AVANT-PROPOS

Les annonces du Président de la République relatives à l'examen prochain d'un projet de loi ouvrant une aide active à mourir ont conduit la commission à prolonger les travaux qu'elle avait déjà menés, en 2021, sur la situation des soins palliatifs à droit constant.

Les trois rapporteures d'alors ont été de nouveau désignées par leurs collègues pour examiner spécifiquement l'opportunité d'introduire une forme d'aide à mourir dans notre droit.

La question de la fin de vie relève de la bioéthique. S'il est courant, de la part des observateurs de tous bords, de renvoyer sur ces sujets, et celui de la fin de vie en particulier, à l'expérience individuelle, à la sensibilité personnelle, aux convictions de chacun, c'est une position dans laquelle le législateur, garant de l'intérêt général, ne peut se laisser enfermer. C'est dans cette optique que les rapporteures ont mené leur réflexion, poursuivant l'objectif moins de soupeser les arguments favorables et en sens contraire, encore que cet exercice s'impose, que de réfléchir prospectivement à ce qui garantira, à l'avenir, un minimum de cohésion sociale.

Si les rapporteures ont lancé leurs travaux sans a priori sur les conclusions qu'elles en attendaient, il est apparu au fil des auditions qu'une position commune sur l'ouverture d'une aide active à mourir ne pourrait se dégager ni, donc, être proposée de manière consensuelle au vote de la commission des affaires sociales.

Le présent rapport présente ainsi la position que Corinne Imbert et Christine Bonfanti-Dossat estiment susceptible de réunir la majorité des suffrages des membres de la commission : qui est d'opposition à l'ouverture de toute forme d'aide active à mourir. Si Michelle Meunier partage les constats relatifs aux soins palliatifs et à l'application de la loi Claeys-Leonetti, elle demeure, comme elle l'avait été en tant que rapporteure d'une proposition de loi sur le sujet2(*) discutée en 2021, favorable à l'ouverture tant de l'assistance au suicide que de l'euthanasie.

UNE RÉFLEXION CONTRAINTE

I. LE PRÉSENT DÉBAT SUR LA FIN DE VIE : UNE MÉTHODE CONTESTABLE

Le présent rapport poursuit les travaux engagés par la commission des affaires sociales en 2021 sur la situation des soins palliatifs3(*), qui listait pas moins de quarante-cinq propositions pour renforcer le maillage territorial de l'offre, ouvrir la formation du personnel soignant, fluidifier les parcours d'accompagnement, adapter les modalités de financement de l'offre de soins, mieux outiller les Ehpad, mieux faire connaître aux patients leurs droits, ou encore soutenir la recherche et renforcer le pilotage du secteur.

Ces travaux ont toutefois subi le calendrier et la méthode fixés par le Gouvernement à l'automne 2022. Après s'être dit, en tant que candidat à l'élection présidentielle, favorable à ce que la France « évolue vers le modèle belg »4(*), le Président de la République a en effet annoncé le 8 septembre 2022 le lancement d'une convention citoyenne sur la fin de vie.

Une telle annonce anticipait de cinq jours la publication de l'avis n° 139 du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), rendu certes sur la base d'une auto-saisine de juin 2021. Le Comité y reconnaît l'existence d'« une voie pour une application éthique d'une aide active à mourir » pour les « personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme », à certaines conditions qu'il précise.

Outre que la commission n'a donc pas choisi de consacrer la première moitié de l'année 2023 à la question de l'aide médicale à mourir, elle estime que la méthode retenue par le Gouvernement est contestable à trois égards au moins.

D'abord, sa contribution à la fragmentation des lieux de la réflexion n'a pas favorisé la clarté du débat public. À la présente mission d'information ainsi qu'à celle de l'Assemblée nationale, installée le 29 novembre 20225(*), se sont en effet ajoutés la convention citoyenne sur la fin de vie, logée au Conseil économique, social et environnemental (Cese), mais aussi deux groupes de travail pilotés par Olivier Véran et Agnès Firmin Le Bodo, ministres délégués auprès, respectivement, de la Première ministre et du ministre de la santé et de la prévention. Le premier groupe a réuni quinze parlementaires issus de tous les groupes sauf le groupe socialiste du Sénat et les groupes Les Républicains des deux chambres, qui ont refusé d'y participer ; le second a rassemblé 37 professionnels de santé. À ces instances s'ajoute le groupe de travail présidé par l'académicien Erik Orsenna chargé de réaliser un lexique de la fin de vie.

Que le produit des travaux des trois derniers n'ait pas encore été rendu public n'empêche pas de hasarder que cette multiplicité d'enceintes de discussion, peut-être justifiée par la complexité des questions abordées, fait peu pour aider le citoyen à discerner quelles légitimités s'expriment à chaque instant dans le débat public. C'est d'autant moins le cas lorsque l'expertise du CCNE est publiée concomitamment aux annonces de l'exécutif, et lorsque le travail des représentants du peuple est précédé par celui d'une instance ad hoc dont le pilotage est confié au ministre délégué « chargé du renouveau démocratique », lui-même convaincu qu'il y a sur la question « une forme de consensus dans la population », et qu'« il faut embarquer tout le monde »6(*).

C'est peu dire que les annonces faites par le chef de l'État à l'issue des travaux de la convention n'ont pas dissipé ce brouillage des responsabilités. Emmanuel Macron a en effet demandé le 3 avril au Gouvernement, « en lien avec les parlementaires désignés par le président du Sénat et la présidente de l'Assemblée nationale qui, avec leur conférence des présidents, auront à faire ce travail transpartisan - de mener une oeuvre de co-construction, sur la base de cette référence solide, qui est celle de la convention citoyenne et en lien avec toutes les parties prenantes »7(*). Outre la curiosité qui veut que l'écriture d'un texte sur l'aide active à mourir ait été confiée à la ministre chargée « des professions de santé », il semble aux rapporteurs que le souci de faire contribuer précocement le plus grand nombre à la réflexion n'est compatible que jusqu'à un certain point avec le respect des règles constitutionnelles.

La clarté du débat public subit un préjudice plus grand encore du fait que les apparences de neutralité de certains acteurs de la réflexion n'ont pas toujours été préservées. On s'étonne en effet que le Conseil économique, social et environnemental ait cru bon de réitérer la position favorable au suicide assisté et à l'euthanasie, qu'il avait déjà prise en 20188(*), dans un nouvel avis en date du 9 mai 20239(*), soit quelques jours après l'achèvement de ses travaux par la convention citoyenne. Que ce nouvel avis ait été publié sous le rapport de la représentante de la Mutualité française, dont le rôle sur ces questions est parfois controversé10(*), n'est pas de nature à préserver l'apparence d'impartialité que l'organisateur d'un tel exercice de participation citoyenne aurait été inspiré de cultiver.

Au dossier d'une méthode contestable, on versera encore l'observation que la question posée aux membres de la convention citoyenne sur la fin de vie n'était elle-même pas dénuée de partialité : « Le cadre d'accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d'éventuels changements devraient-ils être introduits ? » La réponse à cette question pouvait difficilement être positive car, que la loi aligne sous la même toise une grande diversité de situations par hypothèse singulières, tel est son objet même. La réponse semblait donc en quelque sorte contenue dans la question.

Un des membres de la convention, auditionné par la commission en formation plénière, l'a d'ailleurs reconnu : « Nous aurions eu intérêt à consacrer plus de temps à la formulation de la question de Mme la Première ministre et ses présupposés. Il s'agit en effet d'une question orientée. Connaissez-vous une loi qui serait parfaitement conforme à son objet et répondrait à toutes les situations ?... De toute évidence, non ! »11(*).

Enfin, le choix, par le Gouvernement, du moment propice au lancement d'un tel débat appelle de rapides observations - et appellera peut-être, un jour, de plus longs développements.

En 2023, la société française vieillit et ce vieillissement s'accélère12(*) ; la population la plus âgée et dépendante croît, de même que l'intensité de cette dépendance, selon les outils existants pour la mesurer13(*) ; or outre cela, le système de santé traverse une crise profonde, pour ne rien dire de celui de la prise en charge du grand âge, marqué en 2020-2021 par l'épidémie de covid-19 et en 2022 par le scandale des mauvais traitements en Ehpad14(*) ; dans un espace économique entré en récession et une situation géopolitique européenne et mondiale que l'on peut simplement qualifier d'extrêmement préoccupante, on ne saurait enfin soutenir que le moment soit bien choisi pour autoriser quelque forme que ce soit d'aide active à mourir, si du moins l'on se place, non pas du point de vue de la personne désespérée à vouloir en mourir, qui n'appelle évidemment que la compassion, mais du point de vue du décideur public.


* 2 Texte n° 131 (2020-2021) de Mme Marie-Pierre de La Gontrie et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 17 novembre 2020.

* 3 Rapport d'information n° 866 (2020-2021) de Mmes Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Imbert et Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 29 septembre 2021.

* 4 Le 31 mars 2022, en déplacement à Fouras, en Charente-Maritime.

* 5 Mission d'évaluation de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie dite Claeys-Leonetti.

* 6 Interview de M. Olivier Véran, ministre délégué, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement, à France 2 le 17 novembre 2022.

* 7 Déclaration de M. Emmanuel Macron, Président de la République, concernant les conclusions de la Convention citoyenne sur la fin de vie, à Paris le 3 avril 2023.

* 8 Fin de vie : la France à l'heure des choix », Avis du Conseil économique, social et environnemental présenté par M. Pierre-Antoine Gailly, rapporteur au nom de la commission temporaire « Fin de vie », avril 2018.

* 9 « Fin de vie : faire évoluer la loi ? », Avis du Conseil économique, social et environnemental sur proposition de la commission temporaire « Fin de vie », rapporté par Mme Dominique Joseph, le 9 mai 2023.

* 10 Voir « Le rôle controversé des mutuelles dans le débat sur l'euthanasie », dans Le Figaro du 23 septembre 2022.

* 11 Audition du 7 juin 2023.

* 12 Ined, « Le vieillissement de la population s'accélère en France et dans la plupart des pays développés », communiqué publié le 15 Septembre 2021.

* 13 Claude Jeandel et Olivier Guérin, rapport de la mission sur les USLD et les Ehpad, juin 2021.

* 14 Voir le rapport d'information n° 771 (2021-2022) de M. Bernard Bonne et Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 12 juillet 2022.

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