II. LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE : UNE POLITIQUE EN CHANTIER

Si la commission d'enquête a constaté que depuis dix ans les différents gouvernements avaient lancé nombre d'initiatives parvenant à créer une réelle dynamique de rénovation et que cette politique poursuivait son déploiement, elle apparaît « en chantier », changeantes, pas toujours bien définies, avec des outils perfectibles et courant le risque d'un véritable découragement entre les moyens, les efforts déployés et le but à atteindre.

A. LE RISQUE D'UN DÉCOURAGEMENT

1. Une politique publique en manque de constance et de lisibilité

La politique publique de rénovation énergétique des logements impulsée par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 18 août 2015 se caractérise par une grande inconstance, qui engendre une mauvaise lisibilité des dispositifs par les usagers.

Le manque de continuité et de stabilité de la politique publique de rénovation énergétique est un constat quasi unanime des personnes auditionnées par la commission d'enquête. Le sentiment de confusion des usagers et des professionnels face à la multiplicité des dispositifs d'aide disponible et aux conditions de cumul des subventions est renforcé par le manque de linéarité des politiques nationales. Cette perplexité face à un objet protéiforme touche également les collectivités territoriales, engagées aux côtés des citoyens dans la poursuite de l'objectif de décarbonation et d'efficacité énergétique des logements. Jean-Patrick Masson, vice-président de Dijon Métropole et représentant de France Urbaine a ainsi déclaré lors de son audition par la commission d'enquête que ce « degré de complexité est particulièrement grand pour le citoyen, mais aussi pour les collectivités. Lorsque nous devons mettre en place un certain nombre de dispositifs, nous faisons face à leurs modifications constantes, à l'apparition de complémentarités, d'adjonction ou de soustraction d'un certain nombre d'éléments, qui rendent l'exercice difficile. »

Cette trajectoire est marquée par des ruptures brutales dans la philosophie de certains dispositifs, le changement du public ciblé et une vaste opération de « rebranding » de certains dispositifs (une modification du nom du dispositif sans changer son contenu en substance).

Le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), mis en place par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 8 août 2015 suivait une logique de guichet, disponible sans condition de ressources et permettait aux ménages de déduire de leurs impôts une partie des dépenses engagées pour des travaux spécifiques de rénovation. À l'opposé, le dispositif MaPrimeRénov' inauguré le 1er janvier 2020 accorde une subvention aux ménages à revenus modestes pour la réalisation de certaines opérations de rénovation. Ici, tant le fond que la forme du principal dispositif d'incitation à la rénovation ont été profondément modifiés : le public cible est restreint, la forme de l'incitation passe d'un crédit d'impôt à une subvention et l'autorité en charge de sa distribution n'est plus la même (le CITE était accordé par les services du ministère des finances, tandis que le déploiement de MaPrimeRénov' est assuré par l'Anah).

Ajoutant une certaine confusion à ce changement de trajectoire, le dispositif central MaPrimeRénov' a absorbé le programme « Habiter Mieux Agilité » de l'Anah subventionnant les ménages modestes. Le programme « Habiter Mieux Sérénité » qui accompagne les ménages modestes et très modestes vers la rénovation globale est renommé « MaPrimeRénov' Sérénité », sans changer en substance. Il en est de même pour le programme « Habiter Mieux Copropriété », qui devient « MaPrimeRénov' Copropriétés » et accompagne les copropriétés fragiles dans des opérations de rénovation globale.

Cette politique par à-coups provoque un effet de « stop and go » pour les ménages : l'arrêt du CITE et son remplacement au 1er janvier 2020 par le dispositif de subvention MaPrimeRénov' actuellement en vigueur a provoqué une chute du nombre de dossiers en 2020, certes compensé l'année suivante : seules 181 003 demandes MaPrimeRénov' ont été validées en 2020, un chiffre remontant à 698 492 dossiers validés en 202156(*). Philippe Pelletier, président du Plan bâtiment durable auditionné par la commission d'enquête regrette « le fait que les aides se révèlent trop compliquées et versatiles [...], ne favorisent pas une dynamique de l'action. De fait, la complexité et le changement des règles incitent à l'attentisme. »

M. Pelletier souligne cependant qu'en dépit de nombreuses zones d'ombre, cette irrégularité de la politique de rénovation énergétique cache des avancées salutaires, notamment la suppression du CITE qui générait de nombreux effets d'aubaine. Il note également une certaine continuité de l'approche, notamment de soutien aux plus précaires avec la reprise du programme « Habiter Mieux » de l'Anah par MaPrimeRénov', indiquant une volonté renouvelée de l'exécutif de cibler les ménages les plus fragiles.

Le programme des certificats d'économie d'énergie (CEE) a su conserver sa forme, avec une marque déposée identifiable. Son contenu a cependant évolué, avec une modification du spectre des opérations subventionnées au gré des différentes périodes qui peut être source d'instabilité pour les professionnels. La Filmm a fait savoir à la commission que la fin du « Coup de pouce isolation CEE » en 2021 et la chute des cours des CEE en 2022 a fragilisé la filière isolation, et ce malgré la hausse du volume de CEE de 25 % constatée au deuxième trimestre 2022. De plus, le fonctionnement opaque des CEE est peu compréhensible pour le citoyen, celui-ci disposant d'un vocabulaire propre (obligé, délégataire, éligible) et étant distribué par de nombreux acteurs tels que des fournisseurs d'énergie, des enseignes de la grande distribution et des acteurs spécialisés.

En outre, des dispositifs plus volatiles tels que « Isolation des combles à 1€ » et « Pompes à chaleur à 1 € » ont été ponctuellement mis en place, puis retirés. Sources de nombreuses fraudes et malfaçons, ces dispositifs financièrement alléchants provoquaient un certain attentisme de la part des usagers, préférant différer leurs investissements en espérant réunir les conditions les plus favorables à leurs opérations de rénovation, tout en contribuant à un sentiment d'imbroglio et d'empilement des dispositifs. De plus, ces dispositifs par cibles étaient en contradiction avec la politique gouvernementale en faveur de la rénovation globale, occasionnant une multiplication de gestes isolés et non coordonnés.

Ce manque de continuité se retrouve également dans le service public de la rénovation, qui a changé cinq fois d'intitulé et deux fois de mode de financement depuis 2001. Aux Points infos énergie ont succédé les Espaces infos énergie, intégrés en 2013 au sein des Points rénovation info service (PRIS). Ces derniers ont été transformés en points conseils du réseau Faciliter, accompagner, informer à la rénovation énergétique (Faire) en 2018. Au premier janvier 2022, ces derniers ont été remplacés par les espaces de conseil France Rénov'. La Fédération des agences locales énergie climat (Alec-Flame) s'est irritée lors de son audition par la commission d'enquête du manque de lisibilité du dispositif de service public de la rénovation et de cette succession de « marques ». Sa présidente, Maryse Combres, affirme que « ce manque de lisibilité touche également le financement, y compris celui des missions. Aux financements assurés par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et les régions a succédé le programme Sare (Service d'accompagnement pour la rénovation énergétique), entre l'État et la région ou les départements, quand celle-ci n'a pas souhaité assumer cette compétence ». Le renouvellement annuel du dispositif Sare est une grande source d'inquiétude pour les collectivités, manquant de visibilité sur la pérennité de ce programme : la prolongation du Sare jusqu'en avril 2024 n'a été annoncée par le Gouvernement que le 25 mai dernier.

Cette succession de changements provoque la méfiance des citoyens dans les accompagnements proposés, pourtant centraux dans l'orientation des usagers vers des opérations de rénovation adaptées à leurs besoins et à ceux de leurs logements. Alors que la constance et la continuité sont clés dans la conduite de cette politique publique de rénovation énergétique au risque de déconcerter les usagers comme les professionnels, les changements de trajectoires et les opérations « marketing » ont peiné à faire du service public de rénovation énergétique français un dispositif clairement identifié.

Existe-t-il un modèle de politique de rénovation énergétique
en Union européenne ?57(*)

Les politiques d'incitation à la rénovation énergétique dans les autres pays de l'Union européenne font face aux mêmes difficultés que la politique française : du fait de la typologie des bâtiments (résidentiels, tertiaires, publics), des logements (individuels ou collectifs), de la variété des opérations de rénovation (globale ou au geste) et des conditions de revenus des habitants, il n'existe que peu de programmes uniques de rénovation. Un même schéma est identifiable cependant, similaire à celui de la France, avec la présence d'un dispositif central, tel que MaPrimeRénov', autour duquel évoluent des dispositifs de prêts, des mesures fiscales et des subventions locales. Le caractère unitaire ou fédéraliste des états influe grandement sur la répartition des compétences entre État et régions, pouvant créer des disparités interrégionales en termes de conduite de la politique de rénovation.

En Allemagne, à quatre programmes distincts de rénovation énergétique a succédé en 2021 le programme de soutien fédéral pour des bâtiments efficaces (Bundesförderung für effiziente Gebäude, BEG), divisé en trois sous-programmes visant les mesures globales pour les bâtiments résidentiels (BEG-WG), les mesures globales pour les bâtiments non résidentiels (BEG-NWG) et les mesures individuelles (BEG-EM). Deux de ces sous-programmes sont administrés par la banque allemande de développement, la KfW (Kreditanstalt für Wiederaufbau), tandis que le dernier, portant sur les mesures individuelles est administré par l'agence fédérale pour l'économie et le contrôle des exportations (Bundesamt für Wirtschaft und Ausfuhrkontrolle, BAFA), rattachée au ministère fédéral de l'économie et de la protection du climat et compétente en matière d'énergie. À ce programme fédéral s'ajoutent des programmes d'aides propres aux Länders.

En Belgique, la gestion de politique de rénovation énergétique est une compétence des régions. Ainsi, en Flandres le système d'aides a été rationnalisé en 2022 autour du dispositif « Ma prime à la rénovation » (Mijn VerbouwPremie), fusionnant les aides existantes octroyées par l'opérateur de réseau Fluvius et la prime de rénovation de l'agence de l'habitat Wonen in Vlaanderen et mettant en place un guichet unique. Cette prime a la particularité d'être accessible pour effectuer des rénovations de bâtiments résidentiels et tertiaires. À cette prime s'ajoutent un dispositif de prêt à taux bas, « Mon prêt à la rénovation » (Mijn VerbouwLening) et un prêt à bonification d'intérêt, de nombreuses mesures fiscales ainsi que des subventions annexes de l'opérateur de réseau Fluvius, non fusionnées dans le dispositif principal.

S'agissant de la Suisse, il faut souligner la pérennité du Programme Bâtiments, principal outil d'aide à la rénovation énergétique des logements en place depuis 2010, dont la Confédération et les cantons sont collectivement responsables. La Confédération est en charge du cadre de ce programme et en assure une partie du financement, tandis que les cantons sont chargés de sa mise en application. Ainsi, ce sont les cantons qui définissent chacun les opérations qu'ils subventionnent, sur la base du modèle d'encouragement harmonisé des cantons (ModEnHa) fixant des conditions minimales. Aux aides du Programme Bâtiments s'ajoutent des aides proposées par les cantons et des mesures fiscales cantonales. Certaines banques proposent également des crédits hypothécaires, indépendamment d'un dispositif confédéral.

2. Présentation des principales aides à la rénovation énergétique

Depuis la fin du CITE, les aides à la rénovation énergétique de l'État ont été progressivement ramenées au sein du programme « MaPrimeRénov' », décliné en trois volets : MaPrimeRénov', MaPrimeRénov' Sérénité, et MaPrimeRénov' Copropriétés. Ces primes sont généralement cumulables avec les certificats d'économie d'énergie (CEE), qui sont des aides obligatoires et réglementées des fournisseurs d'énergie, ainsi qu'avec divers dispositifs d'incitation fiscale.

Cette partie va présenter de manière synthétique les caractéristiques des principales aides et dispositifs fiscaux. Les prêts à la rénovation énergétique (éco-prêt à taux zéro, prêt avance rénovation) seront en revanche abordés à l'occasion d'une réflexion plus générale sur le financement de la rénovation énergétique des logements.

a) MaPrimeRénov'

La prime de transition énergétique, plus communément appelée « MaPrimeRénov' », a été créée par la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, et avait vocation à remplacer le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE). En effet, MaPrimeRénov' rend possible le versement de l'aide de façon contemporaine à la réalisation des travaux, contrairement au CITE, qui était versé l'année suivant leur paiement. L'une des raisons du remplacement du crédit d'impôt était la limitation de la pression sur la trésorerie des ménages. Les anciens ministres auditionnés ont toutefois reconnu, pour le regretter, que l'objectif avait été essentiellement budgétaire et visait à réduire la dépense. Le niveau initial de subvention n'a pu être retrouvé qu'avec le Plan de relance.

Ce dispositif est parfois appelé « MaPrimeRénov' nationale » par l'Anah, pour le distinguer de MaPrimeRénov' Sérénité qui est réservée aux ménages des catégories modestes et très modestes, et MaPrimeRénov' Copropriétés, qui vise les logements collectifs. Cette dénomination sera réemployée dans la suite du rapport, dans les cas où elle sera nécessaire pour éviter la confusion avec les autres primes.

Tous les ménages propriétaires ont accès à MaPrimeRénov', quel que soit leur niveau de ressources. Cependant, les travaux éligibles ainsi que le niveau des aides dépendent à la fois du revenu des ménages et du nombre de personnes composant le ménage. Les types de ménage sont déclinés en quatre catégories, représentées par quatre couleurs (bleu, jaune, violet et rose) pour faciliter l'identification des aides et éviter un vocabulaire stigmatisant. Les catégories sont également distinguées selon que le ménage vit en Île-de-France ou dans une autre région.

Catégories de revenus utilisées dans le cadre
du programme « MaPrimeRénov' »

Composition du foyer

Ménages
aux revenus très modestes (bleu)

Ménages
aux revenus modestes (jaune)

Ménages
aux revenus intermédiaires (violet)

Ménages aux revenus supérieurs (rose)

Une personne

16 229

22 461

20 805

27 343

29 148

38 184

> 29 148

> 38 184

Deux personnes

23 734

32 967

30 427

40 130

42 848

56 130

> 42 848

> 56 130

Trois personnes

28 545

39 591

36 591

48 197

51 592

67 585

> 51 592

> 67 585

Quatre personnes

33 346

46 226

42 748

56 277

60 336

79 041

> 60 336

> 79 041

Cinq personnes

38 169

52 886

48 930

64 380

69 081

90 469

> 69 081

> 90 469

Personne supplémentaire

+ 4 813

+ 6 650

+ 6 165

+ 8 097

+ 8 744

+ 11 555

> + 8 744 

> + 11 555

Note : les nombres en italiques sont les catégories de revenus applicables en Île-de-France. Les catégories de revenus présentées sont également applicables pour les forfaits ainsi que pour MaPrimeRénov' Sérénité.

Source : Commission d'enquête, d'après le ministère de la transition écologique
et de la cohésion des territoires

Les plafonds diffèrent également selon les types de travaux réalisés : pour les ménages les plus modestes, l'installation d'un poêle à granulés peut être financée au maximum à 3 000 euros, tandis que pour les mêmes ménages, l'installation d'une pompe à chaleur géothermique peut être financée à hauteur de 10 000 euros. Le tableau suivant donne les aides auxquelles ont droit différentes catégories pour la réalisation d'un geste de rénovation courant.

Plafonds de MaPrimeRénov' selon les revenus d'un ménage
pour l'installation d'une chaudière à granulés

Une personne

Deux personnes

Plafond de l'aide

Jusqu'à 15 262 euros

Jusqu'à 22 320 euros

10 000 euros

Jusqu'à 19 565 euros

Jusqu'à 28 614 euros

8 000 euros

Jusqu'à 29 148 euros

Jusqu'à 42 411 euros

4 000 euros

Au-dessus de 29 148 euros

Au-dessus de 42 411 euros

-

Note : l'installation d'une chaudière à granulés est l'un des types de travaux qui ouvrent droit aux aides les plus importantes, avec l'installation d'une pompe à chaleur géothermique ou solarothermique.

Source : Commission des finances

Il faut relever que les ménages aux revenus les plus élevés n'ont droit à des aides que pour les travaux d'isolation. Ils peuvent également bénéficier du forfait « rénovation globale » et des bonus qui seront détaillés infra.

Depuis le 1er juillet 2021, MaPrimeRénov' est également ouvert aux propriétaires bailleurs. Cette disposition, qui originellement ne devait durer que le temps plan de relance, a été pérennisée en 2023. Les bailleurs bénéficiaires de la prime doivent cependant s'engager à louer leur bien à titre de résidence principale pendant 5 ans à compter de la date de paiement du solde.

b) MaPrimeRénov' Sérénité

MaPrimeRénov' Sérénité, qui était dénommée jusqu'en 2021 « Habiter Mieux Sérénité », finance des travaux de rénovation globale : pour qu'une opération de rénovation soit éligible à la prime, les travaux doivent être réalisés en même temps, et ils doivent permettre de réduire la consommation d'énergie du logement d'au moins 35 %. La prime se décline en deux forfaits, selon les ressources des ménages :

- les ménages aux revenus modestes peuvent voir leurs travaux de rénovation globale pris en charge à hauteur de 35 %. La prime versée ne peut pas être supérieure à 12 250 euros ;

- les ménages aux revenus très modestes peuvent voir leurs travaux de rénovation globale pris en charge à hauteur de 50 %. La prime versée ne peut pas être supérieure à 17 500 euros.

Contrairement à MaPrimeRénov' dite « nationale », les ménages des catégories de revenus intermédiaire et supérieure ne peuvent pas bénéficier de la prime. En revanche, ces ménages peuvent bénéficier du forfait rénovation globale rattaché à MaPrimeRénov', qui existe depuis 2021, et dont le fonctionnement est détaillé infra. De plus, dans le cadre de MaPrimeRénov' Sérénité, le ménage doit être obligatoirement accompagné par un Accompagnateur Rénov', ce qui n'est pas le cas pour MaPrimeRénov' « nationale ».

c) MaPrimeRénov' Copropriétés

MaPrimeRénov' Copropriétés prend la forme d'une prime versée à un syndicat de copropriétaires, pour des travaux qui doivent permettre une économie de 35 % de la consommation d'énergie. Pour en bénéficier, la copropriété doit être composée d'au moins 75 % de lots d'habitation principale.

La prime finance 25 % des charges des travaux, et elle ne peut pas excéder 25 000 euros par logement. Une assistance à maîtrise d'ouvrage est obligatoire, et elle est financée en partie pour l'Anah, à hauteur de 30 % du prix de la prestation, pour un montant qui ne peut excéder 180 euros par logement.

De plus, les copropriétés dites « fragiles », c'est-à-dire les copropriétés qui sont situées dans un quartier relevant du « nouveau programme national de renouvellement urbain » (NPNRU) ou qui présentent un taux d'impayés supérieur ou égal à 8 %, peuvent bénéficier d'une prime complémentaire d'un montant de 3 000 euros par logement.

d) Les forfaits associés à MaPrimeRénov'

Le forfait « rénovation globale » est réservé aux ménages qui ont des ressources supérieures aux plafonds de MaPrimeRénov' Sérénité. Pour en bénéficier, les ménages doivent réaliser un audit énergétique, effectué par un auditeur labellisé RGE, et engager des travaux qui doivent permettre un gain énergétique d'au moins 55 % par rapport à la consommation initiale. Son montant est de 10 000 euros pour les ménages aux revenus intermédiaires, et de 5 000 euros pour les ménages aisés. Ce forfait a été revalorisé en 2023 : l'année précédente, il était de 7 500 euros pour les ménages aux revenus intermédiaires et de 3 500 pour les ménages aisés.

Le forfait « bonus sortie de passoire énergétique » est attribué lorsque la consommation conventionnelle initiale du logement était supérieure ou égale 331 kWh/m²/an d'énergie primaire avant la réalisation des travaux, et lorsqu'elle est inférieure à ce seuil après la rénovation. Son montant est de 1 500 euros pour les ménages aux ressources modestes ou très modestes, de 1 000 euros pour les ménages aux ressources intermédiaires, et de 500 euros pour les ménages aisés.

Le forfait « bonus bâtiment basse consommation » est attribué lorsque la consommation du logement passe en dessous de 91 kWh/m²/an. Son montant est identique au bonus sortie de passoire énergétique.

L'éligibilité à ces trois forfaits est conditionnée à la réalisation d'un audit énergétique préalable aux travaux de rénovation, et le demandeur doit pouvoir justifier de la cohérence entre les travaux réalisés et les recommandations de l'audit (par exemple, faire des travaux qui justifient un gain énergétique minimal de 55 % pour bénéficier du forfait « rénovation globale »).

e) Les certificats d'économie d'énergie (CEE)

Contrairement aux aides de l'Anah, qui sont imputées sur des crédits budgétaires, les certificats d'économie d'énergie (CEE) sont financés par les entreprises de l'énergie. Leur participation au programme des CEE est obligatoire et encadrée. L'ensemble des propriétaires et des locataires peuvent en bénéficier.

Les CEE prennent comme référence des « opérations standardisées d'économies d'énergies », qui correspondent à des opérations couramment réalisées, pour lesquelles une valeur forfaitaire a été définie. Le catalogue des opérations standardisées le plus récent (16 mars 2023) comporte 218 fiches, et il est disponible en ligne sur le site du ministère de la transition écologique58(*). Il inclut par exemple l'isolation de combles ou de toitures, ou la mise en place d'une pompe à chaleur de type air/air.

Le montant des CEE dépend de nombreux paramètres, tels que l'emplacement géographique, la surface du logement, les économies réalisées ainsi que les revenus du ménage.

Le rôle de l'Anah dans la valorisation des certificats d'économie d'énergie

Jusque mi-2022, l'Anah valorisait elle-même les CEE sur l'ensemble des aides distribuées (hors dispositif MPR créé en 2020). Concrètement, l'Anah versait une prime au demandeur (par exemple, 10 % du coût des travaux plafonnés à 3 000 euros pour un ménage propriétaire occupant très modeste et 2 000 euros pour un ménage modeste), tandis que les CEE ainsi générés par les travaux financés par l'Anah venaient abonder le budget de l'Agence. En tant qu'acteur « éligible » aux CEE, l'Anah peut en effet, au même titre que les collectivités ou les bailleurs sociaux, valoriser les opérations CEE et revendre ainsi les certificats produits.

Règles de cumul des CEE avec MaPrimeRénov'

Les aides MaPrimeRénov' sont cumulables avec les CEE :

- MPR nationale est cumulable depuis son lancement en 2020 ;

- MPR Sérénité a été rendue cumulable depuis le 1er juillet 2022. Les ménages bénéficiaient précédemment d'un financement Anah supplémentaire de 10 % du coût des travaux (via la prime Habiter Mieux), mais ne pouvaient avoir accès aux CEE alors valorisés par l'Anah ;

- MPR Copropriétés est cumulable aux CEE, sauf pour les copropriétés fragiles et en difficulté qui bénéficient d'une prime de 3 000 €/logement.

Source : Réponses de l'Anah au questionnaire du rapporteur

Il faut relever que le Royaume-Uni a fait le choix d'orienter la partie principale de sa stratégie de rénovation énergétique sur un dispositif comparable aux certificats d'économie d'énergie, dans la mesure où il repose également sur les contributions des entreprises de l'énergie.

L'obligation pour les fournisseurs d'énergie (ECO) au Royaume-Uni

L'obligation pour les fournisseurs d'énergie (Energy Company Obligation (ECO)) a été mise en place par le gouvernement britannique en 2013. Il s'agit du principal instrument de soutien aux travaux d'efficacité énergétique dans les logements au Royaume-Uni.

Le programme ECO est géré par les fournisseurs d'énergie et financé par un prélèvement sur les factures d'électricité des ménages. Il prévoit l'obligation pour les fournisseurs ayant une certaine part de marché de promouvoir et d'installer des mesures d'efficacité énergétique auprès des ménages. Cela inclut des actions permettant de réduire la consommation d'énergie, telles que des travaux d'isolation ou le remplacement du système de chauffage. L'objectif global de réduction des dépenses de chauffage grâce aux mesures (224 millions de livres sterling par an pour ECO4) est réparti entre les fournisseurs en fonction de leur part relative du marché intérieur du gaz et de l'électricité.

L'autorité des marchés du gaz et de l'électricité (Office of Gas and Electricity Markets - Ofgem) est responsable du suivi du programme ECO pour le compte du ministère de la sécurité énergétique. Elle a pour missions d'allouer à chaque fournisseur sa part des objectifs, de surveiller leurs progrès, de vérifier s'ils remplissent leurs obligations, d'assurer la conformité et de prévenir et détecter les fraudes.

Source : Division de la législation comparée du Sénat

f) Les principaux dispositifs fiscaux

• La TVA à taux réduit

Pour les travaux d'amélioration de la performance énergétique, le taux de TVA est à 5,5 %, alors qu'il est généralement de 10 % pour les autres travaux de rénovation. Les types de travaux éligibles sont mentionnés à l'article 18 bis de l'annexe IV du code général des impôts, et ils incluent notamment l'installation d'une ventilation ou des travaux de plomberie qui font suite à des travaux d'isolation des murs par l'intérieur.

• Exonération de taxe foncière

Certaines collectivités territoriales proposent une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour les logements rénovés. Cette exonération peut aller de 50 à 100 % de la taxe, pour une durée de 3 ans. Le montant des travaux doit être supérieur à 10 000 euros l'année précédant l'année d'application de l'exonération, ou supérieur à 15 000 euros au cours des trois années qui précèdent. Les logements doivent avoir été achevés avant le 1er janvier 1989.

• Le crédit d'impôt transition énergétique (CITE)

Le crédit d'impôt pour la transition énergétique est supprimé pour l'ensemble des dépenses effectuées depuis le 1er janvier 2021. Toutefois, des ménages continuent de manière résiduelle de bénéficier du CITE pour des travaux réalisés avant le 1er janvier 2021. La dépense fiscale du CITE a ainsi encore représenté 100 millions d'euros en 2022.

3. Un parcours du combattant : entre dysfonctionnements techniques et fraudes, une politique publique en crise de confiance

La perte de confiance dans les dispositifs d'aides à la rénovation est causée par deux défaillances majeures.

D'une part, l'érosion de la confiance des usagers s'explique par la complexité du système de demande d'aide, les nombreux dysfonctionnements de la plateforme MaPrimeRénov' et l'absence d'accompagnement humain occasionnée par la dématérialisation totale du système de demande d'aide.

Cet effritement est complété par les nombreuses fraudes, escroqueries et malfaçons, qui, même si elles restent faibles, alimentent la défiance des consommateurs.

a) Une confiance dans le dispositif MaPrimeRénov' grevée par les complexités administratives

Les dysfonctionnements de la plateforme MaPrimeRénov' et la longueur anormale des délais d'instruction de certains dossiers, dépassant largement les 35 jours moyens annoncés par l'Anah, ont été l'objet de plusieurs contributions citoyennes adressées à la présidente et au rapporteur de la commission d'enquête. Ces témoignages « du terrain » dévoilent un système grippé, véritable « chantier » pour des usagers désemparés face à la complexité de la constitution des dossiers.

La Défenseure des droits Claire Hédon a présenté à la commission d'enquête un état des lieux des signalements reçus concernant les blocages de dossiers de demande de subvention MaPrimeRénov'. Dans sa décision du 14 octobre 2022, la Défenseure des droits avait déjà dénoncé « des dysfonctionnements aux conséquences lourdes pour les ménages » et indiqué avoir reçu 500 signalements à propos de la plateforme MaPrimeRénov'. Lors de son audition le 13 mai, Claire Hédon a indiqué avoir reçu 900 signalements supplémentaires et a estimé que la publicité autour de ces signalements conduisait nombre de citoyens à saisir ses services. Leur nombre total est donc potentiellement sous-estimé. Si l'Anah affirme avoir débloqué 250 dossiers dans les mois suivant la publication de la décision, 600 n'avaient toujours pas reçu de réponse à la date de l'audition.

La longueur excessive de certains délais de validation des dossiers et de versement des primes ainsi que les dysfonctionnements techniques de la plateforme internet MaPrimeRénov' sont les principaux objets de signalement. Parmi les dysfonctionnements recensés, les utilisateurs signalent l'impossibilité de créer un compte, d'enregistrer des demandes ou de téléverser des documents de justification. La trop grande rigidité du système informatique ne permettant pas de corriger les données saisies bloque les demandes de création de comptes et d'ouverture de dossiers. Ce « droit à l'erreur » est pourtant toléré par d'autres plateformes gouvernementales, notamment le site impôt.gouv.fr collectant les déclarations de revenus, comme le souligne Claire Hédon.

Cette rigidité est accentuée par la centralisation excessive du système, qui n'est pas compensée par la présence de conseillers locaux au contact des usagers. Ainsi, les agents des antennes locales de l'Anah, les conseillers France Rénov' et les agences locales énergie climat (Alec) n'ont pas le droit d'accéder aux dossiers individuels des usagers. Sans accès et possibilité d'édition des dossiers, les agents qui recueillent les plaintes ne peuvent apporter de solution à des dysfonctionnements pourtant aisément résolubles, notamment pour des erreurs de saisie d'informations personnelles ou de téléversement de documents justificatifs.

La numérisation excessive du service est également mise en cause par la Défenseure des droits, MaPrimeRénov' ne proposant pas de dépôt de dossier de demande physique. La volonté de massifier le recours à MaPrimeRénov' est la raison de ce choix du « tout numérique », un pari toutefois gagnant au regard des plus de 1,8 million de demandes déposées (MaPrimeRénov', MaPrimeRénov' Sérénité et MaPrimeRénov' Copropriétés confondues) depuis 2020. Cette exclusivité donnée au numérique a cependant pour effet de délaisser toute une partie de la population peu familière des outils numériques, estimée à 31,5 % de la population totale, notamment les plus âgés de nos concitoyens. Sans droit à une alternative - le dépôt d'un dossier sous format papier auprès d'un guichet Anah local, d'un guichet France Rénov' ou d'une Alec -, le dispositif exclut une partie de la population souvent précarisée.

Ces blocages précarisent en effet les demandeurs les plus fragiles, qui dans l'attente des versements des subventions se voient contraints de contracter des prêts bancaires ou familiaux afin de financer leurs travaux, mettant à mal leur équilibre financier et leur solvabilité. Un paradoxe selon Claire Hédon : « MaPrimeRénov' a été mise en place pour les foyers les plus démunis, mais ce sont aujourd'hui encore ces derniers qui pâtissent des dysfonctionnements du service, du manque d'interlocuteurs et du défaut d'information ».

Ces dysfonctionnements relevés par la Défenseure des droits sont toutefois à mettre en perspective avec la masse de demandes reçues par les services de l'Anah et le nombre de dossiers validés depuis 2020. Selon l'Anah, entre 2020 et 2022, 1 804 295 dossiers ont été ouverts et 1 541 359 dossiers ont été engagés ; avec une moyenne de 25 000 décisions par semaine, a précisé la directrice de l'Anah, Valérie Mancret-Taylor, aux sénateurs de la commission. En comparaison avec les 1 400 signalements reçus entre le lancement de la plateforme et l'audition de Mme Hédon, cela revient à un taux de dossiers bloqués extrêmement faible de 0,078 %.

L'Anah a mené une enquête de satisfaction auprès des bénéficiaires, dont les résultats ont été présentés par son président, Thierry Repentin, lors de son audition par la commission d'enquête : 82 % des ménages qui ont sollicité cette aide en sont satisfaits et 53 % n'auraient pas effectué d'opération de rénovation sans ces aides. L'Anah indique par ailleurs recevoir 8 000 appels par jour, avec un taux d'appel décroché assez élevé, oscillant entre 85 % et 90 %.

La directrice de l'Anah ne minimise pas pour autant ce nombre de dossiers qui demeurent « 500 dossiers de trop ». Elle indique que l'Anah a « donc mis en place une équipe dédiée, qui, dès qu'il y a signalement, prend en charge le ménage et le replace dans un parcours normalisé, ce qui peut être compliqué ».

b) Une confiance érodée par les malfaçons, les fraudes et les escroqueries

Les politiques d'aides à la rénovation énergétique ont donné donnent lieu à de nombreuses fraudes, escroqueries et malfaçons, et ce au détriment des consommateurs, parfois fortement impactés et dont la confiance à l'égard des entreprises de travaux et des dispositifs de soutien à la rénovation est souvent atteinte.

Ce constat est corroboré par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui a ainsi signalé aux membres de la commission d'enquête que le secteur de la rénovation énergétique est fortement générateur de plaintes et de signalements sur la plateforme SignalConso : plus de 10 000 plaintes ont été enregistrées pour la seule année 2022. L'association de consommateurs UFC-Que Choisir constate pour sa part une certaine domination du secteur de la rénovation énergétique dans l'ensemble des plaintes et signalements reçus. Ces fraudes érodent la confiance des consommateurs envers les acteurs de la rénovation, les dissuadant d'effectuer leurs travaux. Les dispositifs d'appel « Isolation à 1€ », « Pompes à chaleur à 1€ » et « Coup de pouce » sont particulièrement propices à la fraude, déclenchant des comportements opportunistes de la part d'opérateurs peu qualifiés.

D'après les informations transmises par la DGCCRF et sur la base de ses grandes enquêtes annuelles, dites « tâches nationales », les travaux de rénovation énergétique révèlent des taux élevés d'opérateurs en anomalie : 55 % en 2022, dont 61 % sont des entreprises bénéficiant du label RGE. Ces taux d'irrégularités constatées sont identiques à ceux enregistrés en 2021. La part importante d'entreprises contrôlées en anomalie bien que détentrices du label RGE signifie que « le taux moyen d'anomalie constaté des entreprises titulaires de ce label serait similaire à celui constaté en moyenne dans l'ensemble du secteur ». Quoique toujours élevée, cette proportion est en légère baisse, puisqu'elle atteignait 66 % en 2020. Les fraudes sont loin d'épargner le fonctionnement du dispositif RGE lui-même : de faux centres de formation ou des « stagiaires-clones » (une même personne suit la formation et réussit l'examen sous des identités différentes) ont par exemple été identifiés et ont conduit les pouvoirs publics à faire exiger par les centres de formation la présentation d'une pièce d'identité.

La DGCCRF fait état d'un niveau de verbalisation administrative et pénale dans le secteur de la rénovation énergétique très supérieur à la moyenne des autres secteurs, avec 131 avertissements, 111 injonctions administratives, 34 procès-verbaux administratifs et 89 procès-verbaux au pénal recensés pour 2021, ces chiffres n'incluant pas les dossiers contentieux traités par d'autres services, tels que la police ou la gendarmerie, notamment en cas de requalification délictuelle des faits par le procureur à l'instar de cas d'escroquerie, d'abus de biens sociaux, etc.. L'indu généré par la fraude s'élève à 92 millions pour cette année. Pour le sous-directeur santé, logement et industrie de la DGCCRF auditionné par la commission d'enquête, cette prévalence de la fraude s'explique par le fait que « le marché de la rénovation énergétique, encore en phase transitoire, n'a pas encore atteint un degré de maturité suffisant. Il en résulte une inadéquation entre, d'une part, une demande de travaux fortement stimulée par les autorités publiques grâce à des aides et, d'autre part, une offre de services fiable qui demeure aujourd'hui limitée ».

De manière plus générale, la commission relève que les anomalies constatées par la DGCCRF sont de nature variée, et vont de manquements involontaires causés par une méconnaissance des exigences du code de la consommation jusqu'à des cas d'escroquerie en bande organisée, en passant par un respect' insuffisant du droit de rétractation'. De nombreuses pratiques irrégulières correspondent au non-respect des droits des consommateurs en matière de vente hors établissement commercial, à des manquements relatifs à l'information précontractuelle sur les prix et les conditions particulières de vente, à la violation des règles applicables au crédit affecté et à l'usage de pratiques commerciales trompeuses, voire agressives. Les pratiques frauduleuses sont diverses comme en témoigne une enquête réalisée par le journal spécialisé Le Moniteur59(*) qui révèle des faits accablants : partage de « bonnes pratiques » entre escrocs, création de faux comptes MaPrimeRénov' visant à récupérer les subventions à l'insu des usagers par l'usurpation des identifiants France Connect, etc. L'escroquerie n'est pas en reste : installations de dispositifs importés non conformes, abandons de travaux, usagers engagés par un devis alors qu'ils pensaient signer un bon de passage, souscription cachée à des crédits, affichages frauduleux de label RGE par des entreprises non qualifiées sont autant de pratiques constatées par les enquêteurs. La DGCCRF précise que certains professionnels abusent le consommateur de la prise de contact à la conclusion du contrat, et vont parfois jusqu'à imposer la réalisation de travaux en raison de prétendus programmes publics, audits énergétiques gratuits, homologations, commissions « officielles », qui sont en réalité inexistantes. Certaines entreprises peuvent même, dans certains cas, recourir à des menaces pour s'assurer de l'obtention du chantier.

Les tableaux suivants récapitulent la répartition des suites répressives par anomalie (procès-verbaux administratifs et procès-verbaux pénaux) ainsi que la répartition des suites pédagogiques et correctives (injonctions et avertissements) après contrôle de la DGCCRF.

Anomalies ayant conduit à des sanctions après contrôle

Source : DGCCRF

Anomalies ayant conduit à des suites pédagogiques et correctives

Source : DGCCRF

Il est souligné que certaines entreprises, malgré de précédentes sanctions administratives ou pénales, continuent leurs pratiques déloyales lucratives et que d'autres se mettent en liquidation ou s'exilent à l'étranger afin d'échapper aux sanctions prévues.

Les anomalies relevées par la DGCCRF sont loin de représenter des exceptions, surtout qu'elles peuvent être rapprochées d'autres enquêtes portant sur le secteur de la rénovation : l'entreprise Spekty, tiers de confiance accrédité par le Cofrac pour la réalisation d'inspections dans le cadre du dispositif CEE fait ainsi état pour sa part d'un taux de non-conformité d'environ 25 % des entreprises contrôlées sur site, quel que soit le niveau de travaux. Le Moniteur relève que les bureaux de contrôle ne font pas non plus preuve d'exemplarité en la matière : 27 % de ces structures présentent un lien avec des entreprises du secteur ou des CEE, faisant courir le risque de verrouiller toute une chaîne de valeur, à travers un fonctionnement en vase clos en impliquant un énergéticien, un délégataire de ces CEE, des entreprises de travaux, un bureau de contrôle et un évaluateur thermique.

L'interdiction du démarchage téléphonique par la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux n'a pas fait disparaître cette pratique frauduleuse, comme le regrette UFC-Que Choisir, certains usurpant une qualité de fonctionnaire ou de conseiller France Rénov' pour le faire. L'association de consommateurs souligne également que d'autres types de démarchage ont vu le jour à la suite de cette interdiction comme le démarchage par SMS et le démarchage physique au porte-à-porte - les deux tiers des 10 000 plaintes reçues en 2021 par UFC-Que Choisir sont d'ailleurs liées au démarchage physique.

Les arnaques dans les salons sont également dénoncées par les professionnels du secteur, d'autant plus aisées que le droit de rétractation n'est pas opérant pour les achats effectués dans les foires et salons.

Le manque d'information des consommateurs au sujet de leurs droits contribue à rendre les fraudes possibles, les pratiques frauduleuses n'étant pas identifiées en amont par des citoyens avertis et correctement informés des obligations pesant sur les professionnels.

Cette perte de confiance est aggravée par l'absence de garantie d'atteinte de performance et d'économie d'énergie, véritable angle mort des politiques publiques de rénovation. Selon UFC-Que Choisir, cela provoque une rupture de confiance des citoyens envers les professionnels de la rénovation - et ce même lorsqu'ils sont en règle -, s'estimant trompés par ces opérations coûteuses de travaux ne tenant pas leurs promesses en termes de réduction des factures et de retour sur investissement. En effet, les gains énergétiques réels des rénovations énergétiques ne sont pas calculés : seuls les gains conventionnels peuvent l'être, par le biais des DPE ou des travaux déclarés dans le cadre des CEE ou de MaPrimeRénov'. L'ONRE, dans ses études actuelles, estime à 3,6 MWh les gains conventionnels réalisés en moyenne par logement rénové en 2020. Lors de l'audition, les membres de l'Observatoire ont précisé mener des travaux sur un million de ménages afin de calculer les gains énergétiques réels. L'objectif est, selon la sous-directrice des statistiques et de l'énergie Bérangère Mesqui, « en comparant les données des ménages qui ont rénové et de ceux qui ne l'ont pas fait, [d']observer, à un niveau macroéconomique, l'impact de la rénovation sur la consommation réelle. »

4. Un modèle économique en mal de définition

La politique publique de rénovation du bâtiment n'a pas su définir un modèle économique précis favorisant le recours à des opérations de rénovations performantes par les ménages.

L'importance du reste à charge, la lenteur du retour sur investissement et les risques de surendettement sont autant de freins pour les ménages au moment de s'orienter entre une rénovation au geste ou une rénovation globale performante.

a) Un reste à charge trop élevé

Selon l'Observatoire national de la rénovation énergétique, le reste à charge est l'un des principaux obstacles des ménages pour rénover leur logement : 30 % des ménages déclarent ne pas disposer des moyens suffisants pour engager les travaux.

L'Institut de l'économie pour le Climat (I4CE), auditionné par la commission d'enquête, a présenté aux sénateurs son outil PanelRénov'60(*) de simulation du raisonnement économique des ménages souhaitant effectuer des travaux de rénovation énergétique. Intégrant les aides à la rénovation actuellement disponibles, plusieurs logements-types et différentes tranches de revenus, PanelRénov' permet d'analyser les freins économiques que peuvent rencontrer les ménages.

La garantie d'un modèle économique adapté et fiable pour les usagers repose ainsi sur trois piliers : une rénovation abordable, profitable et une garantie de solvabilité.

La rénovation doit être abordable, à l'aide d'une politique publique de subvention des travaux de rénovation garantissant un reste à charge minimal, cohérent et acceptable pour les ménages les plus modestes et supportable pour les autres ménages, limitant l'engagement de fonds propres.

Ces opérations doivent être profitables et garantir un bénéfice tangible pour les ménages, justifiant les dépenses engagées par un retour sur investissement mesuré.

Le modèle doit apporter une garantie de solvabilité pour les ménages, qui doivent être en capacité d'emprunter sans risque de mise en difficulté financière.

Dans les conditions actuelles, pour la rénovation globale d'un logement individuel de 110 m2 classé E détenu par un ménage aux revenus modestes, avec un montant des travaux chiffré à 55 000 €, il résulte de la simulation effectuée par PanelRénov' une opération de rénovation globale non viable pour les ménages. En effet, les subventions (CEE et MaPrimeRénov') ne parviennent pas à garantir un reste à charge supportable pour les ménages : en moyenne, elles ne couvrent que 35 % des dépenses engagées.

Les conclusions du rapport présenté par Olivier Sichel61(*) sont semblables : actuellement le reste à charge est trop élevé pour les ménages, qui ne peuvent pour les plus modestes financer de telles sommes sur leurs fonds propres. Le reste à charge est estimé à 37 % pour les ménages très modestes et à 50 % pour les ménages modestes dans le cadre d'une rénovation globale BBC : les subventions (MaPrimeRénov' et CEE) couvrent donc respectivement 63 % et 50 % des coûts engagés par les ménages, un montant trop faible pour inciter les ménages à choisir ce type de rénovation.

En effet, avec un coût de rénovation moyen estimé à 42 000 euros selon le collectif Effinergie pour la rénovation de niveau BBC d'un pavillon de 110 m2, le reste à charge représente une part considérable du revenu annuel des ménages très modestes et modestes.

Les solutions complémentaires de prêt à la rénovation ne sont pas nécessairement adaptées aux ménages aux revenus modestes et très modestes. En effet, les ménages précaires et les personnes âgées ne réunissent pas forcément les critères de solvabilité nécessaires pour avoir accès aux prêts à la consommation et à l'éco-prêt à taux zéro. L'alternative du prêt avance rénovation (PAR), prêt hypothécaire délivré aux ménages modestes et très modestes (voir infra) peut se heurter à la situation financière des ménages. En effet, si le logement du ménage est déjà hypothéqué, il ne peut souscrire à un PAR.

Reste à charge pour la rénovation BBC d'une maison individuelle,
estimée à 42 000 € de travaux

 

Très modestes

Modestes

Reste à charge

37 %

50 %

Montant restant à financer

15 540

21 000

Part minimale du revenu fiscal de référence (hors Île-de-France) pour un ménage composé de

1 personne

95,7 %

101 %

2 personnes

65,5 %

69 %

4 personnes

46,6 %

49,1 %

Source : Rapport Sichel, Anah, commission d'enquête

Lecture : Pour un ménage composé de quatre personnes aux revenus très modestes, le reste à charge nécessaire pour effectuer une rénovation BBC estimée à 42 000 € représente au minimum 46,6 % de son revenu fiscal de référence.

b) Des perspectives de retour sur investissement trop lointaines

Deux critères permettent à l'I4CE d'évaluer la profitabilité d'une rénovation : le retour sur investissement et la valeur actuelle nette du logement.

Le retour sur investissement indique en combien d'années les économies d'énergies, aux prix actuels, vont pouvoir compenser le coût des travaux, une fois les subventions déduites. Un retour sur investissement supérieur à dix ans décourage les ménages d'investir dans des travaux de rénovation, dont la rentabilisation peut s'étendre sur plusieurs générations d'occupants dans le logement62(*).

La valeur actuelle nette est un indicateur plus complet que le retour sur investissement qui représente l'enrichissement réalisé par le ménage au terme du projet. La valeur actuelle nette compare les dépenses du ménage, hors subventions, avec les bénéfices réalisés sous la forme d'économies d'énergie. Le tout est actualisé par un taux diminuant la valeur des bénéfices futurs et représentant les réticences à investir (notamment les risques, la présence d'alternatives de placement à abandonner, la volonté de conserver une épargne de précaution). La valeur actuelle nette d'un logement après rénovation doit être positive à 15 ans afin que le ménage perçoive l'opération comme profitable. Si la valeur actuelle nette est négative, cela signifie que les seules économies d'énergies perçues ne justifient pas les coûts, notamment au regard des risques pris et des alternatives de placement abandonnées.

Selon l'I4CE, dans les conditions actuelles la rénovation est peu profitable, en raison d'un retour sur investissement supérieur à dix ans et d'une valeur actuelle nette toujours négative quinze ans après les travaux.

À cela s'ajoute le peu de prise en compte par les politiques publiques des contraintes liées à une rénovation globale, notamment le relogement des ménages pendant la durée des travaux lorsqu'ils ne sont pas effectués lors de la mutation et les contraintes endurées lors des travaux en logement habité.

Sans orientations claires de la politique publique de rénovation permettant de diminuer le reste à charge des ménages et d'assurer la rentabilité des opérations de rénovation, il sera difficile d'inciter les ménages à entreprendre des rénovations globales performantes. Le modèle actuel incite les consommateurs à effectuer une succession de gestes non coordonnés car plus abordables, mais beaucoup moins performants.


* 56 Anah, 2023.

* 57 Sénat, Étude de législation comparée n°320 sur la rénovation énergétique des logements, 12 avril 2023.

* 58 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Catalogue %20des %20fiches %20d %27op %C3 %A9rations %20standardis %C3 %A9es %20CEE.pdf.

* 59 Pierre Pichère (2023), « Les escrocs de la réno », Le Moniteur.

* 60 Guillaume Dolques, Maxime Ledez, Hadrien Hainaut, Quelles aides publiques pour la rénovation énergétique des logements ? PanelRénov' : un outil pour analyser la viabilité économique des projets de rénovation, février 2022.

* 61 Olivier Sichel, Rapport pour une rénovation énergétique massive, simple et inclusive des logements privés, mars 2021.

* 62 Un ménage reste en moyenne environ huit ans dans un même logement.