B. DÉVELOPPER ET ADAPTER LA PRÉVENTION

1. Développer une approche intégrée de la santé des femmes dans sa globalité

Pour mieux prendre en compte la santé des femmes au travail, il est nécessaire de mieux prendre en compte la santé des femmes en général et dans toute sa globalité.

a) Mettre en oeuvre une stratégie nationale pour la santé des femmes incluant un volet « santé au travail »

La délégation recommande la mise en oeuvre d'une stratégie nationale pour la santé des femmes, sur le modèle, par exemple, du plan national pour la santé des femmes en Angleterre adopté par le Royaume-Uni en juillet 202231(*), stratégie décennale fondée sur le parcours de vie des adolescentes aux femmes âgées. Partant du constat que si les femmes vivent plus longtemps que les hommes, elles passent une proportion nettement plus importante de leur vie en mauvaise santé et en situation de handicap que les hommes, ce plan fixe les grands objectifs de la prochaine décennie pour une dizaine de sujets parmi lesquels la santé au travail, l'éducation à la santé et aux soins, la santé menstruelle, la grossesse, la ménopause, la santé mentale et le bien-être, le cancer, l'impact de la violence contre les femmes et les filles, le vieillissement en bonne santé.

Une stratégie nationale pour la santé des femmes en France devra nécessairement inclure un volet « santé au travail » et permettre ainsi une approche « intégrée » de cette question car, si la santé des femmes au travail dépend des conditions dans lesquelles elles exercent leur emploi, le milieu professionnel lui-même pourrait également devenir un vecteur d'amélioration de la santé des femmes en général.

La définition d'une telle stratégie nationale suppose un portage politique fort de ces sujets par le Gouvernement : si le Président de la République a déclaré, au début de son premier mandat, « grande cause nationale » la question de l'égalité entre les femmes et les hommes, des pans entiers de cette politique d'égalité n'ont pas encore été investis par le pouvoir exécutif dont celui de la santé des femmes et de ses spécificités.

Au-delà des moyens budgétaires qui seraient inévitablement nécessaires à la mise en oeuvre d'une telle stratégie, ce sont également les moyens humains disponibles et leur implication dans une approche genrée de la santé au travail qui font parfois défaut.

b) Créer des ponts entre santé des femmes au travail et santé des femmes en général
(1) Le rôle encore prépondérant des médecins du travail malgré la baisse inquiétante de leurs effectifs

Le lancement d'une stratégie nationale pour la santé des femmes comprenant un volet « santé au travail » permettrait également, sous réserve d'une augmentation de ses effectifs, de faire de la médecine du travail un levier d'amélioration de la santé des femmes en général, en particulier pour les femmes précaires, qui ont moins accès aux soins et aux dispositifs de prévention.

Les médecins du travail ont, par exemple, un rôle à jouer comme relais de campagnes de santé publique nationale, en particulier s'agissant du dépistage des cancers féminins. Ils sont également des référents s'agissant de la santé sexuelle et reproductive des femmes au travail, comme on le verra infra dans le chapitre dédié à cette question.

Pourtant, cette spécialité est malheureusement, depuis plusieurs années, en perte de vitesse : sa démographie connaît en effet une diminution sensible. Ainsi, dans une réponse du ministère des solidarités et de la santé publique, en date du 25 novembre 2021, à une question écrite32(*) du 24 juin 2021 de notre collègue Didier Mandelli sur le manque de médecins du travail en France, il est mentionné que « le recensement effectué par le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) met (...) en lumière une baisse ces dernières années du nombre de médecins du travail (passage de 4 908 à 4 650 médecins entre 2015 et 2020) », soit une baisse des effectifs de plus de 5 % en quatre ans.

Une publication du réseau Présanse (prévention et santé au travail) de novembre 2021 évaluait, quant à elle, le nombre de médecins du travail, en personnes physiques, au 1er janvier 2021, à 4 275 (médecins du travail et collaborateurs de médecins) et à 3 521 en équivalents temps plein (ETP), contre 5 131 praticiens en 2015 pour plus de 4 000 ETP. Elle soulignait également que la démographie des enseignants en médecine du travail et l'implantation des chaires étaient tout aussi préoccupantes. Pourtant, comme le précise ce réseau de professionnels de la prévention et de la santé au travail, « au contraire des autres spécialités médicales, l'exercice de ces professionnels de santé ne pèse pas sur les comptes sociaux et les services de santé au travail assument les salaires et contribuent largement à la formation initiale et continue de leurs salariés ».

En outre, la densité moyenne nationale relevée en 2022 était de 7,2 médecins du travail pour 100 000 habitants tandis que l'évolution moyenne des effectifs de médecins du travail en France à l'horizon 2030 devrait être de - 7 %.

Les médecins du travail exercent aujourd'hui principalement en service autonome ou en services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) dont les missions ont été élargies par la loi précitée du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail et au sein desquels la compétence des médecins du travail est devenue incontournable.

Cette baisse des effectifs de la médecine du travail et des moyens dédiés au suivi médical des salariés a entraîné, mécaniquement, une moindre attention portée à la santé des femmes au travail.

Comme le soulignait notamment Carole Donnay, secrétaire de l'Acomede lors de son audition par la délégation le 16 février 2023, « malheureusement, l'espacement des visites médicales et le fait que certaines d'entre elles soient réalisées par les médecins traitants dans des secteurs très féminisés, comme le service à la personne ou le mannequinat, ne permettent plus d'avoir, en médecine du travail, une vision globale de la situation des femmes au travail ».

(2) Renforcer le lien entre médecine de ville et médecine du travail pour améliorer le suivi médical des femmes de façon générale

Pour pallier le manque de médecins du travail, plusieurs réformes ont été adoptées au cours des dernières années, notamment en développant la pluridisciplinarité au sein des services de santé au travail et en privilégiant le recours à des professionnels en dehors de la sphère de la médecine du travail et qui auront vocation à intervenir au sein des SPSTI.

La loi33(*) précitée du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a institué une nouvelle organisation du suivi de l'état de santé qui permet d'adapter le type et la fréquence des visites médicales aux risques effectivement encourus par les travailleurs. Ainsi, la visite d'embauche des salariés peut désormais être déléguée par le médecin du travail à un infirmier spécialisé en santé au travail. La part des salariés vus en visite par un infirmier est ainsi passée de 3 % à 14 % entre 2012 et 2019 et le nombre d'infirmiers a augmenté régulièrement pour passer de 1 778 à 2 240 entre 2018 et 2020.

En outre, la loi précitée du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, qui transpose l'accord national interprofessionnel de décembre 2020, prévoit plusieurs dispositifs destinés à pallier le manque de professionnels dans le domaine de la médecine du travail :

- les services de santé au travail pourront recourir à des médecins praticiens correspondants (MPC) pour contribuer au suivi autre que le suivi médical renforcé des travailleurs. Ces médecins, issus d'une autre spécialité, disposeront d'une formation en médecine du travail et auront vocation à renforcer les effectifs des services de prévention et de santé au travail, en particulier en cas de difficultés à assurer l'ensemble des examens médicaux prévus par le code du travail ;

- la loi ouvre également la possibilité pour les infirmiers en pratique avancée (IPA) d'exercer en service de prévention et de santé au travail, et ainsi de se voir déléguer des missions avancées.

Sur le papier, ces dispositions peuvent sembler de nature à améliorer le suivi de la santé des femmes au travail notamment.

Toutefois, il faut noter :

- d'une part, que les décrets permettant la mise en oeuvre de ces dispositifs n'ont pas encore été publiés comme l'a évoqué, lors de la table ronde avec les partenaires sociaux, Diane Deperrois, présidente de la commission Protection sociale du Medef : « nous souhaitons que les décrets issus de la loi santé au travail du 2 août 2021, notamment sur les infirmiers et infirmières en pratique avancée (IPA), et les médecins praticiens correspondants, puissent voir le jour. Je sais qu'ils sont en cours d'élaboration. Ils sont très importants. C'est aussi par ce personnel présent sur le terrain que les salariés sont accompagnés. Aujourd'hui, la démographie médicale occasionne souvent des manques de professionnels. Nous sommes vigilants, et particulièrement en attente de la publication de ces décrets. Ce sont aussi ces acteurs que les femmes peuvent consulter pour évoquer les pathologies dont elles pourraient souffrir, avec un respect du secret médical » ;

- d'autre part, que le recours aux MPC ne fait pas l'unanimité au sein des partenaires sociaux puisque la CGT a déclaré à la délégation au cours de la table ronde du 11 mai 2023 ne pas avoir signé l'accord national interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020, notamment en raison de la possibilité du recours aux MPC. La CGT juge ainsi préférable que « les pouvoirs publics développent la médecine du travail, qu'ils fassent en sorte que cette filière soit étendue. Le concept de MPC suppose que des médecins généralistes se chargent de la médecine du travail. Pourtant, (...) la médecine de ville est aussi sinistrée que celle du travail. (...) Par ailleurs, les généralistes sont trop éloignés des conditions de travail vécues par les femmes en particulier ».

Ainsi que le rapportait également Anne-Michèle Chartier, présidente du Syndicat fédéral des médecins et des professionnels des services de santé au travail, « le manque de médecins du travail est à lier à un manque de médecin en général, partout. Les services de santé au travail ont été élargis avec des psychologues, des infirmiers et des assistants de santé au travail. Ainsi, les actions de prévention primaire au travail peuvent être prises en charge par un professionnel autre qu'un médecin. Les campagnes de prévention au sein des entreprises sont assurées par les infirmières ».

Si la préoccupation première de la délégation est avant tout de pouvoir renforcer le nombre de médecins du travail et leur disponibilité dans les services de prévention et de santé au travail, elle est également favorable à toute mesure qui pourrait faciliter le suivi de la santé des femmes au travail.

Ainsi, pour éviter la charge mentale dite « médicale » qui pèse sur les femmes qui travaillent, à savoir la charge mentale liée à leur propre parcours de soins et qui obère leur accès aux soins et à la prévention, il pourrait s'avérer utile, comme le suggérait devant la délégation le 16 février 2023, Alice de Maximy, fondatrice du collectif Femmes de santé, que « les préventions soient mises en place sur le temps de travail, voire organisées par les employeurs. (...) Certains ont déjà dédié une journée de congé à la prévention. En d'autres termes, il est essentiel d'accorder du temps de santé prévention dans les accords des salariés et de faire venir les préventions aux femmes. Ainsi, on peut soit accorder une journée, soit prendre les rendez-vous, soit faire venir les professionnels sur les lieux de travail pour organiser des campagnes de vaccination, par exemple ».

Recommandation n° 7 : Élaborer une Stratégie nationale globale pour la santé des femmes incluant un volet « santé au travail » et affirmer le rôle pivot de la médecine du travail dans le suivi de la santé des femmes au travail.

2. Développer la prévention primaire et secondaire en direction des femmes
a) Trois types de prévention en santé au travail et une quasi-obligation de résultats pour l'employeur

L'INRS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles) définit la prévention des risques professionnels comme « l'ensemble des dispositions à mettre en oeuvre pour préserver la santé et la sécurité des salariés, améliorer les conditions de travail et tendre au bien-être au travail ».

Le code du travail organise trois types de prévention :

- la prévention primaire est celle qui intervient le plus tôt, en amont de l'apparition des risques professionnels, et agit sur les causes des risques en diminuant leurs facteurs de développement. La prévention primaire permet donc d'intervenir au plus tôt et d'agir sur les facteurs de risques dans le but de les supprimer ou les diminuer. Ce type de prévention consiste alors, en matière de santé au travail, à développer les procédures de sécurité, les protocoles d'utilisation de matériels, à agir sur les leviers de substitution aux produits dangereux et toxiques existants, ou encore à modifier l'organisation et les conditions de travail ;

- la prévention secondaire consiste à dire que, si l'on ne peut écarter le risque, alors on doit s'adapter : ce type de prévention vise donc à améliorer les stratégies d'adaptation des organisations en milieu professionnel et peut recouvrir, par exemple, l'utilisation d'équipements de protection individuelle (EPI) pour certaines activités ;

- la prévention tertiaire vise à accompagner la réparation et consiste donc à limiter les conséquences pour les travailleurs une fois le risque survenu, ceux-ci devant être sensibilisés à cette possibilité afin d'éviter une forte sous-déclaration des risques et, par conséquent, une faible reconnaissance et indemnisation.

En outre, le code du travail précise que la prévention des risques pour ses salariés, dans l'exercice de leurs missions professionnelles, est une obligation légale de l'employeur.

Dispositions du code du travail relatives à l'obligation de moyens renforcés de l'employeur en matière de prévention des risques professionnels

* Article L. 4121-1 : « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »

* Article L. 4121-2 et L. 4121-3 : « l'employeur évalue les risques et met en oeuvre les mesures prévues sur le fondement des neuf principes généraux de prévention suivants (méthode d'analyse et d'action sur les risques professionnels que doit suivre obligatoirement le responsable d'entreprise). »

* Les neuf principes généraux prévus par le code du Travail (article L. 4121-2) sont :

- éviter les risques ;

- évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

- combattre les risques à la source ;

- adapter le travail à l'homme ;

- tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

- remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

- planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel ainsi que ceux liés aux agissements sexistes ;

- prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

- donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Un développement de la prévention primaire et secondaire plus spécifiquement à destination des femmes, notamment dans les secteurs à prédominance féminine, est aujourd'hui incontournable.

En effet, comme le rappelait Carole Donnay, secrétaire générale de l'Acomede, lors de son audition par la délégation le 16 février 2023, « l'organisation de la prévention des risques professionnels dans des secteurs professionnels plutôt féminins n'est pas à la hauteur des actions engagées dans des secteurs d'activité plutôt masculins perçus comme plus pénibles, comme le BTP par exemple. En effet le risque accidentogène et de maladie professionnelle grave engageant le pronostic vital, comme l'amiante ou la silice dans des activités très masculines, a attiré le regard de toutes les autorités de contrôle et a poussé ces entreprises à s'engager dans la prévention et dans la maîtrise des risques professionnels. En comparaison, les risques professionnels du secteur du care ou du nettoyage ont pu être banalisés dans leur appréciation par les employeurs et les salariés eux-mêmes. Particulièrement dans ces secteurs, l'organisation préventive - c'est-à-dire le repérage et l'analyse des risques et leur prévention - a eu du mal à se mettre en place faute de moyens ».

Dans la définition des principes généraux de prévention, prévus à l'article L. 4121-2 du code du travail, sur le fondement desquels l'employeur doit mettre en oeuvre des mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, la délégation propose ainsi d'ajouter, après les mots « adapter le travail à l'homme », les mots « et à la femme ».

b) Des actions de prévention concrètes à mener en faveur des femmes, qui profitent aussi aux hommes

Comme dans beaucoup de domaines, oeuvrer en faveur des femmes et de l'égalité en matière de santé au travail revient à améliorer la situation de toutes et tous.

Le déploiement de solutions concrètes à destination des femmes, notamment dans les secteurs professionnels où elles sont le plus représentées, l'adaptation des postes et des conditions de travail aux morphologies diverses, les progrès réalisés sur le plan ergonomique sont autant d'avancées en faveur des femmes mais qui peuvent aussi concerner les hommes.

Comme le soulignait très justement Muriel Salle, historienne, devant la délégation le 8 décembre 2022, « prendre en considération la santé des femmes au travail leur serait bénéfique au premier chef, mais elle le serait également, de manière générale, dans un objectif d'amélioration des conditions de travail et d'emploi pour les femmes comme pour les hommes ».

(1) Le déploiement de solutions concrètes et l'adaptation des postes de travail aux morphologies diverses profitent à toutes et tous

Au cours de ses travaux sur la santé des femmes au travail, la délégation a pu prendre connaissance de plusieurs exemples de déploiement de solutions concrètes à destination des femmes qui se sont par la suite révélées bénéfiques pour les hommes.

L'exemple le plus signifiant est sans doute celui de la « besace du facteur » : lorsque la profession de facteur a commencé à se féminiser, une solution alternative de portage du courrier a été spécialement conçue pour les femmes pour lesquelles le poids de la traditionnelle besace permettant de transporter les plis postaux n'était pas adapté à leur morphologie. Il a donc été proposé aux femmes d'utiliser un chariot à roulettes qu'elles pouvaient pousser plutôt qu'un sac lourd qu'elles devaient porter sur l'épaule. La solution du chariot s'est peu à peu imposée auprès de l'ensemble des facteurs et factrices et a remplacé la lourde besace, ce qui a considérablement amélioré la santé physique de toutes et tous.

Malgré cette innovation, il a été rapporté à la délégation par Florence Chappert de l'Anact que, dans le secteur postal, l'adaptation des conditions de travail des femmes était encore insuffisante, notamment parce que « le port de charges amène à porter des colis au-delà des normes du code du travail, en raison d'une règle organisationnelle liée à l'ancienneté. Les femmes se retrouvent donc avec plus de colis à livrer, dans des quartiers plus difficiles. Sur le plan physique, du dire même des médecins du travail, les cadences sont conçues pour des hommes jeunes et en bonne santé. Le matériel (vélos, voitures et étagères de tri) ne prend pas en compte la différence entre la taille moyenne des femmes et celle des hommes ».

La réflexion autour du port de charges lourdes devrait d'ailleurs, de ce point de vue, être menée dans une démarche plus large de prévention intégrée visant à une amélioration générale des conditions de travail pour toutes et tous. L'Anact propose par exemple de supprimer du code du travail la disposition visant à limiter le port de charges à 25 kg pour les femmes et 55 kg pour les hommes, en appliquant la norme européenne de 15 kg pour toutes et tous.

Lors de son audition par la délégation le 16 février 2023, Carole Donnay, de l'Acomede, a par ailleurs rappelé que « des études ergonomiques centrées sur l'analyse de l'activité de travail des femmes mettraient également en évidence la nécessité de réviser certains référentiels de conception de poste de travail afin qu'ils soient aussi bien adaptés aux hommes qu'aux femmes ».

Un autre exemple d'amélioration des conditions de travail spécifiquement conçue pour les femmes et qui a pu également profiter aux hommes a été présenté aux rapporteures de la délégation lors de leur déplacement en Bretagne le 1er juin 2023.

Ainsi, les conductrices de bus de l'entreprise de transport de voyageurs Linevia ont fait remonter à leur employeur, au cours d'entretiens individuels sur leurs conditions de travail et les facteurs d'amélioration, l'impossibilité pour elles de se rendre aux toilettes en fin de parcours avant de repartir au dépôt. Les conducteurs, eux, n'avaient jamais fait remonter cette information à l'employeur affirmant ensuite, une fois interrogés sur le sujet, « se débrouiller » sans accès possible à des toilettes. La direction de l'entreprise a alors décidé de prendre cette question au sérieux et de trouver une solution pour que les conductrices et les conducteurs de bus puissent se rendre aux toilettes au moment du terminus de leur ligne avant de repartir.

Une fois de plus, on constate qu'une difficulté soulevée par les femmes salariées de l'entreprise et qui concernait également potentiellement les hommes a pu être levée. La solution a donc profité non seulement aux femmes, premières concernées, mais aussi aux hommes.

Ces exemples démontrent, s'il en était besoin, tout l'intérêt de concevoir des améliorations des conditions de travail des femmes, ces améliorations étant facteurs de progrès pour l'ensemble des travailleurs.

(2) Des démarches volontaristes doivent être menées en matière de prévention primaire et secondaire des risques professionnels plus spécifiquement féminins

En matière de santé des femmes au travail et de prévention, on constate globalement une insuffisante adaptation des organisations du travail et l'absence de réflexion sur les conditions de travail dans les secteurs à forte prédominance féminine qui freinent le développement d'actions de prévention, primaire et secondaire, réellement efficaces.

C'est pourquoi la délégation recommande, dans les secteurs les plus féminisés où les risques professionnels sont, on l'a vu, souvent minimisés voire ignorés, de mener une réflexion sur les mesures de prévention primaire qui pourraient améliorer les conditions de travail des femmes et les solutions concrètes qui pourraient être proposées.

Ainsi par exemple, dans le secteur du nettoyage, il est recommandé, dans la mesure du possible :

- pour éviter les risques liés à l'utilisation de produits toxiques et de polluants chimiques qui ont un impact sur la santé de celles et ceux qui les utilisent, d'encourager l'utilisation de produits de substitution, tels que le savon noir, le vinaigre blanc ou le bicarbonate de soude ;

- pour éviter les risques liés aux conditions de travail et à son organisation, d'imposer aux employeurs des normes de surface maximale de nettoyage dans un temps imparti, par exemple pas plus de 300m2 à l'heure, ainsi que de limiter les horaires atypiques des activités de nettoyage. Par exemple l'activité de nettoyage des bureaux des entreprises ou des administrations pourrait se dérouler sur les plages horaires habituelles d'ouverture des bureaux sans qu'il soit besoin de faire venir les salariées et salariés de ce secteur très tôt le matin ou très tard le soir. Une cohabitation des différents types de population professionnelle est en effet possible et souhaitable pour préserver la santé des employés de ce secteur ;

- pour éviter le risque spécifique d'exposition professionnelle à l'amiante lors du nettoyage de sols amiantés appelés dalami, que l'on retrouve encore dans de nombreux locaux publics, dont des écoles ou des hôpitaux, d'interdire l'usage des mono-brosses nettoyantes sur ces sols car elles remettent en suspension, dans l'air, des fibres d'amiante, comme l'a recommandé à la délégation Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé et membre du Giscop 84.

Dans le secteur du care, outre les actions de prévention visant à limiter l'apparition des TMS, le port de charges lourdes et les risques psychosociaux, on peut noter l'adoption par le Sénat, le 1er février 2023 d'une proposition de loi34(*) de notre collègue Bernard Jomier relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé qui prévoit d'instaurer un nombre minimal de soignants par lit ouvert à l'hôpital, établi par la Haute autorité de santé (HAS) pour chaque spécialité ou activité. Cette proposition de loi vise ainsi à améliorer la qualité des soins et des conditions d'exercice de l'activité de soignant hospitalier.

Dans ce secteur, les rapporteures saluent également et souhaitent encourager les initiatives telles que les Maisons des soignants qui visent à « prendre soin des soignants » et dont la délégation a pris connaissance au cours de ses auditions.

Ainsi, Catherine Cornibert, directrice générale de l'association Soins aux professionnels de santé (SPS), auditionnée par la délégation le 6 avril 2023 dans le cadre d'une table ronde consacrée aux métiers du care, a fait part de la création par son association de la première maison des soignants à Paris, qui « n'accueille quasiment que des femmes. (...) On y propose des entretiens avec des psychologues. On se forme, on s'informe. Y sont également accessibles des ateliers de ressources ou de reconversion, ainsi que des groupes de parole. Sur plus de 1 000 visites depuis 18 mois, nous n'avons compté que très peu d'hommes. Ce sont surtout des femmes qui viennent y chercher un échange et des ressources. »

De même, Nora Viviani, ancienne infirmière à l'hôpital de Bourges, rencontrée par la délégation le 16 mai 2023, a présenté la Maison des soignants installée au sein du Centre hospitalier George Sand de Bourges dans le Cher et qui s'attache à développer un vrai projet de qualité de vie au travail pour les professionnels de la santé. Une salle de détente, accessible 24h/24, est notamment disponible pour se reposer et échanger. Cette maison des soignants accueille aujourd'hui une cinquantaine de personnes par jour, dont environ 40 femmes, sur un effectif total de 700 personnes à l'hôpital de Bourges.

Recommandation n° 8 : Généraliser le développement de maisons des soignants sur tout le territoire.

Dans les secteurs où la prévalence des TMS est importante, tels que celui de la grande distribution par exemple, certaines mesures, inspirées directement par l'activité professionnelle des salariés, en lien avec les équipes dirigeantes des entreprises et des médecins ergonomes ou des ergothérapeutes, doivent être conçues par l'employeur dans une démarche volontariste.

C'est le cas, par exemple, du groupe Carrefour qui a mis au point, dans le cadre d'un programme spécifique sur la prévention des TMS dans ses hypermarchés, des machines spécifiques facilitant la manutention des employés affectés au rayonnage et qui doivent manipuler des palettes très lourdes.

Plus généralement, l'Assurance maladie a mis en place, depuis 2014, un programme intitulé TMS Pro pour aider les entreprises à réduire l'impact des TMS et du mal de dos qui propose à plus de 8 000 établissements une démarche de prévention structurée qui vise à identifier, connaître et maîtriser le risque TMS de façon durable et ainsi améliorer les conditions de travail des salariés et la performance globale des entreprises. Cette démarche de prévention des TMS s'articule en quatre étapes successives.

Bien entendu, toutes ces solutions doivent être adaptées aux conditions concrètes d'exercice de l'activité professionnelle, aux cadences de travail et à la possibilité d'appliquer de façon effective sur le long terme les gestes recommandés.

S'agissant de la prévention spécifique des violences sexistes et sexuelles au travail (VSST), la délégation recommande également de construire une politique de prévention primaire autour de ces violences pour minimiser et réduire les facteurs de risque, et augmenter les ressources disponibles sur ces sujets dans l'entreprise.

De ce point de vue, l'expérimentation menée par l'Aract de Bretagne au sein de l'entreprise de transport de voyageurs Linevia à Chartres-de-Bretagne est exemplaire en proposant de privilégier la prévention primaire en matière de sexisme au travail et de VSS après avoir dressé un état des lieux et proposé une formation aux dirigeants et salariés de l'entreprise sur le sujet. Le but de cette démarche est donc d'éviter dans la mesure du possible d'avoir besoin de mettre en oeuvre une prévention secondaire (adaptation des conditions de travail) voire tertiaire (action après signalement) sur le sujet.

S'agissant de la prévention secondaire, il est nécessaire de prévoir des équipements de protection et des dispositifs d'aide technique adaptés à la morphologie et aux caractéristiques anthropométriques des femmes.

Comme le précisait Florence Chappert de l'Anact devant la délégation le 23 mars 2023, au niveau des entreprises, il convient de « développer de nouvelles normes pour les matériels, outils et équipements de protection individuelle afin de prendre en compte les différences physiologiques entre les femmes et les hommes ».

De même, le Dr Agnès Aublet-Cuvelier de l'INRS rappelait à la délégation l'importance de « veiller à ce que les concepteurs des équipements de travail soient également sensibilisés à ces questions. Nous avons encore vu récemment l'importance d'un ajustement au visage des appareils individuels de protection respiratoire, toute fuite constituant évidemment un facteur délétère pour la protection de ces personnes ». S'agissant des équipements de protection individuelle (EPI), elle indiquait à la délégation qu'ils pouvaient être parfois inadaptés pour les femmes : « on voit souvent dans les entreprises des boîtes de gants en taille M, censée convenir à la moyenne des personnes. Les femmes ont souvent des plus petites mains que les hommes. Ce constat peut paraître anecdotique, mais lorsqu'on porte des gants surdimensionnés par rapport à la taille de nos mains, et que l'on doit saisir des objets ou faire de la manutention, on réalise des efforts de serrage plus importants pour maintenir le gant sur la main et pour maintenir le colis ou les objets que l'on est censé transporter. Ainsi, ces gants trop grands accroissent les facteurs de risques biomécaniques délétères s'agissant des risques de troubles musculo-squelettiques ».

La délégation recommande donc l'adaptation des équipements de protection, des matériels, outils et dispositifs d'aide technique aux caractéristiques anthropométriques des femmes, ainsi qu'une formation à leur utilisation.

Recommandation n° 9 : Adapter les mesures de prévention primaire et secondaire aux caractéristiques anthropométriques et aux conditions de travail des femmes, notamment dans les secteurs à prédominance féminine.

Par ailleurs, la délégation estime nécessaire de mieux accompagner les salariées dans la reprise de leur activité professionnelle après un arrêt de travail de longue durée.

Une visite médicale de pré-reprise est, en principe, obligatoire après un arrêt de travail de plus de trois mois, qui permet au médecin du travail de formuler des recommandations pour des aménagements de poste et de temps de travail. L'employeur a l'obligation d'assurer l'adaptation du poste de travail. Il peut cependant s'en affranchir en faisant connaître les motifs de son opposition.

Les rapporteures estiment nécessaire de renforcer les sanctions légales à l'encontre des employeurs ne respectant pas les obligations d'aménagement de poste après un arrêt de travail de longue durée.

Recommandation n° 10 : Renforcer les sanctions légales à l'encontre des employeurs ne respectant pas les obligations d'aménagement de poste après un arrêt de travail de longue durée.

(3) Les moyens dédiés à la prévention doivent être renforcés

L'adaptation des mesures de prévention et de santé au travail destinées plus spécifiquement aux femmes, et notamment à celles qui occupent des postes dans les secteurs à forte prédominance féminine, suppose bien sûr le renforcement des moyens dédiés à la prévention par les employeurs mais aussi de ceux des organismes prescripteurs qui impulsent cette politique, assistent les employeurs dans son application et la contrôlent.

Si l'application des mesures de prévention et de santé au travail relève avant tout de la responsabilité de l'employeur, il est important que les entreprises, et notamment les très petites entreprises (TPE) ou les petites et moyennes entreprises (PME), qui rencontrent plus de difficultés pour mettre en oeuvre des mesures de prévention adaptées, qui plus est spécifiquement à destination des femmes, soient accompagnées par les organismes chargés de la mise en oeuvre des politiques institutionnelles en matière de prévention des risques professionnels et de santé au travail.

Pour accomplir cette mission, et renforcer la fréquence et l'efficacité des contrôles effectués par ces organismes sur la mise en oeuvre de la politique de prévention et de santé au travail, il est nécessaire d'accroître leurs moyens humains notamment, et en premier lieu ceux des organismes régionaux plus particulièrement en charge de la santé au travail, à savoir les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets), services déconcentrés régionaux en charge notamment de la politique du travail, et les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) qui mettent en oeuvre les politiques institutionnelles dans les domaines de la retraite, de l'accompagnement social et de la prévention des risques professionnels, sous la double tutelle de la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) et de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts).

Parmi les acteurs de la prévention, on l'a vu, le rôle des préventeurs est primordial pour aider les employeurs à mettre en place des mesures et actions genrées en matière de prévention primaire notamment. Afin d'aider les plus petites entreprises à se saisir de ces outils, le recours à des préventeurs des risques partagés peut s'envisager, de même que le partage d'expériences afin que l'approche sexuée du risque mise en oeuvre par certains employeurs profite à toutes et tous.

Enfin, les partenaires sociaux sont évidemment en première ligne s'agissant de la conception et de la mise en oeuvre de la politique de prévention et de santé au travail. C'est en effet l'accord national interprofessionnel35(*) (ANI) du 9 décembre 2020 relatif à la prévention renforcée et à une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail qui avait servi de travaux préparatoires à la loi précitée du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail.

Il faut toutefois noter que certains interlocuteurs de la délégation ont regretté la disparition, au 1er janvier 2020, des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dont les missions sont désormais exercées par le comité social et économique (CSE) qui constitue désormais l'instance unique de représentation du personnel dans l'entreprise. Le CSE doit être mis en place dans les entreprises de plus de 11 salariés36(*). Les membres du CSE sont élus par les salariés de l'entreprise pour une durée maximale de quatre ans. Les compétences, la composition et le fonctionnement du CSE varient selon la taille de l'entreprise.

Ainsi que l'expliquait Émilie Counil, chercheuse de l'Ined, devant la délégation le 12 janvier 2023, « la fusion des instances représentatives du personnel dans le CSE a complexifié le travail des représentants du personnel. La question de la santé au travail ne disparaît pas, mais elle fusionne avec de nombreuses autres questions. Dans ce cadre, nous nous interrogeons sur le temps qui pourra être consacré à la formation des représentants du personnel et au traitement de ces questions dans le cadre des travaux de ces comités ».

En outre, Maître Rachel Saada, avocate au barreau de Paris, spécialisée en droit du travail, avait expliqué à la délégation, le 2 mars 2023, que « le regroupement des délégués du personnel, du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et du comité d'entreprise a fait perdre 200 000 postes d'élus du personnel dans toute la France ».

Certaines des rapporteures de la délégation considèrent que la suppression des CHSCT a eu des répercussions négatives sur l'ensemble des salariés, et plus particulièrement sur les femmes, en fragilisant le poids des représentants du personnel au sein de l'entreprise.

Recommandation n° 11 : Renforcer les moyens humains, notamment ceux de la médecine et de l'inspection du travail, dédiés au contrôle de l'application par les employeurs des mesures de prévention et de santé au travail.

3. Faciliter l'accès aux services de prévention et de santé au travail

La loi précitée du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, sans remettre en cause l'organisation institutionnelle existante de la santé au travail, a renforcé le rôle des services de santé au travail en matière de prévention en formulant de nouvelles exigences sur le contenu de leur action, comme le rappelait la Cour des comptes dans son rapport public thématique de décembre 2022 sur les politiques publiques de prévention en santé au travail dans les entreprises, « en particulier (...) mettre en place une offre minimale incluant des actions de prévention, dite offre socle ».

La loi du 2 août 2021 consacre donc le rôle incontournable des services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) et des services de prévention et de santé au travail autonome (SPSTA).

Afin de faciliter l'accès des femmes aux services de prévention et de santé au travail dans le cadre de leur parcours professionnel, il est important :

- d'étendre cet accès à un public féminin qui ne s'adresse ni habituellement ni spontanément à ce type de service.

C'est le cas grâce, notamment, au décret37(*) du 26 avril 2022 relatif aux modalités de prévention des risques professionnels et de suivi en santé au travail des travailleurs indépendants, des salariés des entreprises extérieures et des travailleurs d'entreprises de travail temporaire, qui concerne le public suivant : travailleurs indépendants, chefs d'entreprise, travailleurs d'entreprises de travail temporaire, travailleurs des entreprises extérieures et sous-traitantes. Ce décret ne concerne bien sûr pas que les femmes. Il est pourtant essentiel de mieux le faire connaître et de le populariser auprès du public concerné et notamment auprès des femmes de ces catégories professionnelles ;

- de développer la vigilance des employeurs et des préventeurs face aux « signaux faibles » émis par les travailleuses tels que des arrêts de travail fréquents occasionnant un absentéisme inquiétant et anormalement répétitif, ou la sollicitation de restrictions d'aptitude, autant de signaux qui doivent pouvoir alerter l'employeur et les services de prévention et de santé au travail, et aboutir à la proposition d'un échange avec la médecine du travail plutôt que d'attendre qu'une pathologie plus lourde ne s'installe ou qu'une déclaration d'inaptitude ne soit établie. Des campagnes de sensibilisation ciblées auprès des femmes permettraient également de mieux les informer des risques spécifiques encourus dans leur profession et de les inviter à repérer et consulter dès l'apparition des premiers symptômes évoquant des pathologies professionnelles ;

- enfin de faciliter et d'encourager les évolutions de parcours professionnel, souvent moins fréquentes et moins variées chez les femmes notamment les moins qualifiées, afin d'éviter les phénomènes d'usure et à terme de désinsertion professionnelles.

Recommandation n° 12 : Encourager l'accès de toutes les femmes aux services de prévention et de santé au travail dans le cadre de leur parcours professionnel.

4. Améliorer la reconnaissance des maladies à caractère professionnel et de la pénibilité

La reconnaissance des maladies à caractère professionnel (MCP) et plus particulièrement de celles qui touchent aujourd'hui les femmes en priorité doit être améliorée.

a) Faire évoluer les tableaux de reconnaissance des maladies professionnelles en y incluant de nouveaux types de cancers féminins

En l'état actuel des connaissances épidémiologiques, la délégation estime nécessaire de faire évoluer la nomenclature des tableaux de reconnaissance de maladies professionnelles pour y inclure les pathologies féminines lourdes dont la survenance présente un lien de causalité avérée avec l'activité professionnelle.

C'est le cas du cancer des ovaires en lien avec une exposition à l'amiante puisqu'une expertise menée par l'Anses en 2022 a conclu à une relation causale avérée entre le risque de survenue du cancer des ovaires et l'exposition professionnelle à l'amiante. Ce lien causal avéré est, par ailleurs, décrit depuis 2012 par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Dès lors, l'Anses estime que « l'ensemble des éléments scientifiques de cette expertise apportent des éléments en faveur de la création de tableaux de maladie professionnelle dans les régimes agricole et général. Ceux-ci faciliteraient la reconnaissance et la prise en charge de ces deux maladies38(*). Cette reconnaissance apparaît d'autant plus importante que les patients, comme les médecins, ne font souvent pas le lien entre la survenue de ces cancers et l'exposition à l'amiante ».

L'Anses considère également indispensable d'améliorer la traçabilité de l'exposition professionnelle des femmes à l'amiante dans un contexte de moindres données pour documenter cette exposition : « les femmes étant peu nombreuses dans le BTP, les études épidémiologiques sont de fait principalement réalisées chez les hommes, mais cela ne signifie pas que les femmes n'ont pas de risques de santé liés à l'amiante. L'exposition professionnelle des femmes à l'amiante concerne en particulier la fabrication de textiles non inflammables. Certains secteurs les exposent aussi à l'amiante de façon indirecte, tels que le secteur de la santé, dans lequel les femmes sont surreprésentées ».

S'agissant du cancer du sein chez les femmes travaillant la nuit, depuis de nombreuses années, l'Anses conclut actuellement à un effet « probable » et non « avéré » comme l'exige la création d'un tableau de maladie professionnelle. Alors que les diverses études mettent en évidence un risque significatif associé au travail de nuit, la délégation ne peut que recommander le déploiement d'une expertise d'ampleur par l'Anses, de nature à confirmer le lien de causalité entre cancer du sein et travail de nuit.

Dans l'intervalle, la délégation recommande de communiquer sur les résultats des études mentionnées auprès des Comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, afin que la reconnaissance de maladies professionnelles puisse être accordée au cas par cas aux travailleuses concernées, comme elle l'a été en février 2023 pour une infirmière de Moselle.

De façon générale, la création d'un tableau de maladie professionnelle permet de faciliter la reconnaissance de ces cancers, et donc l'indemnisation des malades, en permettant de reconnaitre automatiquement le lien avec une exposition professionnelle, à l'amiante ou au travail de nuit répété et dans la durée, à partir du moment où le demandeur remplit les conditions définies par le tableau.

Comme le soulignait Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT, lors de la table ronde de la délégation le 11 mai 2023 avec les représentants des partenaires sociaux, « la création d'un tableau de maladie professionnelle est (...) indispensable pour que les victimes bénéficient de la présomption d'origine. Le conseil d'orientation des conditions de travail (Coct) et sa commission spéciale n° 4, où sont représentées les organisations syndicales, rencontre une opposition patronale forte à l'encontre de la création de ce tableau facilitateur de la reconnaissance en maladie professionnelle [du cancer de l'ovaire] ».

Elle a, par ailleurs, précisé que la même problématique était observée « concernant de nombreux risques psychosociaux auxquels sont exposées les femmes : traumatismes des violences sexistes et sexuelles, pressions hiérarchiques, non-reconnaissance des emplois à prédominance féminine, risques organisationnels. L'absence de tableau de maladie professionnelle conduit à des difficultés pour les faire reconnaître ».

b) Même en l'absence de tableaux, faire reconnaître plus facilement comme maladies professionnelles des affections plus largement répandues chez les femmes

Même en l'absence d'une évolution des tableaux de maladie professionnelle, il est souhaitable de permettre aux femmes de faire reconnaître plus facilement comme maladies professionnelles des affections directement en lien avec leur activité professionnelle et qui les touchent plus particulièrement et plus fréquemment, telles que, par exemple, la souffrance psychique, le burn out ou les TMS.

Faciliter cette reconnaissance et mieux informer les femmes de cette possibilité de reconnaissance qui ouvre droit à une indemnisation même si, en l'absence de tableau, les conditions d'application sont plus restrictives, permettraient sans doute de limiter le risque de sous-déclaration de pathologies professionnelles que l'on peut légitimement subodorer.

Ainsi que le soulignait devant la délégation lors de son audition le 12 janvier 2023 Émilie Counil, chercheuse à l'Ined, « le système de réparation, bien qu'il soit relativement plus ouvert en France que dans d'autres pays d'Europe, reste encore très limité en termes d'accessibilité. Les problèmes de santé psychique ne sont notamment pas pris en compte. Nous avons pourtant vu qu'ils peuvent principalement toucher les femmes, bien que nous n'éludions pas ceux qui peuvent affecter les hommes, pour lesquels l'accès à la réparation en cas de maladie professionnelle est également difficile. Ces dimensions de genre doivent vraiment être intégrées, tout comme celles, plus larges, d'invisibilisation, de non-recours au droit et d'accès aux droits dans les dispositifs de réparation ».

Recommandation n° 13 : Faciliter la reconnaissance en maladie professionnelle, d'une part, du cancer du sein en lien avec le travail de nuit, d'autre part, du cancer des ovaires en lien avec une exposition à l'amiante.

c) Mieux reconnaître et compenser la pénibilité au sein du C2P

Un rapport du HCE publié en 201739(*), avant la réforme du C2P, formulait plusieurs préconisations afin de mieux prendre en compte et compenser la pénibilité des emplois majoritairement occupés par des femmes en situation de précarité. Il proposait en particulier de :

- modifier par décret les seuils des critères de pénibilité, notamment pour reconnaître que la manutention de charges peu importantes mais répétées constitue un niveau de pénibilité élevé ;

- compléter les critères déjà existants pour prendre en compte les conditions de travail des femmes : considérer la station debout parmi les « postures pénibles », considérer les produits ménagers parmi des « agents chimiques dangereux » et intégrer les horaires atypiques dans le « travail en équipe en horaires alternants » ;

- suite à des enquêtes épidémiologiques approfondies sur leur impact sur la santé, prendre en compte de nouveaux facteurs de pénibilité propres aux emplois occupés majoritairement par des femmes : multiplication des trajets pour des interventions à domicile, exposition aux risques biologiques, etc.

Comme évoqué précédemment, la déclaration d'exposition aux risques au sein du C2P ne concerne désormais que six facteurs : activités exercées en milieu hyperbare ; températures extrêmes ; bruit ; travail de nuit ; travail en équipes successives alternantes ; travail répétitif.

La délégation ne peut que déplorer cette baisse d'exigence et préconiser une meilleure reconnaissance des facteurs de pénibilité.

Recommandation n° 14 : Revoir la liste des critères de pénibilité en l'adaptant à la réalité des risques professionnels féminins.


* 31 « Women Health Strategy for England » présenté au Parlement britannique le 20 juillet 2022.

* 32 Question écrite n°23410.

* 33 Loi n° 2016-1088.

* 34 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-105.html

* 35 Cet accord n'a pas été signé unanimement par les partenaires sociaux puisque la CGT n'en est pas signataire.

* 36 Les CHSCT concernaient les entreprises d'au moins 50 salariés.

* 37 Le décret n° 2022-681 du 26 avril 2022 précise les modalités de la mise en oeuvre de l'affiliation des travailleurs indépendants au service de prévention et de santé au travail interentreprises de leur choix et fixe les conditions d'organisation de la prévention des risques professionnels auprès des salariés d'entreprises extérieures. Il précise également les modalités de la réalisation d'une expérimentation relative à la prévention des risques pour les travailleurs des entreprises de travail temporaire, prévue à l'article 24 de la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, ainsi que celles relatives à son évaluation.

* 38 Le cancer du larynx est également cité dans cette étude.

* 39 HCE, La santé et l'accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité, 2017.

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