II. TABLE RONDE N°1 : TRANSITION ENVIRONNEMENTALE DES ENTREPRISES : COMMENT EN FAIRE UN LEVIER DE COMPÉTITIVITÉ ?

M. Emmanuel CUGNY

Je vous propose à présent de découvrir le long et intense travail mené par la délégation sénatoriale aux entreprises à travers un très court reportage.

Vidéo de présentation par les co-rapporteurs de la Délégation sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE)

M. Emmanuel CUGNY

Les questions relatives à la transition environnementale des entreprises et les manières d'en faire un levier de compétitivité seront abordées avec les invités suivants :

• Mme Véronique Degottex, directrice générale du groupe Cheval, spécialisé dans l'urbanisme, l'aménagement urbain et le paysagisme ;

• Mme Catherine Guerniou, dirigeante de l'entreprise la Fenêtrière et cheffe de file RSE au sein de la fédération française du bâtiment ;

• M. Vincent Wisner, directeur général délégué du cabinet de conseil Prophil ;

• M. Thomas Courbe, directeur général des entreprises au sein du ministère de l'Économie, des finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

Ces invités disposeront chacun de quelques minutes pour mettre en avant leurs thématiques générales et leurs approches respectives du sujet de cette table ronde. Ces propos liminaires seront suivis d'un débat.

Mme Véronique DEGOTTEX, directrice générale du groupe Cheval

Le groupe Cheval est un groupe familial, comme bon nombre des 5 500 ETI que compte le territoire national. Nous sommes fortement investis dans les questions sociales, environnementales et territoriales.

Plutôt qu'un groupe, nous sommes une fédération de PME dont le siège est implanté dans la Drôme.

Par conviction, nous avons déjà adopté depuis un certain temps un modèle d'économie circulaire. Cela signifie que nous produisons nos matériaux, que nous les transformons, que nous les utilisons pour nos divers travaux et que nous allons jusqu'à l'étape du recyclage afin de donner une seconde vie à ces matériaux. Nous avons essayé de faire de ce modèle un véritable levier de compétitivité.

Après avoir subi les difficultés liées à la pandémie, nous faisons actuellement face à une crise qui affecte les coûts. Nous essayons par conséquent de nous transformer. À cette fin, nous avons pris des orientations stratégiques très fortes. Ainsi, nous avons choisi comme relais de croissance majeur l'urbanisme vert, lequel répond à des problématiques ayant trait à la décarbonation, mais aussi au climat puisque le fait de planter de la végétation permet de faire baisser les températures.

En nous lançant dans une démarche de société à mission, nous avons officialisé un pendant de notre identité qui était déjà inscrit dans l'ADN du groupe. Cela a également permis d'orienter la stratégie en la fondant sur trois grands piliers :

- l'aspect social, c'est-à-dire tout ce qui a trait à nos collaborateurs, mais aussi aux riverains et aux habitants du territoire ;

- l'aspect environnemental, à savoir la préservation des ressources naturelles ;

- l'aspect territorial afin de travailler localement et de développer les industries sur notre territoire national.

M. Emmanuel CUGNY

Catherine Guerniou, votre perspective est celle d'une PME ayant décidé des modalités de sa transition écologique jusque dans les process de fabrication. Pourriez-vous nous dire un mot sur votre entreprise et nous expliquer la philosophie générale de l'action que vous menez ?

Mme Catherine GUERNIOU, dirigeante de l'entreprise la Fenêtrière

La Fenêtrière est une petite PME de 12 salariés basée en Île-de-France qui fabrique des fenêtres en PVC et en aluminium. Nous commercialisons également du bois.

Il y a une dizaine d'années, nous avons dû faire face à une très forte concurrence des pays de l'Est. Nous avons donc été dans l'obligation de nous remettre en question, car nous ne pouvions pas lutter sur les prix. Nous avons donc réexaminé notre ADN et choisi de tout miser sur l'économie circulaire et sur le circuit court. Ainsi, 95 % de nos menuiseries sont diffusées à Paris et en Île-de-France. Cet aspect est très important, au même titre que le choix et la traçabilité de nos produits. De même, nos matières premières sont 100 % françaises et nous venons d'obtenir la certification Origine France Garantie.

M. Emmanuel CUGNY

Vincent Wisner, vous êtes un observateur privilégié puisque des dossiers relatifs à la transition environnementale vous sont fréquemment soumis.

M. Vincent WISNER, directeur général délégué du cabinet Prophil

Le cabinet Prophil est une petite PME comptant une vingtaine de collaborateurs. La raison d'être de la structure est la croyance en la nécessité de promouvoir de nouveaux imaginaires entrepreneuriaux. En effet, la maximisation du profit et la création de richesses sont certes importantes, mais, parallèlement, d'autres enjeux - notamment ceux afférents aux questions environnementales et sociales - sont de plus en plus cruciaux.

La nécessité d'une transition environnementale semble d'ores et déjà impérieuse. Dès lors, la question est de se demander si cette transition se fera de gré ou de force pour l'ensemble des entreprises et des acteurs du territoire.

Le président Larcher l'a évoqué dans son allocution : certaines entreprises mettent à l'arrêt des fours de production de verre en raison du coût trop élevé de l'énergie. D'autres connaissent d'importants retards de livraison qui mettent à mal leurs chiffres d'affaires. Enfin, les matières premières agricoles connaissent une flambée des prix. Dès lors, faut-il encore parler de compétitivité ? La question qui devrait être posée serait plutôt la suivante : la transition environnementale ne serait-elle pas la condition sine qua non pour assurer la pérennité des entreprises ?

M. Emmanuel CUGNY

Nous le savons, la transition énergétique est déjà à l'oeuvre. Thomas Courbe, quel tableau peignez-vous de la situation actuelle ?

M. Thomas COURBE

D'un point de vue général, la tendance en ce début d'année est à un accroissement de l'ambition européenne en matière de réduction des émissions de carbone, notamment avec les législations européennes dites « prêts pour -55 % ».

Atteindre cet objectif extrêmement ambitieux nécessitera de mobiliser un ensemble d'actions à différents niveaux, notamment une action partenariale à travers des feuilles de route. Ce travail a déjà été mené avec les 4 principales filières, lesquelles représentent environ 80 % des émissions de l'industrie, et sera progressivement étendu aux secteurs hors industrie.

Des actions seront également menées sur le terrain, au plus proche des entreprises. Cela concerne notamment les PME auxquelles nous souhaitons proposer une gamme d'outils qui faciliteront la mise en oeuvre concrète de cette transition.

Pour ce qui est du rapport entre décarbonation et compétition, deux enjeux se dégagent : le premier tient à l'existence même de cet impératif de décarbonation. Cet enjeu s'est imposé au niveau européen. Il s'agit désormais de le mettre en oeuvre. Le second enjeu a trait au fait de permettre la décarbonation des entreprises tout en maintenant leur compétitivité. Il est en effet nécessaire que les investissements de décarbonation soient rentables et permettent d'accroître la compétitivité des entreprises. L'État a mobilisé d'importants moyens dans le plan de relance France 2030 pour apporter l'aide qui permettra d'enclencher cet investissement et de le rendre rentable.

M. Emmanuel CUGNY

Véronique Degottex, une entreprise est une aventure humaine. Comment envisagez-vous les choses en termes de gestion de masse salariale ? Comment gérez-vous avec vos équipes les objectifs que vous avez évoqués précédemment ?

Mme Véronique DE GOTTEX

Nous avons beaucoup de mal à recruter, alors même que les ETI et les PME ont le potentiel nécessaire pour contribuer au développement de l'emploi. Les intentions sont au rendez-vous, mais la mise en oeuvre n'est pas toujours simple.

En travaillant localement, en mobilisant les acteurs du territoire et en menant un travail sur le volet social, nous parvenons cependant à impulser une véritable dynamique. En redistribuant la richesse de l'entreprise et en la partageant avec l'ensemble des salariés, nous avons constitué un vivier de 800 collaborateurs et sommes en phase de croissance.

La croissance pour la croissance n'est toutefois pas notre objectif. Nous souhaitons créer plus d'économie et de richesse sur le territoire, cela de manière saine.

Il importe aussi d'adresser la compétence. Auparavant, dans nos métiers, la transformation de l'entreprise se fondait sur une nécessité fonctionnelle, esthétique et surtout économique. Désormais, face aux enjeux climatiques dont nous avons tous mesuré les impacts, nous sommes passés à une nécessité vitale.

Dans une optique de performance durable, il faut aussi que nos modèles économiques soient pérennes. Il est dès lors nécessaire d'aller chercher les compétences. Bien entendu, nous essayons avant tout de développer ces compétences en interne en mettant en avant les sujets liés à la formation et à la transformation. Cependant, il est parfois nécessaire d'aller chercher la ressource là où elle se trouve. Ainsi, je me trouvais hier à Station F. Cela m'a permis de mesurer à quel point le pays est riche en innovation.

M. Emmanuel CUGNY

Sur les territoires, avez-vous vraiment la possibilité de travailler avec des jeunes pousses ?

Mme Véronique DE GOTTEX

Effectivement, un effort de persuasion conséquent a dû être déployé. Les start-ups ont les idées, mais pas toujours la maturité managériale et la structuration nécessaires pour les mettre en oeuvre.

Dans l'absolu, le groupe Cheval implanté dans la Drôme n'attirait pas vraiment foule. Nous avons donc beaucoup travaillé la communication et l'image de l'entreprise. Le statut de société à mission a ainsi été mis en avant. Nous essayons également d'échafauder des partenariats pertinents et efficaces. Dans tous les cas, les petites structures doivent nécessairement être plus agiles pour développer leur attractivité, surtout en situation de crise.

M. Emmanuel CUGNY

Concrètement, en quoi le statut d'entreprise à mission est-il un levier de compétitivité ? Comment les collaborateurs intègrent-ils ce principe ?

Mme Véronique DE GOTTEX

Nous faisons le choix de travailler localement, avec des fournisseurs sélectionnés à l'échelle nationale. Nous plaçons également notre confiance dans nos collaborateurs embarqués et essayons de travailler main dans la main avec les clients pour sortir d'une relation axée uniquement sur les devis, les prix, etc.

Il serait en outre judicieux de travailler avec les parties prenantes. En effet, les normes, les réglementations et les cahiers des charges en vigueur sont un peu dépassés. Ils ne prennent pas encore en compte tous les volets liés à la RSE.

M. Emmanuel CUGNY

Catherine Guerniou, vous nous expliquiez que votre PME a décidé de sa propre transition écologique. Quels sont les premiers résultats de votre action ?

Mme Catherine GUERNIOU

Le travail sur cette question n'en est qu'à ses débuts. Le premier résultat observé a trait à la culture d'entreprise. Il est en effet nécessaire d'acculturer l'ensemble des collaborateurs afin de leur faire comprendre pourquoi l'entreprise enclenche cette transition écologique.

Notre première action a été l'élaboration de notre fresque du climat pour embarquer le plus grand nombre de manière facile, rapide et efficace. Cette exigence d'efficacité, de rapidité et de résultats est effectivement inhérente au monde de la PME.

Une autre action menée précocement a été la réalisation du bilan énergétique du bâtiment. Nous avons ainsi pu déterminer notre consommation exacte. 54 % de cette consommation était dédiée à l'usage des locaux et 46 % à la fabrication. À partir de là, aidés par des énergéticiens, nous avons pu échafauder différents scénarios. Cela nous a permis de réfléchir à l'élaboration de notre plan d'action. Le pavage des travaux a commencé par l'isolation de la toiture et par le remplacement de tous les néons par des LEDs.

M. Emmanuel CUGNY

Combien en aviez-vous ?

Mme Catherine GUERNIOU

Environ 80.

Cette première phase a eu lieu juste avant l'été. Nous avions besoin de travailler dans un milieu tempéré pour les besoins de la matière, mais surtout pour le confort des collaborateurs. Or ces mesures ont permis un rafraîchissement de l'atelier. Auparavant, il fallait souvent mettre en route la climatisation pendant toute la nuit. Désormais, en deux heures, les 1 000 mètres carrés de locaux sont rafraîchis.

Par ailleurs, les ressources tendant à se raréfier, nous avons opté pour une organisation en lean management . Cette démarche de rationalisation permet de réduire la consommation en matière.

Concernant l'impact carbone, nous sommes en train de réaliser notre bilan carbone scopes 1, 2 et 3, car il nous est nécessaire de prendre en compte l'environnement dans lequel nous travaillons.

M. Emmanuel CUGNY

Ce sont là des démarches que vous ne réalisez pas seuls. Disposez-vous d'équipes en interne ou allez-vous chercher les compétences en externe ?

Mme Catherine GUERNIOU

Avec un effectif de 12 personnes, il est rare que les compétences pour gérer ce type de questions se trouvent en interne. Il faut donc se faire accompagner. Dans le cadre du lean management , un consultant assure cet accompagnement. L'ensemble des équipes a par ailleurs été formé il y a de cela un an. Ce point est important : tout le personnel, à chaque niveau de l'entreprise, doit bénéficier d'une formation sur ces questions.

Nous avons nous-mêmes payé notre bilan énergétique, car, s'il existe de nombreuses aides, les dossiers sont extrêmement fastidieux à remplir. Notre temps étant limité, nous avons préféré investir dans cette prestation.

Nous finançons également à 100 % un accompagnement portant sur le bilan carbone.

M. Emmanuel CUGNY

Pourriez-vous nous donner un ordre de grandeur du coût de ces actions ?

Mme Catherine GUERNIOU

Pour le bilan énergétique, il faut compter 5 000 euros pour une structure telle que la nôtre. Le coût du bilan carbone est à peu près équivalent. En revanche, le lean management a été pris en charge à 100 % par notre OPCO. Nous faisons appel à toutes les ressources disponibles, que ce soit la Fédération française du bâtiment ou encore la CPME. Ces instances nous aident également à rencontrer les bons interlocuteurs.

En termes de RSE, nous souhaitons véritablement formaliser certains de nos engagements. Nous sommes donc en train de nous lancer dans une labellisation B Corp. Cette certification structurante est assez contraignante pour une petite entreprise telle que la nôtre. Nous disposons par conséquent d'un accompagnement à hauteur de 10 000 euros.

M. Emmanuel CUGNY

Ces actions doivent par ailleurs être très chronophages.

Mme Catherine GUERNIOU

Effectivement. Cela demande énormément de temps, d'autant plus que j'occupe également la fonction de conseillère environnement au sein du Conseil économique, social et environnemental.

C'est aussi pour cela qu'il est important d'impliquer les collaborateurs. Il est crucial de ne pas se contenter de forcer les choses, mais de donner du sens.

M. Emmanuel CUGNY

Vincent Wisner, le cabinet Prophil accompagne des entreprises de taille plus importante. Les problématiques rencontrées sont-elles les mêmes ? Quels sont les résultats observés ?

M. Vincent WISNER

Les problématiques sont évidemment différentes. Nous travaillons essentiellement avec des PME et des ETI, car nous estimons que le fait d'avoir un accès facilité aux actionnaires confère un pouvoir de transformation accru. Le fait de travailler avec des entreprises cotées complexifie la transformation.

M. Emmanuel CUGNY

Parce que les actionnaires ont tendance à freiner les investissements nécessaires ?

M. Vincent WISNER

Parce qu'il existe tout simplement, au sein des entreprises cotées, un émiettement de la décision qui complique toute velléité d'alignement global de l'actionnariat en faveur d'une réelle transformation du modèle économique, des modes de gouvernance et du partage de la valeur.

Aujourd'hui, nous comptons entre 800 et 900 entreprises engagées dans une transformation en société à mission telle que la définit la loi PACTE. Ce nombre peut sembler dérisoire compte tenu du nombre d'entreprises en France, mais la dynamique est bel et bien amorcée.

Il importe de bien percevoir la différence entre l'engagement dans une politique de RSE et l'adoption d'un modèle de société à mission. L'orientation vers une politique de RSE renvoie à une approche normative. Le choix d'une transformation en société à mission implique que les entreprises se dotent d'une boussole stratégique. Indépendamment des actions mises en place, cela permet d'aligner l'ensemble des composantes de l'entreprise vers un dessein, une mission, une raison d'être.

Certaines entreprises ont déjà pris un véritable tournant et sont sorties de la logique du tout volume et de la croissance à tout crin. Ainsi, depuis une quinzaine d'années, l'enseigne de jardinage Botanic a engagé une véritable transformation de son modèle économique en supprimant les pesticides et les engrais de synthèse de ses produits. L'entreprise s'est aussi lancée dans le développement de certaines filières de valorisation et de recyclage, notamment des pots horticoles. Cette filière est devenue un nouveau relais de croissance pour la structure. Pour maîtriser davantage ses dépenses énergétiques, Botanic s'est aussi lancé, bien avant la crise que nous connaissons actuellement, dans une chasse au gaspillage énergétique. L'enseigne a également équipé ses bâtiments de panneaux photovoltaïques afin de s'inscrire dans une logique d'autoconsommation/autoproduction.

M. Emmanuel CUGNY

Ce type d'action peut-il être mis en place par une entreprise de taille inférieure avec de la volonté et quelques moyens ?

M. Vincent WISNER

Cela nécessite une vision et un courage entrepreneurial, un rapport particulier aux outils de contrôle de gestion et une définition un peu différente donnée à la notion de profit.

Il importe donc de changer d'alphabet comptable, autrement dit d'impulser un changement au niveau du système d'information et de gestion.

Un autre exemple est celui de Fnac Darty. Le groupe a mis en place depuis quelques années un système d'abonnement visant à lutter contre l'obsolescence programmée des produits électroménagers. Cela représente encore une part mineure de leur chiffre d'affaires. Pour autant, il s'agit du relais de croissance principal du groupe.

Decathlon est un autre bon exemple. L'enseigne a récemment beaucoup communiqué sur sa volonté de s'engager dans une stratégie d'économie circulaire et de se diriger davantage vers une économie de la fonctionnalité notamment par le biais de locations d'équipements. Decathlon développe aussi ses ateliers de réparation et propose des produits de seconde main.

D'autres exemples existent dans d'autres secteurs. Il est ainsi possible de citer l'entreprise CETIH laquelle a véritablement questionné son modèle économique, de la conception à la commercialisation.

M. Emmanuel CUGNY

Thomas Courbe, la transition énergétique est déjà à l'oeuvre. Que peuvent concrètement faire les entreprises pour gagner en compétitivité tout en contribuant à la transition environnementale et écologique ?

M. Thomas COURBE, directeur général des entreprises au sein du ministère de l'Économie, des finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Il existe plusieurs niveaux d'action. Le premier, très général, consiste à favoriser la décarbonation en modernisant l'outil de production et en implémentant la numérisation.

Un autre niveau d'action consiste à s'engager dans un plan d'efficacité énergétique. À ce titre, le diagnostic Éco-Flux réalisé par Bpifrance et l'ADEME donne de très bons résultats, à savoir un taux de satisfaction de 95 %, une rentabilité d'investissement au bout de trois ans en moyenne et, dès trois ans, une moyenne de 45 000 euros d'EBE générés.

Par ailleurs, certaines entreprises adoptent une démarche de décarbonation qui n'est pas nécessairement mue par des objectifs de compétitivité prix. Ainsi, de nombreuses entreprises procèdent à des relocalisations. Le plan de relance a financé 700 projets de ce type. À titre d'exemple, les bottes Aigle relocalisent leur activité en France dans une logique de décarbonation, de valorisation de leurs produits, de responsabilité d'entreprise et d'image de marque.

Dans le cas de projets ne générant pas directement de gains de compétitivité, mais dont l'entreprise se saisit, car elle souhaite participer à cet effort de décarbonation, l'État finance une partie de l'investissement. Ainsi, 200 projets de ce type ont été financés dans le cadre de France Relance. Avec France 2030, 5 milliards d'euros de crédit seront dédiés à la réalisation de ces projets.

Mme Catherine GUERNIOU

Le diagnostic Éco-Flux est effectivement un excellent mécanisme, mais il est réservé aux structures de plus de 20 salariés. Je ne peux donc pas en bénéficier.

Les seuils posent un vrai problème. Nous ne pouvons avoir accès à certains mécanismes, car nous avons plus de 10 collaborateurs. D'autres nous sont fermés, car nous avons moins de 20 salariés. Pour permettre une transition efficace, il serait pertinent de supprimer ces seuils.

Mme Véronique DE GOTTEX

Pour notre part, nous ne rentrons jamais dans les critères des appels à projets soit parce que seule la filiale est prise en compte, soit parce que nous sommes considérés comme un groupe.

Lorsque nous ne pouvons pas bénéficier d'aides ou de soutiens, nous faisons les choses par nous-mêmes. Nous avons ainsi transformé les flottes en faisant l'acquisition de véhicules hybrides ou électriques, mais aussi de poids lourds alimentés au gaz vert. Des actions seront également menées au niveau des stations et de la production. Ces investissements ne sont pas vecteurs de rentabilité, mais permettent de préparer l'avenir.

Avant que le gouvernement ne le suggère, nous avions acheté des doudounes de manière à pouvoir baisser la température dans les bureaux. Nous avons en outre mis en place des plateaux-repas afin que les collaborateurs n'aient pas besoin de prendre leurs voitures. Toutes ces petites mesures ont aussi un impact non négligeable.

M. Thomas COURBE

Il y a, en France, 2 millions d'entreprises qu'il est nécessaire d'emmener vers la transition écologique. Il est impossible de réaliser un diagnostic Éco-Flux pour chacune d'entre elles. En revanche, il est essentiel de trouver des solutions adaptées aux enjeux, à la taille et à la volonté de simplification de chaque catégorie d'entreprise. À ce titre, nous avons construit un partenariat avec le réseau des Chambres de commerce et d'industrie pour accompagner 20 000 entreprises dans leur transition écologique.

Un effort de volumes a donc d'ores et déjà été réalisé, même s'il reste beaucoup à faire pour passer à l'échelle. La question des seuils se rapporte à cette volonté d'offrir à toute entreprise des solutions simples et adaptées.

M. Emmanuel CUGNY

Dans la même veine, les incitations du marché de l'énergie ne suffiront peut-être pas à atteindre les objectifs de la transition écologique. Comment aller plus loin sans pénaliser les entreprises ?

M. Thomas COURBE

Des évolutions réglementaires importantes sont intervenues. Pendant la présidence française de l'Union Européenne, nous avons mis en oeuvre un certain nombre de nouvelles réglementations visant à orienter cette transition écologique des entreprises.

Dans les dernières décennies, une partie de la décarbonation s'est faite par le biais de délocalisations. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières a d'abord été appliqué à 5 secteurs et sera par la suite étendu. Le but est de restaurer des conditions de compétition égales entre les entreprises européennes et les entreprises hors Europe.

Nous avons aussi lancé de nouvelles réglementations portant sur l'éco-conception afin de mieux prendre en compte les enjeux environnementaux dès la conception des produits.

Afin de lutter contre une concurrence déloyale au niveau environnemental, nous avons également initié une démarche vouée à permettre que les produits entrant sur le marché européen bénéficient d'une évaluation environnementale qui pourrait conduire à une différenciation. De fait, à partir de 2027, un règlement interdira la vente en Europe des batteries de véhicules dont la production génère de grandes quantités de carbone.

M. Emmanuel CUGNY

Vincent Wisner, les outils de gestion dont disposent les entreprises permettent-ils de faire les choix dont il a été question ?

M. Vincent WISNER

La boîte à outils dont disposent les entreprises est incomplète parce que la bataille entre les différentes structures de standardisation des normes comptables n'est pas terminée. Cela concerne plus particulièrement les normes extra-financières.

À ce jour, il n'existe pas, pour les entreprises oeuvrant à l'échelle internationale, de normes IFRS extra-financières. Or il est nécessaire de disposer de telles normes pour pouvoir réellement bénéficier d'outils de gestion propres à valoriser les engagements environnementaux et sociétaux des entreprises.

À l'heure actuelle, il existe un certain nombre de référentiels et de labels, mais aucun référentiel unique qui permettrait aux entreprises de faire valoir leurs choix stratégiques à l'échelle internationale. Les entreprises ont encore du mal à y voir clair entre la GRI, le CSRD, le CDSD, la norme ISO 26000, etc.

Mme Catherine GUERNIOU

Les choses sont compliquées par le fait que nous nous sentons parfois loin de tous ces dispositifs. Pour remédier à cela, le mieux est encore de s'acculturer. Sur ce point, la convention des entreprises pour le climat est d'une grande aide.

L'objectif de la Fenêtrière reste de fabriquer des fenêtres, mais cet objectif est déjà sous-tendu par une réflexion sur la nécessité de passer d'une économie de volume à une économie à impact.

Ainsi, les scénarios que nous avons échafaudés nous permettront d'arriver à une réduction de 15 % des émissions d'énergie et à une baisse de 45 % des émissions de CO 2 .

Cependant, il faut encore aller au-delà. Un rapport récent de WWF fait état d'une situation catastrophique en termes de biodiversité. Ces enjeux doivent être intégrés dans les réflexions menées par l'entreprise. Dans la seconde phase de rénovation de nos bâtiments, nous intégrerons donc la récupération de l'eau de pluie.

Il existe un grand nombre de ressources que nous n'utilisons pas ou que nous ne savons pas utiliser. Les dispositifs foisonnent. Il est donc essentiel de procéder à une démarche de simplification pour atteindre plus de fluidité.

À l'heure actuelle, le plan comptable n'est pas du tout adapté aux investissements réalisés sur les sujets ayant trait à la RSE, alors même que ces thématiques sont l'avenir de l'entreprise. Cette lacune est systémique. Au moment de l'établissement du bilan carbone, il importe donc de ne pas s'arrêter à sa propre production, mais de prendre en compte l'écosystème dans lequel s'inscrit l'entreprise.

Des innovations splendides existent et, sur ce point, les entreprises ont encore de belles années devant elles même si le quotidien est difficile.

M. Emmanuel CUGNY

Véronique Degottex, vous inscrivez-vous dans la même configuration ?

Mme Véronique DEGOTTEX, directrice générale du groupe Cheval

Tout à fait. Pour piloter et se fixer des objectifs, il est impératif de mesurer. Or, pour procéder aux mesures, il faut que les différents types d'actions soient prévus dans le plan comptable.

Les très grandes entreprises sont en mesure de se doter de systèmes de pilotage. De son côté, le groupe Cheval est en train de procéder à sa transformation, mais, encore une fois, cela génère un surcoût. Il n'est même pas possible de parler d'investissement, car ces dépenses visent à satisfaire à des exigences spécifiques. Nous endossons ce surcoût sans rechigner, car nous sommes des responsables et nous sentons concernés. Cependant, il s'agit là d'un vrai sujet.

Une mesure très simple consisterait à baisser certaines taxes afin d'encourager les initiatives. De fait, les actions sont extrêmement onéreuses. Ainsi, un véhicule moins polluant coûte entre 30 et 40 % plus cher qu'un véhicule ordinaire. La mise en place des systèmes de suramortissement majeurs sur des périodes de deux ans, par exemple, serait donc bienvenue. Cela aurait un impact positif sur le résultat fiscal.

Mme Catherine GUERNIOU

Je suis entièrement d'accord. Les dispositifs tels que le diagnostic Éco-Flux nécessitent de remplir des dossiers. Une fois le processus entamé, il faut aller au bout, sans quoi les informations saisies sont perdues. Il serait beaucoup plus facile et efficace d'accorder un crédit d'impôt sur présentation des factures. Le gain de temps serait considérable.

M. Emmanuel CUGNY

La simplification administrative est effectivement un sujet récurrent depuis des années, mais est loin d'être une réalité sur le terrain.

Thomas Courbe, vous évoquiez la dimension européenne de l'action menée. À l'échelle nationale, que peut mettre en oeuvre l'État français pour aller dans le sens de cette simplification ?

M. Thomas COURBE

Le suramortissement des crédits d'impôt produit des résultats variables. En 2018, nous avons mis en place un suramortissement pour la numérisation des entreprises. Or, les demandes ont été très peu nombreuses. Nous avons donc cessé de proposer ce dispositif.

Quant au crédit d'impôt, il présente des avantages, mais aussi des inconvénients. Ainsi, le chef d'entreprise qui investit n'a pas de visibilité immédiate sur le résultat financier lequel est souvent différé par construction.

En termes de suramortissement, les dispositifs sont soit très transversaux, mais extrêmement coûteux pour les finances publiques, soit très ciblés et donc assez difficiles à justifier comptablement.

Un mécanisme comme le diagnostic Éco-Flux n'implique pas de dossiers complexes ou de démarches interminables. Des accompagnements sont proposés aux entreprises, notamment en mettant à leur disposition un consultant qui les aidera par exemple à élaborer un plan d'efficacité énergétique ou de décarbonation.

Par ailleurs, il faut que les aides soient ciblées sur des finalités. L'entreprise doit donc nécessairement fournir des justifications. Cette contradiction apparente entre le fait de proposer des aides ciblées et l'objectif de simplicité doit cependant faire l'objet d'une véritable réflexion.

M. Emmanuel CUGNY

Vincent Wisner, définiriez-vous la taxonomie comme quelque chose de positif ou comme un moyen de coercition ?

M. Vincent WISNER

Il n'est pas certain que la taxonomie soit un réel moyen de coercition. Il s'agit surtout d'un outil de transparence.

M. Emmanuel CUGNY

Rappelons en quelques mots ce qu'est la taxonomie telle qu'elle est ici envisagée.

M. Vincent WISNER

Il s'agit d'une manière de qualifier la part des activités d'une entreprise qui contribue à des enjeux sociaux et environnementaux. La taxonomie est aussi conditionnée à des seuils. Le premier seuil concerne les entreprises comptant plus de 500 collaborateurs. D'autres seuils ont trait au chiffre d'affaires.

La taxonomie est moins un élément de différenciation qu'un travail de reporting un peu structuré à mettre en regard avec des outils de comptabilité extrafinancière. Le travail mené par l'EFRAG semble, à ce titre, extrêmement important pour nourrir cette réflexion à l'échelle européenne.

En résumé, ce dispositif est relativement complexe et ne s'adresse pas encore à l'ensemble des secteurs et des entreprises. Cette première pierre à l'édifice présente un certain nombre d'atouts, mais aussi des défauts.

M. Thomas COURBE

Au-delà du mécanisme bruxellois, la taxonomie matérialise le fait que de plus en plus de parties prenantes (investisseurs, collaborateurs, etc.) souhaiteront conditionner leurs décisions à la démarche environnementale des entreprises. Ainsi, de nombreux donneurs d'ordres demandent d'ores et déjà à leurs sous-traitants de produire des plans de décarbonation. La taxonomie incarne ce mouvement de fond.

Mme Catherine GUERNIOU

La notion de temps est aussi essentielle. Ainsi, une aide dévolue au secteur tertiaire pour la rénovation des bâtiments n'a duré que 6 mois qui plus est pendant la période du Covid-19, période pendant laquelle la rénovation des bâtiments n'était pas la préoccupation majeure des entreprises. De même, la prime Rénov est péniblement prolongée d'une année sur l'autre.

Or il est important que ces dispositifs s'étalent dans le temps puisque, par ailleurs, il est demandé aux entreprises d'avoir une vision sur le moyen/long terme en ce qui concerne l'ensemble de leurs activités.

Mme Véronique DEGOTTEX

Pour revenir à la taxonomie, il est indéniable que les responsables d'entreprises sont courageux et résilients.

La Commission départementale d'assistance aux entreprises (CDAE) a été promise et annoncée. Or nous observons désormais un retour en arrière ou, en tout cas, une remise en cause. Il est évident que le temps de l'entreprise en crise n'est pas toujours celui des administrations.

La taxonomie présente des aspects vertueux, mais une fois que l'entreprise a montré qu'elle travaillait bien, ne pourrait-il pas y avoir, à terme, des règles fiscales différentes pour le résultat réalisé sur ce type de rapport ? Cela serait un vrai levier de compétitivité puisque les entreprises agissant dans le bon sens bénéficieraient d'un système fiscal un peu plus favorable.

M. Thomas COURBE

Je prends note de toutes ces propositions.

Je rappelle en outre que, depuis 5 ans, le taux d'impôt sur les sociétés a baissé. Concernant la CDAE, un engagement a été pris sur 2 ans. Globalement, la fiscalité des entreprises est à la baisse.

M. Emmanuel CUGNY

La parole est désormais donnée aux participants souhaitant échanger avec les intervenants.

M. Lionel FERRARIS, UGAP

M. Courbe a évoqué le fait qu'à l'heure actuelle, la réglementation n'est pas en opposition avec la démarche RSE et sa promotion par la commande publique. Bien au contraire, elle est alignée avec cette démarche. De fait, dans le cadre de la loi climat et résilience, d'ici à 2025, 100 % de nos marchés devront comporter au minimum une disposition environnementale. Il s'agit là d'une transformation pour l'ensemble des acheteurs publics dans le vaste univers de la commande publique en France.

M. Thierry CHAPUSOT, Equasens

Le sujet relatif à l'export n'a pas été abordé. À titre d'exemple, la dernière entreprise produisant des chalumeaux à flamme en France réalise 60 % de son chiffre d'affaires en France et dans l'Union Européenne. Les 40 % restants sont réalisés hors de l'Union Européenne, notamment en Afrique.

Certains investissements génèrent un retour sur investissement et d'autres non. Cela n'est pas très gênant lorsque l'activité est circonscrite à l'Europe, car les pays de l'Union Européenne se plient tous aux mêmes règles en matière de compétition. Lorsque les entreprises exportent en Afrique, elles s'inscrivent dans une démarche totalement différente. La population et la clientèle n'ont pas du tout le même regard sur les questions de RSE. En outre, les seuls compétiteurs sont chinois. Nous sommes 20 % plus chers qu'eux et devons donc nous battre sur le terrain de la qualité et de l'innovation. Cependant, les surcoûts liés à la RSE deviennent rapidement gênants en termes de compétitivité.

Or, la France a besoin d'exporter pour dynamiser son commerce extérieur. Il serait donc judicieux de réfléchir à des règles différentes pour les sociétés effectuant des exportations en dehors de l'Union européenne.

M. Thomas COURBE

Cette question est très pertinente. La réponse à apporter n'est cependant pas évidente.

Un effort a été consenti pour mieux différencier, sur le marché intérieur, les produits dont l'impact environnemental est moindre.

À l'export, la situation est plus complexe, car il n'existe aucun levier susceptible d'influer sur les réglementations locales.

M. Thierry CHAPUSOT, Equasens

Il serait possible d'imaginer une fiscalité ou une aide différente sur la partie export du chiffre d'affaires afin de redonner de la compétitivité sur ces marchés.

M. Antoine PONTAILLIER, groupe Next Emballage

Le groupe Next est spécialisé dans la fabrication d'emballages destinés au secteur agroalimentaire. Nous employons environ 120 personnes sur 3 sites industriels. Le groupe appartient au club des ETI de Nouvelle Aquitaine.

Je souhaitais interpeller MM. Ferraris et Courbe, et donner suite au propos relatif aux règles du jeu sur les marchés.

En mars 2020, les accents solennels du chef de l'État ont retenti pour expliquer qu'il fallait s'affranchir d'une tutelle sur des produits exotiques, notamment en matière de produits de santé.

Pour répondre à cette injonction présidentielle, j'ai investi 10 millions d'euros dans ce qu'il serait possible de qualifier de « patriotisme économique ». J'ai donc créé la plus belle usine de fabrication de masques au monde. Nous produisons des masques FFP2, des masques chirurgicaux, etc. L'objectif assumé est d'être le champion de cette production, au moins à l'échelle néo-aquitaine.

Or, deux ans et demi après le début de l'activité, nous nous interrogeons sur la capacité du gouvernement à tirer des leçons du passé. Ainsi, nous ne sommes toujours pas destinataires de marchés publics.

J'illustrerais les distorsions de concurrence par une anecdote : un acteur allemand du secteur nous a contactés pour nous proposer la production de 7 millions de masques. Nous avons accepté et nous sommes mis d'accord sur le prix. L'acteur en question nous a rappelé 48 heures plus tard pour nous proposer de démonter notre machine pour la remonter en Allemagne. Après que les masques ont été produits, la machine aurait été rapatriée sur notre site de production en France. Nous avons alors mis en exergue que cela coûterait une somme faramineuse. Il nous a été répondu que, pour honorer les marchés publics en Allemagne, il fallait produire sur le sol allemand.

En outre, l'appel d'offres de Santé publique France a été lancé hier. Il semblerait que nous soyons en train de nous tirer une balle dans le pied en continuant à importer 97 % de masques chinois. L'empreinte carbone de masques produits en Chine est sans commune mesure avec celle de nos masques produits à Nersac. De surcroît, le nombre de masques non conformes acheté avec de l'argent public laisse songeur.

Pour citer Margareth Thatcher, « Il n'y a pas d'argent public, seulement des taxpayers ». Il est nécessaire de penser les choses en termes d'écosystème. Dès lors, comment faire bouger les lignes ? L'administration française est-elle moins courageuse ou moins vertueuse que l'administration allemande ?

M. Thomas COURBE

Je ne crois pas que cela soit une question de courage, mais bien plutôt de légalité. En effet, ce que vous a proposé l'acheteur allemand est tout bonnement illégal au regard des droits français et européen.

Par ailleurs, pour rester dans le cadre légal de la commande publique au niveau européen et au niveau français, une circulaire a été adressée à tous les acheteurs publics de masques, notamment les hôpitaux. Cette circulaire demandait aux acheteurs d'organiser leurs cahiers des charges afin de maximiser les chances que des producteurs tels que vous puissent répondre à l'appel d'offres.

Il est important que nous entamions un dialogue afin de comprendre ce qui vous empêche de répondre à l'appel d'offres de Santé publique France. De fait, c'est bien grâce aux clauses sociales et environnementales que nous parviendrons à différencier votre offre de l'offre chinoise.

M. Sylvain BAUDRY

Je dirige des PME en Bourgogne dans différents secteurs d'activité. Cela représente 300 salariés pour 100 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Nous sommes tous convaincus que nous devons nous orienter vers la RSE. Nous oeuvrons à cette fin. Contrairement à ce qui été dit précédemment, il me semble que les termes « simplification » et « administratif » sont antinomiques. Dès lors qu'une démarche est administrative, elle est forcément complexe, à l'image de nos PME.

Nous ne sommes pas dans une période de crise dont nous pourrions espérer sortir, mais dans une période de mutation faite de crises successives. Nos entreprises doivent être extrêmement réactives pour répondre à cela. Leur tempo n'est donc pas le même que celui de l'administration.

En tant qu'entreprise de transport, nos investissements se font sur le long terme : entre 5 et 10 ans pour nos véhicules et entre 10 et 15 ans pour nos machines de production. Par conséquent, au moment du choix de l'investissement, nous devons adopter une vision à long terme. Il est impensable d'opter pour une énergie, puis, de devoir en changer pour des raisons géopolitiques l'année suivante.

Nous avons besoin non pas d'un cap qui change au rythme des crises, mais d'une stratégie gouvernementale à long terme pour assurer un accompagnement et permettre d'appliquer des stratégies d'entreprise. Dès lors, le temps qui devrait être passé auprès des collaborateurs à investir et développer des stratégies ne doit pas être happé par des démarches administratives fastidieuses.

Mme Sandra GALLISSOT

Je suis entrepreneure et membre de la Confédération des petites et moyennes entreprises.

Pour rappel, les TPE représentent la majeure partie des entreprises en France. Ces structures sont concernées en premier lieu par la transition que nous évoquons aujourd'hui. Or, là encore, les dispositifs manquent parfois cruellement.

Je souhaitais souligner l'importance d'une certaine durabilité des accompagnements et des dispositifs d'aides. De fait, nous avons parfois l'impression que ces dispositifs sont déployés selon des modalités qui rappellent les campagnes marketing, à coup de soldes et de promotions. Cela est un peu déstabilisant et ne correspond pas aux attentes des entrepreneurs.

Pour finir sur une note plus positive : une réflexion a-t-elle été menée sur des dispositifs d'accompagnement à la création, à la reprise ou à la transmission afin que les entreprises puissent devenir des entreprises à mission ?

Mme Véronique DEGOTTEX

Nous fonctionnons pour notre part beaucoup avec des partenariats et de la croissance externe.

M. Vincent WISNER

De plus en plus de dirigeants qui se posent ces questions s'orientent vers la création de fondations actionnaires. Ces structures n'ont pas d'existence juridique. Elles permettent la transmission totale ou partielle d'un capital à un fonds de dotation à visée philanthropique.

À ce titre, la communauté De Facto réunit une vingtaine de dirigeants liés par des valeurs communes. Ces dirigeants se sont posé la question de la transmission et de l'héritage à laisser aux salariés et à la société dans son ensemble.

M. Thomas COURBE

Il est à noter que les évolutions géopolitiques ne modifient en rien la stratégie présentée par le Président le 12 février à Belfort.

Quelques mois plus tard, la Russie coupait les approvisionnements en gaz. Il était évidemment nécessaire d'apporter une réponse adaptée à cet événement. Toutefois, toutes les démarches entreprises vont dans le sens de l'accélération de la transition et de la souveraineté énergétique. Cela passe par le nucléaire et le déploiement accéléré des énergies renouvelables.

Pour ce qui est des TPE/PME, pour des questions d'efficacité, il sera plus pertinent de commencer par accompagner les PME. Cela n'enlève cependant rien à la nécessité de trouver des solutions adaptées pour les TPE. Nous y travaillons.

En outre, il est à noter que nous lançons parfois des aides qui se révèlent peu efficaces. Dans ces cas-là, ces aides sont interrompues ce qui peut donner l'impression qu'elles ont une durée limitée.

M. Jérôme CICILE, Proviridis

Proviridis est la première entreprise en France à avoir conçu, construit et exploité des stations multi-énergie décarbonées à l'attention des transports de marchandises et de voyageurs, mais aussi des transports particuliers. Nous proposons du biogaz, du GNC et du GNL ainsi que des superchargeurs électriques. Nous préparons par ailleurs l'arrivée de l'hydrogène, filière qui n'a pas atteint sa maturité et est encore extrêmement chère.

En outre, j'ai oeuvré 20 ans au sein de l'ADEME en tant que chargé de la transition énergétique transports et mobilité dans la région PACA.

Les questions de la mutation des entreprises, du choix des flottes de véhicules et des obligations réglementaires sont essentielles.

Le gaz, carburant à privilégier pour les transports lourds, était vendu à 80 centimes le kilo il y a de cela une quinzaine de mois. Il est désormais passé à 3,60 euros. Par ailleurs, le biogaz français est indexé au gaz fossile. Nous sommes donc pour ainsi dire prisonniers. Qui plus est, après une période de croissance, nous sommes désormais dans l'obligation de réduire nos effectifs.

La stratégie du gouvernement repose sur le mix énergétique. À chaque usage correspond une énergie. À ce titre, le gaz naturel véhicule est une très bonne réponse. En outre, l'électricité arrive à grands pas. Or les poids lourds électriques vendus par Renault coûtent 300 000 euros. La défiscalisation de 50 000 euros accompagnée d'un bonus permet de bénéficier d'environ 100 000 euros pour s'équiper de véhicules électriques, sans compter les aides dédiées aux infrastructures de recharges véhicules électriques (IRVE) dans le cadre du programme Advenir financé par les CEE.

Mme Véronique DEGOTTEX

Merci pour ces compléments d'information. Cependant, même avec ces mesures, nous ne parvenons pas à rester compétitifs. Dès lors, il est difficile de résister aux offres des fournisseurs asiatiques qui se targuent de proposer des produits fiables, disponibles et, surtout, moins chers.

Par ailleurs, les ETI représentent un tiers des exportations, cela avec une minorité d'acteurs. Il convient donc de leur apporter le soutien nécessaire.

M. Bernard BOULANGER

Mon cas est un peu particulier, car je possède deux petites entreprises agroalimentaires en Guyane.

Nous avons bénéficié de l'accompagnement de notre CCI pour l'établissement de notre bilan énergétique. Nous sommes également passés à un éclairage par LED ce qui nous a permis de réaliser une première économie.

Il est étonnant, lorsqu'il est question de transition environnementale, de décarbonation ou encore de transition énergétique, que l'autoconsommation soit si rarement évoquée.

Compte tenu du coût de l'énergie, il est surprenant que le gouvernement ne mène pas des actions fortes pour aider les entreprises à installer des panneaux solaires afin qu'elles puissent s'inscrire dans une démarche d'autoconsommation directe.

M. Thomas COURBE

Vous avez tout à fait raison. D'une part, les aides de l'ADEME vont dans ce sens. D'autre part, le décret tertiaire prévoit l'équipement en panneaux solaires d'un certain nombre de structures afin qu'elles puissent se lancer dans l'autoconsommation.

Le décret tertiaire permettra de massifier le recours aux panneaux photovoltaïques.

En outre, des projets d'écosystème - par exemple de récupération de chaleur fatale - existent.

Mme Carole BERNARD

Je suis coiffeuse et ai obtenu le label « Développement durable, Mon coiffeur s'engage » en Saône-et-Loire.

Le cahier des charges dont je dispose pourrait être un modèle pour de petites structures désireuses de réaliser des économies d'énergie.

Nous sommes cependant un peu perdus devant la profusion des labels. Nous travaillons de plain-pied avec la clientèle et sommes en mesure de constater que tous ces labels ne lui disent absolument rien.

Mme Catherine GUERNIOU

Vous avez entièrement raison. La pléthore de labels suscite une confusion. La même situation se retrouve dans le domaine agroalimentaire.

Mme Carole BERNARD

Je précise que j'ai dû faire face à un contrôle de la répression des fraudes alors même que je suis la seule personne à bénéficier d'un label en Saône-et-Loire. Les agents de la répression des fraudes sont eux-mêmes victimes de cette confusion. Ils m'ont posé énormément de questions et confondaient développement durable et colorations végétales et bio. Or tout cela n'a rien à voir, car les structures peuvent tout aussi bien trier leurs déchets ou s'équiper de LEDs pour s'inscrire dans une démarche de développement durable.

M. Thomas COURBE

Je rappelle qu'une partie de ces labels est privée. Ces labels sont notamment organisés par les fédérations professionnelles. Il importe donc de trouver des accords avec ces fédérations dans une optique de rationalisation.

Sur la question du made in France , il existe aussi une multiplicité de labels ce qui occasionne des problèmes de visibilité pour le consommateur final.

M. Jérémy CANTIN, e-Néo

Notre entreprise implantée en Vendée travaille à la conversion des poids lourds thermiques en véhicules à hydrogène et électriques.

Le seul frein au développement en France tient à la législation et à la vitesse à laquelle les véhicules sont homologués. De fait, l'État ne dispose pas d'effectifs suffisants pour procéder à l'homologation des véhicules à un rythme qui permettrait d'assurer une transition énergétique efficace. Peut-on attendre des engagements à ce sujet ?

M. Thomas COURBE

Concernant les effectifs dévolus à l'homologation, je ne suis pas en mesure d'apporter une réponse immédiate, mais prends bonne note de la question.

M. Cyril BOLLIET, Fédération du bâtiment et des travaux publics du Var

À ce jour, il n'est pas certain que la commande publique soit la meilleure alliée des circuits courts et du localisme qui sont pourtant des soutiens importants à la transition énergétique.

Il importe de trouver des réponses au fait qu'à l'heure actuelle, la réglementation reste un frein à la mise en oeuvre de solutions innovantes comme l'usage de matériaux recyclés. Ces solutions seraient pourtant extrêmement valorisantes. Le législateur pourrait se pencher sur ces sujets.

Je m'interroge également sur le niveau de formation des agents techniciens ou acheteurs publics. Ils sont en effet très demandeurs de montée en compétence. Il devrait y avoir un peu plus d'interaction entre le monde économique et les acheteurs, car les montées en compétences doivent être mutuelles. Des expériences sont menées par le CNFPT, mais tout cela reste encore balbutiant.

M. Thomas COURBE

Il convient, là encore, de ne pas sous-estimer l'amélioration apportée aux cahiers des charges de la commande publique.

Cependant, pour ce qui est de l'allotissement pour l'accès aux PME, il reste effectivement beaucoup à faire.

M. Lionel FERRARIS, UGAP

Concernant la formation des acheteurs, il existe bien évidemment des axes d'amélioration. Le plan national pour les achats durables piloté de manière interministérielle travaille d'ores et déjà à des mesures sur le sujet.

Cependant, les entreprises n'ont pas attendu l'appui de l'État pour mettre en place des initiatives admirables qui viennent nourrir nos cahiers des charges.

Quant aux achats innovants, la réglementation a fait l'objet d'assouplissements très significatifs, même s'il reste bien entendu beaucoup à faire.

M. Frédéric DELCROIX, Jokey France

L'entreprise Jokey, implantée dans le Pas-de-Calais, est spécialisée dans la fabrication d'emballages.

Nous évoquions la simplification administrative. À ce titre, je rappelle que le dispositif OPERAT a été mis en place afin de faciliter les déclarations de consommation d'énergie pour les bâtiments administratifs et logistiques de plus de 1 000 mètres carrés. Cela ne représente toutefois qu'un très faible pourcentage de notre consommation énergétique. L'instrumentation de la consommation de nos bâtiments ne nous a donc pas semblé être une priorité.

En revanche, OPERAT nous donnera des objectifs de réduction de l'ordre de 60 % en termes de consommation énergétique au sein de nos bâtiments.

Les sujets environnementaux n'ont pas été découverts dans le contexte de crise actuel. Nous avions déjà mené de nombreuses actions telles que des travaux d'isolation, l'installation de LEDs ou encore la récupération de l'énergie produite par l'usine pour chauffer nos bâtiments.

M. Philippe Blanc, groupe MAF

Mon entreprise compte 1 200 personnes et oeuvre dans le domaine du conditionnement de fruits, avec une part d'export de 85 % pour 200 millions d'euros de chiffre d'affaires.

La question de l'export pose véritablement problème. Compte tenu du niveau d'endettement de la France, il est nécessaire de prendre des mesures fortes à ce niveau.

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