C. RÉORGANISER L'OFFRE DE FORMATION CONTINUE

1. Rapprocher la formation continue des personnels
a) Développer une offre de formation de proximité et collective

Lors de leurs déplacements et de leurs échanges au Sénat avec les acteurs de la formation de la police nationale , l'attention des rapporteurs a été souvent appelée sur le fait que les actions de formation offertes étaient souvent éloignées du terrain, et qu'elles impliquaient non seulement que les personnels s'absentent pendant plusieurs jours pour y participer, en leur imposant par ailleurs des frais de déplacement ou d'hébergement non intégralement pris en charge.

En outre, les actions de formation ont tendance à s'effectuer individuellement, alors qu'elles gagneraient, sous réserve de continuité opérationnelle, à davantage être opérées collectivement, ce qui peut être un instrument de cohésion du service dans son entier ou du moins en partie. Au surplus, les actions in situ permettent aussi de mieux appréhender certaines situations ou organisations spécifiques, qui leur permettent de gagner en opérationnalité.

Pour faciliter l'accomplissement de la formation continue, les rapporteurs insistent sur la nécessité de rapprocher les actions de formation du terrain, et de mener, lorsqu'elles s'y prêtent, les actions de formation directement dans les commissariats.

Ce rapprochement des formations du terrain est appelé de ses voeux par les syndicats. L'Union des officiers UNSA évoque ainsi la nécessité de « décentraliser des modules de formation continue opérationnelle dans les services, avec dans chaque commissariat, une unité de formation qui puisse organiser tout type de stage selon les besoins du service (hors formations obligatoirement organisées à l'extérieur du service - telles que le tir) » 20 ( * ) .

Les rapporteurs soulignent à cet égard l'intérêt du modèle retenu dans la gendarmerie nationale , dans laquelle la formation est effectuée prioritairement au sein des brigades territoriales.

En effet, celle-ci a fait le choix de longue date d'une formation au plus proche du terrain. Son offre s'articule autour de trois volets complémentaires dont un volet déconcentré très développé, ces formations déconcentrées étant laissées à l'initiative des échelons territoriaux de commandement (régions, groupements, compagnies, escadrons, unités élémentaires), sous le contrôle et l'impulsion de la direction générale. Selon les représentants de la gendarmerie entendus, la totalité des gendarmes, de tous statuts, suit chaque année plusieurs formations (notamment dans les domaines du tir, des exercices de préparation aux interventions sur les tueries de masse, de l'emploi des outils numériques, du secourisme, de la criminalistique, de la déontologie, de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ou les violences intra-familiales, de l'annonce de la mort).

Proposition : Développer les formations communes aux équipes, le plus possible sur leur lieu de travail.

b) Mieux tirer parti des potentialités de l'enseignement à distance

Le développement du numérique offre de nouvelles perspectives à la formation continue, qui peut ainsi être enrichie d'actions de formation menées entièrement ou partiellement à distance. À cet égard, si la crise sanitaire est apparu comme une puissante incitation à monter en puissance dans l'offre d'enseignement à distance, force est de constater que la gendarmerie nationale semble avoir plus résolument pris le tournant du numérique que la police nationale.

La gendarmerie nationale a ainsi développé la plateforme d'enseignement à distance « GendForm 3.0 ». Selon ses représentants, la formation à distance est devenue un mode d'apprentissage courant et usité, un effort particulier étant mené pour rendre accessible à distance toutes les formations qui s'y prêtent. Ainsi, la plateforme dispose à ce jour d'un catalogue de 787 formations et 2 700 modules pédagogiques, imposés dans le cadre d'un cursus particulier ou laissés à la libre disposition des personnels.

Les personnels de la gendarmerie semblent adhérer à cette démarche numérique puisque, par exemple, la formation à distance « Cyber pour tous » mise ligne le 16 mars 2022, a généré dans les trois mois 68 622 inscriptions ayant conduit à la délivrance de 61 328 attestations de suivi de cet enseignement.

La formation continue doit accompagner la montée en puissance du gendarme numérique, celui qui tire parti des technologies numériques dans tous les aspects de son métier, curieux de leurs évolutions et sachant s'y adapter. À cette fin, outre les formations spécifiques développées en interne, la gendarmerie a développé un partenariat avec PIX et avec Open Classrooms afin de permettre aux militaires dès la phase école mais également au cours de la carrière d'évaluer et de perfectionner leurs connaissances dans ce domaine.

Pour autant, les représentants au Conseil de la fonction militaire de la Gendarmerie, entendus par les rapporteurs, ont estimé que des efforts budgétaires supplémentaires seraient opportuns pour renforcer cette montée en puissance.

Une évolution sensible s'est également fait sentir dans la police nationale . Selon les représentants de l'ENSP, l a crise sanitaire a entraîné une véritable « innovation de rupture » qui a conduit l'école à reconsidérer en profondeur tant son approche que ses moyens d'e-formation. Le confinement a ainsi été l'occasion de concevoir une nouvelle plate-forme de formation, plus moderne et ergonomique.

Ainsi, certains stages sont passés du 100 % présentiel au 100 % distanciel, principalement avec le format classe virtuelle. Par ailleurs, par exemple, l'ingénierie pédagogique du parcours de formation professionnelle pour l'accès au grade de commandant de police (qui représente 353 stagiaires) a été revu pour passer à deux semaines en distanciel, suivie d'une semaine en présentiel.

Pour le reste de la police nationale, la DCRFPN se dit engagée dans une « transformation numérique de ses pratiques pédagogiques », avec le développement du « e-campus » destiné à accompagner maintenant les personnels tout au long de leur carrière. Dans ce cadre, l'accent est donné aux formations assurant le développement des compétences numériques des agents, telles que la mise en place de la procédure pénale numérique ou le nouveau logiciel « GesTT » sur la gestion du temps de travail.

2. Des efforts de mutualisation à amplifier

Plus que la formation initiale, dans laquelle la spécificité des forces de police ou de gendarmerie justifie des formations « maison », la formation continue se prête à une mutualisation des enseignements, en particulier pour les formations techniques et juridiques.

A l'heure actuelle, un certain nombre de mutualisations sont bien présentes. Les travaux des rapporteurs ont été l'occasion d'en donner un certain nombre d'exemples, dans des domaines variés.

Les représentants de la gendarmerie nationale ont pu évoquer plusieurs domaines dans lesquels des formations communes avaient été mises en place, en soulignant leur intérêt.

Il en va ainsi, en particulier, dans le domaine de la formation de référent-sûreté, impliquant un encadrement et des formateurs issus des deux forces de sécurité, a été créée en 2007 au centre national d'études et de formation de la police nationale à d'Oissel. Depuis 2016, cette formation des référents sûreté est conduite par une équipe pédagogique mixte de policiers et de gendarmes et se déroule sur le site de Cannes-Ecluse (77) de l'École nationale supérieure de la police (ENSP).

Dans le domaine de la police judiciaire, une commission commune pour l'attribution de l'examen technique d'officier de police judiciaire (OPJ) a été constituée.

Par ailleurs, les formations à la lutte contre le travail illégal organisées par la gendarmerie nationale sont ouvertes aux fonctionnaires de police. De même, dans le cadre de la lutte contre le faux-monnayage, l'Office central pour la répression du faux monnayage dispense, en collaboration avec la Banque de France, des stages au profit de policiers et de gendarmes affectés en unités de recherches.

Dans le domaine du soutien opérationnel, depuis 2012, le centre national de formation des corps de soutiens de la gendarmerie (CNF-CSTAGN) accueille des membres de la police nationale pour les former aux fonctions d'armuriers ou dans le cadre de stages de munitionnaires magasiniers.

Dans le domaine de la lutte contre la criminalité, en particulier transnationale, une convention a été signée en 2020 pour permettre la formation d'une trentaine de formateurs gendarmerie par la DCRFPN à l'outil API PNR 21 ( * ) .

Enfin, si les formations communes entre l'ENSP et la gendarmerie nationale apparaissent encore embryonnaires, l'attention des rapporteurs a été attirée sur l'ouverture réelle du catalogue de formation continue aux officiers de gendarmerie, notamment dans le domaine du renseignement.

Pour autant, au cours de leurs travaux au cours de l'année 2022, les rapporteurs ont pu relever que ces exemples restaient ponctuels et surtout très limités en termes capacitaires et, ainsi, tirer un constat identique à celui du législateur dans le cadre de la Lopmi : les outils de formation entre forces restent peu mutualisés alors que, comme le souligne le rapport annexé à la loi, « aujourd'hui rien ne s'oppose à ce que des modules de formation continue soient ouverts à l'ensemble des forces ». Ils ne peuvent donc que saluer l'objectif de mutualisation des outils de formation continue affiché visant notamment à « mutualiser les parcours de formation au numérique afin de créer une culture commune ».

À cet égard, les rapporteurs estiment que la mutualisation de la formation continue entre les deux forces devrait constituer, dans un certain nombre de domaines, le principe, qui ne devrait souffrir d'exception que pour autant que la spécificité de l'action des forces le justifie.

Ils ne peuvent donc qu'appuyer les formations communes du type de celles relatives à la lutte contre le trafic de produits stupéfiants et dans le cadre de la mise en place de l'OFAST, en matière de saisie des avoirs criminels, puisque cette procédure de saisie ne comporte aucune spécificité particulière en zone gendarmerie ou en zone police.

Dans un contexte marqué par une plus grande violence de voie publique, les rapporteurs insistent en particulier sur l'intérêt d'une approche commune plus développée en matière de formation continue s'agissant du maintien de l'ordre . Il en va de même pour les gestes techniques en matière d'interpellation, dès lors notamment qu'avec l'abandon de la technique dite de « l'étranglement » dans la police nationale, ces techniques se sont fortement rapprochées de celles de la gendarmerie nationale.

Proposition : Développer la mutualisation de formations opérationnelles en matière de maintien de l'ordre entre gendarmerie mobile et compagnies républicaines de sécurité et la formation commune aux gestes techniques en matière d'interpellation des policiers et gendarmes en formation continue.

Une mutualisation doit, du reste, également être recherchée au-delà même des seules police et gendarmerie nationales.

Si la Lopmi évoque à juste titre la nécessaire mutualisation de formation avec les sapeurs-pompiers , notamment dans le cadre du pilotage de drones, elle ne parle guère des actions qui peuvent être mutualisées avec les autres acteurs de la sécurité publique que sont les polices municipales .

Or, ces dernières, dans le cadre notamment du catalogue de formation proposé par le centre national de la fonction publique territoriale, bénéficient d'actions de formation qui rejoignent celles menées par la police et la gendarmerie. Une convergence de certaines formations, en matière par exemple d'accueil du public ou d'exercice de fonctions d'encadrement, pourrait être ainsi envisagée, permettant le cas échéant aux personnels des trois forces de sécurité de bénéficier d'un tronc commun dans le cadre de leur formation continue obligatoire.

Par ailleurs, les polices municipales bénéficient, grâce aux investissements des collectivités territoriales, d'infrastructures qui pourraient avantageusement être davantage ouvertes aux autres forces de sécurité intérieure, dans le contexte actuel de pénurie que connaissent la police et la gendarmerie nationale.

Proposition : Garantir l'accès des policiers et gendarmes aux infrastructures de formation gérées par la CNFPT et les collectivités locales pour les policiers municipaux.


* 20 Union des officiers UNSA - Analyse : « La formation dans la police nationale - Un enjeu majeur ».

* 21 Advanced Personal Information - Passenger name record.

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