DEUXIÈME PARTIE

RÉORGANISER, INVESTIR ET COOPÉRER :
TROIS AXES POUR MODERNISER L'ACTION DE LA DOUANE FACE AU TRAFIC DE STUPÉFIANTS

Au regard du dynamisme du trafic de stupéfiants , les rapporteurs spéciaux ne peuvent que partager le constat du président de la République, qui a estimé que ce trafic alimentait « la plus importante des sources d'insécurité » et formait « la matrice économique de la violence dans notre pays ». Il a qualifié la lutte contre ce trafic de « mère des batailles » 26 ( * ) . Pour autant, s'il a bien souligné la mise en place des amendes forfaitaires pour les consommateurs, les opérations contre les « points de deal » ou encore la création de l'Office antistupéfiants, nul mention de la Douane. Elle joue pourtant, comme cela a été démontré, un rôle fondamental .

Ce rôle est d'autant plus essentiel que la menace augmente . Europol l'a relevé : l'usage de la violence est de plus en plus fréquent, que ce soit sous la forme d'incidents violents, d'assassinats, de fusillades, d'usages d'explosifs, d'enlèvements, de faits de torture et d'intimidations 27 ( * ) . La France commence sans doute tout juste à prendre la mesure de l'ampleur de la menace , avec une crainte partagée : que la France n'en vienne à connaître la situation de la Belgique et des Pays-Bas avant que les autorités de ces pays ne décident de durcir leurs mesures de lutte contre le trafic de stupéfiants.

Pour éviter que les services impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, et en particulier les douaniers, ne cèdent à une certaine lassitude, il est important qu'ils disposent des moyens nécessaires à l'exercice de leur mission et que l'organisation, notamment avec les autres services de l'État, soit optimisée . Il ne faut pas laisser à la Douane l'impression, pour citer une personne auditionnée, de « vider la mer à la petite cuillère ».

I. RÉORGANISER, ACQUÉRIR ET VALORISER : TROIS IMPÉRATIFS POUR PERMETTRE À LA DOUANE D'ACCROÎTRE SON EFFICACITÉ DANS LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS

Le transfert du recouvrement et de la gestion de la plupart des impôts indirects de la DGDDI à la DGFiP a conduit la Douane à mener une revue stratégique de ses missions. Un constat en est ressorti, celui de la nécessité pour la DGDDI de se recentrer sur les missions qui sont au coeur de ses métiers, dont fait partie la lutte contre les trafics de toute nature.

C'est dans le cadre de cette réorganisation stratégique, autour de la Douane comme « administration de la frontière et de la marchandise » , que les rapporteurs spéciaux souhaitent inscrire leurs propositions. Les effectifs et les moyens, sans être augmentés, doivent être redirigés vers cette mission , les recommandations s'inscrivant, pour les trajectoires en effectifs et en crédits, dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens de la Douane pour la période 2022-2025 .

Le rôle de la Douane en matière de lutte contre les stupéfiants demeure encore trop peu connu et apprécié. Au regard des éléments précédemment exposés, il est pourtant crucial et les moyens doivent être à la hauteur de cette mission et des résultats obtenus par les services douaniers.

A. IDENTIFIER ET RÉORGANISER LES EFFECTIFS DE LA DOUANE AU SERVICE DE LA LUTTE CONTRE LES TRAFICS DE TOUTE NATURE

1. Réallouer des effectifs dans un cadre contraint

Le contrat d'objectifs et de moyens de la Douane pour la période 2022-2025 prévoit une stabilisation des effectifs de la DGDDI , avec un schéma d'emploi positif en 2022 (+ 33 équivalents temps plein [ETP]) puis négatif de 2023 à 2025 (- 11 ETP par an), à périmètre constant.

Or, comme indiqué précédemment, il est difficile d'évaluer le nombre d'agents de la DGDDI qui concourt, à titre principal ou secondaire, à la lutte contre les trafics illicites . Il n'existe pas de classification par « métier » ou par « fonction » des agents de la Douane, mais simplement par branche (surveillance et opérations commerciales), ce qui reste très générique. C'est un aspect sur lequel il serait opportun de pouvoir disposer de davantage de données , afin d'avoir une idée plus précise des effectifs que la Douane consacre à ses grandes missions.

Au-delà du nombre d'ETP, il est primordial de raisonner sur l'agrégat de la masse salariale , qui permet de tenir compte de la rémunération des agents.

La stabilisation des emplois de la DGDDI s'opère à périmètre constant de missions, une fois retirés les ETP précédemment affectés à des missions fiscales. Le transfert de la gestion de la plupart des impôts indirects à la DGFiP occasionne en effet des transferts d'emplois, ainsi que la mise en oeuvre d'un plan d'accompagnement pour le départ des agents concernés .

Il existe toutefois d' importantes incertitudes concernant les effets de ce transfert sur la masse salariale . Tout d'abord, et en dépit de leurs demandes répétées, y compris lors de l'examen des projets de loi de finances, les rapporteurs spéciaux n'ont jamais pu avoir la confirmation exacte du nombre d'ETP qui seraient supprimés ou transférés du fait du transfert à la DGFiP de la plupart des missions fiscales de la Douane. Il est donc probable qu'au terme des transferts, dont les derniers auront lieu au 1 er janvier 2024, il existe des réserves sur les emplois , qui permettront de recruter davantage de personnes dans la branche « surveillance » ou dans les services en charge du fret express et postal .

Ensuite, l'accompagnement des départs des agents auparavant chargés de la gestion des taxes et amendes déjà transférées à la DGFiP suppose la mise en oeuvre d'un dispositif indemnitaire qualifié « d'important » par la direction générale . Les rapporteurs spéciaux avaient à plusieurs reprises alerté sur les coûts que pouvait induire le transfert du recouvrement, en défendant l'idée qu'il fallait dans la mesure du possible privilégier une réallocation des emplois . De même, la DGDDI s'est engagée, dans le cadre de son contrat d'objectifs et de moyens à réaliser une étude d'ici la fin de l'année 2023 sur le dimensionnement de son réseau comptable spécifique à l'issue des transferts de missions fiscales. Ce bilan permettra sans doute d'identifier des réserves d'emploi , pour réduire les postes en surnombre et recruter de nouveaux personnels sur les missions prioritaires.

Les rapporteurs spéciaux estiment qu'il y a également des réserves d'économie en matière de gestion des ressources humaines, et notamment au regard des régimes indemnitaires dérogatoires qui ont longtemps prospéré au sein de la Douane .

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021 et de l'examen de la mission « Gestion des finances publiques » 28 ( * ) , les rapporteurs spéciaux avaient consacré un développement spécifique à ce sujet, à la suite de la publication d'un rapport de la Cour des comptes très sévère à l'encontre de la gestion des ressources humaines au sein de la Douane. Si la directrice générale de la douane et des droits indirects leur avait confié qu'une simplification était en cours, elle avait également admis que le régime de traitement de la DGDDI se caractérisait par sa « stratification indemnitaire ».

Les critiques de la Cour des comptes sur la gestion
des ressources humaines à la DGDDI

Parmi les critiques de la Cour des comptes, les rapporteurs spéciaux relèvent :

- la multiplication des régimes statutaires dérogatoires avantageux et parfois injustifiés, qu'il s'agisse d'une durée de temps de travail inférieure à la durée annuelle règlementaire (1 563 heures contre 1 607 heures) ou l'octroi de primes de pénibilité à l'ensemble d'un service, sans tenir compte de l'exercice réel de leurs fonctions ;

- l'existence d'un régime indemnitaire complexe, foisonnant et parfois obsolète. Il est possible de relever ici l'indemnité de garde des chapiteaux d'alambics (versée à seulement quelques agents) ou l'indemnité de langue étrangère ;

- l'existence de régimes indemnitaires très diversifiés selon les branches ;

- des dysfonctionnements persistants dans la politique du logement, « la Masse des Douanes » : les taux de vacance et de loyers impayés sont élevés, les logements parfois vétustes. Cette politique de logement n'est pas non plus mise à contribution pour favoriser les mobilités ;

- une gestion prévisionnelle des compétences à construire, pour à la fois avoir une véritable adéquation entre les besoins et les affectations, mais également mieux gérer le temps de travail des agents. Dans la branche « surveillance en mer », du fait des sous-effectifs et de la mobilisation sur de longues heures, certains agents ont accumulés un nombre considérable de jours d'avance (450 jours pour l'un des commandants de bord) ;

- les freins à la mobilité des agents du fait de la multiplication de ces régimes dérogatoires.

Source : Cour des Comptes, « La direction générale des douanes et des droits indirects. Exercices 2013-2019. Un recentrage nécessaire » (septembre 2020)

Simplifier les régimes statutaires et indemnitaires pourrait permettre de réduire la masse salariale et de réutiliser les économies ainsi induites pour financer les nouveaux emplois, en particulier dans les brigades de surveillance extérieure (ports, aéroports) ainsi qu'au sein de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières et des services en charge du fret express et postal.

Enfin, il est probable que la dématérialisation croissante des procédures de dédouanement se traduise par des gains de productivité pour certaines opérations commerciales. Auquel cas, à schéma d'emploi constant, de nouveaux emplois pourraient être réalloués vers la lutte contre les trafics de produits illicites.

Recommandation n° 1 (DGDDI, direction du budget, Parlement) : pour permettre à la Douane de réallouer des postes à la lutte contre les trafics illicites, d'acquérir des équipements plus performants et de poursuivre la modernisation de ses systèmes d'information, définir un programme d'économies qui porterait d'une part sur la masse salariale de la Douane (dématérialisation des procédures douanières, révision des régimes indemnitaires, dimensionnement de son réseau comptable) et d'autre part sur la rationalisation de ses emprises immobilières et de sa politique de logement.

2. Comment mieux mesurer l'efficacité de la Douane dans la lutte contre le trafic de stupéfiants ?

Le problème auquel se heurtent les rapporteurs spéciaux dans l'identification des effectifs de la Douane impliqués dans la lutte contre les trafics illicites se retrouve également dans la mesure de l'efficacité des services douaniers. Les données ne sont pas disponibles, principalement pour des raisons méthodologiques.

Il a été demandé à l'ensemble des personnes entendues et rencontrées en déplacement leur interprétation des résultats en hausse de la Douane sur les saisies de produits stupéfiants, avec une question fondamentale : l'augmentation des saisies traduit-elle les progrès de la Douane en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants ou l'augmentation des flux de ces produits ? Les deux ont-elles répondu, avec en revanche une réelle inquiétude sur l'ampleur de la menace à laquelle la France doit répondre, l'une des personnes auditionnées parlant même d'un « véritable tsunami ».

La même question se posera si la Douane réorganise ses effectifs et acquiert de nouveaux matériels pour renforcer son rôle en première ligne dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Il est par définition impossible de rapprocher les résultats de la Douane du volume total du trafic : les flux étant illicites, ils ne peuvent qu'être approchés et non précisément mesurés .

Cette difficulté se pose avec d'autant plus d'acuité que, comme cela a été expliqué, il n'existe pas d'estimation précise de la part des effectifs et des crédits budgétaires affectés, à titre exclusif ou à titre principal, à la lutte contre les trafics de marchandises illicites .

Afin de répondre, ne serait-ce que partiellement, à cette problématique, et pour reprendre une recommandation de la Cour des comptes, la Douane pourrait procéder à des analyses d'efficience par type de marchandise, par type de trafic ou peut-être plus facilement par vecteur . Il s'agirait pour la DGDDI de davantage mettre en regard les résultats de son action avec les coûts de toute nature encourus pour les obtenir .

En réponse aux interrogations des rapporteurs spéciaux, la DGDDI a indiqué travailler à renforcer une approche par efficience, en croisant les données issues de ses divers systèmes d'information.

Recommandation n° 11 (DGDDI) : afin de disposer d'une évaluation plus qualitative des résultats de la Douane en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et de pouvoir les rapprocher des coûts de toute nature encourus pour les atteindre, procéder régulièrement à des analyses d'efficience par type de vecteur, voire par type de trafic et par type de marchandise.


* 26 Interview du président de la République Emmanuel Macron , Figaro, 18 avril 2021.

* 27 Europol (2021), European Union serious and organised crime threat assessment, À corrupting influence: the infiltration and undermining of Europe's economy and society by organised crime , Publications Office of the European Union, Luxembourg.

* 28 Rapport général n° 138 (2020-2021) sur le projet de loi de finances pour 2021, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2020. Contribution de MM. Albéric de Montgolfier et Claude Nougein sur la mission « Gestion des finances publiques »

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