B. LES AUTRES PROPOSITIONS DU RAPPORT

Vos rapporteurs formulent trois autres propositions portant sur les évaluations ex ante des normes applicables aux collectivités territoriales. Ces propositions ne nécessitent pas de modification des textes juridiques.

1. L'enrichissement du contenu des études d'impact au regard des principes de simplification, de libre administration, de subsidiarité et d'autonomie financière

Vos rapporteurs constatent que les projets de loi concernant les collectivités territoriales souffrent d'un défaut majeur : ils ne justifient pas suffisamment du respect des principes de simplification mais aussi des principes constitutionnels de libre administration, de subsidiarité et d' autonomie financière .

Les trois premiers principes n'apparaissent pas dans la liste des éléments que doit comporter l'étude d'impact . Quant au principe d'autonomie financière , il paraît « noyé » dans la rédaction de l'article 8 précité de la loi organique de 2009. En effet, cet article prévoit, d'une manière très générale, « l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ».

Il convient de remédier à ces insuffisances en faisant peser sur le Gouvernement, dans le cadre de l'étude d'impact, la charge de démontrer que les mesures proposées respectent pleinement ces quatre principes majeurs.

S'agissant du principe de subsidiarité , rappelons que la Constitution prévoit, en son article 72, que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon. ». Toutefois, comme l'a souligné, en juillet 2020, le groupe de travail sur la décentralisation, ce principe de subsidiarité reste essentiellement théorique : à l'heure actuelle, son respect n'est assuré par aucun mécanisme juridique. A cet égard, vos rapporteurs rappellent l'énoncé de la proposition n°32 du groupe de travail précité : renforcer les études d'impact pour l'examen des projets de loi au regard du principe de subsidiarité.

Concernant le principe d'autonomie financière , garanti par l'article 72-2 de la Constitution, il est impératif que le Gouvernement soit contraint de fournir à l'avenir tous les éléments nécessaires à un débat parlementaire sincère et éviter ainsi tout risque de compensation insuffisante de charges nouvelles incombant aux collectivités territoriales.

Enfin, il est essentiel que l'étude d'impact précise si le texte proposé contribue à l' objectif de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Plus précisément, le Gouvernement devrait s'attacher à dénombrer, dans son évaluation préalable, les normes créées ainsi que celles qu'il supprime, avec pour objectif politique d'arriver au résultat : « 1 norme créée / 2 normes supprimées » .

2. L'évaluation non-financière ex ante des textes réglementaires applicables aux collectivités territoriales

Il ne suffit pas de renforcer et compléter les études d'impact accompagnant les projets de loi. Vos rapporteurs estiment nécessaire d'aller plus loin en étendant le champ de l'obligation d'évaluation ex ante aux textes réglementaires .

Pour ces textes, cette obligation est très parcellaire à l'heure actuelle. Certes, en vertu de la circulaire du Premier ministre du 12 octobre 2015, une fiche d'impact doit être remplie afin d'évaluer l'impact financier du projet de norme pour les collectivités territoriales. Toutefois, cette analyse est incomplète puisqu'elle ne porte pas sur les aspects non-financiers de la norme, notamment sur le respect des principes de libre administration et de subsidiarité. En particulier, il apparait nécessaire que le producteur de la norme réglementaire justifie, dans l'étude d'impact, qu'il n'empiète pas sur le pouvoir réglementaire local.

3. Le risque de surtransposition des directives

La fabrique de la norme doit intégrer une exigence forte : les mesures assurant la transposition d'une directive communautaire ne doivent pas excéder les objectifs qu'elle poursuit. En d'autres termes, il s'agit d'éviter que les lois et règlements n'aillent au-delà des exigences européennes en introduisant, de manière quasi subreptice, des contraintes et charges nouvelles, notamment pour les collectivités territoriales .

Consciente de cet impératif, notre assemblée a adopté, le 12 janvier 2016, à l'initiative de Rémy Pointereau, une proposition de loi constitutionnelle qui fixe un principe d'interdiction des surtranspositions de textes européens . Vos rapporteurs regrettent que l'Assemblée nationale n'ait jamais examiné ce texte 19 ( * ) .

Certes, le Gouvernement affiche des objectifs louables pour prévenir le risque de toute surtransposition. Citons ainsi la circulaire du 26 juillet 2017 : « Une vigilance particulière sera portée à la transposition des directives européennes. Toute mesure allant au-delà des exigences minimales de la directive est en principe proscrite. Les dérogations à ce principe, qui peuvent résulter de choix politiques, supposent la présentation d'un dossier explicitant et justifiant la mesure qui sera soumise à l'arbitrage de mon cabinet. Ce travail ne doit pas porter sur le seul flux de transpositions mais également sur le stock. Une mission d'inspection aura prochainement en charge un travail inédit d'inventaire. Toutes les surtranspositions identifiées dans vos champs ministériels et qui n'auront pu être justifiées feront l'objet d'un réalignement sur le niveau de contrainte exigé par l'Union européenne ».

Toutefois, force est de constater que ces engagements n'ont pas produit les effets escomptés. Ainsi, le Conseil national d'évaluation des normes a très récemment réitéré ses inquiétudes sur le sujet : « Le collège des élus appelle, de nouveau, le Gouvernement à la vigilance sur les risques de sur-transposition des directives européennes. Il constate que ce phénomène, de plus en plus fréquent, est à l'origine d'une inflation normative qui prospère face à l'ineffectivité des actions prises par les pouvoirs publics pour en limiter les effets . (...) Il invite le Gouvernement à mener une réflexion sur la méthode de transposition des directives européennes afin de clarifier les mesures relevant du droit de l'Union européenne et celles relevant strictement du droit national dans un objectif de responsabilisation des pouvoirs publics et de meilleure information des citoyens sur l'origine de la norme applicable. Il estime ainsi que la séparation de ces types de mesures dans deux actes distincts, l'un permettant la transposition a minima de la directive européenne, l'autre contenant les mesures nationales complémentaires, pourrait permettre de remplir ces objectifs et, ainsi, d'éviter l'écueil des sur-transpositions » (Délibération n° 22-09-08-02928 du 15 septembre 2022 du CNEN).

Il faut ajouter à cela un autre risque évoqué lors de l'audition des membres du Conseil d'État, à savoir l'utilisation croissante des règlements européens par la Commission européenne, textes d'application directe sur le territoire national, au contraire des directives qui nécessite des actes de transposition. Cela exige des autorités françaises et du Parlement une vigilance très en amont du processus de production des normes européennes. Cela suppose aussi que le Gouvernement justifie dans l'étude d'impact n'avoir procédé à aucune surtransposition. En effet, en application de l'article 8 de la loi organique de 2009 précitée, l'étude d'impact, jointe au projet de loi, expose avec précision « l'articulation du projet de loi avec le droit européen en vigueur ou en cours d'élaboration, et son impact sur l'ordre juridique interne ».

Vos rapporteurs s'interrogent sur cette rédaction : l'étude d'impact ne devrait-elle pas justifier que les mesures assurant la transposition de la directive n'excèdent pas les objectifs qu'elle poursuit ? En d'autres termes, que le texte proposé ne procède à aucune surtransposition ? Naturellement, les textes réglementaires devraient eux-aussi être soumis à une telle exigence de justification.


* 19 Voir le dossier législatif à cette adresse : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl15-197.html

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