II. QUELLES PERSPECTIVES À L'HORIZON 2050 ?

A. LES GRANDS CENTRES URBAINS : DES COLOSSES AUX PIEDS D'ARGILE ?

1. Les centres urbains métropolitains, moteurs des territoires
a) La force incontestable du phénomène métropolitain

Lieux de concentration des pouvoirs, qu'ils soient politiques ou religieux, lieux d'échanges commerciaux ou culturels, situés souvent au carrefour de routes stratégiques, les grandes villes ont toujours été une force d'attraction pour leur environnement et un point de repère depuis l'extérieur. La concentration des populations, des richesses, des savoirs, des activités artistiques ou d'enseignement et même des clubs sportifs caractérisent le fait métropolitain.

Le fait métropolitain fait fi des frontières administratives : il réunit la ville centre et sa périphérie, voire y raccroche des villes un peu plus éloignées qui sont dans l'aire d'influence de la métropole. Si la métropolisation a débuté il y a de nombreuses décennies, elle s'affirme de plus en plus avec le remplacement des activités industrielles par les activités de service. Elle se nourrit de « l'effet agglomération » des grandes villes : la diversité et le grand nombre de compétences réunies sur le même territoire entraînent l'arrivée de compétences supplémentaires et entretiennent l'innovation.

La métropolisation se traduit par une polarisation de la production de richesses et des populations dans les plus grandes agglomérations. Y sont concentrés les populations et les emplois et activités liées aux fonctions de commandement et d'innovation et plus largement, les activités à forte valeur ajoutée. Dans un très intéressant rapport intitulé « les métropoles, apports et limites pour les territoires »88(*), publié en 2018, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) constatait que les 22 métropoles françaises représentaient 2 % de la superficie, 29 % de la population et 69 % des étudiants et étudiantes. En rassemblant en un même lieu les fonctions métropolitaines d'encadrement, de recherche, mais aussi de création et de loisirs, les métropoles ont une capacité de rayonnement et cultivent une certaine attractivité.

Les acteurs du commerce, qui avaient misé sur des implantations périphériques offrant de larges espaces de vente et des possibilités de stationnement massif, ont également réinvesti les coeurs d'agglomération : en témoigne l'installation de magasins comme Ikea et Décathlon dans les centres-villes.

La mondialisation des échanges profite aussi aux métropoles. En entretenant des liens avec le reste du monde, les habitants et les entreprises des métropoles peuvent rapidement se projeter sur des marchés étrangers ou à l'inverse, recevoir des partenaires venant de loin. Cette internationalisation est évidemment variable selon les métropoles, mais elle est un facteur essentiel de leur développement et passe par l'aménagement d'infrastructures de transport rapide : aéroports, lignes à grande vitesse.

La taille des métropoles leur donne également un atout : celui de résister plus facilement aux crises, d'être peu dépendantes d'un secteur économique en particulier et d'offrir des capacités de rebonds aux professionnels qui y exercent.

Dans une note d'analyse de février 201789(*), France Stratégie constatait qu'une douzaine de métropoles de plus de 500 000 habitants concentraient en France 46 % de l'emploi. Laurent Davezies et Philippe Estèbe indiquaient qu'entre 2008 et 2012, elles avaient contribué à 70 % des créations d'emplois privés90(*). Les métropoles sont ainsi à la fois des moteurs de l'activité économique et des aimants démographiques. Elles attirent une population jeune, diplômée et connectée. En 2019, le bilan démographique de l'INSEE montrait que les métropoles hors Paris tiraient la croissance démographique et qu'à l'inverse, hors des zones d'attraction des métropoles, celle-ci faiblissait91(*).

b) Une stratégie française de renforcement des métropoles

La confiance dans le fait métropolitain a conduit à une stratégie de renforcement des centralités passant par la définition d'un statut à travers quatre lois successives : la réforme des collectivités territoriales de 2010, la loi Maptam de 2014, la loi Notre de 2015 et la loi sur le Grand Paris de 2017.

La réforme de 2010 a créé la métropole pour conforter le rôle des grandes agglomérations comme moteurs de la croissance des territoires. Elle avait fixé le seuil démographique des métropoles à 500 000 habitants, abaissé à 400 000 en 2014. L'assouplissement des conditions d'accès au statut de métropole a conduit à en constituer pas moins de 22 (en comptant le Grand Paris) sur notre territoire, qui recouvrent des réalités assez disparates.

Elles ont cependant en commun la volonté d'intégrer fortement les communes-membres de l'ensemble qu'elles constituent. L'EPCI à statut de métropole correspond à un degré élevé d'intégration afin de rationaliser l'action publique et de jouer un rôle pivot, pas seulement pour la ville-centre et son immédiate périphérie, mais pour l'ensemble de la région autour de la métropole. Il est vrai que des EPCI de taille importante sont en mesure de disposer d'une ingénierie territoriale efficace et compétente.

On peut cependant s'interroger sur la pertinence d'une définition aussi large de la métropole. Certaines pourraient avoir du mal à assumer leur statut : les effectifs universitaires, le nombre de sièges sociaux d'entreprises à rayonnement national, voire international, y sont trop faibles pour pouvoir considérer certaines métropoles comme davantage qu'un centre urbain important dans son environnement direct. Les métropoles de taille intermédiaire ne disposent ainsi pas toujours des moyens de développer un réseau de transports collectifs structurant comme un métro ou un tramway. Leur degré d'internationalisation est également réduit. À force de vouloir faire de chaque grande ville une métropole, on risque de donner le même qualificatif à des ensembles urbains aux caractéristiques assez peu communes.

c) Des métropoles très différentes

Derrière le statut de métropole se cachent ainsi des réalités disparates. Les métropoles ne jouent ainsi pas toutes dans la même catégorie : Paris est une métropole mondiale, qu'on pourrait qualifier de mégalopole, par son poids démographique et économique. Le rapport précité du CESE souligne que parmi les aires urbaines de l'hexagone, seules 11 autres regroupent plus de 500 000 habitants et au moins 20 000 cadres et ont des fonctions métropolitaines (Lyon, Marseille, Lille, Toulouse, Nice, Bordeaux, Nantes, Strasbourg, Rennes, Grenoble et Montpellier). Les 29 autres aires urbaines sont qualifiées de « grandes aires » car elles comptent plus de 200 000 habitants et contribuent à structurer le territoire, toutes n'ayant d'ailleurs pas le statut métropolitain.

Le rapport du CESE souligne qu'au-delà des grandes tendances, comme la surreprésentation des jeunes actifs et des diplômés parmi les habitants des métropoles ou encore des efforts de construction importants, les dynamiques démographiques des métropoles sont hétérogènes, de même que leur trajectoire économique. Publié par la Fédération nationale des Agences d'urbanisme (FNAU), le « métroscope », qui brosse le portrait chiffré des 22 métropoles françaises92(*), parvient aux mêmes conclusions. Il identifie en réalité 6 profils :

- la métropole-monde de Paris, très spécifique ;

- les métropoles de la « bonne santé » (Nantes, Brest, Rennes) qui combinent marché du travail dynamique, inégalités sociales contenues, offre de santé et préservation de la nature élevées et implication citoyenne importante ;

- les métropoles de la « parité et de l'attractivité » (Lyon, Grenoble, Toulouse, Bordeaux, Montpellier, Strasbourg) qui associent dynamisme démographique, offre de santé et préservation de la nature élevées, implication citoyenne importante, mais subissent un coût du logement important, voire en hausse ;

- les métropoles privilégiant les services à la population (Lille, Rouen, Saint-Étienne) caractérisées par la présence importante de familles avec enfants et de ménages modestes, un bon niveau d'équipements mais certaines difficultés d'attractivité ;

- les métropoles « soleil et nature » (Aix-Marseille, Nice, Toulon) qui misent sur le tourisme et les activités récréatives ;

- les métropoles aux effets d'entraînement économique (Metz, Dijon, Tours, Orléans, Nancy, Clermont-Ferrand) qui bénéficient d'un certain dynamisme de l'emploi, ne connaissent pas encore de congestion automobile majeure ni d'explosion des coûts immobiliers.

De multiples autres classifications pourraient être faites. Elles montrent que le qualificatif de métropole n'entraîne pas partout les mêmes conséquences.

2. Une place des métropoles à réinterroger
a) Les effets équivoques de la métropolisation

Si la métropolisation est apparue comme l'axe majeur pour encourager le développement économique dans la mondialisation, la concentration des populations et des richesses dans un petit nombre de grandes agglomérations n'est pas sans poser des problèmes.

La première difficulté tient aux déséquilibres sociaux internes aux grandes métropoles. L'emploi connaît une structure en sablier avec d'un côté, des emplois de cadres nombreux et d'un autre, des emplois de service à faible qualification, souvent précaires, tandis que la part des emplois intermédiaires est en diminution. La « gentrification » transforme les anciens quartiers dégradés mais bien placés dans les coeurs de ville en nouveaux quartiers prisés où la valeur des biens immobiliers est élevée et chasse les populations précaires, voire les classes moyennes vers les périphéries. La mixité fonctionnelle, générationnelle et sociale se réduit ainsi dans les métropoles, tendant à spécialiser les quartiers et à accroître les disparités entre les habitants des différentes parties de la métropole. Le rapport du CESE pointait ainsi le contraste social plus important dans les grandes aires urbaines qu'ailleurs en France. Le rapport interdécile (rapport entre les revenus des 10 % des ménages les plus pauvres et des 10 % les plus riches) était en 2017 de 4,3 dans les métropoles contre 3,5 en moyenne nationale.

Une autre difficulté est liée aux rapports de la métropole au territoire environnant. On imagine assez spontanément que les métropoles ont un effet d'entraînement positif sur la région alentour. Or, ce n'est pas si évident. La note de France Stratégie précitée montre ainsi que les territoires dans la périphérie des métropoles apparaissent nettement moins dynamiques en matière d'emplois que les couronnes périurbaines. Par ailleurs, les dynamiques locales sont très disparates. Si l'effet d'entraînement paraît positif pour Nantes, Rennes ou encore Montpellier, il semble ne pas s'étendre au-delà d'un rayon de 60 km autour de Bordeaux ou Toulouse, et s'avère inexistant pour les territoires autour de Lille et Rouen. Une autre note de France Stratégie centrée sur cette question des liens entre la métropole et son environnement, publiée fin 2017, confirme la situation très différenciée des métropoles quant à leur effet d'entraînement sur l'emploi de son arrière-pays93(*).

Par ailleurs, en termes de développement économique, la compétence des métropoles entre en concurrence avec celle exercée historiquement par les régions. Il convient que les stratégies de ces deux collectivités soient convergentes, faute de quoi les acteurs économiques pourraient se retrouver perdus en entendant deux discours différents, voire contradictoires.

Les plus critiques des effets pervers du système métropolitain, comme le professeur Guillaume Faburel, auteur en 2019 d'un ouvrage intitulé « Les métropoles barbares », estiment en outre que la ville dense ne peut pas être écologique du fait de la démesure des aménagements qui y sont constamment nécessaires94(*). Ne croyant pas aux slogans de la métropole durable, les détracteurs des métropoles pointent le fait que le modèle urbain-bobo-écoresponsable n'est accessible qu'à la frange la plus prospère de la population urbaine, laissant de côté les nombreux ménages modestes. Par ailleurs, la grande agglomération ne peut pas être sobre, car elle implique de continuer à croître et d'accueillir toujours plus de population, toujours plus d'activités, et donc de consommer toujours plus de ressources.

b) La quête difficile de la métropole équilibrée

Le gigantisme des métropoles constitue ainsi à la fois leur force et leur faiblesse. Le cadre de vie y est parfois dégradé par les problèmes de mobilité et l'engorgement du trafic automobile. Les transports collectifs sont aussi rapidement saturés. Le développement des déplacements à vélo y est constaté, mais dépend de la réalisation d'aménagements de voirie parfois coûteux.

La question du logement est également sensible, la hausse des prix immobiliers ayant fortement affecté les métropoles françaises. Le délai d'attente pour l'obtention d'un logement social est particulièrement élevé dans les métropoles dynamiques démographiquement et économiquement.

Les métropoles n'échappent pas non plus aux vulnérabilités environnementales : exposition aux pics de chaleur, risques d'inondations avec la multiplication des épisodes pluvieux massifs. L'adoption de plans de résilience et d'adaptation au changement climatique y est certainement plus urgente qu'ailleurs.

En 2021, les sénatrices Françoise Gatel, Dominique Estrosi-Sassone, Michelle Gréaume et Sylvie Robert avaient remis un rapport au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales appelant à créer de nouvelles dynamiques territoriales autour des métropoles95(*). Ce rapport constatait lui aussi que « la création des métropoles n'a pas toujours garanti la réactivité et la performance de l'action publique, dans la mesure où, notamment, ces EPCI sont aujourd'hui encombrés de compétences de proximité qu'ils n'ont pas toujours les moyens d'exercer convenablement » et que « les métropoles n'ont pas toujours eu l'effet d'entraînement sur les territoires avoisinants qui était recherché par le législateur ».

Le scénario négatif pour les territoires métropolitains consisterait à ne pas pouvoir gérer leurs difficultés internes, à créer de l'inefficacité dans la gouvernance par excès de complexité, tout en aspirant les énergies des territoires environnants. On irait vers des métropoles sclérosantes. À l'inverse, un scénario positif verrait les métropoles tirer le développement de leur espace régional tout en faisant avancer de concert croissance démographique et effort d'équipements pour accueillir les nouvelles populations.

Le rapport sénatorial précité préconise ainsi de davantage associer les métropoles aux négociations du contrat de plan État-Région (CPER), de rendre obligatoire la réalisation par les métropoles, à mi-mandat, d'un schéma de dynamisme territorial et d'une étude d'impact des contrats de réciprocité ou encore de moduler la dotation globale de fonctionnement (DGF) des métropoles en fonction des dynamiques partenariales engagées avec leurs territoires voisins.

En matière d'urbanisme, les métropoles sont en pointe des recompositions de notre armature territoriale. Elles devront à la fois aller vers une densification raisonnée et vers un verdissement et une désimperméabilisation accélérée des sols, pour éviter de devenir invivables. Enfin, la recherche d'un équilibre social pose la question de la maîtrise du foncier, du maintien de l'effort de construction de logements sociaux et de l'encadrement des loyers.


* 88  https://www.lecese.fr/travaux-publies/les-metropoles-apports-et-limites-pour-les-territoires

* 89  https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/na53-fractures-territoriales-ok.pdf

* 90  https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/les-nouveaux-territoires-de-la-croissance-vers-un-a791.html

* 91  https://www.banquedesterritoires.fr/les-metropoles-de-province-siphonnent-la-croissance-demographique

* 92 https://www.fnau.org/fr/publication/metroscope-2020/

* 93  https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-na-64-dynamique-emploi-metropoles-30-novembre-2017.pdf

* 94  https://www.courrierdesmaires.fr/article/les-22-metropoles-francaises-sont-prises-dans-un-engrenage-infernal.27267

* 95  https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-679-notice.html