III. UN ENCADREMENT NORMATIF ET BUDGÉTAIRE NÉCESSAIRE DES DISPOSITIFS DE PARTICIPATION CITOYENNE DANS LE CONTEXTE DE LEUR SYSTÉMATISATION AU CESE

A. UNE PROCÉDURALISATION REQUISE DES DISPOSITIFS DE PARTICIPATION CITOYENNE, CENTRALISÉS AU CESE

1. Clarifier les règles applicables aux conventions citoyennes ainsi que leur gouvernance
a) Le besoin d'une répartition plus claire des rôles, notamment entre animateurs et citoyens, afin d'éviter toute influence sur le sens de la délibération

La question de la distinction des fonctions entre les diverses parties prenantes aux conventions citoyennes est centrale dès lors qu'elle participe de leur légitimité procédurale. Plus particulièrement, le rôle des animateurs est finalement peu questionné, alors même qu'ils peuvent avoir une influence majeure sur la décision finale. À ce titre, l'OCDE relève que « leur rôle est essentiel pour accompagner les participants jusqu'au stade de la formulation de leurs propres recommandations, tout en faisant preuve de neutralité et en se gardant d'émettre une opinion sur les propositions. Pour cette raison, il importe que les animateurs ne soient pas intéressés à l'issue du processus -- ils doivent être totalement indépendants, notamment vis-à-vis de l'autorité publique à l'initiative du processus »71(*). L'indépendance est également l'un des principes clés de l'animation et de la facilitation des conventions citoyennes pour la fondation newDemocracy et le Fonds des Nations Unies pour la démocratie72(*).

Or, force est de constater qu'actuellement les animateurs recrutés par des prestataires extérieurs ne présentent aucune garantie d'indépendance. La détention ou non d'engagements personnels vis-à-vis du thème de la consultation ou convention citoyenne est opérée uniquement sur une base déclarative.

Il ne s'agit pas de remettre en cause la qualité du travail d'animation, les citoyens étant souvent globalement satisfaits de celle-ci73(*), mais de reconnaître leur pouvoir d'influence sur le sens de la décision, qui n'est pas forcément conscientisé par ailleurs. La question d'une séparation des fonctions plus claire avec les citoyens et leurs garanties d'indépendance est d'autant plus importante que les animateurs peuvent être amenés à participer à l'élaboration du rapport final. En effet, dans le cadre de la convention citoyenne sur la fin de vie, le collectif d'animation, majoritairement composé de personnels recrutés par les prestataires extérieurs, a été en charge de rédiger un document pré-rédactionnel du rapport final74(*).

Le rapporteur spécial estime donc que les animateurs des conventions citoyennes, mais aussi des journées délibératives au CESE, doivent présenter des garanties d'indépendance.

Pour l'instant, ces garanties pourraient être fixées par un règlement de procédure élaboré par le CESE. L'intérêt de recourir à un règlement de procédure est qu'il peut être adapté par le CESE au fil des exercices délibératifs, avant une cristallisation éventuelle dans un texte normatif plus élevé lorsque le CESE aura suffisamment de recul par rapport aux exigences requises en termes d'indépendance et d'impartialité.

Le rapporteur tient à souligner que le renforcement des garanties d'indépendance va de pair avec l'internalisation des compétences. En effet, outre l'intérêt budgétaire d'internaliser cette compétence, le statut d'agent public comprend de telles garanties.

Par ailleurs, le rapporteur insiste sur la répartition nécessaire des rôles entre citoyens et animateurs, intrinsèquement liée aux garanties d'indépendance que doivent présenter les animateurs.

Recommandation n° 1 : Accroître les garanties d'indépendance exigées pour les animateurs, dont le rôle doit être clairement distingué de celui des citoyens.

Plus largement, le rapporteur spécial estime qu'un règlement de procédure relatif aux conventions citoyennes doit contenir des exigences d'indépendance et d'impartialité pour toutes les parties prenantes aux conventions, et notamment les membres du comité de gouvernance et les experts auditionnés. De même, le caractère contradictoire des débats entre experts participe de la compréhension éclairée des enjeux par les citoyens. Les garanties fixées par la loi organique du 15 janvier 2021 sont en effet minimales, son article 4 se bornant à énoncer que des exigences de sincérité, d'égalité, de transparence et d'impartialité, s'appliquent aux consultations des citoyens.

Dans ce cadre, les citoyens d'une convention citoyenne finissante pourraient léguer à la suivante un mémento grâce au recul acquis. Au regard de la pertinence des remarques constatées par les citoyens, le CESE pourrait enrichir à la marge le règlement de procédure applicable aux conventions citoyennes.

Recommandation n° 2 : Codifier les règles applicables aux conventions citoyennes, et notamment les exigences d'indépendance, d'impartialité et de contradictoire, au sein d'un règlement de procédure interne au CESE, enrichi le cas échéant par les propositions des citoyens de chaque convention citoyenne finissante.

Enfin, s'agissant des règles applicables spécifiquement aux citoyens participants, le rapporteur spécial relève leur absence de véritable statut, à l'instar de ce qui existe pour les jurés d'assises. À terme, avec la répétition des exercices participatifs, un tel statut pourrait être envisagé, incluant le principe des autorisations d'absence pour les citoyens et l'indemnité allouée aux citoyens. En effet, pour l'heure, les citoyens doivent négocier des autorisations d'absence avec leur employeur, ce qui peut avoir pour effet d'exclure certains d'entre eux. De même, l'indemnisation des citoyens de l'ordre de 80 euros par jour relève aujourd'hui de la pratique.

b) Insuffler davantage de pluralisme dans la gouvernance des conventions citoyennes

Le rapporteur spécial estime que le pluralisme doit devenir la règle, tant du point de vue de la présidence que de la composition du comité de gouvernance.

Tout d'abord, les présidences des comités de gouvernance ont été variables en fonction des circonstances politiques. La co-présidence de la convention citoyenne pour le climat était le fruit d'une négociation entre le gouvernement et les associations environnementales suite au mouvement des gilets jaunes. Ce modèle de présidence plurielle a davantage les faveurs du rapporteur spécial que la présidence unique de la convention citoyenne sur la fin de vie par un membre du CESE, nommé par son président.

Ensuite, en ce qui concerne la composition du comité de gouvernance, le rapporteur spécial considère qu'il doit y avoir une représentation équilibrée des membres du CESE, qui ne sauraient constituer la majorité au sein du comité de gouvernance. Ainsi, les membres nommés par le président du CESE pourraient respecter la règle du tiers, ce qui est d'ailleurs presque le cas dans la pratique dès lors que le comité de gouvernance de la convention citoyenne sur la fin de vie était composé à 42 % de membres du CESE. Le rapporteur spécial propose de réduire à l'avenir cette proportion à 30 %.

De plus, le rapporteur spécial regrette l'absence de présence systématique de citoyens participants à la convention au sein du comité de gouvernance. L'exclusion de citoyens revient à faire des conventions citoyennes des assemblées gouvernées, ce qui contrevient à la philosophie des consultations citoyennes. Ainsi, le rapporteur spécial estime que deux à trois citoyens volontaires, tirés au sort au sein de l'assemblée citoyenne, devraient représenter les citoyens au sein du comité de gouvernance pour toutes les conventions citoyennes. Le rapporteur spécial juge en effet contre-productif de laisser une marge de manoeuvre au comité de gouvernance sur l'intégration ou non de citoyens participants en son sein.

Recommandation n° 3 : Renforcer le pluralisme de la gouvernance et du suivi des conventions citoyennes en instaurant une règle d'un tiers de membres du CESE au sein du comité de gouvernance, incluant nécessairement des citoyens participants.

2. Distendre le lien entre pouvoir exécutif et consultations citoyennes
a) Renforcer les liens entre conventions citoyennes et Parlement

Le rapporteur spécial constate qu'un lien est en train de se créer systématiquement entre les conventions citoyennes et le pouvoir exécutif, plus particulièrement le président de la République.

Ce lien ne s'impose pas avec évidence. D'une part, dans la majeure partie des pays de l'Union européenne, le Parlement, au titre de ses fonctions de représentation de la Nation, convoque et organise les conventions citoyennes. D'autre part, dans l'histoire de la Vème République, les premières conférences de consensus ont été organisées par le Parlement, si bien qu'une pratique parlementaire de consultation des citoyens s'y est développée75(*). À titre d'exemple, l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), organe commun à l'Assemblée nationale et au Sénat, a organisé en juin 1998 une conférence sur le thème des organismes génétiquement modifiés (OGM). Une conférence de citoyens s'est tenue dans les locaux de l'Assemblée nationale, au cours de laquelle 14 citoyens sélectionnés par l'Institut français d'opinion publique (IFOP) ont été mandatés pour formuler un avis sur l'utilisation des OGM dans l'agriculture et l'alimentation, après audition publique de plusieurs experts76(*).

Le rapporteur spécial estime dès lors qu'un lien plus fort peut se constituer entre le Parlement et les conventions citoyennes, afin d'éviter un accaparement de ces dispositifs par le pouvoir exécutif, confiés ensuite au CESE dans ses modalités d'organisation.

Tout d'abord, des liens informels peuvent se créer via l'audition des citoyens ayant participé à une convention citoyenne au sein des assemblées parlementaires dans le cadre de mission d'information ou au moment de la traduction législative des propositions issues d'une convention citoyenne. Le Sénat a déjà entamé cette pratique puisque la présidente du comité de gouvernance, Claire Thoury, ainsi que trois citoyens de la convention citoyenne sur la fin de vie ont été auditionnés par la commission des affaires sociales du Sénat le 7 juin dernier, dans le cadre de la mission d'information sur la fin de vie.

Ensuite, le Parlement pourrait être plus impliqué dans le processus des conventions citoyennes. L'article 4-3 de l'ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique, social et environnemental permet d'ailleurs le déclenchement de ces conventions par le Parlement. Il convient de relever que les assemblées parlementaires développent déjà des outils participatifs. Le Sénat dispose par exemple d'une plateforme de pétitions en ligne afin de déposer des pétitions ou bien soutenir des pétitions déjà publiées. Les pétitions ayant recueilli au moins 100 000 signatures dans un délai de six mois sont transmises à la Conférence des Présidents, qui peut décider d'y donner suite. Le Sénat a aussi mis en place des outils de consultation des élus locaux via une plateforme de consultation, qui regroupe plus de 35 000 élus locaux inscrits depuis la mise en place de la plateforme en juin 201877(*).

Recommandation n° 4 : Renforcer les liens informels entre Parlement et conventions citoyennes et développer une implication plus directe des assemblées parlementaires dans le déclenchement des conventions citoyennes.

b) Centraliser tous les dispositifs de consultation des citoyens au CESE

Lors de son lancement en août 2022, le Sénat a fait le choix de ne pas participer au Conseil national de la refondation (CNR). Le président Larcher a soutenu le fait que le CNR était perçu « comme une forme de contournement du Parlement ». Le CESE a été représenté dans le CNR plénier par son président, Thierry Beaudet, et par Eric Leung-Sam-Fong, président de la délégation aux Outre-mer.

Alors que plusieurs CNR thématiques ont été organisés sur le travail, le logement, le climat et la biodiversité, le bien vieillir, force est de constater que ces sujets sont ou ont déjà été traités par le CESE, qui avait déjà pu associer des citoyens tirés au sort sur ces sujets. Par exemple, sur le climat et la biodiversité, le CESE a déjà été le lieu d'organisation de la convention citoyenne pour le climat. Plus récemment, le CESE a lancé une consultation publique en ligne ainsi qu'une journée délibérative dans le cadre de son avis sur la sobriété. De même, il a adressé un questionnaire en ligne sur les défis à relever face aux dérèglements climatiques pour le travail.

Par ailleurs, les conclusions des travaux du CNR logement de juin 2023 ont été décevantes. La commission des affaires économiques du Sénat a relevé à ce propos qu' « aujourd'hui, l'espoir de refondation et d'un État stratège a cédé la place à la déception et la désillusion. Il ne reste des travaux du CNR-Logement que des mesures techniques, partielles et de court terme dans les annonces que s'apprêtent à faire la Première ministre »78(*).

Dans ce contexte, le rapporteur spécial est d'avis de ne pas démultiplier les dispositifs de consultation des citoyens sur les thèmes qui relèvent du champ de compétences du CESE. La loi organique du 15 janvier 2021 a entendu faire du CESE le « carrefour des consultations publiques ». Il faut donc centraliser les consultations au CESE, qui dispose d'une enveloppe budgétaire dédiée, dans le respect de l'esprit de la loi organique. Le rapporteur souligne de nouveau que ces consultations ne sauraient par ailleurs se substituer à la représentation nationale.

Recommandation n° 5 : Centraliser au CESE les dispositifs nationaux de consultation des citoyens, s'agissant des domaines économiques, sociaux et environnementaux relevant de sa compétence, ces consultations n'ayant pas vocation à se substituer à la représentation nationale.


* 71 OCDE, Participation citoyenne innovante et nouvelles institutions démocratiques - La vague délibérative, Synthèse 2020.

* 72 “We serve the public good no matter who pays us. We are advocates for the good process - we do not represent the auspicing organisation or their views but represent the process” - Rapport Enabling national Initiatives to take democracy beyond elections, 2019.

* 73 Sur les huit mesures effectuées par Eurogroup à chaque fin de session de la convention citoyenne sur la fin de vie, 92 % des citoyens ont indiqué être très satisfaits ou satisfaits de la qualité de l'animation.

* 74 De nombreux citoyens se sont plaints de ne pas participer assez au processus de rédaction.

* 75 Audition d'Éric Buge, le 4 avril 2023.

* 76 BOY Daniel, DONNET KAMEL Dominique, ROQUEPLO Philippe, Un exemple de démocratie participative : la « conférence de citoyens » sur les organismes génétiquement modifiés, Revue française de sciences politiques, 2000.

* 77 Le Sénat a consulté les élus locaux sur des sujets très variés tels que le financement des maisons France services, les conséquences de l'inflation énergétique, l'organisation du système scolaire ou encore l'avenir de l'Europe.

* 78 https://www.senat.fr/salle-de-presse/communiques-de-presse/presse/05-06-2023/logement-deception-et-desillusion-au-lieu-de-la-refondation.html.