II. SI LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS FAIT PARTIE DES MISSIONS FONDAMENTALES DE LA DOUANE, ELLE DOIT SE CONCEVOIR DANS UN CADRE INTERMINISTÉRIEL

A. SI QUELQUES ADAPTATIONS SONT ENCORE NÉCESSAIRES, LA COOPÉRATION EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS A PROGRESSÉ ENTRE LA DOUANE ET LES SERVICES DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR ET DE LA JUSTICE

1. La création de l'Office antistupéfiants a permis de fluidifier la coopération en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants
a) Une structure regroupant la police, la gendarmerie et les douaniers

L'Office antistupéfiants (Ofast) s'est substitué le 1 er janvier 2020 à l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), en prenant le statut de service à compétence nationale . Initialement doté de 100 agents, l'Ofast devrait voir ses effectifs atteindre 230 agents en 2022 au niveau central. Il dispose de 13 antennes territoriales - chefs de file dans les territoires et chargées du pilotage du réseau des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), de la remontée centralisée de l'information opérationnelle et de l'élaboration d'un état de la menace au niveau territoire - et de 11 détachements ayant une vocation exclusivement opérationnelle .

Antennes et détachements de l'Office antistupéfiants
et répartition des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants

Source : ministère de l'intérieur, organisation de l'Office antistupéfiants

Élément de nature à favoriser la coopération entre l'ensemble des services de l'État impliqués dans la lutte contre les stupéfiants, la police, la gendarmerie et la Douane dirigent chacune l'un des trois pôles de l'Ofast , à savoir :

- le « pôle stratégie » (douane), chargé d'analyser et de diffuser la connaissance en matière de produits, de trafics et de routes, notamment via la production de « l'état de la menace » ;

- le « pôle renseignement » (gendarmerie), chargé de développer le recueil du renseignement sur le territoire national et à l'étranger. L'Ofast fait partie du second cercle du renseignement ;

- le « pôle opérationnel » (police nationale), chargé d'assurer la conduite des enquêtes judiciaires et leur coordination à travers le réseau des Cross, mais aussi des partenaires internationaux. Il apporte également son appui pour développer les investigations (cyber, financières, internationales, etc.).

Huit douaniers étaient en poste à l'Ofast au 1 er juin 2021 . Pour citer la directrice de l'Ofast, le « mélange des cultures » fonctionne et a permis de fluidifier les relations avec la DGDDI.

Une fois son chef de filât en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants consolidé, l'Ofast a produit son premier état de la menace, au mois de mai 2022 . Cet état de la menace devrait être actualisé chaque année, en tenant également compte de la corruption perpétrée par les organisations criminelles et de la criminalité connexe.

b) Une structure chef de file de la lutte contre le trafic de stupéfiants

L'Ofast est désormais le chef de file du plan national de lutte contre les stupéfiants et plus largement de la lutte contre le trafic de stupéfiants . S'il demeure encore des frictions, notamment sur le plan opérationnel et de la coopération quotidienne entre l'Ofast et les services douaniers, la plupart des personnes auditionnées s'accordent à dire que la création de l'Ofast a permis de fluidifier les relations entre les différents services de l'État impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants . C'était en effet un attendu de cette organisation, en parallèle du renseignement et de l'opérationnel ; elle devait « mettre fin aux concurrences stériles entre les services » et aux conflits de compétences.

L'Ofast doit en effet faire en sorte que les services se parlent et se coordonnent . Ainsi, l'Ofast a créé au mois d'août 2020 une cellule « cyber » et veut développer son propre réseau de compétences pour recueillir du renseignement et conduire des « coups d'achat », à l'instar de ce que fait Cyberdouane. Une expérience avait également été menée à Marseille pour détecter et suivre les comptes activés sur les réseaux sociaux par les trafiquants locaux. Pour éviter les doublons et améliorer l'efficacité de la lutte contre le trafic de stupéfiants, le développement de ces compétences au sein de l'Ofast doit compléter et non entrer en concurrence avec ce que fait déjà Cyberdouane, qui dispose d'une expérience reconnue en la matière . La communication entre l'Ofast et la DNRED se doit d'être parfaite sur ce point.

2. La coopération avec la police et les autorités judiciaires, essentielle pour les suites à donner aux interceptions douanières

Lors des différentes auditions, les services douaniers ont rappelé que la quasi-totalité des dossiers initiés par la Douane en matière de stupéfiants faisait désormais l'objet d'un traitement dans un cadre judiciaire , que ce soit en flagrance puis en enquête préliminaire, ou dans le cadre d'une commission rogatoire avec saisie d'un juge d'instruction pour les dossiers les plus importants. Les enquêtes judiciaires s'appuient donc sur les enquêtes administratives douanières. Les remises aux services de police des personnes interceptées dépendent quant à elle, pour certaines zones, des quantités saisies, de l'extranéité des infracteurs et des modalités de transport ( in corpore ou non).

Si la Douane joue un rôle clé dans le dispositif interministériel déployé en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, par rapport aux autres services de l'État, c'est également dû aux spécificités de la procédure douanière . Les services de la Douane agissent dans le cadre d'une procédure administrative et non judiciaire , à partir des dispositions du code des douanes. Les prérogatives qui en découlent - fouille des moyens de transports et des personnes, visites domiciliaires 39 ( * ) , droit de communication - se justifient par la nécessité de contrôler des flux de marchandises et de capitaux, et non des personnes . Pour autant un certain nombre de ses pouvoirs, en particulier les plus coercitifs, demeurent soumis au contrôle de l'autorité judiciaire.

Concernant la coordination des services, l'alimentation du « Fichier national des objectifs en matière de stupéfiant » (FNOS), commun à la douane, la police et la gendarmerie, doit permettre d'empêcher les risques de perturbation d'une procédure judiciaire en cours par une action douanière . Si la Cour des comptes avait pu relayer en 2015 40 ( * ) les critiques adressées par la police nationale à la DGDDI quant à l'alimentation du FNOS, la Douane a depuis transmis aux services de la direction des opérations douanières des instructions écrites leur intimant d'inscrire systématiquement dans le fichier toutes les personnes physiques identifiées dans le cadre des investigations qu'ils ont engagées.

Le FNOS, encore considéré comme trop « cloisonné », doit bientôt être remplacé par le fichier antistupéfiants (FAST), dans le but d'améliorer la coordination entre les services. Une première version du FAST a été déployée au début du mois de janvier 2022, une seconde version devrait l'être à compter du mois de mars 2023.

3. L'échange de renseignements, un atout dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, sur le territoire comme à l'international
a) Les Cross, un lieu d'échange de renseignements privilégié

Les personnes auditionnées se sont montrées plutôt satisfaites du fonctionnement des 103 cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), installées dans chaque département : environ 11 000 renseignements ou fiches d'information sont remontés aux différents services compétents en 2021 . 35 Cross sont permanentes, sur les territoires les plus frappés par le trafic de stupéfiants.

La Douane dispose de douaniers référents pour chacune de ces Cross , qui permettent très concrètement de partager, d'analyser et d'enrichir les renseignements transmis . En complément des 8 ETP mis à disposition de l'Ofast, 11 agents supervisent 14 Cross permanentes, 18 agents sont référents de 19 Cross permanentes et 45 agents sont référents de 69 Cross non permanentes. Les douaniers référents des Cross sont soit issus de la DNRED, soit des directions régionales opérationnelles.

De plus, et c'est un élément apprécié des services, deux Cross nationales thématiques ont été créées, dédiées au portuaire et à l'aéroportuaire, et toutes deux co-pilotées par la DNRED et par l'Ofast . La Cross portuaire a été mise en place dans le cadre de la mesure n° 12 du plan de lutte contre les stupéfiants, relative à la détection et au ciblage des conteneurs maritimes. La Cross aéroportuaire s'intéresse quant à elle à la criminalité aéroportuaire ainsi qu'aux complicités dans les sociétés de fret postal et express et leurs sous-traitants.

Il reste cependant quelques marges de progression, sur des points de friction . L'apport de chacune des Cross dépend du niveau d'implication de la hiérarchie locale et la Douane contribue davantage au renseignement qu'elle ne se voit confiée de dossiers ou de renseignements opérationnels . Ce déséquilibre s'explique toutefois en grande partie par la priorité donnée au démantèlement des « points de deal », qui ne relève pas de la compétence de la DGDDI.

Au-delà de ces échanges opérationnels, la direction du renseignement douanier produit également des analyses, études ou points d'attention, à destination des services impliqués dans la lutte contre les produits stupéfiants. Ces fiches, qui fournissent des informations détaillées et précises, sont à diffusion restreinte.

b) La coopération européenne et internationale, un impératif pour intercepter les flux de stupéfiants

En matière de coopération et d'échange de renseignements, l'échelon européen demeure incontournable : par définition, les pays de l'Union européenne forment un seul marché et les contrôles aux frontières terrestres sont moindres.

Dans leur rapport sur le trafic de cocaïne 41 ( * ) , Europol et l'ONUDC appellent eux-aussi les autorités européennes à davantage se coordonner et échanger des informations pour pouvoir anticiper et intercepter les produits aux frontières et pour mieux identifier les réseaux criminels et les poursuivre .

Une première prise de conscience de cette problématique semble affleurer : la Commission européenne a publié une proposition visant à créer une Agence européenne des stupéfiants, en renforçant le mandat de l'observatoire européen des drogues et des toxicomanies ainsi qu'annoncé qu'elle allait proposer une réforme de l'union douanière au mois de décembre 2022 afin de renforcer les capacités des douanes, de mieux les coordonner au niveau européen et de mieux répartir les tâches fiscales et non fiscales .

Surtout, les rapporteurs spéciaux ont assisté, entre leurs auditions menées en 2021 et celles menées en 2022, à un changement de tonalité sur la coopération avec les Pays-Bas . Les progrès sont désormais notables, après que les Pays-Bas ont brutalement pris conscience des failles de leur dispositif antistupéfiants à la suite de l'assassinat d'un journaliste et d'un avocat en 2019, ainsi que des menaces énoncées à l'encontre du Premier ministre Mark Rutte. Les menaces à l'égard des travailleurs portuaires et des participants aux trafics se sont accrues, allant jusqu'à des enlèvements et des actes de torture. La porosité des frontières néerlandaises au trafic de stupéfiants, en particulier à Rotterdam, s'est plus globalement traduite par une augmentation de la criminalité connexe au trafic (violence, corruption, etc.).

Les autorités néerlandaises acceptent aujourd'hui de participer avec la Douane et l'Office antistupéfiants à des opérations de substitution : en vue de sortir un produit du marché mais pour permettre de remonter une filière de trafic, les produits sont remplacés par des substituts. Il faut souligner ici le rôle important joué par l'attaché douanier en poste à La Haye , qui gère directement les échanges d'informations avec les autorités belges et néerlandaises, de manière à sécuriser les transmissions au regard des risques de corruption et de fuites, qui demeurent encore assez élevés chez nos voisins. C'est également l'attaché douanier qui sert d'intermédiaire à la DNRED pour la majorité des demandes d'informations opérationnelles. La Douane française, du fait de son expertise en matière de renseignement, transmet aux Pays-Bas un volume de renseignements plus important que celui qu'elle reçoit, menant à d'importantes saisies par les services douaniers néerlandais.

À titre d'exemple de cette coopération renouvelée, les services des douanes néerlandaises ont saisi 20 kilos de cocaïne sur un navire vraquier à Amsterdam le 27 mai 2021. Cette saisie a pu être réalisée grâce au travail de collecte et d'enrichissement d'informations transmises à la DNRED par le réseau des attachés douaniers (Bogota, La Haye), la DNRED ayant ensuite signalé aux autorités néerlandaises ce navire potentiellement contaminé par des paquets de cocaïne aimantés et peints de la même couleur que la coque du bateau.

Au niveau international, la DNRED a traité 1 440 signalements transmis par ses partenaires internationaux , dont 199 signalements dans le cadre de l'assistance administrative mutuelle internationale (informations spontanées), 1 133 signalements transmis par l'Office européen de lutte antifraude, 102 signalements transmis dans le cadre d'Europol et 6 signalements transmis par l'Organisation mondiale des douanes. Ces signalements portent sur les trafics de toute nature, et pas seulement sur le trafic de stupéfiants.


* 39 Sous la réserve précédemment énoncée relative à la décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022.

* 40 Cour des comptes, « L'action de la Douane dans la lutte contre les fraudes et trafics », 19 février 2015.

* 41 UNODC and EUROPOL, The illicit trade of cocaine from Latin America to Europe - from oligopolies to free-for-all? , Cocaine Insights 1, UNODC, Vienna, September 2021.

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