C. PLAIDER POUR UNE COLLECTE PLUS EFFICACE DE LA TVA AUX FRONTIÈRES DE L'UE

1. Renforcer les prérogatives de la Douane pour lutter contre la fraude dans le cadre de son contrôle des flux de marchandises aux frontières
a) La sous-estimation de la valeur en douane des marchandises dans le cadre du développement du e-commerce : un défi majeur pour l'administration douanière

Dans le contexte du développement du e-commerce, la sous-évaluation de la valeur en douane, qui constitue la base d'imposition à la TVA-I, soulève des difficultés particulières pour les agents de la DGDDI lors de leurs contrôles des flux de marchandises aux frontières. Ils sont souvent confrontés à des schémas de fraude difficiles à détecter, visant à minorer la valeur en douane des produits importés, pour échapper au paiement des droits de douanes et de la TVA-I.

La sous-évaluation de la valeur en douane dans le e-commerce: une fraude aggravée par le recours à des intermédiaires basés en Chine :

Les agents de la Douane sont régulièrement confrontés au schéma de fraude au schéma de fraude suivant :

- à la réception de la commande, les e-commerçants vendeurs mandatent des intermédiaires en Chine pour effectuer le groupage des colis et leur facturation ;

- ces "consolidateurs" en Chine procèdent ensuite à des manipulations de données des factures afin de faire passer ces colis pour des envois de faible valeur, en dessous des seuils de taxation et pour amoindrir le paiement de TVA-I dû ;

- l'acheminement des colis est ensuite réalisé par des logisticiens ou leurs représentants.

En raison de l'extrême fragmentation des envois et de la multitude de particuliers destinataires finaux, la reconstitution de la valeur réelle est difficile, voire impossible, empêchant ainsi de matérialiser la fausse déclaration de valeur en douane.

Source : réponses de la DGDDI au questionnaire du rapporteur

Il s'avère que les agents des Douanes ne disposent pas des informations leurs permettant de détecter efficacement ce type de fraude, plus particulièrement pour les envois de valeur inférieur à 150 euros. En effet, le système de déclaration sur lequel s'appuient les agents de la Douane pour réaliser leurs contrôles sur ce type d'envoi repose sur une classification à six chiffres. Cette nomenclature est, d'après l'administration douanière française, trop imprécise, car elle ne permet pas de dispose de suffisamment d'informations, pour un ciblage pertinent du contrôle des flux. La nomenclature à 10 chiffres utilisée pour le fret traditionnel et le fret express, plus précise, permet en revanche d'affiner le ciblage des contrôles, en identifiant les valeurs atypiques en relation avec ces nomenclatures.

L'administration douanière avait donc sollicité, dans le cadre du cycle de révision de l'annexe B du règlement délégué du code des douanes de l'Union 73 ( * ) , que ce jeu de données soit enrichi. Cette demande avait toutefois été rejetée par la Commission européenne et l'ensemble des États membres. Le prochain cycle de révision de cette annexe, prévu en juillet 2023, devra être l'occasion de relancer au niveau européen les discussions relatives aux difficultés posées par ce code marchandise.

Des réflexions ont également été engagées au niveau de l'Union européenne, dans le cadre d'un groupe de travail sur les plateformes piloté par la Commission européenne et regroupant à la fois des États membres et des acteurs économiques, afin de responsabiliser davantage les plateformes numériques dans le processus déclaratif douanier. Il est toutefois regrettable de constater que ses travaux soient à l'arrêt depuis septembre 2021, malgré les multiples demandes de la France tendant à les relancer.

b) Permettre à la Douane de sanctionner directement les fraudes réalisées dans le cadre des flux de dédouanement à l'importation

Outre les enjeux de sous-évaluation de la valeur en douane et de la minoration de la TVA-I qui en découle, les exonérations de TVA sont également un vecteur important de fraude, et particulièrement, les exonérations réalisées dans le cadre des flux de dédouanement à l'importation.

L'article 262 ter du CGI prévoit en effet que « les livraisons de biens expédiés ou transportés sur le territoire d'un autre État membre de la Communauté européenne à destination d'un autre assujetti ou d'une personne morale non assujettie. » sont exonérées de TVA. Ainsi, sont dispensés du paiement de la TVA les opérateurs qui dédouanent des marchandises dans un autre État membre, puis les introduisent en France.

Ce type d'exonération fait souvent l'objet de fraudes fiscales, selon le schéma suivant : des justificatifs sont falsifiés de manière à indiquer auprès de l'administration douanière qu'un bien aurait été introduit sur le territoire de l'Union européenne via un autre État membre, alors que cette marchandise a en réalité directement été importé depuis un État tiers.

Or la douane ne dispose pas de la possibilité de sanctionner directement un opérateur au motif que celui-ci se serait rendu coupable d'une fraude de nature fiscale. Elle est dès lors contrainte de signaler cette fraude à la DGFiP, à qui il reviendra ensuite de sanctionner l'opérateur.

Il pourrait dès lors être souhaitable de renforcer les prérogatives des agents de la Douane en leur permettant de sanctionner directement ces comportements, sur le modèle de la disposition récemment introduite par le législateur pour permettre aux douaniers de sanctionner les cas de fraude, en ce qui concerne le dédouanement à l'exportation 74 ( * ) . L'article 131 de la loi de finances initiale pour 2022 a en effet permis de renforcer la capacité d'action de la DGDDI, par la création à l'article 426 du code des douanes d'un délit douanier spécifique pour ces cas de fraude. Ces dispositions permettent ainsi aux agents des douanes de sanctionner directement les fraudes consistant principalement à obtenir des justificatifs ou preuves de sortie du territoire douanier de l'Union européenne pour ensuite solliciter auprès de la DGFiP le remboursement de la TVA prétendument acquittée.

Il pourrait dès lors être envisagé de créer, sur le même modèle que ce que la loi de finances pour 2022 a introduit pour la fraude commise dans le cadre des flux de dédouanement à l'exportation, un délit douanier spécifique à la fraude en matière de dédouanement à l'importation, ce qui permettrait à la DGDDI de redresser et recouvrer directement la TVA fraudée dans ce cadre.

Recommandation n° 10 ( Parlement ) : permettre aux agents des Douanes de sanctionner directement la fraude à la TVA réalisée dans le cadre du dédouanement à l'importation, par la création d'un délit douanier spécifique dans le code des douanes.

2. Vers la généralisation d'un guichet unique de déclaration et de paiement de la TVA à l'importation ?

Dans le cadre de la transposition du paquet TVA « e-commerce », et plus particulièrement de la directive du 5 décembre 2017 75 ( * ) , l'article 147 de la loi de finances initiale pour 2020 76 ( * ) a prévu la création d'un dispositif de guichet unique visant à simplifier les obligations déclaratives et de paiement des opérateurs. Les entreprises ont ainsi la possibilité, depuis le 1 er juillet 2021, de recourir, de manière optionnelle, à ce guichet unique pour se soumettre à leur obligation de déclaration et de paiement de la TVA sur certaines opérations.

Ce dispositif présente un double intérêt puisqu'il vise, d'une part, à faciliter les modalités de déclaration pour les entreprises assujetties, et d'autre part, à simplifier la collecte de l'impôt et d'informations pour l'administration fiscale.

Les entreprises qui optent pour ce dispositif ne sont en effet plus tenues de s'immatriculer auprès des administrations fiscales de chaque État membre de consommation afin de déclarer et payer la TVA pour certaines opérations intercommunautaires (guichet « One-Stop-Shop » OSS) ou des importations en provenance de pays tiers (guichet « Import One-Stop-Shop » IOSS). Il en résulte une fluidification des procédures de déclarations et de recouvrement de la TVA susceptibles de générer des gains non négligeables pour l'administration fiscale. L'administration fiscal s'est ainsi félicitée que, six mois après l'entrée en vigueur du dispositif, près de 871 millions d'euros nets aient été recouvrés par l'intermédiaire du guichet OSS-IOSS.

Le guichet unique de déclaration de la TVA à l'importation (IOSS)

Le guichet unique à l'importation (guichet IOSS ) a été instauré par l'article 147 loi de finances initiale pour 2020, dans le cadre de la transposition de la directive du 5 décembre 2017 77 ( * ) , issue du paquet TVA « e-commerce ».

Il s'agit d'un dispositif optionnel permettant aux fournisseurs et aux interfaces électroniques vendant des biens importés à des acquéreurs situés dans le territoire de l'UE de collecter, déclarer et payer la TVA aux autorités fiscales, au lieu de faire peser la responsabilité du paiement de la TVA sur l'acquéreur au moment où les biens sont importés dans le territoire de l'UE comme c'était le cas précédemment.

Ce guichet IOSS ne concerne que les ventes de biens en provenance de pays tiers dans des envois d'une valeur inférieure ou égale à 150 euros localisées dans l'UE, à destination de personnes non assujetties dans l'UE.

Source : commission des finances

Un peu plus d'un an après son entrée en vigueur, ce guichet unique de déclaration de la TVA fait l'objet d'une adhésion partagée, tant de la part des acteurs économiques que de la part des pouvoirs publics.

Le Conseil de l'Union européenne, lors de ses conclusions adoptées le 15 mars 2022 sur la mise en oeuvre du paquet TVA sur le commerce électronique, a notamment souligné le rôle joué par « le guichet unique en matière de TVA pour aider les entreprises à respecter leurs obligations en matière de TVA sur les ventes électroniques 78 ( * ) ».

L'administration a par ailleurs indiqué soutenir toute initiative qui permettrait d'introduire un régime unique de collecte de la TVA sur les ventes à distance de biens importés. Elle s'est ainsi montrée favorable à l'obligation d'un recours au guichet IOSS, qui permettrait, selon elle, de faciliter considérablement le recouvrement de la TVA-I. La DGDDI, dans le cadre de son audition par la mission d'information, a en outre souligné le fort niveau d'adhésion des opérateurs à ce guichet.

Toutefois, avant d'envisager une telle évolution qui pourrait se traduire par une nouvelle contrainte pour les entreprises, il est essentiel de disposer du recul nécessaire sur l'efficacité du dispositif. La Commission européenne se serait ainsi engagée à réaliser un travail d'évaluation, en comparant les données relatives à la TVA déclarées sur les déclarations en douane d'importation, et les données fiscales déclarées dans le guichet IOSS 79 ( * ) . Si la robustesse du dispositif venait à être confirmée par cette évaluation, il pourrait être envisagé d'encourager au niveau européen de le généraliser pour la déclaration de l'ensemble des biens dont la valeur est inférieure à 150 euros, à destination des non-assujettis.

Par ailleurs, et toujours dans la perspective d'une extension du recours à ce guichet IOSS, la perspective d'une suppression du plafond de 150 euros concernant la déclaration des importations dans l'IOSS serait, d'après la DGFiP, actuellement explorée par la Commission européenne. Mais ce projet ne peut être envisagé à court terme, dans la mesure où il nécessiterait une articulation étroite avec les chantiers menés au niveau des Douanes, et devrait dès lors faire l'objet d'études d'impact préalables particulièrement approfondies.

Recommandation n° 11 ( Union européenne ) : évaluer la robustesse et l'efficacité du guichet unique à l'importation (guichet IOSS), dans l'optique à terme d'une possible généralisation et de permettre une collecte plus efficace de la TVA à l'importation.


* 73 Règlement délégué (UE) 2015/2446 de la Commission du 28 juillet 2015 complétant le règlement (UE) n° 952/2013 du Parlement européen et du Conseil au sujet des modalités de certaines dispositions du code des douanes de l'Union.

* 74 Article 262 du CGI.

* 75 Directive (UE) 2017/2455 du Conseil du 5 décembre 2017 modifiant la directive 2006/112/CE et la directive 2009/132/CE en ce qui concerne certaines obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens.

* 76 Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 77 Directive (UE) 2017/2455 du Conseil du 5 décembre 2017 modifiant la directive 2006/112/CE et la directive 2009/132/CE en ce qui concerne certaines obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens.

* 78 Conclusions du Conseil du 15 mars sur la mise en oeuvre du paquet TVA sur le commerce électronique.

* 79 D'après les réponses de la DGDDI au questionnaire du rapporteur.

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