V2 » est en phase d'expérimentation. Promise et attendue depuis si longtemps, la RPCU apparaît plus que jamais « en sursis ». Nombreux sont ceux qui se demandent si elle verra le jour. Certains acteurs proposent d'abandonner purement et simplement ce projet. D'autres craignent que le déploiement s'étende sur dix ans voire plus. Pendant ce temps les collectivités s'impatientent et réclament à juste titre de la visibilité. À l'heure où les dérèglements climatiques rendent les politiques de prévisions des risques toujours plus critiques, il n'est pas acceptable de laisser ainsi les collectivités dans l'expectative .

Le rapporteur spécial insiste sur l'urgente nécessité de trouver une solution en faisant aboutir rapidement, et selon un calendrier prévisionnel déterminé et réaliste, le projet de représentation parcellaire cadastrale unique (RPCU) ou, à défaut en développant une alternative permettant de satisfaire les attentes fortes des collectivités locales.

D. PLAN DE CORPS DE RUE SIMPLIFIÉ : CLARIFIER LE RÔLE DE L'IGN

D'ici 2026, l'État 57 ( * ) exige des collectivités locales , en leur qualité d'autorités publiques locales compétentes propriétaires des réseaux, qu'elles constituent un plan de corps de rue simplifié (PCRS) 58 ( * ) permettant de cartographier de façon très précise les réseaux enterrés sensibles (gaz, électricité, eau, etc ) afin de réduire la survenance d'accidents lors de travaux de voirie.

En 2019, l'IGN a été mandaté par la direction générale de la prévention des risques (DGPR) pour jouer un rôle de facilitateur, accompagner et stimuler la mise en oeuvre du programme. Tous les acteurs en conviennent, le positionnement réglementaire de l'IGN n'est pas confortable dans la mesure où il propose son expertise sans pouvoir apporter les financements que certaines petites collectivités réclament. À l'échelle d'un département, la constitution du PCRS nécessite des investissements de l'ordre de 500 000 à 1 million d'euros.

Dans certains cas, l'IGN participe à la production de PCRS. Dans le cadre de ces partenariats, sans qu'une mission de production ou de financement ne lui soit explicitement dévolue, l'IGN dépense environ 3 millions d'euros par an pour contribuer à financer ces projets à hauteur de 15 % 59 ( * ) . Par ailleurs, les solutions de production proposées peuvent différer selon les partenariats ce qui ne permet pas à l'institut de réaliser des économies d'échelle et participe à un usage sous-optimal des fonds qu'il y consacre. Aussi, pour rationaliser sa contribution au PCRS, l'IGN a-t-il décidé de simplifier drastiquement son offre et de la standardiser.

Le rapporteur spécial constate que le positionnement de l'IGN dans le programme de PCRS est particulièrement flou . Il contribue à le produire et à le financer sans en avoir explicitement la mission. Par ailleurs, certains acteurs contestent la légitimité de la participation de l'institut à la production du programme, estimant que celle-ci peut être prise en charge par le secteur privé à des coûts inférieurs. Ils estiment que l'intervention de I'IGN devrait se limiter à un rôle d'expertise en contrôle qualité.

En présence de tels flottements, le rapporteur spécial appelle à ce que le rôle et le positionnement de l'IGN dans ce projet soit rapidement clarifié .

Avancement du PCRS (septembre 2022)

Source : portail internet de l'IGN « géo-services »

IV. EN CRISE DE LÉGITIMITÉ, L'IGN A ENTREPRIS UNE TRANSFORMATION DE SON MODÈLE

A. CONFRONTÉ À UNE CRISE D'IDENTITÉ ET À UNE CONTESTATION DE SA LÉGITIMITÉ, L'IGN DEVAIT SE RÉFORMER

Dans les années 2010, les bouleversements du paysage de la donnée géolocalisée ont mis sous tension l'IGN . Confronté à un univers en profonde évolution, celui-ci s'est vu remettre en cause dans son identité, contesté dans sa légitimité et concurrencé par l'émergence rapide et inéluctable de nouveaux acteurs.

Alors que le nombre et la pluralité des producteurs de données ne faisaient que s'accroître, en particulier au sein de la sphère publique, il devenait de plus en plus clair que l'IGN ne pouvait prétendre à un monopole dans la conception des produits publics d'information géolocalisée. Dans ce contexte, les relations entre l'IGN et les collectivités locales , toujours plus impliquées dans la production de données, se sont dégradées . Les rapports entre celles-ci et l'IGN étaient compliqués par les relations commerciales qu'ils entretenaient avant la décision d'ouvrir gratuitement les données de l'institut aux autorités publiques. Pressé d'accroître ses ressources propres pour satisfaire ses impératifs budgétaires, l'IGN a été amené à développer sa politique commerciale, notamment à l'endroit des collectivités 60 ( * ) . Ces dernières, qui pour certaines transféraient gratuitement des données à l'IGN, ont pu avoir le sentiment que l'opérateur équilibrait son budget au détriment de leurs intérêts financiers. Une défiance croissante s'est installée. Alors qu'il était particulièrement nécessaire de coordonner et de rationaliser l'écosystème de la géo-donnée publique, cette situation grippait les opportunités de partenariats .

Par ailleurs, la plus-value de l'IGN, par rapport à des acteurs privés ou à des acteurs publics territoriaux , dans la conception de productions d'information géographique spécifiques à des besoins locaux était également contestée.

En 2018, le rapport sur les données géographiques souveraines recommandait de réformer l'IGN

Le rapport de 2018 sur les données géographiques souveraines livrait le constat d'un IGN exposé à des bouleversements profonds qui l'appelaient à s'adapter et à se transformer :

« Dans un environnement caractérisé par la multiplicité des producteurs publics de données géographiques souveraines, l'IGN a vocation à revoir le périmètre de ses propres productions et à se positionner comme expert et accompagnateur de l'écosystème. Par principe, en ce qui concerne la production de données, ne devraient relever de l'institut que la production des données souveraines « socle » et celle des grands référentiels mobilisés dans les politiques publiques à fort enjeux » .

Source : rapport au Gouvernement sur les données géographiques souveraines de Valéria Faure-Muntian, juillet 2018

Quelque-peu malmené au sein de la sphère publique par la montée en compétences des collectivités locales , l'IGN était aussi de plus en plus concurrencé par le secteur privé et particulièrement par l'avènement de nouveaux acteurs internationaux dotés de moyens sans commune mesure avec ceux de l'opérateur 61 ( * ) . Les « GAFAM 62 ( * ) », dont le modèle économique repose sur l'exploitation des données se sont rapidement positionnés sur le marché des services d'information géolocalisée. D'autres sociétés plus modestes ont également développé des outils à l'usage des particuliers actualisés beaucoup plus régulièrement que ceux de l'IGN, notamment grâce au concept d'enrichissement collaboratif des bases de données géolocalisées.

Au-delà de la question de l'émergence des acteurs, l'IGN était aussi remis en cause dans ses méthodes et dans son identité à travers l'émergence des dynamiques collaboratives déployées notamment par des communautés comme OpenStreetMap.

Face à cette concurrence, l'IGN courrait le risque d'une certaine forme d'obsolescence et de voir certaines de ses productions marginalisées. Dans ce contexte, l'utilité même de l'institut a pu être mise en doute par certains. Ancré dans l'histoire, l'établissement public national de référence en matière de géo-données avait besoin de se projeter dans l'avenir .

Le rapporteur spécial a ainsi acquis la conviction que l'IGN devait se transformer pour attirer et développer de nouvelles compétences, incorporer de nouvelles technologies et rester un opérateur d'excellence , référence nationale incontestée en matière de données géolocalisées souveraines.

B. L'OUVERTURE DES DONNÉES PUBLIQUES SIGNE LA FIN DE « L'ÈRE COMMERCIALE » DE L'IGN

Au milieu de la décennie 2010, les pouvoirs publics ont fait un choix clair en faveur de l'ouverture des données , processus communément qualifié « d'open data » . La loi n° 2015-1779 du 28 décembre 2015 relative à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public dite « loi Valter » a posé les premiers jalons du processus d'ouverture et de gratuité des données publiques. De par ses missions et ses activités, l'IGN était bien entendu tout particulièrement concerné par cette profonde dynamique. La loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique dite « loi Lemaire » dispose quant à elle que l'échange de données publiques entre les administrations de l'État et les établissements publics aux fins de l'exercice de leurs missions de service public ne peut donner lieu à une redevance. Ces deux lois instaurent le principe de gratuité des échanges de données entre les administrations publiques.

Une compensation de 700 000 euros a été accordée à l'IGN au titre de la perte des redevances liées aux licences qui étaient concédées aux services de l'État et aux établissements publics administratifs pour l'usage de certaines données 63 ( * ) . Cette compensation a pris la forme d'un abondement structurel (un rebasage) de la subvention pour charges de services publics (SCSP) versée à l'institut depuis le programme 159 « Expertise, information géographique et météorologie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». En 2016, avant la mise en oeuvre du processus d'ouverture et de gratuité, la vente de licences pour ses données publiques rapportait environ 6 millions d'euros par an à l'IGN .

En mars 2019, en réponse à un référé de la Cour des comptes sur la valorisation des données de l'IGN, de Météo-France et du Centre d'études et d'expertise sur les risques, de l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) 64 ( * ) , le Gouvernement a décidé que la gratuité de la réutilisation de l'ensemble des bases de données publiques de l'IGN devait être effective d'ici le 1 er janvier 2022 .

L'IGN a décidé d'appliquer cette obligation avec une année d'avance, au 1 er janvier 2021 . Les conséquences financières de cette dernière étape d'ouverture ont été évaluées à 1,1 million d'euros par l'établissement.

À l'unisson des différents acteurs de l'écosystème, de la direction de l'établissement et de ses autorités de tutelle, le rapporteur spécial est convaincu que la fin de « l'ère commerciale » de l'IGN lui ouvre de nouvelles opportunités de collaborations avec les acteurs de l'écosystème des données géolocalisées, au premier rang desquelles les collectivités mais aussi le secteur privé. Le rapporteur spécial a pu constater qu'elle lui a déjà permis de regagner la confiance de ses partenaires lui permettant de se repositionner dans un rôle de référence au coeur même du système des données géolocalisées publiques.

C. UN « LÂCHER PRISE » : L'IGN RÉVOLUTIONNE SON MODÈLE

Confronté à une crise de légitimité et d'identité ainsi qu'au processus d'ouverture des données, l'IGN a entrepris une refondation de son modèle . Celle-ci a été formalisée dans plusieurs documents stratégiques : le projet d'établissement de 2019, le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 signé en novembre 2020, la démarche « #IGN2021 » lancée en octobre 2020 ou encore le nouveau cadrage stratégique présenté en novembre 2021.

La présentation du nouveau modèle de l'IGN dans son contrat d'objectifs
et de performance (COP) 2020-2024

Dans la dynamique de la stratégie d'État-plateforme modernisant l'action publique et de la révolution des usages numériques, l'IGN a mené en 2019 une transformation profonde, dans un contexte de contraintes économiques liées à la trajectoire des finances publiques. L'institut a fait évoluer sa mission historique de production-diffusion de données, son organisation, son modèle économique et ses méthodes de travail pour satisfaire un impératif : renforcer l'appui direct aux politiques publiques. Sa nouvelle feuille de route rééquilibre son activité de producteur-diffuseur, au profit de celle, plus large, d'architecte référent des données géographiques et forestières nécessaires à l'exercice souverain des politiques publiques.

Du fait du dimensionnement de ses capacités, de son niveau d'expertise et de son positionnement national, l'IGN est appelé à intervenir principalement dans de grands projets d'équipement en données descriptives du territoire qui joueront un rôle structurant pour les politiques publiques. Comme tenu des besoins croissants dans ce domaine, l'IGN doit se positionner comme un opérateur interministériel mobilisant ses ressources en fonction des priorités des porteurs des politiques publiques, au niveau tant des services de l'État qu'à celui des établissements publics chargés de décliner certaines politiques ou des collectivités territoriales compétentes en la matière. Cela induit la capacité pour l'IGN de reconfigurer l'allocation de ses capacités dans le temps, selon un cycle pluriannuel correspondant au délai nécessaire pour mener à terme les étapes clés des grands projets pris en charge, afin de s'adapter à l'évolution des besoins des politiques publiques.

En devenant l'opérateur interministériel des données géographiques souveraines, il ne s'agit pas pour l'IGN de produire ou d'entretenir les données de façon autonome mais d'animer un dispositif collaboratif de travail en confiance avec un écosystème de partenaires, afin de garantir la qualité des données clefs pour l'action publique.

La transformation de l'IGN repose aussi sur une meilleure prise en compte des usages et des besoins nouveaux en information géolocalisée, répondant à une logique d'aide à la décision publique et de coproduction de services en partenariat avec des acteurs publics et privés ainsi qu'en interaction, le cas échéant, avec les citoyens. Dans ce contexte de transformation et d'approche nouvelle, l'IGN porte le projet majeur de géoplateforme nationale.

Source : contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 de l'IGN

D'une mission historique de production-diffusion d'information géographique, parfois pour des besoins très spécifiques, l'IGN évolue de plus en plus vers des rôles d'agrégateur de données tierces, d'expert, de coordinateur, de facilitateur ou encore de certificateur . Cette évolution profonde ne va pas de soi, elle s'apparente à un véritable « lâcher prise » pour l'institut et ses personnels. Le rapporteur spécial mesure toute l'ampleur des changements qu'elle induit .

Le nouveau modèle de l'IGN entend ainsi cantonner ses activités de production aux seules données socles souveraines. Certaines d'entre-elles pouvant néanmoins également être collectées par d'autres acteurs puis certifiées par l'institut. L'institut n'entend plus assurer une multitude de petites prestations d'informations géolocalisées ponctuelles mais uniquement des productions à forts enjeux susceptibles d'être déployées à l'échelle nationale .

L'IGN recentre donc son action sur la production des données souveraines ainsi que sur le pilotage de vastes projets d'information géographique utiles à l'accompagnement de grandes politiques publiques . Le financement de ces projets est assumé par les commanditaires institutionnels, principalement des ministères, en recourant le cas échéant à une contribution de fonds interministériels tels que le fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP). Ces flux financiers abondent le budget de l'IGN en plus de sa subvention pour charges de service public (SCSP) et conditionnent la viabilité économique du nouveau modèle de l'institut.

Pour ces grands projets, et sur le modèle des contrats de défense conclus avec le ministère des armées, l'IGN travaille en partenariat avec les entreprises privées et recourt très largement à la sous-traitance . Dans son nouveau modèle, la production en propre de l'IGN doit devenir l'exception tandis que ses activités de pilotage de la sous-traitance ou d' assistance à maîtrise d'ouvrage (MOA) vont prendre une part beaucoup plus significative. Cela implique notamment un enjeu déterminant de montée en compétence sur ces rôles émergents .

Au fil des auditions conduites dans le cadre de sa mission de contrôle, le rapporteur spécial a pu constater que ses partenaires saluent de façon unanime le processus de transformation de l'IGN et son nouveau positionnement. Il a notamment retenu le point de vue affirmé par le président de l'Afigéo : « l'IGN doit être garant de l'excellence des données au service du citoyen, de l'économie, des décisions politiques. C'est sur ce domaine qu'il est légitime » .

V. UNE TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE RIGOUREUSE QUI COMMENCE À ÊTRE INFLÉCHIE

A. LA TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE DE L'IGN CONSTITUAIT UN OBSTACLE À SA TRANSFORMATION

1. Une subvention pour charges de service public réduite de 10 % en dix ans

La subvention pour charges de service public (SCSP) de l'IGN lui est versée à partir des crédits du programme 159 « Expertise, information géographique et météorologie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». À l'instar des autres opérateurs du programme, la SCSP historique de l'institut présente une tendance à la baisse continue depuis dix ans. Attendue à 84,4 millions d'euros en 2022 , elle se sera ainsi repliée d'un peu plus de 10 % depuis 2012 .

Évolution de la SCSP effectivement perçue 65 ( * ) par l'IGN (2012-2021)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les rapports annuels de performance annexés aux projets de loi de règlement des comptes de l'État

En 2021, la SCSP historique a été complétée d'une dotation exceptionnelle de 2,9 millions d'euros pour compenser la migration informatique du géoportail, portant ainsi les crédits affectés à l'IGN depuis le programme 159 à 87,9 millions d'euros.

Les dotations versées à l'IGN via le programme 159 se répartissent entre deux sous actions de l'action 12 « Information géographique et cartographique ». La sous action 12-1 « Production de l'information géographique », dotée de 75 millions d'euros en 2021, a vocation à contribuer aux missions de production d'information géographique et cartographique de l'institut. La sous action 12-2 « Recherche dans le domaine de l'information géographique », dotée de 13 millions d'euros en 2021, est dédiée aux activités de recherche et de formation.

2021 a constitué un point de bascule dans la transition du modèle économique de l'établissement puisque, pour la première fois, ses ressources propres, tirées par les grands programmes, sont devenues majoritaires au sein du total de ses recettes. Ainsi, comme l'illustre le graphique ci-après, en 2021, la SCSP de l'IGN n'a plus représenté qu'environ 46 % du total de ses ressources (185 millions d'euros).

Évolution de la part de la SCSP et des ressources propres de l'IGN
dans ses recettes totales (2016-2021)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

L'IGN perçoit par ailleurs de façon structurelle 1,9 million d'euros en provenance du programme 113 « Paysages, eau et biodiversité » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » au titre de la gestion des risques naturels et de la connaissance de l'évolution de la biodiversité.

En 2012, après la fusion de l'Institut géographique national avec l'Inventaire forestier national (IFN), le montant de la SCSP (11,9 millions d'euros) ainsi que les emplois autorisés de l'IFN ont été transférés du programme 149 « Forêt » vers le programme 159. D'après l'IGN, le coût de la réalisation de l'inventaire forestier en hausse de 8 % depuis 2019 atteindrait 12,4 millions d'euros soit un montant supérieur à la SCSP attribuée à l'établissement en 2012 lors de la fusion.

2. La tendance à la baisse de ses effectifs était devenue incompatible avec la transformation de l'IGN

Plus que la diminution de sa SCSP, c'est la baisse continue des effectifs de l'IGN qui constituait le principal obstacle à la réorganisation de l'établissement. L'assouplissement du schéma d'emplois rigoureux imposé à l'établissement constituait pour lui « la mère de toutes les batailles » dans la mesure où il imposait une contrainte très forte sur le déploiement du programme de recrutement indispensable à la transformation du modèle de l'opérateur. Cette situation constituait véritablement le point faible susceptible de faire échouer dans l'oeuf la refondation de l'IGN .

Évolution des plafonds d'emplois notifiés et exécutés (2012-2021)

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat d'après les rapports annuels de performance annexés aux projets de loi de règlement des comptes de l'État

Le plafond d'emplois de l'IGN est passé de 1 760 ETPT en 2012 à 1 397 ETPT en 2021. Depuis dix ans, les effectifs de l'opérateur ont été réduits de plus de 20 % . En 2021, les emplois sous plafond de l'IGN représentaient 1 381 ETPT .

Depuis 2017, le schéma d'emplois exécuté par l'IGN représente une baisse d'effectifs annuelle moyenne de plus de 35 ETP , soit 177 ETP sur l'ensemble de la période.

Schéma d'emplois prévu et réalisé par l'IGN (2018-2022)

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

En 2022 , alors qu'il était envisagé initialement à - 36 ETP , le schéma d'emplois de l'établissement a été ramené à - 10 ETP , s'inscrivant ainsi en rupture avec la trajectoire des années passées.

À l'occasion de l'examen par le Parlement du projet de loi de finances initiale pour 2022, dans son rapport budgétaire, le rapporteur spécial avait salué cette inflexion indispensable pour que l'établissement puisse engager l'ambitieux programme de recrutement qui doit lui permettre d'acquérir les nouvelles compétences nécessaires à sa transformation 66 ( * ) .

Actuellement, l'effectif sous plafond de l'IGN se compose de 53 % de fonctionnaires titulaires, de 33 % d'ouvriers de l'État et de 14 % d'agents contractuels . Les corps techniques de l'établissement, à savoir les ingénieurs et les géomètres représentent 34 % des effectifs. 6 % des agents sous-plafond de l'IGN relèvent des corps du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. D'un point de vue géographique, les deux-tiers des effectifs de l'IGN travaillent en Île-de-France. La répartition fonctionnelle des effectifs de l'IGN est présentée dans le graphique ci-après.

Répartition fonctionnelle des effectifs de l'IGN au 31 décembre 2021

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses de l'IGN au questionnaire du rapporteur spécial

Dans le cadre de son nouveau modèle, qui repose de plus en plus sur des conventions financières de partenariat, l'IGN accroit son recours aux emplois hors-plafond . Entre 2018 et 2021, ces derniers ont progressé de 16,3 ETP (+ 55 %). Alors que le recrutement de contractuels dans le cadre des conventions de financement des grands projets doit se poursuivre, l'IGN anticipe une nouvelle augmentation de ses effectifs hors-plafond dans les années à venir.

Effectifs hors-plafond de l'IGN (2018-2021)

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses de l'IGN au questionnaire du rapporteur spécial

Les emplois hors plafond de l'IGN concernent aussi des agents sur contrat pour des projets de recherche, en particulier en réponse aux appels d'offre de l'Agence nationale de la recherche (ANR).

B. L'ENGAGEMENT PLURIANNUEL D'OBJECTIFS ET DE MOYENS : UN BOL D'AIR INDISPENSABLE MAIS TEMPORAIRE

Après un premier assouplissement de la trajectoire budgétaire de l'institut décidé dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2022 sous la forme d'un schéma d'emploi moins exigeant, l'IGN, ses autorités de tutelle et la direction du budget (DB) ont conclu, le 25 janvier 2022, un engagement pluriannuel d'objectifs et de moyens (EPOM) . Ce document correspond aux anciens contrats d'objectifs et de moyens et constitue le volet financier du contrat d'objectifs et de performance (COP) de l'IGN. Cet EPOM porte sur la période 2022-2024, en cohérence avec celle du COP 67 ( * ) , et formalise des engagements réciproques entre l'opérateur et l'État .

La signature de cet EPOM traduit la relation de confiance qui existe entre l'IGN et la DB dans la mesure où cette dernière, en formalisant des engagements en matière de SCSP et de schéma d'emplois, limite ses marges de manoeuvre dans l'élaboration des prochaines lois de finances. À cette relation de confiance, fondée sur le respect, par l'opérateur, d'une trajectoire budgétaire rigoureuse depuis de nombreuses années, s'est ajoutée, pour la DB, la prise de conscience des enjeux de la transformation de l'IGN , notamment pour garantir la viabilité économique de son nouveau modèle . Pour l'accompagner dans cette refondation , et plus particulièrement pour lui permettre d'engager un ambitieux programme de recrutement et de promotion de son attractivité, l'opérateur avait besoin d'un assouplissement de sa trajectoire budgétaire doublé d'une visibilité pluriannuelle .

Dans le cadre de cet EPOM, la DB a pris l'engagement de stabiliser jusqu'en 2024 la SCSP de l'établissement à son niveau de 2022 (84,4 millions d'euros) et d'assouplir son schéma d'emplois . Nul en 2023, ce schéma doit cependant retrouver, dès 2024, sa trajectoire antérieure à 2022 avec une réduction de 35 ETP. Les engagements de l'IGN reposent notamment sur le respect d'une trajectoire d'évolution de sa masse salariale, le maintien d'un niveau de trésorerie prudentiel, le développement de ses partenariats financiers ou encore la concrétisation de son programme de recrutement.

Le rapporteur spécial se félicite de la conclusion de cet EPOM qui, jusqu'en 2024, donne à l'IGN les moyens budgétaires pour concrétiser sa transformation . Toutefois , et alors que le rythme rigoureux du schéma d'emploi doit reprendre dès 2023, la viabilité économique de moyen terme du nouveau modèle de l'IGN dépendra des équilibres budgétaires qui seront déterminés à l'issue de l'EPOM, en 2024 .

C. LES ENJEUX BUDGÉTAIRES POST 2024 SERONT DÉTERMINANTS POUR LA VIABILITÉ ÉCONOMIQUE DU NOUVEAU MODÈLE DE L'IGN

Si l'EPOM donne à l'établissement une visibilité budgétaire bienvenue d'ici 2024, la viabilité économique de moyen terme de son nouveau modèle sera mise à l'épreuve à partir de 2025.

Actuellement, l'analyse financière prospective qui fonde la viabilité du modèle de l'IGN repose sur plusieurs hypothèses fortes qui resteront à confirmer . Parmi ces hypothèses, l'IGN compte notamment sur un gel du schéma d'emplois et de sa SCSP . Elles supposent aussi de parvenir à boucler le financement du programme Lidar HD en réunissant 15 millions d'euros d'ici 2025 mais aussi de conclure de nouveaux marchés pour un montant de 100 millions d'euros sur la période 2024-2027, soit 25 millions d'euros de recettes annuelles. Il implique également de maintenir des flux financiers élevés en provenance de ses deux principaux « clients » que sont le ministère des armées et le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Enfin, outre le déficit de financement de 15 millions d'euros sur le programme Lidar HD, aucun financement n'est à ce jour prévu pour l'actualisation de l'outil de suivi de l'occupation des sols (l'OCS GE). Le besoin est évalué à environ 2 millions d'euros par an entre 2025 et 2027.

Devant tant d'incertitudes, en 2024, le rapporteur spécial recommande de confier à une mission indépendante la réalisation d'un premier bilan approfondi du nouveau modèle économique de l'IGN, bilan qui devra notamment contribuer à déterminer la trajectoire budgétaire de l'institut à compter de 2025 et, le cas échéant impliquer un réengagement de l'État pour accompagner la refondation stratégique de l'opérateur .

VI. UNE SITUATION FINANCIÈRE MARQUÉE PAR LES GRANDS PROJETS QUI SERA MISE À L'ÉPREUVE PAR LE NOUVEAU MODÈLE DE L'IGN

A. UNE CROISSANCE PORTÉE PAR LES GRANDS PROJETS ET LA SOUS-TRAITANCE

Dépenses et recettes effectives de l'IGN (2017-2024)

(en milliers d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

Portée par son nouveau modèle, l'activité de l'IGN est en croissance . Alors que son budget oscillait entre 150 et 160 millions d'euros jusqu'en 2020, celui-ci, moyennant le décalage entre la perception des recettes issues des financements des grands projets et l'exécution des dépenses pour leur réalisation effective, devrait se situer entre 170 et 180 millions d'euros jusqu'en 2024 . Cet accroissement d'activité à effectifs constants, et même en diminution, est permis par l'effet de levier procuré par le recours à la sous-traitance . Il signale aussi que la multiplication des projets auxquels contribue l'IGN a placé l'opérateur dans une situation de « saturation » de ses moyens humains.

B. LES RESSOURCES PROVENANT DES GRANDS PROJETS REPRÉSENTENT UNE PART DE PLUS EN PLUS SIGNIFICATIVE DU BUDGET DE L'IGN

1. La diminution de la vente de cartes et la gratuité des données publiques affectent le chiffre d'affaires de l'IGN

Évolution du chiffre d'affaires de l'IGN (2017-2022)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

Essentiellement porté par la vente de cartes papier, le marché dit « grand public » s'est contracté de plus de 20 % depuis 2018 . La stabilisation observée à partir de 2019 autour de 8,5 millions d'euros s'explique notamment par des efforts entrepris par l'opérateur pour enrayer cette érosion, notamment la commercialisation de nouvelles cartes et atlas régionaux ou encore le développement du portail « IGN Rando ». L'EPOM anticipe néanmoins une nouvelle baisse de ce marché qui pourrait s'établir à 7,5 millions d'euros à horizon 2024.

L'érosion du marché dit « professionnel » est quant à elle appelée à se poursuivre . Elle s'explique en partie par la fin du cycle d'acquisition de données de grands acteurs privés mais elle est surtout la résultante du processus d'ouverture et de gratuité des données publiques. Les recettes de ce marché se sont ainsi taries de plus de 50 % depuis 2017 . Alors que l'IGN a pour objectif de les stabiliser autour de 5 millions d'euros à horizon 2027, l'EPOM anticipe des recettes de seulement 3,8 millions d'euros en 2024.

Le marché « défense - espace » présente quant à lui une dynamique positive qui s'explique par le partenariat de confiance historique noué entre le ministère des armées et l'IGN . L'EPOM anticipe un niveau de recettes de 18 millions d'euros en 2024.

2. La progression rapide des ressources tirées des grands projets

Son nouveau modèle se traduit déjà de façon très concrète dans les comptes de l'établissement . Ainsi, pour 2021, les recettes issues de ses grands projets ont atteint le montant exceptionnel de 55,5 millions d'euros , contre 28,8 millions d'euros perçus en 2020, ce qui représentait déjà une augmentation de 39,8 % par rapport à 2019. Ce montant exceptionnel s'explique par les 23,7 millions d'euros perçus dans le cadre du projet Lidar HD financé par une subvention du fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP) et des crédits issus du plan de relance.

Ressources tirées des grands projets (2016-2021)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

L'EPOM anticipe néanmoins un tassement très net de ces recettes , en 2023 et en 2024, en particulier dans un contexte de tarissement des crédits issus du plan de relance et du FTAP .

Financements obtenus par l'IGN
en provenance de grands fonds publics nationaux

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses de l'IGN au questionnaire du rapporteur spécial

Sur la période récente, les financements obtenus par l'IGN en provenance de grands fonds publics nationaux tels que le plan de relance, le fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP) ou le fonds d'accompagnement interministériel des ressources humaines (FAIRH) ont été particulièrement significatifs . Ils se sont élevés à près de 64 millions d'euros 68 ( * ) , représentant environ 40 % d'une année de recettes de l'IGN. Le rapporteur spécial craint que le tarissement de ces sources de financement ne mette d'autant plus sous pression le modèle économique de l'IGN dans les années à venir .

C. MAITRISÉE, LA MASSE SALARIALE DEMEURE LE PRINCIPAL POSTE DE DÉPENSE DE L'IGN

1. Des dépenses de fonctionnement tirées par la sous-traitance

Hors masse salariale, les dépenses de fonctionnement de l'IGN sont orientées à la hausse. Elles ont ainsi progressé de 25 % depuis 2016. Cette augmentation s'explique principalement par le développement de la sous-traitance et des dépenses qu'elle suppose.

Dépenses de fonctionnement de l'IGN exécutées
(crédits de paiement)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

Du fait du nouveau modèle de l'IGN, les dépenses de sous-traitance relatives aux grands projets vont être structurellement élevées . Elles devraient se maintenir à des niveaux de 25 à 40 millions d'euros selon les années.

2. Une masse salariale maîtrisée qui va progresser sous l'effet du programme de recrutement et des mesures d'attractivité

Entre 2016 et 2021 , principalement sous l'effet des baisses d'effectifs, les dépenses de personnel ont diminué de 3 %. Elles représentent encore près de 70 % des dépenses totales de l'opérateur. La baisse sensible des effectifs d'ouvriers de l'État (- 17 % depuis 2017) participe aussi à la diminution de la masse salariale de l'établissement. Leur rémunération ne représente plus qu'un peu moins de 30 % de la masse salariale de l'IGN (contre 33 % en 2017).

Effectifs des ouvriers de l'État de l'IGN (2017-2021)

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses de l'IGN au questionnaire du rapporteur spécial

Dans le même temps, et en raison notamment du repyramidage des effectifs lié à la transformation de l'établissement 69 ( * ) , le salaire moyen par tête (SMPT) est légèrement orienté à la hausse (+ 1 % depuis 2018).

Maîtrisée, la masse salariale de l'IGN est désormais encadrée par l'EPOM jusqu'en 2024. Le rapporteur spécial précise cependant qu'il n'a pu réaliser d'étude rétrospective des déterminants de l'évolution de la masse salariale à travers l'analyse des indicateurs du glissement vieillesse technicité (GVT). En effet, jusqu'en 2021, l'IGN ne calculait pas la variation du « GVT négatif » ou « effet de noria ». Aussi, il ne pouvait procéder à une analyse de l'évolution du « GVT solde ». Ce manque constituait une limite dans le pilotage des grands indicateurs des dépenses de personnel de l'établissement. Le rapporteur spécial recommande ainsi à l'IGN de poursuivre et de conforter l'affinement des indicateurs de pilotage de la gestion de ses ressources humaines .

Dépenses de personnel de l'IGN (2016-2022)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

Une légère progression de la masse salariale est à attendre en 2022 et 2023 du fait de l'assouplissement du schéma d'emploi et, à terme, une stabilisation autour de 111 millions d'euros est escomptée. En 2022, la progression attendue de 2 millions d'euros (à 113 millions d'euros) s'explique d'une part par une hausse du coût moyen de rémunération des effectifs nécessaire pour attirer de nouveaux profils et de nouvelles compétences et, d'autre part, par le coût du versement échelonné de la dette d'indemnité spéciale des personnels des corps techniques non versée au titre de l'exercice 2020 suite au passage au régime indemnitaire des fonctionnaires de l'État (RIFSEEP) de ces corps au 1 er janvier 2021. Le versement échelonné de cette dette de 5 millions d'euros doit être réalisé sur une période de six ans. En 2022, elle pèsera à hauteur de 968 000 euros sur les charges de personnel.

3. Des dépenses d'investissement calibrées au plus juste

Les besoins structurels d'investissements de l'IGN, pour maintenir et renouveler son appareil de production, se situent autour de 10 millions d'euros . Ces dernières années, et en dépit d'une tendance à la hausse depuis 2018, les dépenses d'investissements se situaient à un niveau inférieur à cet étiage.

Dépenses d'investissement (2016-2022)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

En 2021, les dépenses d'investissement de l'opérateur ont porté sur le « géoportail », le projet de « géoplateforme », l'acquisition de matériel scientifique et technique et de matériel informatique ou encore sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) de l'appareil productif de l'opérateur. L'IGN a également engagé des démarches pour acquérir un nouvel avion pour un montant de 5 millions d'euros. La livraison de l'appareil est attendue pour la fin de l'année 2022 ou le début de l'année 2023.

La viabilité de son nouveau modèle ainsi que la capacité de l'IGN à rester un établissement de référence performant à la pointe des techniques géomatiques, dépendent aussi du maintien d'un niveau de dépenses d'investissement suffisant et ce d'autant plus que dans les années qui viennent l'établissement devra consacrer des moyens au déploiement de la géoplateforme, à l'augmentation de ses capacités de stockage informatique mais aussi au renouvellement de ses matériels de prise de vue ainsi que de ses matériels techniques et scientifiques.

Le rapporteur spécial considère ainsi qu'il serait dangereux pour la viabilité même de son modèle que les dépenses d'investissement de l'IGN viennent à être utilisées à terme comme une variable d'ajustement de son équilibre budgétaire .

D. UN SOLDE BUDGÉTAIRE ANNUEL QUI FLUCTUE AU GRÉ DU DÉCALAGE ENTRE LES RECETTES ET LES DÉPENSES DES GRANDS PROJETS

Le nouveau modèle de l'IGN fondé sur de grands projets a une dimension fondamentalement pluriannuelle qui ne se prête pas aisément à une analyse budgétaire annuelle.

Solde budgétaire de l'IGN (2017-2022)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

Les décalages entre la perception par l'IGN des recettes destinées à financer ces grands projets et l'exécution effective des dépenses relatives à ces mêmes projets expliquent ainsi les fluctuations du solde budgétaire de l'établissement ou encore de sa trésorerie et de son fonds de roulement . Cette situation se vérifie d'autant s'agissant des financements attribués dans le cadre du plan de relance qui devaient être consommés entre 2020 et 2022. Le phénomène est particulièrement exacerbé s'agissant du projet Lidar HD dont la réalisation doit se poursuivre jusqu'en 2025.

Fonds de roulement et trésorerie au 31 décembre de l'IGN (2017-2022)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

Le résultat net positif depuis 2018 démontre une amélioration de la stabilité économique de l'IGN.

Résultat net de l'IGN (2017-2022)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents financiers de l'IGN

E. L'IGN DOIT PARFAIRE SON CONTRÔLE INTERNE COMPTABLE ET BUDGÉTAIRE

Les comptes de l'IGN sont certifiés chaque année sans réserves par un commissaire au compte. Néanmoins, le rapporteur spécial a pu constater que les dispositifs de maîtrise des risques et de contrôle interne comptable et budgétaire (CICB) de l'opérateur étaient encore très incomplets . Il souligne que ces dispositifs relèvent d' une obligation réglementaire en vertu de l'article 215 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, dit « décret GBCP », ainsi que de l'arrêté du 17 décembre 2015 relatif au cadre de référence des contrôles internes budgétaire et comptable.

Si l'IGN a pris conscience de son retard et met en place progressivement une véritable stratégie de contrôle interne, la démarche est progressive et ne concerne aujourd'hui que deux processus d'activité. L'opérateur ne dispose toujours pas d'une cartographie des risques exhaustives ni d'un plan d'action de maîtrise et de résorption de ces risques.

Le COP 2020-2024 prévoit notamment que l'IGN mette à jour sa documentation, que ses plans d'actions fassent l'objet d'un suivi formalisé et qu'il se dote d'une cartographie des risques financiers destinée à son conseil d'administration. Dans le cadre de sa transformation et de la mise en oeuvre d'un nouveau modèle économique susceptible de mettre sous tension ses modes de gestion, la mise en oeuvre d'un CICB robuste sera d'autant plus utile à l'IGN.

S'il salue le lancement récent d'une démarche structurée, le rapporteur spécial estime nécessaire que l'IGN poursuive la formalisation de ses dispositifs de contrôle interne comptable et budgétaire afin de sécuriser sa gestion.

DEUXIÈME PARTIE
NÉCESSAIRE ET PLÉBISCITÉE PAR SES PARTENAIRES,
LA RÉVOLUTION DU MODÈLE DE L'IGN DOIT ENCORE SURMONTER PLUSIEURS OBSTACLES

I. LES INCERTITUDES INHÉRENTES À UNE LOGIQUE DE PROJETS

A. LE « TROU D'AIR » OU LA « SURCHAUFFE »

1. Le risque du « trou d'air »

Fondé sur la participation de l'institut à de grands projets nationaux d'accompagnement des politiques publiques, réalisés en quasi-régie par des marchés dits « in house » conclus avec des partenaires institutionnels et faisant l'objet de flux financiers distincts de la subvention pour charges de service public (SCSP), le nouveau modèle économique de l'IGN présente une fragilité intrinsèque . Pour être économiquement soutenable, il suppose la recherche permanente par l'IGN de nouveaux partenaires et de nouveaux marchés afin de trouver de nouveaux relais de croissance et d'équilibrer son budget.

L'IGN devrait devenir de plus en plus dépendant financièrement de ces grands projets. Le COP 2020-2024 précise ainsi que « les activités facturées par l'IGN à des tiers commanditaires couvriront ses coûts complets » mais intègreront également, « dans la mesure du possible, une contribution au financement de l'innovation et de l'investissement technologique de l'établissement » . Le financement des investissements et de l'innovation de l'IGN est ainsi appelé à dépendre, au moins partiellement, de ces grands marchés.

La fin du plan de relance et la baisse de régime du fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP), actuellement les principaux pourvoyeurs de financements des grands projets dont dépend son nouveau modèle, renforcent les incertitudes sur les perspectives économiques de l'IGN à moyen terme. Dans ce contexte, le rapporteur spécial constate que les projections financières de l'EPOM traduisent des hypothèses de baisse des recettes des activités en partenariat. Au terme de cet EPOM, entre 2024 et 2027 , pour maintenir son activité et équilibrer son budget, l'IGN doit parvenir à négocier pour environ 100 millions d'euros de nouveaux contrats .

L'évolution prévisionnelle des recettes tirées des « grands projets » de l'IGN (2020-2024)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

La fragilité de son nouveau modèle est également renforcée par la trop forte dépendance actuelle de l'IGN à ses deux principaux « clients » , le ministère des armées et le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. À eux seuls, et sans compter les 22 millions d'euros versés par le second au titre du programme Lidar HD dans le cadre du plan de relance, ils représentent un quart des ressources de l'opérateur. Cette situation ajoute à la nécessité pour l'IGN de multiplier et diversifier ses nouveaux partenariats.

Cette nécessité implique des enjeux de promotion, de prospection, de communication de la part de l'IGN et de ses autorités de tutelles mais aussi une gouvernance renforcée des grands projets publics d'information géolocalisée et une véritable stratégie de l'État en la matière. Pour répondre à ses enjeux, comme précisé supra , le rapporteur spécial appelle notamment à la création d'un véritable guichet cartographique public, à renforcer la communication de l'IGN et de ses autorités de tutelle auprès des ministères, et à transmettre des recommandations visant à ce que chacun d'entre eux, lorsqu'il envisage un projet concernant les données géolocalisées, s'interroge sur la possibilité et la pertinence de recourir aux services de l'institut.

L'IGN n'est cependant pas à l'abri d'un « trou d'air » qui se manifesterait par un volume de grands marchés insuffisant pour assurer la viabilité économique du modèle et l'équilibre budgétaire de l'institut. Les missions essentielles de l'établissement, telles que la production de données souveraines socles pourrait alors se trouver menacées.

Si ce phénomène de « trou d'air » devait advenir, le rapporteur spécial considère que l'État devrait nécessairement prendre ses responsabilités et intervenir, en ajustant, au moins temporairement, la subvention pour charges de service public (SCSP) de l'établissement et ce, afin de préserver un outil d'une part de référence au service de la maîtrise de données souveraines stratégiques et d'autre part essentiel à la conduite de la stratégie environnementale du pays.

2. Le phénomène de « goulot d'étranglement »

À l'inverse du risque de « trou d'air », le nouveau modèle de l'IGN peut exposer l'établissement à un phénomène de « goulot d'étranglement » . Limité par des moyens contraints , notamment en matière de ressources humaines, l'IGN peut, en cas d'afflux de projets, se trouver dans la situation de ne pas pouvoir satisfaire certaines demandes . Ce type de situation peut se traduire par un phénomène de « surchauffe », une mise sous tension et une saturation des équipes . Le nouveau modèle de l'IGN suppose une agilité d'organisation et une souplesse dans la gestion des ressources humaines particulièrement complexes dans le cadre budgétaire contraint qui est celui d'un établissement public à caractère administratif. Pour répondre à ce type de situation inconfortable, l'IGN devra mobiliser l'ensemble des souplesses et dérogations que lui permet la réglementation . Le développement du recours à la sous-traitance constitue aussi une variable d'ajustement pour l'établissement qui lui permet, par effet de levier, d'accroître, au moins momentanément, son volume d'activité à effectifs constants.

Compte tenu du nombre de projets en production, le rapporteur spécial constate que l'IGN se trouve dans une certaine mesure confronté à cette situation actuellement. La capacité de l'établissement à fonctionner efficacement dans ce type de circonstances tout en maintenant sa cohésion interne sera une façon d'évaluer la viabilité à long terme de son nouveau modèle économique.

B. LE PROGRAMME LIDAR HD : UN CAS D'ÉCOLE

Le programme Lidar 70 ( * ) HD est un des projets emblématiques du nouveau modèle de l'IGN. La technologie Lidar est une méthode de détection et d'estimation de la distance par la lumière au moyen d'un scanner laser. L'objectif du projet est de disposer d'une cartographie très précise du territoire en trois dimensions. Il doit couvrir l'intégralité du territoire en données Lidar d'ici 2025 avec un rythme de production de deux à trois régions par an. Les applications potentielles du programme Lidar HD pourraient s'étendre à des domaines aussi divers que la prévention des risques, l'agriculture (notamment dans le cadre de la gestion des aides de la PAC), la forêt, l'urbanisme, l'énergie, la navigation aérienne, l'aménagement du territoire, l'archéologie, etc .

La technologie Lidar

Source : rapport d'activité 2020 de l'IGN

Emblématique de la transformation de l'IGN, le programme Lidar HD est aussi symptomatique de toutes les limites et les incertitudes qui accompagnent le nouveau modèle de l'opérateur.

La première limite tient au financement toujours incomplet du programme. Le coût total du projet est estimé à 60 millions d'euros . Cependant, à ce jour, il n'est financé qu'à hauteur de 47,5 millions d'euros par le FTAP (pour 21,5 millions d'euros), le plan de relance (pour 22 millions d'euros) et la direction générale de la prévention des risques (pour 4 millions d'euros). Afin de ne pas compromettre à court terme l'équilibre économique de l'opérateur, près de 15 millions d'euros de financements restent à trouver d'ici 2024 , soit presque 10 % du budget annuel de l'institut.

Financements du programme Lidar HD

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses de l'IGN au questionnaire du rapporteur spécial

Pour compléter le financement du programme Lidar HD, l'IGN et ses autorités de tutelle comptent sur une contribution volontaire des collectivités territoriales. En dépit des nombreuses applications locales potentielles d'un tel projet, se pose le problème, classique en théorie économique, du « passager clandestin » et, par-là, les questions de la contrepartie de telles contributions volontaires ainsi que de la possibilité pour l'IGN d'inciter certaines collectivités à participer à un projet qui bénéficiera in fine à toutes. Aussi, le rapporteur spécial a pu constater qu' il existe à ce jour une ambiguïté persistante concernant la mobilisation financière du secteur public local pour la production de données à vocation nationale .

À ce stade, l'IGN aurait eu des promesses de contributions de la région Occitanie et de la région Sud. La région Occitanie pourrait contribuer à hauteur de plus de 2 millions d'euros en mobilisant les fonds européens.

Un levier d'incitation potentiel au financement par les collectivités d'une part des grands projets de l'IGN pourrait-être de mieux les intégrer dans leur gouvernance . Il s'agit d'une seconde limite et d'un enjeu important de la pérennité du nouveau modèle de l'opérateur. À ce jour, l'Occitanie est la seule région représentée au sein du comité national de pilotage du programme Lidar HD. La région Sud et la Corse pourraient prochainement la rejoindre. Le rapporteur spécial souligne l'importance d'impliquer et de mobiliser un maximum de régions dans la gouvernance de ce type de grands programmes .

Outre les questions de financement et de gouvernance, les grands projets d'appui aux politiques publiques, lancés parfois précipitamment, notamment dans le contexte du plan de relance, peuvent souffrir d'un déficit de visibilité quant à leurs usages et à leur pérennité dans le temps . Tel est le cas, par exemple, du projet Lidar HD pour lequel de nombreuses applications potentiellement prometteuses, restent néanmoins encore à confirmer. Par ailleurs, à ce jour, les acteurs n'ont aucune visibilité sur la pérennité ou non du programme à l'issue de son achèvement en 2025. Personne ne sait si la couverture Lidar aura vocation à être actualisée ou pas, ni selon quelle fréquence ou avec quels financements. Les acteurs de l'écosystème ont également un certain nombre d'interrogations sur ce projet qui pourraient être transposées sur d'autres programmes similaires notamment s'agissant du rôle de l'IGN dans la phase aval du traitement des donnés Lidar. De nombreux paramètres du programme restent ainsi à déterminer ou à clarifier. Le rapporteur spécial s'interroge sur le fait qu'un si grand nombre d'inconnues accompagnent un projet si structurant et d'une telle ampleur financière .

II. L'ORGANISATION DE L'IGN ET SES MÉTIERS SONT BOULEVERSÉS

A. DES MÉTIERS ET DES COMPÉTENCES BOULEVERSÉS

Le nouveau modèle et la nouvelle stratégie de l'IGN ont des répercussions notables sur les métiers de l'opérateur et le panel des compétences qui lui sont nécessaires. Le recentrage de l'opérateur sur le coeur de son activité autour des données socles et son repositionnement dans un rôle d'expert et de conseil fédérateur de l'écosystème s'accompagne de la transformation de certains métiers d'opérateurs chargés d'activités de productions . Dans le même temps, l'essor des nouvelles technologies, le recours croissant aux techniques d'intelligence artificielle et le développement de l'automatisation transforment ces mêmes métiers, ouvrent des perspectives de gains de performance et créent, en parallèle, de nouveaux besoins en termes de compétences. Le nécessaire développement de l'approche collaborative en matière d'enrichissement des référentiels d'information géographique contribuera aussi à réaliser des gains d'efficience en termes de collecte et de production de données.

En parallèle, la fin de « l'ère commerciale » induite par la dynamique d'ouverture et de gratuité des données, implique une reconversion des effectifs qui étaient dédiés à la politique commerciale de l'établissement. Ces profils peuvent notamment être dirigés vers des missions d'animation de communautés d'usagers, de producteurs et de partenaires de l'IGN.

Le nouveau modèle de l'IGN implique aussi pour lui de nouveaux besoins de compétences en matière de gestion de projets ou de pilotage de la sous-traitance .

L'ensemble de ces évolutions conduit notamment à un repyramidage des effectifs qui traduit un phénomène de montée en compétences. Celui-ci se manifeste par un accroissement de la part des agents de catégorie A par rapport à celle des catégories B et C et des ouvriers de l'État ainsi que des ingénieurs par rapport aux géomètres. Dans le même temps, la part des agents contractuels est en augmentation.

Le rapporteur spécial insiste sur le fait que ces évolutions significatives, aussi nécessaires soient-elles, ont de profondes répercussions sur le corps social de l'IGN et impliquent un accompagnement renforcé et vigilant en termes de politique de ressources humaines. Elles doivent notamment se traduire par un effort significatif en matière de formation continue et de mobilités internes . S'il est compréhensible, en présence d'une telle transformation, que certaines de ces mesures aient pu mettre du temps à devenir effectives, l'IGN doit désormais y consacrer la plus grande attention.

B. UN DÉFAUT DE PILOTAGE DES GRANDS PROJETS

La logique de projets inhérente au nouveau modèle de l'IGN est particulièrement exigeante aussi d'un point de vue organisationnel et de gouvernance. Elle exige une acculturation de l'ensemble du corps social et de nouveaux modes de fonctionnement. Elle suppose aussi et surtout un pilotage très rigoureux permettant de mobiliser efficacement les équipes de l'IGN autour de ces programmes. Or, le rapporteur spécial a pu constater que jusqu'à présent un défaut de pilotage des grands programmes a largement contribué à entraver une mise en oeuvre efficace et sereine du nouveau modèle de l'opérateur. Il considère que si cette situation peut s'expliquer par les difficultés initiales à basculer dans un mode d'organisation radicalement nouveau, elle doit absolument être traitée en priorité par la direction afin de préserver la cohésion du corps social tout en assurant la bonne réalisation des missions de l'IGN dans le contexte de son nouveau modèle.

Ainsi, depuis 2019, l'IGN a donné la priorité aux grands projets sans que la gouvernance d'ensemble permettant à l'établissement de s'organiser pour la mettre en oeuvre concrètement n'ait fait l'objet d'une réflexion suffisante. Ce défaut de pilotage conduit à des situations déstabilisantes pour certains personnels amenés parfois, presque du jour au lendemain, à être basculés d'une mission à une autre, d'un projet à un autre. Ce pilotage erratique et artisanal, source d'un déficit manifeste de visibilité pour les personnels, a pu générer un sentiment d'insécurité professionnelle. Ces phénomènes se sont notamment manifestés de façon exacerbée sur le programme de suivi de l'artificialisation des sols (OCS GE).

C. ÉVALUER LES GAINS D'EFFICIENCE ET SANCTUARISER LA MISE À JOUR DES DONNÉES SOCLES

1. La production des données socles ne doit pas devenir la variable d'ajustement du nouveau modèle

Le défaut de pilotage de la priorisation des grands projets évoqué supra se double d'une absence de réflexion approfondie sur les effectifs nécessaires pour assurer la mise à jour en continu (MAJEC) des référentiels de données socles. Les effectifs consacrés à cette activité sont en diminution au profit d'un renforcement des équipes dédiées aux grands projets. Actuellement, une centaine d'agents de l'IGN est dédiée à la mise à jour des données socles. Toutefois, cette évolution des effectifs, guidée par la priorité donnée aux grands programmes, ne s'est pas accompagnée d'une évaluation des moyens humains requis pour assurer la continuité de cette activité de base, au coeur des missions de service public de l'établissement.

Le risque est que , faute de réaliser cette évaluation, la mise à jour des référentiels de données souveraines socles devienne , par voie de conséquence, la variable d'ajustement de la mise en oeuvre du nouveau modèle de l'IGN. Le rapporteur spécial signale qu'une telle perspective est inacceptable puisqu'elle reviendrait à sacrifier ce qui fait l'essence même de la vocation de l'opérateur et fonde sa légitimité.

Le rapporteur spécial a conscience que les innovations technologiques, l'automatisation, le déploiement de l'intelligence artificielle ou encore l'enrichissement collaboratif des bases de données vont permettre de réaliser des gains de productivité sur la MAJEC. Néanmoins, ces effets doivent impérativement être objectivés et documentés .

Aussi, le rapporteur spécial considère que l'IGN doit rapidement objectiver les moyens humains nécessaires à la mise à jour des données socles afin de sanctuariser cette mission de service public fondamentale.

2. Des gains de productivité à évaluer

Aujourd'hui, l'IGN ne souhaite pas s'avancer sur une évaluation des perspectives de gains de productivité qu'il pourra dégager du fait de sa transformation, de son recentrage sur le coeur de son activité et les grands projets publics (générateur d'économies d'échelle à travers une concentration des moyens sur des projets à forts enjeux), de l'incorporation d'innovations, de l'usage de l'intelligence artificielle ou encore du développement de l'enrichissement collaboratif de ses bases de données. Pourtant, une telle évaluation est indispensable et doit être réalisée pour nourrir la réflexion sur la soutenabilité à long terme du nouveau modèle économique de l'institut.

Le rapport des inspections de novembre 2017 faisait notamment le constat de « coûts de production et d'organisation trop élevés » . Il considérait que des gains d'efficience étaient possibles dans la production des données et l'organisation de l'établissement. Si aucun objectif de gains de productivité ne figure dans l'engagement pluriannuel d'objectifs et de moyens (EPOM), ceux-ci sont bien mentionnés dans le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024.

Les objectifs de gains de productivité auxquels s'est engagé l'IGN
dans son contrat d'objectifs et de performance (COP)

Ce dernier prévoit que l'IGN « recherchera la contribution d'autres acteurs via des dispositifs collaboratifs d'élaboration des données et optimiser l'usage des ressources consacrées à l'entretien des données socles » .

Le COP identifie une série d'activités pour lesquels « l'allocation de ressources sera réduite » en raison de la réalisation de gains d'efficience :

- l'entretien des réseaux géodésiques grâce à l'évolution des techniques de positionnement par satellite ;

- la couverture du territoire par ortho-images grâce à de nouveaux moyens de prise de vue, une automatisation des traitements et un recours à l'imagerie satellitaire ;

- la production de cartes au 1 : 25 000 grâce à la dématérialisation de la cartothèque ;

- la réalisation de l'inventaire forestier grâce à différentes perspectives d'optimisation ;

- le suivi de l'artificialisation des sols grâce aux technologies d'intelligence artificielle.

Source : contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 de l'IGN

D'importants gains de productivité sont notamment à attendre de la diffusion des technologies d'intelligence artificielle au sein de l'établissement. En matière d'optimisation du traitement des données géolocalisées, les perspectives les plus prometteuses sont à rechercher du côté des techniques d'apprentissage profond (ou « deep learning » ). Le traitement des images aériennes et satellitaires est particulièrement concerné. À titre d'exemple, la nouvelle méthode de production de l'outil de suivi de l'artificialisation des sols (OCS GE) recourt largement à l'intelligence artificielle. Le 24 février 2022, l'IGN a formalisé sa stratégie dans une « feuille de route sur l'intelligence artificielle ». Il a notamment l'ambition de constituer un vivier de 30 à 40 ingénieurs en intelligence artificielle d'ici à 2024 et développe une offre de formation spécifique au sein de son école.

3. L'impression des cartes IGN : des gains d'efficience nécessaires

Si désormais les produits cartographiques de l'IGN sont principalement numériques, l'établissement a maintenu une activité d'impression de cartes papier. Cette activité d'impression est internalisée à l'IGN, réalisée au moyen d'une presse offset 71 ( * ) installée à Saint-Mandé. Alors que l'usage de cartes en ligne se diffuse de plus en plus, en dix ans, le nombre d'impressions annuelles de l'IGN a été divisé par trois , passant de 5 millions à 1,8 million d'exemplaires.

Le rapport des inspections de 2017 en avait déjà fait le constat, l'organisation de l'activité d'impression de cartes à l'IGN constitue une source de gains de productivité à mobiliser. Aussi, en 2020, l'institut a-t-il lancé un groupe de travail sur le thème « imprimer les cartes IGN sans disposer de la presse offset ». Le groupe de travail a étudié différent scénarios prévoyant une externalisation totale ou seulement partielle. Le scénario que l'IGN estime le plus pertinent économiquement serait celui d'une externalisation de l'impression offset 72 ( * ) destinée aux gros tirages mais du maintien d'une capacité propre d'impression numérique pour les plus petites séries 73 ( * ) . Cette capacité d'impression serait relocalisée sur le site de Villefranche-sur-Cher qui s'occupe aujourd'hui de la finition, du pliage et du stockage des cartes.

Douze agents de l'IGN sont concernés par la réorganisation de l'activité d'impression. Un accompagnement spécifique leur est proposé. Certains ont accepté une mobilité géographique vers le site de Villefranche-sur-Cher tandis que d'autres se verront proposer des solutions de reconversion au sein de la « chaîne graphique » de l'établissement.

Le rapporteur spécial considère que la réorganisation et l'optimisation de l'activité d'impression des cartes sont une nécessité . La solution pragmatique issue des réflexions du groupe de travail va dans le bon sens . La réorganisation doit désormais rapidement être concrétisée. Il est également conscient des conséquences sociales d'une telle transformation et souligne l'importance de proposer un accompagnement renforcé des agents concernés. À ce titre, il soutient la décision de l'IGN visant à proposer au ministère de la transition écologique la prise d'un arrêté de restructuration grâce auquel les agents concernés pourront recourir à des aides individuelles cofinancées par le fonds d'aide interministériel aux ressources humaines (FAIRH).

4. Optimiser la collecte des données aériennes

L'acquisition de données aériennes est l'une des activités de base de l'IGN . Traditionnellement, il recourt largement aux ortho-images aériennes, collectées par sa propre flotte aérienne ou par des sous-traitants. Il renouvelle ainsi tous les trois ans la couverture aérienne du territoire national.

Comme beaucoup d'autres domaines du secteur de l'information géographique, la collecte de données aériennes est aujourd'hui révolutionnée par les évolutions technologiques. L'utilisation d'images satellitaires ou de drones se développe . Dans ce contexte, à la fois pour rester à la pointe mais aussi pour réaliser des gains de productivité (le coût annuel moyen de l'acquisition d'images aériennes pour l'établissement est de 4 millions d'euros), l'IGN doit viser une répartition optimale entre les différents outils de collectes. Le rapporteur spécial soutient ainsi les travaux lancés par l'institut pour réévaluer son « mix technologique » en matière d'acquisition de données aériennes .

D. LE RECOURS À LA SOUS-TRAITANCE DOIT ÊTRE GUIDÉ PAR UNE STRATÉGIE PRAGMATIQUE

Le nouveau modèle de l'IGN et le repositionnement de l'institut dans un rôle davantage d'expert que de producteur implique en lui-même un recours croissant à des partenariats et à la sous-traitance. Le développement de la mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage (MOA) de l'établissement, sur le modèle de plusieurs marchés réalisés pour le ministère des armées, en est une caractéristique.

Temporairement, le phénomène d'externalisation est même renforcé par la situation actuelle de l'IGN, confronté à une forme de saturation de ses capacités liée à un volume d'activité supérieur à ses moyens humains contraints. Dans ces conditions, un recours à la sous-traitance permet à l'institut d'exercer un effet de levier sur son activité, de répondre à davantage de commandes et d'accroître son chiffre d'affaires. Le recours à la sous-traitance est particulièrement marqué dans le cadre des grands programmes caractéristiques du nouveau modèle. Le projet Lidar HD, celui qui mobilise le plus d'activité de sous-traitance est emblématique de cette situation. Le développement de l'externalisation a ainsi permis à l'établissement, à moyens humains constants, de dilater momentanément le volume de son budget d'environ 160 millions d'euros en 2020 à plus de 180 millions d'euros en 2021. La sous-traitance, qui contribue à augmenter les dépenses de fonctionnement de l'IGN, représente environ 15 % des dépenses de l'établissement .

Évolution prévisionnelle des dépenses de sous-traitance
sur les grands programmes

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les réponses de l'IGN au questionnaire du rapporteur spécial

Aussi utile soit-il, le recours à la sous-traitance doit être maîtrisé et encadré par une stratégie découlant d'une réflexion qui ne se limite pas aux seules considérations financières. Le dosage du recours à la sous-traitance doit notamment permettre à l'institut de conserver la maîtrise de compétences stratégiques , essentielles à l'accomplissement de ses missions de service public. Dans le cadre de la production des données socles, il revêt ainsi des enjeux de souveraineté . Au moment de lancer un processus d'externalisation, il est également indispensable de veiller à ce que la filière des sous-traitants soit suffisamment mature . Le cas échéant, sur des technologies de niche, une période de montée en compétence de la sous-traitance peut être un préalable nécessaire à l'externalisation effective d'une activité. Au cours de cette montée en puissance, l'IGN doit assurer un rôle de conseil et d'accompagnement. Cette situation s'observe notamment s'agissant des technologies d'acquisition d'images aérienne ou du Lidar. Des hypothèses de recours à la sous-traitance ont ainsi pu être écartées, notamment concernant le registre parcellaire graphique (RPG).

Enfin, pour maîtriser le développement de ce phénomène d'externalisation inhérent à sa nouvelle stratégie, l'IGN doit consolider ses capacités à piloter l'activité de ses sous-traitants. Aussi, le rapporteur spécial considère-t-il que la montée en puissance de l'IGN en matière de pilotage de la sous-traitance est l'une des clés de la viabilité de son nouveau modèle .

III. LES DÉFIS DE L'ATTRACTIVITÉ ET DE LA COHÉSION INTERNE AUTOUR D'UNE VISION PARTAGÉE

A. UN PROGRAMME DE RECRUTEMENT ET DE FORMATION ESSENTIEL QUI SE HEURTE À DES DIFFICULTÉS

1. Une démarche de GPEEC indispensable

Dans le contexte de transformation profonde qu'il traverse, l'IGN ne pouvait faire l'impasse sur une solide gestion prévisionnelle de l'emploi, des effectifs et des compétences (GPEEC). Le rapporteur spécial a constaté qu' il a fallu attendre 2019 pour que l'établissement se lance dans une véritable démarche en ce sens. En 2017, le rapport précité des inspections s'était étonné de son absence : « les rapporteurs n'ont pas eu communication de document attestant de la mise en oeuvre d'une politique de gestion prévisionnelle des effectifs, ni d'une réflexion décrivant l'évolution des métiers, les compétences critiques et les besoins de recrutements ou de formation continue des personnels pour les années à venir » .

L'enjeu de la gestion prévisionnelle de l'emploi, des effectifs et des compétences (GPEEC) de l'IGN pour ses autorités de tutelle

La gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences (GPEEC) est au coeur de la stratégie de l'IGN en matière de ressources humaines. Son contrat d'objectifs et de performance (COP) prévoit une révision de la carte des emplois qui constituera l'outil de base pour le pilotage de démarches de GPEEC visant à adapter les politiques de mobilité, à valoriser les parcours professionnels, à reconnaître l'évolution des compétences, à identifier les compétences clés pour adapter et anticiper la politique de recrutement.

Cet objectif est rappelé dans la lettre d'objectifs pour 2022 du directeur général de l'IGN, preuve de l'importance de cette thématique aux yeux de la tutelle.

Source : réponses du commissariat général au développement durable (CGDD) au questionnaire du rapporteur spécial

En juillet 2021, la direction des ressources humaines a mené un travail avec les directions métiers pour cartographier précisément, à un horizon de quatre ans, les emplois en croissance, les emplois en décroissance, les emplois ayant vocation à disparaître ainsi que les nouveaux emplois. Pour l'accompagner dans cette démarche, l'IGN a obtenu une dotation de 575 000 euros du fonds d'accompagnement interministériel des ressources humaines (FAIRH). Aujourd'hui, la GPEEC se trouve enfin véritablement au coeur de la nouvelle stratégie de l'établissement . Elle se traduit par le lancement d'un vaste programme de recrutement et de formations visant à satisfaire aux besoins de nouvelles compétences de l'IGN.

2. Un programme de recrutement et de formation pour satisfaire de nouveaux besoins de compétences

Les progrès technologiques dans le domaine de l'information géographique et la transformation de son modèle se traduisent par l'émergence de nouveaux besoins de compétences pour l'IGN. Aussi, en 2021, la direction de l'établissement a-t-elle annoncé un programme de recrutement et de formation ambitieux. Il vise à développer 150 nouveaux postes d'ici 2024 sur des compétences émergentes : intelligence artificielle, programmation agile, data science, altimétrie 3D, géovisualisation, gestion de projets innovants, animation de communautés, infrastructures et services numériques, etc . D'après la direction de l'établissement, à l'automne 2022, 63 des 150 postes ont déjà été pourvus.

Pour mettre en oeuvre ce programme, l'IGN s'appuie sur l'école nationale des sciences géographiques (ENSG), un atout décisif pour mener à bien sa transformation. Outre l'adaptation de l'offre de formation aux nouveaux enjeux de la géomatique, notamment sur le volet de l'intelligence artificielle ou du Lidar, l'ENSG augmente significativement le nombre de places au concours externe d'ingénieurs des travaux géographiques et cartographiques de l'État (ITGCE) qui sont notamment passées de 10 à 26 en 2022. En plus de la mobilisation du levier de l'ENSG, le programme passe par des recrutements externes ainsi que par un dispositif de formations et de reconversions internes .

L'un des défis de la direction des ressources humaines est de trouver le bon équilibre entre les volets externe et interne du programme afin d'une part d' attirer de nouveaux profils tout en assurant d'autre part la cohésion des équipes en place et une vision partagée autour de la nouvelle stratégie de l'IGN.

Le volet interne du programme dépend notamment d'un processus de requalification de géomètres . Ces dernières années, du fait des transformations de l'IGN, des géomètres ont été amenés à pourvoir des postes initialement réservés à des ingénieurs. La direction souhaite reconnaître cet état de fait en mettant en place un plan de requalification et de promotion de 45 géomètres en ingénieurs. Ils seraient intégrés dans le corps des ITGCE via liste d'aptitude et examen professionnel. Ce processus doit être validé par le guichet unique commun à la direction du budget et à la direction générale de l'administration et de la fonction publique. Afin d'accompagner l'IGN dans sa transformation, le rapporteur spécial tient à soutenir ce nécessaire programme de requalification .

3. Des recrutements difficiles dans un cadre contraignant

Actuellement, le marché du travail se révèle extrêmement concurrentiel sur les compétences visées par le programme de recrutement de l'IGN, et en particulier sur les métiers du numérique. Aussi, l'institut est-il confronté à de sérieuses difficultés pour attirer des profils adaptés à ses besoins. L'IGN rencontre des difficultés particulières sur des technologies de niche telle que le Lidar. Dans un domaine si pointu, le vivier de spécialistes est très limité et les rémunérations qu'ils perçoivent dans le secteur privé sont élevées. Les contraintes normatives qui sont celles d'un établissement public ne lui permettent pas de s'aligner.

L' IGN peut néanmoins recourir à deux dispositifs dérogatoires ciblés sur les compétences critiques et les métiers en tension à savoir la possibilité de recruter des contractuels directement en contrat à durée indéterminée (CDI) ou de bénéficier d'une certaine souplesse en termes de rémunération 74 ( * ) .

Concernant les recrutements hors plafond d'emplois, dans le cadre de projets financés via des conventions avec le fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP), la limite de trois ans des contrats à durée déterminée (CDD) et l'impossibilité de recruter en CDI sont particulièrement contraignantes pour l'IGN. Afin de pouvoir recruter des CDD de trois ans allant au-delà du terme d'une convention, l'IGN a dû négocier avec le contrôleur budgétaire un dispositif de souplesse par lequel, au terme de ladite convention, le CDD concerné se trouve intégré dans le schéma d'emploi de l'institut. Enfin, en matière d'alternance, l'IGN regrette l'impossibilité faite à un EPA de recruter des collaborateurs en contrat de professionnalisation.

S'il admet que ce n'est pas un sujet à traiter dans l'immédiat , à terme, au regard des développements liés à la mise en oeuvre de son nouveau modèle économique, le rapporteur spécial considère que la question d'une éventuelle évolution du statut de l'IGN ne doit pas constituer un tabou . À ce titre, le rapport des inspections de 2017 soulignait que « le statut d'établissement public à caractère administratif (EPA) de l'IGN est aujourd'hui porteur de contraintes en matière de recrutements et de prises de participations avec des entreprises » . Il pointait notamment l'effet des contraintes liées au statut d'EPA sur les partenariats extérieurs : « le statut d'EPA est un frein pour nouer des partenariats stratégiques ou prendre des participations dans des sociétés. Dans les faits, un EPA de par ses règles budgétaires et comptables ne dispose pas de la même agilité qu'un EPIC ou une société : c'est préjudiciable dans l'environnement au sein duquel l'IGN évolue, où l'innovation est particulièrement rapide » .

B. L'IGN DOIT PROMOUVOIR SON ATTRACTIVITÉ

1. Des efforts nécessaires en termes de rémunération

Notamment pour attirer de nouveaux profils, l'IGN devait promouvoir son attractivité, notamment en matière de rémunération . Dans le cadre de la transition de l'établissement et de son plan de recrutement, l'attractivité du corps des ingénieurs des travaux géographiques et cartographiques de l'État (ITGCE), principal corps technique de catégorie A de l'institut, est stratégique .

En matière indemnitaire, des mesures ont déjà été prises pour améliorer l'attractivité du corps. Ainsi, lors de la bascule des ITGCE au RIFSEEP (le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel), le nouveau régime indemnitaire des fonctionnaires de l'État, les indemnités du corps ont été revalorisées de 9 % . Une nouvelle revalorisation est intervenue cet automne. Ces revalorisations étaient d'autant plus indispensables que les ITGCE disposaient d'un régime indemnitaire moins favorable que les autres corps d'ingénieurs du ministère de la transition écologique.

2. Un « soft power » à développer

Au-delà de l'enjeu des rémunérations, l'amélioration de l'attractivité de l'IGN doit aussi passer par une revalorisation de son image de marque . Celle-ci passe notamment par des campagnes de communication mettant en exergue sa mission au service des grandes politiques publiques, son importance pour préserver la souveraineté nationale dans la maîtrise des données géolocalisées ou encore son rôle au service de la stratégie environnementale nationale et pour décrire l'évolution des territoires au moment de l'avènement de l'anthropocène. Ces campagnes de communication doivent aussi valoriser la recherche et l'innovation de l'institut en soulignant qu'il est une référence internationale de l'information géolocalisée, à la pointe des dernières avancées géomatiques.

Cet effort de communication doit être dirigé aussi bien vers les recrues potentielles que vers les étudiants, le grand public, les ministères ainsi que l'ensemble de l'écosystème de la donnée géolocalisée et notamment les collectivités locales. Il implique aussi bien l'IGN que ses autorités de tutelle. Depuis sa nomination, le directeur général actuel s'est beaucoup investi dans cette tâche, contribuant à valoriser la « marque IGN » avec un succès reconnu. Par ailleurs, l'institut a engagé un partenariat avec une agence de communication pour définir et développer des marques « recruteur » et « employeur ».

En outre, en développant ses liens avec le secteur privé , et particulièrement les startups, notamment en créant et en hébergeant des incubateurs ou des « accélérateurs de projets », tel que IGNfab, l'institut contribue à valoriser sa marque auprès de l'écosystème et peut, à cette occasion, repérer et accompagner des profils talentueux qui pourront, plus ou moins rapidement, à un moment de leur carrière, travailler pour l'établissement.

C. EN INTERNE, RÉUSSIR « À CE QUE LA GREFFE PRENNE »

L'ampleur de la transformation que l'IGN a entreprise depuis 2019 affecte profondément son organisation et son personnel . En interne, l'enjeu de maintenir la cohésion du corps social autour d'une nouvelle vision partagée est primordial . Tout doit être mis en oeuvre pour que le projet stratégique soit le plus largement partagé et que « la greffe prenne ». Dans son contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024, l'IGN s'est ainsi engagé à développer « une communication interne porteuse de cohésion autour de ses nouveaux axes stratégiques » ainsi qu'un « accompagnement des équipes à tous les niveaux dans une perspective d'appropriation partagée des enjeux » de la transformation de l'établissement.

Or, les premières étapes de la réorganisation de l'IGN n'ont pas permis de susciter l'adhésion de l'ensemble du corps social de l'établissement. Un diagnostic établi en juillet 2020 par un cabinet de conseil, dont le rapporteur spécial a pu prendre connaissance, corrobore certains dysfonctionnements que les organisations syndicales représentatives des personnels de l'établissement ont pu lui signaler . Confrontés à des changements d'une telle ampleur, certains agents manquent encore de repères.

Le déficit manifeste de pilotage de la priorité donnée aux grands projets (décrite supra ) qui a pu notamment mettre sous pression le management intermédiaire est probablement la principale raison du manque d'adhésion des équipes de l'IGN à son projet de transformation. Après la diffusion d'un projet managérial, la direction doit désormais donner plus de visibilité aux équipes en organisant un pilotage robuste des grands programmes.

La transformation de l'IGN et notamment le développement des nouvelles compétences et des nouveaux « savoir-faire » nécessaires à son nouveau modèle ne doivent pas être source de divisions au sein de son corps social. Il est crucial de souligner qu'en dépit de la profondeur des évolutions, l'opérateur ne fait pas « table rase » du passé. Il est essentiel d'impliquer au maximum les personnels en place dans cette transition, notamment en assurant une place significative au volet interne du plan destiné à satisfaire le besoin en nouvelles compétences de l'institut. Il est par ailleurs indispensable que les personnels concernés par les réorganisations fassent l'objet d' un accompagnement renforcé de la direction des ressources humaines. Les efforts déjà réalisés en matière de formations et de mobilité interne méritent d'être confortés voire amplifiés.

Pour faire partager la nouvelle stratégie de l'IGN, l'accent doit être mis sur la quête de sens de ses équipes. Le rapporteur spécial salue les efforts entrepris dans cette direction par le directeur général à travers un discours empreint d'ambitions, centré sur les missions de service public fondamentales d'un établissement reconnu comme la référence nationale dans son domaine, sur sa contribution à la souveraineté nationale, sur son rôle majeur au service des politiques environnementales ou encore sur sa modernité et son positionnement à la pointe des sciences géomatiques. Le lancement de la démarche des « géocommuns », destinée à transcender la seule question de la réorganisation de l'établissement pour lui donner une vraie boussole stratégique, s'est aussi inscrit dans cette perspective. L'adhésion du corps social dans son ensemble au nouveau projet de l'IGN passe aussi par un dialogue social renforcé.

Afin d'améliorer l'adhésion des équipes à la nouvelle stratégie, le rapporteur spécial estime que plusieurs mesures vivement attendues par les personnels devraient être prises dans les meilleurs délais . Il s'agit notamment de la définition des règles de gestion du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) , de la transposition à l'IGN des conditions de télétravail prévues au sein du ministère de la transition écologique ou encore des conditions de traitement des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture (TSMA) 75 ( * ) employés par l'opérateur.

Dans le même temps, la direction envisage une réforme de l'organisation du temps de travail . Sur ce sujet, le rapporteur spécial estime que l'IGN doit impérativement respecter la réglementation en vigueur .

IV. L'IGN DOIT IMPÉRATIVEMENT NOUER DE NOUVEAUX PARTENARIATS

La viabilité du nouveau modèle de l'IGN , basé sur la participation à de grands projets d'accompagnement de politiques publiques, repose sur sa capacité à conclure de nouveaux partenariats avec le secteur public comme avec les acteurs privés. Pour sécuriser son modèle, l'institut a besoin de diversifier ses commanditaires pour réduire sa dépendance à ses deux principaux « clients » que sont le ministère des armées et le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

L'ouverture et la gratuité de ses données publiques qui a mis un terme à « l'ère commerciale » de l'IGN lui ouvre de nouvelles perspectives de partenariats tout aussi bien avec la sphère publique, et principalement avec le secteur local, qu'avec les entreprises.

Le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 de l'IGN prévoit une amplification des activités partenariales

Dans son contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 l'IGN s'est engagé à « faciliter les synergies au sein de l'écosystème des acteurs publics du domaine ainsi que les interactions avec les acteurs privés » .

L'institut doit ainsi contribuer à « fédérer plus largement les efforts de l'écosystème des acteurs publics autour de projets communs de production ou d'entretien de données » , jouer « un rôle renforcé de standardisation ou de qualification des données souveraines produites ou entretenues par les autres acteurs publics » et « organiser le déploiement des capacités techniques nécessaires à la collaboration autour de bases de données partagées » .

Source : contrat d'objectifs et de performance (COP) 2020-2024 de l'IGN

A. RENFORCER ET FORMALISER LES COLLABORATIONS AVEC LE SECTEUR LOCAL

1. Les fils du dialogue sont renoués

Alors que les rapports entre les collectivités locales et l'IGN s'étaient sérieusement dégradés durant la période au cours de laquelle l'institut négociait avec elles des licences pour la vente de ses données dans un contexte budgétaire qui le poussait à augmenter ses recettes commerciales, l'ouverture et la gratuité des données publiques ont changé la donne. La confiance des collectivités envers un IGN perçu comme un expert et une référence dans le domaine des données géolocalisées publiques s'est rétablie .

Le directeur général a souhaité concrétiser et formaliser ce vent nouveau en allant à la rencontre des acteurs locaux et en entreprenant une démarche de signatures de conventions avec les régions. La direction envisage désormais de mettre en place des ateliers avec les collectivités pour développer et consolider les partenariats. Le rapporteur spécial considère que ces initiatives sont à encourager .

Si les relations entre l'IGN et les collectivités locales se sont déjà grandement améliorées, le rapporteur spécial a pu noter que ces dernières demandent encore que l'opérateur se montre plus à l'écoute des besoins des territoires . À ce titre, il a pu constater, notamment à l'occasion de son déplacement sur le site de Saint-Médard-en-Jalles 76 ( * ) , le rôle charnière des directions territoriales (DT) de l'IGN et plus particulièrement, au sein de celles-ci, des « départements appui territorial et animation du collaboratif » (DATAC) créés en 2019. Relais de l'IGN auprès des territoires, les DT jouent un rôle de courroie de transmission entre le local et le national. Elles accompagnent la réalisation d'initiatives locales, préparent et expérimentent des projets territoriaux susceptibles, à terme, d'être déployés à l'échelle nationale.

En tout état de cause, désormais, en vertu de sa nouvelle stratégie, pour réaliser des économies d'échelle et concentrer ses moyens contraints de l'opérateur, tout nouveau projet de l'IGN , quand bien même il peut être expérimenté au niveau local, a vocation à être généralisé à l'échelle nationale . L'IGN n'a plus pour ambition de proposer des prestations de services sur mesure aux collectivités locales.

Les DT ont aussi, aux côtés des plateformes régionales, un rôle de fédérateur de l'écosystème territorial de la géo-donnée auquel elles se trouvent directement connectées.

2. Des partenariats locaux prometteurs pourraient être généralisés

Au cours de sa mission de contrôle, le rapporteur spécial a pris connaissance de certains partenariats locaux qui poursuivent des logiques intéressantes et qui pourraient avoir vocation à être déployés plus largement sur le territoire.

Des expérimentations visent par exemple à une répartition plus optimale de la mission de production de données socles au sein de la sphère publique. Alors que certaines collectivités locales disposent de moyens conséquents pour assurer la production de données socles, l'IGN pourrait déléguer à certaines d'entre-elles les travaux de mise à jour en continu (MAJEC) de sa base de donnée unifiée (BD Uni). Cette délégation pourrait notamment concerner les métropoles les plus en pointe dans ce domaine. De ce fait, dans une logique de subsidiarité , pour garantir l'égalité territoriale et la continuité de la représentation géographique du territoire, les moyens de l'institut national pourraient être concentrés sur les petites collectivités et les territoires moins dotés qui ne sont pas en mesure de réaliser cette tâche.

Une telle logique transparaît notamment d'une expérimentation que la direction territoriale (DT) Sud-Ouest de l'IGN s'apprête à lancer avec la collectivité Bordeaux métropole. Dans les limites de son territoire, cette dernière pourrait se voir déléguer les travaux de MAJEC de la BD Uni. Sur la base du volontariat, formalisée par des conventions, cette expérimentation pourrait avoir vocation à se déployer plus largement, notamment auprès d'agglomérations dotées de moyens importants en matière d'information géolocalisée telles que Niort, Toulouse, Nice ou encore Strasbourg.

Pour éviter les doublons et optimiser l'usage des fonds publics, il est nécessaire de mobiliser l'ensemble des opportunités de mutualisation de moyens . Le rapporteur spécial a ainsi constaté que certains partenariats locaux entre l'IGN et des collectivités pouvaient servir de modèle. L'un des plus intéressants a été noué autour de l'activité d' acquisition des données aériennes (la réalisation d'ortho-images) avec le département de Charente-Maritime.

D'autres expérimentations soulignent les complémentarités et les effets de levier qui peuvent naître de la collaboration de l'IGN avec les collectivités sur certains grands projets . Certaines collectivités disposent de moyens pour acquérir des données avec la technologie Lidar 77 ( * ) . Ainsi, s'agissant du projet Lidar HD, la région Occitanie a-t-elle par exemple prévu, sans redondance avec le programme national conduit par l'IGN, d'utiliser ses propres moyens pour aller plus loin et réaliser des productions Lidar spécifiques pour répondre à des besoins locaux.

3. Formaliser la collaboration de l'IGN avec l'ANCT et le Cerema

La rationalisation de la production des données géolocalisées au sein du secteur public et le renforcement de la collaboration de l'IGN avec les collectivités locales ne peut faire l'impasse sur une consolidation et une formalisation des partenariats de l'institut avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).

Le directeur de l'IGN a informé le rapporteur spécial des récentes avancées réalisées en ce sens. D'une part l'institut négocie une convention avec l'ANCT et, d'autre part, un travail est en cours pour rationaliser et formaliser la coordination des missions exercées par l'IGN et le Cerema dans le domaine de l'information géographique. Le rapporteur spécial se montrera attentif à la concrétisation de ces deux initiatives importantes .

B. TISSER DES LIENS PLUS ÉTROITS AVEC LE SECTEUR PRIVÉ

Parce que son nouveau modèle et son repositionnement l'induisent, mais aussi pour contribuer au développement de l'écosystème national des données géolocalisées, l'IGN doit tisser des liens plus étroits avec le secteur privé. Le directeur général de l'IGN considère ainsi que « la capacité de l'IGN à faire avec le privé est fondamentale ».

Le nouveau positionnement de l'IGN renforce son rôle et sa responsabilité de contribuer à l'essor et à l'épanouissement d'un écosystème de la donnée géolocalisée national souverain au-delà du seul cercle des producteurs d'information géographique de la sphère publique. Cette responsabilité passe par des collaborations renforcées avec les sociétés privées du secteur ainsi qu'avec des communautés et acteurs issus de la société civile 78 ( * ) pour que les actions de l'État et de la société civile se renforcent et s'additionnent.

En s'appuyant sur le secteur privé pour mener à bien certaines de ses missions et ses grands projets, l'IGN joue indiscutablement un rôle majeur dans le développement de l'écosystème national de la donnée géolocalisée. À travers ses programmes, l'institut peut contribuer à faire émerger et monter en puissance des entreprises françaises qui pourraient, à l'avenir, devenir des leaders du secteur. L'Association française pour l'information géographique (Afigéo) a pu confirmer au rapporteur spécial que « l'IGN travaille dans un esprit positif et partenarial avec les entreprises. Il a modifié son approche, s'est fixé des objectifs clairs et s'ouvre beaucoup plus sur le monde des utilisateurs extérieurs et des entreprises » .

L'IGN a par exemple développé une collaboration très approfondie avec de grands industriels sous-traitants ou co-contractants dans le cadre de ses marchés avec le ministère des armées . Développer une réelle capacité de pouvoir répondre de manière groupée et coordonnée à des commandes publiques de plus en plus nombreuses est l'un des principaux enjeux de l'IGN et de ses partenaires privés dans les années à venir.

Par ailleurs, la simple réalisation des missions de service public de base de l'IGN, à savoir la production, l'actualisation et la mise à disposition d'un socle de données souveraines fiable contribue à créer un effet de levier sur le secteur privé et à soutenir la création de valeur et la croissance du secteur.

Alors que l'innovation occupe une place majeure dans le domaine de l'information géolocalisée, l'IGN accorde à juste titre une attention toute particulière aux startups du secteur. Cet intérêt s'est notamment manifesté par la création de l' IGN fab , un accélérateur de projet membre du réseau des incubateurs de la Greentech Innovation 79 ( * ) . Cet outil permet à l'institut d'accompagner le développement de services numériques privés utilisant des données et des services de l'IGN 80 ( * ) . Dans ce cadre, l'opérateur accompagne ainsi des projets de startups prometteuses dans les domaines de l'énergie 81 ( * ) , de la forêt 82 ( * ) , du tourisme, de la sécurité ou encore d'épidémiologie. L'une des difficultés de la collaboration avec ces sociétés innovantes est que bien souvent leur marché s'étend à l'échelle européenne alors que l'IGN ne traite que des données nationales . Si cette attention aux startups est légitime, l'IGN ne doit pas négliger pour autant les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) nationales.

Pour renforcer ses liens avec le secteur privé, favoriser le transfert d'innovations issues de la recherche et envisager des partenariats pour répondre conjointement à certaines commandes issues de la sphère publique, l'IGN entend créer une nouvelle enceinte d'échanges avec les entrepreneurs . C'est dans cette perspective que le directeur général a confié au directeur-adjoint délégué à la stratégie une mission visant à développer et systématiser les liens avec les sociétés privées .

Le rapporteur spécial salue ces intentions dans la mesure où il estime nécessaire d'approfondir les relations de l'IGN avec les sociétés privées de l'écosystème de la donnée géolocalisée, à des fins d'efficacité, de souveraineté et pour développer et faire monter en compétence le secteur national de l'information géographique .

V. UN ACTEUR INDISPENSABLE À LA STRATÉGIE ENVIRONNEMENTALE ET À LA PRÉVENTION DES RISQUES

A. CONCRÉTISER LE CONCEPT DE « CARTES DE L'ANTHROPOCÈNE » POUR AFFIRMER LA PLACE DE L'IGN AU CoeUR DE LA STRATÉGIE ENVIRONNEMENTALE

L'article 2 du décret n° 2011-1371 du 27 octobre 2011 précise que l'IGN a pour mission de « mettre en oeuvre des programmes nationaux ou internationaux d'observation et de surveillance des écosystèmes » mais aussi de fournir des informations relevant notamment des « politiques relatives à l'écologie, à la prévention du changement climatique et à l'adaptation à ce changement » .

Dans le contexte actuel des dérèglements climatiques et, plus largement, d'une préoccupation croissante au sujet des effets de l'activité humaine sur la nature, l'IGN est toujours plus sollicité pour produire des données décrivant certaines des évolutions de l'environnement . Il a notamment vocation à permettre l'analyse dans le temps des phénomènes dont l'étude doit nous permettre de construire une stratégie crédible et fiable pour réaliser la transition écologique.

L'analyse des phénomènes induits par l'anthropocène , époque géologique dans laquelle l'homme est le principal moteur de transformation de la planète, suppose de disposer de produits d'information géographique permettant de mesurer scientifiquement ses conséquences sur l'évolution de la terre. L'IGN se trouve au coeur de cet enjeu et doit apporter son appui aux politiques environnementales nationales et européennes. C'est pour cette raison que le concept de « cartes de l'anthropocène » est l'une des priorités du nouveau cadrage stratégique de l'institut. Il doit se traduire par la production et la mise à jour régulière d'outils d'information géographique dédiés à des problématiques environnementales majeures telles que la forêt, l'érosion du relief, l'évolution des cours d'eau, l'artificialisation des sols ou encore l'évolution de la biodiversité.

Le rapporteur spécial appuie cette nouvelle priorité de l'institut et restera attentif à la concrétisation du concept de « cartes de l'anthropocène », nécessaire à l'affirmation du rôle de l'IGN en tant qu'appui déterminant à notre stratégie environnementale .

En parallèle, la recherche de l'IGN est de plus en plus orientée vers les défis écologiques . Le laboratoire de sciences et technologies de l'information géographique pour la ville durable et les territoires numériques (LASTIG), principal outil de recherche de l'institut, oriente de plus en plus ses travaux de recherches sur les enjeux environnementaux. Son objectif est aujourd'hui de « fournir des données, des connaissances, des méthodes, des outils et des technologies pour la numérisation, la modélisation, l'analyse, la visualisation et la simulation des territoires et des phénomènes qui s'y déroulent dans un contexte de changement rapide lié à l'anthropocène » . Des travaux de recherches portent ainsi sur les problématiques de l'occupation et de l'usage des sols, des dynamiques urbaines, des pollutions, de la climatologie urbaine, des inondations et submersions marines, etc .

B. L'IGN EST MIS AU DÉFI DE LIVRER, D'ICI 2023, UN OUTIL DE SUIVI DE L'ARTIFICIALISATION DES SOLS ADAPTÉ AUX BESOINS LOCAUX

L'article 191 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets dite « loi climat et résilience » fixe un objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) à horizon 2050 et une obligation de réduire de moitié le rythme de consommation d'espaces naturels agricoles et forestiers d'ici à 2031. Pour disposer d'un outil national et homogène de quantification et de qualification de l'artificialisation, la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) a demandé à l'IGN de produire des données sur l'occupation des sols à grande échelle .

L'IGN a été soumis à une forte pression pour délivrer dans des temps contraints, d'ici 2024, un outil perfectionné de suivi de l'artificialisation des sols à l'échelle du territoire national 83 ( * ) actualisé tous les trois ans . Le projet OCS GE (occupation du sol à grande échelle) doit répondre à cette commande.

Avancement du projet OCS GE (2022)

Source : réponses de l'IGN au questionnaire du rapporteur spécial

Mise en place cette année 84 ( * ) , la nouvelle méthode de production de l'OCS GE doit permettre d'accélérer la réalisation de l'outil en faisant très largement appel à un traitement automatisé , grâce aux techniques d'intelligence artificielle et d'apprentissage profond ( « deep learning » ), d'images aériennes et satellitaires. Par ailleurs, du fait de ses moyens humains contraints et pour accélérer encore la production, l'IGN a prévu d'en sous-traiter une partie.

Le projet, dont le coût total de mise en oeuvre est évalué à environ 18,6 millions d'euros , est cofinancé par le FTAP (à hauteur de 11 millions d'euros), la DGALN (à hauteur de 7 millions d'euros) et le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire (à hauteur de 0,7 million d'euros).

Le rapporteur spécial note qu'au-delà de 2024 , et alors même que le suivi de l'occupation des sols doit être actualisé tous les trois ans, aucun financement n'est aujourd'hui prévu . Cette problématique fait partie des enjeux de financements post 2024 85 ( * ) auxquels sera confronté le modèle économique de l'institut.

Lors de son lancement, le projet a souffert d'une insuffisante concertation avec les collectivités locales , au risque de ne pas répondre à leurs besoins et de rendre obsolètes des investissements importants réalisés par certaines d'entre-elles pour se doter de leur propre dispositif de suivi en l'absence d'outil développé à l'échelle nationale. L'un des défis de l'IGN aujourd'hui est l'interopérabilité de son dispositif avec les outils locaux.

C. LA PRISE EN COMPTE DE LA FORÊT A RENFORCÉ LA CULTURE DE L'ENVIRONNEMENT À L'IGN

Dimension centrale de l'ambition environnementale de l'institut, la forêt est même le vecteur par lequel les enjeux écologiques se sont réellement diffusés au sein de l'institut. L'inventaire forestier national , réalisé par l'IGN depuis 2012, emporte une très forte dimension environnementale dans la mesure où il comporte un suivi temporel des habitats forestiers 86 ( * ) ainsi que plusieurs indicateurs d'analyse de la biodiversité des écosystèmes forestiers 87 ( * ) .

À l'occasion de son déplacement à la direction territoriale Sud-Ouest de l'IGN, le rapporteur spécial a notamment pu apprécier le rôle et les travaux entrepris par le pôle national en écologie forestière de l'institut basé à Bordeaux. Spécialisé dans la connaissance des caractéristiques écologiques des écosystèmes forestiers, ce pôle appuie les politiques de protection de la forêt. À ce titre, ses travaux ont vocation à répondre aux principaux enjeux environnementaux des milieux forestiers tels que l'extinction de la biodiversité, la protection des forêts subnaturelles 88 ( * ) , la lutte contre le changement climatique et l'adaptation aux dérèglements qu'il occasionne, les services écosystémiques rendus par la forêt et les bocages, etc .

Dans un contexte de menaces liées aux dérèglements climatiques et à l'érosion de la biodiversité, en mars 2022, les assises de la forêt ont acté la nécessité d'une connaissance plus fine de la forêt. Au coeur des enjeux de connaissance de la forêt, l'IGN doit piloter la mise en oeuvre d'un observatoire de la forêt , un dispositif de partage de connaissances entre l'ensemble des acteurs forestiers.

Dans le cadre de son objectif de cartographier les conséquences de l'anthropocène, l'IGN a aussi entrepris un exercice de cartographie des forêts anciennes 89 ( * ) et des forêts subnaturelles caractérisées par une biodiversité très riche. Cette mission doit permettre à la France de respecter l'obligation qu'ont les États-membres de l'Union européenne de préserver ces forêts d'ici 2030, date à laquelle elles doivent devenir des zones protégées. Plus généralement, ce travail a vocation à appuyer les politiques de gestion des milieux naturels, de préservation de la biodiversité, de stratégie de séquestration du carbone ou de mise en place des continuités écologiques. Il doit permettre de mieux connaître l'état de conservation des écosystèmes forestiers.

Plusieurs applications du projet Lidar HD répondront à des besoins environnementaux. C'est particulièrement vrai s'agissant de l'étude de la forêt. La couverture Lidar doit permettre de mieux connaître la biomasse et la ressource en bois, répondant ainsi par exemple à des enjeux de captation de CO 2 , de transition énergétique ou encore d'usage de biomatériaux.

D. UN ACTEUR MAJEUR DE LA PRÉVENTION DES RISQUES ET DE L'ÉTUDE DE LA BIODIVERSITÉ

1. L'IGN produit des informations géographiques au service de l'étude de la biodiversité

L'IGN s'est investi dans la conception de nouveaux référentiels environnementaux pour visualiser le réseau hydrographique (la BD Topage 90 ( * ) ), déterminer les zones de bonnes condition agro-environnementales (BCAE), cartographier les habitats naturels ou encore décrire et suivre les zones de bocages .

Ainsi, depuis 2012, à l'initiative de la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) et en partenariat avec la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB), l'IGN contribue au programme de cartographie des habitats naturels ( CarHab ). Une étude pilotée par l'IGN a conclu en 2019 à l'intérêt de la production d'une carte prédictive des habitats naturels en utilisant des méthodes automatiques de télédétection telles que l'intelligence artificielle. Une convention a été signée à la fin de l'année 2020 pour mettre en place une chaîne de production et produire 20 départements d'ici la fin de l'année 2022. L'ambition affichée par l'IGN est de traiter l'ensemble du territoire d'ici 2025.

Le programme CarHab

L'IGN est engagé dans un processus de production de la cartographie des habitats naturels, en copilotage avec la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB). Ce programme, dit CarHab, doit permettre de localiser et d'identifier les habitats naturels sur l'ensemble du territoire et notamment les habitats à enjeux de niveau européen.

Il permettra donc de localiser les enjeux de biodiversité et ainsi d'aider à leur prise en compte que ce soit pour la stratégie de création des aires protégées, pour les politiques de trame verte et bleue, pour anticiper les grands projets d'aménagement du territoire menés par la direction de l'habitat et de l'urbanisme (DHUP) ou encore pour anticiper les impacts des autres politiques sectorielles sur la biodiversité (agricoles notamment).

Source : réponses de l'IGN au questionnaire du rapporteur spécial

2. L'IGN est un acteur majeur de la prévention des risques inondation et submersion marine

L'IGN offre également un appui indispensable aux politiques de prévention des risques naturels. Il assure le suivi du niveau moyen des mers , a contribué à la caractérisation du profil côtier 91 ( * ) ainsi qu'à la détermination du trait de côte 92 ( * ) et de son recul pour permettre l'évaluation du risque de submersion marine . En collaboration avec le Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM), l'IGN produit un référentiel « limite terre-mer » à haute résolution correspondant aux plus hautes mers astronomiques 93 ( * ) . À ce titre, l'IGN occupe un rôle clé dans l'élaboration des plans de prévention des risques littoraux 94 ( * ) .

À la demande de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) et du service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations (SCHAPI), l'institut entretient aussi un référentiel altimétrique permettant d'évaluer le risque inondation lié au réseau hydrographique.

Dans un contexte d'accroissement du risque inondation lié aux effets des dérèglements climatiques l'institut a été amené à accentuer ses efforts de mise à jour du référentiel altimétrique . De façon plus générale, l'augmentation de la prévalence et de la gravité de certains risques induira un suivi plus fin et plus fréquent des évolutions du territoire, tendant vers l'objectif d'une véritable observation en continue . Ce besoin de description plus fine et plus actualisée se traduira, pour l'IGN, par une mise à jour plus régulière de ses référentiels. Ce défi suppose des moyens humains mais aussi des évolutions technologiques, notamment un recours accru à l'imagerie satellitaire (aujourd'hui nettement plus coûteuse que les ortho-images aériennes), à l'intelligence artificielle et à l'enrichissement collaboratif des bases de données .

Le programme Lidar HD doit également permettre d'améliorer la prévention des risques, en particulier le risque inondation . Pour cette raison, l'IGN s'est engagé à couvrir en priorité l'arc méditerranéen , le plus exposé aux phénomènes de pluies extrêmes tels que les « épisodes cévenols ».

Ponctuellement l'IGN est aussi mobilisé par le SCHAPI pour réaliser des prises de vue aériennes en urgence lors des crues. Ainsi, le 5 octobre 2020, trois jours après le passage de la tempête Alex, un avion de l'IGN survolait les zones sinistrées des vallées sinistrées des Alpes-Maritimes pour réaliser des prises de vues aériennes très haute résolution.

Dans un contexte d'accroissement de la prévalence et de la gravité des risques naturels induit par les dérèglements climatiques, le rapporteur spécial tient à souligner l'importance pour la France de disposer d'un établissement géographique souverain de référence tel que l'IGN pour appuyer les politiques de prévention .

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 5 octobre 2022 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Capo-Canellas, rapporteur spécial, sur l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN).

M. Claude Raynal , président . - Notre collègue Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial des crédits du programme « Expertise, information géographique et météorologie », nous présente maintenant les conclusions de son contrôle sur l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN).

M. Vincent Capo-Canellas , rapporteur spécial . - Nous vivons dans un « monde de la donnée ». Les données géolocalisées sont au coeur de nos vies, des usages personnels et professionnels mais aussi, c'est moins connu, elles sont bien souvent indispensables à la prise de décision politique, à la mise en oeuvre et à l'évaluation de nos politiques publiques, parfois les plus régaliennes. Elles permettent aux services de secours d'intervenir de façon rapide et efficace, elles décrivent les évolutions du territoire, une dimension fondamentale de la mise en oeuvre de nos politiques publiques, elles nous aident à mieux nous prémunir des risques naturels, elles sont indispensables aux activités opérationnelles de nos forces armées, au guidage des systèmes d'armes, etc. - et je pourrais poursuivre encore longtemps cette énumération.

Sans une maîtrise indépendante des données géolocalisées, c'est tout un pan de notre souveraineté qui s'en trouverait menacé. Toutefois, cet enjeu stratégique n'est pas visible, on n'en prend réellement conscience que lorsqu'une crise survient mais il est alors déjà trop tard.

L'IGN - et vous comprenez que c'est pour moi sa principale légitimité -, est notre meilleur outil pour garantir la maîtrise indépendante de nos données géolocalisées souveraines.

Mais désormais, une seconde source de légitimité doit également nous conduire à être attentifs à cet opérateur : son rôle grandissant et indispensable d'appui à notre stratégie environnementale, ainsi qu'aux politiques de prévention des risques, notamment inondation et submersion, dans un contexte de périls accrus par les dérèglements climatiques. S'agissant de l'objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN), c'est l'IGN qui va produire un outil pour nous aider à mesurer les effets de l'urbanisation.

Or, il y a de cela encore quelques années, l'IGN a été confronté à une crise existentielle, remis en cause dans son identité, contesté dans sa légitimité, concurrencé par de nouveaux acteurs publics comme privés, sa pérennité a pu être mise en doute. En parallèle, la politique d'ouverture et de gratuité des données publiques imposait à l'IGN de développer un nouveau modèle économique. Dans ce contexte, un risque d'obsolescence guettait l'opérateur. Il devait absolument se réformer.

À partir de 2019, il a entamé une profonde transformation. Elle se traduit par une refondation totale de son modèle économique. Si cette transition va dans le bon sens, la viabilité financière de ce nouveau modèle présente d'incontestables fragilités et repose encore sur de nombreuses incertitudes.

En préambule, il est d'abord nécessaire de préciser que l'IGN est bien loin d'être le seul acteur public à produire de l'information géographique. Les collectivités locales sont de plus en plus investies dans ce domaine. Or, un déficit de coordination notoire perdure. Le paysage atomisé de la production de données géolocalisées au sein de la sphère publique conduit à des redondances et à un usage sous-optimal des deniers publics.

Malgré une récente prise de conscience, il reste encore beaucoup à faire pour rationaliser un système encore trop peu structuré. La transformation de l'IGN doit contribuer à cet effort d'optimisation en repositionnant l'opérateur davantage dans un rôle d'expert référent ayant vocation à fédérer l'écosystème de la géodonnée publique.

Je l'ai évoqué en introduction, dans les années 2010, le modèle de l'IGN n'était plus en phase avec l'évolution du monde des données géolocalisées. Sa politique commerciale lui avait fait perdre la confiance de ses partenaires, et en premier lieu, des collectivités locales. Cette situation empêchait d'avancer sur la voie d'une meilleure collaboration entre l'opérateur et le secteur local.

Dans le même temps, l'émergence des GAFAM bouleversait la production d'information géographique, en particulier parce que leur modèle même est fondé sur les données, et notamment les données géolocalisées. La nouvelle concurrence qu'elles ont instaurée menaçait notre capacité à maîtriser nos données souveraines.

Dans ce contexte, et poussé par la politique d'ouverture et de gratuité des données publiques, l'IGN a entrepris de réformer en profondeur son modèle.

Cette transformation consiste d'abord à concentrer ses activités de production sur les données socles souveraines. Par données socles on entend les références géographiques de bases, dites « primaires », qui constituent une forme de matière première pour concevoir des produits et des services d'informations géographiques dits « secondaires ».

La transformation du modèle de l'IGN passe aussi par le quasi abandon de sa politique commerciale et des multiples petites prestations sur mesure qu'il produisait pour divers clients. L'IGN se concentre désormais sur le pilotage de projets nationaux d'accompagnement de grandes politiques publiques. Réalisés dans le cadre de marchés en quasi régie, ces projets sont financés par leurs commanditaires institutionnels.

Le nouveau modèle de l'IGN a aussi vocation à repositionner l'opérateur au coeur de l'écosystème des données géolocalisées pour en faire un expert, coordinateur, fédérateur, agrégateur, plutôt qu'un simple producteur d'information géographique.

Il est apparu que la trajectoire budgétaire rigoureuse imposée à l'IGN, notamment s'agissant de ses emplois, était manifestement incompatible avec sa transformation, en particulier car cette dernière implique un repyramidage des effectifs et des besoins de nouvelles compétences dans des domaines où le marché de l'emploi est tendu.

Aussi, le PLF 2022 a-t-il proposé une première inflexion portant sur la trajectoire du schéma d'emploi. Cette inflexion a été confirmée par un engagement pluriannuel d'objectifs et de moyens (EPOM) signé avec la direction du budget qui stabilise la subvention pour charges de service public (SCSP) de l'IGN jusqu'en 2024 et assouplit encore un peu plus son schéma d'emploi. Cette inflexion était nécessaire pour que l'établissement mette en oeuvre un vaste programme de recrutement et de formation afin de pourvoir, d'ici 2024, 150 postes sur des compétences émergentes.

La situation financière de l'IGN est déjà marquée par son nouveau modèle. À ce titre, 2021 constitue une vraie année charnière. C'est la première fois que les ressources propres de l'établissement, principalement issues des grands projets, dépassent le volume de la SCSP. Le développement du recours à la sous-traitance, en particulier pour les grands projets, produit un effet de levier qui dilate l'activité et le budget de l'IGN qui va passer de 160 à environ 180 millions d'euros. 2022 va quant à elle acter une légère progression de la masse salariale, du fait du plan de recrutement et de mesures d'attractivité.

J'ai pu le constater tout au long de mes travaux, le nouveau modèle de l'IGN est plébiscité par ses partenaires auprès desquels l'opérateur retrouve tout son crédit et sa légitimité. Cependant, j'ai aussi le sentiment qu'il demeure de vraies incertitudes quant à sa viabilité économique. À court terme, jusqu'en 2024, le financement des marchés en cours ainsi que la visibilité et l'assouplissement budgétaire que lui donne son engagement pluriannuel d'objectifs et de moyens (EPOM), garantissent son équilibre financier. Cependant, à partir de 2025, le modèle sera mis à l'épreuve. À ce stade, l'analyse prospective de sa viabilité repose sur plusieurs hypothèses fortes qui resteront à démontrer : notamment la stabilité de la SCSP et des effectifs, boucler le financement d'un grand projet pour lequel il manque toujours 15 millions d'euros ou encore trouver de nouveaux marchés pour un montant de 100 millions d'euros entre 2024 et 2027.

Aussi intéressant soit-il, le nouveau modèle de l'IGN présente des fragilités que l'on ne peut ignorer. Pour être viable économiquement, il suppose que l'opérateur conclut avec les ministères un volume suffisant de grands projets.

On ne peut exclure le risque d'un « trou d'air », d'autant que de nombreux ministères ont une connaissance très imparfaite des capacités de l'IGN et que l'opérateur est actuellement très dépendant de ces deux principaux « clients », les ministères des armées et de l'agriculture qui lui apportent 25 % du total de ses ressources. Inversement, l'établissement s'expose aussi au risque de « surchauffe » en cas d'afflux de demandes.

Ce modèle suppose une grande agilité d'organisation et dans la gestion des ressources humaines. L'IGN doit y parvenir dans le cadre contraint qui est celui d'un établissement public administratif (EPA), ce qui n'est pas loin de relever de la gageure. Qui plus est, des failles organisationnelles ont perturbé la bonne mise en oeuvre de la transition. Jusqu'ici, la priorité qui a été donnée aux grands projets s'est faite de façon artisanale, sans réel pilotage et sans s'assurer que des moyens suffisants étaient préservés pour produire les données socles souveraines, pourtant le coeur de la mission de service public de l'opérateur. Afin de maintenir la cohésion du corps social et de susciter l'adhésion autour d'une vision partagée de la nouvelle stratégie de l'institut, la direction doit rapidement remédier à ce problème.

Enfin, le nouveau modèle de l'IGN n'a une chance de prospérer qu'à condition que l'opérateur développe ses partenariats de façon très volontariste, avec les collectivités locales comme avec le secteur privé.

Aussi, afin de mieux baliser le nouveau chemin emprunté par l'IGN et d'en éviter les embûches, je vous propose une série de recommandations structurées autour de quatre axes : un IGN qui réussit sa mutation ; un IGN plus performant ; un IGN qui collabore mieux avec ses partenaires ; un IGN placé au coeur d'un écosystème public de l'information géographique rationalisé.

L'IGN doit faire partager son projet à l'extérieur comme à l'intérieur. C'est une phase toujours compliquée lorsqu'on refonde un tel établissement, qui était en grand risque jusqu'alors et qui tente une voie qui reste à baliser.

M. Claude Raynal , président . - Je vous remercie. Je note que vous avez pris l'habitude de diriger vos contrôles sur des établissements ou organismes publics complexes, où les questions financières sont toujours à peu près de la même nature : ils manquent de moyens et, globalement, il serait nécessaire qu'ils se réforment pour aller chercher des « clients ». Ce n'est pas toujours encourageant.

On a l'impression qu'on a remplacé un financement d'État par une participation de l'État et forfaitisée, avec des financements de ministères quasi obligatoires. Si on ne veut pas voir le système s'écrouler, il faut que les ministères de l'agriculture et des armées cotisent. Leur liberté est faible. Il est également nécessaire de trouver de nouveaux projets. S'il n'y en a pas, il va falloir les construire, toujours sur financement d'État.

On peine, comme vous le dites en conclusion, à se rassurer totalement sur l'équilibre du modèle lorsque l'on constate qu'il suppose de trouver 100 millions d'euros de nouveaux marchés dans les prochaines années.

Merci de nous avoir dit les choses telles qu'elles sont. Vous nous faites ressentir l'importance de certains secteurs en termes de souveraineté mais, en même temps, le modèle économique ne paraît pas stabilisé à ce jour - c'est le moins que l'on puisse dire.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Vincent Capo-Canellas a l'art de se saisir de dossiers d'analyse concernant des opérateurs publics dont le fonctionnement global est questionné. Je me souviens des alertes au sujet de Météo-France, l'an passé. Ce rapport est devenu d'une actualité brûlante ! Je crois qu'il en est de même pour l'IGN.

Vincent Capo-Canellas va pouvoir offrir ce rapport au Gouvernement, qui a souvent recours, pour des coûts non négligeables, à des cabinets de conseils privés venant en accompagnement de l'État. Ce travail est approfondi, avec des questions sur les données, mais aussi sur l'articulation et la coordination des moyens entre opérateurs.

Je partage l'opinion de Vincent Capo-Canellas sur le fait de conserver une véritable capacité d'expertise au sein de l'IGN, mais tout cela doit être mieux intégré et consolidé entre les opérateurs - et peut être les collectivités - qui, aujourd'hui, ont à travailler sur la donnée, notamment publique.

En matière de prévention des risques, en particulier au regard des enjeux environnementaux et écologiques, je crois que l'on doit arriver à faire que l'IGN soit un outil de pointe. C'est une question de moyens, d'effectifs, de commandes publiques et privées. Tout n'est pas acquis, mais ce rapport, qui constitue une évaluation presque en temps réel, sera particulièrement utile et nous aidera à nous pencher sur les moyens accordés à cet organisme dans le cadre des prochaines discussions budgétaires.

M. Vincent Delahaye . - La situation est assez complexe. La subvention pour charges de service public baisse de 10 % en dix ans, et les effectifs de 21 % en dix ans. J'en déduis que la subvention par emploi augmente. J'aurais aimé en connaître le chiffre, car elle a crû selon moi de 20 % en dix ans. Ce n'est pas négligeable.

Par ailleurs, j'aurais aimé connaître la décomposition entre commandes publiques et commandes privées. On a en effet l'impression que les ressources propres prennent de plus en plus d'importance.

Je n'ai pas d'idée précise de la situation financière de l'IGN, mais le rapporteur spécial s'est-il demandé s'il ne fallait pas supprimer l'IGN ?

M. Marc Laménie . - Je m'interroge sur les moyens humains, qui ont baissé de façon significative. L'IGN est-il entièrement basé en région parisienne ou existe-t-il des emplois répartis sur les territoires ? Par ailleurs, quel est le devenir des cartes en papier de l'IGN ? Enfin, quel est le lien qu'entretient l'IGN avec les collectivités locales ? L'IGN a notamment un rôle à jouer en matière d'aléas climatiques.

M. Pascal Savoldelli . - Qu'est-ce qui permet de dire que la sous-traitance a constitué un effet de levier pour le nouveau modèle économique de l'IGN ? Je trouve que cette affirmation demande à être étayée par des données.

Ces trois dernières années, peut-être du fait de la pandémie, on a constaté un nouvel élan en faveur des cartes. Il y a là des éléments de rentabilité à prendre en compte.

M. Michel Canévet . - Comme Vincent Delahaye, j'éprouve quelques préoccupations quant au budget de l'IGN. La subvention pour charges de service public couvre-t-elle la masse salariale ou des dépenses supplémentaires ?

Je présume que l'IGN doit réaliser un effort d'investissement dans les nouvelles technologies, de façon que l'institution soit opérante, à défaut de quoi elle sera totalement dépassée. Au regard de ces enjeux, le statut d'établissement public est-il le plus adapté à ce qu'on attend de l'IGN ?

D'autre part, comme Vincent Delahaye, j'observe que les financements publics constituent l'essentiel du financement de l'IGN. On note même que la part des financements privés est en baisse de 50 % depuis 2017, ce qui est très préoccupant.

Enfin, l'IGN postule-t-il également à des programmes européens en matière de recherche géographique ?

Mme Sylvie Vermeillet . - Monsieur le rapporteur spécial, vous avez brièvement évoqué l'idée que l'IGN pourrait aider les collectivités locales en matière de travaux sur le zéro artificialisation nette (ZAN). Est-ce pour mieux définir le type d'artificialisation ?

Par ailleurs, l'IGN peut-il venir en aide aux services du cadastre ? On sait en effet que nombre de certificats d'urbanisme sont refusés à des communes encore sous règlement national d'urbanisme (RNU), au motif que l'implantation d'une maison serait en discontinuité territoriale, alors que ce sont les registres du cadastre qui ne sont pas à jour. L'IGN serait-il capable d'agir en temps réel, ou au fur et à mesure de la mise à jour des données, afin de transmettre plus rapidement celles-ci au cadastre et éviter les refus ?

M. Jean-Baptiste Blanc . - Ma question va dans le même sens : le rapporteur spécial peut-il nous en dire plus sur l'artificialisation du point de vue de l'IGN ? On nous parle de beaucoup d'outils mobilisés autour de ce sujet - Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), et autres. Peut-on savoir qui fait quoi ? Par ailleurs, cela va-t-il générer de nouvelles recettes ? Enfin, l'IGN aura-t-il les moyens d'appréhender le ZAN ?

M. Christian Bilhac . - Je félicite le rapporteur spécial pour la qualité de son rapport.

Sur le plan stratégique, la souveraineté stratégique et militaire a un coût qu'il faut assumer. Quelle est la part de ce coût, et n'y a-t-il pas surtout, pour le contribuable, une double dépense ? Quand les collectivités locales font appel à d'autres sociétés que l'IGN, c'est l'impôt qui paye. Il ne faut jamais le perdre de vue.

Je crois que l'on doit conserver l'IGN pour des raisons stratégiques mais favoriser le partage de compétences entre l'État et les collectivités locales, afin d'éviter une double dépense pour le contribuable. On joue sur les mots : l'IGN va moins encaisser, mais ce qui compte, c'est ce qui sort de la poche du citoyen !

M. Jean-Marie Mizzon . - Ma question rejoint celle de Sylvie Vermeillet et Jean-Baptiste Blanc.

Il me semble que le ZAN constitue une opportunité en termes d'activité pour l'IGN, dès lors qu'on aura une définition, à partir des décrets qui sont contestés, de ce qui est artificialisé et de ce qui ne l'est pas vraiment.

Il y a là un chantier qui couvre plusieurs décennies, au moins jusqu'en 2050, sans parler par la suite de la surveillance de ce qui est « naturé », « renaturé » ou artificialisé.

M. Jean Pierre Vogel . - J'adresse tous mes remerciements au rapporteur spécial pour son excellent travail.

Existe-t-il un partenariat entre l'IGN, le nouveau système d'alerte des populations, FR-Alert, qui a remplacé le désastreux système d'alerte et d'information des populations (SAIP), et le système Cell Broadcast en cas de submersion marine, de gros incendies, d'attentats, etc. ? Cela me semblerait opportun.

M. Jean-Michel Arnaud . - Merci à Vincent Capo-Canellas pour le travail de qualité qu'il a fourni, comme toujours.

J'observe que, dans les territoires, les collectivités locales s'organisent en développant leur propre système de gestion des données locales, avec intervention de propositions privées.

Comment se fait-il que l'IGN ne mette pas à la disposition des collectivités locales une proposition opérationnelle mutualisée à moindre coût ? Les collectivités locales connaissent peu l'offre commerciale de l'IGN, alors que le rapporteur spécial a évoqué le devoir de l'IGN de développer d'autres sources de revenus. Je ne comprends pas comment un établissement public comme celui-ci soit aussi peu mobilisé par les collectivités locales pour la gestion des données de proximité.

M. Vincent Capo-Canellas , rapporteur spécial . - Le sujet est ardu. L'IGN est une sorte de maquis, dont le langage est particulier. C'est celui des géographes, des géodonnées, avec un écosystème extrêmement compliqué.

C'est une maison d'ingénieurs, dotée d'un véritable acquis scientifique, mais qui est confrontée à des attaques tous azimuts et à des choix difficiles que doit effectuer le Gouvernement.

J'ai insisté sur le fait que, les différentes lois, comme la loi NOTRe, ont confié des compétences aux collectivités, qui commencent à travailler avant de se tourner vers l'IGN. Chaque région ou métropole réalise un travail de cartographie, et l'IGN doit être capable de jouer un rôle d'ensemblier, sans référentiel commun. Ce n'est donc pas extrêmement simple. On a tendance à beaucoup demander à l'IGN, mais les moyens sont peu nombreux et les choix ne sont pas très clairs.

Merci au président qui a souligné que j'avais tenté de m'attaquer à des sujets difficiles. En tant que rapporteur spécial des crédits de Météo-France, j'ai essayé de vous livrer des éléments sur la stratégie de cet organisme. J'ai fait le même travail sur la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et ses grands programmes de modernisation de la navigation aérienne. Je me penche à présent sur l'IGN pour en étudier les crédits.

Le président a insisté sur la question des moyens, qui constitue un point central. Que demande-t-on à ce type d'opérateur ? On a fait évoluer la subvention pour charges de service public à la baisse. Désormais, le financement des grands projets qui viennent pour l'essentiel des ministères est plus important que cette subvention. Il existe donc bien une fragilité financière inhérente à ce modèle.

L'IGN allait vraisemblablement mourir. Le choix a été fait de tenter une autre aventure, la seule possible peut-être, mais les risques sont là. J'insiste sur le fait qu'il y aura un problème si on ne trouve pas de grands projets à hauteur de 100 millions d'euros dans trois à quatre ans.

Cela fait partie des interrogations. La démarche conduite par le directeur général et par l'équipe de l'IGN va dans le bon sens, mais présente des risques.

Je précise que je ne crois pas aux clients privés pour fournir un volume d'affaires à l'IGN. L'État diminue sa subvention pour charges de service public. Il finance par ailleurs de grands projets. Tout est question de rythme. Si on veut stabiliser les choses, il faut donner de la visibilité à l'IGN.

Merci au rapporteur général au sujet de Météo-France. On va voir ce qu'il advient à la suite de ce que nous avons dit l'année dernière. Il y a aura, du fait notamment des événements tragiques qui ont eu lieu dernièrement, six postes de plus pour Météo-France.

Le ministre m'a dit l'autre jour qu'il lisait les bons auteurs. J'ai cru comprendre que notre alerte a permis au ministre, qui connaît bien le Sénat, de dire à ses équipes que cela ne pouvait se passer comme prévu. Souhaitons que cela ait des effets. On le verra ensemble dans quelques semaines.

Il faut effectivement travailler sur la prévention des risques. Plusieurs d'entre vous ont abordé ce sujet. L'IGN a plusieurs rôles en la matière. Il collabore avec les services d'intervention pour leur fournir des outils de navigation fiables et souverains. Il joue un rôle déterminant dans la prévention des risques inondation et submersion marine, notamment en mettant à jour les données altimétriques, la cartographie du réseau hydrographique ou encore en déterminant l'évolution du trait de côte. Après des catastrophes naturelles, notamment des inondations, l'IGN est aussi sollicité pour réaliser en urgence des prises de vues aériennes des zones sinistrées afin de mieux organiser les secours. L'IGN n'est cependant pas dans l'opérationnel direct, contrairement aux préfectures ou à la sécurité civile.

Le rapporteur général l'a dit : nous sommes au milieu du gué financier, avec un certain nombre de risques majeurs.

Vincent Delahaye pose la question de savoir si l'on a toujours besoin de l'IGN. C'est le sujet qui m'a guidé au départ. On peut se poser intellectuellement la question mais, en matière de souveraineté militaire et de sécurité civile, ce serait folie de se priver d'un institut de référence qui fournit à la France une cartographie souveraine et les évolutions de celle-ci. A défaut nous risquerions de nous retrouver entre les mains des GAFAM. Nous avons donc besoin de l'IGN. C'est un élément stratégique pour l'avenir. Certains, dans l'administration, m'ont dit que nous n'y mettions pas assez d'argent, car la donnée est souveraine, même si on a ouvert la voie à la politique des données publiques gratuites. Il convient de faire attention.

S'agissant de la subvention par emploi, question posée par Vincent Delahaye, l'IGN a en effet subi une double peine : on a baissé la subvention pour charges de service public et réduit encore plus le nombre d'effectifs. Cela a permis de financer certains projets et des mesures d'attractivité, mais il y a également eu un effet « sous-traitance », comme le dit Pascal Savoldelli.

L'IGN a à la fois fait appel à la sous-traitance pour abaisser ses coûts et parce qu'il est parfois confronté à un trop grand volume d'affaires.

Le directeur général a eu une excellente analyse en disant qu'il fallait conserver la compétence des métiers de base. Il y a des compétences stratégiques qu'il ne sous-traitera pas. Il faut que l'IGN puisse parfois faire appel au secteur privé lorsqu'il en a besoin, mais sache exercer tous ses métiers stratégiques. C'est subtil, mais assez habile. Cela a temporairement gonflé le budget de 20 millions d'euros. Cependant, il faut demeurer très vigilant et ne pas perdre les métiers et les compétences essentiels.

Pour répondre à Marc Laménie, il existe cinq directions territoriales, une école, des activités de recherche.

Vous êtes plusieurs à avoir évoqué le ZAN. Une demande a été adressée par des ministères à l'IGN pour fournir un outil d'évaluation. Ce sera un sujet compliqué. Le financement de cet outil se situe à hauteur de 18,6 millions d'euros jusqu'en 2024. Il faudra ensuite 2 millions d'euros tous les ans pour réaliser l'actualisation. Cette somme n'est pas garantie à ce stade.

Quant aux cartes papier, il faut bien évidemment les maintenir. Leur impression va être rationalisée. L'IGN a entrepris de moderniser et d'optimiser cette activité qui sera décentralisée dans le Cher. Après une analyse économique, l'IGN a prévu d'externaliser les gros tirages mais de conserver en régie les tirages inférieurs à 500 exemplaires.

Plusieurs d'entre vous ont posé la question des relations avec les collectivités. L'IGN leur fournissait, il fut un temps, des services payants, et c'était mal vu. L'IGN peut apporter des compétences, mais peu de moins en moins le faire sur sa subvention pour charges de service public. Il y a donc un moment où il faut se tourner vers un partenariat, notamment à propos de certains projets. C'est un équilibre à trouver, qui devient malheureusement nécessaire.

Michel Canévet a posé la question de la masse salariale. Celle-ci a baissé et la subvention également, mais non de manière proportionnelle, pour les raisons que j'ai indiquées. Il faut financer l'investissement et des mesures d'attractivité.

S'agissant du statut d'EPA, j'ai écrit dans le rapport que ce n'est pas un tabou, mais qu'il faut d'abord retrouver un modèle financier qui se tienne. Est-on dans une fuite en avant ? Ce n'est pas impossible. On était auparavant dans une logique récessive, qui était pire que tout. Une fois que l'on aura une vue bien claire de ce modèle financier, en 2025, il faudra se poser la question de savoir si cela tient. Je propose une évaluation extérieure et que l'on se pose à ce moment-là des questions sur l'évolution du statut.

Poser la question du statut pourrait soulever celle du maintien de cet établissement. Cela fait sens de le conserver dans le domaine public. Je n'ai aucun doute à ce sujet. Si l'on réfléchit au statut, il faut le faire avec beaucoup de prudence et un cadre très clair, dans l'optique de lui donner davantage d'agilité.

Sylvie Vermeillet a évoqué le ZAN. Je pense lui avoir répondu, de même qu'à Jean-Baptiste Blanc et Jean-Marie Mizzon qui en ont aussi parlé.

Elle a soulevé la question du cadastre. Il faut effectivement que la direction générale des finances publiques et l'IGN avancent sur la question de la fiabilisation du plan cadastral et le projet de représentation parcellaire cadastrale unique afin de répondre aux très fortes attentes des collectivités sur le sujet.

Certes, chacun a sa façon de travailler. Il faut trouver le bon modus vivendi . Ce n'est pas optimal aujourd'hui.

Christian Bilhac a dit qu'il fallait assumer le coût de la souveraineté. C'est en effet essentiel. On ne peut être absent, sans quoi c'est le secteur privé qui se chargera de tout, et on se retrouvera entre ses mains et celles de pays étrangers. Quels moyens avons-nous ? Soit ce nouveau modèle tourne convenablement et tout va bien, soit il faudra se poser des questions et majorer la subvention pour charges de service public, au moins temporairement.

Jean-Pierre Vogel évoquait la question des systèmes d'alerte. J'ai répondu au rapporteur général sur ce point.

Jean-Michel Arnaud a lui aussi posé la question des collectivités locales et du développement des partenariats équilibrés. L'ouverture gratuite des données a paradoxalement amélioré les relations entre l'IGN et les collectivités locales. Nous avons beaucoup de doutes - et il y a lieu d'en avoir -, mais l'IGN se transforme et ses partenaires trouvent cela formidable. Tout le monde estime qu'on a besoin d'un référentiel d'informations géolocalisées de base qui ne peut être que celui de l'IGN.

M. Claude Raynal , président . - Je vous remercie.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Institut national de l'information géographique et forestière (IGN)

- Mme Emmanuelle PRADA BORDENAVE, présidente du conseil d'administration ;

- M. Sébastien SORIANO, directeur général ;

- Mme Jeanne STRAUSZ, secrétaire générale ;

- M. Claude PÉNICAND, directeur adjoint délégué à la stratégie.

Service Gouvernance et gestion de la politique agricole commune - Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE)

- Mme Marie-Agnès VIBERT, cheffe du service Gouvernance et gestion de la PAC ;

- Mme Édith MÉRILLON, sous-directrice de la Gouvernance et pilotage.

Commissariat général au développement durable (CGDD)

- M. Thomas LESUEUR, commissaire général ;

- M. Thierry COURTINE, chef du service de la recherche et de l'innovation ;

- Mme Claire SALLENAVE, sous-directrice de l'animation scientifique et technique.

Direction du budget

- M. Mehdi AOUAT, chef du bureau du logement, de la ville et des territoires.

Sous-direction GF 3. Missions foncières et fiscalité du patrimoine - Direction générale des finances publiques (DGFiP)

- Mme Isabelle OUDET-GIAMARCHI, sous-directrice ;

- Mme Marina FAGES, cheffe du bureau du cadastre ;

- M. François ROLLO, adjoint à la cheffe du bureau du cadastre.

État-major des armées - Ministère des armées

- Colonel Arnaud de VACHON, chef du bureau géographie, hydrographie, océanographie et météorologie ;

- Colonel Emmanuel DURVILLE, chargé des relations avec le Parlement.

Contrôle général économique et financier (CGeFI)

- Mme Caroline MONTALCINO, cheffe de la mission écologie et développement durable ;

- M. Benoit DINGREMONT, contrôleur budgétaire.

Association française pour l'information géographique

- M. Jean-Marie SÉÏTÉ, président.

Conseil national de l'information géolocalisée (CNIG)

- M. Bertrand MONTHUBERT, président.

Conseil régional de l'information géographique PACA (CRIGE PACA)

- Mme Christine ARCHIAS, directrice.

CFDT-IGN

- M. Éric PEYROUSE, secrétaire général ;

- Mme Nadège CHEDAL-ANGLAY, secrétaire générale adjointe.

UNSA

- M. Guy-Alain EYCHENNE, IGN Lyon, coordinateur et responsable de l'UNSA à l'IGN ;

- M. Nicolas PY, IGN Lyon ;

- M. Thierry TOUZET, IGN Nogent-sur-Vernisson.

CGT

- M. Olivier DELBEKE, secrétaire général adjoint du syndicat CGT OM ;

- M. Samir KHAZAZ, secrétaire général CGT PTA de l'IGN.

Google France

- M. Sylvain BEUCHER, responsable des partenariats Google Maps en France ;

- M. Hugues DE MAUPEOU, chargé d'affaires institutionnelles ;

- M. Thibault GUIRO, responsable affaires institutionnelles.

Auteurs du rapport du CGEDD/CGAAER « Analyse prospective et propositions d'évolution de l'Institut national de l'information géographique et forestière IGN » (2017) :

- Mme Florence TORDJMAN et MM. Pascal DOUARD et José RUIZ.

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Siège de l'IGN à Saint-Mandé - 12 mai 2022

Direction territoriale Sud-Ouest de l'IGN à Saint-Médard-en-Jalles - 1 er juin 2022


* 1 Doté d'une commission des marchés (depuis 2009) et d'une commission de la stratégie (depuis 2012).

* 2 Dont 10 représentants de l'État, 5 personnalités qualifiées, 3 représentants de la filière forestière et 6 représentants du personnel.

* 3 Et plus précisément par le service de la recherche et de l'innovation.

* 4 À Aix-en-Provence, Bordeaux, Lyon, Nantes et Nancy.

* 5 Un service de l'imagerie et de l'aéronautique (SIA) à Beauvais, un service d'imagerie spatiale (SIS) à Ramonville Saint-Agne, un site logistique à Villefranche-sur-Cher, un service de l'information statistique forestière et environnementale (SISFE) à Nogent-sur-Vernisson et un centre de compétences d'inventaire forestier (LIF) à Nancy.

* 6 À Paris et Saint-Mandé.

* 7 Les données géographiques souveraines, rapport au Gouvernement de Madame Valéria Faure-Muntian, juillet 2018.

* 8 Des images aériennes ou satellitaires de la surface terrestre.

* 9 L'IGN photographie l'ensemble du territoire avec une résolution de 25 cm tous les trois ans.

* 10 Notamment les stations « DORIS » déployées depuis la fin des années 1980.

* 11 Le Centre national d'études spatiales (CNES), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et la société Teria.

* 12 La directive 2007/2/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2007 établissant une infrastructure d'information géographique dans la Communauté européenne.

* 13 Un référentiel hydrographique.

* 14 La base de données unifiée.

* 15 Au sein de la gouvernance de l'IGN, les activités de formation sont suivies par le conseil de perfectionnement de l'ENSG tandis que les activités de recherches le sont par le conseil scientifique et technique.

* 16 Analyse prospective et propositions d'évolution de l'IGN, rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), novembre 2017.

* 17 Il mesure le coût moyen à charge (différence entre dépense moyenne et recette moyenne) par élève dans les cycles de formation longs de l'ENSG conférant le grade de master ou un diplôme d'établissement reconnu par la Conférence des grandes écoles (CGE). Les dépenses intègrent les coûts salariaux des responsables pédagogiques et des enseignants, des fonctions support, les vacations et les différentes dépenses de fonctionnement liées à l'activité d'enseignement (hors coûts d'infrastructure).

* 18 Issue du regroupement de l'Université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEM), de l'institut de recherche IFSTTAR, l'école d'architecture (Éav&t) et des trois écoles d'ingénieurs (EIVP, ENSG et ESIEE Paris).

* 19 Light detection and ranging.

* 20 Voir infra.

* 21 Sous double tutelle IGN-ENSG et Université Gustave Eiffel.

* 22 De l'Agence nationale de la recherche (ANR), de BpiFrance, de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), du CNES, des programmes européens pour la recherche et l'innovation, etc.

* 23 Dont 14 ingénieurs de recherche.

* 24 Dont 6 personnels de direction.

* 25 La géomatique regroupe l'ensemble des outils et méthodes permettant d'acquérir, de représenter, d'analyser et d'intégrer des données géographiques.

* 26 Les armées françaises disposent aussi d'un régiment « d'arpenteurs » (le 28 e groupe géographique) qui comprend des topographes et des cartographes.

* 27 Qui a pour objet la « contribution à la préparation, au développement et à la mise en oeuvre de l'infrastructure des données géographiques pour l'exécution des missions armées et des programmes de la défense ».

* 28 Dans un délai d'un mois environ.

* 29 Grâce aux données géographiques embarquées.

* 30 Notamment avec les groupes Airbus et Thalès.

* 31 Notifié en 2021, il doit se poursuivre jusqu'en 2027.

* 32 À travers la production de socles géométrique, altimétrique et radiométrique.

* 33 Notifié en 2019, le programme doit s'achever en 2024.

* 34 Les modèles numériques d'élévation sont utilisés depuis les années 1990 dans le cadre de la numérisation de champs de bataille potentiels, ils améliorent la localisation géographique des images satellitaires et peuvent faciliter le guidage de la plupart des systèmes d'armes.

* 35 D'une résolution de douze mètres.

* 36 Ou « in house ».

* 37 À partir d'orthophotographies aériennes.

* 38 Signée le 17 mars 2020.

* 39 Occupation des sols à grande échelle.

* 40 Cf infra.

* 41 Il s'agit de suivre le cycle cultural et de détecter des espèces et des actes agronomiques afin d'assurer une automatisation de certains points d'instruction des aides agricoles.

* 42 Rapport présenté au Premier ministre par Guy Lengagne sur les perspectives d'évolution de l'information géographique et les conséquences pour l'IGN, septembre 1999.

* 43 Une étude britannique de septembre 2020 évalue le taux de croissance annuelle du secteur à 8 %.

* 44 Rapport d'information n° 840 (2020-2021) de M. Vincent CAPO CANELLAS, fait au nom de la commission des finances, déposé le 22 septembre 2021.

* 45 Évaluation socioéconomique de Météo-France, France stratégie, juin 2018.

* 46 Ces études font notamment l'objet d'une analyse dans l'annexe 5 du rapport de novembre 2017 précité.

* 47 Cette étude, comme la suivante citée dans ce paragraphe, a été analysé dans l'étude de faisabilité d'une étude économique de l'écosystème géo-numérique commandée par le CNES à l'Afigéo (août 2021).

* 48 À titre d'exemple, la région Occitanie a développé son propre système dès 2013.

* 49 C'est le cas notamment du département de Charente-Maritime ou de la région Occitanie.

* 50 Certaines d'entre-elles étant même antérieures à la loi.

* 51 Il intègrera ainsi désormais dans sa composition le ministère des transports, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, l'administrateur général des données (directeur interministériel du numérique), l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), l'Office français de la biodiversité (OFB), la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), l'association OpenData France ainsi que l'association OpenStreetMap France.

* 52 Dont certains ont déjà été initiés par l'IGN tels que la « fabrique des géo-communs » ou le « forum IGN fab ».

* 53 Le ministère de la Transition écologique, la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), la direction interministérielle du numérique (DINUM) la direction générale de la prévention des risques (DGPR), le Service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations (Schapi), l'Agence des services de paiement (ASP), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), l'Office national des forêts (ONF), le service hydrographique et océanographique de la marine (Shom), plusieurs plateformes régionales, etc.

* 54 Pour rappel, depuis le 1 er septembre, cet acteur est désormais membre du conseil plénier du CNIG.

* 55 Des ministères, des services déconcentrés de l'État, des établissements de santé, des entreprises publiques, des établissements sportifs, etc.

* 56 Depuis 2019, la BD parcellaire est figée, l'IGN ayant suspendu ses mises à jour. Il a été remplacé par le parcellaire express dont la structure est similaire et est basé sur le plan cadastral informatisé (PCI) diffusé trimestriellement par la DGFiP.

* 57 En vertu du décret n° 2011-1241 du 5 octobre 2011 relatif à l'exécution de travaux à proximité de certains ouvrages souterrains, aériens ou subaquatiques de transport ou de distribution, dit « décret anti endommagement » ou « décret DT (déclaration de projets de travaux) - DICT (déclaration d'intention de commencement de travaux) » et de l'arrêté du 15 février 2012 pris en application du chapitre IV du titre V du livre V du code de l'environnement relatif à l'exécution de travaux à proximité de certains ouvrages souterrains, aériens ou subaquatiques de transport ou de distribution.

* 58 Conforme à un standard établi par le CNIG.

* 59 Enedis contribue à hauteur de 50% du financement des projets.

* 60 Certaines collectivités avaient alors pris l'initiative de créer de véritables centrales d'achats pour négocier avec l'IGN. Ces centrales d'achats sont à l'origine des premières plateformes régionales pour l'information géographique (CRIGEs).

* 61 Le rapport de novembre 2017 précité identifiait cette émergence comme l'une des principales menaces qui pesait sur l'IGN.

* 62 Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

* 63 L'IGN estimait alors le niveau de perte effective à 800 000 euros.

* 64 La valorisation des données de l'Institut national de l'information géographique et forestière, de Météo-France et du Centre d'études et d'expertise sur les risques, de l'environnement, la mobilité et l'aménagement, l'enjeu de l'ouverture des données publiques, référé de la Cour des comptes, 11 mars 2019.

* 65 Après annulation de la réserve de précaution.

* 66 Voir infra la description détaillée de ce programme.

* 67 De 2020 à 2024.

* 68 Dont 36,2 millions d'euros pour le FTAP et 27,1 millions d'euros pour le plan de relance.

* 69 Repyramidage qui augmente la part des agents de catégories A au détriment des agents des catégories B et C.

* 70 Light detection and ranging.

* 71 L'offset est le principal procédé d'impression.

* 72 À l'automne 2023, au terme de l'échéance du contrat de maintenance de la presse.

* 73 Moins de 500 tirages.

* 74 Un circulaire de la direction interministérielle du numérique (DINUM), de la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) et de la direction du budget a actualisé au début de l'année 2022 le référentiel des métiers en tension (numériques notamment) qui permet d'attirer des compétences en autorisant des recrutements de contractuels à des conditions de rémunération adaptées au secteur.

* 75 Désavantageuses par rapport aux autres corps de l'IGN.

* 76 La direction territoriale Sud-Ouest de l'IGN.

* 77 Notamment la région Occitanie et le département de Charente-Maritime.

* 78 À l'image d'OpenStreetMap.

* 79 Un ensemble de programmes pilotés par le ministère de la transition écologique ayant vocation à concourir au soutien de l'écosystème de la Greentech en France.

* 80 Un nouvel appel à projets IGNfab a été lancé en juin 2022. Il était consacré aux services utilisant des données Lidar. Cet appel associe de nombreux partenaires publics et privés, porteurs de besoins ou proposant des appuis complémentaires à ceux de l'IGN (par exemple des collectivités proposant un territoire d'expérimentation).

* 81 Tel que le projet ReuniWatt en matière d'énergie photovoltaïque.

* 82 Avec un projet tel que Open Forest.

* 83 Les territoires métropolitain et ultra-marin.

* 84 Pour la première fois sur le département du Gers.

* 85 Après l'échéance de l'EPOM de l'IGN.

* 86 Une obligation européenne qui découle des dispositions de la directive de l'Union européenne 92/43/CEE du 21 mai 1992 dite « directive habitats ».

* 87 Des indicateurs organisés selon six critères définis à l'échelle européenne : la surface des forêts et la ressource en bois, l'état de santé des forêts, les produits issus de la forêt, la diversité biologique, le rôle de protection des forêts et la place économique de la filière forêt-bois.

* 88 De vielles forêts présentant des caractéristiques de maturité biologique avancée.

* 89 Des forêts n'ayant pas connu de défrichement depuis le milieu du XIX e siècle.

* 90 Coproduit avec l'office français de la biodiversité (OFB) et enrichie avec le concours des directions départementales des territoires (DDT), des directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) ainsi que des agences de l'eau et diffusée par le service d'administration nationale des données et référentiels sur l'eau (SANDRE).

* 91 Depuis 2009, l'IGN est engagé avec le Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM) sur le projet Litto3D, une base de données altimétriques unique et continue terre-mer donnant une représentation tridimensionnelle de la forme et de la position du sol sur la frange littorale du territoire français afin d'aider à la gestion et à la protection de la bande littorale. Cette base progresse au rythme des collaborations avec les départements littoraux. La convention de partenariat avec le SHOM est en cours de renouvellement.

* 92 Il apporte à ce titre son appui à la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte.

* 93 Ce référentiel doit notamment servir de référence pour la délimitation des zones réglementaires et administratives pour les arrêtés des préfectures maritimes mais aussi pour la délimitation des aires marines protégées.

* 94 Élaborés par les services de l'État sous l'égide de la DGPR en concertation avec les collectivités locales.

Page mise à jour le

Partager cette page