D. « L'EXCEPTION IBÉRIQUE », MÉCANISME AUTORISÉ TEMPORAIREMENT PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE

Confrontés à une augmentation très importante du prix de l'électricité, l'Espagne et le Portugal ont formulé, dès septembre 2021, un certain nombre de propositions auprès de la Commission européenne pour engager une réforme des marchés de l'énergie.

Ces deux pays ont, par ailleurs, négocié avec la Commission européenne la possibilité de mettre en oeuvre un mécanisme dérogatoire leur permettant d'intervenir sur les marchés de l'électricité. En mai 2022, ils sont ainsi parvenus à conclure avec elle un accord, qui a permis de faire baisser le prix de l'électricité dans la péninsule ibérique, en le dissociant du prix du gaz.

Cette « exception ibérique » a été autorisée par la Commission européenne en raison de la situation particulière de ces deux Etats membres au niveau européen en matière énergique, caractérisée par le poids important des énergies renouvelables dans leur mix énergétique, le manque de moyens de production pilotables, autres que les centrales à gaz, et la faiblesse des interconnexions avec le réseau européen, avec un taux de l'ordre de 3 % (l'Espagne n'est interconnectée qu'avec le Portugal et la France).

Ce mécanisme d'intervention sur le marché de l'électricité, entré en vigueur le 15 juin 2022, pour une période de douze mois, puis prolongé jusqu'à la fin de l'année 2023, permet de limiter entre 55 et 65 euros en moyenne le tarif du kilowatt/heure (kWh) dans ces deux pays. L'État doit, en conséquence, verser aux fournisseurs de gaz la différence entre leur coût de production et le prix de marché, en finançant cette compensation par une taxe sur les bénéfices extraordinaires réalisés par les compagnies électriques grâce à la hausse des prix.

Ce régime dérogatoire a eu un impact significatif sur les prix de marché en Espagne et au Portugal, en limitant l'effet de la volatilité du prix du gaz sur celui de l'électricité. En intervenant sur le prix du gaz, sans remettre en cause le « merit order », il permet, par conséquent, de modifier le prix final de l'électricité. Les prix dans ces deux États membres ont donc été significativement inférieurs à ceux des autres pays européens depuis la mise en oeuvre de « l'exception ibérique », en particulier au cours du second semestre 2022.

En outre, le prix de l'électricité étant moins cher en Espagne qu'en France, cela a eu pour effet d'augmenter les exportations d'électricité de l'Espagne vers la France, mais aussi d'accroître la consommation de gaz en Espagne. Ce mécanisme tend, en effet, à effacer tout signal prix à l'égard du consommateur, qui est pourtant un élément fort d'incitation à la sobriété énergétique.

Un tel mécanisme apparaît comme une solution temporaire, difficilement duplicable à l'ensemble des États membres, et susceptible d'intéresser surtout les pays produisant peu d'électricité à partir du gaz. Pour M. Didier Holleaux, président de l'Union européenne de l'industrie du gaz naturel (Eurogas), « le mécanisme ibérique est beaucoup plus cher qu'il n'y paraît. Il a pu fonctionner dans le contexte ibérique parce que les échanges tant de gaz que d'électricité avec le reste du marché sont limités. Il serait très difficile à appliquer à l'échelle européenne, et on n'en connaît pas très bien l'impact sur les prix. Nous le considérons donc avec une extrême prudence, à cause de ses effets de bord et de son coût, qui serait probablement très élevé pour l'État »22(*). De nombreux États membres ont, en effet, exprimé leurs fortes réticences à l'égard de ce mécanisme.


* 22 Table ronde sur le marché européen de l'électricité, organisée par la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques du Sénat - Jeudi 1er décembre 2022.

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