COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

· Jeudi 12 janvier 2023 - Table ronde sur le dispositif applicable à la Corse 141

· Jeudi 26 janvier 2023 - Table ronde sur le dispositif applicable à La Réunion et à Mayotte 155

· Mardi 31 janvier 2023 - Audition thématique centrée sur le bassin de l'océan Pacifique - la  Polynésie française 179

· Jeudi 2 février 2023 - Table ronde sur le dispositif applicable à la Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna 195

· Jeudi 9 février 2022 - Audition de M. Grégory Fourcin, directeur central des lignes maritimes, accompagné de Mme Céline Serres, directrice de cabinet et de M. Cédric Klimcik, chargé des relations institutionnelles du groupe Compagnie maritime d'affrètement - Compagnie générale maritime (CMA CGM) 201

· Jeudi 16 février 2023 - Audition de MM. Maël Disa, président, Saïd Ahamada, directeur général et Mme Florence Svetecz, secrétaire générale de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) 215

· Jeudi 9 mars 2023 - Audition de la direction générale des outre-mer (DGOM), la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et du ministère de la santé et de la prévention 247

Jeudi 12 janvier 2023

- Présidence de M. Stéphane Artano, président -

Table ronde sur le dispositif applicable à la Corse

M. Stéphane Artano, président. - Lors de sa réunion du 17 novembre 2022, la Délégation sénatoriale aux outre-mer a décidé d'inscrire à son programme de travail pour 2023 une étude sur la continuité territoriale ; nos collègues Catherine Conconne et Guillaume Chevrollier en ont été désignés rapporteurs.

Nous engageons donc ce matin une série d'auditions consacrées à ce sujet. À l'initiative de nos rapporteurs, nous inaugurons nos travaux par l'examen du dispositif de continuité territoriale applicable à la Corse, dont l'objet est précisément de réduire les contraintes de l'insularité.

Mis en oeuvre en 1976 pour les liaisons maritimes, puis étendu en 1979 aux liaisons aériennes, ce dispositif qui fut géré d'abord par l'État, puis par la collectivité territoriale de Corse, devenue en 2018 collectivité de Corse, fait figure de modèle compte tenu de son ancienneté et de ses modalités. Nous avons sans doute beaucoup à apprendre sur son fonctionnement, sur ses réussites et aussi, peut-être, sur ses difficultés.

Cet échange est donc particulièrement opportun, car l'une de nos préoccupations est d'améliorer le système actuel pour les outre-mer et de tirer les enseignements de ce précédent corse.

Pour approfondir nos connaissances sur la gestion du dispositif, nous entendrons successivement, pour la collectivité de Corse, Mme Flora Mattei, conseillère exécutive, et, pour l'Office des transports de la Corse (OTC), MM. Jean-François Santoni, directeur général et Patrick Antonetti, responsable des départements aérien et maritime.

Puis nous recueillerons les éclairages des opérateurs : pour Air France, M. Aurélien Gomez, en charge des relations institutionnelles, et Mme Mériem Touisi, directrice des affaires territoriales ; pour Air Corsica, M. Luc Bereni, président du directoire ; pour Corsica Linea, M. Pierre-Antoine Villanova, directeur général ; pour La Méridionale, M. Marc Reverchon, président.

Mesdames, messieurs, nous vous remercions vivement pour votre disponibilité.

Mme Flora Mattei, conseillère exécutive de Corse, présidente de l'Office des transports de la Corse. - La question de la continuité des services publics est fondamentale pour un territoire insulaire : il y va de la réduction de la dépendance aux importations et des contraintes liées à l'insularité, du point de vue du développement économique notamment ; l'organisation de la desserte aérienne et maritime doit prendre en compte cette spécificité.

Le contexte actuel est particulièrement complexe : crise sanitaire, crise économique, crise sociale, crise géopolitique. Ajoutons que le droit européen de la concurrence s'applique de façon particulièrement stricte, l'harmonisation du droit communautaire nous permettant de consolider les différentes dessertes de service public, aussi bien pour les passagers que pour les marchandises, sachant qu'une île, par définition, dépend beaucoup des importations, donc du fret.

Quelques mots sur les objectifs et les principes du conseil exécutif de Corse en matière de continuité territoriale : nous sommes une autorité délégante, organisatrice de la liaison maritime et aérienne entre la Corse et le continent via la dotation de continuité territoriale (DCT) et les délégations de service public (DSP).

L'enjeu est de définir un périmètre de service public correspondant aux besoins et aux intérêts de la Corse, ce territoire insulaire métropolitain : service de qualité, coût maîtrisé autant que possible, système économiquement et socialement vertueux, prise en compte des enjeux de la transition écologique et du développement durable, le tout dans un cadre juridique sécurisé.

En tant qu'autorité délégante, nous percevons de l'État une dotation de continuité territoriale qui se répartit comme suit en 2023 : 107 millions d'euros de compensation pour les cinq routes maritimes entre la Corse et le continent, 90 millions d'euros pour les quatre aéroports et les douze routes aériennes, comprenant le « bord à bord », c'est-à-dire les liaisons vers Nice et Marseille et les lignes desservant la Corse depuis Paris.

Le nombre important de nos infrastructures aéroportuaires et portuaires s'explique par les spécificités géographiques de notre territoire, reconnues via le statut d'île-montagne. En particulier, il est plus facile de desservir la Corse par la mer que par la circulation à partir d'un port principal vers les différentes villes et microrégions. Les infrastructures aéroportuaires sont au nombre de quatre, deux aéroports principaux, deux complémentaires, ce qui nous permet d'absorber un certain flux.

La Cour des comptes a diligenté récemment un contrôle mené par la chambre régionale des comptes, qui nous conforte dans notre volonté de sanctuarisation de ces quatre infrastructures. Malgré le chamboulement des secteurs des transports et de la logistique consécutif à la crise du covid, il nous paraissait impensable que l'existence de l'un de ces aéroports soit remise en cause. Le rapport de la Cour des comptes atteste qu'ils ont très bien su réagir et rebondir face à la crise.

J'en viens à la maîtrise des paramètres : pour identifier précisément le besoin de service public applicable aux délégations de service public pour le transport maritime et aérien au départ et à destination de la Corse concernant la période 2023-2029, nous avons dû diligenter des tests de marché spécifiques et particulièrement rigoureux, conformes au droit européen, très inspirés des questionnaires réalisés pour la desserte d'autres territoires de Méditerranée occidentale. Les consultations des usagers et des compagnies ont été faites dans les règles de l'art. Nous prenons en compte les problématiques de saturation, de fréquence de la desserte et de sécurité, notamment pour le fret ; tout cela est désormais objectivé.

La maîtrise de cet enjeu stratégique des transports nous permet de stabiliser un certain nombre de paramètres à destination des résidents corses. Ainsi la tarification du fret est-elle désormais maîtrisée en dépit de l'inflation, sans indexation sur les cours - très fluctuants - des carburants. Des contrats de couverture carburant à vingt-quatre mois permettent de fixer une compensation tout en améliorant la qualité du service et en palliant la flambée des prix. Dans le cadre des conventions de délégation de service public, le tarif du fret a été défini selon la méthode de l'équivalent routier, consistant à faire comme s'il existait une autoroute entre le quai continental, à Marseille, et les quais corses : c'est la traduction opérationnelle de l'objectif de continuité territoriale, qui nous permet de garantir tant la stabilité des tarifs que la sécurité juridique des contrats de délégation du point de vue du droit de la concurrence.

Jusqu'à une date récente, nous n'avions pas statué sur ces points précis ; c'est désormais chose faite.

Toujours à destination des résidents, nous avons mis en place des tarifs export préférentiels, qui permettent d'inciter les entreprises corses à produire davantage sur place et à exporter, en lieu et place du « tout import » dont nous avions l'habitude.

J'évoquerai enfin la tarification relative aux passagers résidents corses dans le transport aérien. Voilà quelques années, nous avons pu réaliser des économies grâce à une très importante rationalisation de l'utilisation de la dotation de continuité territoriale. Le reliquat ainsi dégagé a été mis à profit pour instaurer certaines tarifications spécifiques et préférentielles, permettant notamment aux résidents corses de voyager et d'aller étudier, travailler ou se faire soigner sur le continent, sachant, par exemple, qu'il n'y a pas de centre hospitalier universitaire (CHU) en Corse. Les principes de continuité et de qualité du service public exigent une fréquence hebdomadaire pour certains vols, et même une fréquence journalière pour les vols vers Paris et le bord à bord. Je précise d'ailleurs que les conventions de délégation de service public sont contraignantes pour nos délégataires, en matière de fréquence des liaisons, d'horaires, mais aussi de verdissement des flottes.

Tout cela, j'y insiste, passe par un dialogue permanent avec les instances étatiques et européennes, le secrétariat général des affaires européennes, la représentation permanente de la France à Bruxelles, le ministère des transports, les directions générales de la concurrence et de la mobilité et des transports de la Commission européenne.

Voilà le panorama rapide que je peux dresser sur ces délégations de service public.

M. Jean-François Santoni, directeur général de l'Office des transports de la Corse. - Mon propos sera un peu plus technique. Il portera sur la mise en place des contrats et sur leur exécution, avec différents paramètres, qu'ils soient économiques, financiers et juridiques.

Le dispositif de continuité territoriale applicable à la Corse fait cohabiter le secteur maritime et le secteur aérien. Nous bénéficions d'une continuité territoriale en termes tant de service public maritime que de service public aérien. Cette obligation est notamment assurée par des opérateurs privés, via des conventions de délégation de service public dans les deux secteurs. Dans le secteur maritime, il y a une cohabitation entre les obligations de service public et les délégations de service public, alors que, dans l'aérien, nous avons uniquement des délégations de service public, avec une exclusivité d'exploitation au bénéfice du délégataire de la convention.

Sur le maritime, les obligations de service public sont assurées depuis le port de Toulon à destination des ports de Corse par un opérateur privé, à ses risques et périls, c'est-à-dire sans compensation, mais également du port de Nice - ce dernier sera probablement fermé au trafic des ferries d'ici à vingt-quatre mois.

En ce qui concerne les conventions de délégation de service public, elles sont assurées par deux compagnies délégataires au départ de quatre ports de Corse à destination du port de Marseille. Ce port éligible, ce n'est pas la collectivité territoriale de Corse qui l'a imposé, mais ce sont les études de besoins en termes de services publics du fait de l'implantation de la chaîne logistique et de la capacité du port de Marseille par rapport au volume à traiter pour la Corse. La Corse ne peut pas subir de ruptures de charge en termes d'approvisionnement. Pour citer quelques chiffres, 2 millions de mètres linéaires de fret sont transportés chaque année entre les différents ports de Corse et le continent : environ 1,9 million de mètres linéaires sont transportés depuis le port de Marseille, le reste depuis le port de Toulon. Il existe une complémentarité entre les obligations de service public (OSP) et les conventions de délégation de service public en ce qui concerne le maritime.

Il faut savoir également que les obligations de service public pour le maritime sont essentiellement utilisées pour le transport des passagers, la compagnie bénéficiant des OSP assurant 85 % du trafic passager maritime vers la Corse, contre 15 % pour les compagnies bénéficiant de conventions de délégation de service public.

Ce service public maritime est essentiellement axé sur le fret, avec plusieurs types de fret : le fret non tracté, qui représente 90 % du trafic de fret à destination de la Corse, le fret tracté qui représente 10 % à 15 % vers la Corse. L'essentiel du trafic de fret obéit à la règle du non tracté, avec toute une problématique de mise à disposition d'une plateforme logistique sur le port de desserte, mais également de forts coûts de manutention. C'est une spécificité de la chaîne logistique que nous intégrons dans les conventions.

En ce qui concerne l'aérien, nous avons douze lignes de service public au départ des quatre aéroports de Corse à destination des trois plateformes continentales : Marseille, Nice, mais également l'aéroport de Paris-Orly. Là aussi, le principe de la continuité territoriale s'applique, car nous devons permettre aux résidents corses de se rendre dans la capitale, quelle que soit l'activité - loisir, économique, sanitaire. La desserte de Paris, aussi bien que celle de Marseille et de Nice, obéit au principe de service public et est gérée dans le cadre des conventions de délégation de service public.

On a un fort contrôle de l'exécution des conventions de délégation de service public, avec un rapport d'activités audité par un commissaire aux comptes qui permet la certification des comptes et le versement des soldes de compensation. Les montants de compensation de service public tels qu'ils sont contractualisés sont des montants maximums. Les conventions, sauf cas de force majeure ou théorie de l'imprévision, comme nous avons dû l'appliquer lors de la période covid, se font aux risques et périls du délégataire. Il s'agit de contrats très encadrés, soumis aux règles du droit interne et communautaire, et discutés très en amont avec les différents services de l'État et de la Commission européenne.

La dotation de continuité territoriale s'élève à 187 millions d'euros. Elle est reconduite annuellement dans le cadre de la loi de finances, mais elle n'a plus été indexée depuis 2009. Nous avons obtenu cette année une rallonge de 33 millions d'euros, qui correspondent au montant de l'indexation entre 2009 et 2020. Nous allons maintenant entamer les négociations pour essayer de stabiliser ce nouveau complément afin de faire face aux dépenses de continuité territoriale, soit, pour l'année 2023, environ 95 millions d'euros pour l'aérien et 107 millions d'euros pour le maritime...

La règle de l'exécutif territorial à travers le vote de l'Assemblée de Corse, pour le maritime comme pour l'aérien, est d'assurer une qualité de service aux résidents aussi bien en termes de garantie de desserte qu'en matière d'accès. Il existe ainsi plusieurs départs par jour vers une destination du continent, avec une plage horaire permettant de rentrer le soir. Nous avons en moyenne trois liaisons aériennes par jour entre les deux principaux aéroports de Bastia et d'Ajaccio à destination de Marseille et de Paris-Orly, et deux liaisons vers Nice. Depuis les aéroports secondaires, nous avons une liaison quotidienne minimum entre Calvi et Figari à destination de Marseille et de Nice, et une liaison depuis ces aéroports vers Paris. La Corse est donc parfaitement connectée au continent en termes de fréquence, d'offre en sièges, de régularité et de qualité de service de la part de nos prestataires, qu'il s'agisse du maritime ou de l'aérien.

En ce qui concerne le maritime, il était important, à nos yeux, de garantir l'acheminement en fret quotidien, car nous ne disposons pas de zones logistiques de stock, y compris pour les produits de première nécessité : 95 % des produits nécessaires à la population corse sont importés depuis le continent français par la voie maritime, qu'il s'agisse des produits de consommation courante, des matériaux de construction, des produits pharmaceutiques et de l'ensemble des biens. D'où l'importance pour nous de sécuriser ce service public maritime. Les ports principaux de Bastia et d'Ajaccio sont desservis quotidiennement, sept jours sur sept, par les compagnies délégataires. Les ports secondaires de Propriano, de Porto-Vecchio et d'Île-Rousse sont desservis trois fois par semaine, tout au long de l'année. Il faut préciser que le port d'Île-Rousse est également dédié au transport de matières dangereuses de catégories 1, 2 et 3 - celles-ci ne sont pas uniquement des explosifs, il s'agit aussi d'un approvisionnement en oxygène médical et en chlore, nécessaire pour le fonctionnement de l'ensemble des stations d'épuration. Les volumes de fret définis pour les besoins de service public l'ont été sur la base des différentes études. Nous ne les avons pas fixés d'un claquement de doigts !

En ce qui concerne les tarifications, votre questionnaire fait état de tarifs préférentiels. Aujourd'hui, en ce qui concerne l'application du principe de continuité territoriale, dans le maritime comme pour l'aérien, nous avons un tarif résident pour les passagers. Sur le bord à bord en matière aérienne, vers les aéroports de Marseille et de Nice, le tarif pour l'aller-retour est de 42 euros hors taxes, soit environ 100 euros TTC. Le montant des taxes est donc supérieur au prix du billet lui-même. Il s'agit d'un point d'interrogation important. Le tarif ne prend pas en compte les nouvelles taxes issues de la loi « Climat et Résilience » qui entreront en vigueur en 2023 ou en 2024. À destination de Paris, le tarif résident s'élève à 150 euros aller-retour, avec là aussi un montant de taxes quasiment supérieur au montant du tarif hors taxes.

En ce qui concerne le fret maritime, le prix est de 40 euros hors taxes et redevances par mètre linéaire. Il est légèrement en dessous du tarif routier longue distance. Nous avons poussé plus loin la réflexion afin de garantir ce tarif tant pour le consommateur final que pour les différentes entreprises en l'adossant à un contrat de couverture carburant.

Quid des relations avec la Commission européenne ? S'est-elle prononcée sur ce dispositif ? La délégation de service public 2016-2020 et la délégation 2020-2023 en cours d'exécution aujourd'hui ont été notifiées à l'Union européenne et ont été travaillées en amont. Ces contrats n'ont fait l'objet d'aucune remarque de la part des services, ils sont parfaitement exécutoires et conformes à la réglementation.

En ce qui concerne le dossier maritime, les contrats mis en place à partir du 1er janvier 2023 ont été notifiés auprès des services de l'Union européenne et travaillés en amont avec eux. Auparavant, certains contrats n'avaient pas été notifiés du fait de la courte vie des contrats, dont certains étaient limités à douze, à dix ou à trois mois. Aujourd'hui, nous avons une stabilité à sept ans qui nous permet d'éviter cet écueil. Nous avons de bonnes relations avec l'Union européenne, établies sur la confiance, fruit d'un travail de fond considérable, qu'il s'agisse du maritime ou de l'aérien.

Quel est le dispositif le plus transposable aux outre-mer ? Il m'est difficile de me prononcer sur ce point, car je ne connais pas les différentes composantes des autres territoires. Cela devrait faire l'objet d'une consultation spécifique pour examiner ce qui peut être transposable, ce qui peut être adapté ou ce qui ne l'est pas.

Ainsi, les attentes de la population et les intérêts des différents territoires de Corse sont couverts par les concessions de service public (CSP) et les DSP.

Je signale toutefois que le montant de la dotation de continuité territoriale est insuffisant, même s'il correspond à la juste compensation versée aux compagnies délégataires sur le fondement de la notion de bénéfice raisonnable. Sachez que la marge des bénéfices des compagnies délégataires de service public s'élève à 2,13 % : c'est le bénéfice raisonnable le plus faible des compagnies maritimes sous service public ou sous OSP dans le bassin méditerranéen et en Europe !

Par ailleurs, le conseil exécutif de Corse nous a demandé de travailler à un tarif « diaspora », que nous espérons présenter prochainement.

Quant à la qualité de résident, elle est définie très clairement par les délégations de service public aériennes : elle repose sur la domiciliation fiscale. Nous délivrons une accréditation aux résidents qui souhaitent bénéficier du tarif résident. En matière maritime, les résidents corses n'y sont plus éligibles à compter de 2023, sauf pour besoins médicaux, dans la mesure où le transport de passagers est garanti par la compagnie qui exerce l'obligation de service public, ce qui représente 85 % des cas. Les résidents corses qui souhaitent emprunter les lignes de service public bénéficient des tarifs de l'OSP, mais n'ont pas droit au tarif des compagnies délégataires.

M. Aurélien Gomez, chargé des relations institutionnelles d'Air France. - Air France assume cette DSP dans le cadre d'une co-entreprise avec Air Corsica.

Je veux, pour ma part, insister sur deux points.

D'une part, la délégation de service public s'inscrit dans un cadre juridique européen et national très strict, notamment le règlement 1008/2008 du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l'exploitation de services aériens dans la Communauté et le régime des aides d'État, destiné à garantir que le besoin de service public soit limité à la compensation d'une absence ou d'une insuffisance d'offres de marché.

D'autre part, les compagnies aériennes traversent une période particulièrement difficile, commencée avec la crise inédite et imprévisible du covid, qui a eu un impact majeur sur nos équilibres, et prolongée par la hausse du coût des carburants, l'inflation et les difficultés d'approvisionnement en pièces de rechange. Toutes ces difficultés s'ajoutent à la fragilité structurelle du pavillon français : nos compagnies aériennes perdent des parts de marché depuis de nombreuses années, en raison du contexte défavorable dans lequel elles évoluent en France. Cela doit être pris en compte dans votre réflexion sur la continuité territoriale en outre-mer.

M. Luc Bereni, président du directoire d'Air Corsica. - J'aurai peu de choses à ajouter.

Air Corsica est une société d'économie mixte créée il y a trente-trois ans ; elle est délégataire de service public pour les lignes de bord à bord entre les quatre aéroports corses et ceux de Marseille et de Nice. Elle est également codélégataire dans le cadre d'un groupement avec Air France pour les quatre lignes reliant l'aéroport de Paris-Orly aux quatre aéroports corses.

Les réponses à votre questionnaire ont été données dans les interventions précédentes. Je me tiens à votre disposition pour toute question supplémentaire.

M. Stéphane Artano, président. - Notre délégation est bien évidemment preneuse de réponses écrites à ce questionnaire. Cela nourrira notre rapport.

M. Pierre-Antoine Villanova, directeur général de Corsica Linea. - Pour ce qui concerne le maritime, il y a cinq lots, un par port, tous au départ de Marseille. Corsica Linea est adjudicataire de trois lots seule et d'un lot avec La Méridionale.

Notre activité est encadrée à deux niveaux. Il y a, d'une part, les obligations de service public, qui nous empêchent de ne desservir la Corse que pendant la haute saison et de laisser l'île isolée le reste de l'année, et qui nous obligent à desservir des ports secondaires trois jours par semaine et les ports principaux tous les jours. C'est pourquoi, dix mois par an, on perd de l'argent... Il y a, d'autre part, la définition des quantités de fret à acheminer vers chacun de ces ports.

Tout cela constitue le socle de notre DSP. Sur ce fondement, nous calculons l'ensemble des coûts que représentent ces prestations et nous prévoyons les recettes correspondantes. Que l'on amène une ou deux mille remorques par an, le prix est le même. Le transport entre la Corse et le continent ne fait pas l'objet d'une compétition entre les acteurs : tout le monde paie le même prix pour une prestation identique, quelle que soit la quantité transportée par an. La différence entre les recettes et les charges représente le besoin de compensation, avec une marge très faible.

Cela tient-il compte de la saisonnalité ? Non, c'est un contrat pluriannuel, qui vise à assurer un niveau de service public tout au long de l'année. Il n'y a pas d'offre supplémentaire de transport de fret pendant la saison estivale, contrairement à ce qui existe pour les passagers, qui sont beaucoup plus nombreux l'été. Certes, le trafic de fret augmente légèrement l'été, de 15 % à 20 % par rapport à l'hiver, mais il ne double ou ne triple pas comme le trafic de passagers.

Les tarifs des résidents et du fret sont définis par la Collectivité de Corse.

Avec le temps, on est pris en étau entre des contraintes de service public de plus en plus exigeantes - c'est normal -, une volonté de maîtriser le coût de la desserte maritime pour la Collectivité de Corse et le souhait de ne pas trop augmenter le prix du fret ainsi que, par ailleurs, le coût du carburant et les contraintes environnementales. C'est avec ce cadre qu'il faut composer pour définir le montant de compensation le plus juste possible. La contrainte environnementale sera de plus en plus importante. C'est ce qui nous amènera à revoir nos façons de penser, à faire évoluer les contrats dans le temps.

Pour notre part, nous ne faisons qu'appliquer la volonté politique de la Collectivité de Corse pour sa desserte maritime. Notre but est de donner la meilleure réponse logistique à cette volonté politique. Ce n'est pas moi qui décide des rotations ni du prix, mais dans ce cadre, je définis la meilleure offre que l'on peut faire en fonction de ces contraintes.

M. Marc Reverchon, président de La Méridionale. - Si La Méridionale est présente en Corse depuis 1931, la mise en oeuvre du concept de continuité territoriale date, quant à elle, de 1976 dans un premier temps dans des mécanismes de gré à gré avec l'État puis avec la collectivité de Corse. En 2002, la libéralisation du cabotage national maritime dans l'Union européenne a abouti au mécanisme de délégation de service public. La délégation relative à la Corse vient d'être renouvelée au 1er janvier 2023, pour sept ans.

Le secteur maritime présente des spécificités. La délégation de service public prévoit une liaison quotidienne avec la métropole pour les ports principaux de Bastia et d'Ajaccio, et tri-hebdomadaire pour les ports départementaux. L'investissement que représente un navire neuf est d'environ 150 millions d'euros, induisant une durée d'amortissement longue. En effet, contrairement à l'aérien où les moyens sont standardisés, les rouliers à passagers exigent des adaptations directes aux besoins, notamment dans le métrage de fret, le secteur du fret étant le coeur du service public, et non le transport de passagers. De plus, il faut tous les deux ans et demi imposer un arrêt technique aux navires, pour une durée de cinq semaines, tout en assurant la continuité du service public, car les ports corses sont totalement dépendants de la métropole pour l'approvisionnement de l'île en marchandises.

Les questions environnementales sont centrales pour notre compagnie. Ainsi, de nouveaux systèmes de connexion électrique des navires ont été développés, pour une émission de polluants nulle. Un de nos navires, par ailleurs, est équipé d'un filtre à particules qui, en pleine mer, évite les rejets. De fait, l'enjeu environnemental est un critère du cahier des charges proposé aux candidats à la délégation. La décarbonation, question plus délicate encore, sera le prochain défi.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Nous représentons des territoires principalement insulaires, éloignés de la métropole, qui entretiennent avec elle des rapports inévitables et quotidiens. Par exemple, tous les territoires ne pouvant présenter une offre médicale complète, il faut partir en métropole pour recevoir certains soins, comme en Martinique, où la population est vieillissante - les ophtalmologues manquent : seuls trois sont actifs sur l'île !

Une part importante de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, la situation entraîne de réelles difficultés. Acheter un billet d'avion vers la métropole relève de l'exploit financier : en hiver, la haute saison en Martinique, le prix dépasse vite les 1 000 euros en classe économique !

Il est important de rétablir une certaine équité : il est très bien que nous puissions désormais nous appuyer sur la jurisprudence corse. Le champ des possibles est énorme ! On nous a régulièrement objecté au sujet de la continuité territoriale le désaccord de l'Union européenne. Or un tel désaccord n'a pas été opposé au cas corse ! Les explications des intervenants appuieront donc notre propos. Comme je le disais au président Artano en guise de boutade : l'État va commencer à craindre le rapport de notre délégation...

Nos intervenants pourraient-ils nous décrire la mise en place du dispositif de continuité territoriale dans les années 1970 ? Quelles ont été les difficultés rencontrées, avant d'en arriver au long fleuve tranquille actuel ?

Il nous a souvent été assuré que des dispositifs de continuité territoriale auraient obéré la concurrence. Par exemple, mettre en place un dispositif encadré à la Martinique, desservie par les compagnies aériennes Corsair, Air Caraïbes et Air France, introduirait des distorsions de concurrence. À votre avis, comment pourrions-nous répondre à de tels arguments, qui me paraissent un peu faciles ?

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - Un satisfecit semble être donné au service mis en place pour les résidents en Corse. Comment percevez-vous ce système du point de vue de la concurrence ? Pourriez-vous préciser ses modalités tarifaires : personnes éligibles, quota de déplacements ou non, besoins sanitaires, âge ? Pouvez-vous revenir sur les tarifs préférentiels : sont-ils toujours plus avantageux que les tarifs commerciaux ?

M. Luc Bereni. - Au-delà du prix du billet, les tarifs dépendent de deux paramètres.

Le premier est le stock de sièges alloués. Le tarif résident corse mis en place dans le cadre des délégations de service public, par exemple, est un tarif que nous appelons dans le secteur aérien full flex : totalement flexible. Il donne accès à l'intégralité de la capacité des lignes, jusqu'au dernier siège disponible, quelle que soit la date de la réservation.

Le second paramètre est la possibilité de modification du billet. Pour le tarif résident, le billet est modifiable autant de fois que le client le souhaite ; il est même annulable sans frais jusqu'à deux heures avant le départ.

Ainsi, comparer les tarifs ne signifie pas seulement prendre en compte une moyenne des prix, étant donné qu'à chaque tarif est associé un stock de sièges et des contraintes, assurant la flexibilité du système. Le tarif résident corse est d'une souplesse totale, similaire à celle appliquée au plein tarif.

M. Jean François Santoni. - Lors de la mise en oeuvre de la continuité territoriale, la délégation de service public était accordée par l'État à des compagnies en place selon une procédure de gré à gré, sans mise en concurrence. Les directives communautaires relatives à cette politique n'étaient pas encore en place : celle qui est relative au secteur aérien date de 2008, celle au secteur maritime de 2014. Le choix était libre.

Les choses se sont ensuite compliquées avec l'arrivée d'opérateurs concurrentiels dans le secteur maritime. La collectivité de Corse a dû faire face à des contentieux et des condamnations. L'année dernière encore, elle a payé 130 millions d'euros d'indemnités à un opérateur privé au titre de la délégation de service public de la période 2007-2013.

Le chemin a été et demeure chaotique. Nous ne naviguons pas sur un long d'un fleuve tranquille, mais sur une mer qu'il faut sans cesse surveiller. Il faut tenir compte des évolutions pour préserver ce système, en faisant la démonstration qu'un besoin n'est pas satisfait au regard des attentes de la population, et donc qu'il faut maintenir un service public. Voilà la clé de voûte. Sans définition d'attentes démontrant sa pertinence, l'obligation de service public demeurera, mais pas sa délégation. Un tel travail de fond, quotidien et de longue haleine, doit être mené pendant que le contrat a cours, afin de le respecter, et au moment de son renouvellement. Il faut par conséquent tisser un lien fort avec les autorités chargées du contrôle et de la validation du dispositif : l'État, au niveau national et au niveau régional, et, à la Commission européenne, la direction générale de la concurrence.

En matière de tarification, je confirme qu'il ne faut pas raisonner uniquement en termes de prix : la qualité importe également.

Qui peut bénéficier de l'octroi du tarif résident ? Depuis la nouvelle délégation de service public aérienne mise en place le 1er avril 2020, seules en bénéficient les personnes ayant leur résidence fiscale en Corse. Aujourd'hui, la notion de domiciliation fiscale prévaut. Nous avons travaillé avec la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) à la mise en place d'un outil de contrôle des taxes d'habitation, pour être en conformité avec la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et rapprocher ce que déclare le demandeur avec le fichier des services fiscaux. Le secteur aérien est le seul concerné par un tel outil ; pour le maritime, à l'exception d'une ligne, les conventions de délégation de service public ne rendent plus éligibles le résident à ce tarif, vu que le besoin en passagers est couvert par un concurrent.

Aujourd'hui, le secteur maritime est parfaitement concurrentiel : l'essentiel du trafic qui ne peut pas être assuré par l'opérateur privé est couvert par la convention de délégation de service public.

Pour les passagers maritimes, à l'exception des résidents voyageant pour raison médicale, le besoin est satisfait par un opérateur privé sous obligation de service public. Il s'agit donc d'un service passager compensé, ne relevant pas de la convention de DSP. Cela illustre la cohabitation entre le secteur concurrentiel et celui qui est dévolu au service public. Enfin, l'existence du secteur concurrentiel nous oblige à nous conformer aux règles des tarifications préférentielles.

M. Marc Reverchon- Dans le secteur maritime, il n'y a pas de monopole : les tarifs sont commerciaux. On les module en fonction des périodes de l'année et de l'affluence des passagers. Les tarifs maximum sous OSP ne concernent que les résidents.

Le dispositif de continuité territoriale a été créé en 1976, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, parce que le service ne donnait pas satisfaction en termes de fiabilité et de qualité. La séparation était complète entre le transport de passagers, assuré par des ferries, et le fret, assuré par des cargos. Des négociations avaient lieu tous les cinq ans. Aujourd'hui, le fret et le transport de passagers sont effectués par les mêmes navires, ce qui a eu pour corollaire positif une desserte quotidienne, et donc une grande qualité de service. Ces navires « mixtes » sont apparus dans les années 1990.

Mme Flora Mattei. - La période est compliquée : on est loin du long fleuve tranquille, madame la rapporteure ! Et le secteur évolue vite.

Au titre de la dotation de continuité territoriale, 33 millions d'euros supplémentaires ont été accordés à la Collectivité de Corse pour compenser l'augmentation du prix du carburant utilisé dans les secteurs maritime et aérien, et prévus dans le projet de loi de finances rectificative pour 2022. Cette dotation est exceptionnelle : l'année prochaine, il nous faudra renégocier son montant. Par ailleurs, les contraintes d'ordre environnemental - taxe carbone, loi Climat et résilience - influent sur les tarifications.

La Corse étant une île, elle ne bénéficie pas d'alternative ferroviaire ou routière. Il faut prendre en compte les spécificités économiques de l'insularité : ce combat est quotidien, notamment pour les faire admettre à la Commission européenne. Avec celle-ci, le travail de coconstruction se poursuit, notamment au travers de la DSP Corse 2023-2029. Par ailleurs, nous préparons le tracé des schémas aériens à l'horizon 2024 ; un test de marché a été lancé par l'OTC.

Le fait qu'il n'y ait pas de CHU en Corse nous a permis de caractériser certains flux et de ne pas franchir certaines lignes rouges, comme nous y incitait la Commission européenne. Il est donc important de maintenir un dialogue.

Si la DCT avait été indexée depuis 2009, nous aurions bénéficié, en plus des 187 millions d'euros qui nous sont versés annuellement, d'environ 30 millions d'euros supplémentaires. Vous avez parlé de stabilité, madame la rapporteure ; elle n'est pas d'actualité en Corse, ni sur le plan des prix ni sur celui de la démographie, laquelle a augmenté.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Je parlais de « long fleuve tranquille » par rapport à la situation de nos outre-mer, qui partent de loin.

La Collectivité de Corse soutient-elle financièrement l'Office des transports de la Corse ?

Mme Flora Mattei. - La dotation de continuité territoriale vise à couvrir l'essentiel des dépenses de l'OTC, que je préside depuis 2021, ainsi que les frais de compensation, d'exploitation, de carburant et d'investissements pour l'organisation de la desserte maritime et aérienne de la Corse. La Collectivité de Corse ne prend en charge aucune de ces dépenses.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Sénatrice de la Guyane, j'indique que la population guyanaise est confrontée aux mêmes problématiques que celle de la Martinique, territoire en avance sur le mien en termes d'offre de soins, par exemple.

Pour ce qui concerne la continuité territoriale, quand la Martinique dispose de trois compagnies aériennes, la Guyane en a deux : Air France et Air Caraïbes, avec des billets en classe économique qui coûtent 1 200 euros. À l'intérieur du territoire, certaines de nos communes sont accessibles seulement par avion ; or la compagnie Air Guyane rencontre des problèmes - pannes d'appareils ou incidents climatiques -, ce qui a un coût sur le plan économique. La Guyane est la dernière roue du carrosse !

M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie toutes et tous pour la qualité de vos propos. Nous sommes favorables à l'expérimentation. À ce titre, l'expérience corse peut être une source d'inspiration pour le Gouvernement, s'il souhaite réformer en profondeur le système de continuité territoriale.

Je suis admiratif de ce qui a été fait en Corse, et qui me fait penser aux actions menées au Canada sur certains territoires : la continuité est poussée à l'extrême, et l'État prend véritablement en considération les notions d'éloignement et de double insularité. Nous ne manquerons pas de nous en inspirer pour nos travaux en cours.

D'ici à la fin du premier trimestre 2023, le Gouvernement proposera une évolution du dispositif ultramarin de continuité territoriale. Nous ne manquerons pas de le questionner à cet égard.

Jeudi 26 janvier 2023

- Présidence de M. Stéphane Artano, président puis de Mme Micheline Jacques, vice-présidente -

Table ronde sur le dispositif applicable à La Réunion et à Mayotte

M. Stéphane Artano, président. - Chers collègues, dans le cadre de son étude sur la continuité territoriale dont les rapporteurs sont Catherine Conconne et Guillaume Chevrollier, nous faisons ce matin un focus sur l'océan Indien, avec la situation à La Réunion et à Mayotte.

Nous allons ainsi au cours des prochaines semaines aborder la situation pour les territoires du Pacifique et le bassin Atlantique. Je précise à cet égard que nos rapporteurs se déplaceront en Guadeloupe et en Guyane, dans le courant du mois de mars, pour échanger avec les acteurs locaux.

Ces échanges sont particulièrement importants pour saisir la diversité et la complexité des situations et pour élaborer des propositions d'amélioration.

Pour approfondir notre état des lieux, nous allons entendre successivement :

- pour le Conseil régional de La Réunion : Mme  Lorraine Nativel, vice-présidente déléguée à la lutte contre l'illettrisme et aux savoirs de base, à la continuité territoriale et au soutien des jeunes en mobilité, et M. Normane Omarjee, vice-président délégué au désenclavement aérien, maritime et numérique ;

- pour le Conseil départemental de Mayotte : Mme Bibi Chanfi, 5ème vice-présidente, chargée du développement économique et de la coopération décentralisée ;

- et pour la Direction de la sécurité de l'aviation civile océan Indien (DSAC-OI) M. Jonathan Gilad, directeur.

Nous nous tournerons ensuite vers les compagnies aériennes :

- Air Austral : représenté par M. Joseph Bréma, président directeur général ;

- Corsair : représenté par M. Julien Houdebine, directeur commercial ;

- et French Bee représenté par M. Charles-Henry Strauss, directeur des affaires juridiques.

Mesdames, Messieurs, nous vous remercions vivement pour votre disponibilité.

Vous allez avoir la parole à tour de rôle et dans l'ordre que je viens d'énoncer pour une dizaine de minutes chacun afin de présenter vos observations.

Vous pourrez vous appuyer sur la trame qui vous a été transmise et nous transmettre ultérieurement d'autres précisions par écrit.

Ensuite les rapporteurs interviendront pour vous demander certaines précisions, puis ce sera le tour de nos autres collègues.

Je vous livre deux informations complémentaires pour conclure cette table ronde, que je devrai quitter à 9 heures car j'accompagne tout à l'heure le président Gérard Larcher dans son déplacement à la Martinique, où nous rejoindrons Catherine Conconne puis nos collègues de la Guadeloupe. Je vous prie de m'excuser par avance et c'est Micheline Jacques qui présidera cette audition aux côtés des rapporteurs.

Je vous ai adressé récemment mes chers collègues, un courrier concernant mon audition devant le Conseil d'État, qui consacrera son étude annuelle 2023 au « dernier kilomètre dans les politiques publiques ». Vous avez tous eu l'occasion d'observer, ultramarins comme élus hexagonaux d'ailleurs, le décalage entre les annonces de réforme et leur mise en oeuvre. Je compte sur vos témoignages, bien évidemment, pour faire remonter des exemples concrets de difficultés sur la base de la trame que la délégation vous a adressée à cet effet. Mon audition est prévue le 14 février en matinée. J'aurai bien entendu l'occasion de vous en rendre compte.

Par ailleurs, avec Micheline Jacques, nous sommes encore en train d'affiner nos travaux sur les évolutions institutionnelles et ambitionnons de présenter ce rapport à la délégation le jeudi 16 février prochain, avant son examen et sa prise en compte par le groupe de travail « Décentralisation » du président Larcher. Il sera notamment tenu compte de notre échange très riche du 12 janvier.

Je vous laisse à présent la parole, mesdames et messieurs, dans l'ordre que je vous ai indiqué.

- Présidence de Mme Micheline Jacques, vice-présidente -

Mme Lorraine Nativel, Conseil régional de La Réunion, vice-présidente déléguée à la lutte contre l'illettrisme et aux savoirs de base, à la continuité territoriale et au soutien des jeunes en mobilité. - Je vous remercie pour votre invitation à cette table ronde sur un sujet aussi important pour nos territoires que sont les dispositifs d'aide à la continuité territoriale en vigueur. Ces dispositifs doivent répondre globalement aux besoins cruciaux des Réunionnais de tous âges devant se déplacer afin de se rapprocher des parents éloignés souvent peu mobiles, suivre des formations, passer des concours, chercher du travail, participer à des compétitions sportives ou à des manifestations culturelles, accompagner les personnes gravement malades, tout cela au même titre que n'importe quel Français résidant sur le sol hexagonal.

En vertu de l'article L.1803 du code des transports, l'État est le seul responsable légal de la continuité territoriale entre ces territoires ultramarins et l'Hexagone.

S'agissant de La Réunion, depuis 2015, l'ancienne majorité régionale avait rompu les liens avec l'État et avait décidé de mettre en place un dispositif volontariste et électoraliste en assumant seul le financement. En 2016, cette même majorité avait renforcé son dispositif en proposant l'accompagnement dans le sens Hexagone-La Réunion. Ce dispositif a été jugé illégal par le tribunal administratif en décembre 2020.

En 2021 à notre arrivée aux responsabilités, nous avons procédé à une évaluation dudit dispositif, qui a mis en évidence le fait que la région s'était substituée à l'État dans ses prérogatives. La parution du décret n°2021-845 et de l'arrêté du 28 juin 2021 est venue conforter notre volonté de refonte du dispositif de la continuité territoriale afin d'agir en complémentarité avec l'État et de mettre en oeuvre un dispositif plus juste et plus solidaire. Cette réforme des aides de l'État en 2021 a permis d'insuffler une nouvelle dynamique à la politique nationale de continuité territoriale en faveur des ressortissants des outre-mer, avec une réévaluation significative des montants des aides attribuées par rapport à la période antérieure.

En 2022, nous avons donc distribué 23 704 bons contre 3 452 bons en 2021. Une nouvelle étape a été franchie dès 2022 dans le processus d'harmonisation des dispositifs de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) et de la région Réunion, avec la mise en place d'une convention de partenariat permettant d'assurer une gestion conjointe et optimisée des aides à la continuité territoriale en faveur des familles les plus démunies, c'est-à-dire celles dont le coefficient familial est inférieur à 6 000 euros et ce, dans le cadre de leurs projets de déplacements dans le sens Réunion-métropole. Ce nouveau partenariat a été réalisé et suivi dans le cadre d'une collaboration exemplaire entre les services de la région et ceux de LADOM réunis.

La refonte du dispositif régional entré en vigueur depuis avril 2022, a fait l'objet des principales évolutions suivantes :

- l'alignement de la périodicité de l'aide régionale sur celle de LADOM, étant rappelé que la périodicité de l'aide régionale était annuelle alors que celle de LADOM est trisannuelle ;

- l'harmonisation du mode de calcul du quotient familial avec celui de LADOM en adoptant le revenu fiscal de référence au lieu du revenu imposable qui était précédemment retenu ;

- l'attribution d'une aide régionale de 100 euros en complément de celle de LADOM ;

- l'instauration d'un plafond maximal de revenu éligible pour la tranche de revenu n° 3, c'est-à-dire les familles dont le coefficient familial se situe entre 11 191 euros et 26 030 euros à hauteur de 65 000 euros avec maintien du coefficient familial à hauteur de 26 030 euros.

À ces familles, il a été décidé l'attribution d'un bon de continuité territoriale d'une valeur de 200 euros au lieu de 300 euros précédemment.

Afin de mieux accompagner notre population dans ses besoins de déplacement, la collectivité régionale a mis en place deux dispositifs complémentaires. Tout d'abord, un dispositif qui s'adresse à nos étudiants en mobilité. En effet, la détresse de ces étudiants pendant la crise sanitaire et l'impossibilité de leurs familles à les faire rentrer, nous a fait réfléchir à ce dispositif dénommé « Bon Ressourcement Étudiant », d'un montant de 400 ou 800 euros selon les revenus. Rentrer se ressourcer sur son île natale auprès de ses proches n'est pas toujours simple lorsqu'on est étudiant en métropole. La mise en place de cet accompagnement financier permet de contribuer à l'excellence et à la réussite éducative de nos étudiants ultramarins, qui se voient ainsi assurés de pouvoir rentrer auprès de leurs proches au moins une fois par an tout au long de leur cursus de formation. Cette aide s'étend également aux étudiants qui désirent effectuer un stage à La Réunion dans le cadre de leur formation. Leur donner la possibilité de se reconnecter à leur territoire, c'est favoriser leur retour au pays ainsi que leur insertion économique et sociale.

Ce dispositif initié par la région Réunion depuis 2022 a permis d'accorder près de 2 500 bons de ressourcement au cours de la période de mai à décembre 2022, sur le trajet métropole-Réunion. Cette mesure vient en complément du dispositif « Passeport Mobilité Études » de LADOM, qui intervient pour le départ des étudiants de La Réunion vers l'Hexagone pour les filières qui n'existent pas localement ou qui sont saturées. À ce titre, LADOM a financé 1 409 étudiants réunionnais en 2021.

La continuité funéraire est un autre dispositif mis en place par la région Réunion. Afin de répondre au caractère imprévisible d'un décès et à la situation d'urgence qui en découle, la région Réunion a pris l'initiative d'élaborer un nouveau dispositif qui associe les acteurs locaux de la continuité funéraire dans le cadre d'un partenariat permettant de mutualiser les aides existantes et d'offrir aux familles réunionnaises concernées un service public de qualité pouvant répondre au mieux à leur situation. Cette continuité funéraire se décline en deux principales mesures :

- la création d'un numéro d'appel unique commun région-département afin de permettre une assistance rapide et coordonnée de tous les acteurs ;

- la mise en place d'une convention de partenariat entre la région et le conseil départemental afin que les familles éligibles puissent être aidées dans des conditions optimales.

Dans le cadre de la continuité funéraire, la participation régionale est de 860 euros. Elle concerne l'aide au déplacement pour les obsèques en métropole ou pour un déplacement accompagnant un transport de corps vers La Réunion. La participation du conseil départemental s'élève à 5 000 euros maximum, uniquement pour le rapatriement de corps.

La mise en place de ces dispositifs complémentaires par la collectivité régionale démontre que l'ensemble des besoins de déplacements de la population n'est pas assuré, que la continuité territoriale est perfectible et qu'une réflexion suivie de propositions concrètes doit être menée. Cela est d'autant plus important que le récent arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 21 décembre 2022 risque de remettre en cause certains dispositifs en contestant la compétence des collectivités territoriales pour instituer des dispositifs d'aide à la continuité.

La région Réunion souhaite un meilleur accompagnement pour le « Bon Ressourcement Étudiant ». Par conséquent, un renforcement de l'aide à la mobilité des étudiants réunionnais pourrait être envisagé dans le cadre d'un partenariat avec LADOM, afin de toucher le maximum de nos ressortissants qui poursuivent leurs études en métropole et qui sont évalués à environ 12 000 selon les derniers chiffres disponibles. Ce partenariat pourrait être axé sur les déplacements ciblés des étudiants et des apprentis pour des motifs jugés prioritaires tels que la réalisation de leur stage à La Réunion, renouvelable autant de fois que nécessaire. Actuellement, ces déplacements sont limités à un par an. L'aide au retour des Réunionnais diplômés afin de participer à l'entretien d'embauche ou intégrer un emploi à La Réunion pourrait également être proposée, sachant que les modalités et les publics restent à définir.

La région Réunion souhaite également un meilleur accompagnement en matière de continuité funéraire, par exemple au moyen d'une participation de LADOM à hauteur de l'aide de 360 euros actuellement en vigueur, versée sous forme de bon au lieu d'un remboursement. Cet accompagnement interviendrait en complément de l'aide régionale, qui s'établirait à 500 euros, portant ainsi l'aide aux obsèques en métropole à un montant total de 860 euros - ce qu'assume seule actuellement la région Réunion.

La contribution de LADOM pourrait être mise en oeuvre par voie d'avenant à la convention de partenariat région-LADOM relative au dispositif conjoint de la continuité territoriale, signée le 7 juin 2022. Ce meilleur accompagnement pourrait se faire aussi par un redéploiement de l'aide de LADOM actuellement en vigueur, d'un montant de 1 000 euros pour le transport de corps dans le sens métropole-Réunion, en vue de la prise en charge d'un billet d'avion d'un montant à définir pour les déplacements de l'accompagnant qui réside en métropole. Cela permettrait d'optimiser le dispositif de LADOM, qui n'a financé en 2021 que 4 dossiers de transport de corps à La Réunion.

Le dispositif de la continuité territoriale de la région contient d'autres mesures spécifiques que LADOM ne finance pas actuellement. Au-delà de l'aspect purement financier, cette situation pénalise un certain nombre d'usagers au regard de leurs besoins spécifiques et de leurs fragilités, et rend certaines mesures à la fois illisibles et complexes dans leur mise en oeuvre.

Les dispositifs régionaux sur lesquels LADOM pourrait envisager de s'aligner afin de poursuivre le processus d'harmonisation entre l'État et la région, de simplifier les démarches des usagers et de respecter les termes de la décision de la Cour d'Appel de Bordeaux du 21 décembre 2022, concernent les accompagnateurs des jeunes espoirs sportifs et les sportifs de haut niveau. Actuellement, il y a une double démarche : les sportifs doivent solliciter LADOM pour avoir un bon de remboursement, et les accompagnateurs doivent solliciter la région. Le même schéma concerne les artistes et les acteurs culturels.

J'aimerais faire un point concernant les mesures dérogatoires, notamment en faveur des personnes âgées ou atteintes d'un handicap, afin que ces personnes puissent voyager en classe supérieure sur prescription médicale avec un bon de la continuité territoriale délivré pour un voyage en classe économique. Cette mesure est appliquée par la région actuellement, mais non par LADOM.

Concernant le transfert sanitaire, la région Réunion prend en charge un bon lorsque la Sécurité sociale n'assure pas la prise en charge à 100 %. Dans le même domaine de la santé, se pose également la question des autres accompagnateurs, notamment de la prise en charge des enfants mineurs en cas d'hospitalisation de longue durée des parents. Les formalités à remplir sont très complexes, nécessitant une coordination avec tous les acteurs du champ médico-social. Il importe également de prévoir des structures d'accueil et d'hébergement sur le territoire national pour les membres des familles qui accompagnent les malades.

On remarquera que toutes les aides déployées actuellement concernent le déplacement de La Réunion vers l'Hexagone. Or nous avons des Réunionnais qui ont été obligés de quitter leur territoire, fuyant le chômage avec l'espoir d'une vie meilleure, des Réunionnais qui se trouvent coincés là-bas avec juste de quoi vivre. Ces personnes n'ont pas les moyens de se payer un billet pour venir passer du temps sur leur île et rendre visite à leurs parents, comme le font les Français de l'Hexagone. L'État, au nom de l'égalité entre les citoyens, doit prendre en compte leur terrible réalité et mettre en place un accompagnement en leur direction.

Malgré l'effort financier de la collectivité régionale et la réévaluation du montant de l'accompagnement, les aides à la continuité territoriale ne parviennent pas à l'intégralité des publics bénéficiaires, et ce en raison notamment de la fracture numérique dont souffre une partie de la population, en particulier les personnes âgées isolées ou ne disposant pas d'internet. Un accueil adapté à ces publics doit être organisé dans des structures de proximité, tout en réalisant une communication plus soutenue envers les publics cibles. À cela s'ajoute l'explosion des tarifs aériens, qui ne permet pas aux familles les plus démunies de prendre en charge la contrepartie financière de l'aide à la continuité territoriale lors de l'achat du billet. Certaines familles sont obligées de renoncer à leur projet, même après avoir obtenu leur bon. Le reste à charge varie et peut passer du simple au double.

Il convient donc d'inciter l'État à assumer pleinement les dépenses afférentes à ses champs de compétence légale en matière de continuité territoriale et à garantir l'égalité de traitement avec d'autres territoires, tels que la Corse. L'intervention de l'État est d'autant plus légitime que le département de La Réunion est le plus éloigné de la France hexagonale.

Je terminerai mon propos en rappelant les termes de l'arrêt de la Cour administrative d'Appel de Bordeaux du 21 décembre 2022 :

« En vertu de l'article L.1803-10 du code des transports, l'Agence de l'Outre-mer pour la Mobilité (LADOM) est un établissement public de l'État à caractère administratif. Il a pour mission, en particulier, de mettre en oeuvre les actions relatives à la continuité territoriale qui lui sont confiées par l'État et de gérer les aides mentionnées à l'article L.1803-4 à L.1803-6. Ainsi, l'aide à la continuité territoriale relève d'une politique nationale de continuité territoriale fondée sur des principes d'égalité des droits, de solidarité nationale et d'unité de la République confiée à LADOM. Il est donc clair que les collectivités régionales ne peuvent se substituer à l'État en la matière. »

Mme Bibi Chanfi, Conseil départemental de Mayotte, 5ème vice-présidente, chargée du développement économique et de la coopération centralisée. - Je vous remercie de votre invitation à répondre au questionnaire sur la problématique de la desserte aérienne dans le cadre du dispositif de continuité territoriale.

Elle est l'occasion pour Mayotte de présenter les difficultés rencontrées au quotidien pour simplement se déplacer entre les départements d'outre-mer de La Réunion et de Mayotte. En effet depuis des années, les Mahorais dénoncent sans relâche la situation de crise de la desserte aérienne du département, malheureusement jusqu'à présent sans retenir l'attention des pouvoirs publics.

Avec un prix moyen pour un trajet entre l'île et la métropole un à deux fois plus cher que ceux pratiqués sur les autres lignes entre DROM, COM et métropole, sortir de Mayotte ou tout simplement voyager, est un privilège réservé à certains. Or, le besoin de se rendre en métropole est bien réel puisque la destination représente 35 % du trafic aérien à Mayotte.

Sur le plan des dessertes régionales, le constat est même plus alarmant, avec des tarifs excessivement élevés pour les trajets vers Madagascar, Mayotte et La Réunion. Ce dernier représente pourtant 58 % du trafic aérien mahorais sur l'ensemble des trois destinations. Cette situation est d'autant plus préoccupante que de nombreux Mahorais se déplacent fréquemment pour des raisons familiales, professionnelles ou de santé.

L'absence de réelle concurrence est préjudiciable. Les ouvertures de lignes limitées concourent ainsi à rendre la situation intenable pour l'ensemble de la population.

Concernant le partenariat avec LADOM, la convention que nous avons conclue fonctionne plutôt bien, avec une implication forte du conseil départemental depuis plus de quinze ans. On note cependant une faiblesse au niveau des ressources humaines. En effet, le conseil départemental vient en soutien pour quasiment la moitié du personnel, en mettant à disposition six personnes, alors que ce soutien était à l'origine prévu pour assurer la mise en oeuvre des actions de formation professionnelle du département dans le cadre de la mobilité.

Il y a donc une réflexion très sérieuse à mener sur ce sujet dans le contexte actuel de développement de l'alternance par la mobilité, en particulier via l'apprentissage, et du dispositif envisagé de l'immigration choisie pour les secteurs en tension dans l'Hexagone.

La réforme des aides sur la continuité territoriale de 2021 est une très bonne mesure pour Mayotte, qui bénéficiait précédemment de deux tranches d'aides de 135 euros et 440 euros. Désormais, il s'agit d'un montant unique de 440 euros. L'impact de cette mesure est certain mais doit être relativisé. En 2022, le nombre de billets émis atteint le chiffre record de 3 747 (contre 1 209 en 2021), mais ce rebond est certainement lié à « l'après Covid » car les Mahorais avaient besoin de sortir du territoire après la période de confinement.

Les collectivités d'outre-mer compétentes dans le domaine de la formation professionnelle, doivent améliorer la continuité territoriale pour former les ressortissants en métropole, voire dans le reste de l'Europe. C'est une nécessité évidente qui relève de la solidarité nationale. Par conséquent, l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux, qui entend empêcher les régions d'instituer les dispositifs de continuité territoriale, aboutit à les empêcher d'exercer de manière complète et souveraine leurs compétences en matière de formation professionnelle au plan régional. Cela paraît quelque peu contradictoire.

Je voudrais faire un focus concernant les transports aériens. Pour Mayotte, on peut considérer que la fréquence des vols, notamment par le vol direct Dzaoudzi-Paris Charles de Gaulle s'est nettement améliorée, mais cette amélioration reste limitée et fragile. Le véritable sujet concerne le prix du billet d'avion, qui reste prohibitif. Le transporteur Ewa Air reste sous le contrôle d'Air Austral malgré les propositions d'intérêts mahorais afin de prendre la majorité du capital.

L'offre de Corsair sur l'axe Mayotte-La Réunion reste marginale, avec trois fréquences par semaine en haute saison. De plus, une possible alliance commerciale entre Corsair et Air Austral risque de faire disparaître la concurrence, avec pour conséquence une augmentation forte du prix des billets d'avions sur cet axe. Le seul moyen de garantir une saine concurrence sur cet axe est de forcer Air Austral à céder le contrôle de la compagnie Ewa Air aux intérêts mahorais. En résumé, la compagnie Air Austral, notamment à travers Ewa Air, joue un rôle clé dans la continuité territoriale de Mayotte. Elle opère en exclusivité des vols directs entre Mayotte et l'Hexagone et, en direct ou avec Ewa Air, la totalité des vols entre Mayotte et La Réunion à l'exception de quelques vols par semaine opérés par la compagnie Corsair international en prolongement de sa ligne Paris-La Réunion. À travers sa filiale Ewa Air, elle opère les vols entre Mayotte et Madagascar et les Comores.

C'est pourquoi le département de Mayotte est fortement intéressé à intégrer la filiale Ewa Air, et souhaite que les intérêts mahorais puissent prendre le contrôle de cette compagnie afin de garantir une saine concurrence. Toutefois, face au refus d'Air Austral de céder une partie du capital détenu sur Ewa Air, le département de Mayotte envisage la création de sa propre compagnie aérienne.

Par rapport à la période pré-Covid, la fréquence de la desserte aérienne s'est légèrement améliorée mais la ligne Mayotte-Hexagone nécessite toujours un détour par La Réunion. Les prix des billets restent très élevés. Par conséquent, le renforcement du nombre de vols directs entre l'Hexagone et Mayotte est une nécessité.

La liaison entre Mayotte et La Réunion s'est améliorée depuis quelques mois grâce à la nouvelle ligne d'Ewa Air, en plus d'une légère amélioration des prix, notamment sur la liaison Mayotte-Saint-Pierre. Cette offre reste fragile car elle dépend du bon vouloir d'Air Austral. Pour la région Réunion, la nécessité de rentabiliser la compagnie Air Austral, désormais sous contrôle d'intérêts privés, va à l'encontre des intérêts mahorais de baisser le prix du billet d'avion entre Mayotte et la métropole et entre Mayotte et La Réunion.

Sur la liaison Mayotte-métropole, la demande mahoraise concerne essentiellement le vrai tronçon de continuité territoriale, à savoir Paris-Dzaoudzi, pour lequel la concurrence est quasiment inexistante. Nous vous ferons parvenir en annexe le prix proposé pour les mêmes dates du trajet Paris-Dzaoudzi et La Réunion-Paris, qui est du simple au double. En haute saison (juillet), le prix est plus élevé de 40 % sur le trajet Dzaoudzi-Paris par rapport au tarif Réunion-Paris. Nous savons que la concurrence entre Corsair et Air Austral n'est pas réelle, mais relèverait plutôt d'une entente entre les deux compagnies, notamment depuis la crise sanitaire et leur projet de créer une alliance commerciale sur cet axe. Ainsi en 2021, dans le cadre des accords mis en oeuvre entre Corsair et Air Austral, Corsair a cessé la desserte directe de Mayotte depuis Paris et propose un vol en Boeing 737-800 affrété par Air Austral pour la continuité vers Dzaoudzi depuis Saint-Denis de La Réunion.

Vous trouverez également en annexe les prix pratiqués par les deux compagnies sur l'axe Dzaoudzi-La Réunion, de l'ordre de 400 euros l'aller-retour en classe économique, ce qui reste très élevé pour un vol de 2 heures 30. C'est donc, dans les faits, une concurrence qui n'a pas d'impact favorable sur le prix des billets d'avion pour les Mahorais.

Pour conclure, il faut reconnaître qu'effectivement il existe des dispositifs d'aide et un partenariat important avec LADOM. Néanmoins, au vu des prix des billets d'avion pratiqués par les compagnies aériennes, ces aides ne peuvent pas vraiment permettre aux Mahorais de se déplacer et notamment, de se rendre en métropole ou vers La Réunion.

Mesdames et messieurs, j'espère qu'à l'occasion de cette audition vous aurez été sensibilisés sur l'état des faits, afin de réfléchir aux mesures et dispositifs urgents et adaptés pour la population mahoraise. Je reste à votre écoute pour répondre à vos questions.

M. Jonathan Gilad, directeur de la sécurité de l'aviation civile océan Indien (DSAC-OI). - Je tiens tout d'abord à remercier la Délégation sénatoriale aux outre-mer pour son invitation à participer à cette table ronde consacrée à la continuité territoriale à La Réunion et à Mayotte. Je suis directeur de la sécurité de l'avion civile océan Indien. Dans les territoires, cette direction exerce un double rôle. D'une part, nous exerçons les prérogatives de l'autorité de surveillance en matière de sécurité aérienne et de sûreté pour l'ensemble des territoires français de l'océan Indien. Concrètement, nous veillons à ce que les opérateurs de l'écosystème aéronautique respectent et appliquent la réglementation en matière de sécurité et de sûreté. Nous les accompagnons dans les éventuelles actions correctives qu'ils doivent mettre en oeuvre.

D'autre part, je représente le directeur général de l'aviation civile pour les missions régaliennes de la DGAC, notamment en matière d'environnement et de régulation économique ainsi que dans l'accompagnement de la filière aéronautique.

En propos liminaire, je vous propose de vous présenter quelques éléments de contexte du transport aérien entre la zone de l'océan Indien et l'Hexagone. Après une description rapide des infrastructures existantes, j'exposerai notre perception de l'offre actuelle de transport aérien ainsi que les tarifs appliqués.

Dans la zone océan Indien, nous disposons de trois aéroports commerciaux certifiés, dont sur l'île de La Réunion l'aéroport de Saint-Pierre Pierrefonds et l'aéroport Roland Garros et à Mayotte l'aéroport Marcel Henry. Ces infrastructures aéroportuaires sont stratégiques pour la collectivité et les territoires ultramarins, et garantissent la continuité territoriale avec la métropole et entre les territoires de l'océan Indien.

En termes de trafic, l'année 2022 a vu une reprise forte, au-delà des attentes, principalement portée par les liaisons avec la métropole. Pour La Réunion Roland Garros, ce sont 2,3 millions de passagers qui ont transité en 2022 contre 2,4 millions en 2019. Pour Mayotte, ce sont près de 400 000 passagers en 2022 contre 388 000 en 2019.

Je vous propose de faire une description rapide du paysage concurrentiel qui a été évoqué par la vice-présidente du Conseil départemental de Mayotte.

Je vous communiquerai également quelques chiffres sur l'évolution de l'offre de sièges et des fréquences, en distinguant les liaisons La Réunion-métropole, Mayotte-métropole et Mayotte-La Réunion.

S'agissant de l'état de la concurrence, quatre compagnies aériennes proposent des vols entre La Réunion et la métropole : Air France, Air Austral, French Bee et Corsair. La métropole s'entend de Paris principalement, mais il y a également des liaisons entre La Réunion et Marseille, ainsi que Lyon.

Pour Mayotte, deux compagnies aériennes proposent des vols entre Mayotte et Paris : Air Austral et Corsair. Cette dernière pratique une escale à La Réunion dans les deux sens, tandis qu'Air Austral dispose d'un appareil qui lui permet de proposer des vols directs entre Mayotte et Paris. Toutefois en période d'été austral - c'est-à-dire en ce moment - une escale technique à Nairobi est nécessaire compte tenu des limitations techniques liées à la piste de Mayotte. À ce propos, un projet de construction d'une piste longue permettant de garantir la possibilité technique d'effectuer des vols directs entre Mayotte et Paris tout au long de l'année est en cours d'étude.

Enfin pour les liaisons entre Mayotte et La Réunion, trois compagnies proposent des vols, très majoritairement vers l'aéroport Roland Garros : Air Austral, Ewa Air et Corsair. De façon saisonnière, quelques vols sont proposés entre Mayotte et Pierrefonds mais, pour le moment, ils sont suspendus.

Un paysage concurrentiel s'est donc installé sur les lignes desservant les territoires de l'océan Indien.

Les routes aériennes entre la métropole et les départements d'outre-mer ainsi que les routes aériennes entre ces départements sont des liaisons européennes et donc à ce titre, entièrement libéralisées. Toute compagnie française et même européenne peut librement les exploiter sans limitation. Les compagnies n'ont pas besoin d'autorisation spécifique. Une simple notification à la DGAC leur suffit pour débuter leur service, si elles le souhaitent.

L'offre de sièges et les fréquences varient en fonction des périodes et présentent une forte saisonnalité.

Pour La Réunion, durant la saison IATA hiver (qui va d'octobre à mars), on constate une croissance de l'offre de sièges de l'ordre de 9 % par rapport à la période pré-Covid, soit près de 746 000 sièges pour la saison hiver 2022-2023, à comparer à 683 000 sièges pour la saison hiver 2019-2020. Cette évolution est notamment liée à l'augmentation des capacités de French Bee et à la mise en place d'un vol vers Charles de Gaulle par Air France.

Pour la saison IATA été (de mars à octobre), on constate une offre globalement stable, avec 1,2 million de sièges offerts en 2023 contre 1,03 million de sièges en 2019. Sur l'année IATA complète 2022-2023, ce sont donc près de 1,75 million de sièges offerts sur la route Réunion-métropole.

Les fréquences varient entre 24 rotations hebdomadaires sur les semaines les plus creuses à 59 rotations hebdomadaires en période de pointe.

Concernant Mayotte, l'offre de sièges a plus que doublé pour la saison IATA hiver, passant de 35 500 avant la crise sanitaire à plus de 76 000 pour la saison hiver 2022-2023, soit une augmentation de 115 %. Pour la saison IATA été, l'offre à venir serait supérieure de 71 % par rapport à la période pré-Covid, passant de 85 000 en 2019 à 145 000 en 2023.

Cette augmentation forte de l'offre de sièges s'explique par le retour de la concurrence sur cette liaison, avec l'arrivée de la compagnie Corsair.

Les fréquences vont de 6 rotations hebdomadaires pour les semaines les plus creuses à 12 rotations hebdomadaires en période de pointe.

Sur l'année IATA complète 2022-2023, ce sont près de 320 000 sièges qui sont offerts sur la ligne Mayotte-métropole.

Pour les liaisons entre Mayotte et La Réunion, l'offre de sièges a augmenté de 50 % par rapport à la période pré-Covid. Sur la période IATA hiver, le nombre de sièges passe de 94 000 sur la saison hiver 2019-2022 à 139 000 pour 2022-2023. En été, le nombre de sièges passe de 120 000 sièges offerts en 2019 à 179 000 en 2023. Sur une année complète, ce sont près de 320 000 sièges qui sont offerts sur la ligne Mayotte-Réunion.

Les fréquences vont de 9 rotations hebdomadaires pour les semaines les plus creuses à 23 rotations hebdomadaires pour les périodes de pointe.

La liberté tarifaire est la règle pour les transporteurs entre l'Hexagone et les outre-mer. En droit européen, des aménagements tarifaires sont toutefois possibles sous certaines conditions liées à l'imposition d'obligation de service public. De telles obligations de service public ont déjà été fixées pour les liaisons entre l'Hexagone et les régions ultrapériphériques, qui prévoient en particulier des réductions tarifaires obligatoires pour les mineurs, les personnes endeuillées ainsi que des possibilités d'évacuation sanitaire.

La concurrence effective sur les liaisons vers La Réunion, ainsi que la difficulté à  faire la preuve de besoins vitaux pour le développement économique et social de ces territoires, font que le cadre juridique européen ne permet pas de démontrer la proportionnalité d'une mesure imposant des prix maximum, s'il était envisagé une extension des contraintes tarifaires actuelles sur ces liaisons. En l'occurrence, ces besoins vitaux tels que la formation ou la santé, et pour lesquels les prix résultant de l'initiative commerciale des transporteurs peuvent paraître inadéquats, sont pris en compte par les aides sociales instaurées dans le cadre de la continuité territoriale.

En ce qui concerne l'évolution des prix, je laisserai la parole aux compagnies aériennes qui sont les mieux placées pour évoquer leur politique tarifaire. J'apporterai néanmoins quelques éléments de contexte pour comprendre la construction des prix. Cette construction passe d'une part par la compréhension des coûts, et d'autre part par la compréhension de la construction du prix en elle-même. Les structures des coûts sont variables en fonction des tailles de compagnies, des types de routes exploitées ou de services proposés. Néanmoins, une constante reste la part prépondérante du coût du carburant. Ainsi entre les mois de septembre 2021 et septembre 2022, le prix en euros du kérosène a presque doublé.

Un autre élément influençant la construction des prix est l'usage par les compagnies aériennes des techniques de gestion de la recette, connues sous l'appellation yield management, qui conduisent pour un même vol à proposer une multitude de tarifs différents afin de répondre aux attentes et contraintes des voyageurs. Les tarifs varient aussi en fonction de la classe de voyage, mais aussi de la date et de la durée du voyage, des conditions de modification du billet, etc.

La hausse des prix des billets d'avion sur un an peut s'expliquer par une série de facteurs propres à l'ensemble des transporteurs aériens : la hausse générale des coûts liée à l'inflation, notamment les coûts salariaux, la hausse plus spécifique du prix des carburants, l'évolution défavorable de la parité euro-dollar.

Les transporteurs devant faire face à l'augmentation de leurs coûts d'exploitation et disposant d'une trésorerie fragilisée par la crise sanitaire, se retrouvent contraints de reporter au moins en partie, toute hausse sensible de leurs coûts sur le prix du billet. En 2022, on a donc vu les prix des billets augmenter de façon significative par rapport à 2021 pour les liaisons entre la métropole et les territoires de l'océan Indien. Il convient néanmoins de noter que les prix des billets d'avion avaient fortement diminué en 2021 sous l'effet conjugué d'un nouvel entrant sur le marché et des restrictions de voyage liées à la crise sanitaire.

La hausse des prix en 2022 relève d'un effet de rattrapage, étant observé que le niveau des prix actuel est encore inférieur à 2017. La tendance structurelle sur les dix dernières années reste donc une baisse des prix. Pour autant, ces moyennes annuelles ne doivent pas occulter la forte saisonnalité des prix, notamment lors des pics de trafic constatés pendant la période estivale ou celle des fêtes de fin d'année.

En conclusion, un paysage concurrentiel s'est mis en place pour les liaisons entre Mayotte, La Réunion et l'Hexagone. Cette concurrence a contribué à augmenter l'offre de sièges et les fréquences des vols, et à amortir une partie des hausses des coûts d'exploitation par les compagnies aériennes.

M. Normane Omarjee, Conseil régional de La Réunion, vice-président délégué au désenclavement aérien, maritime et numérique. - Notre insularité crée une vulnérabilité de nos territoires, dont il découle un sentiment - avant que ce soit une réalité - d'être dans une situation d'inégalité de traitement par rapport aux Français de l'Hexagone. Je procèderai à un rappel historique pour comprendre la situation.

Dans les années 1990, quand est décidé de créer à La Réunion une société d'économie mixte actionnaire d'une compagnie aérienne, puisque la loi le permet, nous rencontrons une difficulté réelle, non de prix, mais de desserte aérienne continue.

Je mets en parallèle cette situation avec le maritime, où nous n'avons pas de desserte continue à l'heure actuelle, d'où un coût extrêmement important, entraînant un impact sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens.

Par conséquent, le vrai sujet est à la fois ce sentiment de vulnérabilité et d'inégalités réelles et un coût de la vie excessivement important sur notre territoire. Cette problématique se retrouve dans le domaine aérien.

Nous sommes tous attachés au principe d'égalité, d'où découle la notion même de continuité territoriale. Il s'agit d'un beau principe mais qui n'a pas de valeur constitutionnelle. En 2003, le Conseil constitutionnel a affirmé que le principe de continuité territoriale était un corollaire du principe d'égalité, de sorte qu'il ne s'agissait pas en lui-même d'un principe à valeur constitutionnelle. Je vous le dis à vous, législateur : il y a un vrai enjeu de savoir ce que signifie le principe de continuité territoriale. En l'absence d'une telle définition, toutes les discussions sur le pouvoir d'achat seront à mon sens vaines, conduisant à une situation kafkaïenne.

Je veux prendre l'exemple de La Réunion car nos pères fondateurs ont été des visionnaires. Je parle de MM. Pierre Lagourgue et Paul Vergès. Quand ils prennent la responsabilité, en 1990, de créer une compagnie aérienne, Air France était en situation de monopole. Le choix courageux qu'ont opéré ces fondateurs a initialement porté sur une desserte régionale, avant de porter sur une desserte vers l'Hexagone. Ce choix a permis de rétablir la concurrence, avec un impact sur les prix.

Aujourd'hui paradoxalement, la ligne Paris-La Réunion est l'une de celles qui dessert le territoire avec quatre acteurs majeurs, sans que dans la perception du public le prix des billets d'avion ait pu baisser. Je mettrai cependant un bémol sur les prix des billets d'avion car sans être l'avocat des compagnies aériennes, il se trouve que selon le quotidien Le Parisien, qui avait établi une liste des destinations dont les prix avaient diminué au cours des trente dernières années, la ligne La Réunion-Paris a baissé de près de 25 %. C'est la réalité objective. De surcroît, nous connaissons la fragilité du secteur aérien et la vulnérabilité des entreprises qui le composent. Nous l'avons découvert lors du sauvetage d'Air Austral, qui nous a occupés ces dix-huit derniers mois, notamment en constatant les marges qui sont très faibles des compagnies aériennes. Pendant la crise Covid, Air France a bénéficié d'une aide, comme d'autres compagnies.

La question qui nous est posée à mon sens, s'agissant du prix des billets d'avion, a trait à l'égalité entre les citoyens.

Pour répondre précisément aux questions qui m'ont été posées, je suis opposé à l'idée d'un prix fixe car je considère pour ma part qu'il n'aurait pas de sens économique. Nous sommes à la fois attachés au principe de l'égalité de traitement pour rejoindre l'Hexagone et à la prise en compte de la situation économique réelle. Le vrai enjeu est de trouver, à travers le principe de continuité territoriale, une valeur constitutionnelle qui inscrirait les territoires ultramarins et leurs citoyens comme bénéficiant aussi de l'égalité de traitement. Beaucoup d'efforts ont été faits par les collectivités régionales pour pallier la carence de l'État et permettre cette continuité territoriale. Pourtant, telle n'est pas la mission d'une collectivité territoriale : ce que nous dépensons pour la continuité territoriale, nous ne pouvons pas le consacrer aux lycées, par exemple.

En son temps, le président Didier Robert avait consacré 50 millions d'euros à la continuité territoriale, ce qui avait été perçu politiquement comme une bonne mesure. Pour autant, la Chambre régionale des comptes a pointé cette mesure, ce qui a ensuite été confirmé par l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux.

Je pense donc que collectivement, nous devons mener une action. Je vous remercie à cet égard de l'initiative qu'a pris aujourd'hui le Sénat. Quand nous avons sauvé Air Austral, une levée de boucliers quelque peu démagogique a eu lieu sur le prix des billets d'avion. C'est un vrai sujet, ne le nions pas, puisqu'il existe une problématique de pouvoir d'achat sur nos territoires. Or, si nous ne consacrons pas le principe de continuité territoriale, nous resterons en permanence dans le palliatif et le correctif, sans jamais répondre de façon durable aux préoccupations des citoyens des outre-mer d'être des Français à part entière.

M. Joseph Brema, président directeur général Air Austral. - Mesdames et messieurs, merci de votre invitation à cette table ronde. J'avais préparé un document mais l'intervention du représentant de la DGAC en a évoqué la plupart des éléments. Je me contenterai donc de répondre aux points évoqués, notamment sur le rôle d'Air Austral dans la desserte de La Réunion et de Mayotte.

La compagnie Air Austral a été créée en 1990 à l'initiative du docteur Pierre Lagourgue, puis reprise par le président Paul Vergès. Précédemment dénommée Réunion Air Service puis Air Réunion, elle avait pour unique activité la desserte La Réunion-Mayotte dans le cadre d'une obligation de service public. Air Austral était donc la première compagnie à effectuer cette desserte. En 1990, nous avons eu la possibilité de desservir la ligne La Réunion-Paris, aux côtés d'autres opérateurs tels qu'Air France. Néanmoins, la desserte de Mayotte est toujours restée importante pour Air Austral, même après la cessation de l'obligation de service public à la fin des années 1990. Même après cette date, nous avons considéré qu'il était de notre obligation morale, en tant que compagnie aérienne de l'océan Indien, d'assurer la desserte de Mayotte.

En 2016, nous avons consenti un investissement important pour la desserte directe de Mayotte vers Paris, avec l'acquisition d'un Boeing 787-800.

Un élément n'a pas été suffisamment précisé par le représentant de l'aviation civile concernant la desserte de Mayotte. Il faut savoir que l'infrastructure au départ de Mayotte est contraignante pour les compagnies aériennes. En 1990, la piste mesurait 1 500 mètres, ce qui limitait le type d'avion susceptible d'y atterrir. Il n'était donc pas possible d'augmenter les fréquences. Cette situation n'a pas empêché pour autant le développement de la desserte entre Mayotte et La Réunion et entre Mayotte et Paris. Aujourd'hui, la piste mesure 1 900 mètres, ce qui limite encore le type d'appareils.

Les lignes La Réunion-Mayotte et Mayotte-Paris sont soumises au règlement européen permettant à toutes les compagnies basées en Europe de desservir ces lignes. En revanche, la contrainte liée à l'infrastructure aboutit à limiter le nombre d'opérateurs. De plus, le prix du carburant à Mayotte est le double du prix du carburant de La Réunion et de Paris. De ce fait, il est difficile pour une compagnie aérienne d'avoir un niveau de coût du carburant aussi élevé. Cet élément important explique pourquoi au départ de Mayotte, le prix est différent de celui au départ de La Réunion pour Paris. Cette différence est aussi marquée par les quatre opérateurs présents à La Réunion, qui permet d'offrir des tarifs d'appel lorsque la demande est faible.

La desserte directe Mayotte-Paris ne peut être effectuée qu'avec un seul type d'appareil, exploité avec toute sa performance sur une piste de 1 900 mètres. Air Austral a décidé d'augmenter le nombre de fréquences entre Mayotte et Paris à compter de janvier 2023. Ainsi, alors que le programme de vol modulait le nombre de fréquences en fonction de la demande de voyages, soit 6 à 7 fréquences en période de pointe et 3 à 4 fréquences en période creuse, le programme passera à une fréquence quotidienne sur Mayotte-Paris, ce qui permettra d'augmenter le volume de capacités offertes et de répondre à la demande.

Concernant La Réunion-Mayotte, trois opérateurs sont présents : Air Austral, Corsair et Ewa Air. Il n'y a pas de volonté de la part d'Air Austral de gérer la desserte entre Mayotte et La Réunion car la compagnie Ewa Air a sa propre politique commerciale et tarifaire. Par exemple, il existe une offre d'Ewa Air pour un aller-retour La Réunion-Mayotte à 129 euros alors que les tarifs d'Air Austral sont quelque peu supérieurs. Il existe donc une réelle concurrence entre ces deux opérateurs, même si la compagnie Ewa Air est contrôlée à 52 % par Air Austral.

Quant à l'évolution souhaitée par madame la présidente, c'est un point à envisager entre les actionnaires. Je laisserai donc madame la présidente se rapprocher de la Société d'économie mixte de transports aériens (SEMATRA) pour discuter des conditions dans lesquelles cette évolution pourrait intervenir. En tant que gestionnaire de la compagnie Air Austral, je réitère l'assurance que nous n'avons pas d'intervention sur la politique tarifaire d'Ewa Air, qui est libre de fixer son programme et ses tarifs entre La Réunion et Mayotte.

Concernant la continuité territoriale, nous n'avons pas, en tant que, compagnie aérienne, à intervenir dans ce domaine. Il est vrai cependant que c'est un sujet important car le déplacement des biens et des services entre Mayotte et La Réunion et l'Hexagone doit être géré par l'État. Les compagnies aériennes, ayant une activité commerciale, ne pourront pas aller au-delà de ce que les coûts leur permettront. C'est pourquoi si ces coûts sont trop élevés pour la population, il appartiendra à la puissance publique de prendre le relais et de favoriser les déplacements entre ces départements et l'Hexagone.

M. Julien Houdebine, directeur commercial Corsair. - Je commencerai mon propos par souligner que, pour Corsair, il est parfaitement clair que les territoires ultramarins, en l'espèce La Réunion et Mayotte, ont des besoins spécifiques pour le transport aérien. Pour ces territoires, le transport aérien n'est pas un luxe ni un loisir, c'est clairement un bien de première nécessité. C'est pourquoi nous travaillons avec les antennes locales de LADOM dans le cadre de la continuité territoriale.

Notre rôle en tant que transporteur aérien est d'assurer la qualité des liaisons entre ces territoires et l'Hexagone. Nous nous attachons par conséquent à améliorer, année après année, la qualité de la desserte. Il y a quelques années, notre flotte était encore composée de Boeing 747. Nous dépassions alors peu souvent le vol quotidien vers La Réunion. En outre, nous étions empêchés d'opérer sur Mayotte.

Pendant la crise du Covid, nous avons renouvelé notre flotte en acquérant des Airbus A330, qui nous permettent à la fois d'offrir une meilleure qualité de produits, puisqu'il s'agit d'A330 NEO exclusivement, qui opèrent vers La Réunion et Mayotte. De plus, ces appareils favorisent l'augmentation des fréquences. De ce fait, les dessertes de La Réunion sont a minima en vols quotidiens et peuvent monter jusqu'à 12 fréquences par semaine au départ de Paris, sans compter les deux fréquences par semaine au départ de Lyon et Marseille vers La Réunion. Pour certains d'entre eux, ces vols poursuivent vers Mayotte trois fois par semaine toute l'année et quatre fois en période de pointe durant l'été, afin d'assurer un vol La Réunion-Mayotte-La Réunion. L'objectif est de commercialiser les flux entre l'Hexagone et Mayotte mais également d'assurer les liaisons entre La Réunion et Mayotte.

Comme cela a été souligné, nous sommes contraints par les infrastructures à Mayotte, et opérons exclusivement via La Réunion. Nous souhaiterions pouvoir opérer en direct, mais notre type d'appareil ne permet pas les liaisons directes Mayotte-Paris, la piste étant trop courte. C'est plus une contrainte qu'un choix.

Par ailleurs, il a été fait état d'une forme d'entente entre Air Austral et Corsair. Je m'inscris en faux contre cette assertion. Bien évidemment, il n'existe aucune entente mais des discussions pour des accords commerciaux qui n'ont pas été mis en oeuvre. En revanche, la desserte de Mayotte a été suspendue pendant trois mois de décembre 2021 à avril 2022, ce qui a conduit Corsair à affréter plusieurs compagnies pour assurer la liaison entre La Réunion et Mayotte. Cette situation était uniquement due à des contraintes purement opérationnelles de Corsair. C'est pourquoi nous avons affrété pour commencer Ewa Air, puis une compagnie européenne qui a assuré des liaisons pour notre compagnie pendant près de deux mois, avant de conclure un accord opérationnel avec Air Austral. Par conséquent, il ne faudrait pas interpréter cette suspension temporaire comme une entente et une manière de ne pas se faire concurrence car tel n'est absolument pas le cas. La concurrence vers Mayotte et La Réunion existe et a eu pour conséquence de faire baisser les prix dans le temps pour nos clients, tant à La Réunion qu'à Mayotte.

En d'autres termes grâce à l'arrivée de Corsair à Mayotte, les prix sur la liaison La Réunion-Mayotte et depuis Paris ont baissé par rapport à la situation précédente. Tel est également le cas pour La Réunion sur une période longue depuis vingt ans, et même sur une période courte. Aujourd'hui, les prix d'appel sont inférieurs à ceux de 2013 à 2015, époque où le carburant était déjà élevé avant de baisser dans les années 2016-2017, ce qui a coïncidé avec une baisse des prix.

Corsair s'attache à développer la qualité de la connectivité entre l'Hexagone et ces territoires. La concurrence est réelle. Pour autant, nous devons faire face à un contexte d'augmentation des coûts. Pour une compagnie long courrier avant la hausse, le carburant représente environ 30 % des dépenses totales. Or le prix du carburant a doublé en dollars depuis l'an dernier, ce qui a occasionné une hausse de 30 % des prix en raison du seul effet fuel. À cela s'ajoute l'effet dollar, qui s'est apprécié par rapport à l'euro à un niveau historiquement fort. Sachant que les coûts d'une compagnie aérienne en dollars pèsent jusqu'à 60 % des coûts totaux et que l'ensemble des prix des pièces et matières premières augmentent, il nous faut répercuter cette augmentation.

De plus, comme l'a dit fort justement Normane Omarjee, les compagnies aériennes ont de faibles marges, quand elles en ont ! Nous nous attachons donc à les restaurer depuis la crise de la Covid, mais l'équilibre reste fragile. Nous nous trouvons donc dans l'obligation de répercuter la hausse des coûts, sachant que les tarifs actuels ne sont pas plus élevés que ceux pratiqués il y a quelques années, à un niveau comparable de prix du carburant. Finalement, on ne retrouve pas dans les prix aériens actuels une inflation des prix connus sur l'ensemble des biens de consommation.

Nous sommes bien conscients du fort besoin de continuité territoriale. Nous travaillons donc avec les antennes de LADOM pour appliquer les bons de réduction prévus par les dispositifs. Le changement de mode de soutien de la région Réunion coïncide malheureusement avec l'augmentation de coûts et des prix, ce qui induit un « effet de ciseau » sur les résidents de La Réunion et de Mayotte. Néanmoins, la mise en place d'un système de prix fixe ne nous paraît pas tenable économiquement. Une compagnie aérienne ne saurait se substituer aux pouvoirs publics pour assurer des mécanismes de continuité territoriale.

Nous nous attachons à développer la qualité du produit et des liaisons. Nous en voyons les effets bénéfiques en termes de prix et de développement de l'offre, qui est plus importante qu'avant la crise dans le sens Paris-La Réunion (+ 8% en 2022). La problématique du soutien reste entière, mais la modération des prix ne peut être le fait des compagnies aériennes.

M. Charles-Henry Strauss, directeur des affaires juridiques French Bee. - Un certain nombre de points ayant été évoqués durant les interventions, j'éviterai d'être redondant.

La concurrence est là, elle existe depuis des années et elle a tendance à tirer les prix vers le bas. Le modèle économique de French Bee l'a conduit à offrir les meilleurs tarifs à ses passagers. Nos avions sont modernes et hautement densifiés pour pratiquer les tarifs les plus bas.

Je souhaiterais attirer l'attention sur les coûts supportés par les compagnies aériennes. Nous avons évoqué abondamment le coût du fuel. Julien Houdebine a abordé la maintenance, qui, dans le contexte inflationniste actuel, explose par rapport à l'an dernier (+ 4 à 5 %). L'augmentation du dollar entraîne également un impact important. J'ajouterai que les différentes taxes et redevances supportées par les compagnies aériennes ont considérablement cru, à l'instar de la redevance de survol de l'Hexagone (+ 25 % en 2022) et des redevances aéroportuaires. Dans ce contexte de coûts très élevés, les compagnies aériennes ne sont pas toujours en mesure de proposer des tarifs attractifs pour le plus grand nombre.

Concernant la continuité territoriale, le dispositif avec LADOM fonctionne bien. La réforme de 2021 a entraîné un effet positif puisque le nombre de bons est en croissance. French Bee est partisan de ce type d'aides plutôt que de la mise en place d'un tarif imposé, qui de surcroît ne serait pas conforme au droit européen, sans compter qu'il serait très complexe à mettre en oeuvre pour les compagnies aériennes. C'est pourquoi nous militons pour le renforcement des dispositifs existants. Il pourrait être également intéressant de flécher des aides majorées selon la saisonnalité.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Merci à tous pour vos contributions. Je crois qu'il n'y a même plus de questions à poser tant les exposés ont été clairs et détaillés. Les propos de ce jour légitiment la mission que nous avons déclenchée. Il conviendra donc de mettre en place des dispositifs adaptés à la réalité de chacun des territoires. Je découvre aujourd'hui le fait qu'il y ait une telle activité entre Mayotte et La Réunion, de même que les problèmes de la piste de Mayotte. Je l'ai dit précédemment sous forme de boutade, mais il m'apparaît que notre mission pourrait soulever un grand nombre de « lièvres ». L'inégalité est là, bien visible dans la discontinuité territoriale. Comme l'offre de soin et de formation, le voyage devient un élément vital. Il est donc indispensable de rétablir l'équité entre tous les citoyens des territoires français, pour que tous aient un accès aux déplacements le plus équitablement possible.

Les éléments fournis par la région Réunion sur les aspects légaux et réglementaires du transport nous permettront de réfléchir à des ajustements législatifs, au-delà des propositions d'organisation. Notre mission arrive au bon moment, puisque LADOM est en pleine réforme, avec une nouvelle présidence et une nouvelle direction. Lors de la rencontre d'hier entre parlementaires de la Martinique et le ministre délégué aux outre-mer, j'ai demandé à ce dernier de bien vouloir « libérer » LADOM pour lui permettre d'être auditionnée par la délégation. Nous aurons en effet la nécessité d'ajouter des éléments de réforme issus de notre mission dans la réforme à venir de LADOM, notamment pour tenir compte des spécificités des territoires et de la baisse démographique dans certains outre-mer. D'ailleurs, les questions démographiques et celles du retour des ultramarins vers leur territoire d'origine devront aussi peser dans les réflexions concernant LADOM.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - Je ne voudrais pas être redondant avec Catherine Conconne, mais je remercie vivement les intervenants de leurs différents exposés. Nous constatons combien la mobilité est un sujet majeur entre les territoires ultramarins et l'Hexagone, tout comme il peut l'être aussi en métropole entre les territoires ruraux et urbains. La mobilité est essentielle pour l'intégration dans la société, que ce soit pour l'accès aux soins ou pour l'accès aux études et au travail.

Les différentes interventions ont mis en lumière la nécessité pour l'État d'être le garant de cette égalité d'accès, de cette équité qui est toujours complexe à trouver pour rendre le droit à la mobilité effectif et efficient. Au Sénat, nous défendons le principe de différenciation et de territorialisation des solutions. Vous avez évoqué l'action de LADOM, qui est appelée à évoluer.

La jurisprudence de la Cour administrative d'appel de Bordeaux prévoit que la compétence n'appartient pas aux collectivités locales. Pour autant, nous avons bien pris note que ces collectivités intervenaient malgré tout. Je voudrais savoir si la mobilité représente un vrai sujet politique et de débat public à l'approche des échéances dans les territoires. Comment est-ce pris en compte sur le terrain ?

Mme Vivette Lopez. - J'ai l'exemple de quelqu'un qui habite à l'île de La Réunion. Alors qu'il pouvait bénéficier de la continuité territoriale chaque année, la fréquence est passée à tous les trois ans. Or, il est actuellement très compliqué de remplir le dossier demandé : en cas d'erreur, il semple que le dossier soit rejeté de sorte qu'il est nécessaire d'attendre trois ans supplémentaires pour bénéficier de la continuité territoriale. Qu'en est-il exactement ?

Mme Lorraine Nativel. - Je voudrais rassurer madame la sénatrice. Lorsqu'un dossier comporte une erreur, il n'est pas rejeté. Généralement, les services de LADOM et de la région se tournent vers l'usager pour lui demander de rectifier l'erreur ou de compléter le dossier. Le délai d'attente de trois ans n'a cours que lorsqu'un bon a été émis. J'invite donc le jeune homme à reprendre contact avec LADOM pour que son dossier soit à nouveau instruit.

Mme Nassimah Dindar. - Je félicite mes collègues pour le bien-fondé de cette mission. Nous avons eu en effet la chance d'avoir des éclairages importants, notamment sur le fait que la continuité territoriale ne serait pas un principe constitutionnel. Je remercie tous les intervenants pour leurs apports très pertinents à cette audition.

Je retiens que le transport aérien est une primordiale nécessité au regard de l'égalité citoyenne pour tous les Français. Nous l'actons aujourd'hui afin que ce bien commun soit égal et partagé entre les Français hexagonaux et les Français des outre-mer.

Je retiens en outre que la mission des compagnies aériennes est avant tout d'apporter de la desserte de qualité et d'être viable économiquement. En raison des problèmes de prix, les modes de soutien de l'État doivent accompagner toutes les compagnies aériennes et les collectivités, tout comme ils doivent apporter aux territoires les moyens nécessaires d'avoir les infrastructures adaptées.

Je retiens également que cette mobilité égalitaire ne doit pas se faire uniquement entre nos territoires et l'Hexagone mais aussi entre les territoires ultramarins. Je suis favorable à ce que la mobilité entre Mayotte et La Réunion soit mieux accompagnée. Un Réunionnais doit pouvoir se rendre à Mayotte de manière plus égalitaire et vice-versa. C'est donc un point politique que je souhaiterais voir inscrit dans notre rapport.

Tant mieux s'il existe des accords commerciaux entre compagnies aériennes, à la condition qu'ils interviennent au bénéfice des usagers. C'est pourquoi les politiques doivent admettre que les compagnies puissent être aidées et que les collectivités soient accompagnées dans leurs aides aux usagers. Enfin, il importe que ces derniers bénéficient de subventions pour faire face aux coûts des tarifs aériens car je partage tout à fait l'idée qu'un tarif fixe ne serait pas tenable.

En définitive, nous devons aider les citoyens dans leur mobilité entre les territoires de la France indivisible, qu'elle soit hexagonale ou d'outre-mer.

M. Gérard Poadja. - Il est important que la mission mène un réel travail sur les compétences de chaque collectivité, afin d'éviter des décisions de justice telles que celle de la Cour administrative d'Appel de Bordeaux.

Je note que parfois, nous rencontrons des difficultés purement techniques, avec des pistes d'aéroport non adaptées. De plus, tous les territoires n'ont pas la chance d'avoir plusieurs compagnies aériennes présentes, de sorte que le monopole reste la règle en bien des endroits. Il serait donc intéressant de tenir compte de cette situation.

Enfin, comme j'ai pu l'indiquer au Sénat en séance publique, nous rencontrons des difficultés inter-îles mais aussi pour nous rendre dans l'Hexagone. Un joueur de football originaire de mon territoire, récemment décédé en métropole, n'a pu être rapatrié facilement en raison d'un gros problème de liaisons. Je souhaiterais donc que le rapport insiste sur cet élément. À qui les citoyens doivent-ils s'adresser en matière de continuité territoriale, aussi bien dans l'Hexagone que dans les outre-mer ?

Merci à la délégation aux outre-mer, qui accomplit un travail très important pour nos compatriotes des outre-mer, qu'ils se trouvent encore sur ces territoires ou qu'ils résident dans l'Hexagone. Il est également important pour nous, élus mais également citoyens, de connaître les difficultés rencontrées par les compagnies aériennes.

Mme Victoire Jasmin. - Je souhaite simplement insister sur le fait que pour les usagers à titre individuel et les entreprises, les difficultés de la formation continue sont très importantes. Nous devons donc les prendre en compte.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je rejoins Gérard Poadja sur la continuité intérieure, qui représente un vrai problème dans les archipels.

J'apporterai une précision sur les aides de LADOM, actuellement versées sous forme de bon fixe représentant 40 % du prix du billet, mais qui ont été déterminées au moment de la mise en place du dispositif. Actuellement, ces aides ne tiennent pas compte de la variation des prix. J'ai donc attiré l'attention du ministre dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFR), en lui demandant la possibilité de revoir ces aides. Il conviendrait de faire en sorte que ces aides représentent de façon effective 40 % du prix du billet, ce qui permettrait aussi de régler la problématique de la saisonnalité. Le ministre était tout à fait ouvert à cette discussion et à une révision du régime de LADOM. Nous aurons donc des propositions à faire dans le cadre de cette révision.

M. Guillaume Chevrollier. - Quelle est la part de résidents ultramarins sur vos lignes par rapport aux autres voyageurs ? Disposez-vous de statistiques précises ?

M. Charles-Henry Strauss. - Je n'ai pas la réponse mais je vous la transmettrai.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Pensez-vous qu'il soit réalisable de créer sur les territoires des petits pôles de maintenance, qui permettraient d'une part de créer de l'emploi, de développer de la technologie et d'autre part, de diminuer les coûts ?

M. Charles-Henry Strauss. - La maintenance s'effectue sous plusieurs formes. La maintenance en ligne, qui est légère, est celle effectuée à chaque escale au départ d'Orly ou à l'arrivée à La Réunion. En revanche pour la maintenance lourde, il n'existe pas d'atelier sur les territoires. Nous conduisons donc nos avions aux endroits où il y a de la place. Par conséquent, il pourrait être intéressant de développer la maintenance lourde.

M. Julien Houdebine. - Je rebondis sur l'aspect emploi. Localement, nous avons nos équipes commerciales et d'aéroport pour la maintenance légère. Nous employons une base de personnel naviguant à La Réunion, ce qui représente 40 personnes. Corsair dépasse ainsi son simple rôle de transporteur pour développer autant que possible l'emploi localement.

M. Joseph Brema. - Dans le cadre de la loi de finances 2022, a été accordée aux compagnies aériennes basées dans les outre-mer la possibilité de défiscaliser les avions long-courrier. Cette possibilité s'accompagne de la création de centres de maintenance basés dans les outre-mer. Par conséquence, il est vrai qu'en fonction du type de maintenance, il existe la possibilité pour les compagnies basées dans les outre-mer de créer des emplois et de développer sur place de la technologie pour atténuer le coût de maintenance. Aujourd'hui pour Air Austral, qui exploite des avions gros porteurs, les avions sont immobilisés dans les centres de maintenance européens, ce qui représente des coûts importants.

Je souscris donc à cette volonté de créer dans les outre-mer des centres de maintenance, en fonction du type de maintenance.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie pour cet éclairage. Je vous précise qu'une prochaine audition avec LADOM est prévue le 16 février prochain.

Mardi 31 janvier 2023

- Présidence de M. Stéphane Artano, président puis de Mme Micheline Jacques, vice-présidente -

Audition thématique centrée sur le bassin de l'océan Pacifique - la  Polynésie française

M. Stéphane Artano, président. - Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, chers collègues, dans le cadre de son étude sur la continuité territoriale, dont les rapporteurs sont Catherine Conconne et Guillaume Chevrollier, nous faisons ce matin escale en Polynésie française après l'océan Indien la semaine dernière. Ces tables rondes géographiques sont indispensables à nos yeux pour saisir la diversité et la complexité des situations, et pour élaborer des propositions concrètes d'amélioration.

Étant actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon, je suis la présente table ronde en visioconférence, mais je tiens à remercier les participants pour cette audition particulière.

Notre vice-présidente Micheline Jacques, que je remercie très chaleureusement, animera à Paris cette réunion en vous donnant bientôt la parole, mais je tiens à saluer dès à présent :

- le représentant du gouvernement de la Polynésie française, M. Jean-Christophe Bouissou, ministre du logement, de l'aménagement en charge du transport interinsulaire ;

- M. Marc Houalla, directeur du Service d'État de l'aviation civile (SEAC) en Polynésie française ;

- M. Manate Vivish, directeur général d'Air Tahiti ;

- M. Michel Monvoisin, président-directeur général d'Air Tahiti Nui.

Messieurs, nous vous remercions vivement pour votre disponibilité et vos éclairages. Bonne audition à tous !

Je cède la parole à Micheline Jacques, vice-présidente de la délégation outre-mer et sénatrice de Saint-Barthélemy.

- Présidence de Mme Micheline Jacques, vice-présidente -

Mme Micheline Jacques, présidente. - Messieurs, vous allez donc avoir la parole à tour de rôle dans l'ordre que le président Stéphane Artano vient d'énoncer pour une dizaine de minutes chacun, afin de présenter vos observations en vous appuyant sur le questionnaire qui vous a été envoyé. Vous pourrez aussi nous transmettre ultérieurement d'autres précisions par écrit. Ensuite, les rapporteurs interviendront pour vous demander certaines précisions, puis ce sera au tour de nos autres collègues.

M. Jean-Christophe Bouissou, vice-président de la Polynésie française, ministre du Logement, de l'Aménagement en charge du transport interinsulaire. - Au nom du président Édouard Fritch, de l'ensemble des membres du gouvernement et en ma qualité de vice-président de la Polynésie française, je vous adresse mes salutations, Monsieur le président, ainsi qu'à l'ensemble des membres de votre délégation.

Je suis ravi que nous partagions ce temps d'échange pour évoquer cette importante question qu'est la continuité territoriale entre notre Pays et l'Hexagone, distant de quelque 17 000 kilomètres.

Je souhaite également saluer Michel Monvoisin, président-directeur général d'Air Tahiti Nui, Manate Vivish, directeur général d'Air Tahiti, et Marc Houalla, directeur du SEAC.

La Polynésie française dispose de plusieurs compagnies aériennes qui desservent le Pays. Parmi elles, trois entrent dans le cadre des questions liées à la continuité territoriale : Air Tahiti Nui, Air France et French Bee.

Vous nous demandez si nous estimons que la fréquence des liaisons aériennes entre l'Hexagone et la Polynésie française est satisfaisante. La grille des fréquences est établie par les compagnies aériennes en fonction du marché polynésien et du marché touristique depuis l'Hexagone et d'autres pays. Les avions qui arrivent de Paris transitent par les États-Unis via Los Angeles, San Francisco ou encore depuis l'État de Washington.

Comparativement à 2020, année marquée par la crise du Covid, le pays enregistre une légère augmentation des fréquences avec un vol supplémentaire par semaine. En nombre de sièges, nous constatons que la Polynésie française est, en fonction de la saisonnalité, bien desservie par les trois compagnies aériennes locales déjà citées.

Cependant, la concurrence est forte, depuis l'ouverture du ciel aérien polynésien, en particulier sur des destinations régionales des États-Unis. L'arrivée récente de Delta Air Lines, de United Airlines et d'Hawaiian Airlines engendre une émulation et révèle le grand intérêt de nouvelles compagnies pour desservir la Polynésie française.

Vous nous demandez également si nous avons réalisé des tests de marché des compagnies qui desservent la Polynésie française. Comme vous le savez, les études de marché sont généralement effectuées par les compagnies elles-mêmes. Récemment, Delta Air Lines a demandé des droits de trafic sur la Polynésie française. C'est à la suite d'un travail d'analyse et d'étude fourni par la compagnie que cette demande a été examinée. Bien entendu, des discussions ont eu lieu au sein du gouvernement et avec les compagnies existantes pour évaluer la manière dont ces compagnies allaient absorber cette concurrence - sachant que nous souhaitons qu'Air Tahiti Nui, Air France et French Bee ne pâtissent pas de cette concurrence nouvelle. Je précise que ces nouvelles compagnies possèdent également d'autres réseaux fonctionnant à partir de plusieurs États américains vers l'Europe. Ils constituent également une concurrence indirecte pour nos compagnies.

S'agissant de la question n° 3 « Des obligations de service public ou des délégations de service public sont-elles en place sur certaines lignes vers ou au départ de Papeete ? Si oui, quelles sont-elles ? », je vous réponds qu'il n'existe pas aujourd'hui de délégation de service public (DSP) sur la desserte internationale, ni entre la Polynésie française et l'Hexagone. Une tentative de création d'une DSP entre la Polynésie française et la France métropolitaine a été initiée en 2020 par le Gouvernement de l'époque mais le Conseil d'État a annulé cette décision suite à une contestation.

En revanche, il existe une DSP locale car la Polynésie française, qui compte 78 îles habitées, est plus vaste que l'Europe. Son étendue nécessite, d'une part, de se déplacer en avion et, d'autre part, de maintenir certaines lignes déficitaires. Je laisse le soin au directeur général d'Air Tahiti Nui de développer ce point un peu plus tard. Cette DSP, mise en place par le gouvernement, permet de maintenir ces lignes sur 34 aéroports du territoire, tandis que les autres restent dans le domaine concurrentiel. Je reviendrai en détail sur ce point à l'occasion de votre question spécifique sur le sujet.

Vous souhaitez également des précisions sur les dispositifs relatifs à la continuité territoriale et le transport de passagers par voie aérienne et, par ailleurs, des informations sur la part du prix total d'un billet d'avion en moyenne. L'État met en place une aide à la continuité territoriale très appréciée des passagers. Elle est consentie à des familles dont le revenu est modeste et inférieur à un plafond déterminé. Mis en place en 2022, le budget de cette aide a été entièrement consommé. Il permet de prendre en charge quelque 40 % du prix d'un billet d'avion aller/retour, soit 76 000 francs Pacifique (soit 640 euros). Je précise que depuis la réouverture du ciel aérien polynésien, les prix des billets ont augmenté sous l'effet de la hausse de celui du baril de jet fuel. En sens inverse, la baisse de ce dernier qui a été constatée depuis octobre dernier ne semble pas avoir été répercutée sur le prix des billets. Par ailleurs, la plupart des compagnies aériennes, dont Air Tahiti Nui, n'ont pas répercuté la hausse du prix du baril depuis son envolée. Ce constat explique sans doute l'absence de baisse du tarif des billets d'avion.

Pour revenir à la question de la continuité locale, le ministère polynésien de l'éducation soutient également les étudiants non boursiers. Ces derniers bénéficient de l'aide de 40 % du prix d'un billet d'avion aller/retour, applicable aux étudiants et consentie par les compagnies aériennes locales. Je souligne également que l'État devrait augmenter cette aide à la continuité territoriale de manière substantielle au cours de l'année 2023. Je crois que les populations cibles devraient apprécier cette augmentation à hauteur de 111 000 francs Pacifique (soit 935 euros). Bien entendu, cette hausse nécessitera une augmentation du budget.

Vous nous interrogez également sur l'action de l'État, qui gère ces aides sur notre territoire, et vous nous demandez si la réforme des aides intervenue en 2021 nous paraît pertinente. Par ailleurs, vous nous demandez si LADOM intervient sur notre territoire et à quel titre.

Sur ce dernier point, LADOM intervient, en effet, via le dispositif du pôle de continuité territoriale mis en place par l'État et qui assure le suivi et le traitement des dossiers des passeports mobilité études  (PME). Au niveau local, ce dispositif compte une cellule de cinq personnes avec une déconcentration de la prise en charge des demandes, notamment pour les îles Sous-le-Vent et les îles Marquises. Ce dispositif fonctionne bien.

En complément de ce dispositif, le gouvernement polynésien a également créé un dispositif dédié aux boursiers polynésiens depuis leur île de résidence jusqu'à l'Hexagone. Cette mesure vise à prendre en charge 100 % du prix des billets d'avion et le remboursement des billets entre leur île d'habitation et Tahiti, où se situe l'aéroport international. Nous pensons que le dispositif d'État pourrait être amélioré s'il ouvrait le passeport mobilité et la mobilité territoriale depuis le lieu de résidence des Polynésiens. En effet, une personne vivant, par exemple, aux îles Marquises doit prendre un vol domestique pour se rendre à Papeete. Le coût du billet aller/retour pour ce trajet est d'environ 600 euros - somme non négligeable au regard du pouvoir d'achat de nombre de Polynésiens.

Encore une fois, je souligne que ce dispositif fonctionne bien et je salue le travail réalisé par les services du Haut-Commissariat localement, puisque le traitement des dossiers est d'environ dix jours, ce qui est très court. Des procédures dématérialisées permettraient sans doute de réduire encore ce délai, notamment pour les populations résidant dans les îles. Je précise que toutes les îles principales bénéficient d'un réseau internet à haut débit, ce qui constitue un bon outil pour rapprocher les populations des administrations et des administrations d'État.

Vous nous avez transmis une série de questions portant sur les collectivités locales. S'agissant de la question n°6 « Votre collectivité met-elle en place des aides à la continuité territoriale en complément ou indépendamment des aides de l'État ? Si oui, préciser les modalités et les montants de ces aides. Comment ce dispositif territorial cohabite-t-il avec celui de l'État ? », je vous informe que la Polynésie française ne dispose pas d'aides à la continuité territoriale. Une continuité territoriale qu'il faut entendre au sens d'un dispositif de droit commun qui permettrait à chacun, même sous condition de ressources, de bénéficier de tarifs préférentiels pris en charge par la collectivité. D'ailleurs, un projet de ce type porté par La Réunion a été rejeté par le Conseil d'État. Nous avons donc bien compris qu'un dispositif de ce type ne pouvait pas être porté par une collectivité territoriale.

En revanche, suite à la crise sanitaire, nous avons mis en place depuis deux ans une DSP, au motif que notre compagnie locale Air Tahiti ne pouvait plus assumer les pertes engendrées par certaines lignes, alors que les lignes profitables venaient jusqu'alors compenser les pertes de ces lignes (au départ de 34 aéroports sur les 47 aéroports que compte le pays).

Bien entendu, nous sommes convenus avec la compagnie que cette situation n'était pas admissible. Nous avons donc travaillé afin de mettre en oeuvre un fonds de continuité territoriale. Ce dernier est alimenté par une contribution sur chaque billet d'avion payé par l'ensemble des passagers selon deux tarifs différenciés : un tarif pour la zone de libre concurrence et un tarif pour la zone des îles les plus éloignées. Aujourd'hui, ce fonds permet d'équilibrer les 34 lignes déficitaires et principalement les lignes qui desservent les îles Marquises, Tuamotu et Australes. Je précise également que dans le cadre de ce dispositif, le niveau tarifaire et les fréquences sont fixés par un arrêté du gouvernement. En fonction de la situation, ces mesures peuvent être révisées annuellement. La compagnie peut, quant à elle, décider de fixer des tarifs moins élevés.

La situation du fonds nous permet, en concertation avec la compagnie, d'entrevoir pour l'année 2023 une baisse des tarifs sur les lignes qui desservent les îles éloignées et une augmentation de la fréquence des vols pour ces îles qui souhaitent se développer ou développer le tourisme. Aujourd'hui, ce fonds dispose de 10 millions d'euros environ.

Au départ, je rappelle qu'il a été en partie subventionné par le Pays. Aujourd'hui, grâce aux recettes de la contribution, cela fonctionne bien. Cependant, j'ai récemment sollicité, au nom de la Polynésie française, l'État pour qu'il participe à l'alimentation de ce fonds. Notre président Édouard Fritch a transmis ce courrier à l'État il y a quelques jours. Par ailleurs, j'ai rencontré il y a quelques mois Jean-Baptiste Djebbari, ministre des transports alors en fonction, pour lui demander si l'État pouvait nous accompagner afin que nous puissions agir davantage pour une baisse tarifaire sur les destinations très éloignées de Papeete. Je tenais donc, Monsieur le président, mesdames et messieurs, à vous informer de cette démarche, qui participe, selon nous, dans le cadre de cette DSP, à la continuité territoriale.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie Monsieur le ministre, pour vos propos très complets et très éclairants. Je cède la parole à Monsieur Marc Houalla, directeur de l'aviation civile en Polynésie française.

M. Marc Houalla, directeur du SEAC en Polynésie française. - Mesdames et Messieurs les sénateurs, Monsieur le ministre, Messieurs les directeurs des compagnies aériennes, Mesdames et Messieurs, je tiens d'abord à vous remercier, et particulièrement à remercier la Délégation sénatoriale aux outre-mer pour son invitation à participer à cette table ronde consacrée à la continuité territoriale entre l'Hexagone et la Polynésie française. Je suis en compagnie de Charles Peretti, directeur adjoint du SEAC Polynésie française.

Je vous rappelle brièvement les missions du SEAC en Polynésie française. Notre rôle est triple, puisque nous exerçons les prérogatives de l'Autorité de surveillance en matière de sécurité aérienne et de sûreté pour l'ensemble de la Polynésie française. Nous veillons également à ce que les opérateurs de l'écosystème aéronautique respectent et appliquent la réglementation en matière de sécurité et de sûreté et nous les accompagnons dans les éventuelles actions correctives qu'ils doivent mettre en oeuvre. Par ailleurs, je représente le Haut-commissaire ainsi que le directeur de l'aviation civile pour les missions régaliennes dans ce domaine, notamment en matière de sûreté, d'environnement et d'obligations économiques dans l'accompagnement de la filière aéronautique. Enfin, et c'est une particularité propre à la Polynésie française, le SEAC Polynésie française est également chargé des services du contrôle aérien.

Je vous propose de présenter quelques éléments du contexte aérien entre la zone Polynésie française et l'Hexagone. Ensuite, je partagerai avec vous une description rapide des infrastructures existantes et je vous décrirai la perception que nous avons de l'offre actuelle des transports ainsi que des tarifs appliqués.

S'agissant des infrastructures aéroportuaires et leurs trafics, la Polynésie française dispose d'un aéroport international et un maillage extraordinaire de 46 aéroports commerciaux domestiques pour un territoire de la taille de l'Europe. Ces infrastructures sont stratégiques pour la collectivité et le territoire et garantissent la continuité territoriale entre l'Hexagone et nos îles.

En termes de trafic, l'année 2022 a connu une forte reprise du trafic, bien au-delà des attentes. Cette hausse a été principalement portée par une augmentation des liaisons : Air France et United Airlines sont passées de 3 à 5 liaisons hebdomadaires, arrivée de Delta Air Lines avec 3 liaisons hebdomadaires entre Papeete et Los Angeles et une nouvelle desserte d'Air Tahiti Nui vers Seattle.

Je vous propose une description rapide du paysage concurrentiel et je vous communiquerai quelques chiffres sur l'évolution de l'offre de sièges et les fréquences en distinguant le trafic entre Papeete et l'Hexagone, et entre Papeete et les territoires de la Polynésie française.

S'agissant de la liaison Papeete/Hexagone, 3 compagnies aériennes (Air Tahiti Nui, Air France et French Bee) proposent des vols entre Tahiti et Paris avec une saine concurrence : 11 fréquences hebdomadaires entre Papeete et Paris, soit 4 400 sièges par semaine (Air France propose 5 fréquences, Air Tahiti Nui 4 fréquences et French Bee 2 fréquences). Je souligne que l'offre actuelle est supérieure à la période pré-Covid (9 fréquences en 2019). Le rebond du trafic aérien est donc très favorable et bénéfique aux Polynésiens.

À cette offre entre Papeete et Paris, il faut ajouter le renforcement de la ligne entre Papeete et Los Angeles avec l'arrivée de United Airlines et de Delta Air Lines qui permettent de déposer, via Los Angeles et San Francisco, des passagers entre Papeete et Paris.

Concernant le trafic entre Papeete et les territoires de la Polynésie française, 12 aéroports appartiennent au secteur de la libre concurrence et 34 autres sont desservis à travers une DSP du pays. La compagnie Air Tahiti est attributaire de la DSP financée par le Pays à hauteur de quelque 10 millions d'euros. Sur la zone de libre concurrence, Air Tahiti sera désormais en compétition avec Air Moana à partir de février 2023 et, potentiellement au cours de l'année 2023, avec Motu Link Airline. Cette compagnie a, en effet, déposé une demande de certificat de transporteur aérien auprès de nos services. Ainsi, sur le segment le plus porteur et le plus concurrentiel, trois compagnies pourraient opérer dans les prochains mois contre une seule aujourd'hui.

Sur le segment Papeete/territoire de la Polynésie française, le trafic domestique a rapidement retrouvé un niveau proche de celui de 2019 dès le début de l'année 2022, notamment grâce à des incitations financières favorables du pays à destination des populations locales. Le trafic domestique était en 2019 de 750 000 passagers, en 2020 de 420 000 passagers et en 2021 de 518 000 passagers. En 2022, il devrait être supérieur à celui de 2019.

S'agissant des tarifs, la liberté tarifaire est la règle pour les transporteurs entre l'Hexagone et les territoires ultramarins. Sous certaines conditions, des aménagements tarifaires sont cependant possibles en droit européen. Ces conditions sont notamment liées à l'obligation de service public prévue par le droit européen. De telles obligations ont déjà été fixées pour les liaisons entre l'Hexagone et les régions ultrapériphériques. Elles prévoient en particulier des réductions tarifaires obligatoires pour les mineurs, les étudiants, les personnes endeuillées et des évacuations sanitaires. La concurrence effective sur les liaisons vers Tahiti et la difficulté à démontrer des besoins vitaux pour le développement économique et social de ces territoires font que le cadre juridique européen ne permet pas de justifier la proportionnalité d'une mesure imposant des prix maximum, si une extension des contraintes tarifaires actuelles devait être envisagée sur ces liaisons.

En l'occurrence, ces besoins vitaux qui sont réels, telles la formation ou la santé, sont bien pris en compte par les aides sociales instaurées dans le cadre de la continuité territoriale. Ainsi, pour un billet aller/retour, la part de la continuité territoriale est d'environ 40 % et pour un aller simple, les données du Haut-Commissariat font état d'une aide représentant 80 % à 90 % du prix. Cette part peut évoluer selon le choix de la compagnie aérienne et la saisonnalité. L'enveloppe annuelle allouée pour financer ces dispositifs du fonds de continuité territoriale en Polynésie française s'élève à 1,1 million d'euros. Sur l'exercice budgétaire 2022, le pôle de continuité territoriale du Haut-Commissariat a consommé 100 % des crédits en Polynésie française, notamment pour les jeunes en formation et les étudiants. Toutefois, afin de compenser la hausse inéluctable du prix du billet d'avion et de contribuer au pouvoir d'achat des résidents ultramarins, le ministère délégué aux outre-mer souhaite apporter en 2023, une évolution à la politique nationale en matière de continuité territoriale via une revalorisation du montant forfaitaire de cette aide à hauteur de 935 euros contre 635 euros actuellement par voyageur. Les conditions d'éligibilité à cette aide restent identiques.

Concernant l'évolution des prix, les compagnies aériennes restent les mieux placées pour transmettre des informations détaillées sur leur politique tarifaire. Cependant, je me permets de vous transmettre quelques éléments de contexte pour comprendre la construction des prix. S'agissant des coûts, ils peuvent être très variables en fonction de la taille de la compagnie et du type de routes exploitées et des services proposés. Néanmoins, la part prépondérante du coût du carburant, de la masse salariale et des taxes et redevances est une constante. Or, tous ces éléments ont augmenté et la parité euro/dollar pèse également dans un secteur où toutes les transactions s'effectuent en dollar.

Par ailleurs, un autre élément influence fortement la construction des prix : l'utilisation par les compagnies de techniques de gestion de la recette qui conduisent, pour un même vol, à proposer une multitude de tarifs pour, d'une part, répondre aux attentes et contraintes des voyageurs et d'autre part, optimiser les recettes. Ainsi, les tarifs varient en fonction de la classe de voyage, de la date de réservation, de la durée du séjour, des conditions d'échange, etc. Si hausse des billets il y a eu, et très sincèrement nous ne l'avons pas perçu, elle peut s'expliquer par une série de facteurs propres à l'ensemble du transport aérien, à la hausse générale des coûts liés à l'inflation et la parité euro/dollar. Les transporteurs devant faire face à l'augmentation de leurs coûts d'exploitation et disposant d'une trésorerie fragilisée par la crise sanitaire, ils sont contraints de reporter, en partie au moins, toute hausse sur le prix des billets. Si une hausse des prix s'est produite en 2022, ce qui n'est pas démontré, elle relève davantage d'un effet de rattrapage, car la tendance sur les dix dernières années montre plutôt une baisse des tarifs. Cependant, ces moyennes annuelles ne doivent pas occulter la forte saisonnalité des prix, notamment lors des pics de trafic de la période estivale et des fêtes de fin d'année.

En conclusion, un paysage concurrentiel est présent pour les liaisons entre l'Hexagone et la Polynésie française. Cette concurrence a contribué à augmenter l'offre de sièges et les fréquences de vols ainsi qu'à amortir la hausse des coûts d'exploitation des compagnies aériennes. Les tarifs actuels sont ainsi sensiblement équivalents à ceux de 2019, bien qu'ils soient, comme partout ailleurs, soumis à une forte saisonnalité.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie Monsieur Houalla. Je cède la parole à Monsieur Manate Vivish, directeur général d'Air Tahiti.

M. Manate Vivish, directeur général d'Air Tahiti. - Je ne suis pas directement concerné par les interrogations que vous avez, Air Tahiti étant une compagnie aérienne domestique. Cependant, quelques questions revêtent un intérêt particulier pour Air Tahiti et je m'associe à la description partagée par le vice-président Jean-Christophe Bouissou au sujet des dispositifs mis en place par la Polynésie française à travers les DSP.

Air Tahiti réalise la desserte de l'ensemble des destinations polynésiennes, au nombre de 46. Cette activité était rendue possible grâce à un système de péréquation interne qui nous permettait de compenser les pertes sur certaines lignes grâce à une politique tarifaire pratiquée sur les lignes excédentaires et principalement touristiques comme les îles Sous-le-Vent et notamment Bora-Bora. Ce système a été mis à mal par la crise du Covid, puisque les touristes ne se rendaient plus en Polynésie française. De fait, la compagnie n'a plus été en mesure de compenser ses pertes. Elle s'est donc tournée vers le Gouvernement afin d'étudier la mise en place de solutions. Le pays a agi rapidement en créant deux DSP que le vice-président a évoquées. Ces DSP permettent de contribuer à la desserte des destinations éloignées et à faible population à hauteur de 10 millions d'euros. En dehors de ce dispositif, financé par une contribution payée par tous les passagers, il n'existe pas d'aide particulière aujourd'hui pour les dessertes entre les îles et Tahiti.

Le prix du carburant a plus que doublé sur l'exercice 2022, jusqu'à une augmentation de 104 % sur la période. L'effet de la parité euro/dollar a également beaucoup pesé sur nos marges et sur le prix du carburant qui se négocie en dollar. Le taux du dollar a également fortement impacté les coûts de maintenance de la compagnie. En revanche, cette parité a favorisé la venue de touristes américains en 2022.

Concernant les taxes perçues sur le prix des billets, elles sont variables en fonction de la valeur absolue du prix des billets. En moyenne, elles varient de 10 à 25 % du prix du billet sur les lignes domestiques. En termes de politique tarifaire, nous avons décidé en 2022 de ne pas répercuter les coûts liés à l'inflation sur le prix du billet, alors qu'ils ont été particulièrement sévères en Polynésie française, puisque la hausse du volume du trafic nous a permis de compenser l'augmentation de nos charges. Les tarifs pratiqués en 2022 ont même baissé.

Voilà, en quelques mots, les informations que je pouvais vous communiquer en complément de celles partagées par les précédents intervenants.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie Monsieur le directeur. Je cède la parole à Monsieur Michel Monvoisin, président-directeur général d'Air Tahiti Nui.

M. Michel Monvoisin, président-directeur général d'Air Tahiti Nui. - En introduction, je souhaite vous présenter Air Tahiti Nui qui dessert des liaisons internationales. Air Tahiti Nui est une société d'économie mixte détenue à 85 % par la collectivité locale. Nous desservons principalement la métropole via des vols directs vers Los Angeles. Depuis peu, nous desservons également Seattle et dans quelques mois nous ouvrirons des vols vers l'aéroport Charles-de-Gaulle depuis cette ville. Le Pacifique est bien couvert grâce à notre liaison vers Auckland avec des accords qui nous permettent de proposer des billets vers l'Australie. Par ailleurs, via le hub Asie et Narita, nous desservons Papeete. Cette route qui a été fermée durant la crise sanitaire devrait rouvrir en octobre 2023.

S'agissant des questions d'ordre général, notre vice-président et Marc Houalla ont déjà répondu à vos interrogations. Je peux cependant compléter leurs propos au sujet de l'offre de transport aérien. Je précise que ce sujet a particulièrement intéressé l'Association internationale du transport aérien (IATA) car elle a été très surprise de la croissance du trafic sur notre territoire qui constitue, selon elle, un record mondial après Covid. French Bee et United Airlines ont généré à elles seules 30 % de croissance. Ainsi, en 2022, l'augmentation de l'offre en sièges après le Covid s'élève à 39 %. Cette concurrence et cette surcapacité ont dû être absorbées et permettent de transporter quelque 650 000 passagers annuellement, parmi eux quelque 50 000 Polynésiens voyagent chaque année, sur les 300 000 habitants de l'archipel.

La capacité d'accueil du territoire est de l'ordre de 280 000 touristes. Mécaniquement, cette surcapacité de sièges entraîne une guerre des prix notamment en classe économique. Les tarifs affichés par certains de nos concurrents sur la ligne Los Angeles/Papeete sont d'environ 450 dollars aller/retour, ce qui équivaut à peu près à un Paris/Nice. Cependant, l'offre aérienne subit la carence de l'offre d'accueil. Malgré la stimulation par les prix, cette situation aboutit à une impossibilité de vente puisque les touristes, qui représentent 75 % des passagers en cabine, ne peuvent se loger sur place.

Comme vous, j'ai lu récemment l'étude publiée par l'agrégateur MisterFly au sujet de l'augmentation des tarifs aériens vers les départements d'outre-mer. Cette étude constate des hausses tarifaires au départ de la métropole de l'ordre de 20 à 40 %. L'originalité de la Polynésie française est qu'elle enregistre une baisse de 2 % sur un trajet Papeete/Paris par rapport à 2013. Dans ce contexte de forte concurrence, Air Tahiti Nui n'a pas pu, malgré des tentatives, répercuter la hausse du prix du carburant, qui représente 33 % de nos charges, sur le prix des billets qui sont, du fait de la forte saisonnalité, structurés en fonction de l'offre et de la demande. À titre d'exemple, pour un vol Paris/Papeete, les taxes représentent entre 7 et 10 % et le carburant 15 %. Le reste constitue le tarif de base qui varie en fonction de l'offre et de la demande. Malgré les hausses et les baisses qui se succèdent, le prix du kérosène reste élevé. Le Jet Kérosène Singapour (JKS) a oscillé entre 110 et 130 dollars le baril. Dans ce contexte, une baisse des billets d'avion n'est pas envisageable.

S'agissant du tarif fixe, l'effet de saisonnalité nous empêche de pratiquer cette politique de vente. À cet égard, je note que le modèle corse est très particulier. Je salue cependant l'annonce de Marc Houalla pour favoriser la continuité territoriale. Nos clients utilisent beaucoup ce dispositif dans le cadre de la convention que nous avons signée avec l'État. Toutefois, à notre niveau, la majeure partie de notre clientèle étant touristique, cette mesure ne concourt pas à rééquilibrer nos liaisons. Aujourd'hui, pour une compagnie comme la nôtre, le challenge se situe d'abord au niveau de la concurrence et de l'offre d'accueil qui n'est pas en adéquation avec l'offre en sièges.

Je reste à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie Monsieur le président-directeur général. Je cède la parole à nos deux rapporteurs Catherine Conconne et Guillaume Chevrollier.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Si je comprends bien, l'octroi d'une aide à la continuité territoriale vers l'Hexagone est soumise à conditions en fonction de critères sociaux et du statut des passagers. Envisagez-vous un moyen qui permettrait d'aller au-delà de ces critères et un accompagnement de la collectivité de Polynésie pour augmenter l'apport à l'achat d'un billet d'avion ? Par ailleurs, les compagnies aériennes indiquent qu'elles n'ont pas répercuté la hausse du carburant sur le prix du billet. Je souhaite donc connaître la pérennité de ce système alors que la part du carburant est essentielle dans la composition du prix qui, pourtant, n'a pas augmenté.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - Merci Madame la vice-présidente. Chers collègues, Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour vos interventions très complètes.

Dans le prolongement des questions de Catherine Conconne, considérez-vous que les dispositifs sont suffisamment identifiés par les habitants du territoire polynésien ? Par ailleurs, les 20 % des Polynésiens qui voyagent sur les lignes sont-ils des habitués ou notez-vous un renouvellement ? Pour les personnes ayant besoin d'accéder à des services de santé, les aides sont-elles cumulatives ? J'ai noté que les compagnies aériennes font état de prix particulièrement bas dû à une forte concurrence. Quelles sont les marges et la rentabilité de vos sociétés dans ce contexte ?

Mme Micheline Jacques, présidente. - Avant de céder la parole aux intervenants, la sénatrice Lana Tetuanui souhaite intervenir.

Mme Lana Tetuanui. - Je suis contrainte à une certaine réserve car je suis la rapporteure de la mission sur Air Tahiti. Cependant, je suis farouchement attachée à la notion de continuité territoriale depuis le lieu de résidence des Polynésiens. Cette continuité ne peut pas se limiter, en effet, au trajet entre Papeete et Paris. Elle doit également être étendue aux déplacements inter-îles. Il n'est pas acceptable qu'un habitant des îles Marquises débourse 650 euros aller/retour pour se rendre à Papeete. Dans ce contexte, j'espère que les travaux de la délégation porteront leurs fruits.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous rejoins sur la notion de continuité territoriale inter-îles. Il faut sans doute vivre dans des archipels comme les nôtres pour mesurer les difficultés.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué l'importance d'internet pour accéder aux services administratifs, pensez-vous que la continuité numérique serait une solution pour bénéficier de la formation professionnelle et de la télémédecine pour tous ?

M. Jean-Christophe Bouissou. - Merci pour vos questions qui sont très pertinentes dans le contexte polynésien.

Je réponds à la question de Madame Catherine Conconne. Il existe, en effet, un plafond de revenus pour bénéficier de l'aide à la continuité territoriale. Il revient à l'État de fixer les plafonds. Actuellement, une personne qui perçoit moins de 1 200 euros par mois est éligible à cette aide. L'aide du passeport mobilité est accordée à toute personne ayant un revenu de moins de 26 000 euros par an. Comme je l'ai évoqué, la Polynésie française a souhaité augmenter cette contribution allouée par l'État. Cette délibération du gouvernement polynésien a fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'État qui a jugé qu'il n'était pas dans la compétence du Pays de financer le fonds de continuité territoriale -- peut-être faudrait-il lancer une analyse juridique des statuts de la Polynésie française de 2004, qui évidemment ont évolué depuis, pour identifier les dispositions qui permettraient cette participation.

J'ai évoqué également le souhait de la Polynésie française de voir l'État nous accompagner sur le financement de la continuité territoriale intérieure pour agir sur la baisse des prix. C'est une discussion que nous devons avoir avec l'État. De la même manière, et si la réglementation le permet, il nous faut envisager comment le Pays, à l'avenir, pourrait renforcer les dispositifs de continuité territoriale. Nous devons également examiner les besoins de la prise en charge car le budget étant entièrement consommé, les demandes sont très certainement supérieures à notre capacité actuelle. Ce constat appelle également à renforcer les effectifs du pôle territorial local.

Pour répondre à Monsieur le rapporteur Guillaume Chevrollier, je confirme que ces dispositifs sont parfaitement identifiés des Polynésiens. Nos services sont très souvent sollicités, notamment dans le cadre d'accompagnements à la formation professionnelle et du passeport mobilité. Ces dispositifs sont donc connus et utilisés par les Polynésiens pour se former, étudier, passer des concours ou effectuer un stage.

Pour répondre aussi à Madame Micheline Jacques, internet peut, bien entendu, participer à la formation. Plusieurs dispositifs de ce type existent déjà. Je pense notamment à la formation des pompiers des plateformes aéroportuaires qui est dispensée depuis Toulouse. Cet outil permet donc de se former sans se déplacer en métropole ou dans les îles. Par ailleurs, le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et l'université de la Polynésie française dispensent également des cours en ligne et en direct. Ces dispositifs sont développés grâce au déploiement du réseau numérique à très haut débit dans la plupart des îles et du haut débit via des relais hertziens pour les îles les plus éloignées.

S'agissant de la télémédecine, elle est également en place. Nous souhaitons cependant aller plus loin en développement le dispositif des « valises médicales » capables de transmettre des données aux médecins. Nous avons formé les infirmières et aides-soignantes à l'utilisation de ces valises.

Je souhaite revenir sur la question de la sénatrice Lana Tetuanui. Un tiers de la population vit dans les îles Sous-le-Vent, Tuamotu, Marquises et Australes. Ces habitants utilisent l'avion et règlent leur billet dans le cadre de la DSP (si leur aéroport est concerné par cette DSP), et s'ils se rendent à Papeete. Ce dispositif ne fonctionne pas, en effet, sur des trajets inter-îles. Dans ce contexte, le déploiement de la continuité territoriale sur l'ensemble de la Polynésie française serait une réelle avancée pour les Polynésiens.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie Monsieur le vice-président. Je cède la parole à Catherine Conconne.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Pour rassurer tout le monde, et en particulier Lana Tetuanui, je souligne que les différents rapports du Sénat sont fréquemment utilisés et inspirent la construction de politiques publiques extrêmement concrètes. Pour l'instant, nous en sommes au stade de l'investigation et nous devons identifier tous les dispositifs mis en oeuvre dans les outre-mer. À cet égard, je remercie les services du Sénat qui nous ont transmis hier, 30 janvier, un excellent travail comparatif des dispositifs en cours dans les RUP et dans d'autres pays européens comme l'Espagne ou le Portugal.

Je suis convaincue que nous allons prendre part à une « petite révolution » en matière de continuité territoriale. Ce chantier a été ouvert avec la Corse qui bénéficie aujourd'hui d'un système « idyllique », totalement pris en charge par l'État à hauteur de 200 millions d'euros et pour une population équivalente à celle de la Martinique. Cependant, nous devons rester réalistes et conscients des contraintes budgétaires dans lesquelles nous évoluons. Le bassin atlantique est également très concerné par les problématiques de continuité territoriale. Même si ce territoire est plus modeste que celui de la Polynésie française, il n'empêche que les habitants de Saint-Barthélemy doivent transiter par la Guadeloupe ou Saint-Martin afin de rejoindre Paris. La Guadeloupe a également mis en place des DSP avec des transporteurs maritimes pour assurer les déplacements des habitants vivant sur La Désirade et Marie-Galante, alors que ces petites îles ne possèdent pas de lycée. La Guyane est également un pays immense avec les populations autochtones très isolées et qui doivent également se déplacer.

Je vous remercie pour toutes vos questions et pour les réponses qui ont été apportées par les intervenants. En revanche, je ne crois pas avoir obtenu de réponse au sujet du non-report sur le prix des billets de la hausse du coût du carburant.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Monsieur Houalla, avez-vous des réponses à apporter à ce sujet ?

M. Marc Houalla. - Je pense que tout a été dit sur la partie des subventions qui contribuent à la continuité territoriale. Il me semble que les compagnies aériennes sont plus à même de répondre à la question de Madame la sénatrice.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie. Je cède la parole à Monsieur Manate Vivish.

M. Manate Vivish. - Concernant l'augmentation du carburant, je précise que notre compagnie utilise des avions de transport régional (ATR). Ces avions sont les plus économiques au regard du nombre de sièges offerts. Pour Air Tahiti, les charges de carburants sont de l'ordre de 10 à 13 % des charges totales de la compagnie. Par ailleurs, durant la crise sanitaire, nous avons réalisé énormément d'économies et nous avons effectué un gros travail sur nos charges. Dans ce contexte, nous avons pu absorber la hausse du prix en misant également sur une hausse de l'activité dès 2022 qui s'est effectivement réalisée. Air Tahiti a terminé l'année 2022 en équilibre et a dégagé une marge très raisonnable.

Je rebondis sur les propos de notre vice-président au sujet de la continuité territoriale pour souligner combien cette notion est importante en Polynésie française. À titre d'exemple, un Polynésien vivant aux îles Marquises qui souhaite se rendre à Papeete équivaut pour un Francilien à un déplacement entre Paris et Stockholm. Par ailleurs, les Polynésiens n'ont pas d'autre solution que l'avion pour se déplacer à travers cet immense territoire. Pour les îles éloignées et à faible population, l'affrètement d'un avion, même de type ATR, engendre un coût important au regard du nombre de passagers et expose la clientèle locale insulaire à des coûts de transport relativement élevés au regard du contexte économique de la Polynésie. De mon point de vue, il y aurait un réel intérêt que l'État contribue au fonds de péréquation mis en place par le Pays afin notamment de soulager, en partie, les passagers du paiement de cette contribution et de participer ainsi au désenclavement des îles.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie. Je cède la parole à Michel Monvoisin pour répondre à la rapporteure Catherine Conconne. Il sera le dernier intervenant de notre table ronde.

M. Michel Monvoisin. - Au préalable, je précise que Delta Air Lines et Air France sont en co-entreprise sur les lignes transatlantiques, mais également sur la destination Los Angeles/Papeete. Les deux compagnies partagent donc les recettes et les charges. Dans le cadre d'une immunité antitrust, elles négocient et fixent ensemble les tarifs. Aujourd'hui, le couple Delta Air Lines/Air France dispose de 8 fréquences. Par ailleurs, je rappelle que les États ont soutenu massivement leur compagnie nationale. Or cette manne n'a pas été contrôlée. Aujourd'hui, elle permet à ces compagnies d'avoir une stratégie de surcapacité et de placer leurs avions partout ou presque. Cette stratégie concurrentielle asphyxie les petites compagnies.

S'agissant de la non-répercussion de la hausse du carburant sur le prix du billet, elle est également due à l'effet de cette concurrence. Par ailleurs, nous avons travaillé sur la réduction de nos charges. Air Tahiti Nui a mis en place un plan de départ et s'est séparé de 20 % de son personnel durant la crise du Covid et depuis nous recrutons « au compte-gouttes ». Le personnel produit des efforts colossaux et a consenti une baisse de salaire de moins 5 % jusqu'à fin 2023 dans le cadre d'un protocole d'accord signé avec les personnels lors de la crise du Covid. Pour amoindrir l'effet de l'inflation, nous avons augmenté les salaires de 1,5 %, quand les autres compagnies octroyaient jusqu'à 5 % de compensation. Nous avons dialogué avec les représentants du personnel pour leur faire part de cette situation critique. Après le carburant, le second poste de charge est la masse salariale. Par ailleurs, nous tentons de négocier avec nos prestataires, ce qui n'est pas le plus simple, car ils augmentent les tarifs et sélectionnent désormais les compagnies avec lesquelles ils souhaitent travailler. Globalement, notre comptabilité se dégrade et nous enregistrons également une forte dégradation de notre rentabilité. Nous affichons une marge négative en 2022 et il en sera probablement de même en 2023. En tant que société d'économie mixte (SEM), nous recevons des subventions d'équilibre si un exercice est déficitaire. Nous avons également bénéficié du reversement total du prêt garanti par l'État (PGE) versé à la collectivité locale et d'autres aides versées par l'État au moment de la crise sanitaire. Air Tahiti Nui est entrée dans la crise avec six mois d'avance de trésorerie, les différentes aides et notre stratégie n'ont pas entamé cette trésorerie qui nous permet de tenir pour l'instant. Cependant, il est clair que le non-report de la hausse du carburant a absorbé la performance de la compagnie.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie. Je cède la parole au président Artano pour sa conclusion.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Au préalable, je souhaiterais connaître le statut des 46 aéroports domestiques, appartiennent-ils tous à la collectivité ? Par ailleurs, parmi les passagers, quelle est la part des autochtones et des touristes ?

M. Marc Houalla. - L'ensemble des aéroports appartient au pays, excepté l'aéroport international de Tahiti Faa'a.

M. Jean-Christophe Bouissou. - Je précise que la gestion des trois aéroports, Bora-Bora, Raiatea et Rangiroa, qui ont des trafics importants, a été transférée à Tahiti Faa'a. Cependant, ils restent sous le mandat d'Aéroport de Tahiti pour le compte du Pays dans le cadre d'une autorisation d'occupation temporaire (AOT).

S'agissant de la répartition entre les voyageurs polynésiens et internationaux, je confirme la tendance donnée par Michel Monvoisin, soit environ un tiers de Polynésiens et deux tiers de passagers internationaux.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Merci Monsieur le ministre pour ces précisions. Je cède la parole au président Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano, président. - Merci chère Micheline d'avoir animé cette audition très riche. Je remercie également les participants et les participantes pour leurs apports respectifs et leurs questionnements.

Je tiens également à rassurer notre collègue Lana Tetuanui sur la portée des rapports du Sénat, comme l'a rappelé Catherine Conconne. Ces rapports sont désormais soumis à la nouvelle procédure mise en oeuvre par le Sénat relative au suivi des recommandations. Ce rapport d'information bénéficiera du même dispositif et notre principal souci est que ses préconisations soient traduites de manière opérationnelle.

Je vous remercie.

Jeudi 2 février 2023

- Présidence de M. Stéphane Artano, président puis de
Mme Micheline Jacques, vice-présidente -

Table ronde sur le dispositif applicable à
la Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna

M. Stéphane Artano, président. - Nous poursuivons nos travaux sur la continuité territoriale, dont les rapporteurs sont Guillaume Chevrollier et Catherine Conconne. J'excuse Catherine Conconne, qui a un problème de connexion. Nous examinons ce matin la situation en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna.

Étant actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon, je participe à cette réunion en visio-conférence et je vous prie de m'en excuser. Je laisserai donc notre vice-présidente, Micheline Jacques, présider notre réunion. Je salue chaleureusement chacun de nos invités, en les remerciant pour leur disponibilité. Je précise que notre temps est contraint, car nous avons une réunion dans une heure et demie en commun avec la délégation aux droits des femmes.

- Présidence de Mme Micheline Jacques, vice-présidente -

M. Munipoese Muli'aka'aka, président de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna. - Nous vous saluons chaleureusement. L'offre de transports aériens est-elle suffisante à Wallis-et-Futuna, et a-t-elle évolué ? Depuis 1984, Air Calédonie détient le monopole de la desserte sur Wallis-et-Futuna, assurant désormais deux vols hebdomadaires dans un Airbus A320 disposant de 168 sièges et d'une autonomie en vol de 7 h 30, qui dessert uniquement la Nouvelle-Calédonie. Si cette fréquence est correcte, la politique consistant à laisser des places vacantes se répercute sur le prix du billet. Surtout, les voyageurs n'ont pas d'autre choix que de passer par la Nouvelle-Calédonie pour se rendre à l'international, avec le coût du billet mais aussi celui de l'hébergement sur place pendant le transit ; l'alternative est d'emprunter le vol hebdomadaire pour les Fidji, moins cher, mais qui nécessite de disposer d'un schéma vaccinal complet. L'organisation elle-même, en deux saisons, rend les réservations fiables, certaines compagnies commercialisant les vols onze mois à l'avance. Cependant, le prix du billet reste trop élevé et a même augmenté depuis la fin de la crise sanitaire : il peut atteindre 4 000 euros l'aller simple Wallis-Paris.

Nous répondrons par écrit aux autres questions que vous nous avez fait parvenir.

M. Marc Coutel, secrétaire général de la préfecture de Wallis-et-Futuna. - Merci pour votre invitation. La position géographique de Wallis-et-Futuna, très éloignée de l'Hexagone, nous place en bout de chaîne et nous expose à des prix très élevés pour les transports de voyageurs comme pour le fret, dans un contexte de hausse des prix que nous ne maîtrisons pas. L'État fait un effort particulier au titre de la continuité territoriale, en application du principe d'indivisibilité de la République ; les trois aides intervenant à ce titre mobilisent 3,5 millions d'euros par an, c'est substantiel et il serait difficile d'aller plus loin - et nous sommes contraints par les infrastructures de transport. Les règles d'intervention nous ont empêchés de suivre l'enchérissement rapide du coût des billets, il semble que le projet de loi de finances pour 2023 réserve des moyens supplémentaires - de l'ordre de 5 à 6 millions d'euros - pour y aider davantage, c'est une très bonne chose. L'aide à la continuité territoriale devrait être réévaluée et dépasser les 856 euros forfaitaires actuels. En tout état de cause, notre position géographique explique pour beaucoup la disparité des coûts que nous constatons avec la Nouvelle-Calédonie, quand bien même nous disposons des mêmes dispositifs d'intervention et de soutien.

M. Dominique Tarjon, directeur du service d'État de l'aviation civile de Wallis8et8Futuna (SEAC-WF). - Les aérodromes de Wallis et de Futuna sont les deux derniers aérodromes civils français à être gérés en régie par l'État. Ils sont soumis à la réglementation européenne, donc seules les compagnies aériennes qui répondent à cette réglementation, peuvent y poser des avions. Cette particularité crée une forme d'îlot dans l'environnement aérien du Pacifique, créant une sorte de frontière qui sépare Wallis-et-Futuna du reste du Pacifique sud. J'étais antérieurement en poste en Guyane où j'ai pu constater la même chose : l'aéroport de Cayenne n'est relié à aucun aéroport du continent sud-américain, alors que certains de ces aéroports sont les hubs d'accès au reste du monde. Cette situation ne favorise certainement pas la concurrence.

Mme Viviane Arhou, conseillère auprès du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, chargée des transports. - Je vous adresse nos salutations et vous remercie. La continuité territoriale est transversale, c'est un sujet aussi bien entre les îles de la Nouvelle-Calédonie, qu'entre celles-ci et l'Hexagone - c'est un sujet majeur, avec une dimension domestique et internationale. Nous avons engagé des réflexions pour améliorer le fonctionnement des règles actuelles, nous répondrons par écrit à vos questions.

Thomas Bertin, adjoint au directeur de l'aviation civile de la Nouvelle-Calédonie. - Effectivement, il faut bien voir qu'il y a deux types de continuité territoriale, celle qui est aidée par l'État, qui couvre les liens avec l'Hexagone, et celle qui est aidée par la collectivité de la Nouvelle-Calédonie, qui concerne les liens domestiques, à l'intérieur de la Nouvelle-Calédonie. L'offre de transport vers la métropole consiste en une desserte quotidienne entre Nouméa et Paris par Aircalin, et par des compagnies australiennes. L'organisation de la continuité territoriale passe par une aide à l'achat de billets, sur critères de ressources, et à des publics particuliers comme les chercheurs et les sportifs, selon les événements auxquels ils sont liés. Des aides sont aussi mises en place pour les étudiants quand la formation n'est pas offerte en Nouvelle-Calédonie.

M. Zoran Jelkic, directeur général long-courrier d'Air France-KLM. - La crise sanitaire a eu impact lourd sur le secteur aérien et s'est traduite par un coût de 11 milliards d'euros dans le bilan financier d'Air France-KLM. Le groupe s'est engagé à regagner sa compétitivité, en contrepartie d'une aide massive accordée par l'État. La transformation est en cours, elle passe par quelque 7 000 départs de salariés, qui se déroulent dans un climat apaisé. Les résultats économiques sont positifs puisque nous avons retrouvé un haut niveau d'activité au dernier trimestre 2022, mais nous restons lestés par une dette de 6 milliards d'euros qu'il nous faut rembourser.

Air France joue un rôle clé dans la desserte de la Nouvelle-Calédonie depuis 75 ans ; nous assurons une desserte quotidienne via le Japon, que nous avons maintenue - à raison de trois vols hebdomadaires - pendant la crise sanitaire malgré la fermeture du Japon, ce qui a maintenu le lien et l'acheminement de matériel médical vital pour la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes revenus à une desserte quotidienne, mais l'interdiction de survol du territoire russe nous oblige à rallonger les vols. C'est pourquoi nous avons lancé une desserte via Singapour quatre fois par semaine, à quoi nous ajoutons deux vols hebdomadaires pour connecter avec Aircalin et maximiser ainsi le nombre de sièges disponibles - ce partenariat qui nous parait le plus pertinent pour la ligne, porte aussi sur la maintenance et sur le fret. Le temps de vol depuis Paris s'établit entre 22 et 24 heures selon le sens, c'est trois fois plus long que pour les Antilles. Ce marché est ouvert, il n'y a pas de barrière à l'entrée. Nous faisons face à une pression inflationniste, mais la hausse est plus mesurée sur la Nouvelle-Calédonie que sur d'autres destinations asiatiques.

M. Didier Tappero, directeur général d'Aircalin. - Des éléments de contexte viennent d'être donnés : nous sortons d'une crise sans précédent, qui a mis à mal les finances de toutes ces compagnies aériennes et provoqué un endettement majeur. Cependant, Aircalin a continué d'opérer sur Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie, d'y acheminer du fret et des passagers. Nous faisons face à de nombreuses charges très inflationnistes, y compris le carburant, qui a augmenté de 32 % en octobre dernier, avant de baisser un peu. Au total, la hausse avoisine les 20 % en moyenne et il faut compter avec les effets de change puisque nous payons les carburants en dollar. Il faut bien voir que Wallis est plus éloigné de Paris que la Polynésie française. Le passage par Singapour fait gagner du temps, nous avons l'ambition d'en faire notre axe principal. Nous maintenons donc notre programme sur Wallis-et-Futuna, comme nous le projetions en 2019, avant la crise sanitaire. Il est vrai que nous ne remplissons pas nos avions, ce n'est pas pour économiser du carburant mais pour limiter le poids, ce qui implique effectivement des billets un peu plus chers.

La continuité territoriale fonctionne bien logistiquement, avec les trois aides mobilisables sous critères de ressources. Le montant peut atteindre 640 euros pour un billet entre la Nouvelle-Calédonie et l'Hexagone. Le prix reste un frein, c'est une réalité, c'est d'abord la conséquence de la distance géographique. Comment améliorer le dispositif ? Probablement en ouvrant les conditions d'éligibilité aux mécanismes d'aides à la continuité territoriale, c'est une piste à explorer.

M. Ismaël Saïd, président du Centre pour le destin commun. - J'interviens ici non pas au nom de tous les étudiants de Nouvelle-Calédonie, mais de mon association et à partir des témoignages que nous avons recueillis. Les billets d'avion sont chers, souvent plus de 3 700 euros, leur achat demande de mobiliser de l'épargne longue, même en bénéficiant de l'aide à la continuité territoriale. Des étudiants doivent travailler souvent une année pour économiser une telle somme, les familles sont d'autant plus sous pressions qu'il faut ajouter les dépenses d'hébergement et de la vie quotidienne en Métropole. Tout ceci fait que, trop souvent, on a le sentiment d'être bloqué en Métropole quand on parvient à s'y rendre, d'autant qu'on perd le droit à toute aide quand on établit son foyer fiscal dans l'Hexagone. Beaucoup demandent à revoir les critères de ces aides, en particulier les classes moyennes, mais aussi le montant des bourses universitaires qui n'assurent pas un niveau de vie suffisant.

Dans les témoignages que nous recueillons, il y a l'idée du Pacifique sud comme « cage dorée » : on a du mal à s'en aller parce que c'est trop cher d'en partir et d'y revenir. Il y a l'idée qu'une fois qu'on en est parti, on ne peut pas y revenir pendant plusieurs années - quitte à vivre isolé dans l'Hexagone, loin de sa famille. La mobilité est un privilège, c'est ce qui nous distingue des autres outre-mer.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - Le thème de la continuité territoriale est central pour Wallis-et-Futuna et pour la Nouvelle-Calédonie, il a une dimension locale, domestique, et intercontinentale. Les dispositifs de soutien financier sont-ils bien connus de nos concitoyens ? Comment accèdent-ils à l'information ? Ont-ils bien identifié à quel guichet s'adresser ? Connaît-on précisément les publics qui en bénéficient ? S'agit-il toujours des mêmes personnes, ou bien y a-t-il une diversité, un renouvellement ?

Ensuite, plusieurs d'entre vous demandent à revoir les critères d'éligibilité de ces aides : merci de nous communiquer vos propositions pour ouvrir les dispositifs à d'autres publics et discuter les critères. Comment aller plus loin : faut-il mieux cibler, en particulier pour l'accès aux soins, à la formation ? Vaut-il mieux des aides forfaitaires, ou bien au pourcentage du billet d'avion ? Nous sommes preneurs de vos propositions en la matière, pour les verser au débat.

Une question aux compagnies aériennes : quelle est la répartition, dans vos passagers, entre les résidents et les touristes ?

L'UE impose des contraintes réglementaires à la circulation aérienne : qu'est-ce qui pourrait être fait en la matière, qui aiderait à mieux relier les outre-mer à leur environnement géographique ?

Merci par avance pour vos réponses, y compris écrites.

M. Munipoese Muli'aka'aka. - Merci pour ces questions, nous vous transmettrons nos réponses par écrit.

M. Zoran Jelkic. - L'an passé, les résidents représentaient 40 % des passagers sur nos lignes desservant la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, et 48 % en 2019.

M. Didier Tappero. - L'an dernier, nous avons enregistré 1 700 passagers bénéficiant d'aide au titre de la continuité territoriale et 1 080 avec un « passeport mobilité » ; le trafic entre la Nouvelle-Calédonie et la métropole représente 38 % de notre trafic d'ensemble, et seulement 1 % pour le trafic entre Wallis-et-Futuna et la métropole. Ce que l'on peut dire de l'aide à la mobilité, c'est que ses critères d'éligibilité sont assez limitatifs, et qu'il reste onéreux et difficile d'aller en métropole, pour des raisons de budget.

M. Marc Coutel. - Quelques remarques sur ce qui a été dit. Effectivement, les aides allouées ne compensent pas entièrement la cherté des billets d'avion, surtout quand les prix sont plus que proportionnels à la distance. Les normes européennes, ensuite, ne permettent pas, en l'état, une ouverture à la concurrence de compagnies qui ne respectent pas ces règles. Nous constatons aussi que les prix du trafic aérien augmentent plus vite vers les outre-mer que vers les autres destinations. Enfin, si l'on consacre des moyens à la continuité territoriale entre les outre-mer et l'Hexagone, on oublie trop la continuité territoriale entre les outre-mer eux-mêmes, par exemple entre la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna et la Polynésie française.

M. Gérard Poadja. - Je remercie chacun des intervenants qui apportent tous des informations utiles et précises.

Je suis intervenu en séance plénière pour alerter le Gouvernement sur les difficultés et les insuffisances des aides à la continuité territoriale, réglées par l'article L. 1803-4 du code des transports. Il y a le fait que les revenus n'augmentent pas assez, en particulier le salaire minimum, rendant toujours plus difficile l'achat de billets qui sont de plus en plus chers. Il y a, ensuite, les déplacements à l'intérieur même de nos territoires. En Nouvelle-Calédonie, nous avons un problème de continuité territoriale au sein même de notre territoire : dès lors que tout est centralisé à Nouméa, il faut s'y rendre, c'est un coût souvent important, comment fait-on quand on ne peut pas le prendre à sa charge ? Les étudiants le savent bien, il en ressort une sorte de plafond : l'accès à certaines formations leur est rendu plus difficile, voire interdit.

Il faut que le Gouvernement entende ces réalités, je compte sur vous pour faire passer ce message ! Nous avons aussi des problèmes pour rapatrier les corps, quand des Néo-Calédoniens meurent dans l'Hexagone. Nous avons également besoin de mieux faire connaître les aides, et que les critères s'élargissent. J'espère que vous en convaincrez le Gouvernement !

Mme Micheline Jacques, présidente. Vous pouvez compter sur nous, la continuité territoriale ne concerne pas seulement le lien à la métropole - nous le savons bien à Saint-Barthélemy, où pour se rendre à l'étranger, il faut immanquablement passer par Saint-Martin ou la Guadeloupe...

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Je me félicite qu'on signale ici que l'aéroport à Cayenne-Félix Éboué forme une sorte d'îlot fermé au reste du continent sud-américain, du fait des règles européennes : c'est un sujet sur lequel le ministre des transports ferait bien de se pencher...

La continuité territoriale est un sujet à l'intérieur même de la Guyane. Par exemple, entre Cayenne et Maripasoula, il n'y a quasiment pas d'autres transports que l'avion ; or, l'avion qui assure ce service ne compte que 18 places : on est loin de trouver toujours un siège facilement, vous l'avez expérimenté dans votre programmation d'un déplacement en Guyane... Il faut alerter sur le sujet : bien sûr, qu'il faut connecter Cayenne aux hubs du continent sud-américain, c'est nécessaire pour nous moderniser, développer le territoire - mais il faut aussi penser à nos compatriotes de l'intérieur, qui n'accèdent pas assez au transport aérien, tout simplement par manque de vols.

Mme Micheline Jacques, présidente.  Merci à tous pour votre participation.

M. Stéphane Artano, président.  Merci, également, de nous faire parvenir vos réponses écrites, nous en tiendrons le plus grand compte.

Jeudi 9 février 2022

- Présidence de M. Stéphane Artano, président puis de Mme Micheline Jacques, vice-présidente -

Audition de M. Grégory Fourcin, directeur central des lignes maritimes, accompagné de Mme Céline Serres, directrice de cabinet et de M. Cédric Klimcik, chargé des relations institutionnelles du groupe Compagnie maritime d'affrètement - Compagnie générale maritime (CMA CGM)

M. Stéphane Artano, président. - Nous poursuivons ce matin nos travaux dans le cadre de notre étude sur la continuité territoriale, dont les rapporteurs sont Catherine Conconne et Guillaume Chevrollier. Étant actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon, je participe à cette réunion en visioconférence et je vous prie de m'en excuser. Je laisserai donc notre vice-présidente, Micheline Jacques, présider la suite de notre réunion.

Avant de lui redonner le micro, je salue nos intervenants de la CMA CGM, groupe que nous avons eu l'occasion d'auditionner à plusieurs reprises, tant les problématiques de liaisons commerciales et de desserte sont primordiales et omniprésentes dans nos réflexions.

Lors de la présente audition, nous allons examiner des questions vitales pour les outre-mer que sont, entre autres, la continuité maritime, le transport de marchandises ou le coût du fret. Nous accueillons en effet ce matin M. Grégory Fourcin, directeur central des lignes maritimes, accompagné de Mme Céline Serres, directrice de cabinet, et de M. Cédric Klimcik, chargé des relations institutionnelles.

Je vous remercie par avance, Madame, Messieurs, de vos éclairages et de vos suggestions pour renforcer la continuité non seulement entre l'Hexagone et nos outre-mer mais également au sein de chaque territoire et entre les outre-mer eux-mêmes. Au fil de nos auditions, nous constatons en effet une très forte aspiration générale à la mobilité avec, globalement, un déficit d'offres dans ce domaine. C'est pourquoi nous comptons sur nos rapporteurs pour faire la lumière sur les freins mais aussi les perspectives dans ce domaine.

- Présidence de Mme Micheline Jacques, vice-présidente -

Mme Micheline Jacques, présidente. - Nous vous remercions vivement pour votre disponibilité et votre présence ce matin au palais du Luxembourg. Vous pourrez présenter vos observations sur la trame qui vous a été transmise par nos rapporteurs. Mais vous pourrez nous transmettre aussi ultérieurement d'autres précisions par écrit. Ensuite, je demanderai aux rapporteurs d'intervenir, puis ce sera le tour de nos autres collègues.

M. Grégory Fourcin, directeur central des lignes maritimes du groupe CMA CGM. - Le groupe CMA CGM, acteur mondial de la logistique et du transport, continue de se développer. En 2021, il comptait 250 000 collaborateurs, 450 agences dans 160 pays, et transportait des conteneurs à hauteur de 22 millions d'équivalents vingt pieds (EVP). Présent sur tous les continents, il possède aujourd'hui 584 navires commerciaux, assure 275 lignes maritimes, exploite 50 terminaux portuaires. Il a par ailleurs lancé, en 2021, une division aérienne, CMA CGM Air Cargo, dédiée uniquement au fret aérien ; ayant commencé avec six avions, nous en aurons bientôt douze.

Dans le cadre de cette audition, je souhaite vous présenter ce que la CMA CGM offre en termes de continuité territoriale dans les outre-mer. Pour ce faire, je vais vous présenter et commenter trois cartes.

La première carte illustre le maillage assuré par CMA CGM dans le bassin Atlantique, soit des liaisons maritimes entre l'Europe - Europe du Nord et Méditerranée - et les Antilles ainsi que la Guyane française. Nous assurons également de nombreuses interconnexions entre les Caraïbes - Kingston en Jamaïque, République dominicaine, Porto Rico - et le plateau des Guyanes, en passant par les Antilles. Nous proposons des services long-courrier (long-haul services) et des trajets courts pour approvisionner nos clients importateurs et pour offrir des solutions d'exportation au départ des Antilles et de la Guyane. Notre activité dans les outre-mer est méconnue par rapport à celle que nous avons en métropole ; nous avons pourtant développé des services intrarégionaux.

La deuxième carte concerne notre présence dans le bassin central indien, essentiellement dans deux départements : La Réunion et Mayotte. Nous assurons des liaisons directes et hebdomadaires au départ de l'Europe et de l'Asie vers La Réunion, et des liaisons comprenant un transbordement à destination de Mayotte. Nos services sont plutôt rapides et nous avons conclu des partenariats avec d'autres compagnies maritimes. Les liaisons au départ du Havre et de Fos-sur-Mer vers La Réunion existent depuis une dizaine d'années, de même que celles à destination de Mayotte. Nous avons également créé un maillage permettant aux importateurs et aux exportateurs réunionnais et mahorais de recevoir ou d'expédier des cargaisons à Madagascar, en Afrique du Sud et en Inde - dans ce dernier cas, il s'agit de produits pour le bâtiment et de matières premières.

La troisième carte illustre la présence du groupe et la continuité territoriale entre l'Hexagone - Le Havre, Dunkerque - et les îles du Pacifique, Papeete en Polynésie française et Nouméa en Nouvelle-Calédonie, via notre service Panama Direct (PAD) qui existe depuis vingt-cinq ans, et dont la fréquence est hebdomadaire depuis 2022. Des connexions existent également avec la Chine, que nous relions depuis la Nouvelle-Zélande, avec des possibilités de transbordement sur des navires de plus petite capacité vers Tahiti et Nouméa.

Mme Céline Serres, directrice de cabinet du directeur général du groupe CMA CGM. - Ces cartes montrent que nous oeuvrons, au travers de liaisons directes, au service de la continuité territoriale et du maillage régional. Nous pourrons aborder ultérieurement, en réponse aux questions, le sujet des connexions et des multiples combinaisons possibles.

M. Cédric Klimcik, chargé des relations institutionnelles du groupe CMA CGM. - J'aimerais insister sur le rôle historique que joue le groupe CMA CGM pour la continuité territoriale dans les outre-mer, en tant que partenaire de longue date présent sur tous ces territoires et au travers d'un engagement quotidien. Ainsi, lors des premiers mois de la crise sanitaire, alors que les perturbations étaient très fortes sur l'ensemble des chaînes logistiques mondiales - seulement 60 à 65 % des navires circulaient -, nous avons continué de desservir tous les territoires ultramarins sans annuler d'escale.

Par ailleurs, alors que des hausses de taux étaient constatées sur l'ensemble des marchés mondiaux, du fait de la forte demande et des phénomènes de congestion portuaire, notre groupe a protégé les territoires ultramarins en gelant les taux de fret « spot » (taux comptant) en mai 2021, puis à partir du 1er août 2022 en diminuant nos prix de 750 euros par conteneur de quarante pieds, soit 375 euros par conteneur de vingt pieds, pour l'ensemble des importations vers les outre-mer. L'objectif de ces gestes concrets était de maintenir la qualité de la desserte des outre-mer et la compétitivité des services.

L'engagement quotidien et sur place de CMA CGM en faveur de ces territoires se traduit par une présence forte et par le soutien au développement économique et à l'innovation, notamment au travers de l'ouverture, à Marseille et en Guadeloupe, de l'incubateur de jeunes pousses ZEBOX et de l'incubateur social Le Phare de la Fondation CMA CGM, présidée par Tanya Saadé Zeenny, qui accueille quatre jeunes pousses sociales.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - CMA CGM joue un rôle très important dans les territoires ultramarins puisque l'essentiel des produits de consommation sont acheminés via son réseau. Ce groupe est aujourd'hui en situation de quasi-monopole, notamment dans le bassin Atlantique. Avez-vous conscience du coût du fret sur le prix des marchandises ?

M. Grégory Fourcin. - CMA CGM n'est pas en situation de monopole sur le bassin Atlantique et aux Antilles ; nous avons des concurrents : Maersk, Seatrade, Soreidom, Marfret...

Durant les années 2021 et 2022, c'est-à-dire lors de la crise sanitaire, la demande a été exceptionnelle du fait de l'accélération de la consommation. Croyez-moi, Madame la sénatrice, nous avons protégé les territoires ultramarins. L'explosion des prix du fret pendant cette période a surtout concerné les produits en provenance d'Asie et destinés à l'Amérique du Nord, l'Amérique du sud et l'Europe, une « bulle » créée par la compétition et le manque d'espace sur le marché.

Les territoires ultramarins, quant à eux, importent massivement des produits en provenance d'Europe. Or, les taux de fret sur lesdits produits ont été gelés à partir de mai 2021 et notre groupe a décidé, seul, pour soutenir le pouvoir d'achat outre-mer, de mettre en place une aide de 750 euros par conteneur de quarante pieds. Cette aide est valable pendant un an, jusqu'au 31 juillet 2023 ; aucun de nos concurrents n'a pris une telle mesure.

En ce qui concerne les départements et territoires d'outre-mer, nous n'avons donc pas vu l'explosion des tarifs de fret, au contraire. Cette explosion des tarifs de fret a eu lieu essentiellement sur les marchés dit « est-ouest » entre l'Asie et l'Europe ou l'Asie et les États-Unis ainsi que l'Amérique latine.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Êtes-vous conscient de la part du fret dans la composition du prix et de certains calculs qui sont effectués en valeur plutôt qu'au poids, que certains distributeurs souhaiteraient voir changer ? J'aimerais rentrer dans le coeur du moteur de la composition d'un prix.

M. Grégory Fourcin. - À titre d'exemple, la part du prix du fret dans la valeur de la marchandise une fois vendue en Martinique et en Guadeloupe se situe entre 6 % et 8 %. Cela dépend également de la valeur du produit, un conteneur de pâtes ou un conteneur de champagne n'a pas la même valeur à la vente. Cependant, nos tarifs de fret s'appliquent de la même manière, peu importe la nature du produit. Nous n'avons pas la maîtrise de la marchandise qui va dans les conteneurs et nous n'organisons pas cette logistique. Ce que je peux néanmoins vous dire, c'est que la part du transport maritime dans les ventes en Martinique et en Guadeloupe est faible.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Seriez-vous prêts à participer à une réflexion, avec les distributeurs et l'État, sur la prise en compte du critère valeur marchande dans le calcul du fret ?

Ainsi, l'application d'un taux de 6 %, dans un cas, sur le prix de vente des iPhones, qui s'élève à un peu plus de 1 000 euros en Martinique, ce qui les destine plutôt à une élite au pouvoir d'achat élevé, et dans l'autre cas, à un conteneur de pâtes, a des effets complètement différents sur le coût de la marchandise livrée.

Les distributeurs, comme les réflexions en cours, vont dans le sens d'une révision des modes de calcul et d'application des tarifs de fret afin qu'ils tiennent davantage compte de la valeur marchande.

M. Grégory Fourcin. - Nous sommes prêts à participer à ces réflexions avec vous.

La réponse ne viendra pas uniquement du groupe CMA CGM et des transporteurs maritimes. Un ensemble d'éléments doit être pris en considération.

L'iPhone et plus généralement les smartphones sont un bon exemple. L'octroi de mer sur ce type d'appareil est quasiment de zéro, tandis qu'il est important sur des produits alimentaires de première nécessité dans certains territoires, notamment en Martinique et en Guadeloupe.

Certes, la valeur marchande du produit doit être prise en compte, mais lorsqu'un produit est vendu en Guadeloupe ou en Martinique, l'octroi de mer a également un effet sur son prix de vente. Ce facteur ne doit pas être négligé.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Je remercie le groupe CMA CGM d'accepter de participer à ces réflexions.

Je précise que pour de nombreux produits de première nécessité, l'octroi de mer est proche de zéro. C'est le cas en Martinique, territoire que je connais le mieux.

Il ne faut malheureusement pas oublier que l'octroi de mer complète le financement des budgets des communes. Si l'État s'engageait à accorder une dotation globale de fonctionnement correspondant aux calculs effectués pour les communes en France métropolitaine, ce qui permettrait de baisser le taux de l'octroi de mer, j'applaudirai des deux mains.

Toutefois, pour l'instant, l'octroi de mer contribue au budget de fonctionnement des communes. Les Martiniquais et les autres habitants des départements financent donc directement, de leurs poches, les budgets de fonctionnement des communes. C'est un peu comme s'il existait une taxe douanière à l'entrée de Paris ou de Bordeaux qui contribuerait au financement de ces communes.

L'octroi de mer est souvent décrié mais sa baisse pourrait avoir des conséquences sur les budgets de fonctionnement des communes. La réflexion doit donc être globale. Je tiens vraiment à cette proposition de travail sur la valeur du produit embarqué et sur une meilleure péréquation en matière de taux de fret.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - Vous représentez un groupe exceptionnel, leader mondial du transport maritime et fleuron de notre économie nationale. Voilà quelques mois, nous auditionnions votre président-directeur général, qui avait présenté le groupe et sa stratégie. Je vous remercie encore une fois de votre présence.

Comme vous l'avez souligné, en tant que société française, vous avez une véritable stratégie à l'égard des outre-mer.

À propos de la part du fret dans les marchandises, le taux de 6 % à 8 % que vous avez indiqué est-il spécifique aux outre-mer ? Peut-il être encore plus faible pour certains territoires qui répondraient à une stratégie de développement ? Est-ce une véritable orientation politique de privilégier les territoires ultramarins parce que votre entreprise a son siège social à Marseille ?

Le facteur prix nous semble être déterminant pour assurer cette continuité territoriale, comme pour favoriser les échanges humains et matériels. Plus le prix est compétitif et abordable, plus les flux se développent et plus les liens entre l'Hexagone et les outre-mer sont confortés.

Sur quels facteurs supplémentaires pourrait-on agir pour avoir des prix de plus en plus compétitifs dans nos territoires ultramarins, atlantiques ou pacifiques ?

M. Grégory Fourcin. - Oui, nous avons une politique de tarifs qui, sans dire qu'elle est avantageuse, est bien différente de celle en direction d'autres territoires américains, latino-américains ou nord-européens.

À ce jour, la part du fret dans le prix de vente est faible. La moyenne de nos taux de fret, calculée sur une durée de cinq ans ou de dix ans, est stable et ne progresse pas.

Le fret, pour les Antilles ou les autres territoires ultramarins, ne variant pas, le prix de vente ne doit donc également pas varier.

Je voudrais soumettre à votre attention quelques éléments d'information afin d'éclairer le débat.

Ainsi, pour faire fonctionner une ligne entre Le Havre et Papeete, treize navires sont nécessaires. L'investissement de départ est donc important. Des investissements supplémentaires sont ensuite obligatoires pour maintenir les équipements à niveau et disposer de navires modernes ne rejetant pas un volume trop important de dioxyde de carbone (CO2). Il en va de même pour l'ensemble des territoires ultramarins.

Nous devons être compétitifs et disposer d'une flotte moderne.

À propos des prix, ne pourrait-on pas travailler ensemble afin de pratiquer ce qu'il est convenu d'appeler du near sourcing ou de l'approvisionnement local ? Il s'agirait de chercher des sources d'importation de marchandises autres que la métropole, avec laquelle les temps de transport sont longs et les coûts de fret peut-être un peu élevés au regard de la valeur de ce qui est transporté.

Par exemple, ne pourrait-on pas acheter des pommes de terre à Cuba et les importer aux Antilles ? Ou importer des salades depuis le Costa Rica ?

Cette réflexion doit être menée. Si l'importateur souhaite baisser son prix de vente, il est obligé de tenir compte de cette régionalisation des flux et des possibles lieux d'approvisionnement.

Les distances entre la métropole et les territoires ultramarins sont une réalité intangible. J'invite donc l'ensemble des acteurs à réfléchir à des sources d'approvisionnement plus proches.

Notre groupe est également prêt à aider les importateurs locaux à trouver les vecteurs et les réseaux leur permettant de s'approvisionner en parcourant des distances plus courtes et peut-être à moindre coût. Cette possibilité est importante et doit être examinée avec attention.

Il me semble également nécessaire de développer le e-commerce en outre-mer. Si en métropole, il est possible d'importer très rapidement ce que l'on souhaite, cela ne me semble pas être le cas dans les départements et territoires d'outre-mer.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - La continuité territoriale concerne les relations entre l'Hexagone et les territoires ultramarins mais également celles entre territoires ultramarins. Or, le prix du fret pour un trajet entre la Guadeloupe et la Martinique peut être parfois plus élevé que celui pour un trajet vers l'Hexagone. C'est ce qui est ressorti des travaux de nos collègues sur la gestion des déchets outre-mer.

M. Grégory Fourcin. - Si vous disposez d'éléments d'information sur ce sujet, je serais ravi d'en prendre connaissance.

Je n'ose pas imaginer que le coût du fret soit plus élevé dans ce cas. C'est à vérifier. Néanmoins, ce n'est pas la politique appliquée à ce jour. Et les échanges sont très faibles entre la Guadeloupe et la Martinique.

Nous assurons des échanges entre les Antilles et la Guyane, pour lesquels nous disposons de services spécialisés.

Je suis d'ailleurs très fier d'annoncer que nous allons ouvrir le 22 mars prochain une escale à Saint-Laurent-du-Maroni, dans l'ouest de la Guyane. Le développement démographique, celui des installations d'entreprises et la possibilité de réaliser des importations depuis cette escale justifient son ouverture.

Toutefois, Saint-Laurent-du-Maroni est un port fluvial disposant de seulement quatre mètres de profondeur, ce qui est une contrainte forte. Mais nous allons pouvoir développer ce lien régional et offrir une solution aux importateurs situés dans l'est de la Guyane, qui pourront s'approvisionner directement à Saint-Laurent-du-Maroni et ne plus avoir à réaliser de trajets en camions depuis Cayenne. Une escale aura lieu une fois par mois.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Je vous remercie de votre annonce concernant Saint-Laurent-du-Maroni. Avec sa démographie galopante et son poids économique, cette ville dépassera bientôt Cayenne. Vous avez annoncé, il y a quelques mois, une baisse de vos taux de fret à destination des outre-mer dans le but de contribuer à l'effort de modération des prix à la consommation. L'année précédente, vous aviez déjà pris la décision de geler ces taux. Je dois reconnaître qu'il s'agit d'efforts louables, mais cela me conduit à m'interroger : devons-nous croire que les taux pratiqués auparavant étaient excessifs ? Je rejoins les propos de Catherine Conconne. Je n'ai pas perçu les conséquences de vos efforts dans les prix pratiqués par les commerces. J'admets que vous n'êtes pas les mieux placés pour m'apporter une réponse sur ce point, mais nous sommes très sensibles au prix du panier de la ménagère, qui est très élevé. Nos compatriotes en souffrent.

Mme Victoire Jasmin. - Pourriez-vous revenir sur la réduction du coût du taux de fret, que M. Rodolphe Saadé avait annoncé, et que nous avons rencontré en Guadeloupe ?

Certains armateurs, notamment Maersk, n'opèrent plus les lignes desservant nos territoires. Quelles seront les conséquences sur le volume de conteneurs transportés par les bateaux de CMA CGM ?

Vous avez évoqué une piste très intéressante : faire certains achats, en circuit court, dans d'autres îles de la Caraïbe. Néanmoins, cela ne soulèverait-il pas des problèmes en matière de respect des normes, notamment phytosanitaires, qui sont en vigueur en France et pas ailleurs, d'autant plus que les régions ultrapériphériques (RUP) sont soumises au programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) ? C'est un point qu'il faut creuser.

Lors de l'examen du projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, en juillet dernier, je m'étais opposée à un amendement du Gouvernement visant à établir un prêt à taux zéro pour remplacer les flottes de véhicules de marchandise par des véhicules propres. J'avais justement évoqué les difficultés que le transport de véhicules électriques vous avait posées, en raison du risque incendie. Un tel transport est-il désormais possible, sachant que les conditions d'un déploiement de ces véhicules dans nos territoires ne sont pas encore réunies ?

M. Grégory Fourcin. - En ce qui concerne la Guyane, la première escale à Saint-Laurent-du-Maroni marquera le début d'une belle aventure.

Le taux de fret a été gelé et une réduction de 750 euros a été mise en place, soit près de 20 % du taux de fret en Guyane et environ 30 % à la Guadeloupe. Toutes les semaines depuis le 1er août dernier, les conteneurs à destination des départements d'outre-mer bénéficient de ce rabais de 750 euros - CMA CGM est le seul armateur à avoir pris cette décision. Malheureusement, force est de constater que les prix de vente n'ont pas baissé dans les magasins, et c'est frustrant. Aussi, lorsque cette réduction prendra fin - le 31 juillet 2023 - je n'aimerais pas entendre que les prix de vente vont augmenter, au motif que les 750 euros les auraient fait baisser, car cela n'a pas été le cas ! Si l'on suppose que le coût lié au transport maritime est si important dans le prix de vente d'un produit, alors comment comprendre que cette remise n'ait pas fait baisser les prix ? Nous faisons un effort financier, mais nous ne constatons pas ses effets, et c'est malheureux !

Maersk, qui transportait chaque semaine environ 400 conteneurs vers les Antilles, a décidé de se retirer de ce marché ; les clients qui chargeaient avec Maersk le feront désormais avec CMA CGM, qui continuera de desservir le mieux possible ce marché. Il existe d'autres acteurs Seatrade, Marfret et Soreidom, qui transporte du vrac.

CMA CGM est un trait d'union entre l'Hexagone et les outre-mer, où nous avons renforcé notre offre - j'ai parlé de l'ouverture de la ligne vers Saint-Laurent-du-Maroni. Nous avons également lancé le service Kalinago dans les Antilles pour favoriser des achats de proximité. Ce service offre la possibilité aux importateurs martiniquais et guadeloupéens de se fournir, toutes les semaines, dans les îles autour des Antilles - Porto Rico, Roseau à la Dominique, la Barbade ou encore Antigua, par exemple. Il faut par ailleurs avancer sur le sujet des normes, c'est important. Il n'est actuellement pas possible d'importer directement, par exemple, des couches-culottes depuis Guyana, à moins de les faire transiter par la métropole.

Des navires rouliers ont coulé à cause de véhicules électriques au début de l'année 2022 car les batteries, sous l'effet de la température dans la cale, ont pris feu. Nous n'avons toutefois pas arrêté de transporter des véhicules électriques à la Guadeloupe et à la Martinique, mais ils sont désormais placés dans des conteneurs réfrigérés à une température de 20 degrés positifs et les batteries sont déchargées à 40 %, ce qui évite tout problème. Nous ne sommes qu'un petit acteur du transport des véhicules électriques.

Mme Micheline Jacques, présidente. - La question des normes est le cheval de bataille de notre délégation : s'approvisionner dans son bassin géographique devrait être plus facile !

Par ailleurs, j'aimerais soulever le problème de la date de péremption des produits frais, qui ne ressort pas de vos compétences. À Saint-Barthélemy, les délais permettant la consommation des produits sont très limités ; cela entraîne du gaspillage, ce qui peut pousser à la hausse le prix des marchandises. Aussi, le développement d'Air Cargo, que j'accueille avec beaucoup d'enthousiasme, permettrait-il de raccourcir les délais de livraison ? De plus, le coût des produits transportés par fret aérien sera-t-il différent du prix du fret maritime ? Comment trouver un prix assez équilibré pour que vous ne vendiez pas à perte et que le consommateur ne soit pas trop affecté ?

M. Grégory Fourcin. - Un Airbus A330 peut transporter jusqu'à 60 tonnes contre une centaine de tonnes pour un Boeing 777, alors qu'un bateau transporte entre 50 000 et 100 000 tonnes. Les tarifs sont calculés par kilogramme dans le fret aérien, mais par conteneur, soit 30 tonnes maximum, dans le fret maritime. Les échelles sont totalement différentes.

Mme Micheline Jacques, présidente. - La taille des avions qui atterrissent à Saint-Barthélemy est très limitée ! C'est pourquoi, selon moi, il serait possible de desservir Saint-Martin ou Saint-Barthélemy par bateau depuis la Guadeloupe, par exemple, si elle était desservie par avion.

M. Grégory Fourcin. - Oui, il est tout à fait possible de faire du Air-Sea, comme l'on dit dans le jargon, c'est-à-dire décharger des marchandises, avec les avions de CMA CGM Air Cargo, en Guadeloupe par exemple, et les transporter ensuite vers Saint-Barthélemy en bateau. Nous étudierons cette possibilité à la Guadeloupe et à la Martinique, où il y a déjà beaucoup de concurrents. Nous n'avions pas encore envisagé cette option mais nous allons l'étudier.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - C'est normal que les effets de la remise de 750 euros ne soient pas ressentis dans le panier de la ménagère. Reprenons l'exemple du paquet de pâtes, qui est un produit de très grande consommation : si l'on divise les milliers de paquets de pâtes que l'on peut trouver dans un conteneur de quarante pieds par 700 euros, soit le montant de la remise, alors le résultat sera infime ! Voilà pourquoi nous ne voyons pas les effets de la remise sur le prix des marchandises.

Aussi, il faut travailler à une meilleure péréquation dans l'application des tarifs. Actuellement, il est préférable de réaliser un effort supplémentaire sur les produits de première nécessité et de ne faire aucune réduction sur les conteneurs transportant du matériel informatique haut de gamme, ou autres produits high-tech. Cela n'a pas de sens de faire baisser de 2 euros ou 3 euros le prix d'une télévision grand écran, hyper connectée qui coûte quelque 1 500 euros !

Cette baisse doit porter majoritairement sur les produits de la grande distribution - l'huile, les pâtes, le riz -, cela serait plus efficace.

M. Grégory Fourcin. - Nous ne nous rejoignons pas sur ce point. La valeur d'un conteneur de pâtes, ce n'est pas le poids ni le nombre de pâtes, mais la valeur du conteneur. Par exemple, si la valeur d'un conteneur de pommes de terre est de 5 000 euros, si j'enlève 750 euros, je fais baisser le prix de la pomme de terre de 15 %. Cette baisse se voit-elle dans les rayons ?

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Si vous vendez 2 euros le kilo de pommes de terre et que vous baissez le prix de 15 %, le ressenti est infime pour le consommateur. Nous sommes dans une discussion, ne soyez pas sur la défensive. Je n'ai rien contre CMA CGM, je ne suis pas là pour critiquer ni pour juger. Nous voulons proposer une solution adéquate au Gouvernement. N'y a-t-il pas moyen de revoir cette baisse de 750 euros, si elle perdure ? M. Rodolphe Saadé s'est engagé devant nous, y compris rue Oudinot.

Il faudrait une augmentation supplémentaire sur les produits de première nécessité, et atteindre une stagnation ou une baisse pour les autres produits sur lesquels la baisse sera moins ressentie. Qu'une télévision haut de gamme coûte 1492 ou 1500 euros, le consommateur s'en moque. Mais sur un conteneur d'huile, cela pose problème. Il faut mieux flécher les produits concernés.

M. Stéphane Artano. - Il est important pour la France d'avoir des grands groupes de transport maritime. Je reviens d'un passionnant séjour aux Antilles avec le président du Sénat. Nous avons vu dans les grands ports maritimes, le renforcement du positionnement de CMA CGM et l'approvisionnement de proximité. Cela incite les grands ports maritimes à revoir leur stratégie de développement, et c'est l'occasion de donner un statut davantage privé au grand port maritime (GPM) pour avoir un effet de levier plus important pour lever des fonds.

Je suis sensible aux déclarations de M. Fourcin sur l'approvisionnement de proximité : 50 % des importations de Saint-Pierre-et-Miquelon viennent d'Amérique du Nord, 50 % d'Europe. Nous avons cependant une difficulté avec certaines normes et certains emballages, notamment pour les produits phytosanitaires et les normes de construction imposant des produits européens. Et lorsque les échanges sont régionaux, le transporteur ne fait pas de l'international et les effets de seuil impactent les frais de transport.

Vous voulez faire en Guadeloupe un hub régional de CMA CGM qui éclaterait ensuite dans la région, pour passer ensuite par Panama afin d'atteindre l'ouest des États-Unis.

Il y a eu un projet de hub maritime à Saint-Pierre-et-Miquelon, à hauteur de 400 millions d'euros, afin de faire venir des navires et faire éclater leur cargaison ensuite. C'est la démarche que vous avez en Guadeloupe. Serait-ce un positionnement idoine actuellement pour atteindre l'Amérique du Nord, ou ce projet de l'époque doit-il rester à l'état de projet ?

CMA CGM est partenaire du projet Neoline qui devrait toucher Saint-Pierre-et-Miquelon par sa ligne transatlantique. Cependant, la multiplication des acteurs logistiques rajoute du surcoût.

M. Grégory Fourcin. - Le projet de hub en Guadeloupe et en Martinique est né d'un problème identifié et qui touche l'ensemble de l'industrie maritime : les nouvelles règles OMI 2023 de l'Organisation maritime internationale (OMI), mises en oeuvre en 2024, contraindront les transporteurs maritimes à faire davantage attention à leurs rejets de CO2. Nous aurons donc du mal, à l'avenir, à desservir des territoires actuellement desservis. C'est comme les nouvelles normes pour les réfrigérateurs : nous aurons une classification par rapport à l'utilisation du navire sur la ligne. Les services sur les Antilles et la Guyane seront touchés par ces nouvelles règles. Nous devrons revoir notre schéma et investir sur des navires plus grands car actuellement nous avons des rejets trop importants pour continuer à desservir ces territoires.

Nous avons des navires de 3 500 équivalents vingt pieds (EVP) pour l'Europe, de 2 200 EVP pour la Guyane. Nous devrons nous adapter pour desservir ces territoires tout en respectant les règles de l'OMI. Actuellement, ils sont desservis toutes les semaines avec un temps de transit tout à fait acceptable, même pour les produits frais.

Nous avons trouvé une solution : construire des navires de dernière génération, soit de 7 000 EVP - taille maximale - qui pourraient décharger en Guadeloupe et Martinique, et créer de la valeur en transbordant des conteneurs pour le plateau des Guyanes, et en Martinique en transbordant des conteneurs issus du nord du Brésil et des Caraïbes. Nous avons défini ainsi ce concept de hub pour l'import en Guadeloupe, et pour l'export en Martinique. Ce projet verra le jour en 2024-2025. Ces navires seront propulsés au gaz naturel liquéfié (GNL). L'objectif est de créer un corridor vert, et que le navire brûle du biométhane, gaz qui n'émet pas de CO2. Nous sommes encore en négociations, et espérons pouvoir naviguer entre l'Hexagone et les Antilles et la Guyane avec un navire totalement vert. Le GNL émet 20 % d'émissions de CO2 de moins que le fioul.

Je n'avais pas connaissance du dossier sur le hub de Saint-Pierre-et-Miquelon. Je crois que ces annonces ont été faites en 2016 par le Premier ministre Manuel Valls. Pour un hub, il faut massifier un flux entrant et/ou sortant. À Saint-Pierre-et-Miquelon, il faudrait chercher des destinations canadiennes ou américaines. Or actuellement, le consommateur dans ces territoires veut un service direct. Pour pouvoir mettre en place ce type de système, on subirait la concurrence des lignes directes, par exemple Le Havre-Halifax, sans passer par Saint-Pierre-et-Miquelon.

Je serais néanmoins ravi d'étudier ce projet pour comprendre sa finalité et savoir quels volumes étaient en jeu. Pour exporter des marchandises vers les États-Unis, il faut aussi remplir des formalités douanières pour respecter la Container Security Initiative (CSI), ce qui rajoute une complexification.

CMA CGM est partenaire de Neoline, un navire qui démarrera en 2025, avec l'équivalent de 1 200 mètres linéaires, soit 260 conteneurs, et pourra contenir 400 véhicules à l'intérieur. Il fonctionnera à l'électrique et à la voile. Nous avons hâte de voir ce navire innovant à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Mme Nassimah Dindar. - Le problème du fret se pose à La Réunion et pour tous les ultramarins, y compris pour Mayotte. Nous apprécions les 750 euros de réduction.

Vous investissez aussi beaucoup dans l'aérien. Comment verriez-vous une aide de l'État ou de l'Europe, car il faut à la fois aider les compagnies aériennes et les collectivités territoriales qui aideront les usagers ? En tant qu'investisseur dans Air France, comment voyez-vous ces aides pour la continuité territoriale, des personnes et des marchandises ?

M. Grégory Fourcin. - Je ne suis pas spécialiste du partenariat avec Air France. La filiale CMA CGM Air Cargo est 100 % fret. Nous ne transportons pas de passagers. Nous avons fait deux « touchers » à La Réunion l'année dernière. Je ne pourrai donc vous répondre sur l'action souhaitable de l'État, la continuité territoriale et les aides.

Avec cette filiale, nous voulons être indépendants et répondre aux besoins des importateurs à La Réunion. Nous aurons des Boeing 777 capables d'aller à La Réunion - c'est plus difficile avec des Airbus - et serons un acteur du fret aérien.

Mme Nassimah Dindar. - Lorsqu'on parle du fret, le prix est le sujet qui intéresse les usagers, qu'ils soient commerçants, agriculteurs ou consommateurs. Vous avez montré que vos investissements étaient aussi nécessaires.

M. Grégory Fourcin. - Merci de votre action pour l'arrivée des portiques. Nous en avions besoin et l'exploitation a été difficile durant deux ans. Il est important que les ports ultramarins puissent continuer à accueillir des navires plus verts, plus grands, pour que le fret reste compétitif.

J'ai vécu à La Réunion. Ce port a énormément de potentiel. Il faut suffisamment d'espace pour fluidifier et que le travail sur les quais se passe bien. Nous devons continuer à faire cela dans d'autres ports ultramarins. Il y a de nouveaux projets en Martinique et en Guadeloupe. Port-Louis veut accueillir plus de marchandises et du transbordement. N'oublions pas qu'il y a des ports ultramarins compétitifs. Les autorités doivent le savoir. En République dominicaine, les ports se sont vite transformés, grâce à des investisseurs privés. Nous devons, avec les autorités, nous rapprocher pour avoir les meilleurs outils.

M. Philippe Folliot. - Pour la France et notre économie bleue, avoir un groupe comme le vôtre est une grande chance et un atout exceptionnel. La France se croit continentale et européenne alors qu'elle est mondiale et maritime. Vous êtes une expression de cette « mondialité » et de cette « maritimité ».

La Réunion est située sur une route commerciale importante et pleine d'avenir. Il est difficile, dans nos ports, et particulièrement ultramarins, d'avoir des espaces qui ne sont pas contraints par le manque de place. Ce n'est pas le cas à La Réunion, où la réserve foncière est vaste.

On parle beaucoup des entreprises faisant des superprofits. Vous avez été ciblés. Mais plutôt que d'aller vers une taxation, qui n'est pas le schéma le plus opportun, n'y aurait-il pas moyen de travailler, gagnant-gagnant, entre CMA CGM et les collectivités ultramarines pour les accompagner dans la modernisation de leurs infrastructures ? J'ai entendu votre volonté de répondre aux nouvelles exigences environnementales de l'OMI. Vous jouez un rôle important. Pourquoi ne pas développer des activités de réparation et d'entretien de vos paquebots ? Comment développer de l'activité dans les outre-mer ?

Vous pourriez dire que vous avez certes des profits importants, mais que vous investissez dans le transport vert et que vous améliorez vos dessertes ultramarines. Nous pourrions mettre en avant cet argument devant ceux qui contestent vos profits. Je dirai la même chose aux représentants de Total, pour qu'ils investissent dans les énergies renouvelables.

Nos territoires ultramarins sont tous liés à la mer. Vous pourriez être des facilitateurs.

M. Grégory Fourcin. - Nous sommes prêts à étudier toutes les possibilités pour accompagner les territoires, et par exemple la réparation des porte-conteneurs. Encore faut-il que les ports soient équipés de ports flottants. Parfois, nous faisons du soutage. À l'avenir, j'espère que nous souterons du GNL dans ces territoires, voire que nous développerons ensemble une industrie verte.

Notre président a lancé un fonds vert de 1,5 milliard d'euros pour verdir notre industrie, et pourquoi pas utiliser demain des énergies renouvelables comme la bagasse de la canne à sucre pour créer de la valeur dans nos territoires ? Nous devons travailler ensemble. C'est important pour nous, transporteur maritime français très présent dans les territoires ultramarins, d'être proche des attentes locales.

Nous avons réalisé de nombreux événements, et investi dans une fondation et dans l'incubateur ZEBOX en Guadeloupe. Nous devons continuer à investir, peut-être dans la réparation navale.

Mme Victoire Jasmin. - Pourquoi pas dans la formation ?

M. Grégory Fourcin. - Nous aurons la CMA CGM Academy à Marseille ; pourquoi ne pas multiplier ces initiatives ? ZEBOX est un incubateur qui permettra à des start-ups de progresser et d'amener de la valeur dans nos territoires.

La formation à Marseille ouvrira l'année prochaine. Travaillons main dans la main pour créer cette valeur dans vos territoires.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Nous vous remercions Monsieur le directeur, pour votre optimisme, votre écoute et votre volonté de travailler avec les territoires ultramarins.

Jeudi 16 février 2023

- Présidence de M. Stéphane Artano, président -

Audition de MM. Maël Disa, président, Saïd Ahamada, directeur général et Mme Florence Svetecz, secrétaire générale de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM)

M. Stéphane Artano, président. - Chers collègues, dans le cadre de l'étude que nous menons sur la continuité territoriale et dont Catherine Conconne et Guillaume Chevrollier sont les rapporteurs, nous auditionnons ce matin l'acteur clé du dispositif public dans ce domaine qui intervient à travers ses aides financières : l'Agence De l'Outre-mer pour la Mobilité (LADOM).

Nous avons le plaisir d'accueillir en présentiel : son président M. Maël Disa, son directeur général M. Saïd Ahamada et sa secrétaire générale Mme Florence Svetecz.

Monsieur le président, vous allez avoir la parole afin de présenter vos observations sur la situation actuelle et les perspectives à venir, sur la base de la trame qui vous a été transmise, selon une procédure que vous connaissez bien puisque nous avons eu l'occasion de vous entendre dans le cadre de vos fonctions de délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer et la visibilité des outre-mer.

Vos observations pourront être complétées par M. Saïd Ahamada que nous avons également le plaisir de saluer dans ses nouvelles fonctions et par Mme Florence Svetecz, qui a assuré jusqu'il y a peu de temps la direction par intérim et qui connaît particulièrement bien cet établissement.

Comme vous le savez, nous nous interrogeons notamment sur la réforme de LADOM que vous avez la charge de conduire et à laquelle nous souhaitons apporter notre contribution.

Je laisserai les rapporteurs intervenir pour vous demander des précisions, ainsi que nos autres collègues qui - j'en suis certain - auront beaucoup de questions à vous poser.

Monsieur le président, vous avez la parole pour votre présentation générale avant d'entrer dans le détail des questions.

M. Maël Disa, président de l'Agence De l'Outre-mer pour la Mobilité (LADOM). - Merci, monsieur le président, de nous accueillir aujourd'hui.

Je voudrais juste préciser un point technique relatif aux différentes structures. Les délégations existent toujours. Je suis donc encore cumulard pour le moment, en tant que délégué et président du Conseil d'administration de LADOM. Un projet de rapprochement entre les structures a effectivement été annoncé par le ministre en septembre dernier. Nous y travaillons et nous en reparlerons sans doute ultérieurement. Pour l'heure, les deux structures existent encore et travaillent pour l'instant sur des périmètres distincts, qui ont vocation à se rejoindre et constituer une structure globale, avec une vision périphérique sur tous les sujets.

Je cède la parole au directeur général, Monsieur Saïd Ahamada, pour la présentation générale de LADOM.

M. Saïd Ahamada, directeur général de l'Agence De l'Outre-mer pour la Mobilité (LADOM). - Comme vous l'avez précisé, je suis nouvellement arrivé aux fonctions de directeur général de LADOM. Cela fait exactement un mois aujourd'hui que le décret est paru. Je laisserai Madame Florence Svetecz évoquer l'antériorité. Elle a su assurer l'intérim avec brio, pendant les dix derniers mois. Elle vous alimentera notamment en matière de chiffres et de résultats d'activité.

Je commencerai par une présentation de LADOM dans ses missions principales et son organisation, même si vous êtes déjà largement au fait de ces questions.

LADOM travaille à la mobilité des ultramarins. C'est l'outil principal de la mobilité des ultramarins à disposition du Gouvernement, sous tutelle du ministère des outre-mer et du ministère du budget. Elle compte dix-huit représentations, antennes ou directions territoriales sur les territoires, six en outre-mer et le reste dans l'Hexagone. Elle entretient évidemment des liens étroits avec les collectivités d'outre-mer (COM), où nous n'avons pas de représentation physique, mais avec lesquelles nous travaillons de manière quotidienne.

Pour ce qui est des outils principaux mis à disposition des bénéficiaires de LADOM, les étudiants ont accès au passeport mobilité pour les études (PME). Il permet aux étudiants boursiers d'avoir un financement à 100 % de leur billet pour venir étudier dans l'Hexagone et à hauteur de 50 % pour les autres.

Pour ce qui concerne la formation professionnelle, il existe un passeport mobilité formation professionnelle (PMFP). Il permet aux ultramarins qui souhaitent se former, soit dans leur zone régionale, y compris d'ailleurs dans les États voisins, soit en Hexagone, pour suivre des formations qui sont soit inexistantes sur place, soit saturées. C'est un point important à préciser. Nous offrons la possibilité à ces personnes d'aller se former, acquérir des compétences, puis revenir ensuite, si elles le souhaitent (c'est le cas d'une personne sur deux), dans leur territoire d'origine, pour continuer à y travailler.

Nous proposons aussi l'aide à la continuité territoriale (ACT), que vous connaissez bien. Sous conditions de ressources, elle permet tous les trois ans révolus à un ultramarin de se déplacer pour des raisons familiales, diverses ou variées, que nous ne contrôlons pas, car nous n'avons pas à connaître la raison pour laquelle ils viennent. L'ACT permet de cofinancer le billet, sous forme de bons. Florence Svetecz vous dira ce que cela représente en nombre et en pourcentage du billet. C'est un sujet important dans la période actuelle. La prise en charge du billet se situe à environ 40 %, ce qui n'est pas négligeable. Cette aide est proposée sous conditions de ressources, comme tous les dispositifs que j'ai évoqués, puisqu'il s'agit de permettre à ceux qui ont le moins de moyens de pouvoir accéder à ces dispositifs, à un épanouissement professionnel ou au bénéfice des liens familiaux.

Je terminerai par dire qu'il s'agit d'une vraie mission de service public. C'est ce qui m'anime. C'est la raison pour laquelle j'ai accepté cette mission. Nous ne sommes ni une agence de voyages ni une succursale de Pôle Emploi. En premier lieu, nous oeuvrons d'abord pour le lien entre les hommes et les femmes, entre les Français, où qu'ils soient sur le territoire. En outre, nous favorisons l'ouverture du champ des possibles pour tous les Français, où qu'ils soient, pour que la question de la mobilité ne soit pas un frein - autant que faire se peut, avec les moyens qui sont les nôtres - pour qu'un jeune ou un moins jeune, qu'il habite à Paris intra-muros, à Fort-de-France ou à Cayenne, ait les mêmes chances de réussite et qu'il soit uniquement limité par ses compétences intellectuelles, techniques ou manuelles. À mon sens, c'est le rôle de la République et c'est la mission principale de LADOM.

Mme Florence Svetecz, secrétaire générale de l'Agence De l'Outre-mer pour la Mobilité (LADOM). - Concernant les étudiants, les chiffres 2022 viennent d'être stabilisés. Les achats de billets s'effectuent à taux plein, comme vient de le dire Monsieur le directeur général, ou à demi-tarif. 9 276 étudiants ont été accompagnés sur les territoires DROM, pour un montant de 15 millions d'euros. Au titre de l'accompagnement à la continuité territoriale, c'est-à-dire l'émission de bons aller-retour pour les personnes qui veulent venir en Hexagone, soit pour le loisir (voir leur famille, pour un lien économique, etc.), soit dans le cadre du funéraire, soit dans les ACT spécifiques que sont l'accompagnement des doctorants, des sportifs « espoirs » et des artistes. 48 000 bons ont été émis, pour un montant de 14 millions d'euros, avec un report de 2 millions sur l'année suivante. Notre activité a donc généré 16 millions d'euros de frais pour LADOM de l'ACT en 2022.

Je précise que des chiffres affinés vous parviendront par mail. Sur le PMFP, LADOM a en charge les demandeurs d'emploi qui veulent exercer une mobilité vers l'Hexagone ou dans le bassin de vie. Pour les DROM 1 984 personnes ont été accompagnées et 103 personnes accompagnées dans les COM, principalement en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Saint-Pierre-et-Miquelon reste plus marginal. Le montant total est de 13,3 millions d'euros, puisque nous prenons en charge les rémunérations (si besoin), l'aide à l'installation et le billet à plein taux. Le transport lié à cette action a représenté 3,2 millions d'euros. Vous l'aurez deviné, le principal impact sur le budget de LADOM en 2022 a été l'augmentation du prix des billets d'avion, qui a représenté un surcoût de 4,6 millions d'euros. Dans ce cadre, avec le président Maël Disa, la DGOM et le ministre, nous avons travaillé sur une éventuelle augmentation des bons ACT, pour les personnes qui veulent voyager et dont le coût du billet était prohibitif. Un nouvel arrêté devrait paraître bientôt, pour augmenter le niveau du bon. Ce niveau est actuellement fixé par territoire. Il se situe entre 270 euros par aller-retour pour la zone caraïbe et 440 euros pour Mayotte, en passant par La Réunion à 360 euros.

Votre trame intégrait une question sur le partenariat avec Pôle Emploi. Depuis très longtemps, LADOM a noué un partenariat avec Pôle Emploi. En septembre 2021 a été signé un partenariat qui a pris effet au 1er janvier 2022. Il prévoit, pour une année de transition, un accompagnement différent par le personnel de LADOM. Auparavant, quand un ultramarin demandeur d'emploi avait un projet de mobilité vers l'Hexagone pour une formation, LADOM prescrivait la formation, trouvait l'organisme de formation à travers un marché et trouvait le logement, toujours à travers ce marché. Elle accompagnait la personne sur le territoire hexagonal pendant sa formation et jusqu'à six mois après. En 2022, avec la loi Liberté Travail, LADOM n'est plus prescriptrice. Désormais, nous travaillons différemment avec Pôle Emploi, avec un partage autour du bénéficiaire. Ce dernier peut soit venir à LADOM, soit se rendre à Pôle Emploi, puis un échange s'ouvre entre Pôle Emploi et LADOM pour accompagner au mieux le bénéficiaire, soit avec les aides de Pôle Emploi, soit avec les aides de LADOM. Ce partenariat change beaucoup la façon de faire, et implique la représentation de Pôle Emploi sur les territoires. Un temps d'appropriation important a été nécessaire, ce qui n'a pas conduit à une activité aussi importante qu'espérée en 2022 et qui tend à s'améliorer en 2023. Nous voyons que le travail avance. L'avantage premier de ce partenariat est qu'il donne accès aux ultramarins à tout le catalogue formation Pôle Emploi, ce qui offre a priori plus de possibilités, étant rappelé que LADOM n'apporte un accompagnement - et sans doute Pôle Emploi aussi - que si la filière ou la formation n'existe pas sur le territoire ou qu'elle est saturée. Avant tout, la réalisation de la formation sur le territoire d'origine est privilégiée.

Une question de notre trame porte sur le transport de corps. Il y a effectivement très peu de demandes. Quand des demandes sont soumises, elles ne sont pas toutes éligibles. Elles sont sous plafond de ressources. Tout l'accompagnement à la continuité territoriale en tant que tel est sous plafond de ressources, soit 11 191 euros par part fiscale et par foyer. Le PMFP est aussi sous plafond, mais à hauteur de 26 300 euros par part fiscale. Le transport de corps est soumis à plafond fiscal, puis nous intervenons sur le remboursement. Nous n'avançons pas les frais. C'est vrai que c'est un frein important car si l'avance est faite par une assistante sociale ou un centre communal d'action sociale (CCAS) local, nous ne pouvons plus intervenir, ce qui ne facilite pas l'accès à ce dispositif. La région Réunion a proposé de signer une convention avec nous pour une prise en charge immédiate de leur part, avec un système de remboursement de notre part ou un cofinancement, mais ce n'est pas permis par les textes.

M. Maël Disa. - Je répondrai à vos questions dans le désordre, vous m'en excuserez.

Madame Florence Svetecz a évoqué les évolutions législatives. Du fait de son rapprochement avec Pôle Emploi, LADOM et les missions de ses collaborateurs vont évoluer. Toute la partie prescription, qui constituait un élément fort de leur activité, est désormais « sous-traitée » à Pôle Emploi, ce qui libérera du temps pour d'autres tâches. C'est dans cet esprit que ce rapprochement entre la Délégation interministérielle et LADOM a eu lieu, afin d'utiliser au mieux ce temps libéré et donner à LADOM de nouvelles missions, en commençant par reprendre certaines missions de la Délégation, comme le logement. Jusqu'à présent, LADOM accompagnait les étudiants sur la billetterie, puis ces mêmes étudiants étaient accompagnés sur le logement par la Délégation. Désormais, les étudiants pourraient être accompagnés sur les deux thèmes par la même personne. Ce rapprochement visait aussi à faciliter l'accompagnement et rendre un meilleur service.

S'agissant des nouvelles missions de LADOM 2024, nous pouvons entrer dans le détail. C'est dans cet esprit que le sujet du rapprochement a été lancé, pour aboutir en fin d'année au nouveau LADOM 2024. Des réflexions et des concertations ont eu lieu, et doivent aboutir à une solidification de l'existant et au traitement de nouveaux sujets et de nouvelles missions. C'est dans cet esprit que nous nous inscrivons tous les trois aujourd'hui, avec à la fois des changements de personnes, ma nomination comme personne qualifiée, puis mon élection pour faciliter cette transition, du fait de ma présence dans les deux structures. Nous parviendrons à mettre en place ce changement dans l'année, grâce à la continuité apportée par Florence Svetecz et l'arrivée de Saïd Ahamada. Nous avons pour objectif de créer en 2024 un LADOM ayant des missions élargies, pour accompagner les étudiants et le public cible sur un périmètre plus large.

M. Said Ahamada vient d'évoquer l'évolution de LADOM. C'est un sujet très important, car il nous faut arriver à nous projeter. Une convention d'objectifs doit être définie avec le ministère de tutelle pour LADOM 2024. Après une période de consultation en interne et en externe, avec les locaux et les partenaires, au cours de laquelle Florence Svetecz s'est déplacée dans tous les territoires ou presque, pour prendre le pouls et savoir quels étaient les ressentis par rapport au travail actuel de LADOM, quelles étaient les attentes sur lesquelles nous étions éventuellement absents et où il nous fallait nous améliorer. Ce travail d'audit et de consultation va nous aider à nous projeter, évidemment de façon concertée avec les tutelles. Nous nous inscrivons dans une phase de co-construction de ce projet stratégique, qui devra évidemment recueillir une validation politique puis la vôtre, via le projet de loi de finances (PLF). En effet, des incidences budgétaires ne manqueront pas d'apparaître, ce qui concernera l'Assemblée et le Sénat, pour aboutir à un outil complètement opérationnel dès le 1er janvier 2024. Telle est en tout cas notre ambition.

Toutefois, avant 2024, il faut traiter l'année 2023, ce qui renvoie à votre question sur le rapport de la Cour des comptes. À ce jour, notre structure est financièrement saine. Il faut arriver à consolider nos acquis et consolider nos process, pour que nous soyons en capacité de nous projeter sur nos nouvelles missions. À mon sens, le partenariat avec Pôle Emploi est bénéfique. Il permet de faire bénéficier ou d'offrir aux ultramarins un panel de formations dont nous ne disposions pas auparavant. Il nous permet aussi de nous concentrer sur ce qui, à mon sens, constitue notre corps de métier à savoir l'accompagnement. À mon avis, nous devons être les référents mobilité pour les outre-mer et les ultramarins, avec une différence entre les deux, ce que je vous expliquerai dans un instant. L'année 2023 doit donc être l'année de la consolidation et du retour à une activité normale, après les périodes de confinement, qui ont forcément impacté les mobilités. Je pense que vous êtes très bien placés pour le savoir. Pour l'instant, nous en sommes au stade des réflexions sur la projection 2024. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il est très intéressant de pouvoir en discuter.

Je pense que LADOM, agence pour la mobilité, doit être l'agence pour la mobilité dans les deux sens. Nous devons évidemment permettre à celles et ceux qui souhaitent porter un projet professionnel qui ne peut pas se réaliser sur leur territoire ou dans leur région d'origine de le poursuivre dans l'Hexagone. Cela me semble être une promesse républicaine que nous devons tenir. Dans le même temps, LADOM doit aussi être au service des ultramarins et des outre-mer. Dans leur diversité, les outre-mer affichent tout de même certains points communs, avec notamment des métiers en tension et divers besoins. Je rappelle que nos missions sont régies par le code des transports, qui nous empêche parfois d'agir sur certains sujets, le fonctionnement restant quand même très encadré. Quoi qu'il en soit, nous devons être capables de répondre aux besoins des territoires, en formant des personnes qui répondent à ces besoins et en proposant un accompagnement. Je parlais de mobilité dans l'autre sens. Ainsi, nous devons accompagner des ultramarins (ou pas, d'ailleurs) qui se trouvent aujourd'hui dans l'Hexagone et qui souhaitent aller s'installer sur ces territoires et souhaitent apporter leur expérience et leur expertise. Il peut aussi s'agir de projets de vie de personnes qui sont à la retraite. Il faut pouvoir les accompagner. Notre travail actuel d'accompagnement des personnes en mobilité professionnelle, de recherche de logement, d'accueil à l'aéroport etc., doit aussi être proposé dans les territoires d'outre-mer. En un sens, sans affirmer qu'il s'agit là de notre ADN, c'est en tout cas notre plus-value. Comme vous le savez, il n'existe pas beaucoup d'agences qui comptent autant de représentations dans les outre-mer et dans l'Hexagone. C'est une force qu'il faut utiliser collectivement, pour être au service des territoires.

Divers items reviennent sur les besoins de ces territoires. Florence Svetecz pourra apporter un complément car elle a mené des consultations. À l'heure actuelle, nous ne nous adressons pas aux actifs qui ont besoin de formation professionnelle. Je pense qu'il faut que nous soyons en capacité de le faire demain, mais bien sûr il s'agit de propositions à valider.

Nous finançons ou cofinançons actuellement le billet d'avion aller-retour des étudiants. Comme la phase d'acclimatation est souvent assez compliquée, il serait intéressant de pouvoir offrir un aller-retour supplémentaire la première année, par exemple au moment des fêtes de Noël. La première année est en effet une année cruciale pour ces jeunes de 18, 19 ou 20 ans.

En outre, nous n'assurons pas d'accompagnement des ultramarins lorsqu'ils arrivent sur le territoire hexagonal. Les CROUS ont du mal à en proposer un. Le fait que nos équipes comptent autant d'implantations et que nous soyons forts d'une expérience de l'accompagnement sur la formation professionnelle nous incite, et c'est mon souhait, à accompagner les étudiants dans leur implantation sur le territoire hexagonal, dans leurs démarches CAF, leurs démarches de recherche de logement, de lien avec le CROUS. Il s'agirait de jouer un rôle de facilitateur sur le territoire hexagonal.

Enfin, même si nous ne traitons plus le volet de la formation, qui est exercé aujourd'hui par Pôle Emploi, il reste quand même le travail que nous menons avec les régions. Nous pouvons émarger sur certaines formations, ce qui sort du cadre de Pôle Emploi. De même, si nous nous orientions à l'avenir sur les actifs, nous ne serions pas non plus dans le cadre de Pôle Emploi. Pôle Emploi est certes un partenaire important mais ce n'est pas le seul. Nous travaillons aussi régulièrement avec les régions avec lesquelles nous signons régulièrement des accords pour accompagner des bénéficiaires. À terme, et il s'agit ici d'une réflexion personnelle, je souhaiterais que LADOM, tant en outre-mer qu'en Hexagone, soit le premier guichet de celles et ceux qui pensent outre-mer et mobilité. Il s'agirait qu'une personne de l'Hexagone qui souhaiterait se projeter dans les outre-mer ait le réflexe de s'adresser à LADOM, et que les conseillers d'insertion professionnelle (CIP) jouent pleinement leur rôle de conseiller et accompagnent ces personnes dans leur projet de vie vers les territoires ultramarins, qu'ils soient ou pas accompagnés par des politiques de LADOM, en interne. Il est important que nous soyons en capacité de bien les orienter vers les personnes et les organismes compétents, pour que la construction de ce projet de vie se fasse dans de bonnes conditions. De la même manière, il faut aussi que nous soyons les référents mobilité en outre-mer, dès qu'un jeune ou un moins jeune pense à une mobilité, une formation professionnelle ou un projet de vie ailleurs que sur son territoire. Que ce soit dans la région ou dans l'Hexagone, il faut qu'il ait le « réflexe LADOM ». De son côté, LADOM devra se charger du lien avec les organismes divers et variés, en proposant un interlocuteur à peu près unique et un parcours qui permette de ne pas laisser ces jeunes ou ces moins jeunes portant un projet de vie lié à une mobilité sur la zone ou sur l'Hexagone. Tel pourrait être l'avenir de LADOM.

Mme Florence Svetecz. - Cette intervention renvoie aux conventions nouées avec les régions et départements. Des conventions financières ont été signées autour de la formation et de l'emploi. Nous menons un travail commun avec les régions et les départements. Les régions ont la capacité de prescrire des formations que nous mettons en oeuvre en cherchant l'organisme de formation, conjointement avec les régions. Les régions décident de qui part et de qui ne part pas. De notre côté, nous vérifions l'éligibilité, puis nous apportons un accompagnement sur le territoire hexagonal. Nous avons signé une convention avec la Martinique, la Guadeloupe, Mayotte et Saint-Martin. En France hexagonale, nous avons signé des conventions avec les régions. Même si c'est inscrit dans la loi et que n'importe quel Français, d'où qu'il soit, peut avoir accès à une formation, proposée par exemple par la région Rhône-Alpes, nous avons tout de même signé des accords privilégiés pour ne pas oublier de prendre en compte les besoins des ultramarins. Des conventions ont de surcroît été signées avec des bailleurs sociaux, pour trouver plus facilement des logements, ainsi que des conventions sans enjeu financier, pour sceller des partenariats et mieux travailler ensemble. Je pense, notamment, aux EPCI en Guadeloupe. Dans certains cas, des accords nous permettent de mener des actions de promotion commune, autour de la formation en mobilité. À six mois, 75 % des personnes accompagnées sont insérées dans l'emploi, tandis que 50 % des personnes retournent sur leur territoire d'origine immédiatement. Il peut aussi arriver qu'elles y retournent dans un second temps, voire qu'elles y retournent tout de suite avant de repartir, mais le suivi a alors disparu. Nous ne disposons pas de statistiques très fines. En tout cas, nous avons connaissance d'un taux de retour de 50 % car nous prenons en charge le billet de retour.

Toujours sur le sujet de la continuité territoriale, vous avez posé une question sur l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux. En résumé, il indique que les régions ne peuvent pas prendre en charge les frais de continuité territoriale entre l'Hexagone et les territoires ultramarins. Ce sujet concerne la région Réunion qui a pris en charge cette mission. En tant qu'établissement public administratif, nous sommes garants d'une équité entre tous les territoires. Je ne peux pas tenir d'autres propos mais la Cour d'appel administrative a estimé qu'il n'était pas légal que ce soit pris en charge par les régions. Je n'ai pas d'opinion à ce sujet. En tant qu'établissement public, nous apportons les mêmes moyens à tous les territoires. Je ne peux pas cerner davantage cette décision de la Cour administrative, qui est antérieure à mon arrivée et dont je n'ai pas suivi les premiers pas. Mais nous pourrons essayer de compléter notre réponse plus tard.

Enfin, concernant la consultation LADOM 2024, la première demande des territoires ultramarins porte sur l'amélioration de nos propres dispositifs, comme l'a souligné Monsieur Saïd Ahamada, comme l'accompagnement des étudiants, ou la prise en compte du handicap. La deuxième demande porte plutôt sur la prise en charge des salariés, avec la réforme des opérateurs de compétences (OPCO) pour les frais de déplacement et d'hébergement. Enfin, le troisième point le plus cité est l'accompagnement au retour ou à l'installation sur les territoires, pour accompagner le développement des territoires et sortir de l'aide à la personne, en s'inscrivant davantage dans le développement du territoire local, pour permettre son développement économique et social.

M. Stéphane Artano, président- Je propose de céder la parole aux rapporteurs qui pourront demander des précisions, puis aux intervenants en présentiel et à distance.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Plusieurs points m'interpellent, sachant que j'ai déjà été plusieurs fois auditionnée par LADOM, au moins trois fois depuis le passage de Mme Brigitte Girardin au ministère des outre-mer, sur la nouvelle LADOM que chacun appelle de ses voeux.

Le plafond de ressources pour bénéficier de l'aide de LADOM, fixé à environ 11 000 euros, m'a toujours particulièrement choquée. Ce plafond m'apparaît extrêmement bas.

Par ailleurs, tout le monde souhaite que la continuité territoriale soit la plus équitable possible entre les territoires. Nous avons auditionné la Corse et nous sommes manifestement très loin du compte en matière d'équité, même si la Corse est plus proche et que les billets sont forcément moins chers. Je ne parlerai même pas des montants. Nous avons vraiment un régime différent au niveau des conditions d'accès et des critères. Si un sujet transversal doit guider LADOM dans sa réforme, c'est cette recherche d'équité. Je ne parlerai même pas d'égalité, tant les territoires sont différents, mais il faudrait au moins de l'équité en termes d'accès à la continuité territoriale.

Troisième point, à mon sens extrêmement important, il s'agit du traitement différencié par territoire. Par exemple, la Guadeloupe et la Martinique sont des territoires en dépeuplement. Il ne faut pas donner l'impression que LADOM vient faire une saignée de plus dans ces territoires, sachant que la Martinique a perdu 50 000 âmes en un peu plus de dix ans, passant de 400 000 à moins de 350 000 habitants, avec une part de jeunes de plus en plus faible par rapport aux personnes de plus de 65 ans. Il est donc très important de travailler à des contrats territorialisés en fonction des besoins. Les formations ne doivent pas être de simples formations pour le principe. Il faut cibler les métiers en tension et travailler à la construction de projets de développement économique et humain, par territoire. C'est vraiment très important.

De plus, comment faire pour que LADOM soit plus accessible et plus visible ? Les difficultés d'accès à LADOM sont énormes. L'essentiel des procédures se passe par Internet. Or certains territoires connaissent une fracture, peut-être pas les étudiants et les jeunes, mais les personnes un peu plus âgées, qui peuvent avoir un projet de vie en termes de formation. Pour celles-ci, l'accès à Internet constitue un vrai problème.

En outre, comment travailler à un meilleur accès à la continuité funéraire, sachant que les montants restent très faibles, et à l'accès des sportifs et artistes. Il existe des fonds au ministère des outre-mer ou le fameux fonds d'échanges à but éducatif, culturel et sportif (FEBECS). Même s'il a été augmenté, sa consommation reste décevante. Une sorte de guichet unique pourrait être créé à LADOM, entre toutes ces formules. Cela permettrait à une troupe de théâtre, à un orchestre ou à des sportifs de partir plus facilement pour leur entraînement. Pour l'heure, c'est un véritable parcours du combattant pour les artistes et les sportifs qui doivent se déplacer, à tel point qu'ils renoncent souvent à un contrat. De même, des dirigeants sportifs se retrouvent pris dans des promotions qu'ils doivent assumer en passant d'une division à une autre. Ils ont toutes les peines du monde à s'en sortir et se retrouvent souvent à devoir mendier des délais de trésorerie auprès des agences de voyages. Je reçois des dirigeants sportifs qui sont parfois désespérés et peuvent ne pas partir jouer tel ou tel match ou suivre tel ou tel stage sur le territoire français. Il faut y travailler.

Enfin, il faut se pencher sur le volet retour de LADOM, qui était prévu à l'origine. Nous en avons beaucoup discuté à l'époque avec Florus Nestar et Philippe Jock, quand ils étaient membres de la gouvernance de LADOM. Il faut travailler sur le retour des populations dans leur pays. À quel moment un billet retour peut-il être donné sans avoir eu un billet aller ? À ce jour, certains jeunes veulent par exemple rentrer en Martinique, ce qui constitue des aubaines pour nous au vu de notre situation démographique. Chaque retour est précieux, mais il faut pouvoir trouver un kit de suivi et d'aide, dans le cadre de la mobilité retour sur des métiers en tension, sur des stages à effectuer au pays ou sur des jurys auxquels il faut répondre. Cette semaine encore, j'ai rencontré un jeune qui est rentré passer trois jurys. Il a dû prendre ses billets d'avion sur ses propres fonds, pour tenter d'être accepté dans un emploi en Martinique, conformément à son souhait de rentrer au pays.

M. Maël Disa. - Merci, Madame la sénatrice. Je commencerai par un point de vision, puis je laisserai Florence Svetecz et Saïd Ahamada poursuivre. En premier lieu, je tiens à dire que nous sommes totalement d'accord avec tout ce qui a été dit. Nous avons déjà eu l'occasion d'échanger précédemment. Nous partageons cette vision. D'ailleurs, si ces nominations ont été faites à la direction de LADOM, c'est aussi pour impulser les changements que vous avez évoqués. La seule limite qui se pose à nous est financière, dans les dispositifs existants. Il a été fait le choix à l'origine de les restreindre à un public très précaire. Ces dispositifs existent et ont vocation à exister pour tous car tout le monde en a besoin, même les personnes les moins précaires des territoires. Dans les conditions actuelles, un billet d'avion reste un investissement important. Sur ce sujet, je tiens à préciser un point, non pas pour vous car vous en avez conscience, mais parce que nous sommes écoutés et enregistrés. Depuis son origine, LADOM intervient exclusivement sur des formations inexistantes ou saturées. LADOM n'intervient pas quand il existe sur place la même filière. Il existe une volonté historique de LADOM, que nous partageons, de ne pas entrer en concurrence ou d'offrir d'alternative en métropole, s'il existe sur place une possibilité. C'est un point cardinal de LADOM qui sera poursuivi et pour lequel nous faisons systématiquement tous nos efforts. Ainsi, quand nous sommes sollicités, y compris en direct, par des personnes qui aimeraient être accompagnées sur un billet d'avion et quand nous nous rendons compte par nous-mêmes qu'il existe une option sur place, alors aucun accompagnement n'est possible.

Pour ce qui est ensuite de la question démographique, je ne peux évidemment en tant que Guadeloupéen qu'être d'accord concernant la baisse de population. Quoi qu'il en soit, il est important de prendre en compte qu'au moins un bénéficiaire sur deux d'une aide de LADOM par territoire pour venir en Hexagone rentre dans les six mois, sachant que d'autres retournent après, et qu'au final la contribution de LADOM au départ reste très limitée. Ce n'est pas LADOM qui est à l'origine des départs. En premier lieu, ceux qui partent par LADOM sont déjà peu nombreux, à notre grand regret, car de ce fait notre public s'amenuise, mais en plus parmi ceux qui partent, il y en a au moins un sur deux qui rentre. C'est un commentaire qui nous revient souvent. Pour le coup, LADOM ne contribue pas aux départs et nous y veillons vraiment très précisément.

Sur le sujet des dispositifs, je laisserai Florence Svetecz et Saïd Ahamada répondre. Je voudrais juste préciser une difficulté sur les plafonds de ressources. Vous avez raison, Madame la sénatrice : le chiffre de 12 000 euros par part de quotient familial reste très faible, surtout qu'il se calcule par part. Ce montant est effectivement très faible. Sur ce point, nous avons lancé une étude pour cibler le nombre de personnes qui seraient éligibles sur les territoires, pour déterminer parmi celles-ci combien font appel à LADOM et combien sont celles qui ont fait appel à LADOM mais qui ne partent pas malgré tout, parce que le reste à charge est trop important. Très clairement, et il s'agit là de l'un de nos regrets quotidiens, le dispositif de LADOM existe, ses crédits sont mobilisés, mais malgré tout, les gens ne partent pas. En effet, quand le reste à charge est de 1 000 euros, même si vous êtes aidés à 50 %, à 80 % ou à 90 %, il peut être difficile de payer les 10 % restants s'ils représentent 1 000 euros. C'est notamment le cas à Mayotte. Beaucoup de personnes soumettent une demande de bon mais ne l'utilisent pas. C'est vraiment triste de constater que les crédits existent mais que nous n'arrivons pas à les utiliser. Un important travail de refonte des critères de ressources s'impose. Notre seule limite sera celle des budgets votés en projet de loi de finances (PLF). Nous serons bien évidemment demandeurs de votre aide pour que ces budgets soient augmentés et pour pouvoir atteindre les populations les plus larges possible.

M. Saïd Ahamada. - Je propose de reprendre le fil sur les plafonds de ressources. Il est vrai que le plafond est bas. Nous avons engagé des actions, notamment avec la DGFIP. Nous souhaitons avoir la connaissance du nombre de personnes qui pourraient potentiellement s'adresser à LADOM, sur chacun des territoires. À Mayotte, par exemple, où le niveau de richesse est relativement bas par rapport aux autres territoires ultramarins, et encore davantage par rapport à l'Hexagone, il se trouve plus de personnes potentiellement éligibles que sur d'autres territoires d'outre-mer. Il est important de commencer par bien savoir de quoi l'on parle et de connaître le public éligible, ce qui nous permettra de savoir de manière très objective si, rapporté à la population, nous avons un impact potentiel sur les territoires. Si 1 % de la population d'un territoire est éligible aux aides de LADOM, il faut que l'on se pose réellement la question du plafond de ressources. Dans ce cas, il est clairement trop bas, ce qui rejoint d'ailleurs ce que disait Madame la sénatrice Catherine Conconne sur le fait de territorialiser nos aides. Si à Mayotte une personne sur deux est concernée, alors il est possible d'affirmer que le plafond de ressources est au bon niveau. Tel est le premier niveau de réflexion.

Second niveau de réflexion, il est important de connaître notre « taux de couverture », même si cette expression n'est pas très heureuse. Il s'agit de déterminer sur le potentiel existant dans les territoires, combien de personnes s'adressent à LADOM. Celles qui ne s'adressent pas à nous peuvent ne pas avoir de projet ou ne pas nous connaître. En tout cas, en comparant les territoires, on peut déterminer par exemple que nous touchons une personne sur deux en Martinique, qu'une personne sur deux s'adresse à nous ou s'est adressée à nous pour des projets de mobilité, qu'ils aboutissent ou pas, tandis que nous ne touchons qu'une personne sur quatre, voire moins, dans d'autres territoires. Ces éléments constituent des indicateurs d'activité importants, pour savoir où faire porter l'effort et déterminer ce qui est adapté ou non. Jusqu'à présent, ce travail n'a pas été mené. L'engager nous permettra d'être plus proches des territoires et de leur réalité, de leur niveau de vie. Comme je le disais, nous sommes régis par le code des transports. Or, le code les transports permet justement d'appliquer des plafonds de ressources adaptés au niveau de vie des territoires. C'est donc une approche territorialisée que l'on peut porter ou que l'on va essayer de porter, pour proposer des solutions adaptées, dans la mesure où les territoires sont très différents. Vous le savez aussi bien que moi : même s'il existe des points communs, il existe tout de même aussi de grosses différences, que nous devons être en capacité de prendre en compte.

De son côté, la démographie de certains territoires constitue un autre sujet d'importance, qui nous inquiète peut-être mais en tout cas nous interpelle tous. Nous devons tous travailler à une meilleure attractivité de certains territoires, que l'on parle des outre-mer mais aussi de certains territoires ruraux. Sur ce point, il est important d'opérer des distinctions et placer les responsabilités au bon niveau. Notre rôle - j'ai un peu insisté sur ce point et je me permets de le faire à nouveau - est de faire en sorte que le champ des possibles soit le même pour tous. Prenons l'exemple des étudiants. Cela signifie en creux qu'être né en Martinique ne doit pas devenir une « assignation à résidence ». On ne peut pas dire à un jeune Martiniquais ou un jeune Guadeloupéen que puisqu'il est né dans ce territoire, il doit absolument y revenir, tout comme on ne peut pas dire à un Breton qu'il doit revenir en Bretagne parce qu'il y est né, sous prétexte que le territoire se dépeuple. Il me semble que la promesse républicaine ne peut pas être celle-là. Il se peut que je me trompe et que les orientations politiques prennent une autre orientation, mais à mon sens ce n'est pas la promesse républicaine.

En revanche, et c'est pour cette raison que je parlais de mobilité dans les deux sens, notre rôle doit aussi être d'accompagner celles et ceux qui veulent revenir ou qui veulent venir. Je pense que ce sujet peut concerner et doit concerner les ultramarins qui veulent revenir, mais aussi n'importe quel Français qui aurait un projet de vie dans ces territoires. À mon sens, cette mission n'est pas inscrite dans le code des transports. Nous n'avons pas le droit de le faire à l'heure actuelle. Il faut être tout à fait clair là-dessus, et c'est ce que je souhaite porter. Sans rien dévoiler, je crois pouvoir dire que le ministre est complètement ouvert à cela et qu'il souhaite que la mobilité se fasse dans les deux sens. Pour quelque raison que ce soit, et notamment pour servir les besoins du territoire, c'est un sujet qu'il a évoqué à chaque fois que je l'ai rencontré. Je fais ici le lien avec les métiers en tension. Nos partenariats, notamment avec les régions d'outre-mer, mais aussi avec quasiment toutes les régions hexagonales, nous permettent d'offrir aux populations ultramarines des formations dans les métiers en tension. C'est ce que nous allons essayer de mettre en avant et de promouvoir. Nous nous en acquittions jusqu'à présent tous azimuts, en fonction du besoin personnel, comme le disait Florence Svetecz, si une personne porte un projet individuel de formation dans ce domaine, si une aide lui donne la possibilité de le faire et si la formation n'existe pas sur le territoire ou sur la zone. En parallèle, il faut aussi qu'il soit possible d'actionner des dispositifs existants sur les métiers en tension, sur chaque territoire. Sur ce point, nous comptons sur les élus locaux et les régions pour nous indiquer quels sont les métiers en tension afin que nous puissions proposer cette offre. De même, et c'est là tout l'avantage de compter autant d'antennes en France hexagonale, il s'agit aussi d'informer sur les métiers en tension auxquels ils peuvent accéder en se formant, s'ils n'ont pas encore suivi de formation, ou pour avoir des chances d'obtenir un travail de manière plus sûre. Je rejoins complètement Madame la sénatrice Catherine Conconne sur le fait que ce retour doit être mieux accompagné.

Depuis que je suis en responsabilité, c'est-à-dire depuis quelques semaines et Florence Svetecz pourrait en témoigner, c'est ce que j'indique à tous les acteurs que je rencontre. Nous sommes complètement alignés sur cet aspect-là avec le ministre, donc j'ai bon espoir que nous y arrivions. Comme le disait Maël Disa, cela dépendra aussi des moyens que nous donnera la représentation nationale pour exercer ces nouvelles missions, que nous proposerons. Nous ferons aussi les économies nécessaires, sachant que de nouvelles missions supposent une nouvelle organisation. Nous avons la chance de compter déjà des antennes, mais cela nécessitera peut-être une nouvelle réorganisation. Nous analyserons aussi quelles seront les implications financières. Vous serez évidemment associés à ces choix stratégiques.

Pour répondre ensuite à votre question sur les talents je laisserai Florence Svetecz évoquer le volet financier - ce sont des démarches que nous menons déjà et que nous voulons développer. Sur ce point, le ministre a été très clair. Les talents concernés sont les acteurs culturels et les sportifs. Il faut qu'ils puissent être accompagnés, si tant est qu'ils connaissent les services de LADOM, ce dont je ne suis pas certain. Je n'ai pas encore fait le tour des outre-mer mais j'en connais certains pour d'autres raisons. Je ne suis pas certain que tous les habitants des outre-mer sachent que LADOM peut accompagner des acteurs du domaine culturel, des artistes ou des sportifs. Il faut développer cet axe. Un travail de communication doit être mené, ce qui rejoint d'ailleurs la question de l'accueil et de la communication de LADOM sur les territoires. J'ai fait état tout à l'heure d'une consolidation de nos acquis. C'est exactement cela. Pour devenir cet acteur de la mobilité sur les territoires, LADOM doit être vue et doit être connue, ce qui passe évidemment par de la communication, mais aussi par un accueil de qualité et un accueil téléphonique de qualité. Je laisserai là aussi Florence Svetecz nous dire ce qui a déjà été fait, notamment en matière d'outils informatiques. J'étais d'ailleurs hier en démonstration, pour améliorer cet accueil. Je rejoins complètement la réflexion qui a été formulée. Certaines personnes peuvent naturellement passer par des supports dématérialisés, et nous ferons en sorte que ce soit optimal, tandis que d'autres personnes, plus nombreuses dans notre public que dans d'autres publics qui s'adressent à des administrations, n'ont pas cette capacité d'emprunter la voie dématérialisée. C'est bien pour les aider que nous disposons d'antennes sur le territoire. Sinon, nous n'aurions même pas vocation à être présents physiquement sur les départements ou les régions d'outre-mer ou de l'Hexagone. Cet accompagnement doit encore être amélioré et j'aurai l'occasion d'en discuter, pour nous adapter en fonction des environnements locaux et pour faire en sorte que l'accueil soit le meilleur possible.

Pour autant, et je vois le sénateur Thani Mohamed Soilihi devant moi, au regard de l'écart entre Saint-Laurent-du-Maroni et Cayenne, l'accueil ne peut pas être le même partout. Il est donc important d'adapter nos dispositifs d'accueil au public et à l'environnement local. Sur ce point, je pourrai réellement vous apporter une réponse définitive, ce qui figurera d'ailleurs dans le projet 2024, lorsque j'aurai fait le tour des territoires, avant la mi-2023, pour être opérationnel le plus vite possible. C'est l'une de mes priorités. Je propose à présent que Florence Svetecz évoque le sujet des talents.

Mme Florence Svetecz. - Le « dispositif talents » est en place depuis 2021. Il rencontre assez peu de succès, ce qui rejoint l'un des points soulevés lors de la rencontre avec Madame la sénatrice Catherine Conconne, en juillet. Les recours ont été assez limités. Jusqu'à trois déplacements par an sont financés en partie pour les jeunes espoirs sportifs, ainsi qu'un déplacement par an pour les artistes, pour les doctorants et post-doctorants. Nous avons délivré 21 bons à ces titres-là, sur une année entière. Nous sommes très loin du compte, ce qui rejoint la question de la communication.

Pour légitimer nos propos, nous avons mené une étude de satisfaction. 57 000 bénéficiaires de LADOM depuis 2019 ont été interrogés. Le taux de retour a été excellent. Les chiffres sont donc significatifs pour les conclusions. Commençons par les points positifs. Nous avons un taux de recommandation de 94 % et un taux de satisfaction du public encadré de 86 %. S'agissant ensuite des moyens de communication, les résultats corroborent tout à fait ce que vous avez dit et ce que vous constatez sans doute dans vos territoires : « Il est difficile de joindre LADOM au téléphone », « on n'a pas toutes les infos », etc. À court terme, nous avons déjà changé les horaires d'accueil car les unités territoriales n'étaient pas suffisamment ouvertes. Quand quelqu'un a un projet, nous savons qu'il faut répondre immédiatement, sinon il peut passer dès le lendemain ou dans trois jours. Nous avons donc élargi nos horaires d'ouverture, avec au moins cinq heures d'ouverture par jour, lissées sur la semaine ou non, mais en tout cas des horaires plus fixes. Nous avons par ailleurs amélioré la solution téléphonique, qui n'avait pas été revue depuis 2010. Nous sommes passés à la voix sur IP. Quand il n'est pas répondu à un message, il arrive directement sur la boîte mail. Nous disposons aussi d'éléments de réponse plus faciles. Nous avons mené un test en Guyane. Seuls 3 appels sur 500 n'ont pas reçu de réponse au mois de janvier. Nous nous améliorons progressivement. De plus, nous menons des contrôles plus précis, grâce à des outils de contrôle, au siège, pour améliorer concrètement le suivi et comprendre les difficultés. Il est vrai que nous faisons également face à des spécificités dans les dossiers. À Mayotte ou en Guyane, par exemple, nous rencontrons davantage de difficultés à monter les dossiers, au regard des documents administratifs qu'il faut fournir. J'ai moi-même fait le tour des DROM. Il existe énormément de dispositifs. Je pense à l'école de la deuxième chance de Guyane ou au Conseil départemental de Mayotte qui dispose d'instances spécifiques à la mobilité et l'encadrement des jeunes. Pour l'État, le service militaire adapté (SMA) permet aux territoires de disposer de forces vives. De notre côté, il nous permet d'accompagner la mobilité. Néanmoins, il demeure un problème de coordination et de réseau sur les territoires, pour que la personne ait connaissance de l'offre globale existant sur son territoire. Il existe en effet aussi d'autres dispositifs que ceux de LADOM, qui sont aussi un peu en difficulté pour être identifiés dans les territoires.

Nous avons par ailleurs pris la décision de mener une stratégie propre aux réseaux sociaux. Nous y sommes présents depuis le mois de décembre, avec des contenus récurrents, pour permettre une habituation. Nous sommes sur Instagram, Facebook, LinkedIn, Twitter et avons une chaîne YouTube. Nous allons de surcroît améliorer notre site Internet. Nous mettrons sous peu en place un simulateur d'aide, pour que ce soit plus parlant aux gens qui arrivent sur le site, qui n'est pas très clair pour l'instant. Il s'agit de devenir plus « pratico-pratique » et plus accessible. Nous discutons régulièrement avec Madame Lorraine Nativel, la vice-présidente de la région Réunion, sur les difficultés liées à l'écriture et à la lecture de la langue française. Nous proposons d'ailleurs des spots en shimaoré, pour qu'ils soient compris de tous. Nous avons également lancé une campagne spécifique à Mayotte l'année dernière. Elle a permis de faire remonter les chiffres de l'accessibilité à nos services, notamment en termes d'ACT. Nous tâchons d'être au plus proche de la diversité des territoires, pour communiquer sur les meilleurs réseaux et avec les meilleurs outils.

De leur côté, les dispositifs particuliers restent assez peu connus, comme l'accompagnement sur les oraux de concours. Il est prévu d'y travailler cette année.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - Merci monsieur le Président de me donner la parole. Ma collègue rapporteure a déjà abordé beaucoup de questions. Je me posais celle de l'accès aux droits et des personnes éligibles aux dispositifs qui n'en auraient pas connaissance, que vous avez largement abordées. Vous en avez parlé. J'ai noté que vous aviez l'intention de développer le champ d'action de LADOM au niveau des mobilités professionnelles. Vous indiquez être en réflexion sur une étude d'impact et sur une budgétisation de ces élargissements de compétences, ce qui dépend de la loi de finances. Néanmoins, pour pouvoir la voter, il nous faut être éclairés par des données chiffrées et des études d'impact. Pour l'heure, elles restent malheureusement insuffisamment fournies. Il serait donc intéressant que vous développiez ce point.

Il y a la mobilité entre la métropole et les outre-mer, mais aussi la mobilité entre territoires ultramarins, interne à un archipel ou entre différents territoires ultramarins. Est-ce que vous envisagez de renforcer la participation au financement, pour permettre cette mobilité ? Envisagez-vous de renforcer les liens entre la métropole et les outre-mer, mais également entre les outre-mer entre eux ?

Par ailleurs, vous n'avez pas abordé la question numéro 4 : en 2018, une décision du Défenseur des droits alertait sur des difficultés récurrentes rencontrées par des usagers, en particulier sur les délais de traitement des demandes. Depuis cette alerte du Défenseur des droits, des améliorations ont-elles été apportées ?

Enfin, quel est votre regard sur le dispositif corse ? Vous paraît-il transposable à l'ensemble des outre-mer ?

M. Saïd Ahamada. - S'agissant de l'étude d'impact, je ne dispose pas des chiffres, parce que les orientations n'ont pas été validées. Vous connaissez le rétroplanning lié au PLF. Nous sommes au stade des réflexions. Notre responsabilité à tous les trois est de faire en sorte de proposer aux ministères de tutelle un projet stratégique qui doit d'abord être validé dans ses orientations. Je sais qu'il y a aussi des réunions interministérielles, des discussions entre les services, le comité interministériel des outre-mer (CIOM) en préparation, etc. Des objets stratégiques finiront par être validés. Il nous appartiendra ensuite, en lien avec les ministères de tutelle, de budgétiser tout cela de l'inscrire dans le processus qui mènera au vote du PLF. Tout cela aura été budgétisé avant l'été. Quoi qu'il en soit, j'entends bien ce que vous dites sur l'étude d'impact. Je pense que nous serons les mieux outillés pour alimenter les effets et le principal corpus de cette étude d'impact, qui sera évidemment à la main des ministères de tutelle. Sur un outil aussi particulier, qui n'a pas beaucoup d'équivalents, nous nous chargerons tous les trois, dans les compétences qui sont les nôtres, de faire en sorte que cette étude d'impact soit la plus étayée possible et que vous ayez le maximum d'éléments, pour pouvoir prendre une décision réfléchie en matière de financement de LADOM et, de manière générale, de la mobilité des ultramarins que je souhaite, je le répète, dans les deux sens.

Vous évoquez la mobilité infrarégionale en demandant si nous renforçons le financement de la mobilité intrarégionale. Nous n'avons pas de ligne particulière relative à la mobilité infrarégionale. La ligne est la même pour la mobilité, qu'elle soit infrarégionale ou en direction de l'Hexagone. Je souhaite - et je trouve qu'il s'agit de pratiques de communication normales - que nous soyons plus clairs sur ce que nous appelons mobilité et sur le moment auquel nous intervenons. Comme indiqué, lorsque la formation professionnelle n'existe pas sur place ou est saturée, l'aide de LADOM est mobilisable. Je souhaite instaurer un deuxième niveau, celui de la non-saturation ou de l'inexistence de cette formation à l'échelle régionale pour faciliter les échanges. De tels échanges sont déjà possibles. Nous finançons déjà la formation infrarégionale, sans aucun problème. Les seuls points potentiellement limitatifs portent d'abord sur la communication, y compris la connaissance pour les CIP de tous les dispositifs existant sur la zone pour être force de proposition. Cela rejoint ce qu'a dit Florence Svetecz sur le nombre de dispositifs qui existent sur ces territoires et mon souhait, je le répète, que LADOM soit un guichet unique - terme que j'apprécie peu - ou, en tout cas, la porte d'entrée principale de la mobilité. Nous devons être en capacité d'apporter un rôle de conseil sur tous les dispositifs existants, ceux de LADOM mais aussi des autres, et sur toutes les formations possibles et imaginables, dans la zone des Caraïbes par exemple ou dans la zone de l'océan Indien, pour ce qui est de La Réunion et Mayotte. Nous devons développer cette connaissance. Je participerai au début du mois de mars à la Conférence régionale de Guadeloupe dédiée à ces sujets, afin que nous soyons au fait et que nous soyons associés à ces travaux sur la région. C'est d'autant plus important que nous devons tous avoir en tête en filigrane l'impact environnemental de ces déplacements, pour faire en sorte de les optimiser pour le bien-être des individus. En effet, ainsi, ils arriveront mieux à suivre leur formation et réussiront mieux si l'environnement dans lequel ils se projettent présente des caractéristiques les moins différentes possible de ce qu'ils connaissent déjà. Prenons l'exemple d'un Tahitien envoyé à Strasbourg. Il peut rencontrer des difficultés durant sa première année, ce qui est totalement compréhensible, de la même manière d'ailleurs que lorsque l'on envoie un Marseillais à Paris - étant moi-même Marseillais, si vous ne l'aviez pas entendu ou compris. Bien évidemment, la coopération régionale passe aussi par ces échanges régionaux, auxquels les jeunes sont de plus en plus ouverts. Il s'agit de plus en plus d'une demande de leur part. Ils souhaitent de plus en plus bénéficier d'une ouverture sur leur monde régional, pour pouvoir rejoindre des pays de la zone, pas seulement des zones françaises. On peut imaginer par exemple pour l'océan Indien que des formations en hôtellerie se passent à l'île Maurice, qui est réputée dans ce domaine. Tous ces sujets doivent être développés et c'est ce que je souhaite que LADOM fasse demain. Bien sûr, nous n'obligerons jamais personne. Si quelqu'un souhaite absolument aller dans l'Hexagone, il ira dans l'Hexagone si la formation demandée n'existe pas sur son territoire. En tout cas, cela lui sera proposé. Ensuite, c'est un choix de vie et une démarche individuelle. Pour ma part, je le répète, je ne souhaite pas qu'il y ait d'assignation à résidence. En revanche, je souhaite que LADOM soit un service du territoire ultramarin, ce qu'elle n'était pas jusqu'à présent.

Mme Florence Svetecz. - Je propose de revenir sur la question des stages dans le bassin de vie. Nous proposons des stages professionnels destinés aux étudiants, s'ils répondent à la limite fixée. Ils peuvent rejoindre tous les pays ayant une côte atlantique ou une côte océan Indien avec leur territoire d'origine. Dans les Caraïbes, ils peuvent aller aux États-Unis, au Canada et dans les provinces du Canada pour suivre un stage professionnel. Pour l'instant, ce n'est pas pour y faire des études mais pour suivre un stage professionnel. Dans l'Océan Indien, toutes les côtes des pays africains sont considérées, avec Maurice ou avec l'Inde. En 2022, à titre expérimental, nous avons permis pour les formations professionnelles qui se passent en Hexagone de retourner faire son stage sur son territoire d'origine, quand il y en a un, pour tisser le lien professionnel directement sur le territoire d'origine et pour faciliter le retour. Nous en dresserons un bilan à terme. Nous sommes passés par le Conseil d'administration pour permettre cette possibilité, qui n'était pas prévue par la loi. Nous menons quelques expérimentations de ce genre pour essayer de faire avancer les choses.

Dans notre contrat d'objectif et de performance figure un indicateur qui prévoit que nous payions en quinze jours. Nous nous en approchons. Nous devons être à 20 ou 22 jours. En 2018, le Défenseur des droits s'était appuyé sur une situation très compliquée, relative à une dette importante datant de 2015. Cette dette est à présent résorbée. Nous disposons désormais de plus grandes facilités à payer les stagiaires, tant que le dossier est complet. En tout cas, le chaînage interne à LADOM est désormais bien plus serré, compté et suivi. Nous nous sommes améliorés sur ce point.

M. Saïd Ahamada. - Je tiens à apporter une précision, sur un point que les propos de Florence Svetecz m'ont rappelé, notamment pour les personnes qui s'adressent à nous. Toutes nos interventions ne sont possibles que parce qu'elles sont autorisées par le code des transports. Parfois - c'est tout à fait normal et nous en rencontrons tous les jours - nous ne pouvons pas traiter des dossiers qui sont légitimes, que nous voudrions soutenir et qui tangentent nos compétences, mais dont les textes nous empêchent le traitement, si ce n'est pas prévu, soit par le code des transports, soit par une autorisation donnée par le Conseil d'administration sur des expérimentations. En dehors de ces dispositions, nous ne pouvons rien faire. C'est ce qui explique qu'il arrive parfois que nous ayons du mal à répondre à des sollicitations, sur des cas qui sont complètement légitimes. Nous restons tenus - ce qui est normal - par le code des transports.

Mme Florence Svetecz. - S'agissant des délais de paiement, nous tâchons de minimiser le nombre d'interlocuteurs pour le bénéficiaire. Dans certaines opérations sont impliqués la préfecture, le département, un prestataire et LADOM. Le bénéficiaire ne sait jamais à qui envoyer un papier qui lui est demandé, ce qui allonge beaucoup les délais de traitement. Même si nous n'aimons vraiment pas le terme de guichet unique, il faudrait néanmoins qu'il y ait le moins possible d'interlocuteurs impliqués dans le suivi du bénéficiaire, pour qu'il sache comment s'y retrouver dans tous les dispositifs.

M. Stéphane Artano, président. - Ce qui pourrait peut-être correspondre à des groupements de moyens dans les territoires. J'imagine que certaines formules qui existent dans d'autres secteurs pourraient inspirer tous les territoires. Je propose à présent de laisser la parole aux autres sénateurs.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Tout d'abord, je tiens à saluer le travail effectué par LADOM pour accompagner les mobilités des résidents des outre-mer mais, malheureusement, je tiens à soulever une injustice qui perdure depuis trop longtemps. Les aides à la continuité territoriale sont censées couvrir 40 % du prix du billet d'avion. C'est un taux et non pas un montant. J'ai effectué quelques recherches pour préparer le rendez-vous d'aujourd'hui. Dans tous les cas de figure, les familles guyanaises auront toujours un reste à charge supérieur à celui des familles antillaises. La faute, bien entendu, au tarif pratiqué par les compagnies aériennes qui desservent la Guyane. Je rappelle que la moitié de la population guyanaise vit sous le seuil de pauvreté et qu'un tiers vit en situation de grande précarité. Alors que la Guyane a besoin d'avoir des forces vives formées pour assurer son développement, trop de jeunes renoncent à poursuivre leurs études, en raison du coût exorbitant des billets.

Tous les sénateurs successifs ont tenté d'infléchir l'inflation sur le prix des billets d'avion mais sans succès. Je me tourne donc vers vous, monsieur le Président de LADOM. Que pouvez-vous faire pour diminuer le reste à charge des familles guyanaises ?

J'ai une deuxième question. Les étudiants sont de plus en plus nombreux à étudier, plus longtemps. Certains étudient même jusqu'à trente ans. Les causes sont nombreuses, comme par exemple le manque d'informations lors de l'orientation, l'année de césure pour raisons familiales ou sociales... Ne pensez-vous pas que LADOM devrait relever l'âge maximum pour déposer un dossier ?

M. Maël Disa. - En premier lieu, l'ACT est bien un taux fixe, pas un montant. C'est effectivement un débat qu'il faut ouvrir. Nous avons commencé à le faire en interne, avec le ministre récemment. Ce taux fixe est effectivement identique sur la région Antilles-Guyane. Il ne prend pas en compte le prix du billet d'avion. Nous travaillons à deux points d'amélioration. En premier lieu, une augmentation du plafond a été votée. Il restera un taux fixe, qui aura vocation en moyenne à ne plus couvrir 40 % mais 50 %, selon les périodes. Le deuxième levier à activer, sur lequel nous travaillons, consiste à faire en sorte que les compagnies, notamment pour les billets aidés par LADOM, puissent plafonner le prix du billet, au moins pour que le reste à charge présente un montant limité.

Pour cela, deux solutions existent. La première suppose que les compagnies aériennes jouent le jeu. Nous avons rencontré toutes les compagnies, à plusieurs reprises, et il existe clairement une volonté de trouver des solutions, notamment pour un public très précaire, qui est le public éligible. La seconde, qui est peut-être plus commerciale, consiste pour LADOM à changer sa façon de procéder. Actuellement, LADOM émet un bon qui permet à chaque individu de voyager avec la compagnie qu'il souhaite. Les compagnies n'ont pas d'incitation particulière. Peut-être faudrait-il - et je parle ici en mon nom - choisir un opérateur ou une compagnie parmi d'autres pour conclure un accord, peut-être en échange d'un volume garanti, sur une certaine durée. Du côté de l'État, il faut que l'aide augmente, ce qui a eu lieu. 6 millions d'euros supplémentaires ont été votés pour augmenter le plafond. Il est donc assez incompréhensible, malgré ces aides, que le public n'en ait pas conscience. On me dit souvent qu'il est appréciable d'être aidé, mais bien souvent les personnes ne voyagent pas in fine. Même si LADOM apporte une aide de 1 000 ou même 10 000 euros, s'il reste à payer un montant supérieur à ce que la personne peut supporter, elle ne se considère pas aidée et ne voyage donc pas.

Le premier levier a donc été activé, par l'augmentation du plafond de l'ACT, qui reste un taux fixe. Il aurait été trop compliqué de passer à un taux variable. Dans le même temps, nous travaillons activement à ce qu'une compagnie mette en place un dispositif qui permettrait a minima d'introduire un plafond sur les billets aidés par LADOM, pour que le reste à charge reste bien à 50 %, et que ces 50 % soient les plus bas possible.

S'agissant de la Guyane se pose effectivement un problème soulevé par Monsieur le directeur sur le périmètre de l'aide. Pour certaines personnes qui doivent venir du fleuve pour pouvoir prendre l'avion à Cayenne, les coûts de transports entre leur domicile et l'aéroport peuvent être conséquents. Pour ma part, j'habite aux Abymes en Guadeloupe. C'est facile pour moi de rejoindre l'aéroport. En revanche, il est compliqué de s'y rendre si l'on vient de la Basse-Terre, de la Guyane ou même de Mayotte en périphérie. Il y a donc un sujet de périmètre. L'aide doit-elle commencer à l'aéroport ou, dans certains cas, au domicile, si le coût de transport entre le domicile et l'aéroport est important ? Cela fait partie des sujets sur lesquels nous travaillons pour LADOM 2024.

Pour ce qui est de l'âge, je pense que vous avez raison. Nous partageons ce questionnement. Les habitudes font que les gens rentrent désormais en formation plus tardivement, pour des cursus de plus en plus longs. Il faut réfléchir à la possibilité de permettre de commencer un cursus dans le territoire, pour le premier et le deuxième cycle, avant de le finir dans l'Hexagone ou ailleurs. Un élargissement de l'âge pourrait être envisagé, peut-être pas sur le tout-venant, mais au moins dans le cas d'un projet professionnel avec une formation complémentaire en troisième cycle ou même dans les formations complémentaires. C'est une piste sur laquelle nous travaillons. Là non plus, le rouage administratif n'est pas évident, mais il figure sur la liste des éléments à améliorer et nous y travaillons.

M. Saïd Ahamada. - La question du prix du billet d'avion est effectivement un sujet extrêmement important, que j'ai commencé à étudier dès mon arrivée. Florence Svetecz vous présentera les dispositifs qui ont été mis en place pour atténuer cette hausse, par une politique de LADOM qui vise à contenir les prix. J'ai échangé avec les services concernés, qui sont au fait de ces questions. Dans la période inflationniste actuelle, le prix-kilomètre pour les territoires ultramarins n'a pas plus augmenté que le prix-kilomètre sur des destinations comme New York. Il est même plutôt en dessous. L'augmentation a été moindre. En revanche, et c'est ce qui produit ce ressenti d'augmentation (qui n'est pas juste un ressenti mais une vraie augmentation), l'écart-type entre la période de haute saison et la période de basse saison est plus important outre-mer qu'ailleurs. Comme les personnes partent surtout en période haute, ils subissent de plein fouet l'augmentation, qui est plus importante que sur les autres destinations.

Tel est le mécanisme à l'oeuvre. Il est souvent question de moyenne, mais ce n'est pas représentatif. Prenons un exemple : si vous avez les pieds dans le four et la tête dans le frigo, en moyenne, vous êtes bien, mais ce n'est qu'une moyenne. Il faut parvenir à un écart-type qui soit plus raisonnable, pour faire en sorte d'atténuer la hausse. C'est pour cette raison que Monsieur le Président Maël Disa parlait de prix plafonné. Dans notre esprit, il s'agit de maintenir les coûts, y compris par rapport à l'incidence que cela peut avoir pour les finances publiques. C'est d'ailleurs ce qui fait le lien avec le taux variable. Vous connaissez les services du budget. Si on part sur un taux variable, au regard de l'augmentation actuelle des prix des billets, dont on ne connaît pas la fin et en tout cas qu'on a du mal à maîtriser, alors j'ignore quelle ligne placer au niveau du financement et sur quelle base. À mon sens, sans être interdit, c'est plus compliqué. En tout cas, en moyenne, le taux de prise en charge pour les usagers va augmenter parce que nous bénéficions de moyens plus importants. Madame la secrétaire générale vous exposera les outils dont nous disposons pour agir.

Monsieur Maël Disa a évoqué ce qu'il est prévu de faire avec les compagnies et les acteurs du secteur, pour faciliter le service, à un prix moins élevé.

Pour terminer, je tiens tout de même à souligner que nous restons tenus - ce qui est normal - par les règles européennes de liberté des tarifs. Je pense que vous avez étudié ce sujet bien mieux que moi. Nous avons éventuellement la possibilité d'agir par les OSP, les obligations de service public. Je précise ne pas avoir répondu à votre question sur la Corse, car je ne dispose pas d'éléments à vous donner sur ce qui s'y passe réellement. Je ne connais pas les dispositifs particuliers qui y existent. Je sais en tout cas qu'ils sont très particuliers. Je vous l'accorde. En tant qu'ultramarin, je serais ravi si nous pouvions en disposer. À l'heure actuelle, nous faisons avec les moyens dont nous disposons et les textes qui sont les nôtres. En tant que directeur général, j'applique les textes et j'utilise les outils que j'ai. Nous nous interrogeons notamment sur la pertinence de passer par un marché, pour faire baisser le prix des billets. Pour ma part, je n'en suis pas convaincu, notamment parce que certains territoires, notamment Mayotte, connaissent des situations de quasi-monopole, avec très peu de compagnies, tandis que d'autres territoires en comptent beaucoup. Le sujet reste donc extrêmement complexe et je pense que c'est aussi ce qui a motivé vos travaux. Nous serons évidemment très intéressés par vos conclusions. En tout cas, à l'heure actuelle, et au regard de nos moyens - qui ont été augmentés par le ministre, je le rappelle, sur la question de l'ACT -, nous faisons ce que nous pouvons et nous ferons en sorte de passer en 2024 à l'approche territorialisée dont parlait Madame la sénatrice Catherine Conconne. Cette approche me semble en effet être la meilleure approche, pour coller aux spécificités des territoires. Or, la Guyane reste justement très spécifique, par rapport à la Martinique et la Guadeloupe, dont les situations se rapprochent.

Mme Florence Svetecz. - S'agissant de la contrainte du prix du billet, c'est d'abord l'Europe qui fixe les limites, dans la zone Europe. Le fonctionnement reste très contraint. La concurrence ne se fixe pas à l'échelle de la France, mais à l'échelle de l'Europe. Nous avons très peu la main sur ce qu'il est possible de faire en France, et encore moins LADOM. Les décisions européennes nous empêchent par exemple de constituer un marché qui pourrait couvrir la totalité de nos besoins, en lien avec les bénéficiaires.

En revanche, il existe peut-être une marge de manoeuvre, si les compagnies aériennes finissaient par comprendre que nous suivons leurs coûts, notamment sur la période de haute saison. C'est le principal travail que nous pouvons effectuer. En interne, nous travaillons avec la DGOM et la DGAC sur le suivi des compagnies aériennes et sur la mise en place de leurs obligations. Or une décision prise en 2007 sur une obligation de service public concernant les personnes endeuillées n'est pas mise en place. Elle oblige les compagnies aériennes à débarquer des passagers s'il le faut et à proposer le prix le plus bas sur le vol aux personnes qui désireraient se déplacer. Une forme de surenchère d'annonces s'est observée en 2008 entre compagnies (billets à 300 euros, etc.), mais l'application de ce texte reste difficile. En tout cas, les obligations de service public (OSP) servent aussi au développement économique des territoires. Peut-être une évolution est-elle envisageable à ce niveau, puisque LADOM forme des demandeurs d'emploi et travaille sur les projets des territoires. Nous pourrions entrer dans ce champ-là. Il s'agit de l'une des pistes que nous explorerons pour essayer de faire avancer ce sujet.

En Guyane et en Nouvelle-Calédonie, le texte du code des transports fixe la continuité territoriale intérieure. En Guyane, elle est portée par le département et LADOM participe à la prise en charge du prix par le département.

S'agissant du taux de 50 %, nous ne l'avons pas calculé en fonction du prix de marché, mais en fonction du prix payé par les personnes, pris dans le régime ACT, dans lequel les personnes sont déjà très économes. Elles prennent leur billet très en amont, quand elles le peuvent. Il existe en effet aussi un phénomène de personnes qui veulent accompagner leur enfant durant leur première année d'études. Or, les billets commencent à être achetés au mois d'avril pour l'été. Nous le voyons très nettement dans notre système. Nous avons donc calculé le prix moyen du billet, en haute période et en basse période. À partir de ces moyennes, nous avons établi trois propositions (40 %, 45 % ou 50 %). Le ministre a choisi le taux de 50 % pour les DROM et les COM. Ce taux sera suivi, pour vérifier si nous atteignons bien les 50 %. Il reste que les tarifs ont finalement peu augmenté sur certains territoires. L'effet augmentation s'explique par les prix très bas de 2021, sans parler du trafic aérien de 2020. On peut avoir l'impression que les prix ont beaucoup augmenté, mais les prix de certains territoires se situent à peine au niveau de 2019. C'est le cas en particulier en Guadeloupe. La perception et la réalité ne sont pas toujours en adéquation.

Mme Micheline Jacques. - Je vous remercie pour vos propos très éclairants. Je rejoins mes collègues. Ma question porte sur le taux de 40 %. Avez-vous mené une étude d'impact ? Quel serait l'impact si le législateur proposait que la participation atteigne effectivement 40 %, au lieu d'un bon ?

Monsieur le Président a parlé du déplacement depuis Basse-Terre pour rejoindre l'aéroport de Pointe-à-Pitre. Je peux citer par exemple le transport de Saint-Barthélemy pour aller à l'aéroport de Pointe-à-Pitre. Le prix de ce billet correspond au mile le plus cher au monde, autour de 600 euros pour une heure de vol. Je pense aussi à mes collègues de Polynésie, qui ont quatre heures de vol pour rejoindre Tahiti depuis les îles Marquises. Pourrait-on envisager d'intégrer dans le prix du billet le point de départ initial, jusqu'à la destination finale ? Il serait intéressant d'apporter une aide à ce niveau.

Enfin, il est régulièrement question de rapatriement de corps en cas de deuil, mais il arrive aussi parfois que des étudiants perdent de manière tout à fait brutale le parent qui est leur seule source d'aide. Est-ce que LADOM pourrait prévoir un dispositif spécifique, pour encadrer au mieux ces étudiants qui se retrouvent brutalement privés de source de revenus ?

Mme Florence Svetecz. - C'est arrivé encore très récemment avec une jeune femme de Nouvelle-Calédonie. LADOM n'a effectivement pas de dispositif qui permette de prendre en compte cette demande. Nous pouvons le faire à la marge, mais ce n'est pas réglementé. Dans le cadre de LADOM 2024, nous étudions la mise en place d'un fonds social LADOM qui pourrait peut-être prendre en charge cette situation. Nous ne pouvons rien faire financièrement à l'heure actuelle, mais un accompagnement humain est offert par LADOM. Cela a permis de trouver une solution pour la personne que je viens de citer, entre l'employeur et les collectivités locales. Nous avons réussi à faire arriver cette personne à temps pour les obsèques de son père et pour passer une période de deuil sur place. Notre suivi permet d'utiliser le réseau susceptible d'apporter une aide, mais sans disposer de fonds propres. C'est en cela qu'il faut faire évoluer le système.

S'agissant ensuite de la question relative à la participation effective à 50 % au lieu du bon forfaitaire, nous n'avons pas fait d'étude d'impact. Ce serait assez compliqué, car nous avons signé pléthore de conventions par territoire avec les compagnies aériennes et les agences de voyages. Cette étude n'a pas encore été lancée mais il conviendrait sans doute de la prévoir. Ce serait le système le plus souple pour l'usager.

M. Maël Disa. - Mais nous ne pourrions pas vraiment le proposer car nous ne maîtrisons pas le prix du billet. Comme celui-ci reste libre, le taux de 50 % peut correspondre à 1 000 euros comme à 2 000 euros. La principale piste consiste donc à travailler avec les compagnies, au moins pour que LADOM puisse maîtriser le plafond du prix des billets. Sinon, comme le disait Monsieur le directeur, la ligne budgétaire ne pourrait pas être plafonnée. Il n'est pas envisageable d'annoncer en amont dans un budget que le coût peut varier de 10 à 20 millions d'euros, du jour au lendemain. Voilà la principale difficulté.

Mme Micheline Jacques. - Si une étude d'impact révélait une marge de manoeuvre, avec un maximum et un minimum, ce serait notre rôle de plaider en faveur de l'abondement des fonds dans le cadre du projet de loi de finances. Nous avons réussi à atteindre, me semble-t-il, un montant de 9 millions d'euros (8 millions d'euros augmentés d'un deuxième amendement de 1 million d'euros). C'est déjà intéressant. L'objectif est en effet d'accompagner vraiment les populations, face à des souffrances qui sont bien réelles. Comme cela a été dit fort justement, certains étudiants préfèrent renoncer à des projets, malgré leur potentiel, faute de famille ou de moyens d'être accompagnés.

M. Maël Disa. - Je vois que nous réfléchissons ensemble, donc je me permets de soumettre une piste à explorer. Nous pourrions étudier une indexation des prix des billets vers les territoires ultramarins sur le prix des billets dans l'Hexagone. Dans une piste de travail émise dans la délégation que je préside, en 2014, ils avaient étudié le prix du vol le plus cher dans l'Hexagone. De mémoire, il s'agissait d'un vol entre Brest et Bordeaux (j'ignore pourquoi c'était le plus cher). Il était envisagé de ne pas dépasser environ ce montant pour un vol entre l'Hexagone et les outre-mer. Cette indexation, mais sans plafonner, permettait d'arriver à une sorte de plafond, qu'il était possible de budgéter. En revanche, sans index ou plafond, il ne sera jamais possible de quantifier le coût pour l'État. La piste du taux variable restera donc compliquée, malheureusement.

M. Thani Mohamed Soilihi. - L'inconvénient d'intervenir vers la fin de l'audition est que tout a été dit. Je voudrais commencer par saluer la nouvelle équipe de LADOM. Nous fondons beaucoup d'espoir en vous, Monsieur le président, Monsieur le directeur général, Madame la secrétaire générale. Le hasard a fait que vous connaissez très bien nos territoires et tous ses bassins. Les étudiants et les jeunes ont envie que les difficultés aillent en s'amenuisant et fondent beaucoup d'espoir en LADOM.

Tous les sujets ont été abordés, mais je voulais tout de même souligner avec quelle acuité celui évoqué par Marie-Laure Phinera-Horth se pose à Mayotte, celui de la cherté des billets. Dans le département le plus pauvre, 77 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. De plus, comme cela a été dit, il y existe un quasi-monopole d'une seule compagnie d'aviation. Sans entrer dans une compétition pour déterminer quel est le billet le plus cher, je crois que le prix du billet partant de Mayotte bat un record de cherté. Je rejoins ce qu'a dit la sénatrice de Guyane et vous y avez déjà répondu.

Je m'interrogeais sur l'articulation existant entre les dispositifs de LADOM et les aides et autres dispositifs des collectivités, notamment du département. Le jeune ne sait pas et, à la limite, se moque de savoir qui fait quoi. L'essentiel demeure qu'il soit pris en charge. Il reste des progrès à faire, en matière de coordination et d'articulation. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

J'ai un corollaire à cette question. Je m'interroge sur la coordination avec les établissements scolaires ou les dispositifs tels que le Service Militaire Adapté (SMA). Comment se passe la situation actuelle ? Qu'envisagez-vous pour l'améliorer au profit de nos jeunes ?

M. Saïd Ahamada. - Mayotte est presque l'exemple le plus emblématique de la cherté des billets, avec à la fois un territoire parmi les plus pauvres de France et un prix du billet qui est parmi les plus élevés, et je fais l'impasse sur les COM où - vous avez raison, Madame la sénatrice - on atteint des sommets. À l'échelle de Mayotte, il est vrai que les prix sont totalement exorbitants. Nous avons tous en tête des situations de familles qui souhaitent voyager, ce qui coûte entre 10 000 et 15 000 euros. C'est énorme. Alors qu'il est question de continuité territoriale, c'est une problématique qui constitue une atteinte à la République. C'est un vrai sujet, accentué par la période d'inflation actuelle, mais qui se posait déjà avant dans l'océan Indien ou dans certains territoires particuliers. Ces enjeux sont collectivement devant nous, pour parvenir à assurer la continuité territoriale. Est-ce que l'exemple corse pourra nous aider à aller plus vite et plus loin ? Je ne sais pas. En tout cas, je pense qu'il est plus que temps d'investiguer dans ce domaine.

Au sein de LADOM, pour ce qui est de nos compétences et de notre capacité à agir, nous utiliserons évidemment tous les leviers possibles, même si cela est tout de même assez compliqué quand il n'y a pas de concurrence. C'est pour cette raison que j'indiquais précédemment que si nous lancions un marché, ce serait assez problématique sur certains territoires. Une compagnie d'aviation en situation de monopole ne répond tout simplement pas quand vous lancez un marché. Le marché est alors infructueux et la compagnie continue à appliquer ses prix. Nous menons un travail commun avec le président, avec le ministre et avec les compagnies, étant entendu que des contraintes se posent aussi aux compagnies. Vous connaissez ces contraintes aussi bien que moi, notamment financières. Certaines sont en très grandes difficultés. Il faut l'avoir à l'esprit. Lorsque l'on veut travailler directement avec les compagnies se pose aussi la question des agences de voyages et de leur place dans le dispositif, dans la mesure où nous sommes un gros compte. Tout un pan d'activités pourrait aller vers les compagnies et ne plus passer par les agences, alors qu'il existe de l'emploi local. C'est un sujet complexe, auquel il faut s'atteler. Nous sommes complètement mobilisés sur la question et vous pouvez compter sur nous pour vous amener les éléments nécessaires. En tout cas, c'est une question qui me heurte et me touche car elle relève à mon sens de la cohésion nationale.

S'agissant de la coordination mise en place avec les dispositifs existants, vous avez évoqué le SMA. Il se trouve qu'ils sont localisés au ministère des outre-mer, comme nous. La coopération est donc pleine et entière. J'ai échangé avec le général du commandement du SMA très récemment. C'est un très beau dispositif, que vous connaissez bien mieux que moi. Dès qu'un projet de mobilité émerge sur les territoires, le lien se fait naturellement. En Guadeloupe, nous sommes accolés aux locaux du SMA.

Sans entrer dans le détail des collaborations existantes sur tel ou tel territoire, vous avez très bien évoqué l'importance qu'une personne suive le bénéficiaire, du début jusqu'à la fin. C'est une question lancinante, que l'on rencontre dans les services publics de l'emploi ou dans le domaine de la santé : comment faire en sorte qu'il n'y ait pas de perte, dès lors qu'un besoin est exprimé ? En Martinique, par exemple, un dispositif de collaboration entre les différents organismes a été mis en place, avec une fiche de liaison. Lorsqu'un jeune ou un moins jeune s'adresse à l'un des organismes, la fiche est envoyée à l'organisme qui le reçoit en plus, puis la personne est appelée et prise par la main, en quelque sorte, pour éviter les pertes de projet ou les limiter, car il y en a toujours. Il est important d'instaurer cette démarche sur tous les territoires, notamment pour nos publics. J'appelle de mes voeux cette collaboration avec tous les partenaires possibles et imaginables qui travaillent sur la question de la mobilité. Je souhaite que LADOM soit sur les territoires la porte d'entrée de la mobilité. Dès qu'on pense mobilité, il faut qu'on pense LADOM et ce sera la mission que je confierai à LADOM si cette stratégie est validée, pour que les conseillers en insertion professionnelle (CIP) accompagnent les porteurs de projet, du début à la fin, qu'ils bénéficient ou non d'une aide de LADOM. À mon sens, je pense que beaucoup de personnes s'adresseront à nous sans bénéficier de dispositifs de LADOM, notamment si nous travaillons dans l'Hexagone avec cette question du retour.

Même si nous sortons quelque peu du cadre, se pose aussi la question soulevée par Madame la sénatrice Catherine Conconne sur l'attractivité du territoire. Si l'on ouvrait cette possibilité du retour, nous pourrions déterminer dès la première année pourquoi certains territoires sont plus demandés que d'autres, que ce soit la Martinique, la Guyane, La Réunion, etc. Il est clair que certains territoires feront le plein et que d'autres le feront moins. À mon sens, cela nous poussera collectivement à bâtir pour chacun de ces territoires une stratégie pour améliorer l'attractivité de certaines îles. Pourquoi est-ce que La Réunion ne perd pas de population, alors que d'autres territoires en perdent ? C'est une question à laquelle il va falloir répondre collectivement. Comme Maël Disa le disait, LADOM peut porter beaucoup de responsabilités. Je pense que nous avons notre part de responsabilité dans ce qui se passe dans ces territoires, dans ce qui fonctionne bien et peut-être aussi dans ce qui fonctionne moins bien, mais sur la question de l'appauvrissement humain de ces territoires, je pense honnêtement que ce n'est pas du côté de LADOM qu'il faut regarder.

Sur ce point, j'appelle aussi de mes voeux ce travail collaboratif, sur chacun de ces territoires, pour travailler sur les métiers en tension, sur l'attractivité, sur les besoins des personnes qui veulent s'implanter, sur la présence d'écoles de qualité, sur la qualité du réseau Internet, fibré ou non, etc. C'est nécessaire pour pouvoir télétravailler depuis la Guadeloupe, la Martinique ou la Guyane, alors que l'entreprise se trouve à Paris. Nous avons tous connu des exemples pendant le confinement de personnes qui sont allées très loin pour télétravailler, pourquoi pas dans nos îles ? Comme il y en a eu moins dans nos îles, posons-nous collectivement la question, pour déterminer pourquoi ces territoires n'ont pas fait le plein de télétravailleurs, notamment chez les plus jeunes. C'est un travail qu'il faut mener ensemble. Vous pouvez compter sur nous pour reconnaître la nécessité, à mon sens, que dès qu'une personne s'adresse à LADOM ou porte un projet de mobilité, il faut qu'on s'en occupe. Nous ne nous positionnons pas ici sur une prestation sociale qui n'est pas versée et qui peut être rattrapée le mois d'après. Quand un jeune ou un moins jeune renonce à un projet de vie, c'est toute une vie qui part de côté et qui ne prend pas le chemin qu'elle devrait prendre. C'est là que je ressens le plus de responsabilités, de faire en sorte qu'on ne perde aucun bénéficiaire potentiel qui s'adresse à nous. Il faut que LADOM soit connue, que ceux qui doivent s'adresser à LADOM le fassent et que nous remplissions notre mission d'accompagnement, du début à la fin. C'est là que se situe notre mission, pas ailleurs.

Mme Vivette Lopez. - Madame Florence Svetecz a évoqué l'importance de faciliter les documents à remplir. C'est un point vraiment important. En effet, j'ai cru comprendre qu'une personne qui se trompait dans ses documents devait passer son tour. Peut-être faudrait-il vraiment améliorer ces documents.

Vous avez par ailleurs indiqué, Messieurs, que l'Europe fixait les prix. Or il me semble que les pays européens disposant de territoires ultramarins sont rares, mis à part la France et peut-être les Pays-Bas. Sans doute le traitement de ce sujet incombe-t-il à la France.

Enfin, Monsieur Saïd Ahamada a cité le cas d'un jeune venant faire des études pour trois ans en France, et qui peut avoir envie de rentrer à Noël ou au bout d'une année, ce qui est tout à fait compréhensible, en sachant que le prix des billets au moment des fêtes de Noël va du simple au double. L'aide est-elle de 40 % ou de 50 % ou est-ce un prix fixe ? Le prix n'est plus du tout le même si vous voyagez au mois d'octobre ou au mois de décembre, les étudiants manquant souvent de moyens.

M. Saïd Ahamada. - Je tiens à revenir sur le sujet des billets à Noël. Il n'y en a pas. La question de la prise en charge à 40 % ou 50 % ou du bon ne se pose pas. Il n'y a qu'un seul billet par année d'étude. Pour ma part, je souhaiterais justement qu'un billet puisse être pris à Noël. Pour l'instant, nous n'avons même pas recueilli d'accord de principe de bénéficier de ce billet. En restant sur les règles actuelles, la prise en charge est de 100 % si l'étudiant est boursier (aucun plafond ne s'applique alors) et de 50 % sinon (avec un plafond).

Pour ce qui est des règles européennes, que vous aurez le temps de creuser, nous sommes effectivement contraints par certaines règles. Une liberté de tarif s'applique. On peut difficilement contraindre une compagnie à appliquer des prix, sauf à passer un marché. Il existe quelques règles, auxquelles il faut qu'on s'adapte, ce qui est normal, mais vous avez raison de souligner que ce n'est pas l'Europe qui fixe les tarifs. Ce sont les compagnies. Quoi qu'il en soit, toutes les compagnies peuvent desservir les outre-mer. Personne ne peut les en empêcher. Elles peuvent appliquer les tarifs qu'elles souhaitent. Mis à part l'obligation de service public au niveau européen, nous n'avons pas d'autres moyens de les contraindre à une baisse des prix particulière, si ce n'est de passer par un marché ou éventuellement du gré à gré, qui consiste à s'entendre avec les compagnies pour qu'elles acceptent de leur propre fait de baisser le prix du billet ou de le plafonner.

Mme Florence Svetecz. - La principale question pour l'Europe est celle de la concurrence. Les règles de la concurrence sont assez difficiles à contourner. Ce sont donc les règles de la concurrence qui nous empêchent d'être plus agiles.

Mme Catherine Conconne, rapporteur. - Je tenais à dire à nos interlocuteurs de LADOM de ne pas se restreindre. La première audition que nous avons organisée a concerné la Corse. Aujourd'hui, nous réalisons avec la jurisprudence corse que les problématiques de code des transports ou de règles européennes volent en éclat. Il existe un système idyllique pour la Corse. Or la Corse, c'est la France, tout comme la Martinique c'est la France, la Guyane c'est la France, La Réunion c'est la France et Mayotte c'est la France aussi.

Inspirez-vous de la Corse et arrêtons dès qu'il s'agit des outre-mer de parler de budgets, de PLF, etc. Je rappelle que la Corse compte le même nombre d'habitants que la Martinique. Pourtant, le dernier projet de loi de finances rectificative (PLFR), a augmenté la dotation de la Corse de près de 40 millions d'euros, pour faire face à l'inflation, etc. La Corse fonctionne avec une DSP. Je rappelle aussi que plus de la moitié de l'année correspond à la basse saison pour les billets d'avion. Pour ma part, comme vous l'imaginez, je voyage très souvent, au moins deux fois par mois. Il m'arrive certes en ce moment, puisque c'est l'hiver, d'avoir des avions pleins à craquer, mais il m'arrive aussi de voyager dans des avions de plus de 400 places dans lesquels ne se trouvent que 40 passagers. Ne serait-ce que sur les plages dites vertes, ou basse saison, on pourrait trouver les moyens de mieux servir la continuité territoriale.

Il existe aussi des systèmes dans d'autres pays européens qui ont des territoires ultramarins, pas seulement les Pays-Bas. Il y a aussi le Portugal et l'Espagne. De ce côté-là, du côté des Canaries ou de Madère, des systèmes pourtant régis par les mêmes règles européennes de transport ont été mis en place. J'appelle LADOM à faire preuve d'ambition, à ne pas se restreindre.

On verra après comment on rabote, à la marge, mais quand je regarde la Corse, je le dis haut et fort, les autres territoires ultramarins sont en situation extrêmement défavorable, injuste et inéquitable par rapport à la Corse. Donc soyez ambitieux. Visez haut. Visez loin. En tout cas, nous serons présents derrière pour dire à l'État que la France ne s'arrête pas à la Corse en matière de continuité territoriale.

La Corse compte certes cinquante ans de pratique de continuité territoriale mais ils n'ont pas été restreints. Ce qui se passe aujourd'hui en Corse est idyllique, sans condition de ressources, sans limitation dans l'année et avec des montants qui passent par des DSP avec les compagnies aériennes.

Citons le cas de la Martinique. Au moins trois compagnies desservent la Martinique depuis la France. Il doit être possible de passer des marchés ou de trouver une autre solution. Je vous le dis : soyez ambitieux. En effet, si notre rapport « accouche d'une souris » et qu'il n'est pas donné de moyens ambitieux à la continuité territoriale, je peux vous dire que la rupture, qui est déjà immense dans certains territoires avec la République, va s'aggraver encore plus.

Donc, je vous le dis, ne vous restreignez pas dans vos demandes. Ne vous préoccupez pas des budgets. Les sénateurs, les députés et les parlementaires sont là pour travailler lors des PLF. Nous saurons l'expliquer à la France. De la même manière qu'on trouve des dizaines de millions d'euros pour la continuité territoriale avec la Corse, soit aujourd'hui plus de 200 millions d'euros pour un équivalent habitant identique à celui de la Martinique, il faudra aussi trouver des moyens pour Mayotte, pour la Guyane, pour La Réunion, etc. Sur ce point, je peux vous dire que je serai extrêmement ferme et réactive, pour que l'équité dans la République soit mieux assurée et qu'il y ait un meilleur traitement, sans condition, sans limitation dues à je ne sais quel code.

Les Corses ne se sont pas embarrassés de ces sujets. C'est pourtant la France. N'oubliez pas non plus que nous bénéficions d'un régime de RUP qui est dérogatoire, avec l'article 349-3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui fait que certains aménagements sont possibles dans la République, sans que ce soit prévu par les textes européens. Dès lors, de grâce, ne soyons pas limités. Nous veillerons à ce que les principes de continuité territoriale soient aussi ambitieux pour les territoires ultramarins que ceux de la Corse, qui est au sein de la République.

M. Stéphane Artano, président. - Merci de ce cri du coeur en guide de conclusion, chère Catherine. Je crois que tu as tout dit. Merci de votre présence. Vous savez maintenant ce qu'il vous reste à faire. Inspirez-vous de nos amis corses. Bonne fin de journée, merci et à bientôt.

Jeudi 9 mars 2023

- Présidence de M. Stéphane Artano, président -

Audition de la direction générale des outre-mer (DGOM), la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et du ministère de la santé et
de la prévention

M. Stéphane Artano, président. - Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, chers collègues, comme vous le savez, notre délégation prépare un rapport très attendu sur la continuité territoriale, dont Catherine Conconne, en visioconférence, et Guillaume Chevrollier, ici présent, sont les rapporteurs.

Engagé en janvier dernier sur le dispositif applicable à la Corse, notre cycle d'auditions va s'achever, car nous examinerons ce rapport le jeudi 30 mars prochain. Outre les documents recueillis, nous avons pu mener, en réunion plénière, une dizaine d'auditions et de tables rondes à ce sujet qui est majeur à nos yeux. Nous avons notamment eu un échange très enrichissant avec les responsables de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) le 16 février dernier, dans la perspective de la réforme LADOM 2024.

Nos rapporteurs se sont aussi rendus dernièrement en Guyane et en Guadeloupe pour évaluer les politiques appliquées sur place et les contraintes dans lesquelles elles s'inscrivent. Ils ont ainsi pu attirer l'attention sur le double défi de la continuité intérieure sur ces territoires.

Pour finaliser leurs investigations, nous auditionnons ce matin les représentants des ministères compétents. Nous vous remercions évidemment de votre présence. Nous accueillons donc, respectivement :

- pour la DGOM : Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques, M. Marc Demulsant, sous-directeur de l'évaluation, de la prospective et de la dépense de l'État, qui sont accompagnés de M. Yves Goument, chargé de mission économie territoriale et économie du transport aérien à la sous-direction des politiques publiques, M. Guillaume Vaille, conseiller budget et finances locales, Mme Lou Le Nabasque, conseillère parlementaire du ministre délégué, chargé des outre-mer ;

- pour la DGAC : M. Emmanuel Vivet, sous-directeur des services aériens, direction du transport aérien ;

- pour le ministère de la Santé et de la Prévention : M. Timothée Mantz, sous-directeur adjoint et M. Guillaume Bouillard, chef de bureau à la sous-direction du financement du système de soins (DSS), M. Pierre Savary, chef de bureau à la direction générale de l'offre de soins (DGOS).

Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la DGOM. - Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, nous vous remercions d'avoir convié les administrations à participer à vos travaux sur la continuité territoriale. Nous répondrons à vos questions, avec Marc Demulsant, responsable du budget et de l'évaluation à la DGOM. Avant de reprendre le questionnaire, nous souhaitons préciser que plusieurs continuités territoriales coexistent outre-mer :

- l'aide tout public à la continuité territoriale, réservée aux personnes aux revenus modestes qui forment l'essentiel de nos concitoyens ultramarins ;

- les passeports mobilité réservés aux personnes en formation ou qui poursuivent leurs études en métropole.

Il est essentiel, pour ces différents publics, de maintenir et renforcer cette offre de continuité territoriale. Nous nous employons régulièrement à l'adapter à l'évolution des besoins et des contraintes extérieures.

La réforme de 2021, abordée en premier lieu dans votre questionnaire, porte notamment sur la revalorisation du bon de la continuité territoriale, plus particulièrement à l'intention des collectivités du Pacifique. L'adaptation à la hausse des coûts du transport, réalisée en 2021, est un premier exemple. Un alignement sur le tarif majoré dans les DROM a par ailleurs été effectué, avec la suppression du tarif simple pour la continuité territoriale. C'est une première étape du renforcement de la prise en charge des dépenses. En outre, la liste de bénéficiaires de la continuité territoriale funéraire est élargie afin que davantage de membres d'une famille puissent assister aux obsèques de leur proche en métropole.

Une réforme à venir, dont le décret sera prochainement publié, met en oeuvre une mesure, permise par amendement de la loi de finances de 2023 et réévaluant les montants de prise en charge de la continuité territoriale. Ces derniers peuvent désormais atteindre 50 % du coût d'un billet, comme l'a annoncé le ministre délégué aux outre-mer, Monsieur Carenco.

Le projet LADOM 2024, qui a été décrit par le président et le directeur de l'agence, va plus loin, puisqu'il prend en compte les besoins de nouveaux publics. Il s'inscrit dans un contexte particulier, alors qu'en 2023 LADOM cesse les prescriptions de formation professionnelle, confiées à Pôle emploi dans une logique de rationalisation. Ainsi, l'agence se réinterroge sur ses missions au regard des besoins des ultramarins. De plus, le contrat d'objectifs et de performance (COP) actuel prend fin cette année qui est aussi celle du rapprochement de LADOM et de la délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer et la visibilité des outre-mer (Diecfomvi). Ainsi, de nouveaux champs d'action peuvent s'ouvrir. Enfin, l'arrivée en 2023 d'un nouveau président et d'un nouveau directeur général de LADOM lui donne une nouvelle impulsion, en lien avec le ministre délégué chargé des outre-mer.

Les premières réflexions tournent autour de la question suivante : faut-il réviser les seuils d'accès ou élargir le dispositif à de nouveaux publics ? La question importe, car les porteurs de projets pourraient être inclus (start-ups ultramarines en situation d'iniquité avec celles de la métropole pour leurs levées de fonds et leur participation aux salons professionnels).

LADOM envisage un appui bien plus en amont, dès la définition du projet, dans la perspective de considérer un éventuel retour, en correspondance avec une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au regard des offres d'emploi actuelles et futures. Cette réflexion a débuté en Guadeloupe.

Une aide supplémentaire est versée aux étudiants effectuant leur cursus en métropole, sous réserve que leur domaine d'études réponde aux besoins des entreprises ultramarines et que ces jeunes s'engagent à retourner dans leur territoire d'origine au terme de leurs études. Ils peuvent, dans ce cadre, prendre un emploi de courte durée après l'obtention de leur diplôme dans l'Hexagone. Les acteurs de Guadeloupe et de Saint-Martin ont particulièrement travaillé au sujet qui sera mis en oeuvre dès la rentrée 2023 en Guadeloupe et à compter de 2024 en Martinique. Le texte officialisant l'expérimentation est en voie de finalisation et de signature.

Nous nous félicitons de la complémentarité et de l'articulation entre les formations LADOM, les formations professionnelles territoriales et les formations dans l'Hexagone. Dans un effort d'aide au retour des jeunes qui ont été formés, LADOM n'entre pas en concurrence avec les formations dispensées dans les territoires.

Ainsi, la formation progresse dans les territoires. Le nombre de détenteurs d'un passeport pour la mobilité et la formation professionnelle évolue :

- 5 000 bénéficiaires avant la crise sanitaire ;

- 4 000 bénéficiaires en 2019 ;

- 1 600 bénéficiaires en 2020 ;

- 2 500 bénéficiaires en 2021 ;

- 2 700 bénéficiaires en 2022.

Le rapprochement de LADOM et de Pôle emploi, le développement de l'offre de formation locale et d'actions à distance en sont la cause. Les pratiques ont évolué.

L'attribution des aides à la continuité territoriale a concerné :

- 23 000 personnes avant la crise sanitaire ;

- 7 000 personnes en 2020 ;

- 50 000 personnes en 2022.

Le report de l'aide de la Région Réunion sur le dispositif national entre en jeu. L'île de la Réunion comptait 3 000 bénéficiaires en 2020, puis 28 000 bénéficiaires en 2022, soit 56 % des prises en charge sur l'ensemble des territoires d'outre-mer.

Le passeport pour la mobilité des études, qui profitait à 11 000 bénéficiaires annuels avant la crise sanitaire, a été à peine moins utilisé pendant la crise pour afficher une reprise en 2022, en intéressant 10 500 étudiants.

Ces éléments éclairent notre volonté de prendre en compte tous les enjeux mentionnés dans vos travaux. Nous souhaitons que LADOM, à travers son nouveau projet de service, s'adapte encore plus aux besoins des concitoyens ultramarins.

M. Marc Demulsant, sous-directeur de l'évaluation, de la prospective et de la dépense de l'État. - Mesdames et Messieurs les Sénateurs, laissez-moi vous rappeler que LADOM est alimentée par les deux programmes budgétaires du ministère délégué chargé des outre-mer, respectivement le programme 138 « Emploi outre-mer », qui finance tous les dispositifs de formation professionnelle et qui prend en compte le changement de prescription précédemment évoqué, et le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » qui porte le dispositif de la continuité territoriale.

Les chiffres que je m'apprête à vous communiquer concernent ce dernier point. Je vous propose d'examiner les exercices 2022 et 2023, tout en vous fournissant quelques indications de trajectoire depuis 2013.

LADOM reçoit une subvention pour charge de service public, qui bénéficie aux opérateurs pour leur permettre de répondre à leurs obligations et dont le montant est relativement stable : 7,3 millions d'euros en 2022 et une somme du même ordre de grandeur en 2023.

Certaines années, LADOM a bénéficié de dotations spéciales pour ses investissements internes, comme en 2017 et 2019 pour les systèmes d'information (applications métiers, budgétaires, interfaçage). De 2013 à 2023, ces dotations s'élèvent à un total de 2,7 millions d'euros.

Les crédits disponibles au titre de la continuité territoriale, s'appliquent aux individus (déplacements aidés sous conditions de ressources) et aux dispositifs de formation. Ils s'élèvent à 23 millions d'euros en 2022, puis 30 millions d'euros en 2023, cette hausse étant due aux amendements votés au Parlement.

La trajectoire laisse apparaître le poids considérable de La Réunion dans le dispositif. Si en 2014 et les années suivantes, on observe une réduction significative des crédits, le dispositif de la Région Réunion ayant aspiré la demande, en 2022 et 2023, la dépense reprend, comme l'indiquent les chiffres précédemment cités. Les crédits consommés, eux, atteignent 16,5 millions d'euros en 2022, tous DROM confondus.

Il est à noter que le dispositif de continuité funéraire est peu consommé, les dépenses afférentes s'élevant à 130 000 euros en 2022, tous DROM confondus, en raison de l'existence de régimes d'assurance et peut-être aussi par méconnaissance.

La dépense des crédits dans la région Pacifique s'élève à 4,5 millions d'euros en 2022, dont 3,1 millions d'euros en Nouvelle-Calédonie, près de 500 000 euros à Wallis-et-Futuna et 1,1 million d'euros en Polynésie française.

Tous les chiffres depuis 2013 vous seront communiqués.

Mme Isabelle Richard. - Monsieur le président, j'ai omis de mentionner deux nouvelles mesures attendues en 2023. Outre la revalorisation des montants maximaux de prise en charge, ont également été votés en loi de finances :

- un renforcement de la continuité territoriale à l'intention des personnes effectuant des validations d'acquis de l'expérience (VAE), la mesure représentant une dotation supplémentaire d'un million d'euros ;

- une revalorisation d'un million d'euros pour la prise en charge du deuxième accompagnement familial d'enfant évacué sanitaire. Puisque la Sécurité sociale assume 100 % du coût du déplacement du premier parent, nous travaillons à une disposition complémentaire, demandée par plusieurs parlementaires.

M. Emmanuel Vivet, sous-directeur des services aériens, direction du transport aérien, DGAC. - Monsieur le président, en qualité de représentant de la direction du transport aérien, j'aurais quelques observations à vous apporter sur le transport aérien avec les outre-mer.

Les départements d'outre-mer étant des territoires européens, ils sont inclus dans le régime européen du marché intérieur. À ce titre, toute compagnie européenne peut à tout moment installer un service de liaison aérienne entre la métropole et un DOM ou entre les outre-mer, sans avoir à solliciter l'autorisation de la DGAC qui est simplement notifiée. Ainsi, coexistent à ce jour :

- trois compagnies aériennes desservant les Antilles ;

- quatre compagnies à La Réunion ;

- deux transporteurs à Cayenne ;

- cinq compagnies à Tahiti, en y incluant les compagnies américaines fort intéressées par Papeete ;

- la compagnie aérienne Aircalin en Nouvelle-Calédonie ;

- deux transporteurs à Mayotte.

Le niveau de concurrence est par conséquent élevé, ce qui est rarement le cas, concernant les longs courriers.

Dans ce régime économique, le profit est recherché par les sociétés privées telles Air Caraïbes, French Bee, Corsair et Air France qui est détenue à 28 % par l'État et cotée en Bourse. Il nous semble pourtant que leurs marges sont faibles, voire négatives. Il faut se souvenir des faillites successives d'AOM Air Liberté, XL Airways en 2019, OpenSkies Level en 2020 et du recours à un plan d'aide par Corsair en 2020, puis par Air Austral, plus récemment.

Si la DGAC n'a pas l'obligation de suivre les tarifs de l'intégralité des liaisons dans le monde, parmi lesquelles 1 500 lignes desservent la France, elle a néanmoins conçu un robot tarifaire qui interroge les sites internet afin d'analyser les tarifs de certaines liaisons, dont celles des outre-mer, depuis un certain temps. Les informations remontées retiennent plusieurs liaisons selon plusieurs classes de réservation (il en existe seize au total).

Nos conclusions confirment une évolution des tarifs qui, après avoir diminué en 2021 en sortie de crise sanitaire, ont augmenté en 2022. Nous avons effectivement observé une hausse de 94 % du prix du kérosène en euros entre septembre 2021 et septembre 2022, conjuguée à une hausse du dollar, monnaie de paiement du kérosène. Dans le cas particulier des Antilles, une augmentation de 15 % s'ajoute, à travers la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA). Ces frais sont nécessairement répercutés en tout ou partie sur les passagers.

Concernant le niveau des tarifs, nous sommes en mesure d'affirmer qu'en 2019, le tarif au kilomètre et au passager était, sur les liaisons à destination des outre-mer, 33 % plus bas que la moyenne mondiale des distances comparables, puis il devenait 41 % plus bas à l'automne 2022, à la fin de notre étude analytique, dans un contexte inflationniste général de l'ensemble des liaisons aériennes dans le monde.

Cependant, la saisonnalité des tarifs est plus accentuée dans les outre-mer, comparativement aux longs courriers, encore plus aujourd'hui qu'avant la crise. Ceci explique le ressenti des passagers. Nous ne disposons d'aucun outil d'encadrement réglementaire des tarifs qui sont libres, à l'exception des réductions obligatoires en faveur des jeunes ultramarins (- 2 ans, - 12 ans, - 18 ans), depuis 1997, à une date antérieure au règlement européen. Les transporteurs répercutent ces minorations sur les autres tarifs, en l'absence de mesures de compensation.

La Guyane, par sa densité et son étendue, est dotée d'un régime particulier. Assurer les liaisons internes y est absolument indispensable à la continuité territoriale pour l'activité économique, la population, la poursuite des études... Ainsi, cinq lignes intérieures fonctionnent entre Cayenne et plusieurs villes (Maripasoula, Saül, etc.), cet aménagement du territoire dépendant de la région guyanaise qui prend elle-même les obligations de service public qu'elle juge nécessaires à sa charge. Nous sommes à sa disposition pour l'appuyer. Nous notons à cet égard une amélioration du dispositif en 2021, lors de sa transformation d'une aide à la personne à un système de délégation de service public par lequel le transporteur proposant de bénéficier du niveau de compensation la plus basse est retenu. Pour le pratiquer en métropole, nous pensons que ce système est meilleur que celui de l'aide directe aux voyageurs.

M. Guillaume Bouillard, chef de bureau à la sous-direction du financement du système de soins, DSS. - Concernant le niveau de prise en charge des patients au sein des territoires, l'action des ministères respectivement responsables de la santé et des comptes publics consiste avant tout à accompagner, voire développer, l'offre de soins dans les territoires pour limiter le recours aux évacuations sanitaires (EVASAN).

Dans une situation d'éloignement du domicile du patient, le droit commun s'applique à la prise en charge des soins et le code de la Sécurité sociale prévoit onze motifs de couverture par l'Assurance maladie des frais de transports sanitaires, parmi lesquels :

- les transports liés à une hospitalisation ;

- les transports en ambulance lorsque l'état du patient le justifie ;

- les transports entre des lieux distants de plus de 150 kilomètres.

Le dispositif dit d'hôtel hospitalier se développe outre-mer. Il s'agit d'un hébergement temporaire non médicalisé, expérimenté à compter de 2015 puis généralisé en 2021, qui, sur prescription médicale, permet l'hébergement des patients éloignés de leur domicile sur le site hospitalier ou dans un hôtel partenaire de l'établissement.

Ce dispositif est également ouvert aux patients en Evasan en métropole. Toutefois, les plafonds accordés (3 nuitées consécutives sans acte ou 21 nuitées rattachées à un séjour hospitalier) sont levés concernant les patients ultramarins en Evasan. Ces derniers peuvent ainsi être hébergés en métropole dans un lieu non médicalisé à proximité de l'établissement dispensateur de soins.

L'hébergement temporaire non médicalisé a été particulièrement mobilisé depuis sa généralisation à La Réunion, avec 15 000 nuitées, soit la moitié du quantum global.

Le nombre annuel d'Evasan s'élève, lui, à 700. Les critères stricts de déclenchement d'une Evasan et ses modalités de prise en charge sont rappelés dans une instruction de décembre 2022. Deux vecteurs de financement existent :

- par l'Assurance maladie lorsque l'évacuation s'effectue par une ligne régulière ;

- par l'établissement hospitalier qui organise l'évacuation lorsque celle-ci est opérée par un avion sanitaire.

L'Evasan s'applique au transport du patient, de l'équipe soignante et d'un accompagnant par assuré ou ayant-droit lorsque l'état de celui-ci le justifie ou pour les mineurs de moins de 16 ans.

Le fonds d'action sanitaire et sociale des caisses qui complète le dispositif d'Evasan prend une importance significative pour les CGSS, outre-mer. En 2019, au dernier recensement, il est apparu que 2,7 millions d'euros avaient été engagés, correspondant à plus de 50 % en moyenne de la dotation paramétrique des CGSS. Ce fonds est mobilisable sous conditions de ressources des patients.

Concernant la prise en charge des frais de déplacement du domicile à l'établissement, le principe de l'Evasan repose sur l'hospitalisation du patient, donc sur un transfert entre établissements. Le code de la Sécurité sociale inclut toutefois quelques relais dans les transports sanitaires.

S'il est prévu que les frais d'Evasan soient directement réglés par la caisse d'assurance maladie ou par l'établissement hospitalier, il arrive fréquemment que les familles aient à les avancer. Ainsi, tous les cas de figure se présentent.

Pour ce qui est du rapatriement des corps en cas de décès, je vous confirme que l'Assurance maladie n'intervient pas. Néanmoins, le fonds d'action sanitaire et sociale propose un financement pour un montant maximal de mille euros, sous conditions de ressources. Les décès consécutifs à un accident du travail sont, eux, pris en charge.

La question relative au coût global de la continuité des soins a été posée à l'Assurance maladie ainsi qu'aux équipes diligentant les analyses médico-économiques au sein du ministère. Pour ne l'avoir pas étudié à ce stade, nous ne savons pas vous restituer le coût de la prise en charge des soins des patients ultramarins bénéficiant d'une Evasan.

M. Pierre Savary, chef de bureau à la direction générale de l'offre de soins, DGOS. - Monsieur le président, pour répondre à la question urgente des conditions de réalisation des Evasan, je pense qu'elles sont satisfaisantes. Concernant les Evasan coordonnées par les SAMU, deux chantiers notables sont en cours :

- Le premier, d'ordre financier, porte sur la création d'une mission d'intérêt général dédiée, visant à clarifier et réformer le financement des urgences. Une augmentation substantielle des moyens a été décidée en 2021, puis en 2022, avec une enveloppe passant de 5,8 millions d'euros à 17 millions d'euros en 2022.

- Le second redéfinit les Evasan, selon l'instruction du 5 décembre 2022, en précisant leur périmètre et leur financement, dans la continuité du chantier financier.

Un chantier organisationnel suivra, pour relever les défis remontés par les ARS et les différents acteurs. Il s'agit effectivement de retenir les enseignements de la crise sanitaire, à travers laquelle les organisations ont évolué :

- À Mayotte, l'instauration d'une ligne sanitaire dédiée a engendré une diminution notable des délais, dans un contexte où les évacuations urgentes sont accrues par les difficultés liées à l'immigration comorienne. Cette ligne est maintenue.

- En Guyane, l'Evasan passe par plusieurs vecteurs, puisque les transports intérieurs assurent la première étape des évacuations vers la métropole. Les bonnes pratiques logistiques, le lien avec les communes intérieures et les CPTS sont à consolider.

D'autres chantiers à venir concernent tous les territoires ultramarins d'outre-mer, dans la perspective de minimiser le temps d'indisponibilité (aller-retour) des équipes médico-soignantes et des matériels. Nous observons une amélioration récente sur ce plan.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Je salue et remercie toutes les personnes présentes pour les précisions apportées.

Nous souhaitons être assez précis sur un certain nombre de questions, car après notre déplacement en Guyane et en Guadeloupe où nous avons évalué la mise en oeuvre de mesures de continuité territoriale sur le terrain, nous relevons de réelles problématiques :

- qu'est-ce que LADOM appelle un « public modeste » ?

- la réforme de 2021 a-t-elle fait l'objet d'une évaluation ?

- pouvez-vous préciser quel est le plafond de 50 % d'un billet ? En effet, je doute que LADOM accorde la moitié du coût d'un trajet à 1 500 euros en classe économique et en période dite « de pointe ».

- Pourquoi un si grand nombre d'antennes dans l'Hexagone, avec les frais de fonctionnement associés ?

Concernant l'hébergement non médicalisé, j'aimerais attirer votre attention sur une situation que je juge déplorable en Guyane et en Guadeloupe :

- Les parturientes en provenance des communes intérieures telles Maripasoula vers Cayenne, qui arrivent plusieurs semaines avant la date de l'accouchement, ne sont accueillies nulle part, alors qu'à mon sens le cas entre dans la continuité de santé.

- En Guadeloupe, il nous a été exposé que des patients qui se rendent, parfois quotidiennement, de Marie-Galante à Pointe-Pitre pour suivre des séances de 45 minutes de chimiothérapie, doivent patienter jusqu'à six heures sous un hall en tôle dont la température dépasse 40 °C avant de prendre le bateau de retour, programmé tardivement dans l'après-midi.

Ainsi, aucun dispositif n'accueille ces personnes sur place. J'ai interpellé en Guadeloupe le directeur du port concerné à ce sujet, j'attends ses propositions.

Je suis également interpellée par le manque de transparence et de communication sur ces mesures particulièrement méconnues du grand public. Les personnes que nous avons rencontrées affirment progresser sur ce plan. Néanmoins, cette méconnaissance a, je suppose, un effet non négligeable sur la consommation des dispositifs, alors que les enjeux financiers sont relativement faibles.

Je tiens à revenir sur ma première question sur la définition d'un « public modeste » dans les outre-mer, eu égard au niveau de vie, à la pauvreté et au coût de la vie dans ces territoires. Conditionner l'obtention d'une aide à la continuité territoriale (ACT) à un plafond de ressources de 12 000 euros me laisse insatisfaite.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - Mesdames, Messieurs, je vous remercie de vos interventions.

Nous avons pu mesurer, lors de notre déplacement, de fortes attentes en matière de continuité territoriale. Il existe effectivement plusieurs continuités : entre les outre-mer et l'Hexagone, à l'intérieur des territoires, mais aussi entre les territoires ultramarins. L'accès depuis la Guyane à ses pays voisins est actuellement compliqué.

Je note que l'accès à l'information relative aux aides de LADOM et les conditions de ressources exigées sont particulièrement faibles, limitant la demande et l'éligibilité des publics. Ces points, souvent exprimés sur le terrain, sont certainement à intégrer à votre réflexion. Il vous appartient aussi de développer une offre adaptée à la forte saisonnalité des tarifs, c'est un vrai problème car les dates de voyage des étudiants sont impératives.

Vous n'avez pas répondu à la question portant sur l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux. Les collectivités locales, mesurant les attentes de leurs populations par rapport aux besoins de continuité intérieure et extérieure, souhaitent agir. Il convient de sécuriser juridiquement cette possibilité, à défaut de moyens plus conséquents octroyés par l'État.

Vous avez indiqué, à ma question sur la DGAC, que la réglementation européenne s'impose. Celle-ci exerce une forme de contrainte. Comment pourriez-vous lever quelques obstacles pour accroître l'offre de mobilité ?

Mme Isabelle Richard. - Le terme de « public modeste » correspond à une orientation qui a été approuvée par la Commission européenne lorsque le renouvellement du dispositif a été notifié. Cette philosophie ne va pas à l'encontre des intérêts des outre-mer, puisque, ne serait-ce que dans le champ du logement social, 90 % de nos concitoyens ultramarins y sont éligibles.

Le quotient familial annuel retenu au titre de la continuité territoriale est de 11 991 euros ; pour le passeport mobilité études et la formation professionnelle, ce quotient s'élève à 26 631 euros. Nous avons conscience que depuis la fixation de ces montants, il y a plusieurs années, les revenus ont pu progresser. Le sujet est examiné dans le cadre de la réforme de LADOM.

Pour autant, les revenus médians sont plus bas outre-mer qu'ailleurs dans l'Hexagone et nous devons garder à l'esprit la notification de la Commission européenne.

Il est trop tôt, nous semble-t-il, pour évaluer la réforme de 2021, dont les textes ont été publiés au printemps, entre plusieurs périodes de confinement liées à la sévérité de la pandémie outre-mer.

Les montants de prise en charge en Polynésie française ont profité aux publics face à la hausse des tarifs aériens en 2022, de même que le passage d'un tarif unique à un tarif majoré dans les DROM. La DGOM analyse régulièrement ces éléments.

Le dispositif de 50 % de financement du prix des billets d'avion s'avère plutôt vertueux, incitant les personnes et les agences de voyages à anticiper les déplacements, pour obtenir les montants les plus intéressants. Ce ratio s'appuie sur les montants constatés en 2022, en matière de continuité territoriale. Les plafonds ont ainsi été révisés.

M. Yves Goument, chargé de mission économie territoriale et économie du transport aérien à la sous-direction des politiques publiques, DGOM. - Si les prix ont augmenté en 2022, nous nous référons à la moyenne du prix d'achat du billet d'avion par les bénéficiaires de l'aide à la continuité territoriale. Il ne s'agit donc ni d'un prix tout public ni d'un prix de haute saison. Les populations aidées s'attachent effectivement à choisir les billets les moins chers et leurs enfants bénéficient de tarifs réduits. En conséquence, la moyenne des tarifs retenus est plutôt basse, selon les chiffres de LADOM :

- 688 euros en Guadeloupe ;

- 728 euros en Martinique ;

- 970 euros à La Réunion ;

- 2 061 euros en Nouvelle-Calédonie.

Les montants calculés sur la base de 50 % de financement sont inscrits dans le projet d'arrêté qui paraîtra bientôt au Journal officiel.

Mme Isabelle Richard. - Si nous ne nous focalisons pas sur les saisons hautes, à l'été et en fin d'année, nous prenons en compte le réalisé de l'ensemble de l'année pour définir les montants inscrits dans le projet d'arrêté.

Incitatif, le mécanisme retenu est vertueux puisqu'il force indirectement la concurrence à se positionner sur les meilleurs tarifs. Il l'est aussi pour les finances publiques. Les plafonds comprennent une prise en charge de 50 % des prix de billet constatés.

Les documents qui vous seront fournis postérieurement à cette audition comporteront un volet budgétaire détaillé et de nombreux éléments complémentaires à ce que nous avons pu indiquer.

Le nombre d'antennes de LADOM est de cinq unités territoriales dans les outre-mer et de six unités territoriales dans l'Hexagone. Ces implantations visent une présence dans les grandes régions afin de piloter la mise en oeuvre opérationnelle du projet de formation des demandeurs d'emploi ultramarins en mobilité, depuis l'arrivée sur le lieu de formation jusqu'à leur insertion professionnelle.

De plus, ces implantations s'examinent à la lumière des actions futures de LADOM. Demain, LADOM pourrait renforcer son action de proximité à l'égard des étudiants (accompagnement psychologique, aide au projet de retour). Le projet stratégique de LADOM 2024 devra le prendre en compte.

La répartition des ETP figure dans nos éléments de réponse. Si 33 % des agents de LADOM exercent dans les unités territoriales de l'Hexagone, une part significative est rattachée aux unités ultramarines, à hauteur de 48 ETP.

Concernant les demandes de continuité entre les territoires ultramarins, la continuité funéraire est accordée par le dispositif de 2021. Cependant, la continuité territoriale sollicitée entre Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie est un sujet qui ne relève pas de la compétence des territoires, celle-ci valant sur les territoires eux-mêmes (collectivités et collectivités locales). Les requêtes entre territoires sont donc examinées au fil de l'eau.

S'agissant de l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux, d'après notre analyse, l'illégalité des financements par La Réunion de l'aide à la continuité territoriale est soulevée, mais la Cour ne se prononce pas sur la délibération du conseil régional ayant conduit à l'attribution d'une dotation à LADOM, en financement de l'ACT. Aussi, elle ne remet pas en question la participation de la collectivité au financement de la politique de la continuité territoriale, mais bien le fait pour celle-ci d'avoir conçu son propre dispositif. Ainsi, rien n'interdit aux collectivités de participer financièrement à l'ACT. Le conventionnement entre régions et organismes publics est par ailleurs fréquent.

M. Emmanuel Vivet. - La saisonnalité des tarifs est induite par le « yield management » des entreprises, une technique de tarification au coût marginal : le dernier passager d'un avion presque complet paie son billet plus cher que le premier passager d'un avion vide. Ce système, inventé aux États-Unis dans les années 80, a été développé avec énergie notamment par Air France dans les années 90 et toutes les entreprises bien gérées fonctionnent ainsi aujourd'hui. Pratiquer des tarifs plus élevés lorsque la demande l'est, et inversement fait partie de la liberté tarifaire des entreprises dans la rentabilisation de leurs opérations. C'est une conséquence de la libéralisation prise dans son ensemble.

Pour les outre-mer, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française mises à part, cette libéralisation est un bienfait, car elle a fait baisser les prix, selon notre analyse. Ces destinations représentent le seul faisceau au départ de la métropole dépassant amplement les seuils de 2019, en nombre de passagers. Elles font mieux que l'Asie, l'Afrique, le Maghreb et la métropole qui, elle, chute de 20 % à 30 % sur certains axes. Quant aux pays européens, ils enregistrent légèrement plus de passagers qu'en 2019. En conséquence, le passager nous fait savoir que le service lui est rendu. Les citoyens européens, qu'ils habitent en Martinique, à La Réunion ou à Brest, en profitent quotidiennement. Or, le coût est nul pour les finances publiques, mais vous me demandez d'améliorer encore les choses !

Idéalement, une compagnie aérienne devrait accepter de ne mettre en circulation des lignes qu'aux périodes de haute saison, pour en accroître le nombre.

Par ailleurs, je rappelle que l'État s'emploie à maintenir les compagnies en vie. Une dépense de plusieurs centaines de millions d'euros a été consentie pour sauver Air France, Corsair et Air Austral. Si la rentabilité du marché aérien avec les outre-mer était avérée, les grandes compagnies européennes s'y seraient positionnées, mais ce n'est pas le cas.

Le passager, lui, peut acquérir son billet à l'avance afin de bénéficier des prix minimaux offerts pendant la partie basse de la montée du cycle avant la haute saison. Nous avons compté que l'économie réalisée pouvait atteindre deux cents euros (pour des billets de Pointe-à-Pitre).

Pour répondre à la question d'aménager le système européen des obligations de service public, toute réglementation fixée entre deux points situés à l'intérieur du territoire de l'Union européenne est une encoche au marché intérieur qui, par définition, est libre. La création d'une obligation de service public (OSP) doit être signalée aux États membres. Les OSP sont de trois ordres :

- l'OSP ouverte, existant dans les DOM, est un ensemble de règles simples qui s'appliquent à tous les vols, imposant des réductions selon l'âge (aux - 2 ans, - 12 ans et - 18 ans) et un accès prioritaire pour les obsèques ou le rapatriement. Toutes les compagnies aériennes les appliquent, en reportant le manque à gagner sur le prix des billets des autres passagers :

- l'OSP fermée non financée, jamais pratiquée en Europe, consiste en un régime monopolistique non financé. La compagnie aérienne impose alors ses tarifs, n'apportant aucun bénéfice par rapport à l'effet recherché ;

- l'OSP financée s'appuie sur une délégation de service public qui appelle un marché et un appel à candidatures. Il en résulte un seul gagnant et donc un retour à une situation de monopole. Nous perdrions alors la force du système dont nous disposions à l'origine, tout en amenant les contribuables à financer le monopole créé, sans évoquer le coût administratif.

En conséquence, je ne saurais vous dire quelle est l'OSP qui fonctionnerait le mieux. Notre expérience sur de petits segments, tel le vol Paris-Aurillac, montre un coût élevé pour une liaison accueillant trente fois moins de passagers et assurant vingt fois moins de kilomètres que celle de Paris-La Réunion.

M. Stéphane Artano. - J'entends vos hypothèses, mais permettez-moi de remarquer que le président-directeur général d'Air France-KLM a récemment déclaré que trop de compagnies aériennes desservaient les outre-mer, laissant supposer qu'il en appelle à un monopole, une fusion ou une consolidation d'entreprises. Est-ce le mouvement que vous observez outre-mer ? Ou estimez-vous que les compagnies sont suffisamment solides pour ne pas avoir à se regrouper ?

M. Emmanuel Vivet. - Benjamin Smith peut se montrer schumpetérien, en qualité de chef d'entreprise ! Il est évident qu'un dilemme se présente entre l'intérêt de la concurrence à l'origine de la baisse des tarifs dont tout le monde profite et le besoin d'une bonne santé financière des transporteurs, au nom duquel un minimum de consolidation s'avère nécessaire. Néanmoins, il ne revient pas à l'administration de se prononcer sur les mouvements capitalistiques. Une consolidation me semblerait utile au renfort des entreprises, sous certaines conditions et sous réserve de l'accord de celles-ci.

D'un autre côté, disposer de cinq compagnies sur la liaison Paris-La Réunion paraît excessif, ce cas extrême ne s'observe nulle part ailleurs et l'une de ces compagnies a disparu. Mon avis personnel sur le sujet est qu'il nous manque, en France, un grand acteur long-courrier de second rang, d'une manière générale.

M. Stéphane Artano, président. - Il ressort de notre audition de LADOM une question sur la continuité funéraire. Vous avez fait état de l'utilisation relativement modeste de ce dispositif au regard de l'enveloppe globale de la continuité territoriale (130 000 euros). Quelles sont les modalités de déblocage de cette continuité territoriale ?

Si les personnes ont à avancer les frais funéraires avant d'en obtenir le remboursement, alors qu'elles n'ont justement pas les capacités financières c'est une difficulté.

Un conventionnement avec les collectivités afin qu'elles puissent prendre le relais ne pourrait-il pas être étudié ? Une révision des règles de mobilisation des crédits pourrait-elle être envisagée ? Nous nous interrogeons sur le frein que représente le fonctionnement actuel du recours au dispositif.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Je vous confirme, Monsieur le président, que le dispositif de continuité funéraire est d'une complexité extraordinaire. Entre l'apport exigé préalable et le volet administratif des dossiers, les familles, souvent, abandonnent leur requête.

J'estime que le niveau des conditions de ressources est totalement inacceptable, d'autant que la Corse n'y est pas soumise. Lorsque vous faites mention du revenu médian et d'un dispositif vertueux, considérez-vous qu'avec un plafond de 12 000 euros annuels, vous vous adressez à un public ciblé ? Dans ces pays où les taux de pauvreté sont très importants, les foyers sont par conséquent souvent pauvres, avec notamment des surcoûts pour l'alimentation, de l'ordre de 40 %.

La sous-consommation d'un certain nombre d'aides, dont celle de la continuité funéraire, est due aux difficultés administratives. Pour les avoir moi-même expérimentées, en appuyant plusieurs familles, j'ai dû abandonner. Or, un transport funéraire exige une réactivité importante. Le coût d'un déplacement de corps est situé entre 4 000 euros et 5 000 euros, pour un remboursement de l'ordre de 1 000 euros. Les familles préfèrent généralement abandonner cette aide.

Permettez que je poursuive, président, avec les ACT spécifiques des sportifs et des artistes. Là encore, les dossiers sont particuliers. Lorsqu'une équipe de football, comprenant quinze personnes et son encadrement, se déplace, les dirigeants sportifs, au-delà de leur engagement bénévole, doivent constituer un dossier pour chaque personne, sous conditions de ressources, en récupérant les avis d'imposition et ainsi de suite. Ce n'est pas tenable ! Les modalités d'accès à ces dispositifs laissent penser qu'elles misent sur le découragement des publics concernés, afin que les enveloppes ne soient pas consommées. Ainsi, les dirigeants sportifs, que nous avons rencontrés et qui se déplacent chaque semaine depuis Marie-Galante, ont préféré conclure des partenariats de mécénat avec les transporteurs, parce qu'ils ne parviennent pas à obtenir l'ACT spécifique, étant donné l'individualisation de cette aide.

Enfin, je vous laisse calculer ce qu'un plafond de ressources de 12 000 euros annuels représente, par mois. De plus, les dossiers de personnes gagnant quatre euros au-dessus de ce plafond sont rejetés ! Les interlocuteurs de LADOM en sont eux-mêmes attristés. Pouvez-vous me dire ce qu'il y a de vertueux à refuser une aide aux personnes disposant de 1 000 euros mensuels, en sachant que le coût de l'alimentation est supérieur de 40 % et que les conditions de ressources ne sont pas appliquées en Corse ?

M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie chère collègue, d'avoir complété mes propos.

Mme Isabelle Richard. - Madame la sénatrice, nous allons d'abord répondre à vos dernières questions. Avant que mon collègue n'évoque un dispositif mieux adapté aux publics sportifs, je souhaite vous dire que nous vous rejoignons sur le défaut de communication de LADOM. Cet aspect sera traité dans le projet LADOM 2024, notamment au moyen de sites internet plus lisibles et plus étoffés, ainsi que d'équipes plus proactives à communiquer sur l'ensemble des dispositifs appropriés.

Marc Demulsant. - Intégré au programme 123, le « Fonds d'échanges à but éducatif, culturel et sportif » (FEBECS), pour une enveloppe globale de deux millions d'euros sur l'ensemble des territoires, apporte en partie une réponse au traitement individuel des sportifs. Il peut être mobilisé dans le cas de déplacement d'une équipe. Cet outil, opéré par les préfectures, est plutôt bien utilisé, année après année.

Pour revenir à la continuité funéraire, le budget alloué est, de fait, sous-consommé, certainement par méconnaissance du dispositif. Il faut cependant admettre qu'il n'est jamais simple de dépenser de l'argent public. Les règles instituées en la matière ne correspondent effectivement pas à l'urgence et la détresse d'une famille confrontée à un décès. Nous devons examiner quel serait le vecteur le mieux adapté et quelles solutions opérantes nous pourrions imaginer pour simplifier le processus. Néanmoins, la notion de complexité qu'engendre l'usage de l'argent public demeure, même si c'est regrettable.

Mme Isabelle Richard. - Nous pourrons également apporter quelques compléments sur les modalités d'utilisation de cette aide funéraire, si vous le souhaitez.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Les demandes au titre de la continuité funéraire doivent être déposées auprès de la préfecture, mais les sommes accordées représentent peu, c'est une goutte d'eau dans l'océan. Il conviendrait de réfléchir à des montants plus élevés, me semble-t-il. En qualité de Guyanaise, je peux en témoigner tout comme je peux vous garantir que les familles ne cessent de solliciter l'appui des élus lorsqu'un décès survient à l'hôpital Lariboisière et qu'elles souhaitent inhumer leur parent à Cayenne. Il nous arrive de payer les frais, car, comprenez-moi, le prix est très élevé.

Je vous remercie de vos réponses qui ne font que démontrer les inégalités de traitement et de considération entre les Français de l'Hexagone et les Français ultramarins.

Je souhaite poser une question à la DGAC.

Nous nous sommes rendus, avec les rapporteurs, à Maripasoula. Je connais les difficultés de mes compatriotes, puisque je suis Guyanaise, les rapporteurs ont découvert les conditions dans lesquelles les passagers sont transportés entre Cayenne et Maripasoula. Cette liaison transporte plus de 20 000 personnes par an. Selon Air Guyane, dont nous avons rencontré le directeur, la Guyane serait le seul département d'outre-mer où les aéroports ne sont pas aux normes européennes. Je sais que la gestion des aérodromes incombe à la collectivité territoriale de Guyane (CTG), cependant celle-ci ne peut pas le faire seule.

Que comptez-vous faire, en partenariat avec la CTG, pour améliorer les conditions de transport des Guyanais ?

Les Guyanais se prennent en charge puisqu'un collectif travaille aux routes de désenclavement. En effet, une panne d'avion peut durer quinze jours pendant lesquels mes compatriotes de Maripasoula ne peuvent ni venir se soigner à Cayenne ni rendre visite à un proche souffrant, sauf à emprunter la pirogue pendant 48 heures.

J'ai une deuxième question. Je ne souhaite pas ici rappeler la différence de traitement entre la Corse et les départements d'outre-mer en matière de continuité territoriale, puisque d'autres s'y emploient régulièrement. Néanmoins, je comprends mal le faible apport de l'État à la collectivité territoriale de Guyane (CTG), à hauteur de 1,5 million d'euros contre 8,5 millions d'euros versés par la CTG, pour un montant total de 10 millions d'euros. De plus, l'État se limite à deux lignes aériennes sur quatre, Cayenne-Maripasoula et Cayenne-Saül. Les liaisons de Cayenne-Grand-Santi et de Cayenne-Saint-Laurent existent aussi. Quels sont les freins à une participation plus importante de l'État ?

Pour finir, la CTG et la compagnie Air Guyane rencontrent régulièrement les associations des usagers dans le but de travailler à l'amélioration du service rendu au public. Pour autant, la DGAC qui, au nom de l'État est signataire de la DSP, ne siège jamais à ces réunions. Pensez-vous qu'il faille y remédier ?

M. Emmanuel Vivet. - Je vous rejoins sur le défaut de service partiel ou régulier d'Air Guyane. Je rappelle que cette compagnie et Air Antilles appartenant au groupe Caire, elles sont dotées du même certificat de transporteur aérien.

Nous avons constaté, comme vous, des défaillances dans le service promis, au titre de la DSP que la compagnie a signée. Celle-ci encourt donc des pénalités. Nous appuyons les services de la Région Guyane dans la rédaction de ces pénalités pour avoir des procès-verbaux exempts d'erreurs juridiques, car ces acteurs privés sont « malins ».

Nous avons étudié, avec le président de la Région, l'ajout d'une liaison quotidienne supplémentaire entre Cayenne et Maripasoula. Aussi, je conseille à la Région d'examiner attentivement les réponses des transporteurs au prochain appel d'offres.

Concernant les pistes, sans en être spécialiste, je sais que leur revêtement en latérite qui est particulier, est adapté à peu de modèles d'avion, tels les avions tchèques Let L-410 ou les Twin Otter. Il s'agit donc de construire des pistes en dur. Or, les travaux sur la piste en dur de Maripasoula présentent quelques difficultés et nous assistons la Région sur ce point.

Quant à la participation financière de l'État, à hauteur de 1,5 million d'euros annuels, elle est stable et identique à la période où le système d'aide aux passagers existait. Aussi, sous le contrôle étroit du ministère des Finances, nous avons maintenu son niveau dans le nouveau système juridique de la DSP.

Je me rapprocherai des collègues de la Direction territoriale Antilles-Guyane - une seule direction territoriale à la DGAC - dans la perspective d'une plus grande présence aux réunions.

M. Stéphane Artano, président. - Et la continuité territoriale funéraire, pour laquelle je vous ai demandé si le dispositif pouvait évoluer, soit en partenariat avec les collectivités, soit par la révision des conditions d'accès au dispositif ?

Mme Isabelle Richard. - Laissez-moi vous dire que nous essayons constamment d'adapter les dispositifs aux besoins et à la réalité de nos concitoyens. Nous ne souhaitons absolument pas éviter que les dispositifs soient utilisés. Encore une fois, beaucoup d'améliorations ont été initiées sur la continuité funéraire en 2021. Ce dispositif est en amélioration constante.

M. Yves Goument. - La continuité funéraire n'a pas d'existence juridique. L'aide est conçue pour deux aspects distincts. Le motif funéraire peut être mobilisé pour se rendre à des obsèques, dans les deux sens, de la métropole vers l'outre-mer et inversement. En 2021, le dispositif a été étendu à une dernière visite à un parent en fin de vie et ouvert aux frères et soeurs, outre les parents et le conjoint.

Le transport de corps constitue le deuxième volet de la continuité funéraire. Cette aide peut être sollicitée, à défaut d'un service assurantiel contracté par le défunt ou sa famille, sans se substituer à celui-ci. Parmi les nombreux frais engendrés par un transport de corps, elle couvre uniquement les frais de transport aérien. Le montant du plafond est limité à 1 000 euros à raison de 50 % du coût du transport entre les Antilles et la métropole. Il est fonction des distances, réparties selon trois tranches. L'aide au transport du corps n'est accordée qu'au seul retour d'un défunt dans sa collectivité de résidence. Ainsi, une famille ne saurait requérir cette aide pour ramener outre-mer un proche défunt résidant de longue date en métropole.

Le préfinancement de l'aide de continuité funéraire n'est pas une obligation. Les demandeurs ayant le temps d'obtenir une décision favorable de l'administration n'ont pas à avancer les frais. En général, cependant, les choses se font dans l'urgence, raison pour laquelle il est permis au bénéficiaire de préfinancer les frais de transport.

M. Stéphane Artano, président. - Les rapporteurs ou nos collègues ont-ils d'autres questions ?

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Je n'ai pas reçu de réponse de la part de la Direction de la Sécurité sociale quant à la prise en charge de l'hébergement temporaire non médicalisé en Guadeloupe et en Guyane. Qu'en est-il de l'instauration d'un dispositif qui améliorerait les conditions d'accueil des patients ayant à se déplacer pour recevoir des soins ? Je rappelle avoir interpellé le directeur du port de Pointe-à-Pitre à ce sujet.

Mon sentiment, pour conclure, est que l'ambition est « au ras des pâquerettes », s'agissant de nos territoires, même si je respecte votre réserve en qualité de fonctionnaires, ainsi que votre attachement à appliquer les directives politiques. Il se trouve que nous sommes nous aussi politiques et notre rôle est de conduire le changement.

Par ailleurs, certains mots m'ont fait sourire.

Sachez qu'il est extrêmement difficile d'obtenir le fonds d'échanges à but éducatif, culturel et sportif (FEBECS); les services de l'État le reconnaissent eux-mêmes.

Je m'interroge sur la signification d'un budget qui serait « assez bien consommé ».

Quant aux conditions de ressources, j'ose l'affirmer, c'est une honte ! L'État assume pourtant 100 % de la prise en charge de la continuité territoriale avec la Corse. Ce qu'il se passe dans nos territoires est anormal, où les collectivités contribuent au dispositif, alors que le Code des transports précise qu'il s'agit d'une compétence relevant de l'État. Notre audition des élus de Corse l'a confirmé, la collectivité s'appuie entièrement sur l'État qui abonde le dispositif de continuité territoriale (marchandises, passagers et frais de fonctionnement compris), d'un montant de 220 millions d'euros pour 350 000 habitants.

J'estime tout aussi anormal le fonctionnement obsolète de LADOM, dans le traitement des dossiers, avec des bons en papier. Le temps de traitement qui en résulte grève le temps des compagnies aériennes, à raison d'une personne à temps plein ! D'une manière comparable, les collectivités qui paient l'État pour le traitement de l'octroi de mer consacrent un ETP au collationnement des bons tamponnés. Quand évoluerons-nous ?

Ces éléments ne sont pas de nature à favoriser l'accès à la continuité territoriale, dont la sous-consommation devrait nous interpeller. LADOM dégage un excédent de plus de deux millions d'euros sur l'exercice précédent, celui-ci ne devrait même pas exister !

Je vous invite à évaluer objectivement la situation. Notre mission n'est pas une inquisition, nous entendons donner du sens à la volonté pour le Gouvernement d'affirmer la différenciation. Qu'en est-il de son application réelle ?

Je suis extrêmement heureuse d'être au coeur de cette mission, car je peux appréhender, depuis le mois de janvier, une différence de traitement flagrante entre les Français de l'Hexagone et ceux d'ailleurs.

Puisqu'il est dit que nous tenons à ces territoires, quelle ambition apportons-nous à instituer une véritable politique de continuité territoriale, outre-mer ? Ne laissons pas les collectivités porter autant de charges mentale, politique, financière et logistique sur ce plan.

Les opérateurs en Guyane ne sont pas parfaits, mais ils sont souvent les seuls à se positionner sur les DSP. C'est pourquoi je souhaite réagir à l'adjectif « malin » prononcé à l'encontre d'Air Guyane et à l'évocation de pénalités. Son président-directeur général, M. Marchand, est un Martiniquais épris de sa région. Je ne pense pas qu'il soit malhonnête. Il nous a confié ses difficultés pratiques face à l'état des pistes et à l'absence d'équipement des aéroports, ces infrastructures relevant de la compétence de l'État.

Ainsi, une remise en cause collective s'impose. Le rapport que nous vous livrerons d'ici la fin du mois sera un excellent outil de travail, dont l'ambition ne se limite pas aux aspects financiers. Faites-en un outil décisif dans vos futures révolutions en matière de continuité territoriale ! Il devrait éclairer vos choix en matière de service rendu, d'information portée, de lisibilité et d'adaptation technique des politiques publiques. Je vous demande de l'attendre avant d'entamer LADOM 2024. Nous serons pour vous d'excellents partenaires, car nous vivons au quotidien au contact des administrés de ces territoires.

Je remercie et félicite les membres de la délégation pour l'excellence de leurs travaux d'accompagnement et de rédaction. Je remercie le président. J'en appelle à une ambition collective et je compte sensibiliser le président de la République sur la rupture constatée. Les directions politiques que nous nous apprêtons à suivre sont extrêmement importantes.

N'oubliez pas que ce service public est rendu à une population qui le mérite, parce qu'elle est de nationalité française. Ses besoins en matière de santé et de déplacements sont certainement plus importants qu'en métropole. Nous attendons une révolution de la part de LADOM en matière de continuité territoriale. L'ambition doit vous guider, je vous le dis en toute sincérité.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Permettez que j'intervienne après la conclusion de la co-rapporteur, mais je n'ai pas entendu la réponse à l'organisation des Evasan.

Sont-elles organisées dans tous les territoires ultramarins, notamment la nuit ? Comment procédez-vous alors que seuls des vols de jour circulent sur Air Caraïbes ? Qu'en est-il pour se rendre à Cayenne depuis les communes intérieures ?

Je vous soumets cette question sur le transport d'urgence à l'intention des Guyanais de l'intérieur, une problématique que nous n'avons pas résolue nous-mêmes, car je souhaite vous sensibiliser à une réalité que vous ne connaissez pas. Je rejoins Catherine Conconne sur le besoin d'ambition et je me réjouis également de participer à cette mission sur la continuité territoriale. Nous souffrons d'une rupture sur ce plan depuis trop longtemps. Puissiez-vous vous appuyer sur les travaux des rapporteurs !

M. Pierre Savary. - Les EVASAN urgentes, régulées notamment par le SAMU, se déroulent de jour comme de nuit, sous réserve qu'une équipe et qu'un vecteur soient disponibles, pour un besoin urgent. Nous ne faisons pas appel aux lignes commerciales, car nous utilisons un moyen dédié. Un grand nombre de situations différentes se présente, à cet égard.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Je l'entends, mais comment prévoyez-vous de transporter le patient vers la métropole lorsque le CHU de la capitale régionale ne peut rien pour lui ?

M. Pierre Savary. - Le transport peut s'effectuer vers la métropole ou au niveau zonal, comme le cas s'est présenté pendant la crise du Covid. Les interventions de nuit présentent énormément de situations différentes, impliquant une logistique spécifique. Nous les documenterons dans le questionnaire.

M. Stéphane Artano, président. - Au-delà des aspects politiques sur lesquels nous ne vous demandons évidemment pas de prendre position, cette prérogative revenant au ministre, il vous reste à répondre aux questions posées en début d'intervention par Catherine Conconne.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - En effet, je vous interrogeais sur l'hébergement temporaire non médicalisé, en prenant exemple sur la Guyane et la Guadeloupe.

M. Guillaume Bouillard. - Madame la sénatrice, l'hébergement temporaire non médicalisé, dit hôtel hospitalier, participe d'une volonté du gouvernement d'élargir le panier de soins, dont la vocation première est de faciliter l'accès aux soins. Plusieurs dispositifs coexistent, parmi lesquels l'hôtel hospitalier et l'engagement maternité.

L'engagement maternité s'adresse aux parturientes domiciliées à plus de 45 minutes d'une maternité. Financé par l'Assurance maladie, ce dispositif récent a été généralisé en période de crise sanitaire. Nous avons constaté en 2021 que son déploiement n'était pas satisfaisant. Nous avons constaté un déploiement massif à La Réunion, et uniquement dans ce territoire qui s'est équipé.

Les établissements des territoires ultramarins peuvent passer des partenariats avec les établissements hôteliers ou construire leur propre hôtel hospitalier. À cette fin, la somme de neuf milliards d'euros réservée aux investissements des établissements de santé depuis 2021 constitue notre levier. Le financement incitatif consistant en un paiement à la nuitée devait s'interrompre à la fin de 2022, mais il est prévu de le reconduire, au regard de l'inachèvement du déploiement. Nous patientons, pour la même raison, avant d'évaluer le dispositif.

Les services du ministère accompagnent et encouragent à nouveau les établissements et les ARS à développer davantage le dispositif que nous réévaluerons d'ici un an ou un an et demi, en nous appuyant sur l'hypothèse qu'il se déploierait effectivement outre-mer.

M. Emmanuel Vivet. - Je voudrais intervenir sur la Corse. Toute mesure d'OSP financée menant à un monopole - c'est le cas des douze liaisons entre Marseille, Nice et Paris, d'une part, Ajaccio, Figari, Calvi et Bastia, d'autre part - l'Office des transports de Corse les finance.

Examinons l'efficacité de ce système, en le comparant aux liaisons non soumises à l'OSP, ce qui est le cas de Strasbourg-Ajaccio, Nantes-Bastia, etc. Quelques transporteurs européens proposent par ailleurs des vols dits low cost, selon des prix similaires. Ainsi, un aller-retour Orly-Ajaccio coûte 200 euros, alors qu'un aller simple Strasbourg-Ajaccio s'achète une centaine d'euros, un mois à l'avance, sans aucun impact sur les finances publiques. Il convient donc de réfléchir avant de se lancer dans un tel dispositif.

Mme Isabelle Richard. - Pour vous répondre sur le calendrier, nous serons bien entendu heureux de prendre connaissance de vos travaux, notre objectif étant d'avancer au maximum sur le plan technique au service des futures décisions politiques, dans le cadre du renforcement de l'ambition de LADOM. L'agence a elle-même multiplié les efforts pour renforcer son action. Le ministère des outre-mer est, bien sûr, au service des outre-mer, sans aucun a priori. Nous poursuivons les travaux d'appui à la réforme de LADOM et nous tenterons de relever le défi de l'ambition !

M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie de toutes vos contributions présentes et de celles qui nous parviendront à la suite de cette audition afin d'enrichir les travaux de la délégation.

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