N° 504

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 avril 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur les aliments cellulaires,

Par MM. Olivier RIETMANN et Henri CABANEL,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas, présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault, secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, M. Sebastien Pla, Mme Daphné Ract-Madoux, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot.

L'ESSENTIEL

Dix ans après la présentation du premier steak haché de boeuf cellulaire au monde, alors que les initiatives privées se développent rapidement dans ce domaine, la commission des affaires économiques du Sénat a missionné Olivier Rietmann et Henri Cabanel pour étudier les produits et procédés, méconnus, de l'industrie cellulaire.

I. LE DÉVELOPPEMENT DES ALIMENTS CELLULAIRES NE CORRESPOND PAS À UN MODÈLE D'ALIMENTATION SOUHAITABLE

La mission d'information sur la « viande in vitro » a redit clairement son opposition anthropologique, éthique, culturelle et, en somme, politique, au développement des aliments cellulaires. La vision purement utilitaire de l'alimentation qui sous-tend ce développement est en effet à l'opposé de celle des sénateurs, qui voient d'abord dans l'alimentation un fait culturel et social. En outre, ils ont souhaité rappeler que ce n'est pas parce qu'une innovation technologique peut être réalisée qu'elle doit être réalisée, les conséquences d'une innovation pour la société devant être dûment pesées.

Ces réserves de principe ayant été exprimées, la mission a souhaité éclairer les pouvoirs publics et les citoyens sur les enjeux liés aux développements des aliments cellulaires. L'intérêt de cette démarche est qu'une critique ne vise jamais aussi juste que lorsqu'elle est appuyée sur des faits.

Pour autant, la mission estime important de rappeler qu'étudier n'est pas cautionner, qu'encadrer n'est pas tolérer et que parer à toute éventualité ne revient pas à appeler cette éventualité de ses voeux.

II. LES ALIMENTS CELLULAIRES, UN DES SEGMENTS DU MARCHÉ DES « PROTÉINES ALTERNATIVES » SUSCITANT LE SCEPTICISME EN FRANCE

Généralement appelés par abus de langage « viande in vitro », « viande cellulaire » ou « viande de culture », les « aliments cellulaires » (ou « à base de cellules ») sont selon les entreprises du secteur des « produits d'origine animale, issus de cellules animales », avec la seule différence que « la viande grossit en dehors de l'animal ».

Les aliments cellulaires sont à distinguer de trois autres familles de protéines alternatives : produits fabriqués par fermentation de précision (protéine de lait), analogues végétaux (galettes de soja) et insectes. En dépit de leur plus forte médiatisation, il s'agit de la moins avancée de ces quatre familles, avec encore plusieurs inconnues sur la composition des milieux de culture.

Les entreprises sont encore aujourd'hui en phase de recherche et développement, et sont loin de prétendre en termes de texture du produit, de capacités de production et de prix de vente, concurrencer la viande conventionnelle issue de l'élevage. Des trois destinations possibles des aliments cellulaires - pièce de viande entière, hybride avec des analogues végétaux ou ingrédient pour l'industrie agroalimentaire -, les deux dernières sont les plus probables les premières années.

Porté par environ 110 start-ups dans le monde, le secteur est confronté à trois grands défis :

1) le passage à une échelle industrielle, nécessitant des levées de fonds importantes auprès de riches entrepreneurs ou d'acteurs établis du secteur de la viande, ayant lieu notamment aux États-Unis et dans trois pays à la faible surface agricole utile (Israël, Pays-Bas et Singapour) ;

2) les autorisations de mise sur le marché, après évaluation au regard de la sécurité sanitaire : seul Singapour a autorisé le produit à ce jour. C'est la Commission européenne qui est compétente au sein de l'UE pour autoriser tout « nouvel aliment » après avis de l'autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), les États ne disposant pas individuellement d'un droit de veto ;

3) l'acceptabilité des consommateurs, qui dépendra du goût, du prix et de la capacité du produit à s'insérer dans le patrimoine culinaire, les flexitariens (¼ de la population française) étant, plus que les végétariens ou les vegans, le public visé en priorité.

Aucune demande n'ayant été effectuée au sein de l'UE à ce jour, le produit ne sera pas dans nos assiettes avant au moins 2025. Pour autant, il faut se positionner dès aujourd'hui. Or, la ferme opposition des ministres chargés de l'agriculture d'un côté et, de l'autre, le soutien de Bpifrance à cette innovation à hauteur de 15 M€, illustrent les hésitations des pouvoirs publics et font craindre en France un stop-and-go contre-productif. Cette technologie étant propice au monopole naturel, des craintes s'expriment qu'en la refusant, la France ne tombe dans la dépendance technologique à de grands groupes étrangers.

Le manque d'anticipation et de coordination des pouvoirs publics
et des filières en France contraste avec les initiatives ailleurs dans le monde

III. UNE INNOVATION PROMETTEUSE SUR LE PAPIER MAIS EN AUCUN CAS INDISPENSABLE DANS LA TRANSITION ALIMENTAIRE, ET NON SANS IMPACT SUR L'ÉLEVAGE

Alors que la demande mondiale en protéines animales devrait augmenter de 60 % d'ici à 2050 (FAO), les promoteurs des aliments cellulaires insistent sur les opportunités économiques et financières liées à ce nouveau marché, et sur l'impact positif qu'il pourrait avoir par rapport à l'élevage en matière d'autonomie protéique, d'environnement, de bien-être animal voire de santé (lutte contre l'antibiorésistance).

En raison de l'efficience de son indice de conversion en protéines, l'industrie cellulaire pourrait « entraîner une réduction substantielle des émissions directes de gaz à effet de serre provenant de la production alimentaire » (6e rapport du GIEC), si l'énergie utilisée est décarbonée. Toutefois, diversifier les régimes alimentaires en rééquilibrant les sources de protéines (légumineuses...) permettrait d'atteindre les mêmes objectifs plus rapidement et de façon plus simple.

« La technologie ne pourra répondre simplement à l'impact social et environnemental de l'alimentation. Avec le flexitarisme : du végétal et des protéines animales, on peut déjà revenir à quelques équilibres. »

Thierry Marx

En outre, les aliments cellulaires sont présentés par leurs promoteurs comme une solution aux problèmes soulevés par l'élevage industriel... mais pourraient d'abord concurrencer l'élevage extensif, déjà fragilisé, et dont les aménités pour les territoires ruraux et les paysages sont nombreuses. À cet égard, la recherche d'une complémentarité avec les filières agricoles traditionnelles semble assez hypothétique et pourrait bien être un cautère sur une jambe de bois.

IV. 3 AXES POUR MIEUX MAÎTRISER ET ENCADRER LA TECHNOLOGIE

1) RENFORCER LA PROCÉDURE D'AUTORISATION DES NOUVEAUX ALIMENTS ET LES RÈGLES APPLICABLES AUX ALIMENTS CELLULAIRES

- Affirmer dans la loi le principe de l'interdiction de toute commercialisation tant que les produits ne sont pas autorisés dans le cadre du règlement européen « nouveaux aliments » (n° 1).

- Établir en France un cadre réglementaire plus strict pour la production des aliments cellulaires et pousser pour son adoption au niveau européen : acter les progrès des entreprises et instituer un moratoire sur l'usage du sérum foetal bovin dans les milieux de culture entrant dans la production alimentaire (n° 4) ; définir un volume de bioréacteurs au-delà duquel la production serait taxée (par exemple à partir de 25 000 litres), afin de limiter la concentration des risques sanitaires (n° 5).

2) MIEUX INFORMER LE CONSOMMATEUR ET PROTÉGER LES FILIÈRES DE PRODUCTION ANIMALE, EN S'ACCORDANT SUR DES RÈGLES DE DÉNOMINATION ET D'ÉTIQUETAGE CLAIRES

- Interdire la dénomination commerciale « viande » et, au cas par cas, l'usage de termes faisant référence à des produits animaux (n° 7).

- Rendre obligatoire la mention de l'espèce d'origine pour assurer la bonne information du consommateur, notamment au regard des risques allergènes (n° 8).

- Identifier clairement aliments cellulaires et viande issue de l'élevage par l'étiquetage et interdire la commercialisation de produits mélangeant aliments cellulaires et viande issue de l'élevage (n° 10).

3) INTENSIFIER LA RECHERCHE MAIS MISER EN PRIORITÉ SUR L'ÉLEVAGE ET LES PROTÉINES VÉGÉTALES POUR RELEVER LE DÉFI DE L'AUTONOMIE PROTÉIQUE

- Créer une unité mixte de recherche au sein de l'Inrae et du CNRS dédiée à une meilleure appréhension des techniques de l'industrie cellulaire (recommandation n° 13).

- Demander formellement à ces organismes de recherche une expertise scientifique collective (ESCo) pour évaluer les impacts socio-économiques, environnementaux et pour anticiper les effets sur la santé humaine à long terme de la consommation d'aliments cellulaires (recommandation n° 14).

- Pour faire face au défi de l'autonomie protéique, prioriser l'accélération de la mise en oeuvre de la stratégie protéines végétales, en augmentant en particulier les financements dédiés, plutôt que le financement d'alternatives lointaines et plus incertaines (recommandation n° 17).

LISTE DES RECOMMANDATIONS
EXAMINÉES PAR LA COMMISSION

1) RENFORCER LA PROCÉDURE D'AUTORISATION DES NOUVEAUX ALIMENTS ET LE CADRE APPLICABLE AUX ALIMENTS CELLULAIRES

Recommandation n° 1 : affirmer dans la loi le principe de l'interdiction de toute commercialisation tant que les produits ne sont pas autorisés dans le cadre du règlement européen « nouveaux aliments ».

Recommandation n° 2 : instituer une procédure d'information automatique des commissions chargées de l'alimentation au Parlement européen et dans les parlements nationaux pour l'autorisation de mise sur le marché de tout nouvel aliment.

Recommandation n° 3 : prévoir dans le code rural et dans le code de la santé publique que l'ANSES procède systématiquement à une analyse des risques sanitaires des nouveaux aliments en complément de l'évaluation de l'EFSA au niveau européen.

Forger en France un cadre réglementaire plus strict pour la production d'aliments cellulaires et pousser pour son adoption au niveau européen :

Recommandation n° 4 : en particulier, instituer un moratoire sur l'utilisation du sérum foetal bovin dans les milieux de culture entrant dans les processus de production alimentaire.

Recommandation n° 5 : étudier l'opportunité de définir par voie réglementaire un volume de bioréacteurs au-delà duquel la production serait taxée (par exemple à partir de 25 000 litres), afin de limiter la concentration des risques sanitaires.

2) MIEUX INFORMER LE CONSOMMATEUR ET PROTÉGER LES FILIÈRES DE PRODUCTION ANIMALE EN S'ACCORDANT SUR DES RÈGLES DE DÉNOMINATION ET D'ÉTIQUETAGE CLAIRES

Recommandation n° 6 : dans le cadre des recherches et réflexions nationales et européennes sur le sujet, s'accorder sur un terme usuel consensuel du produit, qui pourrait être « aliments cellulaires ».

Recommandation n° 7 : interdire la dénomination commerciale « viande » et, au cas par cas, l'usage de termes faisant référence à des produits animaux, en étendant aux aliments cellulaires la législation applicable aux analogues végétaux.

Recommandation n° 8 : rendre obligatoire la mention de l'espèce d'origine pour assurer la bonne information du consommateur, notamment en matière d'allergénicité.

Recommandation n° 9 : pour les produits fabriqués en France, afficher obligatoirement si un produit contient des aliments cellulaires ou tout autre nouvel aliment (dont les insectes) par un affichage spécifique sur la face avant des produits préemballés.

Recommandation n° 10 : identifier clairement aliments cellulaires et viande issue de l'élevage par l'étiquetage et interdire la commercialisation de produits mélangeant aliments cellulaires et viande issue de l'élevage.

Recommandation n° 11 : en complément de la liste des ingrédients, afficher obligatoirement la part agrégée d'origine végétale et d'origine cellulaire, en cas d'hybride à base d'aliments cellulaires.

Recommandation n° 12 : dans l'hypothèse où des aliments cellulaires seraient mis sur le marché, rendre obligatoire en restauration hors foyer l'information sur la présence de ce produit dans un plat, ainsi que sur l'origine géographique des produits servis.

3) INTENSIFIER L'EFFORT DE RECHERCHE SUR L'INDUSTRIE CELLULAIRE MAIS MISER EN PRIORITÉ SUR L'ÉLEVAGE ET LES PROTÉINES VÉGÉTALES POUR RELEVER LE DÉFI DE L'AUTONOMIE PROTÉIQUE

Recommandation n° 13 : créer une unité mixte de recherche, au sein de l'INRAE et du CNRS, dédiée à une meilleure appréhension des techniques de l'industrie cellulaire.

Recommandation n° 14 : demander formellement à ces organismes de recherche une expertise scientifique collective (ESCo) pour évaluer les impacts socio-économiques, environnementaux et pour anticiper les effets sur la santé humaine à long terme de la consommation d'aliments cellulaires.

Recommandation n° 15 : sur le modèle de la transparence en matière de sécurité sanitaire vis-à-vis de l'EFSA, imposer la transparence en matière environnementale aux entreprises de ce secteur, en obligeant à la communication des données en analyse de cycle de vie aux autorités environnementales.

Recommandation n° 16 : dans l'éventualité où des demandes d'autorisation seraient déposées en Europe, faire, un an plus tard, un droit de suite au Sénat.

Recommandation n° 17 : pour faire face au défi de l'autonomie protéique, prioriser l'accélération de la mise en oeuvre de la stratégie protéines végétales, en augmentant en particulier les financements dédiés, plutôt que le financement d'alternatives lointaines et plus incertaines.

Recommandation n° 18 : maintenir voire rehausser les soutiens à l'agriculture vivrière et à l'élevage dans l'aide publique et privée à destination des pays en développement.

« ALIMENTS CELLULAIRES » :
ÊTRE VIGILANT POUR MIEUX ENCADRER ET MAÎTRISER LA TECHNOLOGIE

I. LE DÉVELOPPEMENT DES ALIMENTS CELLULAIRES NE CORRESPOND PAS À UN MODÈLE D'ALIMENTATION SOUHAITABLE

Les sénateurs de la commission des affaires économiques prennent acte du fait qu'il n'est pas de leur ressort de définir ce qui peut figurer ou non dans les assiettes de français, s'agissant des nouveaux aliments qui relèvent du règlement « nouveaux aliments » de 2015. Ils le regrettent et souhaitent affirmer clairement, s'il en était besoin, que le développement des aliments cellulaires ne correspond pas au modèle de société pour lequel ils sont engagés en politique.

A. DES OBJECTIONS ANTHROPOLOGIQUES, ÉTHIQUES, CULTURELLES ET, EN SOMME, POLITIQUES

1. De potentiels bouleversements anthropologiques, dont il est encore difficile de prendre la mesure

De la même façon que l'intelligence artificielle est porteuse de bouleversements dans le rapport de l'homme à lui-même et à son environnement, dépassant largement les applications concrètes de cette technologie1(*), les aliments cellulaires ne sont pas juste des « amas de cellules » ou des « apports protéiniques » : ils charrient tout un imaginaire, une conception de l'homme et de sa place dans le monde.

Les sénateurs n'oublient pas que la période la plus récente de la préhistoire, le néolithique, est apparue, 8 000 ans avant notre ère, avec le développement de l'agriculture et en particulier de la domestication et l'élevage des animaux. Ce qui aurait pu alors s'apparenter à un simple progrès technique a en réalité constitué une révolution dans nos modes de vie, entraînant avec lui une réorganisation complète de la société et de l'espace, avec l'émergence de la sédentarité, autour de villages, et la place centrale réservée à la terre. Depuis lors, l'homme a co-évolué avec son environnement, modelant ses paysages et étant en retour modelé par lui. La domestication des animaux est également la première trace de reconnaissance de l'altérité dans l'histoire humaine.

L'industrie cellulaire peut-elle constituer un changement de paradigme, dans nos assiettes et dans nos économies, comparable à la révolution néolithique ? Nul ne le sait à ce jour, mais il convient en tout cas de ne pas minimiser les conséquences potentielles de son développement à long terme sur nos sociétés et, partant, de se montrer vigilant.

Il y a, en effet, avec les aliments cellulaires, tout le potentiel pour une véritable rupture civilisationnelle.

D'abord, nous risquons avec ces produits de distendre notre lien avec la nature, dans un contraste saisissant avec l'interdépendance de l'humain et du sauvage que l'on peut constater dans la vie d'un bocage. Comme l'indique le journaliste Gilles Luneau, « notre nourriture nous relie mentalement, culturellement, biologiquement, à la nature, aux paysans, aux paysages sculptés par l'agriculture ». Or, selon lui, « il y a une différence philosophique de taille entre savoir que notre vie dépend de la nature et savoir qu'elle dépend du laboratoire et de l'usine ». C'est pour cette raison que les rapporteurs de la mission ont tenu à ne pas employer le terme d'« agriculture cellulaire » pour désigner un projet qui pourrait conduire à nous couper toujours plus du vivant.

Cette rupture civilisationnelle pourrait ensuite se traduire par une mise à distance des animaux de nos vies, a fortiori des animaux de rente (les « veau, vache, cochon, couvée » de la fable de La Fontaine), au profit des seules relations « anthropomorphisées » avec les animaux de compagnie.

Enfin, les promoteurs de ces produits les présentent parfois comme une troisième catégorie de produits animaux, après les produits carnés et les produits laitiers... à la différence près qu'ils sont cette fois le fruit de l'esprit humain et créés de toutes pièces par l'ingénierie humaine. L'idée a même été entendue que les animaux n'auraient pas été « conçus » spécifiquement pour entrer dans l'alimentation humaine et, partant, qu'il serait inefficient voire absurde de les intégrer à nos régimes alimentaires. Cette façon de voir dit bien toute l'ambition scientiste et le prométhéisme de ce projet, parfois présenté comme une « nouvelle forme de domestication », et qui choque les sénateurs.

Il est certain que ce n'est pas à l'échelle d'une vie d'homme que tous ces bouleversements s'opèreraient, aucune révolution ne se faisant en un jour. Mais, par beaucoup d'aspects, c'est ce qui nous fait « homme » qui pourrait être, de façon radicale, questionné.

2. Des interrogations éthiques qui imposent de (se) fixer des limites

Les sénateurs de la commission des affaires économiques sont troublés par les procédés de fabrication des aliments cellulaires, qui leur semblent pousser la production alimentaire un cran plus loin dans l'industrialisation du vivant.

Si les manipulations génétiques sur les animaux existent déjà au sein de l'élevage, avec par exemple la division de cellules embryonnaires, elles sont dans le cas de la production d'aliments cellulaires, rationalisées et systématisées, marquant une rupture soulevant des questions éthiques.

Les sénateurs soulignent avec la sociologue et éleveuse Jocelyne Porcher le paradoxe d'une innovation qui poursuit officiellement le bien-être animal et, pourtant, s'inscrit dans une « conceptualisation de l'animal de ferme comme machine animale » ou comme objet industriel. En somme, « on produit du porc comme on produit des chaussures », simplement en « changeant le niveau d'extraction de la matière animale, la cellule au lieu de l'animal, l'incubateur au lieu de la vache ».

À cet égard, bien que les entreprises développant le produit indiquent désormais pouvoir et vouloir se passer de l'utilisation de sérum foetal bovin2(*), les sénateurs se montrent très circonspects quant au fait que cette incohérence majeure dans les premiers développements du secteur n'ait pas posé plus de difficultés éthiques à ses promoteurs.

Ils s'interrogent de manière plus générale sur le statut de ces produits (ni vivant, ni mort), qui viendraient concurrencer la viande, jusques et y compris dans son vocabulaire, alors qu'il ne s'agit pas, en toute rigueur, de la chair d'animaux terrestres, d'oiseaux et de poissons morts.

Ils sont encore plus inquiets des applications potentielles de cette technologie à la production d'aliments à partir d'animaux exotiques (lion, éléphant) ou de compagnie (chien, chat), disparus (mammouth laineux3(*), à partir de séquençage de l'ADN), ce qui est techniquement possible.

En somme, les membres de la commission des affaires économiques contestent le cadrage du débat, négligeant la question du pourquoi au profit de celle du comment. Les questions de l'utilité, de la pertinence et de la nécessité des aliments cellulaires mériteraient selon eux d'être davantage posées, plutôt que de ramener sans cesse ce produit à une course technologique avec le reste du monde.

Ils rappellent que ce n'est pas parce qu'une innovation technologique peut être réalisée qu'elle doit être réalisée, les conséquences d'une innovation pour la société devant toujours être dûment soupesées au préalable. Ce n'est pas non plus au seul motif qu'elle serait potentiellement plus avantageuse d'un point de vue environnemental ou bien-être animal qu'elle devrait être encouragée, les conséquences de chaque produit et procédé devant être appréhendées de façon globale.

Dans un passé proche, la France et l'Europe ont su poser des limites quand elles leur ont semblé nécessaires en matière de bioéthique.

Ainsi le clonage animal destiné à la consommation est-il interdit - et de même, tout clonage humain - alors que la démonstration a été faite de notre maîtrise de ce procédé avec le clonage de la brebis Dolly, premier mammifère « fabriqué » de la sorte en 1996.

Les sénateurs de la commission des affaires économiques rappellent que le propre de la civilisation est de pouvoir poser des limites, que ce sont les interdictions qui font société. C'est dans cet esprit que les rapporteurs ont préconisé d'aller plus loin que l'exclusion des aliments cellulaires dans la restauration collective, en réaffirmant plutôt dans la loi le principe de l'interdiction de toute commercialisation tant que le produit n'est pas autorisé dans le cadre du règlement européen « nouveaux aliments ».

3. Une défiance culturelle fondée sur l'identité de la France, pays des prairies et de la gastronomie

La France est le pays de la gastronomie, d'un certain savoir-vivre et des arts de la table.

Aussi, la vision purement utilitaire de l'alimentation qui sous-tend le développement des aliments cellulaires est à l'opposé de celle des sénateurs, qui voient d'abord dans l'alimentation un fait culturel et social4(*).

Il n'est pas possible, selon eux, de réduire l'alimentation à un ensemble d'indicateurs quantitatifs : on n'ingère pas un bilan carbone ou une analyse de cycle de vie.

Si le changement climatique impose de modifier certains comportements, si la malnutrition dans le monde appelle des réponses urgentes, les sénateurs jugent que ces problèmes ne devraient pas conduire à remettre en cause l'essentiel, c'est-à-dire ce qui est constitutif de notre culture et de notre identité.

Pour eux, les applications médicales des biotechnologies, comme les fécondations in vitro, ou les vaccins à ARN messager sont une chose, mais leur application à notre alimentation en est une autre.

Le risque est perçu avec une particulière acuité dans le cas de l'alimentation, d'autant plus que les aliments sont incorporés par l'homme. Or, l'impact de la consommation humaine de ce produit à long terme ne pouvant par définition être évalué a priori, les sénateurs s'interrogent sur le risque qui serait encouru.

La production d'aliments cellulaires semble en décalage avec la recherche de produits naturels et non transformés, une aspiration pourtant de plus en plus partagée parmi les consommateurs. Elle rend plus complexes les processus de production, semblant faire fi de ce que la nature a à nous offrir.

Les références des sénateurs et de leurs interlocuteurs au film Soleil Vert ou au Tricatel de L'Aile ou la cuisse, aux « perfusions de la Pitié-Salpêtrière », à l' « apothéose de la malbouffe » traduisent bien une opposition épidermique à l'alimentation cellulaire, qui pourrait préfigurer les réactions des consommateurs.

Comme l'a indiqué le chef étoilé Thierry Marx, entendu par la commission, « ce n'est pas cela, se restaurer : c'est ramener une histoire, un savoir-manger et un savoir-être dans l'assiette. La table et l'alimentation, c'est le plaisir, le bien-être, la santé. »

Les entreprises du secteur se défendent en indiquant que leur produit est destiné à se substituer à la viande importée de mauvaise qualité (comme le poulet brésilien aux médicaments) et produite dans de piètres conditions environnementales et de bien-être animal.

Toutefois, il n'y a pas lieu de s'accommoder d'un tel état de fait, en justifiant la malbouffe à venir par la malbouffe passée. D'autre part, rien ne laisse à penser que les aliments cellulaires viendraient réellement se substituer à de tels produits. Ils pourraient, au contraire, agrandir ce marché.

Surtout, rien ne garantit que notre élevage extensif, aujourd'hui fragile économiquement, ne serait pas le premier touché. Ce n'est sans doute pas la principale menace qui plane sur notre élevage aujourd'hui, mais avait-il besoin de cette concurrence ?

Si « la fin de l'élevage ne semble pas plausible, sa décroissance, déjà en cours, est vraisemblable » (Anne-Marie Vanelle, inspectrice vétérinaire honoraire entendue par la mission). Le pays a perdu 800 000 vaches laitières et allaitantes depuis 2016, soit près de 10 %, sur un cheptel total de vaches et bovins d'environ 17 millions de têtes. Cette baisse se poursuit, en raison de départs en retraites non compensés ou de diversifications des éleveurs vers d'autres activités, sur fond de règlementations de plus en plus contraignantes et d'équilibres économiques qui ne sont plus atteints, notamment en raison de l'augmentation des cours de l'alimentation animale et de sécheresses à répétition.

Dans le même temps, la consommation moyenne en France ne diminue presque pas (aux alentours de 85 kg/an/Français), ce qui nuit nécessairement à la balance commerciale de la France.

Les conséquences de cette évolution doivent être bien mesurées : « bouleversement socio-économique, de l'équilibre de l'aménagement rural et urbain, de l'entretien des paysages, de la biodiversité » (Anne-Marie Vanelle), la polyculture-élevage comporte d'importantes aménités pour les territoires ruraux.

Aussi, la mission d'information a eu pour objectif permanent, dans ses travaux, la protection du monde agricole.

C'est pourquoi elle a fait de la protection de la terminologie propre aux productions animales l'un des axes majeurs de ses recommandations.

Elle a jugé par ailleurs important de poser explicitement la question : veut-on encore de l'élevage en France ? Veut-on encore de la viande de qualité, produite en France, à des conditions sociales, environnementales et de bien-être animal parmi les plus avancées dans le monde ?

Nous devons être fiers de nos origines et de livrer à nos enfants une terre qui leur appartient. L'élevage est une fierté nationale et, jusqu'à ce que l'historien Fernand Braudel a qualifié de « grand chambardement de la France rurale » au XIXe siècle, la France a, d'abord et avant tout, été une nation agricole, de paysans.

B. ÉTUDIER N'EST PAS CAUTIONNER, ENCADRER N'EST PAS TOLÉRER, PARER À TOUTE ÉVENTUALITÉ N'EST PAS L'APPELER DE SES VoeUX

Ces réserves de principe ayant été exprimées, la mission d'information sur la « viande in vitro » a privilégié une approche dépassionnée et sans a priori des aliments cellulaires. Cela n'allait pas de soi s'agissant d'un sujet qui déclenche aussi facilement et fortement les passions, et qui touche à nos représentations culturelles ainsi qu'à notre identité.

La mission d'information s'est donc efforcée de mettre de côté toute idée préconçue le temps d'une quarantaine d'auditions et de deux déplacements, afin de réfléchir en tant que législateur et non en tant que consommateur. Il lui a semblé que c'était avec cet état d'esprit que ses travaux pourraient au mieux éclairer le législateur, les autorités réglementaires et les citoyens.

L'intérêt de cette démarche est, du reste, qu'une critique ne vise jamais aussi juste que lorsqu'elle est appuyée sur des faits, plutôt que sur des semi-vérités ou des approximations.

La mission n'a toutefois pas estimé que le rôle de ce rapport était de se positionner pour ou contre les aliments cellulaires, puisque malheureusement la décision de l'autoriser ou non ne relève pas, dans l'état actuel du droit, des États membres, et encore moins du Parlement.

Plutôt que de se contenter de dresser un réquisitoire contre les aliments cellulaires, ce qui aurait été une solution de facilité, elle a souhaité analyser sérieusement les arguments avancés par les promoteurs de la viande cellulaire en étudiant les perspectives de développement des aliments cellulaires et leurs conséquences potentielles, négatives aussi bien que positives, au regard d'objectifs identifiés comme stratégiques pour la société, aujourd'hui et demain : la création de richesses, l'autonomie protéique, la souveraineté alimentaire, une alimentation accessible et de qualité, la santé, la nutrition, ou encore le climat et la gestion de l'eau.

Il en est ressorti que l'état de nos connaissances restait assez limité, en raison du manque de données probantes, et que la recherche devait être encouragée, pour mieux appréhender cette technologie aux effets potentiellement très importants.

La mission a également conclu que la pire des issues serait celle qui prévaut actuellement de façon hypocrite pour les organismes génétiquement modifiés, pour lesquels la France et l'Europe ont fait preuve d'une naïveté coupable en s'interdisant la production tout en autorisant les importations.

Si le produit devait rester interdit, il faudrait s'assurer que les importations soient strictement impossibles ; s'il devait être autorisé, la France risquerait de tomber dans une dépendance technologique grave à l'égard de grandes entreprises étrangères en s'interdisant de s'emparer du sujet.

À cet égard, le projet de loi présenté par le gouvernement italien de Giorgia Meloni5(*) le 28 mars 2023, tendant à interdire la commercialisation sur le marché national, ne semble pas pouvoir être un modèle à suivre. En effet, les interdictions prévues à l'article 2 du projet de loi ne s'appliqueront pas aux produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre de l'UE6(*).

En étudiant cette technologie et en proposant de lui donner, par anticipation, un cadre, la mission d'information n'a en aucune façon souhaité « accompagner », « accepter », « cautionner » ou même « tolérer » le marché des aliments cellulaires. Elle a bien davantage souhaité parer à toute éventualité, anticiper l'avenir et a, ce faisant, pleinement joué, il lui semble, son rôle d'éclairage de la représentation nationale.

II. S'APPRÊTANT À SORTIR DES LABORATOIRES, LES « ALIMENTS CELLULAIRES » SONT DES PRODUITS ENCORE MÉCONNUS, QUI SUSCITENT LE SCEPTICISME EN FRANCE

A. UN SEGMENT DES « PROTÉINES ALTERNATIVES » EN PLEIN ESSOR TECHNIQUE ET ÉCONOMIQUE, MAIS SANS PRESQUE AUCUN PRODUIT COMMERCIALISÉ À CE JOUR

1. Les « aliments cellulaires », une famille d'aliments aux caractéristiques et aux procédés de fabrication variés, mais développant une même idée
a) Une protéine alternative d'origine animale, à distinguer de trois autres familles de « protéines alternatives »

Les entreprises développant des « aliments cellulaires » insistent sur le fait qu'il s'agit de « produits d'origine animale, directement à partir de cellules animales », mais que « la viande grossit en dehors de l'animal » (Mark Post, co-fondateur de Mosa Meat). Co-fondateur et PDG de l'entreprise israélienne Aleph Farms, le français Didier Toubia a en audition présenté les aliments cellulaires comme une troisième catégorie distincte, entre la viande à proprement parler et les produits d'origine animale tels que le fromage ou le miel.

Il est théoriquement possible de reproduire tout produit d'origine animale, y compris des espèces exotiques (lion, éléphant...) ou de compagnie (chat, chien...) la technologie étant « hautement transférable » d'une espèce à l'autre, selon un document de travail de la FAO7(*) publié en 2022. Certaines entreprises travaillent déjà simultanément sur plusieurs espèces, comme Meatable, qui développe du porc et du boeuf. Les entreprises Mosa Meat et Gourmey, cherchant respectivement à reproduire du boeuf et du foie gras cellulaires, ont indiqué à la mission vouloir développer d'autres viandes dans le futur.

À l'origine de nombreux fantasmes, les « aliments cellulaires » est cependant souvent évoquée dans le débat public de façon abstraite, aucun produit n'étant commercialisé en Europe. Cela favorise les confusions avec trois autres familles de protéines alternatives, que sont, des plus proches aux plus éloignés, les produits par fermentation de précision, les analogues végétaux et les insectes :

· les « aliments cellulaires » font partie d'un ensemble plus large, appelé par ses promoteurs « industrie cellulaire ». Cette famille comprend aussi la fabrication de produits d'origine animale, comme le blanc d'oeuf, la caséine (une protéine du lait) ou même le cuir, par fermentation de précision, une technologie qui comporte certains points communs avec les aliments cellulaires (prolifération cellulaire, bioréacteurs), mais demeure différente en ce qu'elle n'utilise pas de cellules animales à proprement parler. Les produits par fermentation de précision entrent dans le champ du règlement européen « nouveaux aliments » en tant que « nouveaux procédés de production », nécessitant une autorisation de mise sur le marché, puisqu'il s'agit de denrées dont la consommation était négligeable avant 1997 (cf. I, B, 1, a) ;

La fermentation de précision :

plus prometteuse, mais moins médiatique que les « aliments cellulaires »

Moins médiatique que les aliments cellulaires, la fermentation de précision n'en est pas moins une technique beaucoup plus avancée, les premiers produits étant commercialisés aux États-Unis depuis 2020, et ayant fait l'objet de levées de fonds très importantes ces dernières années. Selon le Good Food Institute, ce sont plus de 900 millions de dollars qui ont été levés en 2021 dans ce domaine. Technique ancestrale, la fermentation a connu ses premières ruptures technologiques dans les années 1980 avec la production de l'insuline suivant ce procédé. Dans le domaine alimentaire, des enzymes et vitamines furent développées, les enzymes permettant notamment de faire cailler le fromage pour créer de la présure artificielle. Aujourd'hui, grâce aux techniques de bio-ingénierie, il devient possible de « programmer » des micro-organismes pour produire une vaste palette de molécules utilisables dans de nombreux processus de productions alimentaires. Le lait est particulièrement concerné par cette innovation, par l'intermédiaire de la production de caséine, à tel point que certaines projections pour les États-Unis anticipent un effondrement de la production de lait « classique » de 90 % d'ici 20358(*). D'autres productions telles que le fromage, le boeuf ou encore le cuir seraient également bouleversées. La fermentation de précision permettrait en outre de faire baisser drastiquement les coûts de production d'aliments cellulaires, en fournissant des facteurs de croissance à moindre coût.

En France, trois entreprises se sont positionnées sur ce segment : Bon Vivant, Nutropy et Standing Ovation, cette dernière ayant réalisé une levée de fonds de 12 millions d'euros en 2022, avec un procédé permettant de produire de la caséine. Fin 2022, elle a noué un partenariat stratégique avec le groupe Bel, distributeur des marques Babybel, Kiri ou encore Boursin.

· Les « aliments cellulaires » sont à distinguer clairement des substituts végétaux à la viande (steaks de soja, etc.), produits à base d'oléagineux (soja), de protéagineux (lentilles, fèves, etc.) ou de fruits à coque (noix de cajou) qui ne sont pas de la viande et ne prétendent pas l'être, si ce n'est qu'ils en reprennent certains codes et la forme. Ces alternatives sont développées en France par des entreprises telles que La Vie ou Les Nouveaux Fermiers, et aux États-Unis par l'entreprise Beyond Meat. Puisqu'elles sont issues d'ingrédients déjà régulièrement consommés, elles n'ont pas besoin d'autorisations de mise sur le marché au titre du règlement européen « nouveaux aliments » et sont déjà disponibles à la vente ;

· enfin, les confusions sont plus rares avec les insectes qui sont consommés depuis longtemps dans diverses parties du monde, mais pas au sein de l'UE, ce qui nécessitera de passer par une autorisation de mise sur le marché au titre du règlement « nouveaux aliments ». Avec trois sociétés, Ynsect, Innovafeed et Agronutris, la France est l'un des leaders mondiaux de ce marché, dont les plus gros volumes semblent davantage orientés vers l'alimentation animale que vers l'alimentation humaine.

Si ces catégories doivent être distinguées intellectuellement pour une bonne compréhension des protéines alternatives, il n'en reste pas moins que la fabrication de produits issus de combinaisons entre certaines de ces familles est très plausible, pour des raisons aussi bien techniques (texture) que de coût (bien moindre pour les analogues végétaux que pour les « aliments cellulaires »).

Ainsi, les premières bouchées de poulet commercialisées à Singapour par la société Upside Foods sont déjà un « hybride » entre des cellules de poulet et des analogues végétaux. Les entreprises européennes travaillent, de même, sur un produit composé entre 10 et 50 % de matière végétale.

b) Les dénominations usuelle, réglementaire et commerciale des « aliments cellulaires » ne sont pas fixées
(1) Dans le langage courant, parmi plusieurs termes candidats, la mission privilégie le terme « aliments cellulaires »

Au début de ses travaux, le syntagme « viande in vitro » a été préféré par la mission d'information à celui de « viande artificielle » ou « viande de synthèse », la notion d'artificialité étant difficile à définir9(*).

Les travaux de la mission lui ont toutefois permis de constater que le produit était en passe de sortir des laboratoires pour entrer dans les ateliers de fabrication. Elle a donc cherché une autre dénomination usuelle que « viande in vitro » parmi les termes en circulation.

Commune en anglais, la notion de « viande propre » (clean meat) ne s'est pas imposée en français ; elle est, du reste, mensongère, et dénigre implicitement la viande issue de l'élevage. La mission ne juge donc pas pertinent de la retenir.

En anglais, ce sont les termes « cultivated meat » (« viande cultivée ») qui semblent s'être imposés dans le langage courant. Ces termes peuvent cependant prêter à confusion avec les analogues végétaux. Les termes « cultured meat » (« viande de culture ») prêtent en outre à confusion avec la fabrication de yaourt ou l'aquaculture et devraient donc être évités.

Dans un document de travail paru en 202210(*), la FAO identifie « cell-based food » (« alimentation à base de cellules » ou « alimentation cellulaire ») comme étant la dénomination la plus descriptive et la plus neutre pour décrire le produit. Par conséquent, la mission retient dans le présent rapport cette dénomination générique d'« aliments cellulaires ».

(2) En l'état actuel du droit, l'usage du terme « viande » ne semble pas interdit pour ce type de produits

Les deux seules mentions des aliments cellulaires dans le droit alimentaire de l'UE11(*) et de la France12(*) font référence, dans les mêmes termes, à des « denrées alimentaires qui se composent de cultures cellulaires ou tissulaires dérivées d'animaux ou qui sont isolées ou produites à partir de cultures cellulaires ou tissulaires dérivées d'animaux ».

Cette dénomination est a priori exclusive des catégories qui lui préexistaient d'autant que, comme le rappelle Mme Anne-Marie Vanelle, inspectrice générale honoraire de la santé publique vétérinaire, la catégorie « viandes » désigne depuis 1984 « les parties comestibles des animaux visés aux points 1.2 à 1.8 [ongulés domestiques, volailles, lagomorphes, petit et gros gibier sauvage, gibier d'élevage, y compris le sang13(*) ».

Toutefois, ces différentes références juridiques aux « aliments cellulaires » et à la viande conventionnelle ne concernent la dénomination de ces produits que de façon incidente14(*). Comme le confirme le bureau des viandes du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, il n'est donc pas certain que la définition donnée des viandes par le règlement de 1984 ait une portée juridique allant au-delà du champ de ce règlement, et, partant, qu'elle constitue la dénomination légale de la catégorie.

C'est pourquoi, en l'état actuel du droit15(*), rien ne semble empêcher explicitement d'apposer le terme « viande » sur ces « denrées alimentaires composées de cultures cellulaires ».

(3) Contestée par les filières de production animale, la dénomination commerciale « viande » devrait être exclue au profit d'« aliments cellulaires »

La catégorie usuelle « aliments cellulaires », retenue par la mission par commodité ne sera sans doute pas, pour autant, la dénomination commerciale de ce produit.

Elle est en effet contestée autant par les promoteurs de l'industrie cellulaire - pour qui le terme « cellulaire », rarement associé à l'alimentation, véhiculerait un imaginaire peu attrayant - que par ses critiques - selon qui les cellules musculaires ainsi développées ne peuvent prétendre être appelées « viande ».

MM. Hocquette, Chriki et Mme Ellies-Oury considèrent qu'il faudrait en toute rigueur parler de « cellules musculaires cultivées » ou de « fibres musculaires cultivées », d'autres composants du muscle comme les nerfs, les vaisseaux sanguins, et le collagène qui compose la trame conjonctive étant souvent absents du produit.

Les filières de productions animales, réunies en table ronde et représentées par le collectif « Les Z'Homnivores », ont insisté sur la nécessité de refuser la dénomination commerciale « viande » pour les produits à base de cellules, au motif que ce serait sinon accepter une forme de « colonisation du langage ».

Le terme « viande » n'étant, du reste, pas même pour les produits de l'élevage utilisé comme une dénomination commerciale sur les emballages des produits, son interdiction pour les produits de l'industrie cellulaire ne devrait pas avoir d'impact économique majeur.

S'agissant de la forme du produit, le législateur a entendu interdire l'utilisation des « dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d'origine animale [...] pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales », lorsque ces denrées dépassent une certaine part de protéines végétales16(*). Le décret d'application de cette disposition17(*) a été suspendu18(*) à l'occasion d'un recours en référé de l'association Protéines France19(*), pour deux motifs qui semblent davantage porter sur la forme du décret, que sur le fond :

- d'une part, le champ des dénominations interdites (« terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie » et « dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux ») n'était pas assez clairement défini ;

- d'autre part, les entreprises d'analogues végétaux auraient dû, dans un délai très rapide, « modifier la dénomination d'un grand nombre de leurs produits, y compris en renonçant à des appellations parfois utilisées de longue date ou installées dans l'esprit des consommateurs ».

Le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire indique qu'un nouveau décret est en cours d'élaboration. Bien qu'applicable aux seuls analogues végétaux, cette disposition législative de protection des filières animales pourrait de façon relativement aisée être étendue aux « aliments cellulaires », si cela était jugé pertinent.

S'agissant des noms des espèces et groupes d'espèces animales d'origine, les dénominations faisant référence « à la morphologie ou à l'anatomie animale » pourraient de même être interdites si cela était jugé pertinent. Cependant, les entreprises du secteur insistent bien sur le fait que ce sont, à proprement parler, des cellules de l'espèce en question. Elles soulignent que le produit cellulaire « peut présenter le même niveau de risques de réactions allergiques20(*) » que le produit issu de l'élevage, et que le nom de l'espèce devrait par conséquent figurer sur l'emballage de façon visible. Par ailleurs, dans leur majorité, les végétariens ne consommeraient pas ce produit, qu'ils assimilent bien à de la viande.

En résumé, sur les étiquettes des produits préemballés en grande surface, la dénomination commerciale pourrait être « poulet/boeuf/crevette cellulaire » comme, du reste, le préconise la FAO dans son document de travail publié en 202221(*).

c) L'application à l'alimentation de biotechnologies issues notamment de la recherche médicale

Les « aliments cellulaires » sont le fruit de recherches en ingénierie tissulaire. Ce champ de recherche visait au départ des applications plutôt médicales, par exemple en régénération des tissus pour les grands brûlés.

Cette technologie étant en phase de recherche et développement, il convient de souligner la diversité des techniques de production expérimentées et des produits finis recherchés. Comme l'a indiqué le cofondateur et président de Gourmey Nicolas Morin-Forest lors de la table ronde, « il y a mille et une façons de produire de la viande de culture ».

Toutefois, le procédé de fabrication d'aliments cellulaires implique invariablement quatre étapes, voire une cinquième selon les typologies :

1) des cellules sont conservées congelées dans des banques de cellules. Elles peuvent provenir :

o soit de biopsies régulières (prélèvement d'un échantillon de tissu) sur un animal d'élevage, auquel cas il peut s'agit de cellules souches, pluripotentes22(*), ou de myoblastes (précurseurs du tissu musculaire)

o soit de lignées cellulaires (cellules possédant la capacité de se reproduire indéfiniment) ;

2) puis, placées dans un bioréacteur (ou fermenteur) avec un milieu de culture composé d'une cinquantaine de nutriments (cf. I, A, 1, d) et en particulier des facteurs de croissance, les cellules se différencient, c'est-à-dire qu'elles se spécialisent, par exemple en fibres musculaires (myotubes) ou de gras ;

3) vient ensuite l'étape de la prolifération dans ce même bioréacteur, maintenu à température physiologique (autour de 37 ° C pour un mammifère, moins pour les animaux aquatiques). Un lot placé dans un bioréacteur de 40 litres, 200 litres ou plus, prend en moyenne quelques semaines, et au moins 15 à 20 jours environ, pour arriver à maturité.

o Quand une pièce d'« aliments cellulaires » pure est visée (c'est-à-dire quand elle n'est ni un simple ingrédient, ni destinée à entrer dans la composition d'un hybride avec du végétal), un échafaudage (« scaffold ») d'origine végétale peut fournir, dans le bioréacteur, une structure permettant aux tissus de s'organiser. La « co-culture » de cellules musculaires et adipeuses est aussi, de plus en plus, recherchée, pour reproduire la complexité d'une pièce de viande conventionnelle.

4) Dans la mesure où la prolifération cellulaire fonctionne par duplication, il s'agit d'un processus exponentiel, l'essentiel de la production ayant lieu dans les derniers jours. À la fin de cette étape, un bioréacteur peut contenir jusqu'à plusieurs millions de cellules par millilitre. Vient alors l'étape de la récolte des fibres musculaires, de la graisse, des vaisseaux sanguins ou des tissus conjonctifs ;

5) enfin, les cellules récoltées connaissent un processus de transformation alimentaire classique, pour prendre la forme, par exemple, d'un steak, de boulettes ou de nuggets.

Source : contribution de MM. Hocquette, Chriki et de Mme Ellies-Oury

Au-delà de la biologie cellulaire, il semblerait que la production puisse impliquer d'autres procédés, notamment moléculaires ou informatiques. À titre d'exemple, en février 2021, l'entreprise Aleph Farms a fabriqué un « faux-filet » en 3D, et l'entreprise chilienne NotCo utilise le machine learning pour la production de ses analogues végétaux.

d) La « boîte noire » du milieu de culture et de ses intrants

Le secret est bien gardé par les entreprises sur cet élément indispensable à la prolifération et à la différenciation des cellules, à tel point que plusieurs entreprises indiquent ne pas souhaiter déposer de brevet sur leur milieu de culture pour ne pas révéler un avantage compétitif.

Il faut dire qu'il existe à peu près autant de « recettes » que d'entreprises, et qu'au sein d'une même entreprise, différentes compositions sont testées pour chaque nouveau lot puisque les entreprises en sont encore au stade de la R&D. En outre, les entreprises du secteur ont rapidement fait évoluer la composition des milieux de culture, ceux-ci constituant jusqu'alors la quasi-totalité des coûts de production.

La présence de sérum foetal bovin et de facteurs de croissance dans les milieux de culture

Alors que les milieux de culture utilisés dans la recherche médicale et pharmaceutique étaient classiquement composés de sérum foetal bovin (cf. II, A, 2, b), réputé pratique car concentrant une grande partie des nutriments nécessaires à la croissance cellulaire, des considérations de coût et de bien-être animal ont conduit à rechercher des alternatives dites « sans sérum », à base de végétaux (hydrolysats d'orge, de champignons, d'algues...). Une publication démontrant l'existence d'alternatives a été publiée dans la revue Nature23(*) en 2022.

Même ce qui semblait indispensable à la culture cellulaire ne semble plus l'être tout à fait. Ainsi, plusieurs entreprises du secteur indiquent ne pas être loin de pouvoir se passer de protéines recombinantes voire pouvoir, d'ores et déjà, s'en passer. Les facteurs de croissance (dont l'insuline et les hormones de la thyroïde) sont un type de protéine recombinante classiquement utilisé pour aider à diriger la différenciation cellulaire. Les entreprises indiquent travailler sur une forme de « sevrage » des cellules, qui limiterait fortement, voire rendrait inutile, l'utilisation de ces facteurs de croissance. En tout état de cause, ces facteurs de croissance sont à distinguer, selon M. Hocquette, des hormones de croissance, telles que les stéroïdes. Les entreprises françaises indiquent ne pas utiliser celles-ci, dont l'usage est interdit au sein de l'Union européenne pour l'élevage, en dépit d'une zone grise.

En dépit de cette évolution rapide, il n'en reste pas moins quelques invariants.

De façon constante, les milieux de culture sont composés à 95 % d'eau. Pour le reste, les composants nécessaires sont au nombre « de 30 à 50 » selon l'une des entreprises interrogée, et de l'ordre « de dizaines » selon une autre.

C'est parmi les protéines que les variations sont les plus importantes d'un procédé de fabrication à l'autre. L'albumine ou les transferrines sont ainsi présentes en quantité variable.

Sont nécessairement présents également des acides aminés, dont ceux dits « essentiels » au bon développement des cellules, dont le nombre peut varier en fonction de l'espèce (vingt pour le boeuf, douze pour le porc, onze pour le poulet). Ces acides aminés sont notamment présents sous la forme de peptides.

Des acides gras et du cholestérol entrent également dans la composition des milieux de culture.

Sont enfin ajoutés des sels minéraux, qui ont la même odeur caractéristique que ceux ajoutés dans les rations des bovins pour complémenter leur alimentation. Parmi ces minéraux, on peut trouver le soufre, le fer, le chlore, le chrome, le cobalt, le cuivre, le zinc, le manganèse, le molybdène, l'iode et le sélénium.

2. Le produit est aujourd'hui exclusivement développé par des entreprises, dont le principal défi dans les prochaines années sera de passer à une échelle industrielle
a) Environ 110 entreprises dans plus de vingt pays à travers le monde

Les premières entreprises ont été fondées en 2015 aux États-Unis et en 2016 en Europe. D'après Cellular Agriculture Europe, aujourd'hui, « il existe environ 110 entreprises dans le monde qui travaillent sur différentes espèces et utilisent différentes technologies et nutriments. » La majorité de ces entreprises sont des start-up ou, dans certains cas, des filiales de plus grands groupes, dans plus d'une vingtaine de pays. En Europe, il existe aujourd'hui une quinzaine d'entreprises, dont les intérêts sont représentés par Cellular Agriculture Europe.

Le Good Food Institute, think tank américain spécialisé dans l'étude et la promotion des protéines alternatives, dont les aliments cellulaires, conduit un recensement régulièrement mis à jour de ces entreprises à travers le monde24(*).

Source : Kind Earth Tech25(*) ( http://protein.ketmaps.com/)

(1) En l'absence presque complète de produit commercialisé...

Les équipes des entreprises travaillent à la pré-production des « aliments cellulaires » et préparent les autorisations de mise sur le marché.

Bien que la technologie soit au départ la même, les ambitions de ces entreprises ne sont pas les mêmes.

En raison de leur antériorité, de leur taille, de leur important travail de communication et de relations publiques pour l'acceptation du projet et de leur horizon à très long terme, Mosa Meat et Aleph Farms apparaissent davantage comme des « majors » européens. Ces deux entreprises ont pour point commun de procéder par biopsies et non par lignées cellulaires, de chercher à reproduire des pièces de viande entières et de viser le marché européen.

Le modèle de Meatable et de Vital Meat, semble reposer davantage sur des succès rapides en matière de commercialisation, avec en ligne de mire des marchés plus faciles d'accès, tels que le singapourien.

Les entreprises américaines se sont positionnées comme les acteurs dominants du point de vue de la commercialisation. Le premier produit commercialisé dans le monde26(*) l'a été à Singapour en décembre 2020 par une filiale de l'entreprise Eat Just (San Francisco, Californie). Une nouvelle autorisation a été accordée en janvier 2023 à cette même entreprise, à Singapour, pour le même produit, avec un procédé de fabrication cette fois « serum free » (cf. II, A, 2, b). En novembre 2022, aux États-Unis, une pré-approbation a été accordée au poulet cellulaire de l'entreprise Upside Foods (Berkeley, Californie), par la FDA, en attendant une approbation par le ministère américain de l'agriculture. En mars 2023, l'entreprise Eat Just a obtenu une pré-approbation similaire aux États-Unis.

Pour justifier l'absence de demande d'autorisation de leur part, les entreprises européennes rencontrées soulignent qu'il faut être « plus que prêt » pour déposer un dossier et se livrent difficilement à des pronostics.

Quoi qu'il en soit, la commercialisation du produit à une échelle industrielle prendra nécessairement plusieurs années.

Source : Mosa Meat

(2) ... des entreprises essentiellement financées par des levées de fonds

La production d'« aliments cellulaires » reste un projet très risqué en raison de nombreuses incertitudes techniques et réglementaires. En outre, en l'absence de produit commercialisé, les entreprises du secteur ne réalisent aucun chiffre d'affaires pendant plusieurs mois voire plusieurs années.

Pour se développer, ces entreprises recourent donc en majorité à des levées de fonds grâce au capital-risque. Selon un décompte effectué par la consultante spécialiste des protéines alternatives, Mme Céline Laisney, « une quarantaine de start-up ont levé au total 2,6 milliards d'euros », dont la moitié aux États-Unis. Parmi celles-ci, les principales sont référencées dans le tableau ci-dessous :

Source : Céline Laisney

Selon les données les plus récentes du Good Food Institute, think tank d'analyse et de promotion des protéines alternatives, les entreprises européennes d'« aliments cellulaires » ont attiré 120 millions d'euros en 2022, après 92 millions d'euros en 2021.

Source : Good Food Institute Europe27(*) [sur l'échelle de droite,
le nombre d'investissements dans les protéines alternatives]

À titre d'exemple, l'entreprise Gourmey a levé environ 48 millions d'euros en octobre 2022 auprès de fonds européens en capital-risque.

Mosa Meat avait levé environ 85 millions de dollars en février 2021, précisant qu'en plus des fonds de capital-risque, plusieurs des investisseurs sont des « partenaires industriels de long terme » apportant, en plus des capitaux, leur savoir-faire, comme Bell (viande), Nutreco (alimentation animale) ou Merck (pharmaceutique).

En Israël, Aleph Farms a levé environ 105 millions de dollars auprès de grandes entreprises mondiales de l'alimentation et notamment de la viande, dont Migros, Thai Union, BRF et CJ CheilJedang.

Ces investissements servent notamment au recrutement d'équipes, à l'acquisition des intrants, des équipements et des bâtiments, ainsi qu'aux dépenses courantes.

Si, dans le monde, la plupart des entreprises n'emploient pas plus de 10 à 20 salariés (c'est par exemple le cas de l'entreprise Vital Meat), on compte parmi les membres de Cellular Agriculture Europe des équipes désormais plus importantes : les néerlandaises Mosa Meat (165 employés) et Meatable (plus de 90 employés), l'israélienne Aleph Farms (155 employés), les françaises Gourmey (« plus d'une centaine de personnes d'ici à l'année prochaine »).

Les sites industriels, en cours de construction ou au stade de projet, nécessitent des investissements en capital fixe importants.

b) La production à l'échelle industrielle pose de nouveaux défis techniques et sociétaux
(1) Après les prototypes dans les laboratoires et les ateliers-pilotes, de premiers sites industriels s'apprêtent à voir le jour

La mission d'information a pu se rendre dans les laboratoires et ateliers-pilotes d'entreprises françaises (Vital Meat) et néerlandaises (Mosa Meat et Meatable), à un moment charnière entre l'étape de la R&D en laboratoire et les prémices de l'industrialisation.

La visite de ces installations a permis de mesurer le degré variable d'avancement de ces entreprises, ainsi que la similarité, du moins apparente, des équipements et des procédés de fabrication.

L'entreprise Mosa Meat à Maastricht a ainsi montré un nouveau bâtiment qui est en cours d'aménagement pour la production à plus grande échelle d'« aliments cellulaires ».

L'entreprise Gourmey prépare, elle, la construction d'un atelier de production de 4 300 mdans le Val-de-Marne, qui emploierait 80 personnes, en vue de la commercialisation de son produit. Vital Meat indique projet un site industriel d'une surface équivalente.

Les capacités de production actuelles ou projetées les plus importantes sont toutefois aux États-Unis.

Source : Céline Laisney

La taille des bioréacteurs est communément retenue comme un jalon de l'avancée technologique des entreprises, quand bien même la quantité produite, en général de quelques centaines de kg/an, n'en est pas une preuve formelle dans cette phase encore expérimentale.

Il semble que la plupart d'entre elles travaillent sur des bioréacteurs de 40 ou de 200 litres pour les lots qui seront candidats à une approbation réglementaire.

Toutefois, les entreprises ne se communiquent pas cette information les unes les autres, et il y aurait, de l'aveu de certaines d'entre elles, une course à la communication, en particulier aux États-Unis, afin de lever les fonds d'investisseurs potentiels.

(2) En changeant d'échelle, la production pourrait changer non seulement de degré, mais aussi de nature

La mise à l'échelle (scale-up) est toujours une étape délicate pour une start-up, car il n'est pas certain que le design industriel donnant de bons résultats à petite échelle soit reproductible à une plus grande échelle.

Passer du stade de l'expérimentation scientifique à la production de masse constitue d'abord un défi technique.

Il en va ainsi de l'augmentation de la taille des bioréacteurs employés, aujourd'hui de taille variable, mais qui ne devraient pas dépasser dans les premières étapes 30 à 50 000 litres. Dans le monde médical, le maximum habituel est de 20 000 litres, et dans le domaine de la fermentation alcoolique, les cuves les plus grandes peuvent dépasser 125 000 litres. L'entreprise Gourmey confirme que « des bioréacteurs allant jusqu'à 40 000 litres sont possibles, mais pas encore des bioréacteurs de 100 000 ou 200 000 litres », parlant à ce sujet de « blocage technique » et de « défi d'ingénieur ». Le poids exercé par l'eau sur les cellules pourrait par exemple ralentir leur prolifération.

Au-delà de ces blocages techniques, et en dépit de probables économies d'échelle liées à l'industrialisation, celle-ci risquerait d'annuler certains avantages que les preuves de concept laissent entrevoir, en matière économique, sanitaire ou environnementale.

C'est notamment le cas en ce qui concerne la répartition de la valeur, ces nouveaux acteurs industriels pouvant acquérir un pouvoir de marché très important. Une production à si grande échelle poserait en outre la question de la concentration du risque sanitaire ou du volume des déchets industriels à traiter.

3. La cartographie des soutiens et financeurs de l'alimentation cellulaire montre à quel point les logiques à l'oeuvre dans son développement peuvent différer

Rattachée à la commission des affaires économiques, la mission d'information sur les aliments cellulaires a cru bon de s'intéresser aux sources de financement de celle-ci.

Or, il est rapidement apparu qu'en plus des espérances de profit au fondement de toute entreprise, des motivations de nature plus philosophique, liées à l'impact que le développement d'aliments cellulaires pourrait avoir sur le bien-être animal et l'environnement, occupaient une place prééminente parmi les motivations des entrepreneurs et des investisseurs.

En cherchant à savoir qui soutenait les aliments cellulaires, la mission d'information a ainsi été conduite à se demander pourquoi elle était soutenue.

a) À l'origine, une démarche de valorisation de leur recherche par des scientifiques entrepreneurs

L'idée des « aliments cellulaires » provient de recherches conduites dans des laboratoires et des universités publics. L'innovation a ensuite suivi les étapes classiques de la valorisation par des chercheurs qui se sont alors mués en entrepreneurs.

C'est aux Pays-Bas que le premier brevet a été déposé par un chercheur, Willem van Eelen, en 1999. Une première preuve de concept a été présentée en 2013, à Londres, par M. Mark Post, chercheur de l'université de Maastricht. Ce dernier a co-fondé l'entreprise Mosa Meat en 2016, qui est désormais l'une des principales dans le monde.

En France, deux des trois co-fondateurs de Gourmey sont des biologistes, et l'entreprise est hébergée à Évry par le Génopole, pôle de compétitivité spécialisé dans les biotechnologies. De même, la société Aleph Farms a été cofondée par un professeur du Technion - Institut de technologie d'Israël et un incubateur.

b) La prégnance d'un militantisme inspiré de l'altruisme efficace qui contribue à attirer les investisseurs

L'argument de l'impact sociétal maximal est classiquement destiné à emporter l'adhésion d'investisseurs s'inscrivant dans une démarche de responsabilité sociale et environnementale.

On peut noter chez les promoteurs des « aliments cellulaires28(*) » l'influence particulièrement forte de l'altruisme efficace29(*), transposé notamment à l'écologie et au bien-être animal. Très compatible avec la recherche d'impact présente dans la philanthropie contemporaine, cette éthique contribue à attirer les investisseurs (cf. I, A, 3, c).

(1) Le souci de la condition des animaux de rente est bel et bien présent dans le développement des « aliments cellulaires »

Dès les premiers développements des « aliments cellulaires », l'espérance de réduire voire d'éliminer la souffrance animale était présente chez M. Jacob Van Eelen, le chercheur néerlandais qui dirigeait l'équipe ayant conduit les premières recherches en la matière. Elle demeure au centre de l'argumentaire des entreprises du secteur.

L'innovation a par ailleurs attiré l'attention de penseurs et de militants de la cause animale, et suscité l'adhésion de personnalités inspirées par ce courant.

Philosophe reconnue de la cause animale, Mme Florence Burgat estime ainsi que la consommation de viande par l'être humain tient d'abord à des raisons symboliques, liées à la réaffirmation d'une différence de statut avec l'animal et, partant, que les « aliments cellulaires » serait un moyen efficace de maintenir la « fiction » de cette différence par la consommation de viande, sans abattage d'animaux.

Chez les associations de protection animale dites « welfaristes30(*) », l'impression qui prédomine est celle d'une « curiosité bienveillante » envers le produit, mais sous certaines conditions (cf. II, A, 2).

Chez les associations « abolitionnistes », l'association américaine PETA, ainsi que ses sections européennes, se dit explicitement favorable au développement des aliments cellulaires, considéré comme une solution de substitution à la viande d'élevage. L'association belge GAIA est, de même clairement en faveur du produit.

Étonnamment, l'attention médiatique s'est focalisée sur la seule association n'ayant, explicitement, pas pris position en faveur des aliments cellulaires, L214.

L'association est décrite par les filières de productions animales, par M. Luneau ou par Mme Porcher comme « préparant le terrain » des entreprises développant des « aliments cellulaires » et est parfois accusée de faire directement la promotion de ce produit. Les allégations visant L214 ne sont toutefois jamais claires, et renvoient toujours à un soutien par « porosité » ou par « transitivité31(*) ».

Interrogée plusieurs fois par les rapporteurs à ce sujet, L214 a répondu que ce n'est « pas plus fondé que d'accuser les associations qui promeuvent le vélo pour réduire les émissions des véhicules thermiques d'être instrumentalisées par les “industriels des voitures électriques”. »

Les dirigeants de L214 ont même décliné l'invitation de la mission en raison du « manque de lien avéré entre [les aliments cellulaires] et l'objet de [leur] association », soulignant que « rien ne démontre avec certitude à ce jour que le développement de ce type de produits contribuerait à la réduction du nombre d'animaux abattus à des fins de consommation ».

A ce jour, donc, rien ne prouve le soutien de l'association L214 à l'« alimentation cellulaire ».

(2) Les motivations relatives à la préservation de l'environnement semblent avoir peu à peu pris une importance croissante

L'idée que les « aliments cellulaires », plus efficients en ressources, permettraient de réduire grandement l'impact environnemental de la production de viande, est devenue un lieu commun de la communication des entreprises du secteur.

On peut toutefois noter une difficulté de positionnement de la part des associations environnementales.

Leur opinion dominante est que l'industrie cellulaire n'est pas un enjeu immédiat, mais plutôt un horizon lointain, voire un « chiffon rouge » qui serait agité pour ne pas parler de la réalité de l'élevage aujourd'hui et éluder la nécessité de le réformer radicalement pour respecter nos engagements climatiques.

Ainsi, selon M. Cannet, directeur du plaidoyer de WWF, « en matière de protection du climat et de la biodiversité, les solutions clefs à explorer et les marges de manoeuvre à exploiter résident surtout dans la modification de nos régimes alimentaires, de nos systèmes agraires et des pratiques de production agricoles. Sans ces avancées, la viande in vitro apparaît comme une fuite en avant technique, sans remise en cause de l'industrialisation croissante de l'agroalimentaire et le recours excessif aux calories d'origine animale. »

Les aliments cellulaires constitueraient, selon cette vision, une forme de « technosolutionnisme ».

Cependant, un courant « éco-optimiste », émergent bien que minoritaire au sein du mouvement écologiste, s'intéresse de façon croissante à cette innovation, en particulier dans les pays anglo-saxons selon plusieurs associations. On peut citer dans cette catégorie l'éditorialiste anglais Georges Monbiot32(*).

c) Technophiles et inspirés par ces causes, plusieurs riches investisseurs soutiennent le développement des aliments cellulaires

L'idée que les aliments cellulaires seraient financés voire développés par les Gafam ou la Nasa revient régulièrement dans le débat public, sur fond de suspicion à l'égard des États-Unis, qui mèneraient une guerre culturelle ou informationnelle contre l'Europe, sa culture, et notamment la place particulière qu'elle réserve à l'élevage et à l'alimentation.

Ces allégations relèvent dans bien des cas de l'extrapolation.

Il est vrai que la NASA a financé en 2002 M. Morris Benjaminson, professeur dans une université new-yorkaise, pour expérimenter la culture de tissus musculaires de poisson, afin de rechercher une nouvelle source d'alimentation pour les astronautes, dans le cadre d'un programme abandonné depuis lors.

Il est vrai aussi que plusieurs entrepreneurs des nouvelles technologies de l'information et de la communication ont soutenu ou soutiennent le développement des aliments cellulaires :

- influencé par le transhumanisme, Sergueï Brin, l'un des cofondateurs de Google et actuel président du groupe Alphabet, a co-financé le premier burger présenté au monde par Mark Post en 2013 à Londres ;

- Bill Gates, fondateur de Microsoft, et Richard Branson, fondateur de Virgin, ont investi dès les premières étapes dans Memphis Meat, devenue Upside Foods ;

- Dustin Moskovitz, l'un des cofondateurs de Facebook, a, dix ans après avoir quitté l'entreprise, accordé plusieurs subventions, via l'Open Philanthropy Project33(*), sa fondation à impact social, au think tank d'analyse et de promotion des protéines alternatives, le Good Food Institute. La fondation a toutefois exprimé ses doutes quant à la capacité du secteur à surmonter le défi de la production à un coût suffisamment compétitif34(*). Elle a même clairement indiqué préférer investir dans les analogues végétaux et « ne pas donner la priorité à l'investissement dans la R&D pour la viande cultivée, en particulier pour la viande entière (c'est-à-dire pas la viande hachée) parce qu'[elle pense] que la faisabilité technique est actuellement faible (en particulier en ce qui concerne l'obtention de coûts suffisamment bas35(*)). »

De façon générale, la Californie est une terre d'élection naturelle pour cette innovation, autant culturellement par l'appétence qui y existe pour les nouvelles technologies, que pour des raisons économiques, le capital-risque y étant très développé. Basé dans la baie de San Francisco, comme les entreprises Upside Foods et Eat Just, le podcast “Cultured Meat and Future Food36(*)” témoigne de cette fascination.

Toutefois, Bill Gates, fondateur de Microsoft, Jack Dorsey, cofondateur de Twitter, Jeff Bezos, fondateur d'Amazon ou encore Alexis Ohanian, cofondateur de Reddit ont tous investi dans des entreprises produisant des analogues végétaux, mais il ne semble pas qu'ils aient investi dans les aliments cellulaires, de même qu'en France, Xavier Niel, fondateur de Free et Marc Simoncini, fondateur de Meetic.

Engagé dans la protection de l'environnement, l'acteur Leonardo DiCaprio a investi dans Mosa Meat en septembre 2022 et est même devenu « conseiller » de l'entreprise à cette occasion37(*), après avoir précédemment investi dans les analogues végétaux.

Mêlant préoccupations pour le bien-être animal, l'environnement, et probablement l'espérance de retours sur investissement, un certain nombre de célébrités du sport (Serena Williams, Roger Federer, Lewis Hamilton, Sergio Busquets...) et du spectacle (Oprah Winfrey, Natalie Portman, Jessica Chastain, Jay-z, Katy Perry, Rihanna...)38(*) avaient, eux, investi dans les analogues végétaux.

d) Les acteurs traditionnels du marché de la viande prennent des participations en suivant une logique de diversification de leurs activités traditionnelles

La dernière catégorie d'acteurs intervenant dans le financement de cette technologie est plus rarement mentionnée dans le débat public.

Il s'agit des groupes de production et de transformation de viande, dont beaucoup des plus importants à l'échelle mondiale ont des participations dans le développement des aliments cellulaires.

Le think tank IPES Food retrace dans son rapport très documenté, « Politique des protéines39(*) », la multiplicité des liens capitalistiques entre les entreprises des « aliments cellulaires » et les acteurs établis du secteur de la viande et des produits de la mer. IPES Food s'inquiète de la concentration croissante de la production de protéines dans le monde, tant pour la viande et les analogues végétaux que pour les « aliments cellulaires ».

Source : IPES Food, La Politique des protéines, 2022.

Parmi ces groupes traditionnels du secteur de la viande ayant investi dans les « aliments cellulaires », on retrouve :

· le géant brésilien du boeuf JBS ;

· le géant américain du boeuf Tyson ;

· le transformateur de viande brésilien BRF ;

· le canadien Maple Leaf ;

· le suisse Bell Food Group ;

· l'allemand PHW-Gruppe ;

· le transformateur de produits de la mer Thai Union.

On peut ranger dans cette catégorie le groupe Grimaud frères, implanté dans le Maine-et-Loire, qui est l'un des leaders européens de la génétique animale, non seulement pour les volailles et les palmipèdes, mais aussi pour le porc, les lapins, les crevettes, les insectes et les mouches, avec des applications notamment dans la recherche médicale40(*).

On trouve aussi de grands groupes alimentaires plus diversifiés, tels que les Américains Cargill et Archer-Daniels-Midland (ADM), ou encore des entreprises spécialisées dans l'alimentation animale, telles que le néerlandais Nutreco. Le fabricant de tofu Pulmuone entre aussi dans cette catégorie. On peut souligner enfin que le groupe Nestlé est « membre associé » de Cellular Agriculture Europe, l'association représentant les intérêts des entreprises d'aliments cellulaires, de la même façon que des groupes laitiers ont noué des partenariats avec des start-up de la fermentation de précision.

La prégnance de ces acteurs rend le tableau du financement des « aliments cellulaires » plus complexe à appréhender, et peut même s'avérer déconcertante pour ceux qui verraient avant tout un intérêt environnemental et en termes de bien-être animal de cette innovation.

Il semble clair en effet que les acteurs traditionnels du marché de la viande ont investi dans une recherche de diversification de leurs activités :

· il peut s'agir, tout simplement, de la perspective de nouveaux débouchés et de revenus importants si la technologie s'avérait viable à grande échelle ;

· il peut s'agir, aussi, d'« acquisitions tueuses » de jeunes pousses par des acteurs établis, dans une logique analogue à celle que l'on peut trouver dans le domaine des biotechnologies et des nouvelles technologies de l'information et de la consommation. Dans ce schéma, un acteur ayant des parts de marché significatives sur un marché peut être tenté de barrer l'entrée sur ce marché de nouveaux acteurs pour échapper à la concurrence.

B. LES POUVOIRS PUBLICS AURONT LA MISSION ESSENTIELLE DE FAÇONNER LE CADRE APPLICABLE À CETTE TECHNOLOGIE

1. Partout dans le monde, la commercialisation requiert une autorisation de mise sur le marché fondée sur une évaluation de la sécurité sanitaire des produits
a) Au sein de l'Union européenne, l'autorisation de mise sur le marché des aliments cellulaires devra suivre une procédure règlementaire déjà clairement définie
(1) L'autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) procède à l'évaluation scientifique des « nouveaux aliments » au prisme de leur sécurité sanitaire

Dans l'Union européenne, le règlement dit « novel food41(*) » (nouveaux aliments) 2015/2283 du 25 novembre 2015 décrit précisément la procédure d'autorisation de mise sur le marché des nouveaux aliments, qui sont définis comme ceux « dont la consommation humaine est restée négligeable au sein de l'Union avant le 15 mai 1997 », soit la date d'entrée en vigueur du premier règlement42(*).

Lorsque le règlement de 2015 a remplacé celui, plus succinct, de 1997, six nouvelles catégories ont été introduites pour tenir compte de « l'évolution scientifique et technologique depuis 1997 ». C'est à cette occasion qu'ont été incluses « les denrées alimentaires qui se composent de cultures cellulaires ou tissulaires dérivées d'animaux, de végétaux, de micro-organismes, de champignons ou d'algues ou qui sont isolées ou produites à partir de cultures cellulaires ou tissulaires dérivées d'animaux » (article 3(2)(vi) du règlement). Dans l'ordre juridique de l'Union, les aliments cellulaires existent exclusivement sous ce vocable générique de « nouvel aliment ».

Les deux catégories aliments et ingrédients contenant des organismes génétiquement modifiés (OGM) ou produits à partir d'OGM ont en revanche été retirés de ce régime après 1997 pour être assujettis à une règlementation spécifique (règlement n° 1829/2003 du 22 septembre 200343(*)). Par conséquent, les aliments cellulaires fabriqués à partir d'OGM n'entrent pas dans le champ d'application du règlement « nouveaux aliments », mais dans celui du règlement « OGM », la procédure d'autorisation étant a priori plus longue.

Dix catégories, n'ayant d'autre lien que celui de « la consommation humaine négligeable avant 1997 », relèvent donc du règlement.

Source : EFSA

Concrètement, les exemples de nouveaux aliments pour lesquels une mise sur le marché a été autorisée ces dernières années témoignent du caractère générique de cette catégorie et de l'hétérogénéité des produits la composant.

Source : EFSA

À l'instar de l'ensemble de ces denrées, les aliments cellulaires seront soumis à un examen scientifique rigoureux, qui prend nécessairement du temps :

· l'initiative relève soit d'une entreprise souhaitant commercialiser un nouvel aliment et soumettant un dossier à la Commission européenne, soit, en théorie, de la Commission elle-même. Cette dernière vérifie simplement la complétude du dossier, s'appuyant pour ce faire depuis 2016 sur un guide de l'EFSA44(*), régulièrement mis à jour et destiné à aiguiller les candidats dans la constitution du dossier ;

· le dossier est ensuite mis à disposition des États membres et, au plus tard un mois après sa validation, la Commission peut donner mandat (article 11) à l'autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) pour procéder à une évaluation scientifique de la sécurité sanitaire du produit dans un délai de neuf mois - ce délai pouvant être prolongé pour solliciter des informations supplémentaires auprès du demandeur. Au sein de l'EFSA, un groupe de travail est chargé d'établir une première version de l'évaluation, qui est relue par un panel de seize experts, avant d'être rendue publique dans le journal de l'EFSA.

Les entreprises produisant des « aliments cellulaires » ou de la caséine par fermentation de précision déplorent l'absence d'un dialogue formel entre elles et les autorités européennes en amont du dépôt du dossier, qui serait une singularité de l'Union, par contraste avec le processus itératif existant, selon elles, avec d'autres autorités dans le monde. L'EFSA a rappelé les progrès réalisés dans la suite du règlement (UE) 2019/1381 dit « transparence45(*) », et notamment la mise en place progressive de conseils de pré-admission46(*), tout en soulignant l'impératif d'égalité de traitement entre les candidats.

D'après les services de la DG Santé de la Commision et de l'EFSA, il est en effet très probable que l'évaluation des aliments cellulaires, produits très innovants, prenne davantage que neuf mois. Pour justifier la durée de la procédure, ces services ont rappelé en audition être « ouverts à l'innovation, tout en étant garants de la sécurité sanitaire de l'alimentation ». Par le passé, plusieurs organisations non gouvernementales ont mis en doute la bonne application du principe de précaution par les autorités règlementaires, dont l'EFSA, à l'occasion de certaines controverses sur le recours à des substances phytosanitaires, comme le glyphosate, ou encore à des additifs dans l'alimentation. Pour l'entreprise Gourmey la procédure fixée dans le règlement « nouveaux aliments » est, « en soi, une application du principe de précaution47(*) ».

Pour ajouter un nouvel aliment à la liste des produits autorisés, il n'est pas nécessaire de prouver ses bienfaits ; il suffit de respecter trois conditions générales48(*) :

· le nouvel aliment doit être aussi sûr qu'une denrée alimentaire (...) comparable déjà mise sur le marché de l'Union ;

· la composition et les conditions d'utilisation du nouvel aliment ne doivent présenter aucun risque en matière de sécurité pour la santé humaine ;

· un nouvel aliment destiné à remplacer un autre aliment ne doit pas différer de cet aliment d'une manière telle que sa consommation normale serait désavantageuse pour le consommateur sur le plan nutritionnel.

Plus en détail, l'évaluation par l'EFSA impose aux entreprises de transmettre des informations précises sur le procédé de fabrication - et donc, dans le cas des « aliments cellulaires », sur le milieu de culture -, l'identité chimique, les qualités nutritionnelles du produit, mais aussi les spécifications et conditions d'utilisation - par exemple, la forme prévue du produit ou le circuit de distribution - ainsi que les doses toxicologiques associées à ces conditions49(*).

L'autorisation peut être générique, mais uniquement si les caractéristiques de fabrication ou du produit sont similaires. Or, chaque entreprise ayant des méthodes différentes, il est probable que les entreprises doivent demander au cas par cas des autorisations. De même, si l'échelle de production implique des changements trop importants de ces caractéristiques, la Commission pourrait exiger une nouvelle autorisation.

(2) Une procédure centralisée au niveau de la Commission européenne, dans laquelle la France n'est pas décisionnaire

En définitive, c'est la Commission européenne sur avis de l'EFSA, et non l'EFSA elle-même, qui autorisera ou non la mise sur le marché des aliments cellulaires. La décision est donc politique et non purement technique, bien qu'elle s'appuie sur une expertise technique.

Une fois l'avis de l'EFSA publié, la Commission européenne a sept mois pour présenter un projet d'acte d'exécution autorisant la mise sur le marché50(*) aux États membres de l'Union, dans le cadre de la procédure de « comitologie51(*) ». En l'espèce, la section dédiée aux nouveaux aliments52(*) du comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux53(*), présidée par un chef d'unité de la DG Santé de la Commission et réunissant les fonctionnaires compétents de chaque État membre54(*), est compétente.

Le processus de décision par la Commission européenne associe donc bien, collectivement, les États membres, qui donnent un avis conforme à la majorité qualifiée55(*).

Il faut toutefois souligner que les refus d'autorisation après avis favorable de l'EFSA sont rares. En outre, ils ne sont pas irréversibles juridiquement, la Commission pouvant présenter un nouveau projet sous deux mois ou soumettre son projet à un comité d'appel56(*).

Surtout, la procédure de « comitologie » ne garantit pas à un État membre qui aurait voté contre l'autorisation que son marché domestique soit exempt du produit.

Une fois l'acte d'exécution publié au journal de l'Union européenne, l'autorisation est valable sur l'ensemble du marché intérieur, comme d'ailleurs généralement le droit de l'alimentation, qui relève pour l'essentiel de règlements européens, d'application directe. En effet, la finalité du règlement « nouveaux aliments » est explicitement d'« assurer le bon fonctionnement du marché intérieur tout en garantissant un niveau élevé de protection de la santé humaine et des intérêts des consommateurs » (article 1(2)).

Du reste, il ne serait pas possible d'appliquer un cadre national différent en raison du principe de libre circulation des marchandises inscrit dans les traités européens57(*) et sur lequel veille attentivement la Cour de justice de l'Union européenne.

La seule dérogation à ce principe pourrait provenir de mesures conservatoires de suspension de mise sur le marché qui seraient prises par un État membre pour prévenir « un risque sérieux pour la santé humaine, la santé animale ou l'environnement » et pallier l'inaction de la Commission. Ces « mesures d'urgence58(*) » nécessitent de l'État membre qui les prend une information officielle de la Commission et des autres États membres. S'agissant des nouveaux aliments en tant que tels, qui font l'objet d'une évaluation poussée de l'EFSA au regard de la sécurité sanitaire, cette hypothèse semble toutefois très peu probable et, de fait, il n'existe aucun précédent à ce jour.

Si des produits d`aliments cellulaires ne sont pas autorisés au sein de l'Union, l'importation de ces produits sera bel et bien interdite et le marché intérieur en sera par conséquent exempt, sous réserve que les contrôles à l'importation soient effectifs.

b) Un niveau d'exigence réglementaire moins élevé dans le reste du monde

Hormis dans les États « faillis », aucun État au monde ne permettrait la commercialisation des « aliments cellulaires » sans approbation préalable après évaluation de la sécurité sanitaire du produit.

En revanche, de l'avis des spécialistes entendus par la mission, le niveau d'exigence réglementaire n'est pas homogène d'une autorité réglementaire à l'autre, ce qui peut s'expliquer autant par des considérations culturelles, et notamment un rapport au risque différent.

Aucun dossier n'a été déposé en Europe à ce jour59(*). L'ensemble des personnes entendues par la mission soulignent que le processus d'autorisation de mise sur le marché européen est plus long et plus strict que celui en vigueur aux États-Unis et, a fortiori, à Singapour.

L'État de Singapour, connu pour son environnement favorable fiscal et réglementaire à l'innovation, est regardé par tous les spécialistes comme le plus accessible. La majorité des entreprises européennes interrogées déclarent viser ce marché en priorité.

L'annonce d'une pré-approbation aux États-Unis en novembre 2022, et d'une seconde en mars 2023, est toutefois, de l'avis des entreprises du secteur, plus significative que les autorisations données à Singapour, en raison du degré d'exigence plus élevé des autorités réglementaires américaines et de la taille plus significative du marché américain. Le marché américain est ciblé car l'attention portée à l'alimentation et à la protection des consommateurs y serait culturellement moins forte qu'en Europe.

L'EFSA rappelle qu'il n'existe pas de séparation entre risk management et risk assessment aux États-Unis60(*) et distingue « l'approche américaine, selon laquelle un produit qui n'est pas réputé dangereux est autorisé, de l'approche européenne, qui requiert la preuve que le produit est complètement inoffensif ».

La procédure d'autorisation aux États-Unis

La philosophie du règlement européen « nouveaux aliments » est inspirée de celle qui existe aux États-Unis depuis 1958. Dans ce pays, aux termes des sections 201(s) et 409 de la loi fédérale sur les aliments, les médicaments et les cosmétiques, la Food and Drug Administration (FDA) est compétente pour évaluer scientifiquement que de nouveaux aliments - non consommés avant 1958 - sont « généralement reconnus comme sûr (« generally recognized as safe », GRAS).

Aux États-Unis, où la mise sur le marché des « aliments cellulaires » n'a pas encore été définitivement approuvée, les régulateurs ont créé un cadre réglementaire spécifique aux aliments cultivés à partir de cellules animales.

Comme le rappelle Cellular Agriculture Europe, la procédure d'autorisation de mise sur le marché est seulement établie provisoirement dans un protocole d'accord61(*) entre les services compétents de la FDA et de l'USDA (U.S. Department of Agriculture, ministère de l'agriculture).

Il semble que dans ce cadre les entreprises « négocient » une à une avec les autorités réglementaires. C'est en suivant cette procédure que l'entreprise Upside Foods a obtenu en novembre 2022, après transmission d'informations complémentaires, une approbation de la FDA (« no questions ask letter ») sur les questions de sécurité sanitaire. La commercialisation ne sera toutefois possible qu'après l'approbation du ministère américain de l'agriculture (USDA) compétent en matière de règles d'inspection et d'étiquetage.

2. Le manque d'anticipation des pouvoirs publics et des filières en France contraste avec les initiatives en cours ailleurs dans le monde.

Outre la compétence, en tant que telle, d'autoriser ou non la mise sur le marché, les pouvoirs législatif et exécutif disposent d'autres leviers ayant une influence, directe ou indirecte, sur la manière dont la production et la consommation des aliments cellulaires peuvent ou non se développer.

a) En France, l'absence de stratégie concertée des pouvoirs publics et des filières présage un « stop-and-go » contre-productif
(1) La ferme opposition des ministres chargés de l'agriculture n'a pas empêché le soutien public à l'innovation en ce domaine

Les prises de position des pouvoirs publics sur le développement des aliments cellulaires sont très tranchées, mais contradictoires.

Ministre de l'agriculture et de l'alimentation en exercice entre juillet 2020 et mai 2022, M. Julien Denormandie, a déclaré très clairement et publiquement, à l'occasion de la première autorisation de mise sur le marché donnée dans le monde, son opposition à la « viande artificielle62(*) ».

Capture d'écran du compte https://twitter.com/J_Denormandie (27/02/2023)

Le Parlement s'est lui aussi rapidement fait l'écho de craintes sur les « aliments cellulaires », et a souhaité mettre rapidement des barrières symboliques à l'entrée de ces produits sur le marché français.

L'amendement « L'aile ou la cuisse »

Sur fond de polémiques sur les menus végétariens dans la restauration publique, l'article 254 de la loi Climat et résilience63(*), issu d'un amendement de l'ancien député LR Julien Aubert, interdit de façon préventive « les denrées alimentaires issues de cultures cellulaires ou tissulaires dérivées d'animaux » dans l'ensemble de la restauration publique : cantines scolaires, restaurants administratifs, prisons, EHPAD...

Extrait du compte rendu intégral des débats de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, 18/03/2164(*)

Plus récemment, alors que les travaux de la mission d'information de la commission des affaires économiques du Sénat venaient d'être lancés, l'actuel ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, M. Marc Fesneau, a, lui aussi, présenté une position extrêmement réservée sur les aliments cellulaires65(*).

Extrait de l'entretien du ministre de l'Agriculture à Valeurs Actuelles (12 janvier 2023)

Que répondez-vous à ceux qui veulent interdire le sucre ou qui investissent, à l'image de Xavier Niel, pour substituer à la viande des aliments de synthèse ?

« Au-delà des moyens financiers impressionnants qui sont parfois mis sur la table, il y a quelque chose de l'ordre de l'apprenti sorcier, sans recul scientifique pour le développement de la viande cellulaire. Cela ne gêne pas certains au motif qu'il faudrait crier haro sur l'élevage naturel. Les mêmes qui ont critiqué les OGM vous disent qu'on peut manipuler les cellules pour fabriquer de la viande. Et cela ne pose pas de problème éthique ? La viande cellulaire est pourtant une réelle manipulation du vivant : on reconstitue un aliment qui existe naturellement.

C'est plonger avant les temps préhistoriques, dans des temps qui n'ont jamais existé. Les mêmes qui vous parlent de "renaturation" veulent faire un monde sans activité humaine et sans animal. Au-delà, je suis gêné par la démarche d'injonction, de jugement binaire opposant des gentils et des méchants, ceux qui mangent de la viande et ceux qui n'en mangent pas... Je suis frappé par ceux qui prônent la tolérance mais ne respectent pas les majorités, et pas même les minorités qui ne pensent pas comme eux. Il ne faut pas chercher l'innovation pour l'innovation : elle doit aider les agriculteurs, à un coût acceptable, et non pas jouer contre eux, et assurer une réelle souveraineté. »

Compte tenu des moyens financiers colossaux déployés, comment défendre un modèle traditionnel d'alimentation ?

« Il faut connaître le sens profond qui se cache derrière ces démarches. Le monde risque de

se mettre dans les mains de quelques industriels qui décideront un jour de ne plus vous fournir, s'ils le veulent, en protéines animales. C'est pour cela qu'il faut défendre notre agriculture et notre élevage, à taille humaine et diversifiés. C'est une force et un atout pour les consommateurs, et la garantie de la qualité de l'alimentation produite. Ne croyons pas que ces nouveaux industriels déploieront des petites usines de production, ce seront des mastodontes ! Les mêmes qui critiquaient Monsanto laissent accréditer la thèse selon laquelle nous pourrions tous être nourris par des multinationales qui vont faire de la manipulation du vivant.

Cela ne vous surprendra pas qu'en tant que ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, je vous affirme que ce n'est pas la vision que je défends ni le modèle que je soutiens ! L'avenir et l'orientation de l'agriculture méritent mieux qu'un débat sur la viande cellulaire. Il faut parler formation, installation des jeunes, transition et capacité de penser la ferme France en 2030. C'est ma feuille de route. »

Dans le même temps, la banque de soutien à l'innovation Bpifrance a indiqué à la mission avoir dépensé 15 M€ d'aides au total au bénéfice de Gourmey et de Vital Meat, qui développent ce produit en France. Il semble que Gourmey, en tant que start-up, ait reçu davantage que Vital Meat, filiale d'un grand groupe. Ces diverses aides, qui se sont échelonnées en plusieurs financements, ont pris la forme de prêts, d'avances remboursables ou de subventions.

Justifiant ces investissements par la recherche d'autonomie protéique et la nécessité de rester à la frontière technologique (dans le cadre du plan deeptech), le pôle agriculture et agroalimentaire de Bpifrance s'est tout de suite senti obligé de relativiser l'effort financier que cela représentait pour la banque. Il a ainsi comparé ces 15 M€ aux 200 M€ dépensés chaque année dans les domaines de l'agriculture et de l'agroalimentaire, et aux 7 Md€ destinés à ces mêmes secteurs sur l'ensemble de la programmation de France 2030.

L'opérateur a en outre précisé que les fonds employés relevaient d'une enveloppe de la Commission européenne et non de crédits gouvernementaux des plans France Relance ou France 2030, laissant entendre que le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire aurait été moins favorable, voire aurait pu faire obstacle, à de tels financements.

Les services de la direction générale de la performance économique ont insisté sur la différence à leurs yeux entre le nécessaire soutien à la recherche, dans la tradition cartésienne et des Lumières de la France, et le soutien à l'application industrielle de cette recherche, qui peut susciter des réserves éthiques et qui devra faire l'objet d'une décision politique.

Après les financements sollicités au stade de l'amorçage et de l'incubation, les entreprises du secteur cherchent des aides à l'application industrielle. Ainsi, l'entreprise Gourmey a candidaté fin 2022 à l'appel à projets « première usine66(*) », dans le cadre du plan France 2030.

Si, conformément à la doctrine France 2030, les ministères ne sont pas décisionnaires pour les projets de moins de 10 millions d'euros de budget, dans ce cas présent, le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a demandé et obtenu du comité de pilotage ministériel opérationnel du 9 février le rejet de ce dossier pour deux motifs :

- d'abord, en raison de l'absence d'autorisation réglementaire Novel Food à ce jour ;

- ensuite, en raison du manque d'incitativité financière, dans la mesure où l'entreprise a récemment levé 48 millions d'euros.

Pour ajouter à ces contradictions, en mars 2023, un projet de rapport de la commission Agriculture et développement rural du Parlement européen, sur la stratégie de l'UE en matière de protéines, présente « l'agriculture et les produits de la mer cellulaires » comme « des solutions prometteuses et innovantes67(*) ». Enfin, le cabinet du commissaire européen à l'agriculture a indiqué dans un courrier que le programme Horizon Europe finançait, via deux programmes (Giant Leaps et Like A Pro), la recherche sur cette technologie, à hauteur de 25 millions d'euros, pour « mieux connaître et comprendre la capacité des protéines de substitution à contribuer aux objectifs de la stratégie De la ferme à la fourchette et à représenter une source viable de protéines », tout en précisant qu'il ne s'agit pas de « contribuer au développement du marché de ce type de produit ».

(2) Une doctrine interministérielle cohérente, conciliant ces deux approches contradictoires des « aliments cellulaires », fait encore défaut

Parmi les propos tenus par M. Marc Fesneau dans Valeurs Actuelles pendant la conduite des travaux, il faut regretter en particulier l'idée, caricaturale, selon laquelle « l'avenir et l'orientation de l'agriculture méritent mieux qu'un débat sur la viande cellulaire ».

Les auditions et déplacements sur le terrain ont au contraire permis de mesurer l'intérêt des débats soulevés par ce sujet, qui vont bien au-delà de ce seul sujet.

Cette prise de position apparaît caractéristique de ce que l'étudiant Paul Margaron et le directeur de l'École de Guerre Christian Harbulot pointent dans leur rapport :

- le manque d'anticipation des pouvoirs publics et des filières agricoles, qui ont donné l'impression de voir dans les « aliments cellulaires » un problème lointain et marginal ;

- et le manque de concertation entre niveaux de décisions (collectivités, État, UE) et thématiques (agriculture, innovation, transition écologique, industrie)

b) Par contraste, d'autres pays hésitent de moins en moins à appuyer l'innovation en ce domaine

La cartographie des investissements dans ce secteur fait apparaître les États-Unis (699 millions de dollars investis) et Israël (475 M$), ainsi que dans une moindre mesure l'Union européenne (76 M$), Singapour (41 M$) et le Royaume-Uni (36 M$) comme les pôles de maîtrise de cette technologie.

Source : Good Food Institute, Rapport sur l'état du secteur, 202168(*).

(1) Le rôle précurseur de pays disposant de faibles surfaces agricoles utiles

Parmi les précurseurs en matière de production d'« aliments cellulaires », figurent plusieurs pays limités par de fortes contraintes sur leur production agricole, tels que les Pays-Bas, Singapour ou Israël.

Les Pays-Bas, sur fond de crise de leur modèle agricole, soutiennent la structuration d'une filière d'« aliments cellulaires », devenant, de fait, l'acteur principal dans ce domaine en Europe. Le Gouvernement a débloqué en 2022 une enveloppe de 60 millions d'euros, dans le cadre de son fonds national de croissance, pour financer une plateforme publique de recherche fondamentale. Par ailleurs, l'industrie cellulaire est explicitement l'un des cinq piliers de la stratégie néerlandaise pour l'autonomie protéique.

En Israël, l'Autorité de l'innovation a inauguré en avril 2022 le plus grand consortium au monde pour les aliments cellulaires, composé de 14 entreprises69(*) et de 10 universités et centres de recherche. Destiné à favoriser le passage à l'échelle du processus de production et la réduction des coûts de production, ce consortium bénéficie d'un financement de 17 millions d'euros sur trois ans70(*).

En Corée du Sud, un protocole d'accord a été signé entre des entreprises, des universités et des collectivités territoriales, prévoyant notamment un centre de recherche et une zone exempte de réglementation, à Uiseong, afin de présenter le produit plus facilement au public71(*).

(2) L'opportunisme de grandes puissances agricoles

Le ministère de l'agriculture des États-Unis (USDA) a accordé en octobre 2021 une subvention de 10 millions de dollars sur 5 ans à l'université Tufts (Massachusetts) pour lancer en son sein un centre de recherche dédié aux « aliments cellulaires », le National Institute for Cellular Agriculture72(*). Précédemment, l'État de Californie avait accordé 5 millions de dollars à trois campus de l'Université de Californie (Berkeley, UC Davis et UCLA).

Les entreprises du secteur interprètent également un décret du président des États-Unis de septembre 2022, demandant à son administration un rapport sous six mois sur les perspectives des biotechnologies73(*), y compris par la perspective de « cultiver des sources alimentaires alternatives », comme un soutien à l'industrie cellulaire - celle-ci n'est toutefois pas mentionnée explicitement.

En Chine, le « plan national de développement des sciences et technologies agricoles et rurales74(*) » (2021-25), présenté en janvier 2022 par le ministère de l'agriculture et des affaires rurales, mentionne l'« agriculture cellulaire ».

C. À LA CROISÉE DU GOÛT, DU PRIX ET DES HABITUDES CULTURELLES, C'EST L'ACCEPTABILITÉ DU CONSOMMATEUR QUI DÉFINIRA IN FINE LE SUCCÈS OU NON DE CE PRODUIT

Pour Étienne Duthoit, directeur général de Vital Meat, l'acceptabilité des consommateurs est l'un des quatre grands défis du secteur.

Conscientes des fortes réserves qui entourent leurs produits dans la population, les entreprises développant des « aliments cellulaires » déploient d'importants efforts de communication afin de les faire connaître et d'en vanter les mérites.

À en croire Gilles Candotti, de Mosa Meat, « à la fin, le goût, le prix et les habitudes culturelles seront les facteurs déterminants » de la diffusion ou non des « aliments cellulaires ».

1. Les qualités organoleptiques intrinsèques du produit seront la condition sine qua non de son succès

Dans une étude de 2023, le chercheur Sghaier Chriki et ses collègues récapitulent dans le tableau suivant les différentes dimensions de la comparaison organoleptique entre « aliments cellulaires » et viande issue de l'élevage.

Source : Bourdrez et Chriki, 202375(*)

a) En l'absence d'échantillons suffisamment larges et fiables, il demeure difficile de se prononcer sur le goût du produit en tant que tel

Naturellement, les entreprises du secteur soulignent les qualités organoleptiques de leurs produits, en particulier pour les différencier de l'offre de substituts végétaux, et insistent sur les retours, d'après eux positifs, de chefs cuisiniers. La contrepartie de cette promesse, selon M. Chriki, est que « les attentes des consommateurs pour cette alternative sont plus fortes [que pour les analogues végétaux ou les insectes] puisqu'ils s'attendent à retrouver une copie identique de la viande ».

Or, lors de l'audition plénière du 8 février, le chercheur Jean-François Hocquette est allé jusqu'à dire qu'il pourrait y avoir « autant de différence entre le jus de raisin et le vin qu'entre la viande cultivée et la viande » car le processus de maturation propre à la viande76(*) ne serait pas pris en compte pour les aliments cellulaires, dans la mesure où la culture cellulaire conduit à la production de fibres musculaires, et non de viande maturée. En outre, un profil de gras déséquilibré entre acides gras saturés ou insaturés dans les « aliments cellulaires », au profit des omega-3, pourrait accélérer le rancissement du produit, dans la mesure où les antioxydants apportés par l'alimentation des animaux ne sont pas présents.

Il est difficile de se prononcer à cet égard sans avoir soi-même goûté le produit, en raison de l'adage selon lequel « des goûts et des couleurs, on ne discute pas » (de gustibus et coloribus non est disputandum).

Pour autant, des dégustations de leurs produits sont organisées par les entreprises à destination de chercheurs ou de journalistes. Spécialiste de la qualité sensorielle de la viande et, partant, habituée à ce type de tests, Mme Ellies a pu goûter le produit et admet « avoir éprouvé un certain plaisir » lors de la dégustation, ajoutant que « le goût de la viande était là ».

Elle attribue toutefois ce goût « grillé » à la réaction de Maillard77(*) qui a lieu lors de la cuisson, et précise que le produit était, comme souvent, intégré dans une recette. De ce fait, elle met en garde sur la difficulté à séparer le goût du produit de celui de la sauce.

M. Hocquette confirme le plaisir qu'il a lui-même éprouvé en dégustant le produit mais ajoute que ce plaisir provient aussi « du caractère exceptionnel de goûter un produit rare ».

Les dégustations sont autorisées dans certains pays sous certaines conditions

Le Good Food Institute recense dans son rapport annuel sur l'état du secteur de la « viande cultivée78(*) » les événements de dégustation (public tastings ou samplings) organisés dans le monde. On peut ainsi noter que, de façon symbolique, le Premier ministre et le président israéliens ont tous deux goûté des aliments cellulaires, que près des ¾ des participants à une dégustation du poulet cellulaire de SuperMeat en Israël ont préféré ce produit à du poulet conventionnel, ou encore qu'un client a trouvé le porc cellulaire de l'entreprise chinoise CellX « un peu fade79(*) ».

En l'absence de produit commercialisé pour que les consommateurs se fassent leur propre opinion, les entreprises du secteur souhaitent pouvoir organiser des dégustations à destination du grand public, tant pour affiner leurs études de marché que pour « banaliser » le produit. Cette possibilité est toutefois variable d'une législation à l'autre. Il semble qu'elle soit autorisée en Allemagne, en Israël et en Chine, mais pas aux États-Unis et « dans une zone grise » en France.

Enfin, elle est en cours d'autorisation aux Pays-Bas. Une motion présentée par deux des partis de la coalition libérale au pouvoir aux Pays-Bas (Démocrates 66 et Parti populaire pour la liberté et la démocratie) a été adoptée à une très large majorité par la Chambre des représentants en mars 2022 « pour qu'un espace expérimental soit offert aux producteurs de viande cultivée80(*) ». En particulier, elle « demande au gouvernement d'entamer des consultations avec les producteurs néerlandais de viande de culture, pour permettre des dégustations dans des conditions contrôlées et sûres, comme c'est déjà le cas en France et en Allemagne81(*). » Même s'il n'est pas besoin de modifier la loi, l'autorité néerlandaise de sécurité alimentaire NWVA) doit encore définir les modalités de ces dégustations, pour les employés ou les personnes extérieures.

b) Les entreprises sont à ce stade incapables de reproduire la texture complexe d'une pièce entière de viande

La structuration des « aliments cellulaires » est l'un des principaux défis techniques du secteur.

De l'aveu de certaines des entreprises, qui n'ambitionnent pas plus que la production de matière première pour les industries agroalimentaires, la texture du produit serait, dans leur cas, proche de celle d'une pâte grumeleuse ou de celle d'un yaourt.

Même pour les entreprises visant l'élaboration de produits finis, le steak haché et les boulettes de boeuf, les nuggets de poulet ou encore le poisson sont le plus souvent visés, en raison de leur texture plus facile à reproduire. Il semble qu'un échantillon représentatif de ce que produisent les entreprises du secteur serait aujourd'hui proche du steak haché.

Il est toutefois possible de reproduire des fibres, le produit goûté par Mme Ellies-Oury étant même, d'après elle, « très filandreux, filamenteux, tellement élastique qu'il est difficile de le casser avec les dents ».

Toutefois, les preuves de concept s'apparentent aujourd'hui davantage à une lamelle de carpaccio (d'une épaisseur d'environ 5 mm), et les rares entreprises qui souhaitent imiter des pièces de viande entières - en particulier Mosa Meat et Aleph Farms - admettent qu'il leur faudra encore de nombreuses années avant d'envisager la production à grande échelle d'une entrecôte, d'une cuisse de poulet ou d'une côte de porc.

c) L'apparence du produit est proche de la viande conventionnelle, au prix d'une transformation du produit

La mission d'information a pu voir des lots réfrigérés de saucisses de porc cellulaire (hybrides avec du végétal) de Meatable et de protéines de poulet cellulaire de Vital Meat, qui ne présentaient pas de différence particulière avec des saucisses de porc ou des morceaux de filet de poulet.

Il faut toutefois rappeler qu'au premier steak d'aliments cellulaires présenté publiquement au monde, avant la création de Mosa Meat, avaient été ajoutés « de la chapelure, du jus de betterave, du safran ou encore de la poudre d'oeuf82(*) » pour colorer et texturer le produit.

Les entreprises du secteur s'efforcent de présenter leur produit parmi d'autres ingrédients, plus familiers des consommateurs, une étude menée au Portugal ayant permis de montrer que la désirabilité du produit augmentait dans ce cas.

Capture d'écran de la vidéo de présentation du premier steak haché de boeuf cellulaire en 2013

Poulet d'Upside Foods

Steak tartare de Mosa Meat

d) Les « aliments cellulaires » ne pourront répondre, par définition, aux attentes de naturalité

La critique selon laquelle les aliments cellulaires éloigneraient les consommateurs de la naturalité des produits a souvent été entendue au cours des travaux de la mission.

Exprimées par le sénateur Laurent Duplomb lors de l'audition plénière, ce sont des aspirations culturelles fortes : « durant ma jeunesse, dans les années 1970-1980, on nous expliquait que, après l'an 2000, nous mangerions tous des cachets et que l'alimentation ne serait plus un plaisir. Or il s'est passé l'inverse : les consommateurs français ont exigé des circuits courts, des AOP, une traçabilité des produits, une forme de bien manger... »

Il est vrai que la production d`aliments cellulaires est un processus impliquant par nature un degré important de transformation, des cellules animales étant prélevées, placées dans un bioréacteur et « nourries » avec un milieu de culture composé de plusieurs dizaines de macro et micronutriments. Cette étape de quelques semaines en usine contraste avec l'image bucolique évoquée par le sénateur Laurent Duplomb « de la viande de bovin vivant, courant dans les prés et étant élevé par des agriculteurs. »

De façon contestable, certaines entreprises du secteur considèrent que ces nutriments ne seraient pas des additifs, assimilant la production d'« aliments cellulaires » à une simple reproduction, en dehors de l'animal, de la croissance musculaire ayant lieu, dans le cas de l'élevage, au sein de l'animal. Elles cherchent en outre à relativiser l'ampleur de cette transformation, en comparant leurs procédés de fabrication à des processus de transformation plus familiers, comme la fermentation par des levures, et promeuvent un vocabulaire moins connoté (« fermenteurs » au lieu de « bioréacteurs », « croissance » au lieu de prolifération, « culture » au lieu de in vitro).

Il y a tout lieu de croire que la dissonance cognitive existant actuellement dans la consommation de viande issue de l'élevage83(*) existerait aussi dans le cas du processus de production d'« aliments cellulaires », qui évoque davantage le laboratoire que la ferme.

En revanche, les effets négatifs de l'ultra-transformation en tant que telle sur la santé appellent des démonstrations supplémentaires84(*), ses effets délétères semblant davantage attribuables à l'usage de tel ou tel additif qu'à la transformation alimentaire en tant que telle.

Les entreprises rappellent enfin qu'il entrerait vraisemblablement moins d'ingrédients et d'additifs dans la production d'« aliments cellulaires » que dans la fabrication d'analogues végétaux cherchant à imiter la viande.

2. Le baisse des coûts de production des aliments cellulaires sera déterminante pour la viabilité économique du secteur
a) Un produit qui restera nécessairement « haut de gamme » lors de son lancement en raison de ses coûts de production élevés

La première « preuve de concept » de steak haché de boeuf cellulaire présentée au grand public85(*) a coûté environ 300 000 € le steak de 80 g, un coût de production qui ne permet pas, en tout état de cause, d'envisager sa commercialisation, même à très petite échelle. La plupart des nouvelles technologies connaissent toutefois des courbes de baisse de coût de production rapide.

Ainsi, comme l'indiquent les chercheurs MM. Hocquette, Chriki et Mme Ellies-Oury, « une boulette de `viande in vitro' coûtait86(*) en 2016 `seulement' 36 000 euros le kg et le steak développé par la société Aleph Farms coûtait 46 euros pour une tranche de 5 mm d'épaisseur en 2018. Selon le Good Food Institute, les coûts actuels de production resteraient 100 à 10 000 fois plus élevés » que dans le cas de la viande d'élevage.

Interrogée par la mission sur l'évolution de ces coûts de production depuis cinq ans, la société Aleph Farms a seulement indiqué que « lors de son lancement le `steak' aura un prix de vente similaire à celui du boeuf très haut de gamme (autour de 100-150 $/kg), avec l'objectif d'atteindre la parité des prix avec un steak de boeuf conventionnel quelques années après le lancement ».

À ce stade, le niveau de prix est une information confidentielle, sur laquelle les entreprises ne souhaitent pas communiquer. La production étant encore en phase de recherche et développement et de quelques centaines de kg par an seulement, les prix au kg ne soutiennent manifestement pas la concurrence des produits d'origine animale disponibles sur le marché.

Le cabinet CE Delft87(*) a estimé dans une analyse économique88(*) parue en février 2021 qu'aux prix actuels du marché, les coûts de production de la viande de culture, si elle devait être immédiatement commercialisée, seraient selon les hypothèses retenues89(*) de 149 $/kg à 22 423 $/kg, et de 1 707 $/kg dans le scénario central.

Source : CE Delft [échelle logarithmique]

Le milieu de culture (en vert et en rouge dans le graphique, dans les catégories « prolifération » et « différenciation et maturation »), représente de façon très majoritaire le principal poste de dépense. Plus de 99 % du coût de ce milieu de culture correspond aux protéines recombinantes (albumine, insuline et transferrine) et aux facteurs de croissance (facteurs de croissance des fibroblastes, et facteurs de croissance transformants) qui correspondent.

Dans les trois scénarios les plus optimistes, le coût de production chuterait aux alentours de 6 $ à horizon 2030, grâce à une réduction drastique du coût du milieu de culture, qui serait obtenue par une baisse des volumes et du prix de ces composants, un défi technique. Dans cette hypothèse, la maintenance et la main-d'oeuvre resteraient les principaux postes de dépenses.

Dans cette étude, « la ventilation des résultats pour les différents types de viande n'a pas été effectuée, afin d'assurer la confidentialité des données. » Or, les coûts de production des aliments cellulaires seraient tout juste comparables au prix de vente des productions animales.

Cela tend à confirmer l'idée selon laquelle les aliments cellulaires seraient cantonnés à un statut de produits « de niche », réservés par leurs caractéristiques et notamment leur coût à une population aisée, à l'instar du boeuf de Kobe ou du foie gras.

MM. Hocquette, Chriki et Mme Ellies-Oury notent en dix ans une inflexion dans le discours promotionnel des entreprises développant des « aliments cellulaires », la « révolution alimentaire » promise s'étant muée en innovation complémentaire. Selon les chercheurs, ce changement de discours s'expliquerait autant par une stratégie de communication liée à la recherche d'une meilleure acceptabilité socio-économique de ces produits, que par le constat d'obstacles techniques et économiques.

Pour ces raisons de coûts, il est très plausible que les produits commercialisés seront des hybrides.

b) L'insertion dans le patrimoine culinaire de la France : un destin d'éternel second similaire à la margarine ?

L'insertion des « aliments cellulaires » dans les circuits de distribution classiques sera un aspect clé de leur « banalisation » et, partant, de leur intégration régulière, par les consommateurs, dans leur régime alimentaire.

À cet égard, la restauration hors foyer pourrait jouer dans les premières années un rôle crucial, pour deux raisons.

D'une part, s'agissant d'un nouvel aliment, l'intermédiation de professionnels de l'alimentation tout au long de la chaîne alimentaire serait de nature à rassurer le consommateur sur le produit ingérer. Le cuisinier jouerait en quelque sorte le rôle de tiers de confiance, autant par sa maîtrise de la sécurité sanitaire des produits que par sa capacité à cuisiner ces derniers de la meilleure des façons.

D'autre part, la restauration est dépositaire d'un patrimoine gastronomique et, souvent, d'une certaine excellence. Par association à son image de marque, la restauration est en mesure de rendre le produit plus désirable qu'il ne l'est actuellement et de légitimer sa place dans nos assiettes.

Les entreprises développant le produit ne s'y sont pas trompées, la plupart d'entre elles comptant des cuisiniers dans leurs équipes ou ayant, à tout le moins, développé des partenariats avec des cuisiniers, en ciblant en particulier des chefs étoilés.

Le cofondateur et président de Gourmey, Nicolas Morin-Forest, a ainsi voulu souligner lors de l'audition plénière, que « l'expérience gustative de [son] produit s'inscrit dans une forme de savoir-faire et de nouvelle tradition ; il a été développé avec des chefs et des personnalités du monde culinaire, qui ont reconnu des propriétés sensorielles proches du foie gras ». De même, l'entreprise Vital Meat organise des dégustations avec le chef étoilé breton Jean-Marie-Baudic.

Pour autant, l'insertion des « aliments cellulaires » dans le patrimoine gastronomique reste un défi pour le secteur, tant elle reste associée à « la massification de l'industrialisation de notre nourriture, à la mondialisation et à l'appauvrissement culturel », selon les mots du chef étoilé Thierry Marx, entendu lors de l'audition plénière du 8 février 2023.

Du reste, d'aucuns ont affirmé à la mission que ce défi serait d'autant plus difficile en Europe du Sud, où l'alimentation conserverait une dimension culturelle plus forte, par opposition aux « pays anglo-saxons ». Cette région ne semble pas, en effet, représenter le terreau le plus fertile à l'expansion des « aliments cellulaires », des recherches récentes tendant à montrer que les consommateurs britanniques auraient une propension plus forte que les consommateurs français et espagnols à payer un prix élevé pour consommer un burger contenant un steak d'« aliments cellulaires90(*) ».

Entrevoyant, avec les « aliments cellulaires », « l'industrie agroalimentaire qui veut du low cost pour les plus modestes », M. Thierry Marx a déploré que l'on « ramène tout à la consommation et au prix, et plus assez à la culture. Savoir manger, c'est savoir être, redonner du sens à son alimentation. Se restaurer a du sens en matière de lien social. Sinon, on peut aussi se nourrir par perfusion à la Pitié-Salpêtrière ! » Interrogé par la sénatrice Évelyne Renaud-Garabedian, il a confirmé, sans surprise, qu'il ne mettrait pas le produit à sa carte.

Finalement, c'est peut-être par les vecteurs de la restauration hors foyer (RHF) et de l'industrie agro-alimentaire que l'acceptabilité des « aliments cellulaires » pourrait être la plus naturelle. C'est en effet en RHF et dans les produits transformés que se concentre aujourd'hui la consommation de viande, sous une forme que plusieurs rapports désignent comme des « viandes cachées91(*) ».

En effet, comme l'a indiqué M Eienne Duthoit, directeur général de Vital Meat, une bonne partie de la production serait destinée à l'industrie agro-alimentaire, et viendrait s'insérer dans des préparations comprenant différents ingrédients, notamment des protéines végétales apportant la texture, et auxquelles une « pâte » d'aliments cellulaires apporterait le goût et les valeurs nutritionnelles faisant défaut, pour aboutir à des produits peu onéreux tels que des pizzas, cordons bleus ou encore nuggets.

Dilués dans une vaste liste d'ingrédients, les « aliments cellulaires » pourraient ainsi rentrer dans les habitudes alimentaires des consommateurs, mais sans accéder au statut auquel certaines entreprises prétendent, de viande à part entière.

La « viande cellulaire » : un destin d'éternel second similaire à la margarine ?

« En 1869, le chimiste Hippolyte Mège-Mouriès invente le premier substitut industriel d'un produit alimentaire, la margarine. Meilleur marché que le beurre (ce que la publicité souligne), cette émulsion de graisse de boeuf - et bientôt d'huile végétale - est autorisée à la vente en 1872. Immédiatement affublée du nom de `beurre du pauvre', un publicitaire juge futile la réclame pour la margarine dans les quartiers aisés. Les lobbies agricoles visent à limiter la commercialisation du `beurre artificiel'. La compétition est rude et va jusqu'à des manifestations paysannes contre la vente du `beurre du fraudeur'. L'opprobre ne colle pas : face aux beurres frelatés, la margarine apparaît comme une denrée hygiénique ; face à la stigmatisation, les politiciens de gauche s'opposent à sa taxation en vertu de son importance dans les paniers des ménages modestes. Finalement, c'est au droit de trancher. La loi mandate, à travers le monde, une identification claire des deux produits sur les étiquettes et elle interdit leur mélange. »

Extrait d'Histoire de l'alimentation. De la préhistoire à nos jours, Florent Quellier (dir.), Belin, Passés composés, 2021.

3. Les « aliments cellulaires » resteraient au moins dans un premier temps cantonnés à un marché de niche, même s'il demeure difficile d'évaluer a priori le comportement des consommateurs

De même qu'il est difficile d'évaluer a priori l'impact environnemental d'une industrie encore à naître, évaluer la sensibilité de la demande à une offre non disponible en France et en Europe est un exercice nécessairement complexe. De nombreuses études et enquêtes ont été réalisées, que ce soit par des acteurs économiques soucieux de s'aménager des débouchés et de convaincre des financeurs, que par des organismes de recherche publique comme l'INRAE ou encore des instituts de sondage comme l'Ifop.

Membre de l'Académie vétérinaire de France, Mme Anne-Marie Vanelle sur la « fiabilité relative des enquêtes auprès des consommateurs potentiels étant donné qu'aucune viande in vitro n'est actuellement autorisée en Europe ». Ces études portent sur des échantillons variés et aboutissent nécessairement à mettre en avant des facteurs d'acceptabilité également variés : prix, qualités gustatives, niveau d'éducation et de connaissance des nouvelles technologies, sexe, nationalité, niveau de revenu, lieu d'habitation (urbain ou rural). La protection de l'environnement et le bien-être animal, pour non négligeables qu'ils soient, ne semblent pas être au coeur de la décision d'achat des personnes interrogées92(*).

En revanche, il est possible d'analyser plus finement le degré d'attachement des consommateurs à la viande. Selon une étude Ifop réalisée pour le compte de FranceAgrimer en 202093(*), l'attachement à la viande reste fort chez les Français. Portant plus précisément sur les végétariens et les fléxitariens, cette étude souligne que « la population végétarienne demeure marginale, mais la portée des idées s'étend sur d'autres catégories qui limitent plutôt qu'elles n'excluent la viande ». L'étude montre que d'une part les Français demeurent très attachés à la viande (89 % aiment la viande), tout en étant de plus en plus sensibles aux débats sociétaux relatifs à l'environnement, à l'impact d'une consommation excessive sur la santé, ou encore au bien-être animal. C'est bien en s'appuyant sur ces réflexions qui parcourent une part non négligeable du corps social, notamment les jeunes et les catégories urbaines et aisées, que le discours sur les aliments cellulaires auprès des consommateurs pourrait s'appuyer.

Source : enquête Ifop de 2020

Comme le souligne le chercheur M Jean-François Hocquette dans sa contribution écrite, « si, d'après de nombreuses enquêtes, les sondés se disent en majorité prêts à gouter la « viande de culture », c'est surtout par curiosité et cela ne préjuge en rien de leur souhait de la consommer régulièrement ». Particulièrement dans un pays attaché à certaines valeurs gastronomiques, cette viande « est généralement perçue comme non naturelle et en rupture avec nos valeurs gastronomiques ».

Au-delà de son prix et de ses qualités intrinsèques, l'enjeu communicationnel n'est pas à éluder. Comme l'a souligné Jocelyne Porcher, le public n'est pas donné, mais construit, notamment par la publicité et les slogans : « mangez du boeuf », « buvez du lait ». De la même manière, les acteurs économiques, ainsi que certaines ONG, tentent de construire leur public. Ainsi, une étude montre que les consommateurs avaient des dispositions plus positives vis-à-vis de la viande artificielle au contact de slogans tels que « viande propre » ou « viande sans animaux ». À l'inverse, la mise en avant de l'aspect technologique de cette production serait de nature à éloigner davantage le consommateur94(*). Une autre étude souligne en revanche que la connaissance du public de ces technologies ainsi que la perception des risques sanitaires afférents influencent l'attitude de rejet ou d'acceptation des « aliments cellulaires95(*) ».

Ainsi, s'il est peu probable que les aliments cellulaires révolutionnent les rayons des supermarchés en France, en admettant qu'ils soient proposés à un prix abordable, il n'y a aucune raison de penser qu'ils ne parviennent pas à trouver un public de niche, mais de nature à assurer les premiers débouchés d'une industrie naissante. Si les consommateurs déclarant adopter un régime sans viande ne représentent que 2,2 % de l'ensemble, il s'agit tout de même de plus d'un million de consommateurs potentiels, à ajouter aux 24 % se déclarant flexitariens et dont une part impossible à quantifier a priori pourrait se montrer intéressée par l'émergence d'une nouvelle alternative à la viande d'élevage.

Par ailleurs, certaines productions agricoles fortement critiquées telles que le foie gras, pourraient pâtir de l'émergence d'une alternative permettant de solutionner le dilemme « plaisir versus question éthique ».

La concurrence avec les autres alternatives à la viande déjà bien installées sur le marché, et proposant des produits en progrès constants96(*), pourrait en revanche affecter directement cet éventuel débouché.

Les perceptions sont variables d'une société à l'autre, même si les réticences sont partout très marquées. L'étude du comportement des consommateurs au sein des pays les plus avancés en matière d'autorisation de mise sur le marché, tel que Singapour ou les États-Unis, permettra sans doute d'anticiper davantage la réception de ces produits en France et en Europe.

III. LES ALIMENTS CELLULAIRES SONT UNE INNOVATION PROMETTEUSE SUR LE PAPIER, MAIS EN AUCUN CAS INDISPENSABLE DANS LA TRANSITION ALIMENTAIRE, ET NON SANS IMPACT SUR L'ÉLEVAGE

Les promoteurs des « aliments cellulaires » insistent particulièrement dans leur communication sur l'« impact positif » que la diffusion de cette technologie pourrait avoir sur la société. Suivant une approche comparatiste avec l'élevage, la mission a souhaité prendre au mot ces promesses et vérifier leur caractère plausible ou non.

À cet égard, il convient d'abord de rappeler que cet impact sera fonction de la diffusion du produit, nécessairement limitée par les capacités de production et le coût dans les premières étapes. Dans les scénarios les plus optimistes, cette diffusion atteindrait 0,08 % de la production mondiale de viande en 202797(*), ce qui doit conduire à relativiser l'impact à court terme des « aliments cellulaires ».

Il est important de noter ensuite les difficultés méthodologiques posées par la comparaison entre « l'élevage », un mode de production recoupant des réalités extrêmement différentes, et la fabrication des « aliments cellulaires », une technologie en phase de R&D qui n'est pas encore mature. À cela s'ajoute le manque de données fiables et d'études neutres.

Ces considérations mises à part, les « aliments cellulaires » semblent pouvoir être sous certaines conditions une innovation utile, mais en aucun cas indispensable, et dont il faut bien mesurer les conséquences sur l'élevage.

A. UN NOUVEAU MARCHÉ DONT L'IMPACT SUR LE BIEN-ÊTRE ANIMAL, L'ENVIRONNEMENT VOIRE SUR LA SANTÉ POURRAIT ÊTRE PLUS FAVORABLE QUE CELUI DE L'ÉLEVAGE

1. Les opportunités liées au développement de ce produit sont d'abord économiques
a) La compétition mondiale pour rester à la « frontière technologique »

Selon les entreprises du secteur, la question n'est probablement pas tant de savoir si le produit doit être autorisé ou non en France - la décision revenant à la Commission européenne -, mais plutôt de savoir s'il faut prendre part à la compétition mondiale, ou laisser les États-Unis, Israël et les Pays-Bas le faire à notre place et arriver sur notre marché sans que nous ne maîtrisions la technologie. Il a souvent été rappelé que le capital de Vital Meat est à ce jour 100 % français, et celui de Gourmey 100 % européen.

L'analogie a aussi souvent été faite avec les organismes génétiquement modifiés, dont la culture est interdite au sein de l'Union européenne, mais qui sont pour autant majoritaires dans l'alimentation animale importée.

L'économiste Nicolas Treich, favorable au développement des « aliments cellulaires », souligne en effet qu'il existe avec ceux-ci, en raison de coûts d'entrée élevés sur le marché et de rendements d'échelle constants voire croissants, « un potentiel de monopole naturel » voire une situation de « winner-takes-all » typique de l'économie immatérielle98(*).

De ce fait, Bpifrance et les services de la Commission européenne insistent, pour justifier le soutien financier apporté au développement de cette innovation de rupture, sur le « coût de l'inaction ». Il serait nécessaire de rester à la frontière technologique dès les premiers développements du procédé, faute de quoi nous serions rapidement désarmés et tomberions de façon irréversible dans la dépendance technologique, à l'instar de ce qui a pu se passer dans les nouvelles technologies de l'information et de la communication.

L'économiste Thomas Philippon est représentatif de cette façon de penser, plaçant l'innovation et la suprématie technologique dans la compétition internationale avant les autres considérations. Dans une tribune parue dans Les Échos, il pose la question de savoir « pourquoi l'Italie n'a pas créé Starbucks, pourquoi l'Allemagne n'a pas créé Tesla, pourquoi les Pays-Bas n'ont pas créé Amazon et pourquoi la France semble décidée à rater la prochaine révolution agricole », concluant, au sujet des « aliments cellulaires » : « dans vingt ans, les mêmes décideurs qui se plaignent aujourd'hui des Gafam se plaindront de la domination du marché florissant des viandes non animales par des entreprises étrangères. Et la réponse à ce constat sera : parce qu'ils auront innové, et que nous n'aurons fait que nous plaindre99(*). »

Enfin, le marché de la viande à l'échelle mondiale est considérable, et si les entreprises d'aliments cellulaires venaient capter ne serait-ce qu'une petite part de ce marché, leurs gains financiers pourraient être considérables. Dans les hypothèses les plus optimistes du cabinet McKinsey à horizon 2030, les aliments cellulaires satisferaient environ 0,56 % de la demande mondiale en protéines animales, mais représenteraient néanmoins un marché de 25 Md$ d'ici 2030, pour plus de 2,1 millions de tonnes produites.

Il conviendrait donc, selon les promoteurs des « aliments cellulaires », de ne pas se priver de ces opportunités économiques.

b) Une réponse aux défis de l'autonomie protéique et de la souveraineté alimentaire

Au-delà de l'intérêt en termes de parts de marché et de débouchés économiques, les « aliments cellulaires » se présente également comme une réponse au défi plus spécifique de l'autonomie protéique.

À regarder la production et la balance commerciale agricoles, l'agriculture et en particulier l'élevage sont toujours des avantages comparatifs de l'économie française, en dépit d'une lente érosion de la position française sur les dernières années100(*).

La France reste en effet le premier producteur agricole européen, pour une valeur de 81,6 Md€, et sa balance commerciale demeure excédentaire de 8 Md€, grâce à une importante surface agricole utile et au savoir-faire de filières solidement structurées.

Pour prendre l'exemple de la filière bovine, la France demeure la première productrice de viande en volume, et son excédent commercial est de près d'1 Md€.

La situation n'est toutefois pas identique dans toutes les filières. Ainsi, un poulet sur deux consommé en restauration hors foyer est issu de l'importation.

Plus généralement, à l'heure actuelle, l'Union européenne et la France importent davantage de calories qu'elles n'en produisent. En particulier, la majeure partie des protéines végétales consommées en France, pour l'alimentation animale (feed) ou humaine (food) est issue de l'importation. À titre d'exemple, 90 % des tourteaux de soja consommés par les bovins et la volaille de chair et de ponte au sein de l'UE sont importés, avec une forte concentration de l'approvisionnement en Amérique du Sud.

Cette situation de dépendance est pointée depuis plusieurs années et a donné lieu à l'élaboration de stratégies nationales pour l'autonomie protéique au sein de l'UE depuis 2018. Cette vulnérabilité a repris une acuité particulière à la lumière de la guerre en Ukraine, poussant la Commission européenne à annoncer la mise au point de sa propre stratégie.

En raison de l'efficience de son ratio de conversion des « protéines végétales » en « protéines animales », les « aliments cellulaires » prétend limiter cette dépendance aux importations. Cela ne serait vrai qu'à condition de s'assurer de la maîtrise de l'approvisionnement en nutriments pour le milieu de culture et des équipements de production.

De façon plus prospective, les aliments cellulaires produits sur le territoire national pourraient contribuer positivement à la balance commerciale de notre pays. À titre d'exemple, l'entreprise Gourmey indique chercher prioritairement à exporter là où la production, l'importation, la vente ou la consommation de « foie gras » ont été interdites en raison de règlementations relatives au bien-être animal101(*), reconquérant ainsi des débouchés perdus.

2. Un impact incontestable sur le bien-être animal, mais qui n'est pas sans poser des questions philosophiques
a) Le nombre d'animaux abattus et la souffrance animale seraient potentiellement nettement réduits

L'association L214 considère que « rien ne démontre avec certitude à ce jour que le développement de [viande cellulaire] contribuerait à la réduction du nombre d'animaux abattus à des fins de consommation ».

Ce serait pourtant l'effet le plus direct et le plus évident de sa diffusion, le produit se voulant en effet « slaughter-free », c'est-à-dire sans abattage. S'ils ne se substituaient pas nécessairement à la viande d'élevage, les « aliments cellulaires » viendraient, selon toute vraisemblance, capter au moins partiellement une partie de la croissance attendue du marché de la viande.

En moyenne, selon les chiffres de la FAO, repris par l'association L214, ce sont 80 milliards d'animaux terrestres et plus de 300 milliards d'animaux aquatiques qui sont élevés avant d'être abattus chaque année dans le monde (dont plus de 1 milliard d'animaux terrestres et 73 millions d'animaux aquatiques en France).

Toutefois, à la différence de L214, la plupart des associations de défense des animaux ont comme critère celui de la sensibilité animale (ou « sentience »).

La plupart de ces associations sont en effet welfaristes (cf. I, A, 3, b), c'est-à-dire qu'elles ne militent pas pour la fin de l'élevage et de l'abattage en tant que tels102(*), mais seulement pour l'arrêt des pratiques causant des souffrances inutiles ou disproportionnées, dans la logique de l'article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime (« tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce »).

De ce point de vue, si les filières des productions animales ont réalisé d'importants progrès en matière de bien-être animal (interdiction du broyage des poussins, de la castration à vif des porcelets...), les associations continuent de dénoncer certaines pratiques, notamment liées à la surdensité ou à l'absence de liberté de mouvement.

Par contraste, puisqu'il n'existe pas de système nerveux central sans animal, les « aliments cellulaires » ne sont, par définition, pas doués de sensibilité et ne peuvent ressentir de souffrance. C'est un effet direct sur le bien-être animal.

Un effet plus indirect de la diffusion des « aliments cellulaires » en la matière, si les consommateurs se montraient prêts à acheter indifféremment de la viande d'élevage ou des « aliments cellulaires », serait de conduire à une pression sociétale accrue sur l'élevage. La simple concurrence d'un mode de production alternatif obligerait les filières de productions animales à améliorer leur image.

Or, Mme Anne-Marie-Vanelle, inspectrice de la santé vétérinaire honoraire, rappelle que « les attentes sociétales sont très fortes quant aux conditions d'élevage et d'abattage des animaux de rente. La Commission européenne proposera en 2023 la révision de ses législations sur le bien-être animal, en augmentant les exigences notamment dans les élevages industriels de porcs, volailles et lapins, ainsi que sur le transport des animaux. Les ONG, très présentes au niveau communautaire, poursuivent l'objectif d'un élevage `sans cage'. »

b) Qu'adviendra-t-il des animaux demeurant nécessaires à la production d'« aliments cellulaires » ?

Les associations de protection animale entendues par la mission ont toutes conditionné leur soutien aux « aliments cellulaires » au bon traitement réservé aux animaux impliqués dans la production de ce produit.

Elles se sont en particulier défendu l'interdiction du recours au sérum foetal bovin comme ingrédient du milieu de culture.

Le sérum foetal bovin : un ingrédient troublant au regard du bien-être animal, dont il est désormais possible de se passer

Les controverses en matière de bien-être animal sur les « aliments cellulaires » ont longtemps porté sur la présence de sérum foetal bovin dans le milieu de culture. Ce produit, obtenu par le prélèvement du sang du foetus d'une vache gestante abattue pour l'occasion, contient en effet en quantités intéressantes les nutriments nécessaires à la différenciation et à la prolifération cellulaires.

Certes utilisé de longue date dans la recherche médicale, cet ingrédient était de nature à jeter le discrédit moral sur des entreprises faisant du bien-être animal un argument commercial majeur.

C'est pourquoi les entreprises ont tôt fait de la recherche d'alternatives à ce produit un objectif majeur, de premiers brevets déposés dès 2018 démontrant la possibilité de s'en passer, par l'utilisation de certains végétaux ou d'algues.

Pourtant, le poulet cellulaire d'Eat Just (Singapour, décembre 2020), seul produit autorisé à la vente dans le monde pendant deux ans, intégrait ce sérum dans son processus de fabrication. Une version du poulet cellulaire d'Upside Foods pré-approuvé par la FDA américaine en novembre 2022 en contient.

Toutefois, l'autre version du poulet cellulaire d'Upside Foods pré-approuvé en novembre 2022, ainsi qu'une autre version du poulet cellulaire d'Eat Just à Singapour en janvier 2023, prouvent que la fabrication d'« aliments cellulaires » sans sérum est désormais techniquement possible. Les deux principales entreprises françaises d'« aliments cellulaires » déclarent, elles aussi, ne pas en utiliser.

Dans les cas où le processus de production implique des biopsies régulières sur un animal vivant, les associations se sont montrées attentives au bien-être de l'animal biopsié, ces prélèvements n'étant pas des actes anodins103(*).

Employant cette technique, Mosa Meat rappelle la faible quantité de tissu prélevée, de l'ordre de la taille d'un pop-corn, l'anesthésie systématique pratiquée avant ces prélèvements et enfin le délai entre chaque prélèvement, qui serait de six semaines au minimum.

Il faut en outre souligner que la plupart des entreprises utilisent des lignées cellulaires, ayant la capacité de se reproduire indéfiniment, et n'ont donc pas besoin de revenir à l'animal vivant.

c) Philosophiquement, une libération ou une exploitation plus complète des animaux ?

Si la production d'« aliments cellulaires » réduit effectivement la souffrance animale comparée à la viande d'élevage, des interrogations de nature plus philosophique subsistent sur le statut de ce nouveau produit.

D'une part, selon la sociologue et éleveuse Jocelyne Porcher, les « aliments cellulaires » pourraient être « une étape, sans doute la dernière, du processus d'industrialisation de l'élevage entamé au 19e siècle avec la naissance de la zootechnie et la conceptualisation de l'animal de ferme comme machine animale au service de l'industrie et du profit. Depuis les années 1950, conceptuellement et concrètement, les animaux ont un statut d'objets industriels et sont traités comme tels. Ainsi que l'expriment des travailleurs `on produit du porc comme on produit des chaussures'. Toute l'organisation du travail, de la naissance de l'animal à son abattage, témoigne de ce statut de machine productive (la truie, la poule pondeuse, la vache laitière) ou d'objets produits (le porc, le poulet, le veau...). »

Mme Porcher poursuit en soulignant que les « aliments cellulaires », loin d'être une libération animale, pourraient être une exploitation plus complète : « la viande cellulaire apparaît comme la suite de tout cela, une nouvelle modernité agricole. [...] Concrètement il s'agit de changer le niveau d'extraction de la matière animale, la cellule au lieu de l'animal, l'incubateur au lieu de la vache, c'est-à-dire de lever ce qui fait problème, la mort des animaux (la viande cultivée est « slaughter free »). »

D'autre part, de nombreux acteurs entendus par la mission se sont interrogés sur la logique d'une « libération animale » qui comporterait le risque d'une forte réduction voire d'une disparition d'un grand nombre d'animaux de rente (« remplacés par des incubateurs, les animaux de ferme disparaitront progressivement ainsi que leurs éleveurs », prédit la sociologue et éleveuse Jocelyne Porcher).

Force est de constater que l'élevage contribue à la conservation de la biodiversité des animaux de rente et à l'amélioration de leur patrimoine génétique.

Par contraste, il est possible, dès aujourd'hui, de se passer complètement d'animaux pour produire de la « viande cellulaire », via le recours à des lignées cellulaires conservées dans des banques de cellules.

L'inspectrice de la santé vétérinaire honoraire Anne-Marie Vanelle voit poindre le risque d'une mise à distance entre animaux de rente et humains, qui pourrait selon elle marquer une rupture anthropologique.

3. Sous certaines conditions, les aliments cellulaires permettraient un allègement de l'empreinte environnementale de l'alimentation

L'un des principaux avantages des aliments cellulaires selon leurs promoteurs résiderait dans leur empreinte environnementale significativement plus réduite que l'élevage.

a) Le bilan carbone en analyse de cycle de vie serait positif sous certaines conditions de mix énergétique, qui semblent réunies en France

De l'amont à l'aval, la production alimentaire représente environ 30 % des émissions de gaz à effet de serre anthropiques, dont seulement une très petite partie est attribuable au transport des denrées. Près de la moitié des émissions liées à l'alimentation, soit 14,5 % de notre empreinte carbone totale (en tonnes équivalent carbone), est imputable à l'élevage104(*).

Sont en cause en particulier le méthane émis par la fermentation entérique des ruminants et les émissions de protoxyde d'azote lié aux effluents (effets directs), mais aussi l'impact de la déforestation sur la séquestration et le stock du carbone, à cause de la conversion de terres soit vers le pâturage, soit vers des cultures destinées à l'alimentation animale (effet indirect). Le stockage de carbone dans les prairies ne compenserait qu'environ 30 % des émissions des herbivores selon la filière105(*).

Pour toutes ces raisons, la stratégie nationale bas carbone planifie en France une baisse de 20 % de la consommation de viande d'ici 2050.

Source : Atlas de l'anthropocène (fourni par les Presses de Sciences Po à titre gracieux106(*))

Par contraste, les aliments cellulaires ont été présentés dans le dernier rapport du GIEC107(*) comme source potentielle d'atténuation du changement climatique.

Selon l'une des premières analyses en cycle de vie de la production d'aliments cellulaires108(*), la production de boeuf, de porc et de volaille en bioréacteur se traduirait par des émissions de gaz à effet de serre respectivement vingt fois, douze fois et huit fois moindres au kg que la viande d'élevage.

L'étude du cabinet CE Delft109(*) met, elle, en évidence un impact carbone :

- clairement positif pour la production de boeuf cellulaire (baisse d'au moins 80 %) ;

- positif à certaines conditions de mix énergétique pour celle de porc cellulaire ;

- mais seulement comparable à celui de poulet issu d'un élevage qui aurait fait des progrès par rapport à aujourd'hui.

La dernière étude scientifique indépendante sur le sujet110(*), datant de fin 2022, confirme que les aliments cellulaires nécessitent une utilisation d'énergie plus élevée mais comportent un moindre pouvoir de réchauffement global que l'élevage bovin voire porcin. Elle met toutefois en évidence un impact environnemental plus défavorable que pour la production de poulet en élevage111(*).

Le profil d'émissions de GES serait en effet différent, les émissions de méthane (CH4) et de protoxyde d'azote (N2O) diminuant, tandis que celles de CO2 augmenteraient. Sur 100 ans, le pouvoir réchauffant global du méthane est 25 fois plus puissant que celui du CO2, même en tenant compte de sa demi-vie beaucoup plus courte dans l'atmosphère.

La production d'aliments cellulaires est fortement consommatrice en énergie lors de deux étapes en particulier :

- en amont de la production, pour la production et la préparation du milieu de culture (acides aminés, glucose), telles que les protéines recombinantes ou les facteurs de croissance ;

- au stade de la production, le principal poste de dépenses énergétiques provient de la nécessité de maintenir les bioréacteurs à température physiologique.

C'est la raison pour laquelle la composition du milieu de culture et, surtout, le mix énergétique, auront une importance cruciale dans la soutenabilité de la « viande cellulaire ».

Une étude de 2019112(*) confirme qu'elle n'est pas nécessairement « climatiquement supérieure au bétail ; son impact relatif dépend plutôt de la disponibilité de la production d'énergie décarbonée et des systèmes de production spécifiques qui sont mis en oeuvre ». L'étude montre que si l'intensité carbone de l'énergie ne décroissait pas, la production d'aliments cellulaires pourrait à horizon mille ans contribuer davantage aux émissions que l'élevage. L'entreprise Gourmey confirme cette évidence que « selon nos choix technologiques, le bilan peut-être plus ou moins favorable ». Il revient donc à la puissance publique de définir des règles et des incitations à même de favoriser une transition écologique rapide.

Pour l'étude de CE Delft, deux bouquets énergétiques ont été testés :

- un mix « énergies conventionnelles » reposant sur les moyennes projetées par l'AIE en 2030 (cf. figure ci-dessous) ;

- un mix « énergies durables », reposant à 50 % sur l'éolien terrestre et 50 % sur le photovoltaïque.

Source : CE Delft

Aucun des pays leaders de la « viande cellulaire » ne dispose d'un mix aussi durable que le scénario de référence dans l'étude, en atteste une comparaison rapide avec le bouquet énergétique :

- des États-Unis (36 % de pétrole, 34 % de gaz, 13 % de charbon),

- des Pays-Bas (45 % de gaz, 36 % de pétrole, 9 % de charbon),

- d'Israël (40 % de gaz, 39 % de pétrole, 21 % de charbon)

- ou de Singapour (86 % de pétrole)

En revanche, le bouquet énergétique de la France est d'ores et déjà moins intense en carbone que ce scénario.

Source : bilan énergétique de la France113(*)

b) Les aliments cellulaires contribuent sans doute moins à l'érosion des ressources naturelles que l'élevage intensif, mais peut-être plus que l'élevage extensif

Dans sa version la plus intensive, l'élevage a un fort impact sur les ressources naturelles, autant directement par ses besoins propres en terre et en eau, qu'indirectement par la pollution de l'air (émissions d'azote) et de l'eau (concentration excessive de nitrates) que les effluents d'élevage peuvent engendrer.

(1) Un impact évident sur la disponibilité des terres, à condition que leur état naturel soit préservé

La production de viande occupe environ 70 % des surfaces agricoles cultivables à l'échelle mondiale, et la croissance de la demande mondiale en protéines animales pourrait accroître la pression exercée par l'élevage sur les sols.

Un impact bien documenté de l'emprise au sol des systèmes d'élevage réside dans la conversion de surfaces forestières en zones de pâturage ou de culture intensive de protéines végétales destinées à l'alimentation animale sous la forme, par exemple, de tourteaux de soja.

Citant la FAO, le rapport d'information de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques du Sénat sur une « alimentation durable et locale114(*) » rappelait ainsi que la superficie forestière mondiale avait diminué de 129 millions d'hectares entre 1990 et 2015. Or, sur la période 2000-2010, quand la déforestation se poursuivait au rythme de 7 millions d'hectares par an en moyenne, les terres agricoles progressaient de 6 millions d'hectares.

L'étude de CE Delft indique que, par rapport à la production de viande d'élevage, celle de « viande cellulaire » pourrait permettre jusqu'à 90 à 95 % d'économies de terre.

La production d'aliments cellulaires nécessite en effet une emprise au sol nettement plus réduite que l'élevage. Si la production envisagée est à ce stade assez limitée, les premières usines construites ou en projet aux États-Unis (4 900 m2 pour Upside Foods) et en Europe (7 000 m2 répartis en deux sites pour Mosa Meat, 4 300 m2 pour Gourmey, du même ordre pour Vital Meat).

Il faut toutefois souligner que l'emprise au sol de la « viande cellulaire » est complètement artificialisée puisque celle-ci n'est pas élevée dans une prairie mais dans une usine.

Par contraste, dans sa version extensive, l'élevage contribue au maintien de prairies permanentes ou temporaires, de milieux ouverts herbagers dans les zones de montagne et de haies bocagères, propices au développement de la faune sauvage.

La polyculture-élevage rend aussi des services écosystémiques importants par la valorisation des effluents, qui permet d'enrichir les sols et ainsi de maintenir la vie des sols.

Enfin, le pâturage permet de valoriser des terres qui ne pourraient pas nécessairement être mises en culture, par exemple en zones inondables ou en zones de montagne.

(2) Un impact potentiellement favorable sur la disponibilité et la qualité de l'eau

D'après l'approche par l'« empreinte eau » utilisée dans une étude de la FAO souvent citée115(*), il faudrait dans le monde en moyenne 15 400 L d'eau pour produire 1 kg de viande de boeuf, 6 000 L pour 1 kg de porc et 4 300 L d'eau pour 1 kg de poulet116(*).

Les différents chercheurs de l'INRAE entendus par la mission117(*) invitent toutefois à considérer ces chiffres d'empreinte eau avec beaucoup de prudence, puisque la plus grande partie de cette eau nécessaire pour produire 1 kg de viande est en réalité de l'eau verte (eau de pluie), qui est rendue au cycle de l'eau par évapotranspiration. Sur 15 400 L, l'eau grise (utilisée pour dépolluer les effluents) représente 450 L et l'eau bleue (eau du robinet) 550 L. L'empreinte eau est autour de deux fois plus élevée en pâturage qu'en élevage industriel pour le boeuf, en raison de la prédominance de l'eau verte.

En analyse de cycle de vie, il est admis que la production de 1 kg de viande de boeuf nécessiterait plutôt entre 550 et 700 litres d'eau118(*).

En tenant compte de ces réserves, la « viande cellulaire » nécessiterait toujours moins d'eau bleue pour la production que la viande d'élevage.

Source : CE Delft

Un impact bien documenté de l'élevage sur les eaux douces est celui d'eutrophisation (prolifération d'algues).

Une fois utilisée, l'eau du milieu de culture, qui contient des déchets tels que des lactates119(*), doit, elle aussi, être décontaminée. Les entreprises concluent des conventions de rejet avec des entreprises de traitement de l'eau spécifiant des paramètres physico-chimiques à respecter. Les entreprises Vital autant que Gourmey parient sur la possibilité du recyclage, à terme, de ces milieux de culture, un procédé « qui semble marcher mais n'est pas encore mature ».

4. Des évaluations complémentaires sont nécessaires sur la sécurité sanitaire de la « viande cellulaire », qui comporte par ailleurs des aspects a priori favorables à la santé humaine et animale

L'EFSA sera chargée d'évaluer la sécurité sanitaire de la « viande cellulaire », dans le cadre de la procédure applicable à tout nouvel aliment (cf. I, B, 1), au regard des trois critères suivants :

- aussi sûr qu'une catégorie comparable déjà sur le marché,

- aucun risque en matière de sécurité pour la santé humaine,

- consommation normale non désavantageuse sur le plan nutritionnel par rapport au produit remplacé.

Dans ce cadre, le produit ne doit pas faire la preuve de bienfaits, mais simplement de son innocuité d'un point de vue toxicologique, tout au long de la chaîne de production (source biologique, cellules souches, milieu de culture, produit fini).

a) Les risques de dérive génétique ou liés au recours à des OGM nécessitent des études supplémentaires

Des organismes génétiquement modifiés semblent devoir être utilisés en amont, pour produire les protéines recombinantes du milieu de culture, essentielles lors de la différenciation et de la prolifération cellulaires.

Par ailleurs, certaines entreprises ont fait le choix de modifier génétiquement les lignées cellulaires elles-mêmes. Dans ce cas, le produit sortirait du champ du règlement « nouveaux aliments » pour entrer dans celui du règlement sur les OGM, et ne pourrait probablement pas être autorisé à la commercialisation au sein de l'Union européenne. De l'aveu des entreprises en question, ces produits seraient destinés à d'autres marchés moins régulés, par exemple en Asie.

Indépendamment du risque associé aux OGM, le risque de dérive (épi)génétique des lignées cellulaires a été souligné par certains interlocuteurs de la mission120(*). Ce risque est d'autant plus à prendre au sérieux que la prolifération à très grande échelle des cellules multiplie le risque que la mutation d'une seule cellule se traduise en un problème sanitaire de grande ampleur.

Un rapport de l'École de guerre économique se montre particulièrement alarmiste sur cet aspect121(*). Il va jusqu'à questionner la capacité d'expertise de l'EFSA, chargée d'évaluer ces risques, voire l'intégrité de l'autorité122(*).

Dans un rapport à paraître, la FAO indique que la cryoconservation des lignées cellulaires dans des banques de cellule, et le contrôle régulier de la qualité de ces lignées serait un moyen d'atténuer ce risque de dérive génétique.

Les entreprises du secteur indiquent également qu'en travaillant à partir de cellules souches plutôt que de cellules adultes, elles limiteraient ce risque de mutation.

Minoritaires, les entreprises ne recourant pas à des lignées cellulaires précisent qu'elles ne seraient pas concernées par ce risque, qu'elles jugent toutefois limité.

b) Les risques liés à une contamination microbiologique, à des résidus ou à des allergènes ne sont, eux, pas nouveaux

Un scandale sanitaire pourrait compromettre de façon irréversible l'image des aliments cellulaires, qui font déjà l'objet de fortes réserves dans la société. Surtout, il est essentiel d'assurer un même niveau de sécurité sanitaire pour ces nouveaux aliments que pour le reste de l'alimentation.

Un document de travail sur la sécurité sanitaire des aliments cellulaires, paru en 2022, indique que « la plupart des dangers potentiels pour la sécurité sanitaire ne sont pas nouveaux, de sorte que des outils d'atténuation des risques sont disponibles123(*). »

Il n'est pas exclu que les produits ainsi fabriqués aient une allergénicité propre.

En revanche, les entreprises du secteur insistent sur le fait que leur fabrication en bioréacteur garantit un environnement contrôlé, à la différence de l'élevage. En outre, la production d'aliments cellulaires ne nécessite pas d'abattage, l'une des étapes les plus critiques au regard des risques sanitaires en raison du contact potentiel des bactéries du système digestif de l'animal avec sa chair. Par conséquent, les risques de contamination à la salmonelle ou à Escherichia coli sont plus limités que pour la viande conventionnelle.

La concentration de la production d'aliments cellulaires serait à la fois une facilité pour les contrôles et un risque supplémentaire, en cas de problème détecté trop tardivement, de scandale sanitaire à grande échelle. Comme l'a rappelé le sénateur Daniel Gremillet, « toute production alimentaire est une matière vivante. Or, dans un élevage, le risque est dilué. Il ne faut jamais concentrer les risques, or je crains que ce ne soit le cas avec la viande in vitro. »

c) Des valeurs nutritionnelles a priori comparables à la viande d'élevage, au prix de l'ajout de nutriments

En matière nutritionnelle, l'EFSA est chargée d'évaluer « si un nouvel aliment destiné à remplacer un autre aliment ne diffère pas de cet aliment d'une manière telle que sa consommation normale serait désavantageuse pour le consommateur sur le plan nutritionnel ». Elle adoptera donc une approche comparative avec la viande conventionnelle.

De ce point de vue, les profils nutritionnels de la « viande cellulaire » et de la viande conventionnelle semblent proches en ce qui concerne les macronutriments (moins de lipides, un peu moins de protéines, un peu plus de glucides et d'eau).

Source : dossier déposé par Upside Foods à la FDA américaine124(*)

Questionnée explicitement par la mission au sujet de la composition nutritionnelle du poulet de l'entreprise Upside Foods, pré-autorisé aux États-Unis par la FDA, l'EFSA a répondu que le graphique ci-dessus ne suffirait pas à conclure sur la question du désavantage nutritionnel.

Les chercheurs125(*) soulignent qu'il semble possible d'aboutir à un profil nutritionnel plus favorable que la viande conventionnelle, en modifiant le rapport entre acides gras saturés et polyinsaturés et en remplaçant les graisses saturées par des oméga-3. Un graphique présenté par Mosa Meat semble confirmer cette possibilité.

Source : contribution de Mosa Meat

Avec la « viande cellulaire », il est possible de faire évoluer la composition du produit plus directement que par la sélection génétique animale ou l'alimentation animale.

Les chercheurs insistent ainsi sur la nécessité d'ajouter au milieu de culture les acides aminés non synthétisables par le muscle, ainsi que la vitamine B12 et le fer héminique, qui sont parmi les composants les plus recherchés des produits carnés.

Si les ajouts assurent la disponibilité de ces nutriments, les chercheurs indiquent ne pas être certains de leur bonne digestibilité126(*), un aspect méconnu mais essentiel de l'absorption des nutriments.

d) Un impact positif dans la lutte contre l'émergence de pathogènes et contre l'antibiorésistance

Depuis la pandémie de Covid-19, une zoonose127(*), l'approche « Une Seule Santé », soulignant les liens entre santé humaine et santé animale et la provenance très souvent animale des pathogènes émergents, a gagné en légitimité. Or, les mammifères d'élevage représentent 60 % de la biomasse totale des mammifères dans le monde, et la demande croissante en protéines animales pourrait conduire à augmenter cette concentration, et donc le risque. En outre, l'alimentation animale est une source importante de déforestation dans les zones tropicales, un facteur avéré de l'émergence de pathogènes.

Par ailleurs, le phénomène de l'antibiorésistance, qui serait responsable de la mort de plus d'un million de personnes chaque année, fait l'objet d'une attention accrue. Or, l'élevage représente environ deux tiers de la consommation d'antibiotiques à l'échelle mondiale selon CIWF France, contribuant, de ce fait, à l'antibiorésistance.

C'est pourquoi au sein de l'Union européenne et notamment en France128(*), des plans de réduction de l'usage des antibiotiques dans les productions animales sont mis en oeuvre.

Dans ce contexte, la « viande cellulaire » se présente comme une autre solution à l'utilisation excessive d'antibiotiques, même si la possibilité ou non d'une absence totale d'antibiotiques ou de fongicides dans les milieux de culture reste discutée.

Le chercheur Jean-François Hocquette indique que leur absence n'est « pas si évidente » et que leur utilisation « reste probable », tant « il semble difficile de s'en passer complètement ». Questionnées à ce sujet par le sénateur Fabien Gay lors de l'audition plénière, les deux entreprises françaises Gourmey et Vital Meat129(*) affirment n'utiliser aucun antibiotique ou fongicide. Recourant à des biopsies régulières sur l'animal et non à des lignées cellulaires, l'entreprise néerlandaise Mosa Meat utilise quant à elle des antibiotiques au stade du prélèvement, mais pas dans le milieu de culture.

Cette information devra être communiquée à l'EFSA en cas de demande d'autorisation de mise sur le marché. Les chercheurs Jean-François Hocquette et Sghaier Chriki indiquent qu'en tout état de cause les antibiotiques seraient, dans le cas de la production de viande cellulaire, « employés moins largement que dans l'élevage ».

B. COMPARÉE À D'AUTRES MOYENS PLUS DIRECTS ET EFFICACES, LES ALIMENTS CELLULAIRES NE SERONT PAS INDISPENSABLES POUR NOURRIR LE MONDE EN 2050

La présentation par le secteur de la viande cellulaire de son innovation comme étant absolument indispensable à la transition alimentaire à horizon 2050, bute sur la comparaison avec d'autres leviers plus directs et efficaces de la transition alimentaire, dans les pays pauvres comme dans les pays riches.

Selon le chef Thierry Marx, « une déviance positive - un peu moins de viande, une ration non surdimensionnée, pas de gaspillage -, fait que la viande cellulaire n'est plus nécessaire ».

On peut se demander, du coup, pourquoi faire compliqué avec la viande cellulaire, quand on peut faire simple avec la diversification des régimes alimentaires et par une meilleure répartition des sources de protéines.

1. Dans les pays pauvres, une contribution hypothétique à la sécurité alimentaire
a) La croissance de la demande mondiale totale en protéines animales est une tendance forte mais n'est pas inéluctable

S'appuyant sur les prévisions par la FAO d'un quasi-doublement de la demande mondiale en protéines animales à horizon 2050, les promoteurs de la viande cellulaire prennent cette évolution pour acquise, et en font l'invariant autour duquel bâtir la transition alimentaire des trente prochaines années. Cette donnée est même le premier argument employé par plusieurs entreprises entendues et l'association Agriculture cellulaire France pour justifier le développement de la viande cellulaire.

Pourtant, en dépit d'une croissance démographique et d'une hausse des revenus indéniables130(*), il serait erroné de prendre la hausse de la production et de la consommation de viande pour une variable purement exogène, sur laquelle il serait impossible d'agir.

D'une part, le contraste entre l'explosion de la consommation par habitant au Brésil et en Chine et la tendance en Inde où, pour des considérations en partie religieuses, la consommation de viande n'a pas augmenté sur les quarante dernières années, montre que la corrélation « enrichissement  viande » n'est pas systématiquement observée.

Source : Atlas de l`anthropocène (fourni par les Presses de Sciences Po à titre gracieux131(*))

D'autre part, Action contre la Faim rappelle que les protéines sont déjà produites en assez grande quantité pour couvrir les besoins nutritionnels de la population mondiale en vitamines A et B12, en calcium et en protéines. Si des carences sont observées dans certains pays comme la République démocratique du Congo, le problème ne serait donc pas à chercher dans la disponibilité des protéines, mais plutôt dans leur accessibilité.

Aussi Mme Anne-Marie Vanelle appelle-t-elle à « prendre en considération l'ensemble des moyens pour parvenir à une meilleure répartition entre les pays et les consommateurs des apports protéiques : réduction des déchets, changement des modes d'élevage, réduction de la consommation de protéines animales, etc. »

En revanche, l'idée que les technologies des pays du nord viendraient assurer la sécurité alimentaire des pays du sud serait, pour certains interlocuteurs entendus par la mission, « un fantasme », et ce d'autant plus que l'acceptabilité du produit n'a jamais été testée sur les populations de ces pays.

Force est de reconnaître, toutefois, qu'au-delà de leurs besoins élémentaires, les populations des pays en développement sont en droit d'aspirer aux mêmes niveaux de consommation que les pays riches. Si, dans ce cadre, la « viande cellulaire » venait à trouver sa place parmi ces solutions, « il faudrait envisager un cumul des différentes sources protéiques : viande, substituts végétaux, protéines issues de la fermentation, viande cellulaire, insectes... » (Anne-Marie Vanelle)

b) Une possibilité non négligeable d'effet rebond sur la consommation totale de protéines animales

Souligné par les associations de protection animale en matière de bien-être animal, le risque d'un effet rebond sur la production et la consommation totale de viande est réel avec le développement de la viande cellulaire.

À titre d'exemple, Mosa Meat132(*) déclare que la viande cellulaire « permettra aux convives d'apprécier les qualités de la viande qu'ils aiment, sans qu'il soit nécessaire de modifier radicalement leur comportement », et Upside Foods présente son produit comme « guilt-free ».

En apportant une solution technologique censée corriger sans effort plusieurs externalités environnementales ou sanitaires associées à la viande, les entreprises du secteur entretiennent l'illusion du caractère soutenable des niveaux actuels de consommation dans les pays riches et de production à l'échelle mondiale.

Il pourrait être tentant, avec le développement de cette biotechnologie, de vouloir se dispenser d'une politique de sobriété dans les pays riches et d'une politique de redistribution entre pays riches et pays pauvres.

Ainsi, paradoxalement, cette solution souvent présentée comme « de substitution », pourrait conduire à un « rebond » de la demande en viande compensant, partiellement ou totalement, le potentiel impact, notamment environnemental, de leur technologie.

2. Dans les pays riches, d'autres solutions plus simples existent pour revenir aux niveaux recommandés de consommation de viande
a) Les limites des autres familles de protéines alternatives ne semblent pas insurmontables

Confirmant que la viande cellulaire pourrait venir concurrencer les analogues végétaux davantage que la viande d'élevage, les entreprises de viande cellulaire soulignent très régulièrement l'incomplétude des analogues végétaux. Ceux-ci seraient « décevants » d'un point de vue gustatif133(*), voire « déceptifs » en matière d'apports nutritionnels, moindres en effet en moyenne que ceux de la viande.

À l'appui de leur propos, les promoteurs de la viande cellulaire soulignent le « plafond » de ventes atteint par ces substituts végétaux depuis 2020, qui serait selon eux lié à ces deux aspects, ainsi qu'à l'attachement des consommateurs à la viande.

Selon Mme Céline Laisney, consultante spécialiste des protéines alternatives, et M. David Cassin, s'exprimant pour l'interprofession des oeufs, les limites de l'offre d'analogues végétaux méritent toutefois d'être largement nuancées.

Tout d'abord, ce qui est médiatiquement présenté comme un retournement durable du marché pourrait bien n'être qu'un épisode temporaire134(*), sur fond de croissance plus forte des investissements sur ce marché135(*). Les investissements dans la « viande cellulaire » ont été, sur les dernières années, bien moindres que ceux consacrés aux analogues végétaux, comme les galettes à base de pois.

Source : contribution de Mme Céline Laisney

En outre, mobilisant des techniques a priori plus simples que la viande cellulaire, les analogues végétaux réalisent des progrès rapides en matière de goût, de texture et de qualité nutritionnelle. Les analogues végétaux parviendront sans doute plus rapidement à se faire une place dans les paniers alimentaires que la « viande cellulaire », aussi en raison de leur coût qui fera d'eux des denrées beaucoup plus accessibles que la viande cellulaire pendant au moins plusieurs années136(*).

Le fait que les entreprises de « viande cellulaire » se tournent désormais vers la production d'hybrides tend à relativiser l'opposition entre les deux.

b) Des marges encore importantes pour manger moins, mais « mieux » de viande dans les pays riches

Le chef Thierry Marx a indiqué, lors de l'audition plénière du 8 février, « ne pas vouloir laisser croire que la science et la technologie pourraient répondre simplement à l'impact social et environnemental de l'alimentation. [...] Avec le flexitarisme : 80 % de végétal, 20 % de protéines animales, on peut revenir à quelques équilibres. »

Contrairement à ce que voudrait une croyance répandue, la consommation de viande n'a que très légèrement diminué en France sur les trente dernières années et reste ainsi proche de son plus haut niveau historique. Après avoir atteint un pic de près de 94 kg par an et par habitant en 1998, elle est en effet de 85 kg par an et par habitant en 2020.

La consommation de viande de nos parents (un peu plus de 70 kg par an et par habitant en 1970) et, plus encore, de nos grands-parents (44 kg par an et par habitant en 1950) était bien moindre. Dans le même temps, l'interprofession des fruits et légumes frais rappelle que « les moins de 35 ans mangent trois à quatre fois moins de fruits et légumes que leurs grands-parents ». Et, s'agissant des légumineuses, la consommation est passée en France de 7,2 kg/an/personne en 1920 à 1,7 kg/an/personne en 2016.

Comme le rappelle la sociologue et éleveuse Jocelyne Porcher, « la demande en produits animaux a été construite par la publicité des entreprises et de l'État après la seconde guerre mondiale en même temps que s'industrialisait l'élevage : `mangez du boeuf', `buvez du lait `... Cela avec des arguments complètement opposés à ce que l'on peut entendre aujourd'hui, notamment à propos de la viande. Le `public' n'existe pas d'avance, il est construit. »

Dans ce contexte, le développement de « viande cellulaire » pourrait venir à l'appui de l'idée selon laquelle un repas sans viande ou sans analogue ne serait pas un repas, freinant la diversification et la végétalisation des régimes alimentaires.

L'opposition que ses promoteurs cherchent à instaurer entre « viande cellulaire » et analogues végétaux tend même à corroborer que le seul horizon du végétal était de « devenir viande » ou de le faire croire.

Or, les études nutritionnelles montrent que l'intérêt de la viande, d'un point de vue nutritionnel, est surtout pratique puisqu'une alimentation diversifiée et équilibrée, même dans le cadre d'un régime végétarien, suffit à atteindre les apports nutritionnels recommandés.

Les filières animales elles-mêmes sont davantage dans une logique de montée en gamme, avec des slogans tels que « aimez la viande, mangez en mieux » (Interbev), que de volume.

C. UN BILAN SELON TOUTE VRAISEMBLANCE DÉFAVORABLE POUR LE MONDE AGRICOLE ET LES TERRITOIRES RURAUX, ET EN PARTICULIER POUR L'ÉLEVAGE

1. Le mythe d'un impact positif des aliments cellulaires sans substitution à la viande d'élevage

On relève une contradiction centrale dans le narratif des promoteurs des aliments cellulaires : celle de l'impact à géométrie variable associé au développement de ce produit.

Les entreprises communiquent en effet sur son impact, notamment en matière de bien-être animal et d'environnement, présenté de façon univoque comme plus favorable que celui de l'élevage et comme très significatif, voire potentiellement énorme, pour la société.

Or, dans le même temps, elles cherchent à minimiser le bouleversement que sa diffusion pourrait constituer pour l'élevage en particulier et les territoires ruraux en général.

Cet impact positif espéré repose pourtant nécessairement sur un remplacement, au moins partiel, de la viande d'élevage en tant qu'elle serait moins-disante d'un point de vue environnemental et bien-être animal, comme le souligne, du reste, le cabinet CE Delft137(*), auteur de l'étude commandée par les entreprises du secteur pour analyser l'impact environnemental des aliments cellulaires.

En somme, l'alimentation cellulaire aura un impact significatif si elle vient « à la place de », mais pas si elle vient « en plus de ». Cet impact repose en outre sur un effet « volume », sans quoi il ne sera pas significatif.

Il faut rappeler l'adage paysan selon lequel on ne peut avoir le beurre - tous les avantages qui seraient associés à la substitution de la « viande cellulaire » à la viande d'élevage - et l'argent du beurre - c'est-à-dire l'absence de conséquences négatives pour le secteur substitué.

Les entreprises du secteur doivent faire toute la clarté sur les impacts socio-économiques et territoriaux de leur activité qui, au-delà des éleveurs, aura un impact sur tout un écosystème et toute une série de métiers, comme par exemple les abatteurs ou encore les engraisseurs.

Il ne s'agit pas de prêter à ces entreprises des intentions malveillantes mais, bien au contraire, de les inciter à assumer leur démarche de responsabilité sociale jusqu'au bout, et à prendre à bras-le-corps ce sujet.

2. Un risque d'un déséquilibre supplémentaire dans la répartition de la valeur ajoutée agricole
a) Le risque d'une fragilisation de l'élevage extensif et de l'élevage paysan

De façon générale, le développement de la « viande cellulaire » se fera probablement « aux dépens des agriculteurs, aggravant une situation déjà déséquilibrée » (Treich).

Or, comme toute innovation, les « aliments cellulaires » impliquent un processus de destruction créatrice. Leurs impacts sont différenciés et risquent de frapper davantage les exploitations déjà fragilisées ou moins rentables. Paradoxalement, les « aliments cellulaires », qui se veulent une alternative à la viande issue de l'élevage industriel, pourraient mettre en difficulté l'élevage extensif en premier lieu.

En France, l'élevage extensif, majoritaire, est déjà fragilisé économiquement par la compétition de l'élevage en feed-lot, à l'américaine, à la brésilienne ou à la néerlandaise. L'élevage de qualité, nécessairement plus coûteux, sera la première gamme concurrencée par les « aliments cellulaires », ce qui risque ainsi d'accroître le processus de décapitalisation ou, paradoxalement, d'obliger à une intensification de la production.

En outre, de la même manière que le recul de la traction équine en Europe au profit de la mécanisation a mis en péril la conservation de certaines races de chevaux de trait, menacées de consanguinité en raison de la faiblesse de leurs effectifs, le recul de l'élevage pourrait, à long terme, menacer la viabilité de certaines races typiques d'animaux de rente, faute d'usage économique.

C'est ainsi toute une partie du riche patrimoine agricole de la France, par exemple les races de vaches, qui disparaîtrait. La sociologue et éleveuse Jocelyne Porcher craint même que « cette innovation, conduite au nom des animaux, [conduise] de fait progressivement à leur disparition »

Dans le monde, selon la FAO, 1,7 milliard de personnes dépendent de l'élevage pour leurs moyens d'existence et 60 % des ménages ruraux ont une activité d'élevage. L'élevage paysan, dans le cadre d'une diversification des activités économiques, conserve un rôle essentiel, en particulier pour les femmes, qui sont souvent chargées de ces activités dans les pays en développement. Il peut aussi servir de collatéral pour d'autres acquisitions économiques. Enfin, dans de nombreux pays il charrie des valeurs culturelles très importantes.

b) Un risque accru de marginalisation pour les territoires ruraux

Le développement des « aliments cellulaires » ne serait, selon toute probabilité, pas sans conséquences sur l'aménagement du territoire.

À ce jour, l'élevage est pourvoyeur d'emplois harmonieusement répartis sur le territoire national, en près de 170 000 unités de production. Il est créateur de valeur dans des zones parfois défavorisées par des handicaps naturels, par exemple dans les régions montagneuses, au travers d'appellations ou grâce à la typicité de certaines races. Au-delà, l'élevage entraîne avec lui d'autres métiers en amont (inséminateurs, naisseurs, engraisseurs) et en aval (à commencer par les 250 abattoirs de boucherie).

Source : l'essentiel d'Interbev

La production d'alimentation cellulaire relève davantage de l'activité industrielle que de l'activité agricole. Aussi, sa localisation dans les territoires ruraux ne va pas de soi, en témoignent le groupe Gourmey, implanté entre Paris et Évry et qui s'apprête à ouvrir un atelier de production dans le Val-de-Marne, ou les groupes Mosa Meat (ayant son siège dans une zone industrielle de Maastricht) et Meatable (hébergé à Delft, au coeur de la conurbation la plus dense d'Europe). L'implantation de Vital Meat dans les Mauges, un territoire très rural, semble davantage être l'exception que la règle.

En outre, le développement des « aliments cellulaires » laisse craindre la poursuite, par quelques grands groupes, de la concentration grandissante de la production de protéines. Dans l'hypothèse où certaines entreprises souhaiteraient se développer sur le modèle de la franchise ou de la licence, les mêmes questions de propriété intellectuelle se poseraient que pour les semences génétiquement modifiées. Les entreprises déposent en effet des brevets sur leurs cellules, disposant ainsi d'une exclusivité sur l'exploitation de leur technologie, ce qui pourrait renforcer la situation de dépendance de la ruralité à l'égard de quelques grands centres technologiques.

3. En dépit de bonnes intentions, la recherche d'une insertion dans les filières agricoles traditionnelles pourrait bien n'être qu'un pansement sur une jambe de bois

Les promoteurs des « aliments cellulaires » insistent sur le fait qu'il s'agirait d'un produit agricole comme un autre. Ils déploient d'importants efforts de communication pour démonter, si ce n'est la nature agricole de leur activité, du moins sa complémentarité avec d'autres activités agricoles, y compris avec l'élevage. Si ces efforts sont louables, leur portée réelle semble discutable.

a) Les perspectives d'une production décentralisée d`« aliments cellulaires » à la ferme, par des éleveurs, paraissent peu réalistes

Les entreprises du secteur sont passées peu à peu de la promesse de la « fin de l'élevage » à la perspective d'une complémentarité avec l'élevage.

Lors du déplacement de la mission d'information aux Pays-Bas, l'entreprise Mosa Meat a souhaité lui faire visiter une ferme-pilote138(*), adhérant au programme RESPECTfarms, et présentée comme la démonstration des complémentarités possibles de la production d'« aliments cellulaires » avec l'agriculture.

À la tête de ce programme, Mme Ira van Eelen, fille du chercheur pionnier dans ce domaine, M. Willem van Eelen, a indiqué qu'une étude de l'université de Wageningen, aux Pays-Bas, spécialisée dans l'agriculture, était en cours, au sujet des possibilités d'une telle décentralisation de la production « à la ferme ». L'idée, louable, serait de diversifier les revenus des éleveurs, de la même façon qu'ils peuvent aujourd'hui bénéficier de revenus liés à la production d'énergie via l'agrivoltaïsme ou la méthanisation.

Il est cependant permis de douter du réalisme d'un tel projet. Alors que la consultante Céline Laisney s'est montrée très dubitative, un autre acteur bon connaisseur du secteur a carrément indiqué « ne pas croire une seule seconde à l'idée que chacun puisse avoir son petit bioréacteur chez soi ».

La première raison est que les entreprises produisant des « aliments cellulaires » sont déjà en mesure de se dispenser de l'étape du prélèvement de tissus sur l'animal, puisqu'elles utilisent en grande majorité des lignées cellulaires immortalisées, conservées dans des banques de cellules. Pour celles qui privilégient le retour à l'animal régulier par des biopsies, un seul prélèvement de 0,5 gramme de boeuf suffit à produire au moins 80 000 steaks hachés, soit environ 8 tonnes du produit139(*).

La deuxième raison est que, en l'état actuel des connaissances, la race et l'endroit du corps où est effectué le prélèvement n'auraient que « quelques effets mineurs » sur le produit final, selon le PDG de Mosa Meat, même si des études supplémentaires sont en cours140(*). Bien que Leon Moonen ait évoqué travailler à des croisements entre ses limousines et d'autres races, on voit mal comment une technologie aussi interchangeable d'une production animale à l'autre pourrait redonner de l'importance à cet aspect.

Enfin, un tel design de production pourrait remettre en cause certains des bénéfices attendus des « aliments cellulaires », par exemple en matière de sécurité sanitaire du fait de la difficulté à contrôler un plus grand nombre d'unités, ou en termes de bien-être animal, les veaux des vaches prélevées n'étant pas conservés mais vendus, sans garantie sur leur destination.

b) Une filière végétale d'approvisionnement des milieux de culture

S'agissant de l'amont de la production de « viande de culture », les entreprises du secteur insistent sur le potentiel de partenariat avec des filières végétales (betteraves, maïs...) pour l'approvisionnement en sucres, en acides aminés et en vitamines nécessaires aux milieux de culture.

Lors du déplacement de la mission aux Pays-Bas, l'éleveur Leon Moonen a ainsi souhaité montrer ses projets d'expérimentation sur différents types d'herbages qui pourraient entrer dans la composition du milieu de culture. De façon plus concrète, Mosa Meat compte parmi ses investisseurs le leader néerlandais de l'alimentation animale Nutreco.

Les entreprises souhaitent démontrer que l'industrie cellulaire aurait le même potentiel de valorisation de co-produits agricoles (levures, extraits de plantes, d'algues, de champignons) que l'élevage.

Ces travaux semblent toutefois encore largement prospectifs. En outre, les entreprises du secteur déclarent chercher à recycler leur milieu de culture, ce qui limiterait les besoins en intrants.

IV. ALIMENTS CELLULAIRES : ÊTRE VIGILANT POUR MIEUX ENCADRER ET MAÎTRISER LA TECHNOLOGIE

La mission d'information sénatoriale sur les aliments cellulaires, bien que réservée sur l'utilité sociale de cette innovation, souhaite accélérer la recherche en France pour lever les incertitudes encore nombreuses à leur sujet, et pour s'assurer la maîtrise de la technologie avant qu'elle n'arrive dans nos assiettes.

Si, en Europe, une hypothétique autorisation de mise sur le marché de tels produits ne sera vraisemblablement pas donnée avant horizon 2025, ce temps nécessaire de l'évaluation ne doit pas être perçu comme un frein pour les entreprises européennes face à la concurrence internationale, mais plutôt comme l'opportunité de réfléchir collectivement à un cadre partagé, en particulier en matière de dénomination et d'étiquetage.

Ce délai ne doit pas être non plus le prétexte pour refouler le sujet et faire comme s'il n'existait pas, l'exemple des OGM ayant montré qu'en fermant la porte par principe à une technologie, on est finalement contraint de rouvrir les fenêtres, de façon cette fois subie.

Il est donc urgent de travailler, dans les deux prochaines années, au moins préventivement, à façonner des standards français et européens avant que ce produit n'arrive dans nos assiettes.

A. RENFORCER LA PROCÉDURE D'AUTORISATION DES NOUVEAUX ALIMENTS ET LE CADRE APPLICABLE AUX ALIMENTS CELLULAIRES

Si en Europe, une autorisation de mise sur le marché d'aliments cellulaires ne sera vraisemblablement pas donnée avant horizon 2025, ce ne doit pas être un prétexte pour faire comme si le sujet n'existait pas. Il est urgent de travailler, dans les deux prochaines années, au moins préventivement, à façonner des standards français et européens avant que ce produit n'arrive dans nos assiettes. Préparer l'arrivée éventuelle de ce produit sur le marché ne signifie pas la souhaiter mais agir de façon responsable en parant à toutes les éventualités.

C'est en effet la Commission européenne qui est compétente pour autoriser tout « nouvel aliment », c'est-à-dire non consommé avant 1997, comme les insectes ou l'alimentation cellulaire, après avis de l'autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).

Les États membres s'expriment à la majorité qualifiée dans le cadre de la « comitologie », mais ils ne disposent pas individuellement d'un droit de veto. Autrement dit, si l'autorisation est donnée, elle est valable sur l'ensemble du marché intérieur, y compris dans les pays où elle aurait été refusée.

Tant qu'une telle autorisation n'est pas donnée, la mission recommande de s'appuyer sur l'amendement de l'ancien député Julien Aubert, à la loi Climat et résilience, qui exclut les aliments cellulaires de la restauration collective - cantines scolaires et administratives, EHPAD, prisons...

Elle propose pour ce faire d'aller plus loin, en réaffirmant plutôt dans la loi le principe de l'interdiction de toute commercialisation - restauration collective ou pas - tant que le produit n'est pas autorisé dans le cadre du règlement européen « nouveaux aliments ».

Recommandation n° 1 : affirmer dans la loi le principe de l'interdiction de toute commercialisation tant que les produits ne sont pas autorisés dans le cadre du règlement européen « nouveaux aliments ».

S'agissant de la procédure prévue par le règlement « nouveaux aliments », la mission souhaite instituer une notification automatique des commissions chargées de l'alimentation au Parlement européen et dans les parlements nationaux - en clair, au Sénat français, la commission des affaires économiques - pour l'autorisation de mise sur le marché de tout nouvel aliment.

Il n'est pas normal que les parlements ne soient à aucun moment associés ni même informés dans ce processus qui laisse la Commission et les États membres en tête-à-tête pour prendre des décisions importantes.

Recommandation n° 2 : instituer une procédure d'information automatique des commissions chargées de l'alimentation au Parlement européen et dans les parlements nationaux pour l'autorisation de mise sur le marché de tout nouvel aliment.

Autre piste pour consolider la procédure du règlement « nouveaux aliments » : la mission propose une analyse systématique des risques sanitaires des nouveaux aliments par l'ANSES, en plus de l'évaluation de l'EFSA au niveau européen.

Cet avis ne serait que consultatif et servirait à éclairer le débat public en France, sans prétendre concurrencer ou remettre l'avis de l'EFSA, qui effectue un travail remarquable.

Il se justifie par une certaine aversion au risque en France, en particulier en ce qui concerne l'alimentation. C'est pourquoi la mission juge que ce doublon ne serait pas de trop.

Recommandation n° 3 : prévoir dans le code rural et dans le code de la santé publique que l'ANSES procède systématiquement à une analyse des risques sanitaires des nouveaux aliments en complément de l'évaluation de l'EFSA au niveau européen.

Enfin, que la consommation d'aliments cellulaires soit autorisée ou non sur le marché, force est de constater qu'une quinzaine d'entreprises développent déjà ce produit.

Il y a là des marges de manoeuvre législatives afin de définir un cadre plus strict pour la production d'aliments cellulaires en France, ce qui permettra plus facilement de pousser pour l'adoption d'un tel cadre au niveau européen.

Forger en France un cadre réglementaire plus strict pour la production d'aliments cellulaires et pousser pour son adoption au niveau européen :

Recommandation n° 4 : en particulier, instituer un moratoire sur l'utilisation du sérum foetal bovin dans les milieux de culture entrant dans les processus de production alimentaire.

Recommandation n° 5 : étudier l'opportunité de définir par voie réglementaire un volume de bioréacteurs au-delà duquel la production serait taxée (par exemple à partir de 25 000 litres), afin de limiter la concentration des risques sanitaires.

B. MIEUX INFORMER LE CONSOMMATEUR ET PROTÉGER LES FILIÈRES DE PRODUCTION ANIMALE EN S'ACCORDANT SUR DES RÈGLES DE DÉNOMINATION ET D'ÉTIQUETAGE CLAIRES

Consciente d'être contrainte par les principes européens de libre-circulation des marchandises, la mission propose des règles d'étiquetage de bon sens qui, à défaut, pourraient s'appliquer dans un premier temps sur les produits fabriqués en France.

Elle juge toutefois que la révision en cours du règlement INCO serait l'occasion d'appliquer ces règles sur l'ensemble du marché intérieur de l'UE.

Par abus de langage, le produit est appelé dans le langage courant « viande artificielle », « viande cellulaire », « viande de culture » voire « viande propre » - la mission elle-même avait choisi « viande in vitro » au début de ses travaux.

Une réflexion devra avoir lieu lors de l'élaboration du livre blanc sur l'industrie cellulaire pour s'accorder, collectivement, sur une dénomination fixe.

La mission retient le terme générique d'« aliments cellulaires », jugé dans un récent document de la FAO le plus descriptif et le plus neutre pour désigner le sujet de ses travaux

Elle précise toutefois que cela ne doit pas préjuger des conclusions du livre blanc.

Recommandation n° 6 : dans le cadre des recherches et réflexions nationales et européennes sur le sujet, s'accorder sur un terme usuel consensuel du produit, qui pourrait être « aliments cellulaires ».

Les entreprises sont encore aujourd'hui en phase de recherche et développement, et sont loin de prétendre en termes de texture du produit, égaler la viande issue de l'élevage.

Des trois destinations possibles des aliments cellulaires - pièce de viande entière, hybride avec des analogues végétaux ou ingrédient pour l'industrie agroalimentaire -, les deux dernières sont les plus probables pendant au moins plusieurs années.

Autrement dit : l'entrecôte à base de cellules n'est pas pour demain.

C'est pourquoi la mission propose d'interdire la dénomination commerciale « viande » sur les emballages des produits, car elle serait trompeuse pour le consommateur.

Pour plus clarté, elle propose également d'étendre aux aliments cellulaires la loi et décret qui interdisent pour les analogues végétaux l'usage de termes faisant référence à des produits animaux, comme « cuisse de poulet » ou « faux-filet ». Même quand il s'agit des mêmes composants, il est difficile de faire référence à l'anatomie quand il n'y a, précisément, pas de corps.

Recommandation n° 7 : interdire la dénomination commerciale « viande » et, au cas par cas, l'usage de termes faisant référence à des produits animaux, en étendant aux aliments cellulaires la législation applicable aux analogues végétaux.

En revanche, il est apparu à la mission lors de ses travaux que la mention de l'espèce animale d'origine des cellules (« poulet », « boeuf », « crevettes ») devrait être obligatoire, notamment au regard de la règlementation européenne sur les risques allergènes.

En clair, « viande cellulaire » et « cuisse de canard cellulaire » ne seraient pas permis, mais « canard cellulaire » serait inéluctable pour assurer la sécurité sanitaire des consommateurs.

Recommandation n° 8 : rendre obligatoire la mention de l'espèce d'origine pour assurer la bonne information du consommateur, notamment en matière d'allergénicité.

Il serait intéressant, si un produit contient des aliments cellulaires ou tout autre « nouvel aliment » (dont les insectes), de prévoir un affichage spécifique sur la face avant des produits préemballés, du type « contient des nouveaux aliments ».

Cela permettrait de répondre à certaines peurs qui s'expriment au sujet de la présence cachée de ces aliments dans notre alimentation.

Recommandation n° 9 : pour les produits fabriqués en France, afficher obligatoirement si un produit contient des aliments cellulaires ou tout autre nouvel aliment (dont les insectes) par un affichage spécifique sur la face avant des produits préemballés.

Pour éviter les confusions ou le mélange des genres, il est indispensable d'identifier clairement par l'étiquetage « aliments cellulaires » et « viande » issue de l'élevage. La mission propose carrément d'interdire la commercialisation de produits mélangeant aliments cellulaires et viande issue de l'élevage, un principe inspiré de règlementations du début du 20siècle sur le beurre et la margarine, qui permettra de maintenir une distinction nette.

Par ailleurs, en cas d'hybride végétaux-aliments cellulaires, ce qui reste le plus probable dans les premières années, il sera opportun d'afficher obligatoirement la part agrégée d'origine végétale et d'origine cellulaire, en complément de la simple liste des ingrédients.

Recommandation n° 10 : identifier clairement aliments cellulaires et viande issue de l'élevage par l'étiquetage et interdire la commercialisation de produits mélangeant aliments cellulaires et viande issue de l'élevage.

Par ailleurs, en cas d'hybride végétaux-aliments cellulaires, ce qui reste le plus probable dans les premières années, il sera opportun d'afficher obligatoirement la part agrégée d'origine végétale et d'origine cellulaire, en complément de la simple liste des ingrédients.

Recommandation n° 11 : en complément de la liste des ingrédients, afficher obligatoirement la part agrégée d'origine végétale et d'origine cellulaire, en cas d'hybride à base d'aliments cellulaires.

Enfin, dans l'hypothèse où des aliments cellulaires seraient commercialisés en restauration hors foyer, l'information sur la présence de ce produit dans un plat, ainsi que sur l'origine des produits servis, sur le modèle de ce qui est obligatoire aujourd'hui pour la viande, serait la moindre des choses.

Recommandation n° 12 : dans l'hypothèse où des aliments cellulaires seraient mis sur le marché, rendre obligatoire en restauration hors foyer l'information sur la présence de ce produit dans un plat, ainsi que sur l'origine géographique des produits servis.

C. INTENSIFIER L'EFFORT DE RECHERCHE SUR L'INDUSTRIE CELLULAIRE, MAIS MISER EN PRIORITÉ SUR L'ÉLEVAGE ET LES PROTÉINES VÉGÉTALES POUR RELEVER LE DÉFI DE L'AUTONOMIE PROTÉIQUE

C'était l'un des enseignements majeurs de l'audition plénière du 8 février dernier : chez les plus sceptiques, dont les sénateurs étaient pour la plupart, comme chez les promoteurs des aliments cellulaires, un consensus s'est dessiné pour accroître nos connaissances sur le sujet, tant les inconnues restent nombreuses.

Un effort doit d'abord être mené dans la compréhension du produit et des procédés en tant que tels.

Sans nécessairement reproduire l'ensemble des travaux des entreprises, une unité mixte de recherche au sein de l'INRAE et du CNRS pourrait être dédiée à la maîtrise des techniques de l'industrie cellulaire et à une plus large diffusion des aspects les plus méconnus de ses procédés de fabrication.

Cela devrait permettre en particulier de mettre la lumière sur la fermentation de précision, une technique, moins médiatique mais beaucoup plus avancée que la production d'aliments cellulaires, pour produire, par exemple, la caséine du lait ou le blanc de l'oeuf, en lien, déjà, avec de grands groupes laitiers tels que Bel.

Sur le modèle d'Israël et des Pays-Bas, cette infrastructure publique constituerait, du reste, un avantage compétitif pour les entreprises françaises, renforçant nos chances de ne pas perdre pied dans la compétition mondiale pour la maîtrise de la technologie, et limitant le risque de tomber dans la dépendance à de grandes entreprises étrangères.

Recommandation n° 13 : créer une unité mixte de recherche, au sein de l'INRAE et du CNRS, dédiée à une meilleure appréhension des techniques de l'industrie cellulaire.

Face aux nombreuses incertitudes qui demeurent au sujet des aliments cellulaires et de leurs conséquences sur la société, il n'en demeure pas moins essentiel de procéder à une évaluation socio-économique, environnementale et éthique de la diffusion des aliments cellulaires.

C'est pourquoi, comme l'a proposé le chercheur Jean-François Hocquette, nous demandons formellement à ces organismes de recherche une expertise scientifique collective (ESCo) pour, au-delà de la question du comment, se poser la question du pourquoi.

Recommandation n° 14 : demander formellement à ces organismes de recherche une expertise scientifique collective (ESCo) pour évaluer les impacts socio-économiques, environnementaux et pour anticiper les effets sur la santé humaine à long terme de la consommation d'aliments cellulaires.

Cet effort de recherche serait toutefois vain si les plus de cent entreprises qui développent ce produit dans le monde ne jouaient pas le jeu de la transparence. Principe qui paraît d'autant plus justifié que ce secteur, dont on a parfois l'impression qu'il veut laver plus blanc que blanc, fait des préoccupations écologiques un argument commercial majeur.

En matière de sécurité sanitaire, l'EFSA oblige désormais les entreprises opérant en Europe à l'informer lors du lancement de toute nouvelle étude relative aux risques sanitaires, afin d'éviter la rétention d'informations et la sélection des données les plus favorables. Nous proposons de transposer cet impératif de transparence de la santé à l'environnement, en imposant la communication des données en analyse de cycle de vie aux autorités environnementales - en France, à l'ADEME -, dès le stade des ateliers-pilotes, et surtout lors des premières étapes de l'industrialisation.

Recommandation n° 15 : sur le modèle de la transparence en matière de sécurité sanitaire vis-à-vis de l'EFSA, imposer la transparence en matière environnementale aux entreprises de ce secteur, en obligeant à la communication des données en analyse de cycle de vie aux autorités environnementales.

Enfin, la mission a pu mesurer que ses travaux intervenaient encore un peu tôt dans le développement des aliments cellulaires.

C'est pourquoi elle propose de réaliser un « droit de suite » à ce rapport d'information, un an après les éventuelles premières demandes d'autorisation déposées sur le bureau de l'EFSA, c'est-à-dire peu avant le moment où les pouvoirs publics seraient amenés à se prononcer.

Recommandation n° 16 : dans l'éventualité où des demandes d'autorisation seraient déposées en Europe, faire, un an plus tard, un droit de suite au Sénat.

Comparée à d'autres moyens plus directs et efficaces, les aliments cellulaires ne seront pas indispensables pour nourrir le monde en 2050.

Dans les pays développés, la diversification des régimes alimentaires par un rééquilibrage des sources de protéines végétales (légumineuses...) ou animales permettrait d'atteindre les mêmes objectifs plus rapidement et de façon plus simple.

En outre, les limites présentées comme indépassables des autres familles de protéines alternatives (analogues végétaux à partir de soja ou de pois) ne semblent pas insurmontables.

Surtout, le rééquilibrage des régimes alimentaires par un redressement de la consommation, en chute libre, de produits naturels tels que les légumineuses et les fruits et légumes, paraît de bon sens.

Les financements aux protéines végétales semblent insuffisants dans la PAC. Il semble nécessaire de les compléter, dans le cadre des stratégies protéines végétales nationales et dans celui de la stratégie en cours d'élaboration au niveau de la Commission.

Recommandation n° 17 : pour faire face au défi de l'autonomie protéique, prioriser l'accélération de la mise en oeuvre de la stratégie protéines végétales, en augmentant en particulier les financements dédiés, plutôt que le financement d'alternatives lointaines et plus incertaines.

Par ailleurs, la contribution des aliments cellulaires à la sécurité alimentaire des pays en développement semble très hypothétique.

Il ne faut donc pas entretenir l'illusion que les aliments cellulaires pourraient constituer une solution à court ou même à moyen terme pour les apports protéiniques de ces pays. En ne voyant l'élevage qu'au prisme de l'élevage en feed-lot brésilien ou américain et de ses externalités, on risquerait même de jeter le discrédit sur l'élevage extensif et l'agriculture vivrière.

Or, l'élevage paysan demeure dans ces pays une ressource importante pour la subsistance des ménages, revêtant en outre une grande importance sociale et culturelle.

Recommandation n° 18 : maintenir voire rehausser les soutiens à l'agriculture vivrière et à l'élevage dans l'aide publique et privée à destination des pays en développement.

TRAVAUX EN COMMISSION

Audition de MM. Thierry Marx, chef cuisinier étoilé, Étienne Duthoit, fondateur et directeur général de Vital Meat, Nicolas Morin-Forest, cofondateur et président de Gourmey, et Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae)

(Mercredi 8 février 2023)

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons le plaisir ce matin d'accueillir quatre invités venant d'horizons divers : l'entrepreneuriat, la cuisine et la recherche. Ce qui les réunit est d'avoir, directement ou indirectement, quelque chose à nous dire sur ce qui est appelé « viande in vitro », « viande artificielle », « viande cellulaire » ou encore « viande cultivée » selon que l'on soit pour ou contre - la dénomination « viande » ne fait elle-même pas pleinement consensus...

Cette table ronde s'inscrit dans le cadre de la mission d'information sur la viande in vitro, que j'ai confiée à nos collègues Olivier Rietmann et Henri Cabanel. La mission rendra ses travaux le 8 mars, soit quelques jours après le salon de l'agriculture.

Pour poser le sujet, la viande in vitro est différente des alternatives à base de protéines végétales comme les galettes de soja ou de pois. Il s'agit littéralement de cellules animales, prélevées soit par biopsie sur un animal vivant, soit dans un oeuf ou un cordon ombilical ; ces cellules sont ensuite placées dans un bioréacteur et sont « nourries » dans un milieu de culture à température physiologique, qui contient des nutriments et dont la composition, qui varie d'une entreprise à l'autre, est bien souvent un secret de fabrication. Vous pourrez peut-être tout de même, messieurs, nous apporter quelques précisions à ce sujet.

Les entreprises du secteur avancent des promesses notamment en termes d'opportunités économiques, d'autonomie protéique, de bien-être animal et d'impact environnemental de notre alimentation. Ces promesses sont toutefois entourées de nombreuses incertitudes car il n'existe pas de produits à l'échelle industrielle en dehors de prototypes. Il sera important néanmoins que nos invités discutent de la réalité ou non de ces promesses dans l'hypothèse où la production viendrait à se développer.

Ce sujet peut certes paraître lointain, puisque la technologie n'est pas complètement mature et qu'aucune demande d'autorisation n'a été déposée pour l'heure au sein de l'Union européenne (UE) sur le bureau de l'autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Il nous a néanmoins paru important de défricher cette question, car il semble que l'on soit progressivement en train d'approcher du passage entre le laboratoire et le site industriel. Exemple récent, l'entreprise américaine Upside Foods a passé la première étape de l'autorisation de mise sur le marché aux États-Unis en novembre 2022 et il se dit que, dans l'UE, de premiers dossiers pourraient être déposés dès 2023.

En France, pays où la gastronomie et l'élevage ont un ancrage pluriséculaire, cette innovation suscite bien sûr des réactions contrastées et passionnées. Des réticences fortes s'expriment, tantôt au sujet de la viabilité de notre élevage, tantôt au titre de la sécurité sanitaire de l'alimentation.

Le ministère de l'agriculture a émis de façon constante de fortes réserves à l'égard de cette technologie et a soutenu un amendement dans la loi « Climat et résilience » interdisant les « denrées alimentaires qui se composent de cultures cellulaires ou tissulaires dérivées d'animaux » dans la restauration collective publique.

Mais dans le même temps, Bpifrance a accordé sur des fonds européens une aide à plusieurs entreprises du secteur dans un contexte de forte compétition à l'échelle mondiale pour la maîtrise de cette technologie. Et ailleurs en Europe, les Pays-Bas, sur fond de crise de leur modèle agricole, ont fait de l'« agriculture cellulaire » l'un des cinq piliers de leur stratégie pour l'autonomie protéique.

Nous avons la chance d'avoir autour de la table les dirigeants des deux principales entreprises qui développent de la viande in vitro en France et deux personnalités qui, pour des raisons différentes, ont un regard plutôt critique sur cette technologie.

Nous recevons ainsi : M. Nicolas Morin-Forest, cofondateur et président de Gourmey, start-up hébergée au Génopole à Évry, qui entend fabriquer du « foie gras de culture » ; M. Étienne Duthoit, directeur général de Vital Meat, filiale du groupe Grimaud spécialisé dans la sélection animale et l'élevage de volaille, qui souhaite fabriquer des cellules de poulet pour des plats transformés, par exemple des nuggets ; M. Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l'unité mixte de recherche sur les herbivores à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) - il a publié de nombreux articles sur la viande in vitro et ses limites - ; enfin, M. Thierry Marx, dont je précise qu'il s'exprime en tant que chef étoilé et non en tant que président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih). Thierry Marx a ouvert avec son associé, le chimiste Raphaël Haumont, un « Centre français d'innovation culinaire » à Paris-Saclay, qui s'intéresse à l'alimentation de demain. Il a, pour l'anecdote, cuisiné une poularde au vin jaune et aux morilles pour Thomas Pesquet quand il était dans la station spatiale internationale. Mais je crois que, se définissant comme flexitarien ou végétarien, Thierry Marx nous parlera plutôt de la végétalisation de notre alimentation, qu'il voit comme une clé de notre transition alimentaire.

M. Nicolas Morin-Forest, cofondateur et président de Gourmey. - Réfléchir sur la filière émergente de la viande de culture est une initiative pionnière et je vous en remercie. Cela démontre la capacité de la France à se poser les bonnes questions au bon moment.

Quelques mots sur le contexte. La demande en protéines animales est en très forte augmentation partout dans le monde, évidemment portée par la hausse de la démographie. Face à l'impératif de nourrir les êtres humains et de développer des modes de production plus économes en ressources, la viande de culture se présente comme une opportunité et une solution d'avenir.

C'est cette motivation qui est à l'origine de la création, en 2019, de notre société, Gourmey, dont je suis cofondateur et dirigeant. Nous sommes installés dans l'Essonne et nous devrions employer plus d'une centaine de personnes d'ici à l'année prochaine.

La viande de culture ne se développe pas uniquement en France et elle est en train d'arriver sur le marché. Elle s'inscrit dans la grande histoire des innovations agricoles et culinaires. L'heure n'est donc pas de nous positionner pour ou contre ce mode de production, mais d'en prendre acte et de nous demander quel rôle la France veut jouer. Pour notre part, nous pensons que la France doit être leader de cette filière innovante qui apporte une solution complémentaire aux méthodes traditionnelles et répond en partie à de nouvelles demandes et attentes de notre société.

Notre pays dispose déjà de futurs champions nationaux, dont Vital Meat et Gourmey, qui s'inscrivent dans les territoires et dans l'écosystème agricole français. Ainsi, notre entreprise est en train de développer un premier atelier de production dans le Val-de-Marne, l'un des tout premiers dans le monde, avec à la clé la création d'emplois locaux qualifiés, la démonstration du savoir-faire français en matière d'innovation et la mise en place de standards de production des plus stricts.

Soutenir sans attendre le développement de cette filière émergente est une opportunité, pour la France et l'Europe, d'être à la manoeuvre dans la définition d'un cahier des charges exigeant en termes de qualité des produits, de modes de production, de sécurité alimentaire ou encore d'impact environnemental.

Bref, nous devons agir plutôt que subir, être leaders plutôt que suiveurs.

De nombreux États, notamment en Europe, ont saisi l'importance majeure de ce sujet tant en termes économiques, y compris pour l'exportation, que de souveraineté alimentaire. Par exemple, nos voisins néerlandais ont récemment lancé un plan d'investissement public important pour accélérer la création d'une filière nationale. Faisons de même en France !

Ce qui fait la singularité de l'écosystème agricole français, c'est sa capacité d'innovation et la richesse de son savoir-faire. Nous ne devons pas laisser d'autres pays innover à notre place. La France a d'ailleurs toujours su marier tradition et innovation, en particulier en matière agricole et culinaire.

Nous avons donc toutes les cartes en main - l'excellence de notre écosystème de recherche, le rayonnement de notre gastronomie et bien entendu la place centrale de notre agriculture - pour créer une filière française d'excellence dans un esprit d'ouverture, de complémentarité et de collaboration entre le monde agricole, le monde de la recherche, les acteurs émergents et les pouvoirs publics.

M. Étienne Duthoit, fondateur et directeur général de Vital Meat. - Je suis très honoré en tant que citoyen d'être parmi vous et très heureux que le Sénat se saisisse du sujet de la viande de culture ou de la viande cellulaire, quelle que soit la manière dont on l'appelle - aujourd'hui, la dénomination n'est pas fixée. C'est un sujet encore méconnu qui suscite des interrogations - elles sont légitimes - et j'espère que nous pourrons y répondre ce matin.

La viande de culture est avant tout une nouvelle source de protéines animales goûteuses, saines, positives pour la santé et respectueuses de l'environnement au sens large. Ce secteur constitue un important enjeu stratégique pour la France, son autonomie alimentaire et sa compétitivité dans les dix prochaines années.

J'ai cofondé Vital Meat avec le groupe Grimaud en 2018 ; notre projet est le seul qui soit directement issu des filières agricoles traditionnelles. Le groupe Grimaud est une entreprise familiale de taille intermédiaire située en territoire rural, dans le Maine-et-Loire, dont le coeur de métier est la génétique animale et la production d'animaux reproducteurs - canards, porcs, lapins, crevettes, insectes, etc. C'est un acteur historique de l'élevage qui est parfaitement conscient des enjeux actuels de compétitivité de nos filières face aux productions étrangères, aux nouvelles attentes sociétales, à la diversification des régimes alimentaires ou encore aux difficultés liées aux pandémies animales, au réchauffement climatique et à la désertification des campagnes. Le groupe s'est d'ailleurs diversifié, depuis une vingtaine d'années, dans la biopharmacie et la bioproduction, branche dont sont issus la technologie et le savoir-faire de Vital Meat.

Notre objectif est de proposer une nouvelle gamme de protéines animales, complémentaire des filières existantes et avec un cahier des charges extrêmement exigeant en termes d'empreinte environnementale, de sécurité alimentaire, de santé, de qualité et de goût.

Nous nous sommes interrogés sur le sens de la viande de culture et sur son positionnement dans la filière. Pour moi, la priorité n'est pas de reproduire la viande à l'identique, de faire un blanc de poulet plus vrai que nature... La viande brute est un produit culturel et nous sommes nombreux à ne pas vouloir y renoncer. Notre vision est donc bien celle d'une complémentarité. Ainsi, nous orientons nos travaux vers la production d'un ingrédient de poulet avec le même goût et les mêmes apports nutritionnels que la viande conventionnelle afin qu'il puisse être utilisé dans toutes les recettes de produits élaborés que chacun connaît - nuggets, plats cuisinés, pizzas, salades, etc.

Demain, les consommateurs auront donc un nouveau choix possible : les produits issus de l'agriculture cellulaire. Ces produits feront partie d'un régime alimentaire de plus en plus diversifié et nous voulons que ce nouveau choix soit français et au plus proche de nos exigences en termes d'empreinte environnementale, de production locale, de sécurité alimentaire, de santé et évidemment de goût.

Nous sommes très fiers, à partir d'une technologie française brevetée et reconnue depuis une quinzaine d'années, d'être dans la course avec les plus gros projets mondiaux.

La viande de culture se rapproche chaque jour un peu plus de nos assiettes : un premier produit a été autorisé à Singapour fin 2020, une pré-approbation a été donnée aux États-Unis fin 2022. Les coûts de revient baissent et les échelles de production augmentent. Le moment est donc parfaitement choisi pour s'intéresser à cette thématique et je crois que la question centrale est de savoir quelle place la France va occuper dans cette nouvelle industrie.

M. Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). - Ma présentation sera un peu technique et je vous prie de m'en excuser.

Le principe de fabrication de ce qu'on appelle la viande de culture est de prélever des cellules souches musculaires sur un animal vivant ou de travailler avec des lignées cellulaires immortelles. Dans tous les cas, ces cellules, plongées dans un milieu de culture, se multiplient dans un bioréacteur de grande taille et on obtient, à la fin du processus, une importante quantité de fibres musculaires.

J'appuierai mon propos par une série de questions. Se posent d'abord des questions éthiques.

Si le nombre d'animaux d'élevage doit diminuer en raison du développement de la viande de culture, que va devenir la biodiversité animale et qu'en est-il des animaux qui vont rester et dont des cellules seront régulièrement prélevées ?

Si on utilise des lignées cellulaires immortelles, on entre dans la problématique des organismes génétiquement modifiés (OGM).

En ce qui concerne le milieu de culture, quelle est sa composition ? Il doit apporter des hormones, des facteurs de croissance et, jusqu'à présent, la viande de culture vendue à Singapour contient du sérum de veau foetal. Comment, par ailleurs, recycler ce milieu de culture ? Comment en diminuer les coûts ?

En ce qui concerne la multiplication cellulaire, la question de la stabilité ou de la dérive génétique doit être posée et étudiée.

Enfin, c'est un processus consommateur d'énergie, puisqu'il faut porter les incubateurs à température physiologique.

En ce qui concerne le produit final, contient-il des résidus du milieu de culture ? Quelle est sa composition ? Quelles sont ses qualités sanitaires, nutritionnelles et sensorielles ?

Est-ce que la viande de culture est de la viande ?

Non, selon la législation européenne. Les avis varient sur cette question selon les pays et pour des raisons politiques ou religieuses. L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) préfère parler de « cell-based food », c'est-à-dire d'aliments à base de cellules. Les véganes et les végétariens pensent que c'est de la viande, mais les consommateurs brésiliens que nous avons interrogés pensent le contraire. Les experts de la viande insistent sur l'idée qu'il y a autant de différences entre le vin et le jus de raisin qu'il y en a entre la viande et le muscle - il faut en effet prendre en compte l'étape importante de la maturation, c'est-à-dire de la transformation du muscle en viande.

Est-ce bon pour l'environnement ? En 2011, une étude de l'université d'Oxford (Tuomitso et al.) a répondu oui mais, depuis, d'autres études sont venues tempérer un petit peu cette conclusion. Par exemple, en 2015, il a été dit que l'impact environnemental est plus élevé pour la viande de culture que pour la viande de poulet ou pour d'autres sources de protéines (Smetana et al.). Un autre article a aussi contredit la première étude de 2011, en avançant le fait qu'il y avait une plus grande consommation d'énergie que dans la production de viande bovine (Mattick et al.).

Quand on regarde les gaz à effet de serre produits par ce processus, c'est essentiellement du COqui s'accumule dans l'atmosphère durant des centaines d'années, alors que l'élevage produit essentiellement du méthane qui disparaît plus vite de l'atmosphère (Lynch et Pierrehumbert, 2019).

Un rapport privé, publié partiellement récemment (Sinke et Odegard, 2023), montre que l'impact carbone varie d'un facteur V suivant le type d'énergie et insiste sur l'incertitude de ses estimations.

Un autre article de synthèse indique que beaucoup d'étapes ont été oubliées pour estimer l'impact environnemental de la viande de culture (Rodriguez-Escobar et al., 2021) et certains insistent non seulement sur la production de gaz à effet de serre ou l'utilisation des terres et de l'eau, mais aussi sur les services écosystémiques rendus par l'élevage - il faut bien entendu prendre ces services en considération dans la comparaison.

Qu'en pensent les consommateurs ?

Là aussi, il est extrêmement difficile de répondre, parce qu'on interroge les consommateurs sur un produit qui n'existe pas, si bien que leurs réponses ne sont pas très fiables.

En outre, la manière dont la question est posée joue beaucoup dans la réponse : si vous demandez aux consommateurs s'ils sont prêts à y goûter, la majorité va répondre oui ; si vous leur demandez s'ils sont prêts à en consommer régulièrement, la majorité va répondre non.

L'acceptation sociale varie très fortement selon de nombreux facteurs (Liu et al., 2021 ; de Oliveira Padilha et al., 2022) et la grande majorité des consommateurs voudrait que le prix de ce produit soit inférieur ou égal à celui de la viande conventionnelle (Liu et al., 2021 ; Chriki et al., 2021 ; Hocquette et al., 2022).

La majorité des consommateurs pense a priori que ce produit ne serait ni sain, ni savoureux, ni naturel (Hocquette et al., 2022). Les consommateurs sont sensibles à des arguments individuels sur leur santé ou le plaisir de manger (Gometz et al., 2019). Bien que 40 à 50 % des consommateurs français s'interrogent sur les problèmes éthiques et environnementaux de l'élevage, cela ne suffit pas toujours à convaincre, puisque seulement 18 % à 26 % de ces mêmes répondants pensent que la viande de culture est une solution (Hocquette et al., 2022) - cette proportion est donc relativement faible.

J'insiste sur l'importance de la communication. Même si ce n'est pas le cas des deux entreprises présentes ce matin, le combat anti-élevage reste une motivation de certains industriels.

Enfin, une dernière question : pourquoi le processus de recherche a-t-il été inversé ? Dans le monde académique, les projets de recherche sont expertisés ; si l'expertise est favorable, un financement est obtenu ; puis les résultats sont communiqués. Mais dans l'état actuel des choses, les entreprises communiquent sur de nombreux projets pour obtenir des financements privés. Il faut une expertise collective transparente faite par des organismes tiers indépendants, qui doivent accéder aux résultats existants détenus par les entreprises. En attendant, le principe de précaution doit s'appliquer.

Nous organiserons le prochain congrès mondial des sciences animales à Lyon en août 2023 ; nous inviterons l'ensemble des chercheurs travaillant sur ce thème.

M. Thierry Marx, chef cuisinier. - À Paris-Saclay, avec Raphaël Haumont, dans notre centre de recherche et de développement, le Centre français d'innovation culinaire (CFIC), nous sommes curieux de l'alimentation du futur. Nous avons étudié dans le détail ce type de produits, pour lequel nous ne disposons que de peu de recul.

J'ai du mal à appeler cela « viande ». Il ne faut pas tout mélanger : dans la gastronomie, on mange une histoire, une relation à l'humain, à un terroir. Or le risque est que l'alimentation ultra-transformée découlant de ces pratiques soit réservée aux populations les plus modestes, aggravant la fracture alimentaire, au-delà de la fracture sociale. Les plus modestes sont éloignés d'un reste à vivre alimentaire suffisant.

Cela nous inquiète : il n'y a pas de goût. Pour donner une saveur et une texture aux nuggets que nous avons goûtés, il faut les aromatiser - et on sait comment l'industrie le fait. Ce n'est pas cela, se restaurer : c'est ramener une histoire, un savoir-manger et un savoir-être dans l'assiette. La table et l'alimentation, c'est le plaisir, le bien-être, la santé.

L'industrie agroalimentaire y voit une nouvelle occasion de faire du low cost pour les plus modestes. Nous restons curieux, nous ne sommes pas critiques sur l'alimentation du futur, mais il ne faut pas laisser croire que la science et la technologie pourraient simplement répondre aux impacts environnementaux et sociaux. Sur la planète, la protéine animale est surconsommée. On en mange dans de mauvaises conditions, car on a cru au low cost et fabriqué trop de protéine animale, avec des impacts environnementaux détestables. Mais le flexitarisme, avec des proportions de 80 % de protéines végétales et 20 % de protéines animales, pourrait amener à d'autres équilibres d'ici vingt ans.

Nous ne sommes ni critiques ni arbitres. À Paris-Saclay, nous considérons qu'il n'y a pas de conflit entre tradition et innovation, qu'il faut avancer pour améliorer le sort de la planète et du genre humain, mais avec précaution. À chaque fois que l'on veut nous vendre ce type de produits, on met en avant l'impact environnemental, ce qui est gênant quand on voit les besoins énergétiques pour produire cette « viande ».

M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Lorsque j'ai proposé à Mme la présidente Primas de monter une audition sur le sujet de la viande in vitro, je ne savais pas encore que cela se transformerait en mission d'information. J'avais de fortes réserves à l'égard de cette innovation ; mon regard a quelque peu évolué au fil de la quarantaine de nos auditions, même si tous les doutes ne sont pas levés, comme l'indiquera M. Cabanel, corapporteur.

Force est de reconnaître que la France fait partie du marché unique, et que la procédure d'autorisation de nouveaux aliments sera décidée non au niveau français, mais au niveau européen. La question ne dépend donc pas de nous : il ne s'agit pas de savoir si le produit doit être ou non autorisé en France, ce qui ne relève pas de notre compétence de parlementaires. Il s'agit de savoir, un peu comme pour les OGM - même si le sujet est différent -, si nous essayons de prendre une petite part de la production mondiale, face aux États-Unis, à Israël, aux Pays-Bas, ou si nous laissons les autres arriver sur notre marché sans que nous maîtrisions la technologie.

J'étais ce lundi aux Pays-Bas pour rencontrer deux des principales entreprises développant ce produit en Europe, Mosa Meat à Maastricht et Meatable à Delft. J'ai également rencontré le ministre de l'agriculture néerlandais, et j'ai été frappé par la différence d'approche : là-bas, un plan public de 60 millions d'euros a été débloqué pour soutenir la recherche dans ce domaine. Je ne dis pas nécessairement qu'il faut suivre cet exemple : la France est la France, et les Pays-Bas sont les Pays-Bas. L'attrait pour l'innovation y est plus marqué, les contraintes sur les surfaces agricoles pèsent plus fortement, et l'agriculture est très intensive - elle a d'ailleurs causé de graves pollutions à l'azote à l'origine d'une crise agricole majeure.

Mais tout de même, cela interroge, d'autant qu'il n'y a pas que la viande in vitro : tout un champ de recherche et développement, comprenant aussi la fermentation de précision, est frémissant.

Que pouvez-vous nous dire sur la complémentarité ou la substitution avec les activités agricoles, et notamment l'élevage ? Dans les hypothèses les plus optimistes, la viande de culture représenterait seulement 0,08 % du marché mondial de la viande à l'horizon 2027-2030. Cela semble peu, mais si la progression est exponentielle, c'est déjà significatif.

Des recherches sur la production de viande in vitro à la ferme sont actuellement menées. Vous semblent-elles crédibles, ou ne s'agit-il que de pures opérations de communication ? Par ailleurs, dans quelle mesure la viande cultivée pourrait-elle s'insérer dans l'écosystème agricole et agroalimentaire existant, tant en amont, avec les nutriments nécessaires au milieu de culture, qu'en aval, avec l'insertion dans notre industrie agroalimentaire ou notre cuisine ?

Enfin, ma dernière question porte sur la gamme recherchée. On entend parfois que le coût fait obstacle pour les ménages modestes ou les pays en développement ; d'autres au contraire insistent sur l'intérêt du produit pour remplacer la viande de mauvaise qualité importée de l'autre bout du monde, et satisfaire la croissance de la demande en protéine animale dans les pays en développement, en Chine par exemple. Qu'en est-il selon vous ?

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Tout d'abord, je partage avec M. Rietmann une interrogation sur l'appellation de votre produit, qui suscite de nombreux débats - le chef Thierry Marx l'a indiqué. Il faut distinguer trois aspects.

Premièrement, nous banalisons par commodité de langage le terme générique « viande », mais ce terme peut être discuté : nous n'en sommes pas à reproduire des côtes de boeuf ou des pièces texturées avec des cellules musculaires, du gras, du sang et des tissus conjonctifs. Pour autant, les végétariens ne consommeraient pas de ce produit, qui reste d'origine animale.

Deuxièmement, il serait difficile de se passer du nom de l'espèce d'origine pour l'information du consommateur, notamment pour des raisons d'allergénicité.

Troisièmement, il faut prendre en compte la forme du produit : steaks, saucisses, carpaccio, lardons, etc. Cela nous renvoie au débat que nous avons eu pour les protéines végétales : l'utilisation de ces termes a été interdite par la loi pour des produits non animaux, mais le décret d'application a été suspendu pour des raisons de forme, et l'on peut aisément imaginer des contournements. Ces termes sont intéressants d'un point de vue commercial et pour favoriser l'acceptabilité par les consommateurs, mais ils sont aussi un frein pour l'acceptabilité sociétale des produits : le monde agricole se braque à cause de votre utilisation de ces termes. Pourrait-on envisager d'autres termes que celui de « viande » ? À quelle autre appellation commerciale pourrez-vous recourir ?

Par ailleurs, quels impacts cette technologie pourrait-elle avoir sur la concentration du marché de la viande ? M. Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, exprime des réserves car il ne veut pas de mastodonte de la viande. Si ces technologies se déployaient à grande échelle, ce secteur pourrait connaître une très forte concentration, alors que son amont était jusqu'alors plutôt décentralisé, du moins en France. Les géants européens et américains de la viande, comme Bell, Cargill, JBS ou Tyson, se positionnent en investisseurs. Dans le contexte de la mondialisation alimentaire, les conséquences peuvent être importantes tant chez nous qu'à l'autre bout du monde. Certaines entreprises comme Mosa Meat disent défendre un modèle décentralisé, mais il faut aller au-delà de la bonne volonté affichée des entreprises. Quels garde-fous peut-on envisager, par exemple en matière de propriété intellectuelle, pour limiter la concentration du secteur ? Par ailleurs, le coût de production de la viande in vitro pourrait-il vraiment baisser sans économies d'échelle ?

M. Nicolas Morin-Forest. - Concernant l'appellation, le terme de « viande de culture » est utilisé par commodité. Les recommandations d'étiquetage seront tranchées dans le cadre des procédures d'approbation réglementaire et de mise sur le marché, à l'échelle de l'Union européenne. Le dernier mot reviendra non aux entreprises, mais peut-être au consommateur qui, aujourd'hui, pour les différentes alternatives protéiques, utilise par commodité des mots dérivés des produits animaux.

À Gourmey, nous ne sommes pas cramponnés au mot « viande » ; nous travaillons à une solution alternative au foie gras, mais notre produit ne sera pas étiqueté selon cette appellation réglementée : nous pourrons peut-être y faire référence, mais en aucun cas notre produit ne pourra s'appeler ainsi, nous en sommes conscients. Pour rebondir sur les propos de M. Marx, l'expérience gustative de notre produit s'inscrit dans une forme de savoir-faire et de nouvelle tradition ; il a été développé avec des chefs et des personnalités du monde culinaire, qui ont reconnu des propriétés sensorielles proches du foie gras. À défaut de mieux, il est compliqué d'imaginer une autre appellation à court terme : nous ne l'utiliserons pas sur nos produits, mais par commodité nous l'utilisons.

L'allergie est un risque fondamental : nos cellules sont issues d'un prélèvement animal. Le consommateur doit savoir s'il consomme du poulet, du canard, de la crevette ou du boeuf : il s'agit d'une matière animale, même si elle a été produite de façon nouvelle. Il est fondamental que l'étiquetage indique l'origine animale des produits.

Concernant la place de la filière, l'intégration de la viande de culture dans la filière amont est évidente : la méthode de production consiste à alimenter des cellules avec des nutriments identiques à ceux consommés par les animaux. Les tourteaux de maïs seront consommés tant par les animaux que par les cellules, même si c'est sous une forme différente, puisque les cellules n'ont ni la capacité de mastiquer ni celle de digérer. Le monde agricole peut être intégré dans la fourniture du milieu de culture des cellules. Les perspectives d'économie circulaire sont fondamentales : des matériaux agricoles actuellement non valorisés pourraient être recyclés et devenir des nutriments pour les cellules, qui ont une plus grande flexibilité que les animaux pour l'alimentation, notamment parce qu'elles n'ont pas les mêmes contraintes liées au système digestif.

M. Étienne Duthoit. - Concernant la propriété intellectuelle des technologies, le domaine est nouveau, innovant : d'où la nécessité de développer une recherche publique sur le sujet, et de permettre aux entreprises de développer leurs propres technologies pour ne pas dépendre de l'étranger. Aujourd'hui, dans certains pays, aux États-Unis, en Israël ou en Hollande, des investissements très importants ont lieu. Il faut remettre les choses en perspective sur le long terme, se demander quels seront les modes de consommation d'ici dix ou quinze ans, pour que des technologies autonomes permettent l'autonomie protéique du marché français. Nous sommes là aujourd'hui pour vous faire part de cet enjeu, et vous inciter à développer des technologies propriétaires françaises.

M. Nicolas Morin-Forest. - Pour compléter, aux Pays-Bas, une partie des 60 millions d'euros du plan d'investissement public pour cette filière seront dédiés à la construction de plateformes de recherche publique, qui produiront de la propriété intellectuelle et des données scientifiques en accès libre, dont le monde académique comme les entreprises pourront bénéficier. Il est fondamental de faire ainsi en France : le milieu académique doit s'emparer du sujet.

M. Jean-François Hocquette. - Je suis d'accord avec vous concernant les nutriments. Mais il y a une différence évidente entre aliments et nutriments : les nutriments qui résultent de la digestion des aliments dépendent en grande partie de la population microbienne présente dans le tube digestif, qui diffère très fortement entre les ruminants et les monogastriques ou même, dans une même espèce, en fonction du régime alimentaire. Il est très compliqué de reproduire l'ensemble des nutriments dans le milieu de culture. Comment les produire, avec quelles méthodologies ? Il faudrait des unités de production en amont. Par ailleurs, plus que les nutriments, ce sont les hormones et les facteurs de croissance qu'il faut mettre dans les milieux de culture pour que les cellules se multiplient qui me posent le plus de questions.

Concernant la recherche publique, nous sommes fréquemment interrogés par la presse. Nous avons développé des travaux selon une stratégie différente. A priori, comme les entreprises sont en avance sur le plan technique, nous n'avons pas vocation à reproduire vos travaux. Nous devons plutôt étudier cette problématique dans sa globalité, en considérant notamment l'acceptation sociale et les impacts environnementaux, les aspects techniques n'étant qu'un aspect du problème. Pour avancer, il faut évidemment partager données et résultats, pour que ces derniers soient expertisés par différents laboratoires de recherche dans le monde, afin qu'un éclairage complémentaire soit apporté.

M. Thierry Marx. - Je suis saisi par le propos : nous parlons de « viande », mais le sourcing de ces produits, tôt ou tard, finira par nous échapper. Dans ce mot, il y a un trompe-l'oeil, pour ne pas dire une tromperie : on va vers une industrialisation massive de l'alimentation, et donc vers un appauvrissement culturel très fort. Le foie gras a une histoire. Il y a quelques années, on a massifié sa production ; pour produire plus de revenus, le produit est devenu relativement banal, avec davantage d'industrialisation et un appauvrissement culturel. C'est ce qui m'inquiète : cet appauvrissement peut ne plus permettre de revenir à l'idée gastronomique de l'assiette, plaisir, bien-être, santé.

J'entends les enjeux ; il ne faut pas que la France soit à la traîne. Mais la France n'a plus le pouvoir de dire stop, on ne veut pas de ce produit chez nous. Cela me gêne, en tant qu'artisan. En tant que chercheur, j'écoute le propos, mais je n'arrive pas à déconnecter cela de la massification de l'industrialisation de notre nourriture, de la mondialisation et de l'appauvrissement culturel. On ramène tout sur la consommation et sur le prix, et plus assez sur la culture. Savoir manger, c'est savoir être, redonner du sens à son alimentation. Se restaurer a du sens en matière de lien social. Sinon, on peut aussi se nourrir par perfusion comme à la Pitié-Salpêtrière !

M. Laurent Duplomb. - Exactement !

M. Thierry Marx. - L'idée fantasmée qu'il s'agirait d'un pseudo-foie gras, d'une pseudo-viande, mais dont le consommateur ne peut plus connaître l'origine, me pose problème.

En revanche, j'entends que la France ne doit pas être à la traîne en matière de recherche, de manière à ce que nous puissions en conscience déterminer ce dont nous voulons ou pas.

L'agriculture porte également un sens social et culturel. J'ai l'impression d'entendre à nouveau les discours des années 1970 encourageant le low cost au détriment de la qualité en faisant valoir le pouvoir d'achat. Cette manipulation des masses me gêne.

M. Étienne Duthoit. - Nous ne sommes pas là pour remplacer la viande, mais pour proposer un nouveau choix en matière de protéines animales, participant de la diversification alimentaire, à l'instar des protéines végétales et peut-être, demain, des insectes. De ce fait, si je comprends que le terme de viande interroge, il ne s'agit pas d'un appauvrissement culturel.

En ce qui concerne la qualité des denrées alimentaires que nous proposerons, les agriculteurs sont actuellement soumis à une injonction paradoxale : ils doivent évoluer vers un modèle agroécologique qualitatif tout en maintenant des prix bas. À mon sens, les solutions technologiques que nous apportons sont complémentaires de cette transition, qui ne va pas faire exploser les rendements. Nos produits seront de qualité, sur le plan gustatif, sanitaire et nutritionnel, et auront toute leur place dans le cadre d'une nutrition globale.

Mme Marie-Christine Chauvin. - La viande in vitro compte des soutiens parmi les stars et les grandes fortunes de la Silicon Valley, qui financent son développement. Or ces derniers financent également des associations que l'on peut qualifier d'animalistes. Cela ne vous met-il pas mal à l'aise de prospérer sur une forme de dénigrement de l'élevage, qui est réduit à son seul impact environnemental ?

N'oublie-t-on pas un peu vite les aspects positifs de l'élevage qui, au-delà de son objectif de nourrir la population, a des retombées économiques et façonne nos paysages ? Certaines races d'animaux ne risqueraient-elles pas de disparaître si ce type de produits se développait à très grande échelle ? Qu'adviendrait-il de nos fromages AOP, parmi lesquels le Comté - reconnu l'année dernière meilleur fromage du monde ?

Par ailleurs, vous dites que votre produit a vocation à remplacer le poulet brésilien élevé aux médicaments, mais nous disposons en France d'une filière d'élevage de qualité, fragile économiquement, qui n'a rien à voir avec l'élevage intensif que nous observons en Chine ou aux États-Unis. Si la viande in vitro n'est pas la seule menace qui plane sur notre élevage, la filière n'avait vraiment pas besoin de cela.

M. Arnaud Bazin. - Tout d'abord, nous devons replacer le débat sur cette viande « de culture » dans une perspective plus large d'apport protéique dans l'alimentation humaine - protéines végétales, fermentation de précision... Notre schéma d'alimentation, inculqué dès l'enfance, est difficile à faire évoluer, aussi devons-nous nous interroger sur les apports protéiques nouveaux qui pourront s'y intégrer.

Ma première question est d'ordre sanitaire : pour que les cellules souches pluripotentes se différencient en cellules de foie pour faire du foie gras, ou de muscle pour faire de la viande, il faut leur donner un milieu de culture, lequel peut comporter des hormones, des peptides, des intrants... Si certains problèmes peuvent être évités par ce mode de production, comme les contaminations par des bactéries, une garantie de sécurité sanitaire sur ce milieu de culture doit être apportée en vue d'un éventuel agrément.

Je m'interroge par ailleurs sur le bilan environnemental de ce type de production, qui ne fait pas, à ce stade, religion. Il est urgent de mener des études globales sur ces processus industriels qui n'existent pas encore.

Enfin, cette filière est-elle viable sur le plan économique ? Les levées de fonds des start-up représentent des investissements importants. La recherche doit apporter un premier regard avant même d'envisager d'investir des fonds publics qui, sinon, seront à fonds perdus.

Une démarche scientifique est indispensable en préalable, le consommateur tranchera ensuite.

M. Franck Montaugé. - Dans l'expression « viande de culture », je m'interroge sur le terme « culture », car le rapport à la nourriture est un trait de civilisation. Le foie gras que nous connaissons et auquel je suis très attaché n'est pas celui de l'Égypte ancienne. Je n'appellerai pas à la rescousse Claude Lévi-Strauss, mais nous assistons peut-être à un changement de paradigme dans notre rapport civilisationnel à la nourriture.

Cela pose également la question de la place de l'agriculteur-producteur dans le processus d'évolution du modèle agricole. Ce que vous nous proposez, c'est de conférer à celui-ci un rôle d'exécutant auprès d'entreprises agroalimentaires.

Nous devons mobiliser des données objectives sur cette question, notamment les effets sur le climat, au travers d'études d'impact complètes et non biaisées. J'entends dire que l'élevage doit être éradiqué parce qu'il réchauffe l'atmosphère, mais il permet également de séquestrer le carbone.

Enfin, je partage le point de vue de Thierry Marx sur la question de l'accessibilité à une viande de qualité pour tous les Français.

M. Bernard Buis. - De quelles données disposons-nous sur l'impact énergétique de la production de viande in vitro ? Un tel mode de production consomme-t-il moins d'énergie que l'élevage traditionnel ou s'agit-il d'une fausse bonne idée ?

Par ailleurs, ce type de production n'engendrerait-il pas un recul de l'élevage paysan ? Quelles en seraient les conséquences sur la gestion des paysages et des prairies ?

Enfin, que penser du risque d'accaparement de l'alimentation par quelques firmes qui pourraient, à l'avenir, détenir un pouvoir considérable ?

M. Laurent Duplomb. - Durant ma jeunesse, dans les années 1970-1980, on nous expliquait que, après l'an 2000, nous mangerions tous des cachets et que l'alimentation ne serait plus un plaisir. Or il s'est passé l'inverse : les consommateurs français ont exigé des circuits courts, des AOP, une traçabilité des produits, une forme de bien manger...

Je vous le dis tout net : je suis contre la viande in vitro. Je n'en vois pas l'intérêt ni pour notre culture ni pour notre pays.

Comment informerons-nous un consommateur, dans un restaurant, de la quantité de viande in vitro que comprend son plat ?

Quant aux protéines végétales, je vous rappelle que nous ne produisons actuellement qu'un fruit ou légume consommé sur deux et importons l'autre moitié. Si ces végétaux sont amenés à devenir la base de notre alimentation, quels seront les effets sur les émissions de dioxyde de carbone ?

Nous lisons à longueur d'articles que les aliments ultra-transformés seraient cancérigènes ; la viande in vitro n'est-elle pas un produit ultra-transformé ? Ce n'est pas un produit totalement naturel...

Je suis un amoureux des paysages « multiculturels » de la France. Supprimer l'élevage en France, ce serait les altérer.

Je n'ai pas envie de vivre dans un pays où tout est aseptisé, où l'on porte un masque à longueur de journée, où la devise nationale a été remplacée par « Peur, Culpabilité, Interdit ». Je souhaite disposer de la liberté de manger ce que je veux, en particulier de la viande de bovin vivant, courant dans les prés et étant élevé par des agriculteurs !

M. Laurent Somon. - Il ne faut pas confondre s'alimenter et se nourrir. Le plaisir de manger est ancré dans notre culture et je retiens l'image de « ramener dans l'assiette une histoire ». N'oublions pas notre culture.

Je partage l'interrogation d'Arnaud Bazin sur les additifs employés dans le processus de fabrication de la viande in vitro. Vous avez par ailleurs indiqué que la culture cellulaire permettait de développer une filière agricole pour la constitution des substrats ; pouvez-vous apporter des précisions à ce sujet ?

M. Daniel Salmon. - La production de viande in vitro nous fait franchir une nouvelle étape dans l'industrialisation de l'agriculture. Les études d'impact doivent être approfondies pour déterminer les conséquences de l'élevage sur l'environnement - puits de carbone, préservation de la biodiversité, prévention incendie... - et de la viande in vitro sur la santé - additifs, intrants...

La malbouffe est très présente ; les plus précaires n'ont pas accès à une nourriture de qualité.

Il s'agirait d'une vraie rupture culturelle : ce serait un appauvrissement de l'humanité, dont nous n'avons pas encore envisagé tous les enjeux. Je suis complètement opposé à franchir un tel cap.

La compétitivité ne justifie pas tout.

M. Serge Mérillou. - Je n'ai pas de doute sur la capacité de ces sociétés à mettre au point de tels produits - malheureusement. Elles lèvent des fonds à marche forcée : aux États-Unis, le chemin est tout tracé. Dans le cadre de la mondialisation, ne risquons-nous pas de voir émerger un monopole de quelques très grandes sociétés, qui auront les moyens d'imposer leurs choix par des moyens énormes mis dans le marketing ? La recherche publique sera vite prise de vitesse, il faudrait qu'elle s'intéresse plutôt aux conséquences sur l'environnement, sur le monde du travail et sur la société.

Le débat traditionnel entre agriculture productiviste et agriculture familiale sera vite dépassé. Le foie gras du Périgord à partir de cellules souches, c'est la négation de la société. Comment peut-on en arriver là ?

M. Daniel Gremillet. - La France a su conserver la plus grande diversité animale au monde, toutes espèces confondues. C'est le fruit du travail conjoint des paysans et des investissements publics dans nos territoires. Ce patrimoine génétique est très précieux.

La France a fait le choix de ne pas autoriser les organismes génétiquement modifiés (OGM). Résultat : notre capacité d'intervention en matière de semences s'est appauvrie et les chercheurs se sont déportés outre-Atlantique. Nous ne pouvons pas nous désintéresser de tout ce qui se passe. La viande in vitro est un sujet un peu avant-gardiste, mais tout va très vite : le lait végétal, aujourd'hui, est vendu massivement ; les paysans aujourd'hui l'acceptent, mais ce n'était pas le cas il y a vingt ans. Ce serait une erreur que la France ne s'intéresse pas à cette recherche. Je précise qu'une expertise scientifique très poussée, indépendante des entreprises, est nécessaire. Ainsi, les décideurs politiques pourront faire des choix éclairés.

J'en viens à l'aspect sanitaire. Toute production alimentaire est une matière vivante. Or, dans un élevage, le risque est dilué. Il ne faut jamais concentrer les risques, or je crains que ce ne soit le cas avec la viande in vitro. Comment ce risque a-t-il été analysé ?

Par ailleurs, l'interdiction des antibiotiques dans l'élevage porcin est récente. Le risque sanitaire n'impose-t-il pas la présence d'antibiotiques dans ces cellules souches ?

Enfin, soyons honnêtes : la France et l'Europe ont interdit les OGM, mais nous en mangeons tous les jours, car ils sont présents dans les produits importés.

Comment protéger ce qui appartient à notre histoire française ? Entre nos souhaits et ce qui arrivera dans nos assiettes, l'écart risque d'être grand.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - En matière de choix des consommateurs, il ne s'agit pas d'un problème générationnel, mais d'un choix. Monsieur Marx, êtes-vous prêt, demain, à proposer dans votre restaurant, une fois les homologations nécessaires obtenues, un plat avec de la viande in vitro ? Qu'adviendrait-il de l'image de la gastronomie française ?

M. Fabien Gay. - L'opposition semble totale, quelle que soit notre couleur politique. Cela en dit long sur la société dans laquelle nous voulons vivre.

La question de l'alimentation pour toutes et tous est essentielle : tout le monde a droit au bon, mais tous n'y ont pas accès. Est-ce que les 10 milliards d'êtres humains pourront se nourrir à terme dans de bonnes conditions ? Je ne pense pas que la viande in vitro soit la solution. Si tant de milliards d'euros sont levés, c'est que des logiques de marché sont à l'oeuvre. Au moment des traités de libre-échange, au moment où l'on favorise les moins-disants environnementaux, on vient nous proposer des produits bourrés d'antibiotiques et de fongicides. Allons-nous continuer ainsi ? Je ne sais pas s'il faut refuser ce type de produits, mais ils représentent une société dans laquelle je ne veux pas vivre.

En revanche, je pense que la recherche publique doit absolument s'intéresser à la question. Le marché va exister, nous ne pouvons être une nouvelle fois à la traîne.

Mme Patricia Schillinger. - Il y a quelques années, un Français s'est exporté en Israël et a fondé un laboratoire avec la société Aleph Farms, qui propose des steaks à partir de viande in vitro : le steak coûte 50 dollars pour quelques grammes. La consommation de masse, ce n'est pas pour demain.

Comment pouvons-nous garder nos chercheurs ? Nous devons absolument préserver notre recherche.

Mme Sophie Primas, présidente. - La question du marché est récurrente. Quelles sont vos prévisions dans le monde et en France ? Les réticences sont nombreuses dans notre pays. Vous sortirez bientôt du statut de start-up et affronterez la vraie vie économique ; vous souhaitez notamment monter une usine en France. Quel est votre marché ?

M. Étienne Duthoit. - La bonne perspective est de savoir ce que seront notre monde et le marché français et international dans dix ou quinze ans. Les réticences sont naturelles, mais il faut se projeter : l'adaptation au changement climatique sera très concrète pour notre système de production agricole. Il nous faudra composer avec de nouvelles pandémies au sein des élevages. Le monde dans quinze ans sera très différent.

Nous ne renonçons en rien au plaisir de la table. Nos consommateurs ne mangeront nos produits que s'ils sont bons. Viande de culture et viande d'élevage ne s'opposent pas, tout comme manger un plat de lentilles ne signifie pas dire non à l'élevage. Nous proposons simplement une diversification des sources de protéines.

Cette culture consiste à mettre dans de grandes cuves des cellules au sein d'un milieu nutritif ; à la fin, les cellules sont séparées de ce milieu et sont lavées. Nos modes de production sont des procédés proches de la production d'une levure, qui n'est pas un produit transformé.

En matière sanitaire et de santé publique, nous n'utilisons pas d'hormones de croissance telles que des stéroïdes. En fonction des technologies, nous plaçons dans les milieux de culture des facteurs de croissance, de petites protéines qui sont éliminées à terme avec le milieu de culture : ne faisons pas d'amalgame.

Nos produits seront soumis à l'autorisation préalable de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) au terme d'un processus long d'au moins dix-huit mois. Toutes les questions seront posées aux meilleurs spécialistes du monde et la sécurité sanitaire sera garantie.

Enfin, souvenons-nous qu'à l'échelle mondiale l'élevage représente plus de 50 % de la consommation d'antibiotiques. L'agriculture cellulaire n'en a que plus d'intérêt pour lutter contre l'antibiorésistance, car elle permet de produire en environnement contrôlé, sans antibiotiques.

M. Nicolas Morin-Forest. - La cuisine et l'agriculture n'ont cessé de se réinventer : la viande de culture n'est en aucun cas le chapitre ultime de cette histoire, mais pourquoi ne serait-elle pas l'un de ses chapitres, avec tant d'autres innovations répondant aux nouvelles demandes de nos concitoyens ?

Si notre société s'appelle Gourmey, c'est parce que nous avons mis le goût au coeur de notre démarche. Tous nos produits sont co-développés avec des experts du monde de la cuisine, des chefs et des restaurateurs qui les soutiennent et apportent leur éclairage. Ainsi, notre foie gras de culture a pour mission première d'apporter du plaisir ; il n'est pas censé représenter une concession ou copier le foie gras traditionnel, auquel nous sommes attachés, moi le premier.

Une meilleure connaissance du sujet permet d'écarter les idées reçues. Nous sommes là pour répondre à vos questions et faire toute la lumière sur ces procédés et, à ce titre, la comparaison fournie par Étienne Duthoit est tout à fait pertinente : il faut imaginer des cuves en inox où les cellules seront alimentées, à l'image des levures grâce auxquelles on produit de la bière.

Il y a mille et une façons de produire de la viande de culture ; aujourd'hui, nous avons la possibilité de le faire « à la française », avec des objectifs très ambitieux et des standards extrêmement élevés, qu'il s'agisse de l'alimentation des cellules ou de l'impact environnemental.

La question du bilan environnemental est en effet centrale. D'une part, comment va-t-on chauffer les fermenteurs ? De l'autre, comment va-t-on alimenter les cellules ? Selon nos choix technologiques, le bilan peut être plus ou moins favorable. En tant que société française qui souhaite rester en France, nous nous engageons à faire les choix les plus vertueux et profitables à l'écosystème agricole français, dans lequel nous nous inscrivons.

Il est encore un peu tôt pour tirer des conclusions sur l'impact environnemental et il faut effectivement investir dans la recherche, notamment à ce titre. L'année prochaine, notre premier point de production sera construit et en activité ; nous nous engageons à fournir des analyses en cycle de vie, qui apporteront des informations très factuelles à tous les stades de production.

Gardons en tête qu'il s'agit d'une industrie naissante : toutes les attentes ne peuvent être, d'emblée, fixées au niveau plus élevé. Nous procéderons étape par étape et nous apprendrons progressivement.

Enfin, le processus de mise sur le marché des novel foods est en soi une application du principe de précaution. Il prévoit toute une série de tests ; les viandes de culture seront parmi les produits les plus analysés. À l'instar de M. Duthoit, nous n'utilisons ni antibiotiques ni hormones de croissance ; c'est peut-être cela travailler « à la française ».

M. Étienne Duthoit. - Les mastodontes de la viande existent déjà, notamment aux États-Unis, mais je suis convaincu qu'il en sera autrement en France.

Ma vocation, aujourd'hui, c'est d'être le producteur d'un ingrédient, à savoir le poulet. Je discute avec les coopératives et les entreprises agroalimentaires de nos territoires pour proposer des produits finaux, notamment des plats cuisinés. Je m'inscris totalement dans une filière agroalimentaire existante et dans un système économique diversifié tel qu'il existe aujourd'hui. De même, nous travaillons avec un producteur de nutriments français : il est bel et bien possible de créer une filière française et « à la française ».

M. Jean-François Hocquette. - Si j'en crois une publication internationale émanant de différentes entreprises étrangères, l'utilisation d'antibiotiques reste probable ; ces produits seraient employés moins largement que dans l'élevage, mais il semble difficile de s'en passer complètement.

Un effort de communication est bel et bien nécessaire. Toutefois, je ne suis pas certain que l'explication du processus de fabrication entraîne une meilleure acceptation. Je plaide une nouvelle fois en faveur de la transparence, qu'il s'agisse des analyses du cycle de vie (ACV) ou des données brutes sur lesquelles elles reposent, dans une politique de science ouverte.

Enfin, cette problématique doit être abordée dans toutes ses dimensions, techniques, environnementales, culturelles ou encore sociales. Fort de ses quatorze départements de recherche et des 12 000 personnes qu'il regroupe, l'Inrae est à même de conduire une expertise collective à la demande du Parlement ou du Gouvernement. Encore faut-il que notre institution soit formellement saisie pour qu'elle puisse mobiliser l'ensemble de ses experts.

M. Thierry Marx. - En tant que représentant de la chaire « Cuisine du futur » de l'université Paris-Saclay, j'estime qu'il faut poursuivre la recherche, car il n'y a pas de raison que la France soit à la traîne.

En tant qu'artisan cuisinier, je ne pourrai pas empêcher que ces produits existent, mais je n'en proposerai pas à ma carte.

On va, encore et toujours, vers une alimentation à deux vitesses.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Exactement !

M. Thierry Marx. - Dans un parfait esprit darwinien, l'industrie agroalimentaire ne cesse de s'adapter. Aujourd'hui, elle adopte le discours environnemental et promet des produits à petit prix à condition que l'on renonce à la qualité : c'est une énième déclinaison de la théorie du low cost, apparue dans les années 1970 et servie par un marketing extrêmement puissant.

La France peut décider de se montrer active ; mais, tôt ou tard, elle perdra le contrôle de cette recherche. Il en ira de même que pour les organismes génétiquement modifiés (OGM).

La perte de culture facilite la manipulation des masses ; ce qui nous menace, c'est la perte des identités locales et nationales au profit d'une alimentation normalisée et mondialisée. Je peux me tromper ; mais, avec les chercheurs de Paris-Saclay, j'ai pris l'habitude d'étudier le passé pour voir le présent et entrevoir l'avenir.

Nous sommes face à une boîte de Pandore qu'il faut à tout prix éviter d'ouvrir. Mais, en définitive, c'est l'Europe qui décidera du contenu de notre assiette, car elle a la puissance de l'argent. C'est dérangeant, mais c'est ainsi.

À terme, la gastronomie française risque fort d'être réservée à quelques initiés, alors même qu'il faut, selon moi, refaire le mangeur de demain en lieu et place du consommateur et du surconsommateur : voilà la démarche essentielle, qu'il faut commencer à l'école.

Avec l'association Bleu-Blanc-Coeur, nous avons défini ce qu'est un bon produit, selon ses impacts social, environnemental et nutritionnel. C'est le bon produit qui nous permet de renouer avec un véritable monde paysan et la France doit être capable de proposer de bons produits pour tous.

M. Franck Montaugé. - Bravo !

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie. Nous n'en sommes, à l'évidence, qu'au début de la réflexion.

Examen en commission

(Mercredi 15 mars 2023)

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous allons à présent examiner le rapport d'information consacrée, selon son appellation initiale, à la « viande in vitro », dont Olivier Rietmann et Henri Cabanel sont les rapporteurs. Je leur donne donc la parole pour qu'ils nous présentent leur rapport et leurs propositions. Je donnerai ensuite à chacun l'occasion de s'exprimer.

M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Merci Madame la Présidente. Mes chers collègues, avant d'aborder la question passionnelle de la « viande in vitro », ou plutôt des aliments cellulaires, je voulais commencer par rappeler l'état d'esprit dépassionné dans lequel la mission d'information a abordé cette question.

Quand j'ai proposé à Sophie Primas d'organiser une audition sur le sujet, je ne savais pas encore qu'elle se transformerait en une mission d'information avec Henri Cabanel. J'avais en revanche, en tant qu'ancien éleveur et engraisseur, quelques idées bien arrêtées à l'égard de cette innovation. Nous aurions donc pu nous contenter de dresser un réquisitoire contre les aliments cellulaires. Cette solution de facilité m'aurait d'ailleurs épargné quelques réflexions. Toutefois, il ne m'a pas semblé que c'était notre rôle. La question dépasse le fait de savoir s'il faut se positionner pour ou contre les aliments cellulaires puisque la décision de l'autoriser ou non nous échappe en tant que parlementaires.

Nous nous sommes plutôt donné comme objectif d'étudier les perspectives de développement des aliments cellulaires et les conséquences, bien sûr négatives mais aussi potentiellement positives, que ce développement pourrait avoir au regard d'objectifs identifiés comme stratégiques pour la société : la création de richesses, l'autonomie protéique, la souveraineté alimentaire, une alimentation accessible et de qualité, la santé, la nutrition ou encore le climat et la gestion de l'eau...

Pour que les deux déplacements sur le terrain et la quarantaine d'auditions menées soient productifs, il fallait aborder le sujet de façon technique et sans a priori, en mettant de côté nos opinions personnelles. Cela ne signifie pas que je n'ai pas conservé un avis personnel sur la question, bien au contraire, mais que je me suis efforcé de réfléchir en tant que législateur et non en tant que consommateur. L'intérêt de cette démarche est qu'une critique ne vise jamais aussi juste que lorsqu'elle est appuyée sur des faits plutôt que sur des demi-vérités ou des approximations.

J'en viens à notre rapport, qui compte une centaine de pages et se veut très documenté. Il contient même certaines informations qui n'étaient pas publiquement disponibles auparavant et auxquelles certains chercheurs n'avaient pas accès.

Notre constat s'articule en deux temps. Sa première partie présente de façon descriptive de quoi il s'agit, en répondant aux questions : qui, quoi, où, quand, comment et pourquoi. Sa seconde partie vise à vérifier le réalisme - ou non - des promesses des entreprises du secteur, dans une logique comparative avec l'élevage.

Forts de ces constats, nous formulons vingt-deux recommandations, regroupées en quatre axes, dans la perspective de « maîtriser la technologie pour mieux l'encadrer » - c'est le titre du rapport.

Le premier de ces axes consiste en un appel à intensifier les recherches sur les aliments cellulaires pour prendre des décisions en toute connaissance de cause.

Il s'agit là de l'un des enseignements majeurs auxquels a abouti l'audition plénière du 8 février dernier : chez les plus sceptiques, dont vous étiez pour la plupart, comme chez les promoteurs des aliments cellulaires, un consensus s'est dessiné pour accroître nos connaissances sur le sujet, tant les inconnues restent nombreuses.

J'en citerai deux exemples. D'abord, la composition du milieu de culture reste un secret de fabrication jalousement gardé par les entreprises.

Ensuite, bien que le GIEC ait souligné son potentiel de décarbonation, l'impact environnemental de la production à l'échelle industrielle d'aliments cellulaires en analyse de cycle de vie est calculé à partir d'extrapolations.

Un effort doit donc être mené dans la compréhension du produit et des procédés en tant que tels. Sans nécessairement reproduire l'ensemble des travaux des entreprises, une unité mixte de recherche au sein de l'Inrae et du CNRS pourrait être dédiée à la maîtrise des techniques de l'industrie cellulaire et à une plus large diffusion des aspects les plus méconnus de ses procédés de fabrication.

Sur le modèle d'Israël et des Pays-Bas, cette infrastructure publique constituerait, du reste, un avantage compétitif pour les entreprises françaises, renforçant nos chances de ne pas perdre pied dans la compétition mondiale pour la maîtrise de la technologie, et nous évitant de tomber dans la dépendance vis-à-vis de grandes entreprises étrangères.

Face aux nombreuses incertitudes qui demeurent au sujet des aliments cellulaires et de leurs conséquences sur la société, il n'en reste pas moins essentiel de procéder à une évaluation socio-économique, environnementale et éthique de la diffusion des aliments cellulaires. C'est pourquoi, comme l'a proposé le chercheur Jean-François Hocquette, nous demandons formellement à ces organismes de recherche une expertise scientifique collective (ESCo) pour, au-delà de la question du comment, nous poser la question du pourquoi.

Cet effort de recherche serait toutefois vain si les plus de cent entreprises qui développent ce produit dans le monde ne jouaient pas le jeu de la transparence. Un tel principe paraît d'autant plus justifié que ce secteur, dont on a parfois l'impression qu'il veut laver plus blanc que blanc, fait des préoccupations écologiques un argument commercial majeur.

En matière de sécurité sanitaire, l'EFSA oblige désormais les entreprises opérant en Europe à l'informer du lancement de toute nouvelle étude relative aux risques sanitaires, afin d'éviter la rétention d'informations et la sélection des données les plus favorables. Nous proposons de transposer cet impératif de transparence de la santé à l'environnement, en imposant la communication des données en analyse de cycle de vie aux autorités environnementales (en France, à l'ADEME) dès le stade des ateliers-pilotes et surtout lors des premières étapes de l'industrialisation.

Ces efforts de recherche et de transparence permettront d'éclairer la décision des pouvoirs publics et de forger une position interministérielle plus cohérente qu'aujourd'hui sur l'industrie cellulaire. Illustrant les hésitations des pouvoirs publics, le ministère chargé de l'agriculture, en la personne de MM. Denormandie et Fesneau, s'est fermement opposé aux aliments cellulaires. Cependant, dans le même temps, Bpifrance a financé à hauteur de près de 15 millions d'euros les deux entreprises françaises actives dans ce secteur, Vital Meat et Gourmey, au titre du soutien à l'innovation.

Afin d'éviter un stop-and-go contre-productif, nous demandons au Gouvernement soit d'élaborer un livre blanc dédié à l'industrie cellulaire, soit d'intégrer celle-ci dans la stratégie nationale protéines végétales (qui inclut déjà les insectes). L'idée, à travers ces documents, n'est ni d'être pour ni d'être contre les aliments cellulaires, mais d'inviter les pouvoirs publics à mener une réflexion d'ensemble sur les différentes sources de protéines actuelles et futures. Cela devrait permettre en particulier de mettre la lumière sur la fermentation de précision, une technique moins médiatique mais beaucoup plus avancée que la production d'aliments cellulaires, pour produire par exemple la caséine du lait ou le blanc de l'oeuf, en lien, déjà, avec de grands groupes laitiers tels que Bel.

Tant que ces efforts de recherche (expertise scientifique collective) et de réflexion (livre blanc sur l'industrie cellulaire) n'auront pas été menés, la mission appelle à se montrer prudent et à ne pas exclure par principe le financement de l'innovation dans ce secteur, que ce soit par des subventions publiques ou des concours. Dans cette période transitoire, les financements doivent être octroyés au cas par cas, selon des critères d'opportunité. Procéder autrement reviendrait à s'auto-infliger une perte de chances dans la compétition mondiale pour la maîtrise d'un produit qui risquerait d'être commercialisé malgré tout par des entreprises étrangères.

Enfin, nous avons pu mesurer que nos travaux intervenaient encore un peu tôt dans le développement des aliments cellulaires : c'est frémissant, mais cela ne bouillonne pas encore. C'est pourquoi nous proposons de réaliser un droit de suite à ce rapport d'information, un an après les premières demandes d'autorisation déposées sur le bureau de l'EFSA, à un moment où les pouvoirs publics seront amenés à se prononcer.

Je donne à présent la parole à mon collègue Henri Cabanel qui va successivement vous présenter les axes 2 et 3 de nos recommandations.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Madame la Présidente, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier Olivier de m'avoir associé à cette mission et saluer la passion qu'il a mise au service de cette dernière. Il m'a totalement happé sur un sujet que, jusqu'alors, je regardais de loin.

À travers de telles missions, nous avons la chance d'effectuer un travail en profondeur qui nous amène à la réflexion et, aujourd'hui, à la présentation de ce rapport.

Je vais désormais présenter l'axe deux, qui vise à consolider la procédure d'autorisation de mise sur le marché des aliments cellulaires. Il faut rappeler que partout dans le monde, la commercialisation requiert une autorisation de mise sur le marché fondée sur une évaluation de la sécurité sanitaire des produits. À ce jour, seule Singapour a autorisé des bouchées de « poulet cellulaire », en 2020, tandis qu'aux États-Unis, où l'autorisation a lieu en deux temps, seule la première étape a été validée.

Au sein de l'Union européenne, aucun dossier n'a encore été déposé. L'autorisation devra suivre une procédure réglementaire centralisée, définie dans le règlement européen de 2015 dit « nouveaux aliments ». C'est la Commission européenne qui est compétente pour autoriser tout « nouvel aliment » (c'est-à-dire non consommé avant 1997, comme les insectes ou l'alimentation cellulaire), après avis de l'autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Les États membres s'expriment à la majorité qualifiée dans le cadre de la « comitologie », mais ils ne disposent pas individuellement d'un droit de veto. Autrement dit, si l'autorisation est donnée, elle est valable sur l'ensemble du marché intérieur, y compris dans les pays où elle aurait été refusée.

Tant qu'une telle autorisation n'est pas donnée, on peut s'appuyer sur l'amendement de l'ancien député Julien Aubert à la loi « Climat et résilience », qui exclut les aliments cellulaires de la restauration collective - cantines scolaires et administratives, EHPAD, prisons... Nous proposons d'aller plus loin en réaffirmant plutôt dans la loi le principe de l'interdiction de toute commercialisation, en restauration collective ou non, tant que le produit n'est pas autorisé dans le cadre du règlement européen « nouveaux aliments ».

En revanche, il serait cohérent de clarifier le droit existant sur les « dégustations » d'aliments cellulaires qui ont lieu aujourd'hui, mais qui se situent dans une zone grise juridique. Elles devraient pouvoir être autorisées dans un cadre réglementé.

S'agissant de la procédure prévue par le règlement « nouveaux aliments », la mission a identifié deux pistes intéressantes pour la consolider.

D'abord, nous souhaitons instituer une notification automatique des commissions chargées de l'alimentation au Parlement européen et dans les parlements nationaux (en France, la commission des affaires économiques) pour l'autorisation de mise sur le marché de tout nouvel aliment. Il n'est pas normal que les Parlements ne soient à aucun moment associés ni même informés dans ce processus qui laisse la Commission et les États membres en tête-à-tête.

Nous voudrions aussi une analyse systématique des risques sanitaires des nouveaux aliments par l'Anses, en plus de l'évaluation de l'EFSA au niveau européen. La France connaît une certaine aversion au risque. Aussi ce doublon ne serait pas de trop. Cet avis consultatif permettrait d'éclairer les débats, sans concurrencer le travail remarquable de l'EFSA.

Enfin, si en Europe, une autorisation de mise sur le marché de tels produits ne sera vraisemblablement pas donnée avant 2025, ce ne doit pas être un prétexte pour agir comme si le sujet n'existait pas. Il est urgent de travailler dans les deux prochaines années, au moins préventivement, à façonner des standards français et européens avant que ce produit n'arrive dans nos assiettes. Préparer l'arrivée éventuelle de ce produit sur le marché ne signifie pas la souhaiter, mais agir de façon responsable.

Cela suppose de forger un cadre réglementaire plus strict pour la production d'aliments cellulaires sur le territoire national et de pousser pour son adoption au niveau européen.

Nous pourrions en particulier acter les progrès des entreprises en instituant un moratoire sur l'utilisation du sérum foetal bovin dans les milieux de culture entrant dans les processus de production alimentaire.

Afin de limiter la concentration des risques sanitaires, nous pourrions également étudier l'opportunité de définir par voie réglementaire un volume de bioréacteurs au-delà duquel la production serait taxée (par exemple à partir de 25 000 litres), pour favoriser une production plus décentralisée.

J'en viens maintenant au troisième axe, qui vise la bonne information des consommateurs par des règles de dénomination et d'étiquetage claires.

Pour commencer, nous vous devons, je pense, une explication sur le choix du vocable « aliments cellulaires ». En effet, par abus de langage, le produit est appelé dans le langage courant « viande artificielle », « viande cellulaire », « viande de culture » voire « viande propre » - nous-mêmes avions choisi « viande in vitro » au début de nos travaux.

Il s'agit, selon les entreprises du secteur, de « produits d'origine animale, issus de cellules animales », avec la seule différence que « la viande grossit en dehors de l'animal ».

Or les entreprises sont encore aujourd'hui en phase de recherche et développement et sont loin de prétendre, en termes de texture du produit, égaler la viande issue de l'élevage.

Des trois destinations possibles des aliments cellulaires - pièce de viande entière, hybride avec des analogues végétaux ou ingrédient pour l'industrie agroalimentaire -, les deux dernières sont les plus probables pendant au moins plusieurs années.

Autrement dit : l'entrecôte à base de cellules n'est pas pour demain.

C'est pourquoi nous proposons d'interdire la dénomination commerciale « viande » sur les emballages des produits, car elle serait trompeuse pour le consommateur. Il faudra donc s'accorder collectivement sur un terme qui devra être utilisé à la place de celui de « viande ». Le livre blanc que nous demandons devra s'atteler à cette question.

De notre côté, nous avons retenu le terme « aliments cellulaires », jugé dans un récent document de la FAO, « l'ONU de l'alimentation », le plus descriptif et le plus neutre pour désigner le sujet de nos travaux. Pour plus de clarté, nous proposons également d'étendre aux aliments cellulaires la loi et le décret qui interdisent pour les analogues végétaux l'usage de termes faisant référence à des produits animaux, comme « cuisse de poulet » ou « faux-filet ». Même quand il s'agit des mêmes composants, il est difficile de faire référence à l'anatomie quand il n'y a précisément pas de corps...

En revanche, il nous est apparu que la mention de l'espèce animale d'origine des cellules (« poulet », « boeuf », « crevettes ») devrait être obligatoire, notamment au regard de la réglementation européenne sur les risques allergènes.

En clair, « viande cellulaire » et « cuisse de canard cellulaire », c'est non ; mais « canard cellulaire » est inéluctable pour assurer la sécurité sanitaire des consommateurs.

Pour autant, pour éviter les confusions ou le mélange des genres, il est indispensable d'identifier clairement par l'étiquetage aliments cellulaires et viande issue de l'élevage. Nous proposons purement et simplement d'interdire la commercialisation de produits mélangeant aliments cellulaires et viande issue de l'élevage, un principe inspiré de réglementations du début du XXe siècle sur le beurre et la margarine, qui permettra de maintenir la distinction entre viande et aliments cellulaires.

Par ailleurs, en cas d'hybride végétaux-aliments cellulaires, ce qui reste le plus probable dans les premières années, il sera opportun d'afficher obligatoirement la part agrégée d'origine végétale et d'origine cellulaire, en complément de la simple liste des ingrédients.

Il serait aussi intéressant, si un produit contient des aliments cellulaires ou tout autre « nouvel aliment » (dont les insectes), de prévoir un affichage spécifique sur la face avant des produits préemballés, du type « contient des nouveaux aliments ».

Enfin, dans l'hypothèse où des aliments cellulaires seraient commercialisés en restauration hors foyer, l'information sur la présence de ce produit dans un plat ainsi que sur l'origine des produits servis serait la moindre des choses.

Ce sont des règles d'étiquetage de bon sens qui ne devraient pas, du reste, valoir seulement pour les aliments cellulaires. En ce domaine, nous sommes contraints par les principes européens de libre circulation des marchandises et ne pourrions légiférer que sur les produits fabriqués en France. Mais il faut poser un cadre dès maintenant dans notre pays pour mieux pousser pour son application au niveau européen. Ce sont là, je crois, des « surtranspositions » qui se justifient.

M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Pour conclure, je vais évoquer avec notre axe 4 le sujet brûlant des effets de l'industrie cellulaire sur l'élevage et, plus généralement, sur le monde agricole et les territoires ruraux.

La mission a eu pour objectif permanent la protection du monde agricole. Henri Cabanel et moi-même avons tous deux exercé des professions agricoles. Aussi y avons-nous apporté un soin tout particulier.

À cet égard, nous voulons souligner le paradoxe de « l'impact à géométrie variable » des entreprises d'alimentation cellulaire. L'« impact positif » sur lequel communiquent ces entreprises repose nécessairement sur un remplacement, au moins partiel, de la viande d'élevage, car cette dernière serait moins-disante d'un point de vue environnemental et de bien-être animal. En effet, les aliments cellulaires auront un impact significatif s'ils viennent « à la place de la viande d'élevage », mais non s'ils viennent « en plus de la viande d'élevage ».

Or ces mêmes entreprises cherchent à minimiser le bouleversement que l'alimentation cellulaire pourrait constituer pour l'élevage en particulier, et les territoires ruraux en général, en niant ce processus de destruction créatrice. Ce faisant, elles s'affranchissent de l'adage paysan selon lequel on ne peut avoir le beurre - tous les avantages qui seraient associés à la substitution d'aliments cellulaires à la viande d'élevage - et l'argent du beurre - c'est-à-dire l'absence de conséquences négatives pour le secteur substitué.

Qui plus est, les aliments cellulaires sont présentés par leurs promoteurs comme une solution aux problèmes soulevés par l'élevage industriel, mais pourraient d'abord concurrencer l'élevage extensif, déjà économiquement fragilisé, et dont les aménités pour les territoires ruraux et les paysages sont nombreuses.

Aussi nos recommandations étudient-elles les moyens de faire en sorte que l'industrie cellulaire ne nuise pas, ou le moins possible, au monde agricole.

Si les perspectives d'une production décentralisée, « à la ferme », d'aliments cellulaires semblent plus qu'hypothétiques, certaines synergies possibles entre l'industrie cellulaire et les filières agricoles et agroalimentaires existantes sont à explorer. Nous demandons aux instituts techniques de procéder à un état des lieux de ces synergies, ce qui aura aussi pour effet bénéfique de pousser les filières à se préparer à l'arrivée sur le marché d'aliments cellulaires, qu'elles ne voient aujourd'hui que comme un horizon très lointain.

Comparés à d'autres moyens plus directs et efficaces, les aliments cellulaires ne seront pas indispensables pour nourrir le monde en 2050. Dans les pays riches, la diversification des régimes alimentaires par un rééquilibrage des sources de protéines végétales (légumineuses) ou animales permettrait d'atteindre les mêmes objectifs plus rapidement et de façon plus simple. En outre, les limites présentées comme indépassables des autres familles de protéines alternatives (analogues végétaux à partir de soja ou de pois) ne semblent pas insurmontables. C'est pourquoi le meilleur moyen de se passer des aliments cellulaires reste encore d'accélérer la mise en oeuvre de la stratégie protéines végétales, en augmentant en particulier les financements dédiés.

Enfin, la contribution des aliments cellulaires à la sécurité alimentaire des pays en développement semble très hypothétique.

Il ne faut donc pas entretenir l'illusion que les aliments cellulaires pourraient constituer une solution à court ou même à moyen terme pour les apports protéiniques de ces pays. En ne voyant l'élevage qu'au prisme de l'élevage en feed-lot brésilien ou américain et de ses externalités, on risquerait de jeter le discrédit sur l'élevage extensif et paysan.

L'élevage paysan demeure dans ces pays une ressource importante pour la subsistance des ménages, revêtant en outre une grande importance sociale et culturelle.

Il convient donc de maintenir, voire rehausser, les soutiens à l'agriculture paysanne et à l'élevage dans l'aide publique et privée à destination des pays en développement, des secteurs qui voient leurs financements publics et privés se tarir à cause de grilles de lecture du nord transposées au sud.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je remercie nos deux rapporteurs pour leur traitement de ce sujet difficile. Ces produits peu ragoûtants sont développés par une centaine d'entreprises. Le travail d'Olivier Rietmann et d'Henri Cabanel est d'autant plus important que ces sujets sont très controversés et méritent d'être abordés frontalement.

M. Laurent Duplomb. - Je tiens d'abord à remercier les deux rapporteurs. Faire de la politique, c'est faire preuve de clarté. Si je reconnais l'importance du travail réalisé, notre engagement doit être le plus clair possible. Résistance et obéissance sont les deux vertus du citoyen : par l'obéissance, il assure l'ordre ; par la résistance, il garantit sa liberté. Aujourd'hui, par mon vote symbolique contre ce rapport, j'entends garder ma liberté au lieu de céder petit à petit à des pratiques que je réprouve. Je ne veux pas en venir à accepter l'inacceptable. Je ne voterai donc pas contre le travail réalisé par les deux rapporteurs, mais contre l'image qu'il renvoie et pour réaffirmer mon engagement politique.

M. Franck Montaugé. - Il faut distinguer le travail d'objectivation réalisé par les rapporteurs du fond du sujet, à l'égard duquel nous devons nous prononcer. Nous vivons dans un monde où tout ce qui est techniquement réalisable finit tôt ou tard par être réalisé, avec des conséquences parfois très positives, mais hélas trop souvent négatives. La question des normes alimentaires concerne tous les pays du monde. Politiquement, comment peut-on border le sujet le plus possible, étant donné que tout développement s'effectuera au détriment de l'élevage traditionnel qui connaît déjà de grandes difficultés ?

Je salue le travail des rapporteurs, mais je crois, comme Laurent Duplomb, qu'il nous faut adopter une position claire, ce qui n'empêche pas de mener un travail de recherche avec l'Inrae par exemple. La question de l'impact environnemental est également importante. La puissance publique doit s'intéresser à ce sujet. Néanmoins, il faut d'ores et déjà afficher nos interrogations et en appeler, au niveau législatif, à préserver autant que possible nos éleveurs et nos territoires.

Mme Anne Chain-Larché. - Je me souviens de l'abominable film Soleil Vert où, après un désastre environnemental, des personnes acceptaient de mourir pour servir de nourriture aux autres. Nous nous en rapprochons. Les recommandations cautionnent, en acceptant de l'encadrer, une pratique contre laquelle nous luttons tous. Nous sommes, au contraire, dans le pays de la gastronomie, des villages, avec leurs pâturages et leurs élevages, mais aussi dans le pays qui s'est le plus battu contre les OGM. Il nous appartient donc, à nous politiques, de définir la façon dont nous souhaitons vivre, sans attendre qu'une directive européenne nous l'impose. J'appelle ainsi le Sénat à émettre une position claire, transpartisane, s'opposant à tout encadrement d'une forme de déconstruction à venir, même si celle-ci fera appel à tous nos bons principes, que ce soit le bilan carbone ou la malnutrition. Nous devons être fiers de nos origines et de livrer à nos enfants une terre qui leur appartient. Ainsi, comme mon collègue Laurent Duplomb, je voterai non pas contre le travail réalisé, mais contre le principe visant à se pencher sur des pratiques contre lesquelles nous luttons.

M. Daniel Gremillet. - Ce sujet n'est pas spécifiquement français, mais mondial. Il peut interpeller, choquer, et la viande cellulaire n'est pas le modèle que je défends. Néanmoins, chacun voit bien la limite de l'exercice d'une opposition frontale. L'exemple des OGM est parlant : il s'en produit tous les jours alors qu'ils sont interdits en France et en Europe. Toute la recherche en matière de génétique a quitté l'Hexagone et l'Europe. Il est donc essentiel que la recherche publique se saisisse de ce nouveau sujet.

Mon deuxième argument est sanitaire. Qui dit cellules vivantes, dit risques sanitaires, comme ce qui peut se produire dans les élevages et dans les productions agricoles, y compris végétales, ou au moment de la transformation. Il s'agit d'appréhender ces risques. La notion de cellules souches ouvre par ailleurs des possibilités de manipulation génétique à des fins de production alimentaire dont il nous faut mesurer les conséquences.

Je me suis rendu en 2022 au Salon international de l'agroalimentaire (SIAL) afin d'observer les grandes tendances alimentaires qui se dessinent à travers le monde. J'y ai découvert avec surprise que l'alimentation présentée par les entreprises françaises comme étrangères reposait pour beaucoup sur l'agriculture-ingrédients. Dans ce cadre, personne n'a plus peur désormais d'afficher du fromage végétal ou des productions dites « carnées » dénuées d'une seule cellule provenant d'un animal.

Nous ne devons pas réitérer l'erreur commise à propos des OGM, qui me blesse et que nous payons encore. Le sujet de la viande cellulaire mérite donc d'être évoqué tant il est lourd de conséquences. Je ne souhaite pas que la France reste déconnectée du monde.

M. Alain Chatillon. - Je veux remercier les deux rapporteurs. Néanmoins, pour m'être occupé durant cinquante ans de nutrition, j'estime scandaleux d'avoir abordé ces dossiers sans entrer en contact avec l'Association nationale des industries alimentaires, les vétérinaires de Maisons-Alfort ou la DGCCRF. L'émission Capital a montré dernièrement que la Hollande importe des produits du Brésil pour leur apposer l'étiquette Union européenne. Il faut prendre en compte les recommandations de nos organismes spécialisés.

Mme Sophie Primas, présidente. - Les auditions dont vous parlez ont été réalisées. Par ailleurs, le rapport ne porte pas sur des dysfonctionnements du système alimentaire européen. Il est à la fois précis et sérieux. Je comprends les voix qui s'élèvent, mais il nous faut rester fidèles au projet du rapport.

M. Pierre Louault. - Je comprends les contraintes de la réglementation européenne, mais nous arrivons, selon moi, à l'apothéose de la malbouffe et à la fin d'une certaine civilisation. Je partage l'avis d'Anne Chain-Larché et de Laurent Duplomb : si nous ouvrons la porte à ces produits, notre alimentation finira par s'assimiler à la consommation de pilules. Alors que tout le monde court après l'agriculture verte, nous allons en sens inverse. Je pense que l'homme et la civilisation doivent savoir imposer des limites.

Le véritable problème n'est pas tant la production que la consommation. Si seule la première est interdite, les grandes firmes importeront à grande vitesse, avec les moyens colossaux qui sont les leurs, la « merde » qu'elles produisent. Je voterai contre le rapport malgré toute l'estime que je porte aux rapporteurs.

M. Daniel Salmon. - Il est très important de se pencher sur ce type de nourriture. Nous devons adopter une approche politique et non pas technique. Nous sommes à la fois face à une continuité - l'industrialisation de notre alimentation depuis soixante-dix ans environ - et à une véritable rupture qui soulève des questions éthiques. Daniel Gremillet évoquait les OGM, mais nous pourrions parler du clonage ou des hormones. Ce sont les interdictions qui font société.

Cependant, il n'est pas possible de vivre en vase clos. Nous devons donc développer notre propre expertise en finançant la recherche. Néanmoins, il n'est pas question d'accepter des pratiques parce qu'elles existeraient déjà ailleurs. La question se pose également s'agissant de la compétitivité française : jusqu'où et à quel prix souhaitons-nous augmenter notre compétitivité ?

Ce rapport sera très éclairant, mais il est avant tout technique et, au vu des préconisations, il s'inscrit dans une forme d'accompagnement et d'acceptation de la viande cellulaire, ce que je déplore. Or il est beaucoup trop tôt. Le terme de viande cellulaire lui-même n'est sans doute pas adapté, puisque tout ce que nous mangeons contient des cellules. Je doute également que ce type d'aliment, faute de rentabilité, envahisse rapidement le marché.

Mme Sophie Primas, présidente. - C'est ce qui est indiqué dans le rapport.

M. Daniel Salmon. - Je ne pourrai pas voter favorablement, mais je le lirai avec intérêt.

Mme Martine Berthet. - Merci à nos deux collègues. Si nous sommes unanimes à ne pas cautionner cette alimentation, ce rapport constitue un bon point d'étape et établit des propositions, même si toutes ne me conviennent pas. Il faut impérativement encadrer la recherche. Au salon de l'agriculture, nous sommes allés au stand de l'Inrae où il a beaucoup été question des recherches sur la fermentation, mais pas de culture cellulaire. Pour lutter contre la déprotéinisation et pallier le manque de nourriture, il faudrait plutôt produire et importer en priorité des protéines d'insecte.

Je ne suis pas favorable à la recommandation visant à intégrer la culture cellulaire dans la stratégie nationale protéines végétales : ce sont deux choses différentes, notamment au niveau des risques. De même, j'émets des réserves sur la cinquième recommandation visant à ne pas exclure le principe de financement de l'innovation. Certes, la recherche est nécessaire, son cadrage également, comme le propose la première recommandation. Néanmoins, tant que ces recherches n'ont pas été menées, cette pratique doit être interdite. Il faut en outre réaffirmer notre soutien à l'agriculture.

Mme Amel Gacquerre. - Je voudrais saluer le travail réalisé par les rapporteurs. Il ne faut éluder aucune question : refuser de s'intéresser au mouvement ne l'empêchera pas. Il est important de l'encadrer afin de protéger nos concitoyens. Je crains que la viande cellulaire crée un emballement économique qui nous dépasse si nous ne l'étudions pas. Je soutiens donc la démarche du rapport. La véritable question est celle de l'alimentation des dix milliards d'habitants que comptera notre planète en 2050. Ce rapport s'inscrit ainsi dans un débat plus vaste. Il ne s'agit pas de savoir si nous sommes favorables ou non à cette invention alimentaire, mais de savoir de quoi il s'agit. Je voterai favorablement au rapport pour sa dimension informative.

Mme Marie-Christine Chauvin. - Je tiens moi aussi à saluer le travail de mes deux collègues, et en particulier leur courage. Je voterai néanmoins contre ce rapport. Celui-ci dérange mes convictions personnelles. En tant que fille d'agriculteur, il ne correspond pas à mon éthique agricole. En tant que Jurassienne, département qui compte onze AOC agricoles, il m'interroge également. Récemment, l'industriel laitier jurassien Bel a produit du « fromage » sans lait ; nous parlons maintenant de « viande » sans bétail. Cette escalade m'inquiète profondément. En tant que présidente du groupe élevage, je m'y oppose. Trop d'interrogations subsistent au niveau éthique et sanitaire.

M. Serge Mérillou. - Je ferai partie de la majorité qui se dessine en votant contre ce rapport. Je ne suis évidemment pas opposé au besoin d'un état des lieux précis du risque généré par la « viande » cellulaire. Cependant, les recommandations m'inquiètent car, à travers elles, le rapport accompagne le développement de cette pratique. Politiquement, l'approuver donnerait aux éleveurs un mauvais signal.

En revanche, d'ici vingt ou trente ans, aurons-nous besoin de recourir à ce type d'aliments pour nourrir la population mondiale ? Si tel est le cas, mieux vaut se pencher sur leur production. Je crains cependant que les promoteurs de la viande cellulaire soient d'abord guidés par des motivations financières. La viande cellulaire pourrait faire partie intégrante de notre alimentation dans les décennies prochaines.

Je crains également, au regard des recommandations, que le rapport n'évalue pas suffisamment son impact négatif sur les élevages et l'économie. Je salue cependant le travail réalisé.

Mme Françoise Férat. - Je voudrais moi aussi saluer le travail de nos deux rapporteurs. Je reste convaincue qu'il revient à notre commission d'aborder ce sujet. J'en comprends la difficulté.

Il faut prendre en compte cette innovation, mais pas n'importe comment ni trop tôt. Je voudrais insister particulièrement sur la liste des recommandations : il est difficile pour moi d'imaginer ces futures actions dans un pays où la gastronomie est reconnue au patrimoine mondial de l'humanité.

M. Bernard Buis. - À mon tour de remercier les rapporteurs. Il est nécessaire d'encadrer le développement de la viande cellulaire. Même si je ne cautionne pas ce type d'alimentation, il ne faut pas s'interdire de réfléchir à cette production. Ce rapport va dans le bon sens en produisant des recommandations que je partage pour la plupart. Je voterai donc favorablement : il faut maîtriser pour mieux encadrer.

M. Fabien Gay. - Je remercie moi aussi les rapporteurs. Dans sa très grande majorité, la commission a exprimé son opposition à la viande cellulaire, à la fois philosophiquement et politiquement, mais aussi pour défendre nos territoires et nos agriculteurs. Je pense personnellement que le capitalisme est bien trop avancé et ne permet pas aux éleveurs de nourrir la planète.

En tant que sénatrices et sénateurs, nous savons qu'un rapport se traduit par des recommandations. Nous pouvons adopter une position politique, comme certains parmi nous, et décider de rejeter le rapport à la majorité. Néanmoins, ce cas est extrêmement rare. Chaque fois qu'un collègue produit un rapport, même sur un sujet auquel il est complètement opposé, il émet des recommandations. Je suis en l'occurrence plutôt défavorable à celles-ci. Néanmoins, certaines me conviennent.

Je suis plutôt favorable à celles du premier axe concernant la recherche. Puisque la « viande » cellulaire existe, il faut la considérer. De plus, lors de l'audition, j'ai déjà indiqué que la puissance publique devait massivement investir dans la recherche. Toutefois, je suis plutôt opposé au contenu du deuxième axe, qui accompagne le processus de reconnaissance de la « viande » cellulaire. Quant au troisième axe, visant à mieux informer les consommatrices et consommateurs, nous sommes sans doute tous d'accord pour l'approuver.

Pour résumer, rejeter tout le travail accompli m'ennuie, car il a été bien fait. Je propose donc de nous accorder sur une partie des recommandations. Nous pourrions mettre en commun nos avis et nous accorder d'ici la semaine prochaine sur une modification des recommandations. En l'état, je voterais plutôt contre ce rapport. Je crois que tout le monde ici s'oppose à la « viande » cellulaire. Néanmoins, il faut regarder lucidement la situation.

Mme Sylviane Noël. - Bravo à nos deux collègues pour leur travail de grande qualité sur un sujet complexe. Je rejoins la plupart des avis exprimés. Dans notre pays, le principe de précaution est roi. Or nous sommes en passe de franchir une ligne rouge qui entraînera notamment des conséquences sur la santé, qui me gênent particulièrement. Les conséquences de la « viande » cellulaire et de l'agriculture végétale sont différentes. Certes, de nombreux pays se sont engagés dans cette pratique. Doit-on la cautionner pour autant ? Au contraire, nos concitoyens attendent de nous que nous les protégions. Si nous sommes capables de nous opposer dès aujourd'hui à son introduction en France, la pratique marquera un coup d'arrêt. À travers ce rapport et ses recommandations, même si elles peuvent être entendues, nous mettons le doigt dans un engrenage assez dangereux. Je voterai donc contre ce rapport.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Nous nous accordons sur l'inquiétude et les interrogations que suscite le phénomène de la « viande » cellulaire. Lors des auditions, nous avons bien compris qu'une stratégie industrielle et commerciale se cache derrière la rhétorique « On n'arrête pas le progrès ». Il peut également y avoir des approches générationnelles différenciées. Nous avons la responsabilité, en tant que législateurs, d'aborder ce sujet. Je voudrais donc remercier les rapporteurs. Néanmoins, je partage le propos de Fabien Gay : ce rapport ne doit pas laisser penser que le Sénat cautionne de telles pratiques, mais au contraire traduire l'état de nos interrogations. Celles-ci portent sur les modalités de production et de commercialisation de la viande cellulaire, les conséquences sur la santé et pour nos territoires. Il faut que nos concitoyens prennent conscience de ces problèmes.

Je voterai favorablement à ce rapport, car je partage la volonté affichée de mieux connaître le phénomène. En revanche, ne pourrions-nous pas revoir les recommandations pour ne pas apparaître comme les promoteurs d'un système auquel nous sommes opposés ? Nous sommes tous favorables à la nécessité de mener des recherches. Nous pouvons cependant revoir l'axe 2, car il cristallise à mon sens les désaccords.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Merci pour ce travail, largement valorisé au sein du rapport. La démarche intellectuelle qui le traverse est sincère, cohérente et déontologiquement irréprochable. Néanmoins, je ne peux pas le voter dans la mesure où nous devons nous opposer à ce phénomène dès aujourd'hui. Dans cinq ans, il sera trop tard.

Mme Sophie Primas, présidente. - Il est déjà trop tard.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Dans cinq ans, ce sera d'autant plus le cas. Même les recommandations de l'axe 1 concernant la recherche sont discutables : les intérêts économiques et industriels investissant massivement au sein des programmes de recherche, demain, une équipe de chercheurs viendra certainement prouver que la viande cellulaire est sans risque. Nous devons donc fixer des limites dès à présent. Quant à l'axe 4, à voir l'état de l'agriculture paysanne aujourd'hui, il est certain que ce type d'industrie ne permettra pas d'améliorer sa situation demain. Malgré ces inquiétudes, peut-être qu'en étant retravaillées, les recommandations seraient davantage acceptées. Cependant, en l'état, nous prenons un véritable risque à les cautionner.

M. Laurent Somon. - Ce rapport est un véritable perturbateur, non pas endocrinien mais culturel. Quand il est question d'aliments, s'agit-il seulement de la satisfaction des besoins alimentaires ou de leur qualité ? Dans un tout autre domaine, l'arrivée du train a entraîné la suppression des chevaux, ce qui a particulièrement impacté l'élevage. Lors du développement de l'alimentation rapide avec les McDonalds, nous étions assez peu nombreux à cautionner cette pratique. Comment distinguer, demain, un steak haché animal, cellulaire ou végétal ? Par ailleurs, sur le plan sanitaire, et je parle en tant que vétérinaire, il est plus facile de contrôler une cuve où se développent des cellules que la fabrication de fromages qui pose bien plus de risques.

Nous avons interdit les OGM en France. La réflexion est ici identique : puisque des gens travaillent sur ce sujet, il finira par se développer. Je suis donc très perturbé par ce rapport. Si nous ne voulons pas de manipulation génétique, il faut s'opposer à la viande cellulaire dès maintenant. L'éclairage informatif du rapport me convient. Néanmoins, les recommandations représentent un début de validation, en autorisant dans notre pays la poursuite de cette pratique. Par ailleurs, à ceux qui essaient de stigmatiser la culture cellulaire, je rappellerai, au risque de choquer, que les fécondations in vitro reposent peu ou prou sur le même principe. Quant aux manipulations génétiques sur les animaux, elles existent déjà, notamment la division de cellules embryonnaires. Si, comme Sylviane Noël, on considère que la culture de cellules contient des risques de manipulation génétique, il faut rappeler que ces techniques sont déjà implantées au sein de l'élevage plus traditionnel.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Mon raisonnement a évolué. Je suis à la fois favorable et défavorable à votre rapport. Lorsque j'étais opposée aux Airbnb, Dominique Estrosi m'avait fait remarquer qu'il s'agissait d'une évolution inévitable. Autant, dès lors, essayer de légiférer au mieux. J'examine ce rapport de la même manière : si certaines propositions ne me conviennent pas, je suis obligée d'y être favorable, car il n'est pas possible d'ignorer cette évolution.

Mme Sophie Primas, présidente. - À la fin des interventions, je donnerai la parole aux rapporteurs, puis je vous ferai une proposition.

Mme Florence Blatrix Contat. - Ma position a également évolué durant les débats. Il faut distinguer la première partie des recommandations, portant sur la recherche, des suivantes. Il n'est pas possible d'exclure la recherche sur le sujet. En revanche, les autres recommandations seront interprétées comme une validation de ce type de procédé. Nous sommes trop peu avancés pour pouvoir valider les recommandations deux, trois et les suivantes. Je souhaiterais donc pouvoir scinder en deux les recommandations. J'attends avec impatience une proposition à ce sujet.

M. Laurent Somon. - Une dernière remarque : quand on accuse les bovins de produire trop de méthane, nous allons dans le sens de la viande cellulaire. Les Néerlandais ont décidé, pour cette raison, de réduire de 30 % leur cheptel dans les années à venir et de se lancer dans la viande cellulaire.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je demande à présent aux rapporteurs de réagir en répondant aux remarques formulées.

M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Ces échanges sont très enrichissants. Je vais expliquer certains éléments, avec pédagogie bien sûr, mais aussi de manière directe. Tout d'abord, une grande partie du débat qui s'est tenu dans cette salle est caduque depuis 2015 et, par conséquent, n'est en rien contradictoire avec notre rapport. Les OGM évoqués par Daniel Gremillet sont le seul point de comparaison possible, même si la technologie est différente. En effet, la législation de mise sur le marché des produits à base d'éléments cellulaires - je remarque que nous sommes les seuls à n'avoir jamais parlé, avec Henri Cabanel et Sophie Primas, de « viande » cellulaire -, aussi appelée législation sur les nouveaux aliments, existe depuis 2015. C'est à ce moment-là qu'il aurait fallu dresser des barrières : désormais, il est trop tard.

Il a été décidé par les États européens que les aliments n'ayant pas été consommés de façon significative avant la date d'entrée en vigueur du règlement - fermentation de précision, viande cellulaire, etc. - relevaient de la nouvelle législation. Dorénavant, une entreprise demandant une mise sur le marché doit monter un dossier d'autorisation devant la Commission européenne. Au bout d'un an, celle-ci se tourne vers l'EFSA, l'autorité de sécurité sanitaire de l'alimentation de l'Union européenne, située à Parme, qui rend son avis après neuf mois minimum. La Commission européenne engage alors un dialogue avec chaque État membre, mais c'est elle qui prend la décision finale. Cette question de souveraineté a été largement débattue à l'époque : nous n'avons plus la possibilité, en tant qu'État membre, de décider de la régulation.

Par ailleurs, nous n'avons jamais, dans aucune de nos recommandations, voulu nous prêter à la promotion de ce type de production. Nous sommes partis des faits. Ces dernières années, 2,6 milliards de dollars ont été investis dans la recherche et le développement de ces produits, dont 1,5 aux États-Unis et plusieurs millions en France, aux Pays-Bas et en Israël. La recherche privée française est en pointe, contrairement à la recherche publique, comme l'a reconnu Jean-François Hocquette lors de son audition. Nous avons proposé ce rapport à Sophie Primas afin d'éclairer ce sujet.

Nous ne nous prononçons jamais en faveur ou non de ces techniques de production, puisque nous n'en avons plus le pouvoir. Cependant, nous préconisons de continuer à investir. Il se peut en effet que, d'ici 2025 ou 2026, l'Union européenne donne l'autorisation de commercialiser ce type de produits sur tout le territoire européen. Aucune possibilité de veto n'existe. Essayons-nous, dès lors, de faire partie du jeu ? Ceux qui souhaiteraient - je ne me prononce pas personnellement - consommer des aliments cellulaires seront-ils obligés d'acheter des produits importés ou pourront-ils consommer des produits français ? L'enjeu des aliments cellulaires réside à la fois dans la captation de la production de richesse et la protection des consommateurs.

Concernant les risques sanitaires, l'EFSA se prononcera puisque c'est son rôle. Nous demandons également que l'Anses puisse rendre un avis également. La question des modifications génétiques renvoie, elle, aux OGM, qui sont strictement interdits. Par ailleurs, la malbouffe existe déjà et nous ne souhaitons surtout pas l'encourager. Je précise également que nous ne parlons pas de production mais d'autorisation de mise sur le marché. Bien évidemment, nous avons auditionné les services vétérinaires.

À Martine Berthet, je réponds que ce rapport vise justement à inciter et à cadrer la recherche publique de manière à prendre les meilleures décisions. Soit nous refermons le dossier, au prétexte que nous ne voulons pas d'aliments cellulaires, et les autres pays décideront pour nous ; soit nous nous donnons la possibilité de connaître le sujet.

Certains parmi vous ont estimé qu'un tel rapport laisserait croire au monde agricole que nous acceptons ces techniques de production. Cependant, nous devons moins nous préoccuper du message politique que nous pouvons laisser que de l'avenir. Par ailleurs, si les Néerlandais ont décidé de diminuer de 30 % leurs élevages, c'est d'abord à cause de la pollution à l'azote qui a rendu les terrains inconstructibles. Nous sommes allés nous-mêmes aux Pays-Bas pour pouvoir le comprendre.

Enfin, il n'est pas trop tôt pour se pencher sur le sujet. Au contraire, le moment est parfait : si les autorisations de l'Union européenne tombent, elles tomberont dans deux ou trois ans, comme celle qui a autorisé les farines d'insectes il y a un mois. La recherche doit donc être financée dès maintenant. Nous aurions pu nous y opposer obstinément, la décision aurait été strictement identique. Néanmoins, si nous n'avions pas laissé se développer le système de production de farine d'insectes en France, nous n'aurions pas la place de leader mondial que nous occupons aujourd'hui. En revanche, d'autres pays les auraient produites et nous en aurions tout de même consommé...

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Je partage les propos d'Olivier Rietmann. Nous ne sommes pas les promoteurs des aliments cellulaires. Nous avons le choix, mais si nous laissons faire, nous subirons ce mode de production. Vous aurez compris que les décisions sont prises au niveau européen. Ces aliments existant déjà, nous pouvons faire la politique de l'autruche - comme pour les OGM - ou tenter d'établir un cadre pour pouvoir nous défendre au niveau européen.

J'entends la volonté de préserver nos traditions et d'éviter la malbouffe. Le viticulteur que je suis ne peut imaginer qu'un vin sans alcool soit apprécié. Pourtant, de nouveaux marchés s'ouvrent, que ce soit le vin sans alcool ou les aliments cellulaires. Quant à croire que celle-ci remplacera la viande dans l'alimentation, nous sommes tous deux convaincus que ce ne sera pas le cas de notre vivant. Il n'est pas possible de refuser l'innovation et l'ouverture de nouveaux marchés.

J'ai entendu votre volonté de ne pas voter ce rapport. Je proposerai à Olivier de prendre quelques semaines de réflexion pour réfléchir à la meilleure manière de vous représenter nos intentions, avant de revenir vers vous afin de voter. Ce serait, sinon, la première fois que cette commission accepte une mission d'information - car elle a été acceptée - pour ne pas voter le rapport qu'elle produit. Je vous remercie d'avoir souligné l'ampleur du travail accompli, mais notre satisfaction ne sera complète qu'après l'adoption du rapport. Je vous propose donc de ne pas prendre de décision à vif mais de réfléchir quelques semaines.

Mme Sophie Primas. - C'est également la proposition que je souhaitais faire. Certaines des recommandations gênent notre commission. Je vous invite donc à lire les informations communiquées, puis à transmettre vos observations aux rapporteurs. Néanmoins, avant d'adopter cette solution, je voudrais savoir si elle en vaut la peine. Au vu de certaines des positions entendues, le refus de s'exprimer sur le sujet semble total. S'il s'agit de positions de principe, il n'est pas utile de perdre quelques semaines de plus. J'ai donc besoin de connaître vos positions.

Mme Anne Chain-Larché. - Il ne s'agissait pas de s'opposer au rapport, mais d'envoyer un signal politique fort. Il me semble donc important de préciser en préambule du rapport notre désapprobation de cette pratique. Le terme de recommandation, nous l'avons compris à travers les différentes interventions, est une manière de la cautionner.

Mme Sophie Primas, présidente. - L'une des recommandations propose pourtant d'interdire la dénomination commerciale « viande cellulaire ». Je vous redemande donc vos positions.

M. Serge Mérillou. - Est-il possible qu'un rapport ne donne pas suite à des recommandations ?

Mme Sophie Primas, présidente. - J'entends qu'il n'y a pas d'hostilité à un report du vote. Je vous demande de revenir vers les rapporteurs après avoir examiné les différents éléments que nous vous fournirons.

M. Serge Mérillou. - Ce délai de huit jours n'est-il pas trop court ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Je repousse l'échéance dans les quinze prochains jours. Je vous remercie de la qualité des échanges.

Examen en commission (suite)

(Mercredi 5 avril 2023)

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous passons à la suite de l'examen du rapport d'information sur les aliments cellulaires.

M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Merci, madame la Présidente. Mes chers collègues, voici enfin venu le moment de présenter les conclusions de notre rapport sur les aliments cellulaires.

Nous nous étions réunis il y a trois semaines pour débuter l'examen de ce rapport. Le moins que l'on puisse dire est qu'il y a eu des réactions et des débats.

Devant les nombreuses réflexions que vous aviez exprimées mais aussi le manque de temps dû au retard lié à la commission mixte paritaire qui précédait la réunion, nous avons alors cru bon avec Henri Cabanel et madame la présidente de poursuivre nos travaux afin de préciser certains éléments et notamment notre position politique sur le sujet.

Je forme le voeu que le temps de dialogue que nous avons eu, la prise en compte de vos remarques et nos clarifications politiques lèveront toute ambiguïté.

Avant de laisser mon corapporteur entrer dans le vif du sujet et présenter dans le détail les quelques modifications apportées au rapport, je voudrais commencer par une mise au point politique.

Non, il ne s'agissait pas avec notre rapport d'apporter un blanc-seing aux aliments cellulaires, de leur témoigner notre soutien, pas même de faire preuve d'une neutralité bienveillante à leur égard.

Les différents articles qui ont pu être publiés sur l'avant-projet de rapport ne s'y sont d'ailleurs pas trompés. Le Figaro a par exemple titré : « Le Sénat veut sévèrement encadrer la viande et le poulet de synthèse ». Les autres titres ont davantage insisté sur l'appel à plus de recherche, qui était, effectivement, le premier constat de notre rapport :

Le Monde : « La recherche sur la “viande” cellulaire encouragée par le Sénat » ;

Public Sénat : « Viande in vitro : un rapport du Sénat appelle à “accélérer” les recherches » ;

Libération : « Les enjeux de la viande in vitro décortiqués par le Sénat ».

Vous remarquerez que ces titres employaient tous le terme de « viande », ce qui montre que notre proposition d'interdire la dénomination « viande » était encore minoritaire et sans doute plus ferme que ce que l'opinion majoritaire attend.

À la suite de la première partie de l'examen du rapport, M. Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l'Inrae et plutôt sceptique sur le développement des aliments cellulaires, nous a remercié pour la dimension « riche, bien documentée et complète » de notre rapport. Nous avons également organisé deux visioconférences après avoir été sollicités par Interbev et la FNSEA. Ces dernières ont appuyé notre rapport tout en appelant à la vigilance sur la terminologie utilisée quant à la production d'aliments cellulaires.

J'ai ainsi souhaité introduire une partie préliminaire qui redit sans aucune ambiguïté que les aliments cellulaires ne représentent pas un modèle alimentaire souhaitable. Cette partie insiste sur nos réserves anthropologiques, éthiques, culturelles, et en somme politiques.

À l'évidence, les aliments cellulaires ne sont pas seulement des « amas de cellules » ou des « apports protéiniques » : ils charrient avec eux un imaginaire, une conception de l'homme et de sa place dans le monde.

Je vous propose donc de décliner notre position politique en dix points figurant dans un premier chapitre du rapport :

Premièrement, nous risquons avec ces produits de distendre notre lien avec la nature, dans un contraste saisissant avec l'interdépendance de l'humain et du sauvage que l'on peut constater dans la vie d'un bocage.

Deuxièmement, cette technologie comporte une mise à distance des animaux de nos vies, a fortiori des animaux de rente. L'humoristique « adieu veau, vache, cochon, couvée » de La Fontaine deviendrait une réalité dystopique.

Avec cet effondrement des animaux de rente, la troisième évolution prévisible est que notre rapport aux animaux pourrait devenir complètement anthropomorphisé, puisque seuls les animaux de compagnie subsisteraient dans nos vies. Il pourrait en résulter un brouillage des catégories entre l'humain et l'animal.

Quatrièmement, les promoteurs de ces produits les présentent parfois comme une troisième catégorie de produits animaux, après les produits carnés et les produits laitiers. Cependant, ils sont le fruit de l'esprit humain et sont créés de toutes pièces par l'ingénierie humaine. L'idée a même été entendue que les animaux n'auraient pas été « conçus » spécifiquement pour entrer dans l'alimentation humaine et qu'il serait donc inefficient voire absurde de les intégrer à nos régimes alimentaires. Cette façon de voir dit bien toute l'ambition scientiste et le prométhéisme de ce projet, parfois présenté comme une « nouvelle forme de domestication », et je dois dire qu'elle nous perturbe profondément. Personnellement, elle m'évoque l'apprenti sorcier de Goethe.

Cinquièmement, cette innovation nous semble pousser la production alimentaire un cran plus loin dans l'industrialisation du vivant, en changeant, comme le dit la sociologue et éleveuse Jocelyne Porcher, « le niveau d'extraction de la matière animale, la cellule au lieu de l'animal, l'incubateur au lieu de la vache ».

Sixièmement, je réaffirme notre trouble quant à des applications potentielles de cette technologie à la production d'aliments à partir d'animaux exotiques (lion, éléphant) ou de compagnie (chien, chat), voire disparus. La semaine dernière, une start-up australienne a ainsi présenté de la viande de mammouth laineux reconstituée à partir de traces de son ADN. Les applications médicales des biotechnologies, comme les fécondations in vitro, ou les vaccins à ARN messager sont une chose, mais leur application à notre alimentation en est une autre.

Septièmement, le cadrage du débat par les start-ups du secteur nous interpelle, en ce qu'il néglige la question du pourquoi au profit de celle du comment. Ce n'est pas parce qu'une innovation technologique peut être réalisée qu'elle doit être réalisée. Ainsi le clonage animal destiné à la consommation est-il interdit, alors que la démonstration a été faite de notre maîtrise de ce procédé.

Huitièmement, la vision purement utilitaire de l'alimentation qui sous-tend le développement des aliments cellulaires est à l'opposé de la nôtre : nous voyons d'abord dans l'alimentation un fait culturel et social. Comme l'a rappelé le chef Thierry Marx, entendu par la commission le 8 février : « Ce n'est pas cela, se restaurer : c'est ramener une histoire, un savoir-manger et un savoir-être dans l'assiette. » En outre, la production d'aliments cellulaires semble en décalage avec la recherche de produits naturels et non transformés, une aspiration pourtant de plus en plus partagée parmi les consommateurs.

Neuvième et avant-dernier point, l'impact de la consommation humaine de ce produit à long terme ne pouvant par définition être évalué a priori, il nous semble important d'être très prudent. Comme le disait également Thierry Marx : « La table et l'alimentation, c'est le plaisir, le bien-être, la santé. » On ne peut pas jouer avec la santé de nos concitoyens, comme essaient de le montrer nos recommandations.

Dixièmement, rien ne garantit que notre élevage extensif, aujourd'hui fragile économiquement, ne serait pas le premier touché par cette innovation, bien que celle-ci soit destinée à remplacer plutôt les importations de viande de piètre qualité. Or la polyculture-élevage comporte d'importantes aménités pour les territoires ruraux. Comme l'a rappelé l'inspectrice vétérinaire Anne-Marie Vanelle : « bouleversement socio-économique, de l'équilibre de l'aménagement rural et urbain, de l'entretien des paysages, de la biodiversité », les conséquences de cette évolution doivent être bien mesurées.

De manière générale, toute innovation doit être dûment pesée et soupesée avant de prendre des décisions à son propos. Notre rapport apporte une première contribution en abordant le sujet sous un angle assez technique. Cependant, davantage de recherches scientifiques devraient y être consacrées, afin de mieux étayer ces dix inquiétudes que, pour la plupart, vous partagez.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Merci Olivier, merci madame la Présidente.

Lors de notre première réunion, je m'étais chargé de présenter les deux volets consacrés à l'encadrement de la production, de la commercialisation et de la consommation d'aliments cellulaires.

Sur ces deux volets, j'avais eu l'occasion d'évoquer des recommandations que vous sembliez soutenir et sur lesquelles nous ne sommes donc pas revenus. J'en citerai cinq.

D'abord, notre proposition d'inscrire solennellement dans la loi l'interdiction de toute commercialisation d'aliments cellulaires, dans la restauration collective comme partout ailleurs. Vous pourriez me dire que tout ce qui n'est pas encore autorisé est interdit, mais ce n'est pas tout à fait le cas : des insectes avaient par exemple été mis en vente et faussement présentés comme non alimentaires, échappant au règlement « nouveaux aliments ». Cette proposition ne nous semble donc pas une précaution inutile ; au contraire, elle met en oeuvre le principe de précaution. Comme l'avait dit Daniel Salmon, le propre de la civilisation est de pouvoir poser des limites, et ce sont les interdictions qui font société. C'est ce que nous proposons.

Dans cet esprit, nous proposons un avis de l'Anses venant en doublon de l'avis que donne l'EFSA au niveau européen. Avec cette proposition, nous réaffirmons que la sécurité sanitaire de l'alimentation est une affaire sérieuse, qui ne tolère aucune imprudence.

Nous voulons également protéger nos filières de productions animales et l'information du consommateur à travers l'interdiction de l'usage du mot « viande » et l'extension du décret interdisant les dénominations « steaks » végétaux aux « steaks » d'aliments cellulaires. Il s'agit d'éviter ainsi une certaine forme de « colonisation du langage ».

Nous souhaitons rendre obligatoire au niveau européen l'affichage sur la face avant de tous les nouveaux aliments contenus dans les produits vendus en grande et moyenne surface. Cela comprend aussi bien les insectes que les graines de chia, et, hypothétiquement, les nouveaux aliments.

Cinquième proposition : nous plaidons pour des règles encadrant la production d'aliments cellulaires de façon très stricte. Cela peut se faire dès demain par voie législative, et cela ne manquerait d'ailleurs pas d'être interprété comme un coup fatal à l'équilibre économique de ces start-ups par les promoteurs de cette technologie.

J'espère présenter ces recommandations suffisamment clairement cette fois pour qu'elles ne soient pas perçues comme une forme de bienveillance, d'accompagnement, de tolérance, de neutralité et de résignation. L'accumulation de toutes ces mesures mises bout à bout formerait en effet l'un des cadres les plus restrictifs au monde vis-à-vis des aliments cellulaires. Elles figuraient déjà dans le rapport que nous vous présentions il y a trois semaines.

Il aurait été possible d'aller plus loin, en interdisant toute production sur le territoire national. Un exemple vient de nous être donné par le projet de loi présenté en conseil des ministres la semaine dernière en Italie par le gouvernement de Giorgia Meloni, la leader de Fratelli d'Italia : ce projet de loi, dont le texte n'a pas encore été publié, mais dont le contenu a été largement éventé dans la presse, impose des amendes de plusieurs milliers d'euros aux acteurs qui produiraient des aliments cellulaires.

Pour autant, comme souvent, le diable se cache dans les détails : la presse transalpine n'a pas manqué de souligner le caractère pour le moins bancal d'une interdiction qui ne vaut que pour soi, mais pas pour les autres. En effet, les interdictions prévues à l'article 2 de ce projet de loi ne s'appliqueront pas aux produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre de l'Union. Il ne serait pas possible, au regard du droit européen, d'interdire les importations d'autres États membres si le produit était autorisé au sein de l'Union. C'est pourquoi nous ne vous proposons pas de suivre cette voie.

Cependant, en plus de la mise au point politique d'Olivier Rietmann, les modifications apportées au rapport sont nombreuses et substantielles.

Tout d'abord, quatre recommandations sont purement et simplement supprimées.

Premièrement, celle qui tendait à demander aux instituts techniques de procéder à un état des lieux des synergies possibles ou non du secteur de l'industrie cellulaire avec les filières agricoles et agroalimentaires existantes. Nous ne souhaitons pas mêler, en effet, agriculture et industrie, là où cela n'a pas lieu d'être. Voilà pourquoi nous parlons d'industrie cellulaire et non d'agriculture cellulaire dans notre rapport.

Deuxièmement, celle qui tendait à demander au Gouvernement de forger une position interministérielle plus cohérente sur l'industrie cellulaire, soit au travers d'un livre blanc dédié, soit en l'intégrant dans la Stratégie nationale protéines végétales. D'abord, nous comprenons que l'inclusion dans la Stratégie protéines végétales était maladroite. Ensuite, la réflexion sur le sujet revient plutôt aux chercheurs qu'aux administrations, qui ont d'autres priorités plus urgentes. Cependant, nous réitérons la nécessité pour les pouvoirs publics d'anticiper et d'étudier la question : c'est, du reste, tout le sens de notre rapport.

Troisièmement, celle qui préconisait de ne pas exclure par principe le financement de l'innovation dans ce secteur par des subventions publiques ou des concours, tant que les résultats de l'expertise scientifique collective (ESCo) que nous demandons par ailleurs n'étaient pas rendus.

Et, quatrièmement, celle qui préconisait de clarifier le droit pour autoriser la dégustation d'aliments cellulaires dans un cadre réglementé. Ces dégustations dans un cadre non commercial ont lieu aujourd'hui, et plusieurs chercheurs que nous avons eu l'occasion d'entendre, comme Monsieur Hocquette, ont pu goûter ces produits. Toutefois, il n'est peut-être pas nécessaire de légiférer sur ce qui reste actuellement dans une zone grise.

Enfin, nous avons procédé à des modifications, soit terminologiques, soit plus substantielles, pour accéder aux différentes demandes exprimées pendant cette période de consultations.

Ainsi, nous avons réaffirmé la nécessité d'intensifier l'effort de recherche sur l'industrie cellulaire, mais surtout, de miser en priorité sur l'élevage et les protéines végétales pour relever le défi de l'autonomie protéique. Pour faire face à ce défi, il faut prioriser l'accélération de la mise en oeuvre de la stratégie protéines végétales, en augmentant en particulier les financements dédiés, plutôt que la recherche d'alternatives lointaines et plus incertaines. Nous pouvons difficilement être plus clairs.

Ensuite, s'agissant de la recommandation portant sur une expertise scientifique collective pour évaluer les impacts socio-économiques et environnementaux des aliments cellulaires, nous avons ajouté la mention de l'évaluation des effets sur la santé humaine à long terme de la consommation des aliments cellulaires. C'est certes déjà le travail de l'EFSA et de l'Anses, mais eu égard à l'ampleur des enjeux, il est légitime que la recherche puisse s'intéresser plus avant à la question.

Troisièmement, nous recommandons de maintenir voire de rehausser les soutiens à l'agriculture vivrière et à l'élevage dans l'aide publique et privée à destination des pays en développement.

Quatrièmement, nous parlons d'une procédure d'information et non plus de notification automatique des commissions chargées de l'alimentation au Parlement européen et dans les Parlements nationaux. La notion de notification nous semblait en effet trop légère.

Enfin, nous avons précisé que le volet sur la protection des consommateurs, par des dénominations claires, était aussi destiné à protéger nos filières de productions animales.

Voilà désormais un rapport que l'on peut véritablement qualifier de co-construit.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci à nos deux rapporteurs, Henri Cabanel et Olivier Rietmann.

Mme Françoise Férat. - Merci messieurs les rapporteurs. J'ai l'impression d'avoir appréhendé ce rapport d'une autre manière que lors de l'examen précédent. Ce délai m'a permis d'approfondir ma réflexion. Mon premier réflexe consiste toujours à dire : halte à ces aliments étranges et dérangeants. Même si nous parlons d'innovation, ils me troublent. Je rappelle que notre gastronomie est réputée mondialement et reconnue par l'Unesco. Je n'ai aucune envie de manger ces aliments. Cependant, il ne faut pas rejeter cette technologie. En effet, il vaut mieux la maîtriser que la subir au risque qu'elle soit détournée. Dans ce cadre, les préconisations apportées me paraissent bonnes et nécessaires. J'en citerai quatre : intensifier la recherche ; contrôler étroitement les mises sur le marché, en soutenant notamment les effectifs d'inspection sanitaire ; favoriser la transparence envers les consommateurs ; protéger notre monde agricole avec intransigeance.

M. Joël Labbé. - Merci madame la Présidente et messieurs les rapporteurs. Un véritable travail a été accompli pour faire évoluer ce texte. Pour nous, cependant, il faudrait aller encore plus loin. Même s'il est très ennuyeux d'être rangé du côté de Giorgia Meloni, l'interdiction aurait le mérite de la clarté. En effet, l'accompagnement de la recherche permet, même implicitement, l'avancée de cette technologie. Nous voterons contre le rapport, tout en reconnaissant l'étendue du travail accompli et le bien-fondé de certaines recommandations.

M. Bernard Buis. - Je ne cautionne pas l'alimentation cellulaire. Cependant, il nous faut nous pencher sur cette pratique. Les recommandations vont dans le bon sens : il faut maîtriser pour mieux encadrer. Ainsi, je voterai favorablement.

M. Jean-Claude Tissot. - À notre tour de saluer le travail d'amélioration effectué sur le texte. Cependant, malgré des discussions internes, après avoir pris attache avec les territoires, nous voterons contre ce rapport, mais de manière bienveillante, si j'ose dire. Nous voulons montrer que ce rapport met le doigt dans un engrenage dont nous risquons de perdre la maîtrise. Si un texte de loi traite de la production des aliments cellulaires, nous y travaillerons, bien sûr. Néanmoins, il nous semble dangereux d'accepter d'étudier cette problématique dès à présent.

Mme Marie-Christine Chauvin. - Je veux remercier le travail d'écoute et de concertation des deux rapporteurs qui aboutit aujourd'hui. La position adoptée par le rapport me semble très claire : il affirme notre opposition aux aliments cellulaires tout en soutenant la recherche sur la question. Cette approche me convient, surtout dans sa première partie. Je voterai favorablement à ce rapport.

M. Fabien Gay. - Merci madame la Présidente. Mon groupe ne souhaite pas mettre le doigt dans l'engrenage de la viande in vitro. Ce sentiment semble communément partagé ici. Cependant, le rapport propose d'affirmer une position qui me convient, tout en regardant la réalité en face. De la même manière, même si je suis opposé à la consommation de drogues, il vaut mieux travailler sur la prévention que nier la réalité. Nous avons intérêt à assumer cette position politique d'opposition à la viande cellulaire. Cependant, nous souhaitons a minima que la recherche publique étudie ces questions. Le moment venu, il faudra nous montrer capables de légiférer. Je remercie les deux rapporteurs d'avoir retravaillé ce rapport suite à la précédente commission. Je voterai favorablement, car nous avons intérêt à continuer de travailler sur cette question.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je voudrais remercier les rapporteurs pour le travail qu'ils ont réalisé et sa qualité d'écriture, ainsi que pour leur capacité d'écoute et de négociation.

M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Je voudrais saluer la qualité des échanges. Lors de la dernière séance, nous avons très rapidement compris les points sur lesquels des modifications étaient nécessaires. Nous avons voulu présenter un rapport technique, et sans doute pas assez politique, puisque notre position nous semblait évidente. Ces dernières semaines ont permis de compléter notre travail.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - J'approuve les propos d'Olivier Rietmann. En politique, nous avons toujours du mal à reconnaître nos erreurs. Sans doute n'avions-nous pas été assez clairs, même si les ambitions de ce rapport sont restées les mêmes. Je rappelle à nos amis écologistes qu'au-dessus de la France et de l'Italie, il ne faut pas négliger l'Union européenne, qui peut autoriser la production d'éléments cellulaires sans l'aval des États membres. Je comprends également le choix exprimé par mes amis socialistes. Avec ce rapport, nous avons voulu prendre la mesure de la situation. De plus, toutes les inquiétudes auraient pu être exprimées au moment où le principe d'une mission d'information a été acceptée. Ainsi, les craintes auraient pu être formulées d'emblée auprès de la mission. Je salue également la qualité du travail effectué : il montre que l'intérêt général repose sur les compromis.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je mets aux voix la publication du rapport et des recommandations.

Le rapport d'information est approuvé à la majorité des suffrages.

Mme Sophie Primas, présidente. - Le rapport sera donc publié. Je vous remercie.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 10 janvier 2023

- Personnalités qualifiées, vétérinaires : M. Jean-Luc ANGOT, président de la section « International, prospective, évaluation et société » - chef du corps des inspecteurs de santé publique vétérinaire (ISPV), Mme Anne-Marie VANELLE, inspecteur général honoraire de la santé publique vétérinaire - membre de l'Académie vétérinaire de France.

- École de guerre économique : M. Paul MARGARON, étudiant, M. Christian HARBULOT, Directeur.

- Table ronde « fermentation de précision » : Nutropy : Mme Maya BENDIFALLAH, co-fondatrice et directrice scientifique (CSO), M. Arthur THUET, directeur des opérations ; Standing Ovation : M. Frédéric PAQUES, président-directeur général

Mardi 17 janvier 2023

- Personnalités qualifiées, chercheurs : M. Jean-François HOCQUETTE, directeur de recherche INRAE (UMR sur les herbivores), président de l'Association Française de Zootechnie, éditeur de « Viandes et produits Carnés », membre de l'Académie de la viande, Mme Marie-Pierre ELLIES-OURY, professeur des universités, M. Sghaier CHRIKI, Enseignant chercheur - Associate Professor - Animal Science.

- Agriculture cellulaire France : M. Nicolas BUREAU, co-fondateur, Mme Nathalie ROLLAND, cofondatrice, Mme Pauline ABELA, chargée de plaidoyer.

- Banque publique d'investissement - Bpifrance : Mme Ariane VOYATZAKIS, responsable du secteur agroalimentaire, M. Jean-Baptiste MARIN LAMELLET, responsable des relations institutionnelles.

- Interbev : M. Jean-François GUIHARD, président, M. Marc PAGES, directeur général, M. Guillaume GAUTHIER, secrétaire général adjoint FNB, M. Dominique GUINEHEUX, directeur du groupe Bigard.

Table ronde « filières de productions animales » :

· INAPORC : Mme Anne RICHARD, directrice.

· ANVOL : M. Yann NÉDÉLEC, directeur,

· CNPO : M. Maxime CHAUMET, directeur, M. David CASSIN, directeur relations parties prenantes.

· CIFOG : M. Victor GUYON, responsable export et RSE, M. Mathieu LAFAY, consultant.

Jeudi 19 janvier 2023

- Action contre la faim : Mme Marie COSQUER, responsable plaidoyer.

Lundi 23 janvier 2023

- Vital Meat : M. Etienne DUTHOIT, directeur général et fondateur.

- Cabinet AlimAvenir : Mme Céline LAISNEY, experte en veille sur les évolutions de l'alimentation.

- Génopole : M. Gilles TRYSTRAM, Directeur général.

Mardi 24 janvier 2023

- Table ronde « institutions européennes » :

· M. Bruno GAUTRAIS, chef d'unité sur les nouveaux aliments,

· EFSA : Mme Océane ALBERT, responsable scientifique, M. Andréa GERMINI, chef d'équipe sur les nouveaux aliments, M. Ermolaos VERVERIS, responsable scientifique.

- Greenpeace : Mme Suzanne DALLE, chargée de campagne agriculture.

- Personnalité qualifiée : M. Gilles LUNEAU, journaliste, auteur, auteur du livre Steak barbare.

Table ronde « associations de protection des animaux » :

· La Fondation droit animal : Mme Nikita BACHELARD, chargée d'affaires et de relations publiques,

· OEuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) : Mme Tiphaine DUVERNOIS, chargée de mission scientifique,

· Welfarm : Mme Adrienne BONNET, responsable du pôle campagnes et plaidoyer.

- Table ronde « nutritionnistes » :

· M. Didier REMOND, directeur de recherche,

· M. Jean-Louis PEYRAUD, chargé de mission auprès du directeur scientifique agriculture de l'INRAE, spécialiste de l'élevage,

· Mme Nicole DARMON, directrice de recherche.

- Table ronde « économistes » :

· M. Nicolas TREICH, directeur de recherche,

· M. Romain ESPINOSA, chargé de recherche.

Mercredi 25 janvier 2023

- Personnalité qualifiée : Mme Jocelyne PORCHER, sociologue, directrice de recherche et éleveuse, auteure de Cause animale, cause du capital.

- Les Z'homnivores : M. Antoine SZARZEWSKI, consultant, M. Jacques CROLAIS, fondateur, M. Hervé LE PRINCE, directeur délégué.

- Gourmey : M. Nicolas MORIN-FOREST, co-fondateur et PDG.

Mardi 31 janvier 2023

- Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire : M. Eric DUMOULIN, sous-directeur de la sécurité sanitaire des aliments à la DGAL, M. Florent BIDAUD, chargé de mission au Centre d'études et de prospective, auteur d'une note sur la viande in vitro.

- Cellular Agriculture Europe : Mme Hélène MILLER, vice-présidente, responsable des affaires règlementaires d'Aleph Farms M. Didier TOUBIA, co-fondateur et PDG d'Aleph Farms, Mme Caroline REY, secrétaire générale.

- Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire : M. Jean-Marc CALLOIS, délégué ministériel aux entreprises agroalimentaires, Mme Camille ROCAULT, cheffe adjointe du bureau des viandes.

- Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) : Mme Anne MOTTET, fonctionnaire en charge du développement de l'élevage.

- ACTA - Réseau des instituts des filières animales et végétales : M. Jean-Paul BORDES, directeur général.

Mercredi 1er février 2023

- ANIA : M. Bernard VALLAT, président, M. Simon FOUCAULT, directeur des affaires publiques.

Table ronde « syndicats agricoles » :

· FNSEA : M. Arnold PUECH D'ALISSAC, membre du bureau en charge des questions internationales et président de la commission chaîne alimentaire, Mme Amaryllis BLIN, chargée de mission alimentation, sanitaire, élevage,

· Confédération paysanne : M. Stéphane GALAIS, représentant du groupe de travail sur les relations humain-animal, Mme Camille CHAUVARD, chargée des dossiers d'élevage.

· Coordination rurale : Loïc CRESPIN, membre de la section viande.

- FUDZS : M. Grégory MAUBON, Co-fondateur, M. Zied SOUGUIR, Co-Fondateur, Mme Aude PLANCHE, Co-fondatrice.

- Chambres d'agriculture France : M. André SERGENT, président de la chambre Régionale d'agriculture de Bretagne.

Mardi 7 février 2023

- Ministère de l'agriculture et de l'alimentation, cabinet du ministre : MM. Emmanuel HONORÉ, conseiller chargé des élus et des discours, et Hugues DE FRANCLIEU, conseiller France 2030, Mme Claire POSTIC, conseillère alimentation, et M. Hadrien JAQUET, conseiller filières animales, santé et bien-être animal.

Mercredi 8 février 2023

Table ronde devant la commission des affaires économiques réunie en plénière :

· M. Thierry MARX, chef étoilé,

· M. Etienne DUTHOIT, directeur général et fondateur de l'entreprise Vital Meat,

· M. Nicolas MORIN-FOREST, PDG et co-fondateur de l'entreprise Gourmey,

· M. Jean-François HOCQUETTE, directeur de recherche INRAE (UMR sur les herbivores), président de l'Association française de zootechnie, éditeur de « Viandes et produits Carnés », membre de l'Académie de la viande.

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- Action Contre la Faim

- Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire (Anses)

- Agriculture cellulaire France

- Aleph Farms

- Alliance Alimentation Élevage

- Association Nationale des Industries Alimentaires (Ania)

- Association Nationale Interprofessionnelle du Bétail et des Viandes (Interbev)

- Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)

- Banque Publique d'Investissement (BPIfrance)

- Cabinet AlimAvenir

- Cellular Agriculture Europe

- Centre national Interprofessionnel de l'Économie laitière (Cniel)

- Chambres d'Agriculture France

- Comité interprofessionnel des Palmipèdes à Foie Gras (Cifog)

- Comité National pour la Promotion de l'oeuf (CNPO)

- Commission européenne - Direction générale de la Santé et de la sécurité alimentaire

- Confédération paysanne

- Coordination rurale

- École de Guerre Économique (EGE)

- Fédération du commerce et de la Distribution (FCD)

- Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA)

- Fudzs

- Greenpeace

- Interprofession Nationale Porcine (Inaporc)

- Interbev

- La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA)

- Les Instituts Techniques Agricoles (Acta)

- Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire (Masa) : Direction générale de l'alimentation (DGAL), Centre d'études et de prospective (CEP)

- OEuvre d'Assistance aux bêtes d'Abattoir (OABA)

- Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO)

- Personnalités qualifiées : Jean-Luc ANGOT, Tom BRY-CHEVALIER, Sghaier CHRIKI, Marie-Pierre ELLIES-OURY, Romain ESPINOSA, Céline GALLEN, Jean-François HOCQUETTE, Céline LAISNEY, Gilles LUNEAU, Jocelyne PORCHER, Nicolas TREICH, Anne-Marie VANELLE

- Welfarm

- Les Z'Homnivores

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Lundi 6 février 2023

Déplacement aux Pays-Bas

- Visite de l'entreprise Mosa Meat (Maastricht) - échanges avec MM. Maarten Bosch, président-directeur général, Peter Verstrate, cofondateur et directeur des opérations, Gilles Candotti, coordinateur France et Italie, et les équipes de l'entreprise.

- Visite d'une ferme « RESPECTFarm » (Sint-Oedenrode) - rencontre avec Mme Ira Van Eelen, figure de l'alimentation cellulaire aux Pays-Bas, M. Leon Moonen exploitant de cette ferme-pilote, développant un partenariat avec Mosa Meat.

- Visite de l'entreprise Meatable (Delft) - échanges avec le co-fondateur et directeur technique de l'entreprise, M. Daan Luining et avec les équipes de l'entreprise.

- Rencontre avec les équipes du ministère de l'agriculture, de la nature et de la qualité alimentaire des Pays-Bas (La Haye) - échanges avec Mme Simone Eijsink, coordinatrice de l'équipe chargée de l'alimentation, sur le soutien du gouvernement néerlandais à l'industrie cellulaire, en présence de représentants de Mosa Meat et de Meatable ainsi que du service économique régional de l'ambassade de France (MM. Benoît Lemonnier et Samy Ouahsine).

- Rencontre avec l'ambassadeur de France aux Pays-Bas (La Haye), M. François Alabrune.

Lundi 13 février 2023

Déplacement dans le Maine-et-Loire

- Visite de l'atelier pilote de l'entreprise Vital Meat (autour de Cholet) et des installations de l'entreprise fabriquant les milieux de culture, en présence d'Étienne Duthoit, directeur général

- Visite du siège du groupe Grimaud (Sèvremoine), maison-mère de Vital Meat, échanges sur la place de l'industrie cellulaire dans les filières agricoles et dans les territoires ruraux, avec le président du groupe, M. Frédéric Grimaud ; démonstration de la technique Ovonixes d'ovosexage des canetons.

TABLEAU DE MISE EN OEUVRE ET DE SUIVI

N° de la proposition

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

Axe 1 - Renforcer la procédure d'autorisation des nouveaux aliments et le cadre applicable aux aliments cellulaires

1

Affirmer dans la loi le principe de l'interdiction de toute commercialisation tant que les produits ne sont pas autorisés dans le cadre du règlement européen « nouveaux aliments ».

Parlement

Dès 2023

Loi

2

Instituer une procédure d'information automatique des commissions chargées de l'alimentation au Parlement européen et dans les parlements nationaux pour l'autorisation de mise sur le marché de tout nouvel aliment.

Commission européenne, Conseil de l'Union, Parlement européen

Dès 2023

Pratique qui pourrait être formalisée lors de la prochaine révision du règlement 2015/2283

3

Prévoir dans le code rural et dans le code de la santé publique que l'ANSES procède systématiquement à une analyse des risques sanitaires des nouveaux aliments en complément de l'évaluation de l'EFSA au niveau européen.

Parlement

Dès 2023

Loi

Forger en France un cadre réglementaire plus strict pour la production d'aliments cellulaires et pousser pour son adoption au niveau européen :

4

Instituer un moratoire sur l'utilisation du sérum foetal bovin dans les milieux de culture entrant dans les processus de production alimentaire.

Parlement / Commission européenne, Conseil de l'Union, Parlement européen

Dès 2023

Loi / directives européennes relatives au bien-être animal

5

Étudier l'opportunité de définir par voie réglementaire un volume de bioréacteurs au-delà duquel la production serait taxée (par exemple à partir de 25 000 litres), afin de limiter la concentration des risques sanitaires.

État / Commission européenne

À partir de 2023

Décret /autorisation de mise sur le marché de la Commission européenne

Axe 2 - Renforcer la procédure d'autorisation des nouveaux aliments et le cadre applicable aux aliments cellulaires

6

Dans le cadre des recherches et réflexions nationales et européennes sur le sujet, s'accorder sur un terme usuel consensuel du produit, qui pourrait être « aliments cellulaires ».

Organismes de recherche (Inrae, CNRS...), autorités sanitaires (EFSA/ANSES), Commission européenne

À partir de 2023

Articles scientifiques, colloques, enquêtes d'opinion, rapports

7

Interdire la dénomination commerciale « viande » et, au cas par cas, l'usage de termes faisant référence à des produits animaux, en étendant aux aliments cellulaires la législation applicable aux analogues végétaux.

Parlement / État

Dès 2023

Loi (article L. 412-10 du code de la consommation) / Décret (en remplacement du décret n° 2022-947)

8

Rendre obligatoire la mention de l'espèce d'origine pour assurer la bonne information du consommateur, notamment en matière d'allergénicité.

EFSA, Commission européenne

Dès 2023

Évaluation sanitaire et autorisation de la mise sur le marché

9

Pour les produits fabriqués en France, afficher obligatoirement si un produit contient des aliments cellulaires ou tout autre nouvel aliment (dont les insectes) par un affichage spécifique sur la face avant des produits préemballés.

Parlement

Dès 2023

Loi, sous réserve de conformité avec les règlements n°s 2015/2283 (« nouveaux aliments ») et 1169/2011 (« INCO »)

10

Identifier clairement aliments cellulaires et viande issue de l'élevage par l'étiquetage et interdire la commercialisation de produits mélangeant aliments cellulaires et viande issue de l'élevage.

Commission européenne

Dès 2023

Autorisations de mise sur le marché, révision du règlement « INCO », n° 1169/2011

11

En complément de la liste des ingrédients, afficher obligatoirement la part agrégée d'origine végétale et d'origine cellulaire, en cas d'hybride à base d'aliments cellulaires.

Commission européenne

Dès 2023

Autorisations de mise sur le marché, révision du règlement « INCO », n° 1169/2011

12

Dans l'hypothèse où des aliments cellulaires seraient mis sur le marché, rendre obligatoire en restauration hors foyer l'information sur la présence de ce produit dans un plat, ainsi que sur l'origine géographique des produits servis.

Commission européenne

Dès 2023

Autorisations de mise sur le marché, révision du règlement « INCO », n° 1169/2011

Axe 3 - Intensifier l'effort de recherche sur l'industrie cellulaire, mais miser en priorité sur l'élevage et les protéines végétales pour relever le défi de l'autonomie protéique

13

Créer une unité mixte de recherche, au sein de l'INRAE et du CNRS, dédiée à une meilleure appréhension des techniques de l'industrie cellulaire.

INRAE/CNRS, ministère chargé de la recherche

Dès 2023

Contrat pluriannuel d'association

14

Demander formellement à ces organismes de recherche une expertise scientifique collective (ESCo) pour évaluer les impacts socio-économiques, environnementaux et pour anticiper les effets sur la santé humaine à long terme de la consommation d'aliments cellulaires.

Parlement/État

Dès 2023

Courrier aux organismes de recherche

15

Sur le modèle de la transparence en matière de sécurité sanitaire vis à vis de l'EFSA, imposer la transparence en matière environnementale aux entreprises de ce secteur, en obligeant à la communication des données en analyse de cycle de vie aux autorités environnementales.

Parlement/État

Dès 2023

Loi/Décret

16

Dans l'éventualité où des demandes d'autorisation seraient déposées en Europe, faire, un an plus tard, un droit de suite au Sénat.

Commission des affaires économiques du Sénat

1 an après une éventuelle demande

Décision du bureau de la commission

17

Pour faire face au défi de l'autonomie protéique, prioriser l'accélération de la mise en oeuvre de la stratégie protéines végétales, en augmentant en particulier les financements dédiés, plutôt que le financement d'alternatives lointaines et plus incertaines.

État et opérateurs

Dès 2023

Programmation financière du plan France 2030, communication sur les appels à projet, révision à mi-parcours du plan stratégique national (PSN)

18

Maintenir voire rehausser les soutiens à l'agriculture vivrière et à l'élevage dans l'aide publique et privée à destination des pays en développement.

Parlement/État

Dès 2023

Projet de loi de finances, orientations du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID)


* 1 Certains entrepreneurs ont appelé dans une lettre ouverte à faire une pause dans les recherches sur l'intelligence artificielle, pour s'assurer qu'il s'agit bien de ce que nous souhaitons. https://futureoflife.org/open-letter/pause-giant-ai-experiments/

* 2 Un produit nécessitant l'abattage d'une femelle gestante pour être prélevé sur le foetus bovin, posant question, de l'aveu des acteurs du secteur, au regard du bien-être animal.

* 3 https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/paleontologie/une-boulette-de-viande-de-mammouth-presentee-par-des-scientifiques_170361

* 4 Le chef étoilé Thierry Marx, entendu par la mission, a ainsi dit craindre « la massification de l'industrialisation de notre nourriture, la mondialisation et l'appauvrissement culturel. On ramène tout sur la consommation et sur le prix, et plus assez sur la culture. Savoir manger, c'est savoir être, redonner du sens à son alimentation. Se restaurer a du sens en matière de lien social. »

* 5 Pas encore public lors de la rédaction de ce rapport, mais approuvé en conseil des ministres le 28 mars 2023, il est intitulé « Dispositions interdisant la production et la mise sur le marché de denrées alimentaires et d'aliments pour animaux synthétiques ». https://www.governo.it/it/articolo/comunicato-stampa-del-consiglio-dei-ministri-n-26/22212

* 6 https://www.ilsole24ore.com/art/carne-sintetica-governo-vieta-produzione-ma-non-l-import-AE3pnyAD

* 7 https://www.fao.org/3/cc2241en/cc2241en.pdf

* 8 Think-tank RethinkX, Rethink Food and Agriculture 2020-2030, 2019

* 9 La viande d'élevage est elle-même le fruit d'un long processus d'amélioration génétique. En outre, il serait difficile de prétendre, par exemple, que la viande issue d'élevage en feed-lots soit particulièrement naturelle.

* 10 https://www.fao.org/3/cc2241en/cc2241en.pdf

* 11 Article 3 du règlement (UE) n° 2015/2283 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relatif aux « nouveaux aliments ». https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/ ?uri=CELEX :32015R2283

* 12 Article 230-5 du code rural et de la pêche maritime, depuis l'entrée en vigueur de l'article 254 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 13 Annexe I du règlement (CE) n° 853/2004 du Parlement européen et du Conseil fixant des règles spécifiques d'hygiène applicables aux denrées alimentaires d'origine animale. https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do ?uri=OJ :L :2004 :139 :0055 :0205 :fr :PDF

* 14 Les deux définitions de la « viande cellulaire » ont pour objet de l'assujettir à un régime d'autorisation préalable, et de l'exclure de la restauration collective publique ; la définition des « viandes » figurant simplement dans l'annexe d'un règlement européen relatif aux règles d'hygiène de ces denrées.

* 15 En effet, « la dénomination de la denrée alimentaire est sa dénomination légale. En l'absence d'une telle dénomination, la dénomination de la denrée est son nom usuel. À défaut d'un tel nom ou si celui-ci n'est pas utilisé, un nom descriptif est à indiquer » (article 17 du règlement (UE) n° 1169/2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires)).

* 16 Article L. 412-10 du code de la consommation, introduit par l'article 5 de la loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires.

* 17 Décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales.

* 18 Conseil d'État, juge des référés, 27/07/2022, n° 465 844. https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000 046 112 967 ?init=true&page=1&query=n %C2 %B0+ 465 844&searchField=ALL&tab_selection=all

* 19 Association professionnelle regroupant de grands groupes agricoles et coopératifs français producteurs de protéines végétales (parmi lesquels Avril, Limagrain, Roquette, Tereos, Vivescia, Happyvore, Herta, La Vie, Soufflet, Terrena, Olga, Ynsect...).

http://www.proteinesfrance.fr/fr/membres

* 20 Hallman et Hallman, 2020, cité dans le document de travail de la FAO publié en 2022.

* 21 https://www.fao.org/3/cc2241en/cc2241en.pdf

* 22 C'est-à-dire qu'elles ont le potentiel de devenir n'importe quelle partie de l'organisme.

* 23 https://www.nature.com/articles/s43016-021-00419-1

* 24 https://gfi.org/resource/cultivated-meat-eggs-and-dairy-state-of-the-industry-report/

* 25 À noter que toutes les entreprises ne sont pas nécessairement répertoriées dans ce tableau. Par exemple, Vital Meat ne figure pas sur cette représentation, peut-être en raison de son statut de filiale d'un autre groupe. La start-up Fudsz, tout récent troisième acteur du secteur en France n'y figure pas non plus, et n'est, du reste, pas représentée par Cellular Agriculture Europe.

* 26 Des nuggets de poulet cellulaire, à Singapour, en 2020.

* 27 https://gfieurope.org/blog/2022-sustainable-protein-investment/

* 28 Les parcours de certains des promoteurs les plus actifs de l'alimentation cellulaire en France, comme MM. Tom Bry-Chevalier, ancien bras droit de la direction de Gourmey et qui rédige une thèse sur l'impact environnemental de ces produits, et Nicolas Bureau, président de l'association Agriculture Cellulaire France, témoignent directement ou indirectement de cette inspiration.

* 29 Éthique conséquentialiste et utilitariste inspirée du philosophe Peter Singer, l'altruisme efficace vise à maximiser le bien-être collectif, non par les actions les plus morales, mais par celles qui produiront le plus grand effet.

* 30 On désigne par « welfaristes » les associations qui ne sont pas opposées à l'élevage en tant que tel mais qui cherchent à améliorer le bien-être des animaux d'élevage, par des aménagements. Entendues en table ronde, l'oeuvre d'assistance aux bêtes d'abattoir (OABA), la fondation droit animal (LFDA) et Welfarm entrent dans cette catégorie.

* 31 Il en est ainsi du financement de L214 par l'Open Philanthropy Project, une fondation qui a aussi financé le secteur des protéines alternatives.

* 32 Jan. 2016, “Lab-grown food will soon destroy farming - and save the planet”, The Guardian https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/jan/08/lab-grown-food-destroy-farming-save-planet

* 33 Cette même fondation a octroyé des financements aux associations Compassion in World Farming ( https://www.openphilanthropy.org/grants/ ?q=compassion %20in %20world %20farming) et L214 ( https://www.openphilanthropy.org/grants/ ?q=l214), parmi d'autres organismes militant pour éliminer les pires pratiques de l'élevage. C'est sur ce fondement que plusieurs filières animales ont cherché à établir un lien entre associations animalistes et entreprises développant des aliments cellulaires.

* 34 https://www.openphilanthropy.org/research/animal-product-alternatives/

* 35 https://www.openphilanthropy.org/grants/impossible-foods-rd-investment/

* 36 https://podcasts.apple.com/us/podcast/cultured-meat-and-future-food-podcast/id1364 668 720

* 37 https://mosameat.com/blog/leonardo-dicaprio-invests-in-mosa-meat

* 38 https://foodmatterslive.com/gallery/tech-moguls-sports-personalities-and-celebrities-investing-in-plant-based-food-companies/

* 39 https://ipes-food.org/_img/upload/files/PolitiqueDesProteinesFR.pdf

* 40 Sa filiale Valneva avait par exemple développé un vaccin contre le Covid-19.

* 41 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/ ?uri=CELEX :32015R2283

* 42 https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do ?uri=OJ :L :1997 :043 :0001 :0006 :FR :PDF

* 43 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/ ?uri=CELEX %3A02003R1829-20 210 327

* 44 https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.2903/sp.efsa.2021.EN-6488

* 45 https://www.anses.fr/fr/content/le-r %C3 %A8glement-europ %C3 %A9en-sur-la-transparence-un-nouveau-cadre-pour-l %E2 %80 %99 %C3 %A9valuation-des-risques-et

* 46 https://www.efsa.europa.eu/en/applications/about/services

* 47 Ce principe figure à l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et s'impose donc au sein de l'UE dans le domaine de l'environnement, comme le rappelle cette étude du Parlement européen : https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2015/573 876/EPRS_IDA %282 015 %29 573 876_FR.pdf

* 48 Article 7 du règlement 2015/2283.

* 49 Article 10(2) du même règlement.

* 50 Article 12 du règlement « nouveaux aliments ».

* 51 Définie par le règlement (UE) n° 182/2011, la « comitologie » désigne la façon par laquelle les administrations des États membres, réunies en comités, sont associées à l'élaboration par la Commission européennes des actes délégués et des actes d'exécution résultant de règlements ou de directives. En fonction de l'importance de ces textes, ces comités peuvent rendre soit un avis simple à la majorité simple (art. 4) soit un avis conforme à la majorité qualifiée (art. 5).

* 52 « Nouveaux aliments et sécurité toxicologique de la chaîne alimentaire ». https://food.ec.europa.eu/horizontal-topics/committees/paff-committees/novel-food-and-toxicological-safety_en

* 53 Le PAFF committee en anglais, pour « plants, animals, food and feed », institué par le règlement “alimentation” de 2002. https://food.ec.europa.eu/horizontal-topics/committees/paff-committees_en

* 54 La France est représentée par la DGAL, au sein du ministère chargé de l'agriculture, et non plus par la DGCCRF, du ministère chargé de l'économie, depuis la mise en place d'une police unique de la sécurité sanitaire entièrement assurée par la DGAL, à partir de 2022.

* 55 La majorité qualifiée est atteinte, selon la règle de la « double majorité », lorsqu'au moins 55 % des États membres représentant 65 % de la population de l'Union européenne sont favorables à un acte. Pour mémoire, la France représente 3,7 % des États membres et moins de 15 % de la population de l'Union.

* 56 Article 5 du règlement n° 182/2011. Il semble cependant improbable que la Commission européenne autorise la mise sur le marché d'aliments cellulaires sans l'accord des États membres, sur ce sujet sensible politiquement. De façon encore moins plausible, tant juridiquement que politiquement, les articles 7 (circonstances exceptionnelles) et 8 (mesures immédiatement applicables, pendant 6 mois) du même règlement pourraient en théorie fonder une autorisation de mise sur le marché en dépit du refus des États membres.

* 57 Articles 26 et 28 à 37 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

* 58 Article 54 du règlement (CE) n° 178/2002 du 28 janvier 2002, dit règlement « alimentation » : https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do ?uri=CONSLEG :2002R0178 :20 080 325 :FR :PDF

* 59 Les services de la Commission européenne indiquent « s'attendre à des demandes, potentiellement dès le deuxième trimestre de cette année ». Cependant, ils avaient déjà anticipé des demandes en 2022, ce qui n'a finalement pas eu lieu. La plupart des acteurs entendus par la mission s'accordent à dire que les entreprises ont eu tendance à se montrer optimistes dans leur communication, notamment pour faciliter les levées de fonds. Les entreprises elles-mêmes se montrent désormais plus prudentes, certaines se refusant à des pronostics.

* 60 Comme cela était du reste le cas en Europe avant l'épizootie d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ou « crise de la vache folle ».

* 61 https://www.usda.gov/media/press-releases/2019/03/07/usda-and-fda-announce-formal-agreement-regulate-cell-cultured-food

* 62 Le ministre avait également déclaré, lors des débats sur le futur article 254 de la loi Climat et résilience : « Que les choses soient claires : je m'oppose formellement à la consommation de viande cellulaire - cette viande de paillasse, de laboratoire », laissant même entendre que la France pourrait enfreindre volontairement le droit de l'Union européenne : « À l'heure actuelle, la Commission européenne ne l'autorise pas. Si elle venait un jour à le faire - mais la France marquerait son opposition -, quelle solution légistique pourrions-nous trouver ? Il faudrait que, sur la base d'autres considérants, la loi française émette une interdiction. »

* 63 Modifiant l'article L. 230-5 du code rural et de la pêche maritime.

* 64 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/csldcrre/l15csldcrre2021 040_compte-rendu

* 65 https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/economie/entretien-marc-fesneau-retrouver-la-souverainete-agricole

* 66 https://www.bpifrance.fr/nos-appels-a-projets-concours/appel-a-projets-france-2030-premiere-usine

* 67 https://agenceurope.eu/fr/bulletin/article/13138/11

* 68 Avant, donc, la levée de fonds de Gourmey de 48 M€ en 2022.

* 69 Dont l'entreprise agroalimentaire Tnuva, qui co-dirige le consortium, mais aussi des entreprises de biotechnologies.

* 70 https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-scientifique-et-universitaire/veille-scientifique-et-technologique/israel/article/subvention-de-plus-de-17-millions-d-euros-pour-le-consortium-israelien-de-la

* 71 https://www.greenqueen.com.hk/south-koreas-cultivated-meat-stakeholders-sign-mou/

* 72 https://cellularagriculture.tufts.edu/

* 73 https://www.whitehouse.gov/briefing-room/presidential-actions/2022/09/12/executive-order-on-advancing-biotechnology-and-biomanufacturing-innovation-for-a-sustainable-safe-and-secure-american-bioeconomy/

* 74 http://www.moa.gov.cn/govpublic/KJJYS/202 112/P020220106615 353 271 383.pdf

* 75 https://productions-animales.org/article/view/7265

* 76 Après l'abattage, la consommation de glycogène, la rigor mortis et l'acidification contribuent à lui conférer son goût. L'entreprise Gourmey a indiqué à la mission travailler en partenariat avec une université irlandaise sur ce phénomène de maturation.

* 77 Une réaction chimique entre les sucres et les acides aminés assimilables à une forme de « caramélisation ». On peut noter une contradiction sur ce point entre les propos de Mme Ellies-Oury et le tableau de son collègue M. Chriki.

* 78 https://gfi.org/wp-content/uploads/2022/04/2021-Cultivated-Meat-State-of-the-Industry-Report-1.pdf pp. 14-15

* 79 https://www.reuters.com/world/china/chinese-firm-serves-up-lab-grown-pork-worlds-top-meat-market-2021-09-03/

* 80 En 2018, une dégustation organisée par Eat Just avait été interdite par l'Autorité néerlandaise de sécurité alimentaire (NVWA), les produits ayant été confisqués.

* 81 https://www.tweedekamer.nl/kamerstukken/moties/detail ?id=2022Z04 324&did=2022D08 835

* 82 Chriki et al., 2023.

* 83 Les consommateurs cherchent de plus en plus à mettre à distance l'abattage des animaux en dissociant la viande et l'animal. Cela se traduit, notamment chez les femmes, les jeunes et les urbains (Benningstad et Kunst, 2010) par la pratique de la « sarcophagie », c'est-à-dire « une alimentation dans laquelle les produits carnés ne rappellent en rien l'animal dont ils sont tirés, par opposition à la zoophagie, qui accepte les produits aisément identifiables » (Wiktionnaire).

* 84 Note scientifique de l'OPECST n° 35, « L'alimentation ultra-transformée », janvier 2023. https://www.senat.fr/rap/r22-290/r22-2901.pdf

* 85 À Londres, en 2013, par le chercheur néerlandais Mark Post, cofondateur par la suite de la société Mosa Mea.

* 86 Il s'agit là bien des coûts de production et non des prix de vente.

* 87 Cabinet de conseil néerlandais spécialisé dans les questions environnementales, qui a répondu à une commande du Good Food Institute, et pu accéder aux données de 16 entreprises du secteur. Ce même cabinet est l'auteur de l'analyse en cycle de vie.

* 88  https://cedelft.eu/wp-content/uploads/sites/2/2021/02/CE_Delft_190 254_TEA_of_Cultivated_Meat_FINAL_corrigendum.pdf

* 89 Scénarios avec respectivement l'hypothèse d'un faible recours au milieu de culture et de prix bas des ingrédients du milieu de culture.

* 90 Asioli et al., Consumers' valuation of cultured beef Burger : A Multi-Country investigation using choice experiments, 2022

* 91 https://www.i4ce.org/consommation-viande-climat/

* 92 Gomez-Luciano et al., Consumers' willingness to purchase three alternatives to meat proteins in the United Kingdom, Spain, Brazil and the Dominican Republic. Food Quality and Preference, 2019.

* 93 Synthèse de l'étude disponible ici : https://www.franceagrimer.fr/content/download/66 749/document/SyntheseVegetariensFlexitariensEnFrance2020.pdf

* 94 « Viande in vitro - Intérêts, enjeux et perception des consommateurs », Chriki et al., 2020

* 95 Pakseresht et al., Review of factors affecting consumer acceptance of cultured meat, 2022

* 96 Une étude Kantar de fin 2021 souligne que les ventes de substituts de viande à base de végétaux ont augmenté de 16 % entre novembre 2020 et novembre 2021, avec des ventes sur la période s'établissant à 105 millions d'euros, témoignant d'un marché modeste, mais en construction, et soutenue par l'arrivée de nouveaux acteurs tel que l'entreprise américaine Beyond Meat.

* 97 Selon la consultante Céline Laisney, citant M. Justin Kolbeck, fondateur de Wildtype, au Cultured Meat Symposium 2022.

* 98 https://link.springer.com/article/10.1007/s10 640-021-00 551-3

* 99 https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-la-viande-artificielle-un-symbole-du-retard-europeen-1277 331

* 100 La France est passée de 2e à 5e exportatrice mondiale de produits agricoles en 20 ans.

* 101À titre d'exemple, le foie gras est interdit en Californie depuis 2019. https://www.lefigaro.fr/conso/2019/01/11/20 010-20190111ARTFIG00 009-foie-gras-interdit-o-en-sont-les-differents-pays.php

* 102 Réalisé dans les conditions légales, l'abattage n'entraîne pas nécessairement de souffrance pour l'animal, l'étourdissement avant l'abattage étant obligatoire au sein de l'Union européenne, hormis dans le cas de l'abattage rituel.

* 103 Pour un exemple : https://www.youtube.com/watch ?reload=9&time_continue=22&v=EbLlcGOBBfA&feature=emb_title&ab_channel=TheCattleTagsStore

* 104 En France, ces chiffres sont respectivement de 20 %(pour l'alimentation) et 10 % (pour l'élevage) selon le CITEPA.

* 105 https://www.interbev.fr/enjeux-societaux/environnement-territoires/attenuer-adapter-changement-climatique/

* 106 Atlas de l'Anthropocène, 2e édition, François Gemenne, Aleksandar Rankovic, Atelier de cartographie de Sciences Po, Presses de Sciences Po, 2021. https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/ ?gcoi=27246 100 583 500

* 107 Cf. https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg3/downloads/report/IPCC_AR6_WGIII_FullReport.pdf, p. 699 : « Les technologies alimentaires émergentes telles que la fermentation cellulaire, la viande cultivée, les alternatives végétales aux produits alimentaires d'origine animale et l'agriculture en milieu contrôlé peuvent entraîner une réduction substantielle des émissions directes de gaz à effet de serre provenant de la production alimentaire (preuves limitées, accord élevé). Ces technologies ont une empreinte moindre sur la terre, l'eau et les nutriments, et répondent aux préoccupations concernant le bien-être des animaux. La réalisation de l'ensemble du potentiel d'atténuation dépend de l'accès à une énergie à faible teneur en carbone, car certaines technologies émergentes sont relativement plus gourmandes en énergie. »

* 108 Tuomisto et Teixeira de Mattos, 2011.

* 109 Le cabinet néerlandais spécialisé dans l'analyse en cycle de vie, CE Delft, a pu accéder aux données de quinze entreprises du secteur, sur commande du Good Food Institute, think tank d'analyse et de promotion des aliments cellulaires. Ses auteurs ont précisé que « les résultats présentés ne doivent pas être interprétés comme `la vérité', mais plutôt comme une bonne indication et une base » pour évaluer l'impact environnemental des aliments cellulaires. https://cedelft.eu/wp-content/uploads/sites/2/2021/02/CE_Delft_200 220_Ex-ante-LCA-of-commercial-scale-CM-production-in-2030_FINAL.pdf Une étude postérieure souligne la nécessité de mieux prendre en compte toutes les étapes de la production d'aliments cellulaires ( https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34945492/).

* 110 Hanna L. Tuomisto, Scott J. Allan, Marianne J. Ellis, “Prospective life cycle assessment of a bioprocess design for cultured meat production in hollow fiber bioreactors”, Science of The Total Environment, Volume851,Part1,2022.En ligne : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969 722 051 506 ?via %3Dihub

* 111 https://twitter.com/TomBryChevalier/status/1565709386303029256

* 112 https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fsufs.2019.00 005/full

* 113 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2021/6-bilan-energetique-de-la-france# :~ :text=Le %20bouquet %20 %C3 %A9nerg %C3 %A9tique %20primaire %20r %C3 %A9el,d %C3 %A9chets %20et %202 %20 %25 %20de %20charbon.

* 114 https://www.senat.fr/rap/r20-620/r20-620.html

* 115 Mekonnen et Hoekstra, A Global Assessment of the Water Footprint fo Farm Animal Products, 2012, p. 6. https://www.waterfootprint.org/media/downloads/Report-48-WaterFootprint-AnimalProducts-Vol1.pdf

* 116 En France, ces valeurs se situent respectivement autour de 8 500 L, 5 000 L et 2 000 L.

* 117 https://www.inrae.fr/actualites/quelques-idees-fausses-viande-lelevage

* 118 Chriki et Hocquette, 2020, https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnut.2020.00 007/full

* 119 Un métabolite du glucose produit par les tissus de l'organisme en cas d'apport insuffisant en oxygène.

* 120 Soice et Johnston, 2021.

* 121 https://www.ege.fr/sites/ege.fr/files/media_files/Rapportviandeartificielle.pdf

* 122 La liste des déclarations d'intérêts des membres du comité chargé de donner son avis sur les « nouveaux aliments » est depuis lors bien en ligne. https://www.efsa.europa.eu/en/science/scientific-committee-and-panels/nda#panel-members

* 123 Hocquette, 2023.

* 124 https://www.fda.gov/media/163 262/download

* 125 Bourdrez et Chriki, 2022, art. cit. https://hal-isara.archives-ouvertes.fr/hal-03 920 241/

* 126 Chriki et Hocquette, 2020, Turgeon et Rioux, 2011.

* 127 Maladie transmise de l'animal à l'homme.

* 128 En France, le troisième plan « EcoAntiBio » est en cours d'élaboration, après deux premiers plans (2012-16 et 2017-23) ayant permis une diminution significative de l'usage des antibiotiques.

* 129 Lors du déplacement dans les locaux de l'entreprise, ses responsables ont montré à la mission leur procédé de stérilisation à la vapeur.

* 130 Il faut noter que les prévisions de croissance démographique ont récemment été revues à la baisse par l'ONU, et que cette croissance ne sera pas homogène selon les aires géographiques, concentrée notamment sur l'Afrique.

* 131 Atlas de l'Anthropocène, 2e édition, François Gemenne, Aleksandar Rankovic, Atelier de cartographie de Sciences Po, Presses de Sciences Po, 2021. https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/ ?gcoi=27246 100 583 500

* 132 Communiqué de presse lors de l'investissement de Leonardo DiCaprio dans l'entreprise.

* 133 Un exemple de test par le Digital Food Lab : https://www.linkedin.com/posts/matthieu-vincent-21642a1b_this-week-we-made-a-blind-test-of-activity-7004457723752779778-d9U9/?utm_source=share&utm_medium=member_desktop

* 134 Ces commentaires ont notamment été inspirés par une stagnation des ventes en GMS et par la fin de la mise en vente du McPlant burger par McDonald's aux États-Unis à l'été 2022. La même enseigne a toutefois maintenu ce produit sur le marché européen (Royaume-Uni, Irlande, Autriche, Allemagne et Pays-Bas) et mis en vente des McNuggets à base de plantes - pois, maïs, blé et pâte à tempura - à partir de février 2023, en partenariat avec Beyond Meat, sur le marché allemand.

* 135 Représentant autour de 15 milliards de dollars selon le Good Food Institute.

* 136 L'Open Philanthropy Project a d'ailleurs justifié des investissements dans Impossible Foods, entreprise fabriquant des analogues végétaux, par « sa conviction que les obstacles techniques à la mise au point d'un produit viable et peu coûteux dans ce domaine sont beaucoup moins importants que les obstacles techniques à la mise au point d'une viande cultivée entière ». https://www.openphilanthropy.org/grants/impossible-foods-rd-investment/

* 137 « Les consommateurs devraient considérer la viande cellulaire non pas comme une option supplémentaire sur le menu, mais comme un substitut à des produits à plus fort impact. », p. 1  https://cedelft.eu/wp-content/uploads/sites/2/2021/02/CE_Delft_200 220_Ex-ante-LCA-of-commercial-scale-CM-production-in-2030_FINAL.pdf

* 138 La ferme de M. Leon Moonen, à Sint- Oedenrode, qui adhère au programme RESPECTfarms

https://www.respectfarms.com/

* 139 Selon d'autres chiffres plus prudents, avancés par les promoteurs des aliments cellulaires, et rapportés par Marie-Pierre Ellies sur France Inter, avec une seule vache, on pourrait produire environ 140 000 steaks.

* 140 Selon Ira van Eelen, ce manque de connaissances s'explique par le fait que les entreprises se sont davantage concentrées sur le milieu de culture que sur les cellules elles-mêmes.