N° 813

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 juin 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale à la prospective (1) sur : « Osons le retour de l'aménagement du territoire : les enjeux de l'occupation du sol dans les prochaines décennies »,

Par M. Jean-Pierre SUEUR,

Sénateur

(1) Cette délégation est composée de : M. Mathieu Darnaud, président ; MM. Julien Bargeton, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Conconne, Cécile Cukierman, M. Ronan Dantec, Mme Véronique Guillotin, M. Jean-Raymond Hugonet, Mmes Christine Lavarde, Catherine Morin-Desailly, Vanina Paoli-Gagin, MM. René-Paul Savary, Rachid Temal, vice-présidents ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, MM. Jean-Jacques Michau, Cédric Perrin, secrétaires ; M. Jean-Claude Anglars, Mme Catherine Belrhiti, MM. Éric Bocquet, François Bonneau, Yves Bouloux, Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Philippe Dominati, Bernard Fialaire, Daniel Gueret, Mme Laurence Harribey, MM. Olivier Henno, Olivier Jacquin, Roger Karoutchi, Jean-Jacques Lozach, Alain Richard, Stéphane Sautarel, Jean Sol, Jean-Pierre Sueur, Mme Sylvie Vermeillet.

AVANT-PROPOS

Le présent rapport s'inscrit dans une continuité.

En 1998, j'ai remis au gouvernement un premier rapport, préparé avec 25 experts et acteurs de terrain, intitulé « Demain la ville », qui mettait en évidence la richesse et la nécessité de ce qu'on appelle la politique de la ville, mais aussi ses limites, qui me sont apparues, au fil du temps, de plus en plus évidentes.

Bizarrement, le « ministère de la ville » n'est pas le ministère de toute la ville. Il est le ministère des parties de la ville qui vont mal. Il n'y a pas deux ministères de l'agriculture, un pour l'agriculture qui va bien et un autre pour l'agriculture qui va mal. C'est pourtant ce qu'on a fait pour la ville. Or, nous avons affirmé, dès ce premier rapport, qu'il y avait là une ségrégation, une mise à l'écart des quartiers en difficulté et qu'on ne pouvait pas refaire ces quartiers sans repenser toute la ville. C'est ce que j'ai développé dans un livre intitulé « Changer la ville » publié en 1999 aux éditions Odile Jacob.

Changer la ville, cela veut dire changer tous les quartiers et revoir le rapport qu'ils ont les uns avec les autres.

D'où, toujours dans ce premier rapport, la mise en cause du zonage. Nous sommes aujourd'hui les champions du monde du zonage. Il a dû y avoir jusqu'à 3 500 zones relevant de la politique de la ville. Or, nos concitoyens ne sont pas forcément séduits - loin s'en faut - à l'idée de vivre dans une zone. Longtemps, pourtant, les maires ont demandé à ce que leur ville bénéficie de ces fameux zonages. Mais on s'est rendu compte que ceux-ci pouvaient accroître la ségrégation qu'ils étaient censés réduire, en cristallisant, en quelque sorte, l'assignation à résidence de populations en difficultés à l'intérieur d'une zone.

Ce premier rapport préconisait une politique ambitieuse. On a tellement ravaudé, réparé, restauré, réhabilité - quitte à devoir toujours recommencer quelques années plus tard - des bâtiments qu'on a fini par détruire... qu'il vaut mieux être ambitieux : oui ces quartiers, il faut les refaire. Et c'est possible. Mais à une condition : ne pas s'enfermer dans les quartiers. La solution suppose de repenser la ville globale, toute la ville.

La ville que nous lègue le XXe siècle est une ville en morceaux. Il y a le centre patrimonial, les faubourgs, les périphéries et les banlieues horizontales (pavillons) ou verticales (barres et tours), les entrées de ville vouées exclusivement au commerce, les zones de loisirs, les campus universitaires, etc. Ce sont d'autres zonages. Et leur particularité c'est que chaque entité est vouée à une seule fonction : habitat, commerce, loisirs, formation, etc.

Si bien que dès ce premier rapport, nous avons présenté la ville du futur comme une ville pensée autour d'une nouvelle idée de l'urbanité. Au lieu de sectoriser les fonctions selon les espaces, le but est que toutes les fonctions soient présentes dans tous les quartiers.

Je reste persuadé que la mixité sociale - ô combien nécessaire - doit aller de pair avec la mixité fonctionnelle. De ce fait, au modèle « centre/périphérie » se substituera un autre modèle, celui de la ville polycentrique, en « constellation », avec un réseau de centralités reliées par des transports adaptés. Cela conduira en particulier à transformer des espaces de banlieue en nouvelles centralités : ce n'est pas utopique, c'est nécessaire !

Tout se tient. Il s'agit de revenir à l'origine de la ville, de la commune, de la cité : le partage, le « vivre ensemble » - et de mener par là même une lutte incessante contre toutes les ségrégations et les inégalités.

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En 2011, au nom de la Délégation à la Prospective du Sénat, je déposais un nouveau rapport - fruit de plusieurs années de travail - dans le droit fil du précédent, mais étendu - en toute modestie ! - aux dimensions du monde. Il s'intitulait « Villes du futur, futur des villes : quel avenir pour les villes du monde ? »

J'avais fait appel à de nombreux universitaires qui avaient mené des travaux approfondis sur une vingtaine de grandes villes du monde mais dont les thèses et les articles dormaient dans les tiroirs. C'est ainsi que le tome 2 de ce rapport (qui en compte 3) comporte une vingtaine de monographies très éclairantes.

Je remarquais que les mêmes constats et les mêmes idées se vérifiaient aux dimensions du monde, avec des situations très contrastées, avec, surtout, l'évidence de la précarité et de la misère dans nombre de « nappes urbaines » comptant des centaines de milliers et des millions d'habitants.

Et je faisais le constat que les ressources des États concernés étaient notoirement insuffisantes pour restaurer, urbaniser - créer une urbanité - afin de sortir ces quartiers de la pauvreté - et que, par conséquent, la solidarité mondiale devait jouer, ce qui nous conduisait à nous tourner vers l'ONU, en particulier.

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En 2016, toujours au nom de la Délégation à la Prospective du Sénat, j'ai organisé un colloque qui a été suivi d'un rapport intitulé : « Le phénomène urbain, un atout pour le futur ». Notre but était de combattre certaines idées toutes faites selon lesquelles les villes seraient le réceptacle de tout ce qui est négatif : elles seraient le siège de l'insécurité, de la pollution, du « mal de vivre ». Les campagnes, elles, seraient, au contraire, pures, propres, saines, « naturelles ».

Contre ces idées toutes faites, nous avons montré toutes les richesses de la ville, de la ville creuset, de la ville partage. La civilisation européenne est née dans les villes : Paris, Londres, Berlin, Rome, Amsterdam, Lisbonne... La liste serait longue !

Mais bien sûr, il ne faut pas en revenir à des clichés simplistes. Les métropoles doivent travailler avec les communautés de communes qui les entourent. La coopération, les volontés partagées doivent permettre de lutter contre le mitage et d'oeuvrer pour un aménagement harmonieux de l'ensemble du territoire.

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Le présent rapport, toujours fait au nom de la Délégation à la Prospective du Sénat, s'inscrit dans le droit fil des précédents, même si son objet n'est pas le même. Il y a dans ce quatrième rapport des invariants par rapport aux documents précédents : la conception globale de la ville - et de la commune -, les effets contre-productifs d'un certain nombre de zonages, la nécessité de faire évoluer les « entrées de ville » même si cela demande une action déterminée dans le long terme, etc.

Mais, plus largement, il s'agit dans ce nouveau rapport de penser, et de préparer, la meilleure occupation possible des sols dans 30, 40, 50 ans. Le temps de l'urbanisme est long - plus long que celui des mandats politiques.

Il s'agit, une fois encore, de mettre en oeuvre une nouvelle urbanité mais aussi de veiller à l'évolution la plus harmonieuse possible des villes, grandes et petites, et de veiller parallèlement à la limitation drastique de l'artificialisation des sols, au maintien absolu des terres agricoles et des hectares de forêt.

Dans un sens, il s'agit de revenir à l'aménagement du territoire et à la planification. Il y a des conceptions purement libérales de l'occupation de la ville et de l'espace, selon lesquelles il suffit que les habitants et acteurs de la ville fassent ce qu'ils souhaitent pour que la ville, et au-delà, les communes, et « l'habitation de l'espace » soient optimales.

Mais cette conception atteint ses limites. Non que la part de liberté et d'initiative qui appartient aux habitants et aux acteurs de la vie industrielle, tertiaire, agricole soit a priori négative. Elle est, bien sûr, nécessaire. Mais cela n'enlève rien - tout au contraire - à la nécessité des plans, des desseins, des projets d'ensemble.

Ceux-ci doivent évidemment aller de pair avec toutes les initiatives individuelles ou collectives qui font avancer la ville. Il y a là une dialectique, un équilibre à rechercher et à trouver.

À cet égard, les contraintes environnementales qui s'imposent désormais à nous peuvent être une chance. Elles nous incitent à faire de la politique de la ville une politique de tout l'urbain. Elles nous incitent à une politique exigeante en matière de respect de l'environnement, de développement agricole et énergétique, en matière de réindustrialisation. Tout cela n'est pas contradictoire mais complémentaire et salutaire. L'enjeu est immense.

Puissent les quelques pistes ici présentées contribuer à répondre à ces nombreux défis.

Jean-Pierre Sueur

INTRODUCTION

Quoi de commun entre le camp romain, le phalanstère de Charles Fourier, ou encore la ville indienne de Chandigarh, imaginée par Le Corbusier ? La volonté d'échapper au territoire, aux contingences du lieu, pour appliquer un mode d'organisation idéal de l'espace, orienté vers l'efficacité. Avec le développement du numérique, de la dématérialisation, on pourrait encore croire que les questions de territoire sont obsolètes, dépassées, et que la technique peut dompter les contraintes. Après tout n'a-t-on pas été capable de canaliser des fleuves, d'araser des montagnes, de construire des tunnels sous les mers. L'espace n'est-il pas fait pour se soumettre à nos besoins, voire à nos caprices ?

Le réchauffement climatique, l'épuisement des ressources naturelles, nous incitent cependant à devenir modestes, à défaut d'être vraiment frugaux. L'impératif d'harmonie avec la nature se renforce. Nous sommes invités à mieux organiser le territoire pour le rendre plus vivable. L'espace qui nous entoure est aussi lieu de vie et pas seulement lieu fonctionnel à asservir. Nous sommes de nouveau incités à aménager le territoire, à mettre en oeuvre le partage des espaces entre ses différents utilisateurs et à fixer des règles collectives pour lutter contre les déséquilibres territoriaux.

Il y a une décennie, le Commissariat général à l'aménagement du territoire (CGET) avait conduit un exercice de prospective intitulé « Territoires 2040 ». Se lancer dans une vaste prospective territoriale constitue un défi de taille. Comme l'indiquait le géographe Martin Vanier dans un article de 2015 analysant les différents scénarios prospectifs de « Territoires 2040 », « le temps de l'État comme grand timonier de l'anticipation est révolu, le futur s'est démocratisé, pluralisé, territorialisé, actorisé si l'on peut dire (sinon dé-technocratisé) »1(*). Il existe en effet une multitude de futurs possibles pour l'occupation de l'espace français, à l'horizon d'un peu plus d'une génération, que l'on fixera à 2050.

Les tendances à l'oeuvre peuvent être contrecarrées ou à l'inverse encouragées par les politiques nationales, mais les stratégies locales peuvent aussi avoir une influence considérable sur les choix d'habitat ou encore de localisation des activités. Les attentes de nos concitoyens peuvent varier dans le temps et les technologies disponibles connaître des ruptures, des accélérations spectaculaires, faisant infléchir le cours des aménagements des différents territoires.

Que l'on regarde les paysages (géographie physique), ou la sociologie (géographie humaine), la France est extrêmement variée, avec de multiples réalités qui s'entremêlent. Le présent rapport vise à porter, avec la nécessaire prudence qui s'impose en cette matière, une vision de ce que pourrait être le futur souhaitable de l'occupation de notre territoire.

L'aménagement du territoire navigue aujourd'hui entre plusieurs conceptions. La première, que l'on pourrait qualifier de « libérale », tend à considérer que c'est aux acteurs privés, par leurs choix d'implantation d'orienter l'aménagement du territoire, les collectivités devant se contenter de créer partout des conditions favorables à l'activité économique. La seconde conception, beaucoup plus dirigiste, confie à la puissance publique le soin de décider des implantations, et correspond plutôt à une pratique qui était celle de la reconstruction du pays après la seconde guerre mondiale. La bonne approche consisterait finalement en l'affirmation d'une volonté politique d'aménagement qui vise à répondre aux aspirations des acteurs des territoires, habitants comme acteurs économiques, tout en prenant correctement en compte les contraintes fortes auxquelles nous sommes désormais soumis, notamment les contraintes environnementales. Celles-ci conduisent à repenser totalement la manière d'occuper l'espace, à chercher à verdir nos villes, à réduire les consommations de ressources, à densifier pour moins consommer d'espace ou encore à réduire notre empreinte carbone.

PREMIÈRE PARTIE : UN TERRITOIRE NATIONAL FRAGMENTÉ FACE À DES ENJEUX MULTIPLES ET CONTRADICTOIRES

I. PLUS QUE DES FRACTURES, UNE FRAGMENTATION DE L'OCCUPATION DE L'ESPACE

A. UNE ARMATURE TERRITORIALE EN TRANSFORMATIONS

1. La multiplicité des approches possibles du territoire
a) Le territoire : entre données objectives et construction politique et sociale

Il existe une multitude d'approches possibles de la question de l'occupation de l'espace. La plus immédiate repose sur la démographie : combien d'habitants dénombre-t-on sur un périmètre géographique défini ? Encore faut-il s'accorder sur le périmètre dont il s'agit. Le délimiter sur des critères physiques est difficile. En conséquence, les découpages pris en compte sont plutôt des découpages administratifs. Une première approche de l'occupation du territoire, assez frustre, repose sur le nombre d'habitants recensés sur la commune, qui est l'échelon de base de l'analyse statistique territoriale.

Comme le note la géographe Magali Reghezza-Zitt2(*), « le mot « territoire » désigne l'espace géographique approprié par la société ». Elle précise : « le territoire est donc un construit social » [...] Le territoire ajoute à la notion d'espace géographique la dimension de l'appropriation », qui peut être politique ou encore symbolique. « Le territoire est une façon d'appréhender l'ancrage local des sociétés et des individus ». Il n'y a donc pas de territoire en soi et sa description dépend autant de ses caractéristiques propres que de la manière selon laquelle on a choisi de le décrire.

Si la démographie fournit une première approche du territoire, on ne peut pas s'arrêter au seul nombre d'habitants. Les recensements de population permettent aussi de connaître la pyramide des âges de chaque commune, la composition des familles ou encore les conditions de logement. Les données fiscales mettent de leur côté en évidence les écarts de revenus. Mais elles ont aussi leurs limites : il existe une multitude de façons de vivre sur le territoire avec le même revenu.

Les activités économiques s'inscrivent elles aussi sur le territoire et sont évaluées à travers différents instruments parfois imparfaits : on estime qu'un établissement situé sur une commune y produit une certaine richesse, même si l'on ne sait pas grand-chose des modalités selon lesquelles l'activité s'y déploie et la manière dont la chaîne de valeur est structurée. De la même façon, la classification des activités pratiquées peut avoir un caractère théorique. Les modèles s'affinent sans cesse et les croisements de données permettent de disposer d'approximations réalistes.

Au-delà des paramètres démographiques et économiques, le territoire peut être appréhendé par les équipements et aménagements qui y sont implantés, en particulier la présence de services publics. Le maillage physique des services publics (établissements d'enseignement, médiathèques, guichets de poste, hôpitaux et centres de santé ou antennes de services sociaux, etc.) comme privés (banques, cabinets de conseils juridiques, etc.), qui peut être appréhendé à travers la base permanente des équipements de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)3(*), est loin d'être indifférent, même si l'émergence de services numériques contribue à une certaine « déterritorialisation » qui peut compliquer l'analyse des observateurs.

Une autre approche du territoire, enfin, peut aussi se fonder sur l'armature urbaine, les bâtiments, leurs caractéristiques et leurs fonctions. Sont ainsi regardés, par commune, le pourcentage de logements sociaux ou encore le caractère individuel ou collectif de l'habitat. On distingue aussi les bâtiments d'habitation, commerces, entrepôts, ou installations industrielles.

La commune est l'unité de base des décomptes de très nombreux paramètres. Mais les données peuvent être agrégées à l'échelle d'un canton, d'une intercommunalité, d'un département, d'une région et de bien d'autres formes de découpages territoriaux. Pour produire des analyses fines, depuis 1999 l'INSEE a subdivisé certaines communes peuplées de plus de 5 000 habitants en quartiers dénommés IRIS4(*) et comptant de 1 800 à 5 000 habitants ou regroupant plus de 1 000 emplois.

Afin d'appréhender les liens entre territoires voisins et de mieux caractériser les effets de concentration d'emplois, de richesses et d'habitants, l'INSEE a également effectué un découpage du territoire en aires urbaines, reposant sur la continuité du bâti et le nombre d'habitants. Le zonage en aires urbaines a été révisé en 2020 et requalifié sous la dénomination « d'aire d'attraction » d'une ville. Celle-ci définit l'étendue de son influence sur les communes environnantes. On dénombrait en France en 2020 selon l'INSEE 699 aires d'attraction, regroupant 93 % de la population5(*). Sous cet angle, notre pays est un gigantesque agglomérat d'aires urbaines.

Au-delà des espaces bâtis, les espaces naturels ou encore le espaces agricoles et forestiers sont l'objet d'analyses statistiques, de quantifications et de caractérisations : ainsi, au titre de la politique agricole commune (PAC), un système d'information géographique recense les particularités topographiques, les haies, les bosquets, et calcule les surfaces donnant droit aux aides économiques versées par l'Union européenne.

À l'ère de l'explosion des données numériques et de l'imagerie satellitaire ainsi que de la mise en ligne des cartes cadastrales, le territoire est de plus en plus connu et scruté. Mais quelle que soit l'approche que l'on retient, on ne peut échapper à un certain arbitraire dans les découpages retenus et le territoire objectivé par des données pourra différer du territoire vécu par chaque individu qui y vit, qui y travaille ou simplement qui y circule.

b) Du territoire aux zones

L'analyse territoriale se déploie sur plusieurs échelles et selon celle choisie, l'interprétation des phénomènes diffère. C'est dans les allers-retours entre les différentes échelles que la manière d'occuper le territoire doit être appréciée. Plus l'échelle est fine, plus le territoire est peu représentatif de la zone étudiée. Mais plus l'échelle est large, moins les phénomènes peuvent être mis en évidence et plus les moyennes gomment les différences.

Découpé en entités politiques et administratives en plusieurs strates, la France fait aussi l'objet d'une multitude de zonages géographiques par les politiques publiques. Ces zones sont autant de labels attribués à des territoires et génèrent des droits pour les collectivités, les acteurs économiques ou les habitants. Comme l'indiquent deux chercheurs de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) : « depuis la fin des années 1970, les politiques qui, à travers la mise en place d'un zonage ciblant des territoires en difficulté, visent à réduire les inégalités socio-économiques, sont au coeur de l'action publique »6(*).

Ainsi, les zones de revitalisation rurale (ZRR), créées en 1995, couvrent près de 14 000 communes et 6 millions d'habitants et donnent droit à des exonérations fiscales pour les entreprises qui s'y installent.

Dans les territoires urbains, les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), qui ont remplacé en 2015 les zones urbaines sensibles (ZUS) créées en 1996, délimitent à l'échelle infra-communale les quartiers qui font l'objet de la politique de la ville, soit environ 1 500 quartiers réunissant 5,5 millions d'habitants. Ils bénéficient de dispositifs publics de soutien à travers les aides de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Des conventions sont passées avec les collectivités pour la mise en oeuvre des différents dispositifs publics dans les territoires concernés.

Certains zonages déclinent des politiques européennes : ainsi, des indemnités compensatoires de handicap naturel (ICHN) sont versées au titre de la politique agricole commune (PAC) aux exploitations agricoles situées dans des « zones défavorisées », c'est-à-dire des territoires considérés comme moins productifs, du fait de l'altitude, de leur nature accidentée, ou de la pauvreté des sols.

Le zonage permet de sortir d'une logique trop verticale et sectorielle des politiques publiques, conduite en silo, aveugle aux spécificités locales et incapable d'une appréhension globale des problématiques d'un territoire donné. Il conduit à une territorialisation forte de l'action publique. Mais le zonage produit aussi des effets pervers. Ainsi, la création des zones prioritaires en 1981 rebaptisées un peu plus tard zones d'éducation prioritaire (ZEP) a identifié des aires de recrutement d'établissements scolaires accueillant des populations plus en difficulté que la moyenne, et permis l'attribution de moyens supplémentaires. Mais le label a aussi conduit à une certaine stigmatisation d'établissements et donc, par ricochet, de leur aire de recrutement. Une étude du Centre national d'étude des systèmes scolaires (CNESCO) parue en 2016 indiquait ainsi que « les effets pervers sont venus contrebalancer progressivement les effets positifs de la politique, au point de conduire à des phénomènes que l'on peut définir en 2016 comme de la discrimination négative »7(*). Notons cependant que « l'effet label » est contesté8(*) et que la stigmatisation négative est considérée par certains chercheurs comme le résultat non pas du zonage mais de la réalité du secteur géographique concerné, si bien que ladite stigmatisation pourrait exister exactement de la même manière en l'absence de tout zonage.

Il n'en reste pas moins que le zonage des politiques publiques a un double effet. D'une part, il signale un territoire aux différents acteurs internes et externes, d'autre part il entraîne des conséquences pratiques sous forme d'allocation de ressources ou d'implantation d'équipements. Dès lors qu'on intègre un espace dans un zonage, on le fait exister en tant que territoire.

Mais le zonage existe aussi tout simplement pour prescrire des manières d'occuper l'espace. Ainsi, les documents d'urbanisme comportent des cartes prévoyant les différentes destinations possibles des terrains qui y figurent : habitat, activités économiques, équipements publics, espaces naturels ou forestiers. Ces cartes identifient aussi les réseaux et voiries déjà établis ou à aménager. Chaque zone se voit fixer des règles plus ou moins contraignantes, qui prennent en compte l'existant mais fixent aussi des objectifs, des perspectives.

Des zonages larges sont enfin définis pour mettre en oeuvre des politiques environnementales. Ainsi, de vastes territoires ont été intégrés au sein de parcs naturels régionaux, de parcs nationaux, de réserves naturelles, ou encore de zones naturelles d'intérêt écologique floristique et faunistique (ZNIEFF), de zones spéciales de conservation (ZSC) ou de zones humides, l'enchevêtrement des zonages pouvant créer une certaine confusion sur l'identification des espaces concernés et la connaissance précise des règles qui s'y appliquent.

c) Des variables à prendre en compte de manière dynamique

Le territoire n'est pas statique. Si les réalités physiques s'imposent - encore qu'on puisse toujours araser des terrains, assécher des cours d'eau ou combler des fossés - les variables liées à la démographie, à l'économie ou aux constructions peuvent évoluer. Analyser un territoire revient donc à observer des évolutions, des variations sur le temps court comme sur le temps long.

En matière démographique, le recensement glissant sur cinq ans est exhaustif dans les communes de moins de 10 000 habitants, tandis qu'un recensement glissant par échantillonnage est pratiqué dans les communes de plus de 10 000 habitants. Il permet de définir les populations légales des communes et de mesurer leur croissance.

Une multitude d'autres enquêtes visent à disposer de batteries de données territorialisées : par exemple le recensement agricole, effectué tous les 10 ans, effectue le comptage des exploitations, de leur spécialisation et des emplois correspondants. Il donne une photographie qui informe sur la situation à un instant T du monde agricole, mais offre aussi la possibilité de comparer les évolutions entre chaque recensement.

La comparaison dans le temps se heurte toutefois à l'évolution des référentiels, qui introduisent des ruptures dans les méthodes de comptage et du coup dans l'interprétation des chiffres. Ce sont les croisements de données qui limitent le risque de mauvaise interprétation. Pour sa part, le référentiel géographique est en revanche assez stable, même si l'émergence de communes nouvelles9(*) ou encore la création d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou la modification de leur périmètre introduisent une rupture dans les séries statistiques historiques.

2. L'espace français entre permanence et mutations
a) Un territoire divers et pluriel
(1) Une géographie physique variée

Dire que la France est diverse n'est pas très original. Mais cela correspond en premier lieu à une réalité physique. Pays tempéré bénéficiant en moyenne de 800 à 900 mm de précipitations par an, la France n'est pas dans son ensemble celui d'un seul régime climatique. Au Sud, le climat méditerranéen fait alterner étés chauds et secs, hivers doux et précipitations concentrées en automne et au printemps, de manière parfois violente. À l'Ouest, le climat océanique produit des étés frais, des hivers doux et des précipitations régulières et au-dessus de la moyenne nationale. À l'Est, le climat continental génère des étés chauds et des hivers froids ainsi que des précipitations moyennes.

La géographie physique de la France est aussi marquée par la présence des massifs montagneux des Alpes, des Pyrénées, du Massif central, du Jura, des Vosges et de la montagne de Corse, qui couvrent près de 30 % du territoire et dans lesquels vivent environ 8 millions d'habitants. Si le territoire hexagonal est peu élevé dans son ensemble (60 % du territoire est à moins de 250 mètres d'altitude et seulement 7 % à plus de 1 000)10(*), la présence de collines et de montagnes offre une variété paysagère et a permis une agriculture assez diverse, tirant parti des spécificités de chaque terroir.

Le positionnement de la France à l'extrémité occidentale du continent européen a permis de qualifier notre pays d'isthme de l'Europe, bordé par la Mer du Nord, l'Océan Atlantique ainsi que la Méditerranée. Avec 5 500 km de façade maritime, l'hexagone est en effet un pays largement ouvert sur la mer. Les 885 communes du littoral métropolitain, qui ne représentent que 4 % du territoire accueillent plus de 6 millions d'habitants soit plus de 10 % de la population totale11(*).

À la grande variété des milieux physiques de la France hexagonale s'ajoutent les outre-mer : 12 territoires formant un ensemble disparate et dispersé dans plusieurs océans et offrant des milieux naturels spécifiques : la Guadeloupe, la Guyane française, la Martinique, La Réunion, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les Terres australes et antarctiques françaises et les îles de Wallis-et-Futuna. On y dénombre 2,7 millions d'habitants et l'orientation vers la mer de la plupart de ces espaces permet à la France d'être la deuxième puissance maritime du monde avec 11 millions de km² de zone économique exclusive (ZEE).

(2) Densité modérée et concentration de population

L'étendue du territoire français offre un avantage compétitif à notre agriculture, puisque celle-ci peut se déployer en s'étalant. Ainsi, la France dispose de la plus vaste surface agricole utilisée (SAU) de l'ensemble de l'Union européenne avec presque 27 millions d'hectares, selon le dernier recensement agricole12(*), soit presque la moitié de la surface totale du pays, dont un peu moins de 13 millions d'hectares de terres arables. Cela explique pourquoi la France est la première bénéficiaire des aides européennes de la politique agricole commune (PAC), dans la mesure où celles-ci sont calculées essentiellement sur la base des surfaces exploitées.

L'étendue du territoire conduit la France à connaître une densité de population modérée. Avec seulement 117 habitants par km², notre pays se situe plutôt dans la moyenne basse des États membre de l'Union européenne. Les pays scandinaves (entre 20 et 40), l'Irlande (73), l'Espagne (94,5) ou encore le Portugal (112) sont moins densément peuplés mais la Pologne (125), l'Italie (200), l'Allemagne (240), sans parler de la Belgique (383) ou des Pays-Bas (520) connaissent une bien plus forte concentration de leur population sur leur territoire.

Or, les moyennes sont trompeuses. Si la population paraît moins concentrée en moyenne sur notre hexagone comptant environ 550 000 km², c'est uniquement parce que notre vaste territoire fait alterner des espaces très densément peuplés avec des espaces qui le sont nettement moins, classés par l'INSEE parmi les communes peu denses (moins de 50 habitants/km²), voire très peu denses (moins de 12 habitants/km²).

La tendance à la concentration de la population dans les unités urbaines, à l'oeuvre depuis des décennies, se poursuit encore. En 2020, l'INSEE comptait 2 467 unités urbaines regroupant 52,9 millions d'habitants, contre 2 289 en regroupant 50,1 millions dix ans plus tôt. Seulement 20,8 % de nos concitoyens vivent en dehors des unités urbaines et plus de 50 % de la population vit dans des unités urbaines de plus de 50 000 habitants13(*). La France rurale est largement majoritaire en km² mais largement minoritaire en habitants.

En réalité, une diagonale du vide s'est installée des frontières de la Meuse aux Pyrénées, en passant par le Sud de la Champagne, l'Ouest de la Bourgogne et le Massif central, combinant faible densité de population, âge moyen élevé et faible renouvellement de population. Une dynamique de dépeuplement se met en place et subsistent essentiellement les activités économiques à dominante agricole et quelques services de l'économie dite présentielle. Cette géographie est assez mouvante, certains territoires pouvant retrouver une dynamique du fait des avantages de la faible densité en termes de cadre de vie ou de prix du foncier. Il n'en reste pas moins qu'une partie de la France connaît un faible dynamisme économique et démographique.

b) Les tendances lourdes de l'urbanisation et de la métropolisation
(1) La généralisation du fait urbain

Le phénomène urbain est aussi ancien que la civilisation et le processus d'urbanisation a commencé en France avant-même l'époque romaine. Si le rôle et l'importance des villes ont décliné au début du haut Moyen-Âge (autour de l'an 500), les activités marchandes ont donné aux villes et aux bourgs un nouvel élan, à partir des années 900-1000 et seules des guerres ou des épidémies ont pu stopper leur croissance, sans altérer le phénomène dans sa globalité. Les faubourgs ont progressivement fait grandir les espaces urbains en attirant toujours plus de population. Pour autant, à la veille de la révolution française, le pays restait essentiellement agricole et rural et à peine 20 % des 28 millions d'habitants d'alors résidaient dans les villes. Même les activités industrielles (proto-industrie) se diffusaient largement au sein du tissu rural, en creux des temps d'activité agricole.

La révolution industrielle a donné un premier coup d'accélérateur au phénomène urbain, en favorisant le regroupement de populations autour de grands centres industriels qui se sont implantés dans les villes ou dans leur périphérie immédiate. La hausse rapide de la population urbaine est alors alimentée à la fois par l'exode rural et par l'excédent naturel qui voit la population française croître tout au long du 19e siècle, pour atteindre 40 millions d'habitants en 1900. Pour autant, la France est longtemps restée majoritairement rurale et il a fallu attendre 1931 pour que la population des villes soit supérieure à celle des campagnes.

Le deuxième coup d'accélérateur de l'urbanisation est intervenu après la Seconde Guerre mondiale. La forte croissance démographique du pays (baby-boom) a généré un besoin considérable de logements qui a été satisfait par l'extension du périmètre des villes, avec la création de banlieues se déployant en tâches d'huile ou en doigts de gants le long d'artères de circulation routières ou ferrées. Des villages ruraux situés à quelques kilomètres des villes se sont alors développés comme des champignons, l'exemple le plus emblématique étant celui des « villes nouvelles » créées dans les années 1960 (Évry, Cergy-Pontoise, Marne-la-Vallée, Sénart, Saint-Quentin-en-Yvelines, Val-de-Reuil, Villeneuve-d'Ascq, Rives de l'Étang-de-Berre et L'Isle-d'Abeau).

La ville n'a alors cessé de grignoter la campagne environnante, se développant en s'étalant. Un espace intermédiaire entre ville et campagne est apparu, désigné sous l'appellation de « périurbain ». Le rural et l'urbain s'y interpénètrent. Si les paysages ressemblent à ceux de la campagne, les modes de vie sont ceux de la ville et les habitants y restent sous l'influence de la ville-centre.

L'aire d'attraction de Paris, concentre à elle seule 13 millions d'habitants, soit 1 habitant sur 5 de métropole14(*). La périurbanisation massive fait dire au géographe Jacques Lévy que les ruraux sont finalement des urbains qui habitent la campagne. D'une certaine manière, nous serions devenus « tous urbains ».

Aires d'attraction des villes selon le nombre d'habitants (INSEE 2020)

(2) La métropolisation du territoire

Apparue dans les années 1960, la notion de métropolisation est utilisée en France depuis les années 1990. Elle sert moins à délimiter un territoire qu'à décrire le rayonnement de certaines villes sur leur environnement direct et parfois même lointain.

Les métropoles sont des aimants à population, à emploi, et constituent le noeud de réseaux multiples, de transport ou encore de connaissance. Les métropoles se caractérisent par la présence de fonctions de commandement qu'il soit économique, politique, intellectuel ou culturel.

Les fonctions métropolitaines sont celles que l'on ne retrouve pas ailleurs : centres universitaires, sièges sociaux de grandes entreprises, institutions culturelles à rayonnement au moins régional, voire national et même international. L'ouverture vers l'extérieur du pays est aussi un trait caractéristique des métropoles.

Au-delà de leur poids démographique, elles se distinguent par une capacité à organiser le territoire environnant, à structurer la vie sociale et économique autour d'elles.

Le statut de métropole a été créé en France par la loi du 16 décembre 2010, avant d'être modifié par la loi Maptam (loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles) du 27 janvier 2014, la loi Notre (portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République) du 7 août 2015 et enfin la loi du 28 février 2017, qui a permis à tout établissement public de coopération intercommunale (EPCI) comptant plus de 250 000 habitants de se constituer en métropole. Ce statut, accordé à 21 territoires aujourd'hui, organise une intégration plus forte entre la commune-centre et les communes voisines, et vise à leur donner un rôle moteur dans le développement du territoire.

Mais la métropolisation institutionnelle se heurte aux insuffisances de la métropolisation réelle : si certaines ont une taille critique qui leur permet de dégager suffisamment de moyens pour mener une politique locale efficace, d'autres sont trop petites ou insuffisamment reliées à leur voisinage pour réellement peser nationalement et exister internationalement.

Par ailleurs, les métropoles peuvent connaître des problèmes de cohésion interne et externe, dès lors que les zones périphériques sont mal intégrées et mal prises en compte dans le développement économique ou souffrent de handicaps sociaux importants. Les métropoles ont aussi un impact variable sur leur « arrière-pays » : si certaines peuvent jouer le rôle moteur qu'on attend d'elles, d'autres au contraire « vampirisent » les villes petites et moyennes situées dans leur zone d'attraction et contribuent au déclin de ces dernières.

L'existence du phénomène de métropolisation fait largement consensus mais ses bienfaits sont vivement discutés entre géographes. Par ailleurs, le concept peut être considéré comme trop général pour pouvoir décrire correctement la manière dont se structure l'espace autour des grandes villes, les facteurs topographiques locaux, mais aussi sociaux ou économiques pouvant conduire à des réalités fortement contrastées.

(3) La place particulière de la région parisienne

Parmi les métropoles, il convient de s'attarder davantage sur la place de Paris et de sa région. La macrocéphalie de Paris a des origines très lointaines et constitue l'héritage d'une centralisation du pouvoir royal mise en place depuis Philippe-Auguste. Elle avait été mise en évidence par l'ouvrage du géographe Jean-François Gravier publié en 1947 intitulé « Paris et le désert français », mais la réalité d'aujourd'hui ne permet pas de tirer les mêmes conclusions. Certaines métropoles régionales bénéficient ainsi d'un dynamisme propre et n'ont nul besoin pour cela de s'arrimer à la métropole parisienne.

Mais Paris garde un poids considérable. En France, elle est la seule agglomération comptant plus de 10 millions d'habitants, très loin devant les aires urbaines de Lyon ou Marseille qui réunissent chacune de l'ordre de 2 millions d'habitants, ou celles de Lille, Bordeaux, Nice ou encore Toulouse, qui se situent aux alentours d'1 million chacune. Dans une étude publiée en 2019, l'INSEE qualifiait l'agglomération parisienne de « mastodonte au sein des villes de France »15(*).

Sur le périmètre européen élargi, seules Londres, Moscou et Istanbul sont aussi peuplées que l'agglomération parisienne, là où les grandes métropoles européennes ne comptent en général qu'entre 4 à 7 millions d'habitants.

La place de Paris est en outre singulière puisqu'elle appartient pleinement à la catégorie des villes mondiales, à l'instar de Londres, New-York ou Tokyo16(*), de par sa taille, la nature des activités économiques qui y sont exercées, mais aussi son attractivité internationale.

La métropole parisienne se caractérise par une concentration des emplois à très forte valeur ajoutée : un tiers de la population active est composée de cadres supérieurs, professions libérales ou patrons de l'industrie, du commerce et de l'artisanat, alors que ces catégories ne représentent que 20 % du total de l'emploi à l'échelle nationale. Les activités de recherche et d'enseignement supérieur sont également concentrées dans la métropole parisienne.

L'agglomération parisienne rayonne au-delà de l'Île-de-France. C'est ce que mettait en évidence l'étude de l'INSEE précitée. Des villes comme Orléans, Tours, Le Mans, Lille, Rouen, Troyes, Chartres, peuvent être villes de résidence de personnes employées à Paris ou dans sa périphérie. Les zones logistiques du Grand Paris peuvent être élargies aux départements limitrophes de l'Île-de-France dès lors que les infrastructures de transport sont disponibles. En réalité, Paris ne cesse de s'étendre au-delà des périmètres administratifs de la commune-capitale, de la métropole du Grand Paris et même de la Région Île-de-France.

3. Doit-on s'inquiéter des inégalités territoriales ?
a) Une grande diversité des dynamiques territoriales

Les transformations de la société française trouvent nécessairement une traduction territoriale, mais la répartition spatiale des phénomènes n'est pas homogène. Vieillissement de la population, transition d'une économie industrielle vers une économie plus orientée vers les services et le numérique, inégalités sociales : ces tendances sont déclinées de manière très différente dans l'espace.

(1) Une nouvelle carte de France du vieillissement de la population

Le vieillissement de la population est une tendance lourde engagée depuis déjà plusieurs décennies. La part des personnes de plus de 65 ans, qui représente déjà 21 % des habitants de notre pays, devrait monter jusqu'à 29 % en 2070.

Ce vieillissement n'est pas forcément synonyme de moindre dynamisme, tant les néo-retraités constituent une force vive locale animant vie associative, sportive ou encore politique.

D'ores et déjà, le vieillissement de la population n'intervient pas de manière homogène partout en France, notamment sous l'effet combiné des départs de jeunes de territoires où les opportunités d'études et d'emplois font défaut et des déménagements à l'arrivée à l'âge de la retraite d'anciens actifs s'éloignant de leur zone d'emploi pour aller vers des lieux considérés comme plus attractifs où le coût de la vie est moins élevé et la qualité de vie au quotidien meilleure.

Les écarts entre territoires sont aujourd'hui considérables à l'échelle départementale et plus encore à l'échelle communale. Ainsi, les plus de 65 ans représentent seulement 11 % de la population en Seine-Saint-Denis, quand leur proportion atteint 30 % dans la Creuse. Dans les zones urbaines les plus peuplées, le vieillissement de la population est moins marqué, du fait également du taux de natalité plus élevé.

En réalité, le vieillissement se déploie géographiquement selon deux axes. Le premier est celui de la « diagonale du vide » : les territoires à dominante rurale et dont la population générale stagne, voire régresse voient leur proportion de personnes âgées autochtones s'accroître. Le deuxième est celui des espaces littoraux du Sud-Est et de l'Ouest ou encore des territoires urbains de montagne, où s'installent de nombreux néo-retraités quittant les grandes métropoles. Les géographes parlent dans ce second cas de « gérontocroissance », qui suscite des créations d'emplois nécessaires à la mise en oeuvre des services voulus par ces nouveaux habitants (bâtiment, santé, loisirs).

Pour illustrer ce deuxième phénomène, on peut se pencher sur la commune de Vannes, préfecture du Morbihan17(*). Alors qu'entre 2008 et 2019, la population est passée de 52 983 à 53 719 habitants (+736 habitants), les habitants de 60 ans et plus passaient de 12 963 à 16 587 (+3 624 habitants), surcompensant la baisse de population dans l'ensemble des tranches d'âge plus jeunes. Dans la même période, le nombre de résidences principales a augmenté d'un peu plus de 2 300 et les résidences secondaires d'environ 1 100. L'essentiel de l'effort de construction a donc été dédié à l'accueil de nouvelles populations âgées, principalement des néo-retraités.

(2) Des territoires inégaux devant les mutations économiques

Depuis plusieurs décennies, le système productif français a connu de profondes mutations. La mondialisation des échanges ainsi que la révolution numérique ont remodelé le paysage économique, favorisant une rapide désindustrialisation, avec la fermeture des usines textiles du Nord, des activités extractives et de la sidérurgie en Lorraine, Pas-de-Calais ou en Saône-et-Loire et dans la Loire. Plus récemment, c'est l'industrie automobile qui a fermé de nombreux sites.

Mais toute l'industrie n'a pas disparu. Certains territoires, bien connectés au monde, comme l'Île-de-France, ou les territoires littoraux (sidérurgie sur l'eau à Dunkerque) ont résisté. Certains sites ont été reconvertis (les chantiers navals de La Ciotat se sont spécialisés dans la fabrication de yachts de luxe). Les industries agro-alimentaires, fortement enracinées dans les régions, avec des sites implantés non loin des zones de production agricole, ont maintenu une activité de transformation diffuse.

Pour autant, nous n'avons pas échappé un peu partout à une tertiarisation de l'économie. Les activités de distribution ont supplanté les usines comme premiers employeurs privés des communes. Les services aux entreprises se sont développés et ont favorisé la concentration des emplois dans les métropoles.

La géographie des systèmes productifs tend à se complexifier, à être moins lisible. Autant il était facile il y a quelques décennies d'associer une ville ou un département à une filière bien précise, autant les spécialisations locales paraissent désormais moins nettes, même s'il y a encore des dominantes locales identifiables, comme la chimie dans la vallée du Rhône ou l'aéronautique autour de Toulouse.

La déspécialisation des espaces a un avantage : elle rend les territoires moins vulnérables à des retournements de tendance. Mais elle a aussi un inconvénient : la taille critique est plus difficile à atteindre, et le tissu économique local est dépendant des liens qu'il peut nouer avec d'autres espaces, et donc dépendant de la bonne qualité des réseaux et infrastructures ou encore du système éducatif du territoire. Là encore, les métropoles ont un avantage.

Un autre phénomène accélère les mutations du tissu économique des territoires : il s'agit du tourisme. Première destination touristique mondiale en nombre de visiteurs accueillis, la France est présente sur une large gamme de segments touristiques : tourisme culturel, tourisme d'affaires, tourisme estival ou hivernal, tourisme populaire. Le secteur du tourisme pèse 7 % du PIB. Mais les lieux touristiques sont inégalement répartis sur le territoire et le tourisme ne peut pas partout prendre le relais après la disparition d'activités industrielles (même si cela a été fait comme en Lorraine avec le parc Big Bang Schtroumpf ouvert en 1989 sur le site de l'ancienne usine sidérurgique d'Hagondange). Devant la délégation à la prospective du Sénat, le sociologue Jean Viard, auteur de l'ouvrage « L'an zéro du tourisme », appelait à être plus agile pour gérer la pression touristique mais aussi pour développer de nouveaux territoires touristiques18(*).

(3) L'inscription dans l'espace des inégalités sociales

L'analyse de la sociologie des territoires peut s'appuyer sur plusieurs types d'indicateurs comme les revenus fiscaux ou encore le classement selon les catégories socio-professionnelles (CSP). Le prisme des CSP est certainement un peu frustre mais la concentration différentielle de celles-ci donne tout de même un bon indicateur des inégalités sociales entre territoires. Plus la maille d'analyse est large, plus les différences sont gommées. Néanmoins, on peut identifier six catégories de territoires assez distincts à l'échelle des EPCI19(*) :

• les intercommunalités des coeurs de métropole sont caractérisées par une surreprésentation des cadres et professions intermédiaires, qui comptent pour plus de 40 % des ménages, et une sous-représentation des ouvriers, employés et agriculteurs. Ces territoires sont ceux de la métropole du Grand Paris exception faite de sa partie Nord-Est, de l'Ouest de l'Île-de-France, du Vexin français et du sud de l'Oise, mais aussi des coeurs d'agglomération de Rennes, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Lyon, Grenoble ou encore Annecy ;

• les intercommunalités « périmétropolitaines » sont marquées par une proportion forte de professions intermédiaires mais nettement moins de cadres, ces deux catégories comptant pour encore 30 % des ménages, contre 40 % d'ouvriers et employés. Se classent dans cette catégorie des agglomérations comme Lille, Amiens, Rouen, Caen, Nancy, Metz, Strasbourg, Clermont-Ferrand, Limoges, Pau, Aix-Marseille, Toulon ou encore Nice ;

• les intercommunalités dites « résidentielles » sont marquées par une forte proportion d'artisans, commerçants et chefs d'entreprises, une proportion de cadres au-dessus de la moyenne nationale, une surreprésentation des employés mais peu d'ouvriers (à peine 15 %). Il s'agit de territoires du Sud de la France ou du littoral atlantique, du Périgord ou des Cévennes faits de petites villes ;

• les intercommunalités du « rural profond » sont marquées logiquement par une proportion d'agriculteurs trois fois plus importante que la moyenne, mais aussi une forte part des ouvriers et employés ;

• les intercommunalités périphériques à forte proportion d'employés et d'ouvriers caractérisent les régions rurales du Nord de la France (Pas-de-Calais, Picardie) mais aussi certaines villes désindustrialisées et un peu à l'écart des mouvements de revitalisation économique : Châteauroux, Laon, Charleville-Mézières, Cahors, Tarbes, Perpignan ;

• enfin, les intercommunalités périphériques à forte proportion d'ouvriers et d'agriculteurs regroupent des petites et moyennes villes de l'Ouest de la France, des confins de la Normandie et de la Picardie, du Grand Est, de la Bourgogne-Franche-Comté. Elles ne sont pas forcément en déclin, lorsque le tissu industriel a su s'adapter (comme à Cholet).

Dans une étude publiée en 202120(*), l'INSEE fournit une autre approche des inégalités territoriales en examinant les niveaux de revenus et les disparités de revenu au sein des territoires. Le niveau de vie des populations n'est en effet pas homogène. Les départements les plus pauvres sont situés dans les DOM, au Nord et sur une partie du littoral méditerranéen, mais certains départements pauvres se singularisent aussi au sein de régions plus riches : la Seine-Saint-Denis ou le Lot-et-Garonne. Au sein des aires d'attraction des villes, la pauvreté comme la richesse sont plus marquées au coeur des pôles que dans les couronnes, où résident en proportion davantage de ménages à niveau de vie intermédiaire. L'INSEE souligne que la crise économique de 2008 a eu pour effet d'accroître les disparités entre départements et au sein de ceux-ci, avant un rééquilibrage entre 2012 et 2017.

Pour appréhender les inégalités dans l'espace, il faut observer à la bonne échelle. Si globalement, les inégalités entre grandes régions ou entre départements ont tendance à se réduire sur le long terme, les disparités se creusent en revanche au sein des grandes aires urbaines. Le cas de l'Île-de-France est emblématique : région la plus riche du pays, elle est aussi celle des plus grands écarts. Lorsqu'on descend à l'échelle des communes, les différences sont encore plus criantes. Ainsi, l'exploitation des données de l'INSEE21(*) montre un écart de plus de 1 à 3 de revenu médian entre les communes en haut du classement (Neuilly-sur-Seine : près de 43 000 euros de revenu médian par habitant) et celles situées en bas (Aubervilliers : à peine 13 000 euros de revenu médian par habitant). Agitée comme un idéal des politiques publiques, la mixité sociale est donc loin d'être une réalité dans les territoires.

Niveau de vie et inégalités par département en 2017

b) Le spectre de la relégation des territoires.
(1) Des différences d'attractivité marquées

Les différences démographiques, économiques ou encore dans la composition sociale des territoires ne posent pas de problèmes en soi. D'ailleurs, des territoires relativement pauvres et peu denses peuvent aussi répondre aux attentes d'une partie de la population, à la recherche de modes de vie alternatifs. Régulièrement, des articles de presse décrivent le parcours de cadres urbains extrêmement bien rémunérés, mais qui décident de « changer de vie » en s'installant à la campagne pour aller y exercer des activités manuelles bien moins rémunératrices, mais trouvant en contrepartie une qualité de vie qui leur manquait.

Or, les différences entre territoires ne sont pas seulement le marqueur de choix différents des Français, mais aussi le résultat de contraintes. L'attractivité des territoires n'est en effet pas homogène, comme en témoigne l'analyse des parcours résidentiels ou encore les différences de prix de l'immobilier.

La mobilité résidentielle en France n'est globalement pas très élevée avec un taux de 12 %. Seulement 1 Français sur 8 change de lieu d'habitation chaque année. La moitié de ces déménagements a d'ailleurs lieu dans la même commune. La mobilité résidentielle entre régions n'est que de 1 %.

Si les paramètres de l'attractivité résidentielle sont nombreux et leur poids dans les choix des ménages toujours sujets à débats, il est un élément objectif qui permet de la mesurer : le solde migratoire intérieur. Un rapport de l'Observatoire des territoires publié en 201822(*) soulignait le contraste entre un Nord-Est qui perd des habitants et un Sud-Ouest qui attire. Ce phénomène a pris de l'ampleur au début des années 2000 et se poursuit depuis. Les disparités se sont accrues entre régions. Ainsi l'Île-de-France qui voyait son solde migratoire augmenter sans cesse pendant des décennies, a désormais un solde négatif. Les régions Hauts-de-France et Grand-Est connaissent aussi ce phénomène. À l'inverse, des régions au climat plus ensoleillé accueillent chaque année davantage de « migrants intérieurs » : Bretagne, façade atlantique, pourtour méditerranéen, avec un bémol pour la Côte-d'Azur, dont l'attractivité semble désormais se tasser.

À une échelle plus locale, les mobilités résidentielles constituent un bon marqueur d'attractivité différenciée des territoires. Sans doute la crise Covid de 2020 a en partie rebattu les cartes, au profit des villes petites et moyennes, qui bénéficient d'un environnement plus agréable que les grandes agglomérations. Le besoin de tranquillité et d'amélioration du cadre de vie constituait déjà un moteur puissant de la périurbanisation. Le développement du télétravail pourrait désormais favoriser une déconnexion encore plus forte des lieux de vie et des lieux d'activité économique.

Dans les zones urbaines, les QPV sont marqués par une attractivité particulièrement faible et qui a peu progressé en une décennie, comme l'a souligné la Cour des Comptes dans un rapport de 201823(*) et ce, malgré la mise en oeuvre des dispositifs de la politique de la ville, en particulier la politique de rénovation urbaine qui a pourtant spectaculairement transformé le bâti dans de nombreux quartiers. Le solde migratoire négatif dans les QPV constitue le symptôme de ce déficit d'attractivité. Au mieux, comme le soulignent certains spécialistes, la politique de la ville a contribué à réduire le déficit d'attractivité des QPV par rapport à leur aire urbaine d'appartenance24(*).

À côté des migrations internes, les prix de l'immobilier résidentiel à la location ou à la vente sont un autre indicateur de l'attractivité des territoires. Si depuis 1998, les prix ont connu une hausse importante bien supérieure à celle des revenus des ménages (avec une multiplication entre 2 et 3 selon les régions), cette hausse n'est pas homogène et des biens similaires en surface peuvent connaître des valorisations variant du simple au quintuple, voire davantage. À l'intérieur des agglomérations, de fortes disparités subsistent et permettent de dresser une sorte de « carte » des communes ou quartiers les plus attractifs. Si cette carte est relativement stable dans le temps, elle n'est pas totalement figée et connaît des évolutions par effets de proximité, par exemple, les quartiers de l'Est parisien ont vu leur attractivité augmenter, cela se traduisant par une hausse des prix et un rattrapage de ceux-ci par rapport aux quartiers voisins du Sud et de l'Ouest de la capitale.

La place des services publics dans l'attractivité des territoires constitue un sujet tout à fait central. Si des facteurs climatiques ou économiques ont une influence certaine, l'existence et la qualité des services éducatifs, de santé, de sécurité publique, de mobilité ou encore l'existence d'équipements sportifs ou culturels constituent des critères essentiels aux yeux des habitants. À l'inverse, la disparition des services publics entretient le déclin de l'attractivité de certains territoires.

(2) La France en mille morceaux : doit-on parler d'archipel français ?

Au-delà des écarts d'attractivité entre territoires, la France est marquée par une différenciation des modes de vie selon les territoires. C'est en tout cas la thèse de l'essayiste Jérôme Fourquet dans son ouvrage « L'archipel français » paru en 2019 et dans l'ouvrage rédigé avec Jean-Laurent Cassely intitulé « La France sous nos yeux », paru fin 2021.

Le premier ouvrage constate une montée du séparatisme social qui a des traductions territoriales concrètes : les personnes bénéficiant du capital culturel le plus élevé, qui représentent de 15 à 20 % de la population, vivent massivement dans des territoires bien déterminés, essentiellement les coeurs d'agglomérations.

Le deuxième ouvrage va plus loin dans l'analyse. Il souligne les effets délétères de la désindustrialisation sur un grand nombre de territoires qui ont eu plus ou moins de difficultés à trouver de nouvelles sources de dynamisme local, en particulier lorsqu'ils n'avaient pas d'atouts touristiques. Il insiste sur la mise en place d'une nouvelle « hiérarchie des territoires » avec d'un côté les territoires qualifiés de « triple A », attractifs et « instagrammables », y compris dans les espaces ruraux bien connectés aux réseaux de communication (fibre, réseau routier, gare TGV à proximité), et d'un autre côté des territoires relégués, comme les banlieues paupérisées.

Alors que les modes de vie des différentes classes sociales avaient tendance depuis plusieurs décennies à converger, ils divergent désormais par le haut comme par le bas. Cette différenciation des habitudes de consommation ou des référentiels culturels trouve une traduction territoriale qui se concrétise dans les votes ou qui est apparue dans la géographie des manifestations des gilets jaunes, mouvements très actifs dans les espaces périurbains.

On aurait pu penser que l'individualisation de notre société, phénomène incontestable, aurait conduit à une forme de « dé-territorialisation », de désaffiliation aux espaces locaux. Il n'en est rien. En réalité, une nouvelle carte de France se dessine, avec de plus forts contrastes dans les niveaux de vie ou les préférences collectives, due à la concentration géographique de catégories de population homogènes.

Plus que les inégalités territoriales, c'est le spectre d'un séparatisme territorial qui se dessine si des politiques vigoureuses d'aménagement du territoire ne sont pas remises au goût du jour.

B. L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, UN RÊVE ÉVANOUI ?

1. L'abandon progressif d'un aménagement national du territoire au profit de projets locaux
a) L'aménagement du territoire, un projet politique

Organiser le territoire, y installer des équipements, des infrastructures qui favorisent le développement de toute une série d'activités, d'abord militaires puis économiques, est aussi ancien que la civilisation. Les voies romaines répondaient à l'enjeu d'améliorer les liaisons entre les différentes provinces de l'Empire, d'y déplacer des légions, mais aussi des marchandises. Il s'agit pour un pouvoir politique de ne pas laisser la société s'auto-organiser totalement, mais d'orienter les choix pour répondre à des buts qu'il s'est fixés.

En France, si le concept d'aménagement du territoire a émergé après la Seconde Guerre mondiale, pour faire face aux besoins de la reconstruction dans un contexte de forte croissance démographique et de modernisation des structures économiques du pays, la pratique était bien plus ancienne. Dès Louis XIV, des programmes de grands travaux sont entrepris pour remodeler l'espace. Le canal du Midi est achevé en 1681 et l'aménagement de canaux se poursuivra et s'étendra au 19e siècle. Les chemins de fer ont certes été d'abord financés sur fonds privés, mais les tracés ont été établis sous l'égide de la puissance publique, qui à partir de 1823 avec la ligne Saint-Étienne-Andrézieux, accorde des concessions et organise le réseau.

Selon l'expression du géographe Xavier Desjardins25(*), la période 1945-1975 constitue « l'âge d'or de l'aménagement national du territoire ». À l'instar des autres pays d'Europe de l'Ouest, ravagés par la guerre, la France se donne pour ambition de mieux répartir les hommes et les activités économiques, en tenant compte de la disponibilité des ressources, en particulier les ressources minières, mais aussi en cherchant à corriger les disparités régionales. Le pays se dote d'un plan national d'aménagement du territoire en 1950, d'une délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (Datar) en 1963, et de grands plans régionaux ou territoriaux : plan Racine pour l'aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon, plan d'aménagement de villes nouvelles.

Toujours selon l'expression de Xavier Desjardins, l'aménagement du territoire se définit comme « une action collective et volontaire qui vise, par le moyen d'une transformation de l'organisation spatiale et temporelle de la société, à répondre à des objectifs politiques ». Les politiques menées s'inscrivent dans un objectif général de modernisation du pays, mais aussi de rééquilibrage territorial afin d'éviter la congestion de la région parisienne et le sous-développement de certains territoires de province. La Datar fait ainsi émerger dès le milieu des années 1960 le concept de « métropoles d'équilibre » et encourage les délocalisations d'entreprises comme celles de l'aérospatiale vers le Sud-Ouest ou de l'électronique dans l'Ouest. Cette volonté politique a permis incontestablement de favoriser le développement industriel dans des régions peu dotées en ressources minières. Il s'agit de tenir la promesse républicaine d'égalité en ne laissant pas s'installer des disparités entre territoires qui pourraient aboutir à des fractures économiques, sociales, voire politiques.

La politique d'aménagement national du territoire s'appuie sur des investissements massifs dans toute une série d'infrastructures. Les autoroutes accompagnent l'essor de l'automobile : un premier tronçon s'ouvre entre Lille et Carvin en 1951 ; la loi de 1955 autorise à mettre en place des péages et à utiliser le régime des concessions. La première autoroute à péage Esterel-Côte d'Azur est ouverte en 1961. Fin 1980, la France compte plus de 4 000 kilomètres d'autoroutes. Les chemins de fer sont également modernisés. La construction d'un réseau de lignes à grande vitesse (LGV) à partir des années 1970 est le dernier exemple de politique volontariste d'équipement de notre pays en infrastructures de transport.

L'aménagement du territoire consiste aussi à se doter entre 1950 et 1980 de grands barrages sur les différents cours d'eau du pays (Serre-Ponçon, Sainte-Croix, Mont-Cenis, Vouglans, Grangent, Monteynard-Avignonet ...) puis, dans les années 1970, à lancer la construction de réacteurs nucléaires pour atteindre un haut degré d'autonomie énergétique, au moins sur l'électricité. En matière de services, la politique de développement des universités ou de construction de centres hospitaliers universitaires (CHU) s'est elle aussi inscrite en réponse à l'impératif de modernisation et de répartition des outils de la modernité dans les différentes régions de France.

b) La politique nationale d'aménagement du territoire remise en question

Mais le rôle de l'État dans l'aménagement volontariste de la France a été remis en cause dès les années 1970 par la crise économique qui a mis fin à la logique de développement industriel rapide du pays. Il ne s'agissait alors plus de définir des territoires capables d'accueillir de nouvelles activités mais d'accompagner le déclin industriel et d'organiser la reconversion de régions passant rapidement de la prospérité et de la croissance au chômage et à l'abandon. La logique offensive des conquérants du territoire était remplacée par une logique défensive visant à sauver ce qui pouvait l'être, en basculant vers de nouvelles activités, en particulier dans les services.

L'aménagement du territoire, tel que pratiqué à l'ère gaullienne et post-gaullienne a aussi dû se confronter à une critique « libérale » pointant la dérive des dépenses publiques qu'impliquent de grands investissements ou encore le maintien de territoires sous perfusion économique. L'action volontariste de l'État ne paraît pas réellement en mesure de corriger les déséquilibres, d'enrayer le déclin des régions industrielles ou celui du monde rural. Cette action ne serait même pas souhaitable, car elle empêcherait les territoires de prendre en main leur propre développement.

Une autre critique interroge la légitimité des choix d'aménagement faits par l'État. Pourquoi privilégier tel ou tel territoire quand chacun connaît des difficultés spécifiques à gérer ? L'échelon de décision pertinent ne serait-il pas l'échelon local ? Par ailleurs, les dégâts sur l'environnement produits par des investissements lourds en infrastructures routières ou énergétiques commencent à susciter des contestations dès les années 1970.

Certains instruments de l'aménagement du territoire ne paraissent en outre pas très efficaces : ainsi l'installation en province d'administrations publiques ne suscite pas toujours d'effet massif sur l'attractivité des villes concernées. Les aides et soutiens apportés peuvent créer des effets d'aubaine, et par ailleurs, rester insuffisants pour corriger des déséquilibres territoriaux profonds. L'État n'ayant plus les moyens d'investir massivement, l'aménagement national du territoire semble condamné à être impuissant.

c) De l'aménagement global à l'aménagement local

Alors que la mondialisation a affaibli la capacité de l'État à mettre en oeuvre des politiques sectorielles, son rôle central dans la définition des politiques publiques est également remis en question par la décentralisation.

La politique de décentralisation à partir de 1981 modifie profondément l'approche du développement des territoires. La région, désormais collectivité territoriale de plein exercice, devient un acteur de premier plan des politiques d'aménagement. À travers les contrats de plan État-région (CPER) voulus par Michel Rocard et qui se mettent en place à partir de 1984, c'est une nouvelle approche partenariale qui remplace la planification verticale.

Le développement local découle de l'idée que les populations locales et leurs représentants élus savent mieux que les experts parisiens ce qui est bon pour eux. L'État est appelé à être un accompagnateur financier et un facilitateur des projets locaux, mais en aucun cas un prescripteur des stratégies des territoires. Il lui est demandé de lever des contraintes et de faire confiance à l'agilité des acteurs de terrain.

Cette nouvelle approche se heurte toutefois à quelques obstacles dont il convient d'avoir conscience. D'abord, les territoires restent inégaux en termes de ressources humaines, de ressources financières ou encore d'équipements publics et d'infrastructures. Il serait ainsi inéquitable pour l'État de traiter de la même manière des territoires aussi inégaux. Son action correctrice reste donc légitime et appelée à la rescousse.

Ensuite, la multiplication des acteurs complexifie énormément l'action publique et peut ralentir les projets, voire en décourager les porteurs.

Enfin, une sorte de jeu non coopératif peut s'instaurer entre territoires se faisant concurrence et cultivant un « égoïsme territorial » qui nuit à l'équilibre général des politiques publiques.

Pour autant, on imagine mal une remise en cause d'un aménagement du territoire reposant avant tout sur les acteurs territoriaux, qui en ont la légitimité politique conférée par l'élection. Dans un ouvrage publié en 2019 intitulé « La France des territoires, défis et promesse », Pierre Veltz souligne que la révolution numérique constitue une opportunité nouvelle pour les territoires, réduisant le déterminisme géographique. Le jeu entre régions devient très ouvert et les spécialisations moins nécessaires. Si les inégalités risquent de se développer, c'est moins entre les régions qu'au sein d'un même espace géographique, et particulièrement au sein de métropoles connaissant une forte ségrégation spatiale entre les « beaux quartiers » et quelques banlieues. En réalité, par l'aménagement local du territoire, tous ont la possibilité de se dessiner un avenir et de choisir leur stratégie, en s'appuyant sur les atouts, réels, dont ils disposent. La relocalisation d'entreprises industrielles dans plusieurs régions de France depuis la crise de 2008 démontre que la fatalité n'est pas de mise.

2. Peut-on encore aménager le territoire ?
a) La question centrale des services publics

Les Français sont très attachés à la notion de service public. En même temps, ils sont inquiets de l'avenir de ceux-ci sur les territoires, instruits par plusieurs décennies de restructurations et réorganisations qui ont laissé l'impression d'une réduction des implantations locales.

Ce n'est d'ailleurs pas qu'une impression : alors qu'on comptait 17 000 bureaux de poste en 1990, au moment de la réforme des PTT, le réseau postal s'est transformé. S'il compte toujours 17 000 « points de contact », à peine plus de 7 500 d'entre eux sont des bureaux de poste, les autres implantations étant des points de contact partenariaux. Un rapport d'information des sénateurs Patrick Chaize, Pierre Louault et Rémi Cardon publié en mars 2021, appelant à une Poste « partout et pour tous », notait que « la tendance est à la diminution du nombre de bureaux de poste et à la hausse du nombre de points de contact partenariaux »26(*). Territoires ruraux, banlieues, petites villes, sont particulièrement touchés par la contraction du réseau postal.

Dans le domaine de la santé, l'organisation territoriale des services publics est également une forte préoccupation de nos concitoyens. Les établissements de santé n'ont cessé de se regrouper et de concentrer leurs sites depuis les années 1970. Ce mouvement ne répond pas uniquement à une logique de rationalisation des coûts, mais aussi et surtout à l'objectif d'amélioration de la qualité technique et de sécurité des soins. Les petites maternités ou les petits blocs opératoires sont appelés à fermer. On considère en effet que la réalisation d'actes de soins n'est sûre que si les professionnels en pratiquent un nombre minimal chaque année (par exemple, plus de 300 accouchements pour les maternités).

L'offre médicale de ville est en outre très inégalement répartie, au détriment de la banlieue parisienne et de nombre de régions plutôt rurales. Le libre choix d'installation des médecins libéraux conduit à des déséquilibres territoriaux que ne parviennent pas à enrayer les politiques incitatives (primes d'installation) ou encore le développement d'initiatives innovantes (maisons médicales). Notons qu'en Allemagne, l'installation est interdite à tout nouveau praticien dans les circonscriptions où la densité médicale est supérieure de 10 % à la moyenne.

D'une manière générale, l'impression d'une réduction de la présence physique des services publics sur les territoires suscite un sentiment d'abandon exprimé dans les territoires ruraux, mais aussi dans les banlieues ou dans les petites villes. La dématérialisation des procédures modernise incontestablement l'accès aux services publics. Mais elle peut mettre en difficulté celles et ceux qui ne sont pas à l'aise avec le numérique et qui continuent à avoir besoin d'un interlocuteur, soit encore selon l'INSEE un sixième de la population27(*). Le rapport d'activité 2022 de la Défenseure des Droits, Claire Hédon28(*) pointe ainsi la disparition des guichets, corollaire de la dématérialisation, entraînant le renoncement de nombre de citoyens à leurs droits.

Le maintien d'un maillage serré de services publics constitue donc un axe central de l'aménagement du territoire et un facteur d'attractivité incontournable.

b) La question du raccordement aux réseaux de transport et de communication

L'aménagement du territoire consiste à implanter des activités localement, notamment des services publics, mais aussi à assurer la liaison des territoires entre eux, à assurer leur raccordement le plus fluide possible avec l'extérieur, pour favoriser la circulation des hommes ou des marchandises et susciter l'intérêt des habitants ou des entreprises.

Au-delà du réseau routier et autoroutier évoqué plus haut correspondant à l'époque des trente glorieuses et du tout voiture, la France a produit des efforts importants de maillage en transports collectifs, à l'échelle nationale avec les LGV, mais aussi à l'échelle des agglomérations avec la construction de réseaux de métro (Marseille en 1977, Lyon en 1978, Lille en 1983, Toulouse en 1993, Rennes en 2002), de tramways (Nantes en 1985, Grenoble en 1987, Strasbourg en 1994, Montpellier et Orléans en 2000, Bordeaux en 2003 ou encore Nice en 2007) ou de bus à haut niveau de service (BHNS) sur voies dédiées.

Le basculement des déplacements automobiles vers les transports collectifs ou les modes doux comme le vélo est encore très incomplet, la voiture représentant encore les trois quarts des déplacements domicile-travail, contre seulement 16 % pour les transports collectifs et 8 % pour la marche et le vélo. Mais la construction d'infrastructures de transport collectif constitue un facteur de développement du territoire en même temps qu'un instrument pour décarboner et moderniser les mobilités.

Pour autant, les investissements effectués ne sont pas sans effets pervers. Le raccordement d'une ville à une LGV la rend plus attractive et offre des opportunités. La LGV Ouest a ainsi favorisé la connexion à Paris de villes comme Le Mans ou Tours. Mais cette attractivité peut être au détriment d'autres villes à l'échelle de la même région. La priorité à l'investissement dans les LGV a par ailleurs conduit à sous-investir dans les transports régionaux et à privilégier de grandes dorsales au détriment du maillage fin en transports collectifs. Il y a déjà dix ans, le rapport du député Philippe Duron29(*) préconisait de rééquilibrer les investissements en faveur des lignes de transport express régional (TER) et des trains d'équilibre du territoire (TET, appelés aussi Intercités).

À l'échelon des agglomérations, le développement des modes lourds (métro et tramways) consomme énormément de ressources financières et ne dessert que les zones denses. Il s'accompagne presque toujours d'une réduction des moyens de circulation et de stationnement automobile, avec la perspective d'une quasi-interdiction de rouler au sein des zones à faibles émissions (ZFE). Là encore, le transport collectif, qui reste un progrès, peut être vu comme pénalisant pour les habitants des périphéries qui sont amenés à financer les investissements portés par les collectivités sans vraiment en bénéficier et subissent les effets pervers des aménagements.

À l'ère de la dématérialisation, la connexion des territoires au monde passe aussi par les réseaux numériques. La France s'est dotée au début des années 2000 d'outils visant à favoriser une couverture complète du territoire, tant en téléphonie mobile (3G, puis 4G puis 5G désormais) qu'en accès à Internet avec des débits suffisants. Les « zones blanches » non couvertes par des réseaux mobiles sont désormais résiduelles. Le déploiement de la fibre optique progresse aussi, avec l'objectif à terme de remplacer les réseaux téléphoniques sur la boucle cuivre à l'horizon 2030. Mais cette ambition de couverture numérique se heurte à des problèmes techniques et organisationnels, en particulier pour le déploiement du très haut débit (THD), et au risque de sous-investissement des opérateurs sur des secteurs ruraux jugés moins rentables. Le numérique étant de plus en plus indispensable à la vie quotidienne, la préservation d'un aménagement du territoire équilibré ne laissant personne sur le bord du chemin devra donc passer par une grande vigilance à chaque nouvelle marche technologique.

c) La légitimité de la notion même d'aménagement remise en cause

Si la construction d'infrastructures a contribué à moderniser le pays, il y a aussi eu des ratés : dans l'organisation de l'armature urbaine, les grands ensembles ont très mal vieilli. La pollution générée par les axes routiers interpelle également. La prise de conscience environnementale conduit plus largement à s'interroger sur les impacts négatifs des grands travaux. La loi de 1976 relative à la protection de la nature avait introduit l'idée que tout projet devait faire l'objet d'une évaluation de ses effets sur l'environnement à travers des études d'impact. La méthodologie de ces études repose sur la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC). Les compensations se font plus exigeantes : on n'accepte plus qu'elles ne soient que formelles et finalement virtuelles. Les exigences se sont aussi renforcées pour d'abord éviter ou réduire les impacts négatifs des projets. L'utilité publique des projets doit mettre en balance un écheveau de plus en plus complexe de paramètres et les gains économiques et sociaux des aménagements sont de plus en plus questionnés au regard des désagréments pour la biodiversité, mais aussi pour la vie sociale ou pour les collectivités voisines.

En réalité, les grands projets sont remis en cause dans leur essence même : contraindre la nature est vu comme forcément inacceptable. Comme l'indique Xavier Desjardins dans son ouvrage précité : « le débat ne porte pas sur des options techniques, mais sur un affrontement de valeurs ». Dans ces conditions, les processus de concertation publique, qui visaient précisément à rapprocher les points de vue, à prendre en compte les intérêts divergents, à faire apparaître des solutions de consensus, ne peuvent plus aboutir. La dérive des coûts observés dans les anciens projets, l'absence de prise en compte de certains risques ou encore la surestimation de leurs avantages notamment en termes d'emploi, viennent à la rescousse des opposants aux projets qui en réalité, par principe, refusent la notion même d'aménagement.

Le projet de construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes près de Nantes est emblématique de ce rejet de la volonté d'aménagement du territoire par la construction de nouvelles infrastructures. Envisagé dès 1974 avec la création d'une zone d'aménagement différé (ZAD), le projet avait été mis en sommeil avec la crise pétrolière avant de réapparaître au début des années 2000. Soutenu par les élus locaux et les milieux économiques, il répondait à un besoin de faire face à l'augmentation du trafic sur l'aéroport Nantes Atlantique, mais aussi au souhait de déplacer le trafic pour limiter les nuisances sonores sur la partie Sud-Ouest de Nantes, beaucoup plus densément peuplée que le bocage du Nord-Ouest autour de Notre-Dame-des-Landes. Malgré un débat public en 2002-2003, une enquête publique en 2008 et un vote des citoyens du département de la Loire-Atlantique à plus de 55 % en 2016, la construction de ce nouvel aéroport a été abandonnée en 2018. Ce projet était devenu l'emblème d'une lutte pour l'environnement, menée localement par des militants occupant le site et l'ayant transformé en « zone à défendre ».

Bien d'autres projets connaissent le même sort : celui de la construction d'un barrage à Sivens sur le Tescou, un affluent du Tarn, a été stoppé en 2015 après une manifestation d'opposants au cours de laquelle un jeune manifestant a trouvé la mort. Sur le fond, aucun compromis n'était possible sur ce projet, les opposants considérant par principe qu'on ne devait pas permettre aux agriculteurs de retenir l'eau pour leurs cultures, mais qu'il leur fallait adapter leur exploitation au changement climatique, seule solution viable à long terme. Les manifestations contre la construction de retenues d'eau destinées à l'irrigation agricole à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres répondent au même mot d'ordre.

Un raisonnement similaire s'applique aux projets routiers : ainsi l'A69 entre Castres et Toulouse est contestée au nom de la lutte contre l'artificialisation des terres et de la protection de la planète, même si un tel aménagement désenclaverait Castres et réduirait le trafic routier de transit constaté actuellement dans les villages situés sur le trajet.

Les conflits d'aménagements changent ainsi de nature. Il ne s'agit plus de négocier des compensations ou de débattre de tracés alternatifs sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP). C'est en réalité l'idée d'aménagement qui est combattue, et la seule issue du conflit est la défaite d'une des deux parties.

Pourra-t-on encore demain faire de l'aménagement du territoire sans être accusé d'aller à rebours de l'histoire ? Réunir localement une majorité d'acteurs ne suffit manifestement pas, ce qui pose un défi redoutable aux porteurs de projet locaux, pourtant légitimes puisque représentants élus des territoires.

C. POUR UNE APPROCHE MULTISCALAIRE

1. L'occupation de l'espace s'appréhende à plusieurs niveaux
a) Les différentes échelles du territoire

Il est possible d'appréhender le territoire de multiples manières. On peut partir de l'échelle la plus fine, celle du quartier, voire des parcelles cadastrales, pour essayer de comprendre l'articulation des fonctions et des activités dans le périmètre proche. Mais on peut aussi analyser l'occupation de l'espace à l'échelle la plus large, par grandes zones, en s'intéressant à la densité de population, à la répartition des habitants et des activités entre pôles régionaux et aux flux de personnes ou de marchandises entre ces espaces. La carte satellite nocturne des points lumineux depuis le ciel s'inscrit dans cette seconde approche et permet de bien distinguer les zones denses, bien éclairées, et celles moins denses, avec très peu de points lumineux.

Mais le local et le global ne sont pas totalement sans lien et réfléchir à la manière dont nous devons organiser l'occupation des sols et l'aménagement du territoire nécessite de faire en permanence l'aller-retour entre les différentes échelles, en se méfiant des effets d'optique.

Les moyennes cachent parfois des disparités qui se manifestent fortement lorsque l'on agrandit la focale : une région dynamique peut ne tenir son dynamisme que de quelques zones, en laissant le reste du territoire à l'écart du mouvement global. À l'inverse, des territoires pauvres ou en déclin peuvent cacher des poches de prospérité. L'échelle que l'on choisit a une forte influence sur nos jugements. La grande diversité de la France oblige à appréhender la question de l'occupation de l'espace en regardant en même temps toutes les échelles territoriales, pour identifier les grandes tendances mais sans passer à côté des spécificités locales dont notre culture centralisatrice a parfois du mal à s'accommoder.

Si l'on veut organiser l'occupation de l'espace, on doit s'intéresser à l'échelon régional, qui constitue un échelon de programmation et de conception des politiques publiques. Mais on doit aussi examiner les conditions concrètes de mise en oeuvre des grandes orientations en allant vers le local, car c'est au plus près du terrain que l'on constate les effets des politiques territoriales.

b) Le rôle déterminant des collectivités territoriales
(1) Plans locaux d'urbanisme (PLU) et Schémas de cohérence territoriale (SCoT)

Organiser l'espace est éminemment une fonction politique, qui relève d'abord et avant tout des pouvoirs locaux. La planification urbaine repose en effet sur les plans locaux d'urbanisme (PLU) prérogative des communes depuis le début des années 1980 ou des EPCI lorsque la compétence leur a été transférée afin d'élaborer des PLU intercommunaux (PLUI). C'est conformément à ces PLU et PLUI que 80 % des permis de construire sont déposés chaque année, car l'essentiel des opérations de construction ne s'inscrit pas dans des opérations d'aménagement d'ensemble. Ces PLU établissent des zones, certaines réservées à l'habitat individuel, d'autres à l'habitat collectif, d'autres aux activités économiques, d'autres encore aux espaces naturels. Ils fixent des normes de hauteur des bâtiments, d'espacement entre eux, obligent à prévoir des stationnements pour les véhicules.

Ces PLU, de plus en plus précis et complets, s'intègrent dans des plans d'ensemble plus larges constitués par les Schémas de cohérence territoriale (SCoT) créés par la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) en 2000, qui constituent un outil de planification stratégique de l'utilisation de l'espace à l'échelle de plusieurs communes, nécessaire compte tenu du morcellement communal important de la France.

L'articulation entre PLU ou PLUI et SCoT est un enjeu de pouvoir : ce dernier peut empêcher ou contraindre des projets locaux, parfois pour de bonnes raisons. Ainsi plutôt que d'implanter des zones d'activités un peu partout le long d'un axe routier, il peut être judicieux de regrouper les implantations sur un seul secteur et d'y faire converger les transports publics. Mais si la commune d'implantation peut en bénéficier en termes de bases fiscales, les autres, privées de possibilité d'accueillir une zone d'activités, même modeste, pourraient rejeter le SCoT. L'occupation de l'espace, à l'échelle locale, doit donc faire l'objet de négociations pour que chacun y retrouve son compte.

L'occupation de l'espace est réglementée par les pouvoirs locaux à travers leurs pouvoirs en matière d'urbanisme. Mais les collectivités locales ont aussi un rôle déterminant à jouer dans les aménagements publics qui organisent l'occupation de l'espace. La voirie, les parcs publics, les bâtiments publics (écoles, gymnases, bureaux) représentent une part très importante de la surface des villes : ainsi, sur un peu plus de 10 500 hectares de surface, la ville de Paris compte près de 2 800 hectares de rues, et environ 2 000 hectares de parcs publics (essentiellement les bois de Vincennes et Boulogne). D'ailleurs l'espace public est en perpétuelle recomposition : des voies sont parfois fermées, mises à sens unique, agrémentées de pistes cyclables ou de trottoirs plus ou moins large. Les collectivités aménagent aussi en fonction des moyens financiers dont elles disposent et de la volonté politique des élus locaux, et l'état des voiries est très disparate d'une commune à une autre.

La manière dont l'échelon local se saisit de la question de l'occupation de l'espace à travers ses interventions directes sur le patrimoine de la collectivité ou par les règles d'urbanisme a une influence très importante sur la physionomie des villes et l'organisation spatiale des différentes fonctions urbaines : habitat, commerce, logistique, équipements.

(2) L'affirmation d'une planification stratégique régionale

L'échelon local est celui de la mise en oeuvre des politiques d'urbanisme, mais il ne saurait être totalement autonome. La loi a ainsi fait de la région un échelon de programmation de l'utilisation de l'espace à travers toute une série de schémas répondant à divers impératifs sectoriels.

L'objectif assigné par la loi30(*) aux Conseils régionaux est ainsi de « promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région, le soutien à l'accès au logement et à l'amélioration de l'habitat, le soutien à la politique de la ville et à la rénovation urbaine et le soutien aux politiques d'éducation et l'aménagement et l'égalité de ses territoires [...], dans le respect de l'intégrité, de l'autonomie et des attributions des départements et des communes ».

Les Schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), le Schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF), le Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) et les Schémas d'aménagement régional (SAR) outre-mer constituent les instruments de cette programmation. Les objectifs qu'ils contiennent s'imposent aux documents locaux d'urbanisme mais de manière assez souple : ces derniers doivent seulement être compatibles avec les règles régionales. Une certaine place est donc laissée à la subsidiarité.

La planification régionale a autant d'intérêt dans son aboutissement - la rédaction d'un document-cadre - que dans son processus d'élaboration, qui cherche à faire collaborer une multitude d'acteurs, économiques (chambres de commerce et d'industrie, chambres d'agriculture), institutionnels (collectivités territoriales de rang infra-régional) ou encore de la société civile. En effet, les SRADDET doivent partir d'une vision commune du territoire régional, dresser des perspectives validées par le vote du Conseil régional et fixer un cap tant aux investisseurs privés qu'aux acteurs publics. C'est un véritable travail de prospective qui est demandé aux régions.

La loi impose aux régions de poursuivre à travers les SRADDET des buts d'intérêt général : le désenclavement des territoires ruraux, une politique de l'habitat répondant aux besoins de la population actuelle et future, une gestion économe de l'espace, la gestion des déchets, la préservation de la biodiversité, la lutte contre le changement climatique. Depuis la loi Notre du 7 août 2015, le SRADDET intègre les différents schémas régionaux thématiques qui préexistaient : schéma régional de cohérence écologique (SRCE), schéma régional climat air énergie (SRCAE), schéma régional des infrastructures de transport (SRIT), etc.

L'échelon régional s'est imposé comme celui de la structuration d'un très grand nombre de politiques publiques, dont la mise en oeuvre dans les différentes parties du territoire régional est coordonnée par un document de programmation pluriannuel qui n'a pas qu'une portée indicative, mais s'impose aux documents d'urbanisme locaux.

Ainsi, en matière de transports, le SRADDET prévoit la création des pôles d'échanges multimodaux et doit assurer la cohérence des plans de mobilité existants sur la région. Le SRADDET fixe les objectifs en matière de développement et de localisation des constructions logistiques. Il fixe aussi des objectifs en matière d'habitat et définit les mesures d'accompagnement qui seront nécessaires pour les atteindre. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'un document figé puisqu'il peut être révisé pour intégrer de nouveaux objectifs ou répondre à des enjeux émergents.

2. La maille régionale
a) Les défis à l'échelle régionale

Dans les représentations comme dans les faits, l'échelle régionale est apparue comme la maille pertinente pour répondre à toute une série de défis touchant à l'équilibre des territoires, le développement économique ou encore l'environnement.

C'est en effet à l'échelle régionale que doivent se réfléchir les relations entre les villes de différente taille qui composent le territoire. C'est aussi à l'échelle régionale que se conçoivent les questions d'équilibre entre ville et campagne, ou encore la gestion des espaces littoraux, la préservation de la nature. C'est enfin à l'échelle régionale que l'on peut concevoir les réseaux de transport ou encore les équipements structurants assurant l'interface avec le monde extérieur : aéroports, ports maritimes, plateformes logistiques.

Le modèle allemand des Länder joue un rôle important dans l'imaginaire français. Dotés de pouvoirs étendus et d'une autonomie forte, les 16 Länder sont un pilier du développement économique des territoires et de la construction et la gestion d'infrastructures publiques. Sans aller jusqu'au modèle fédéral allemand, la France, État unitaire, a cependant voulu donner plus de poids aux régions, échelon intermédiaire entre un État vu comme trop lointain et des collectivités de proximité - commune ou département - de trop petite taille pour disposer de réels moyens d'agir.

La recherche de la taille critique s'est concrétisée par le regroupement des régions opéré par la loi du 16 janvier 2015, faisant passer le nombre des régions métropolitaines de 22 à 13 au 1er janvier 2016, auxquelles s'ajoutent 5 régions outre-mer. Le budget des régions, de l'ordre de 38 milliards d'euros en fonctionnement et en investissement en 2001, peut certes paraître modeste par rapport à la dépense publique totale dans notre pays, qui est de l'ordre de 1 575 milliards d'euros, ainsi que par rapport à la dépense publique locale dont elle ne représente que 15 % (141 milliards d'euros pour le bloc communal et 73 milliards d'euros pour les départements)31(*), mais cela s'explique : elles ne supportent des dépenses opérationnelles du quotidien que dans des domaines précis : subventions aux services de transport, entretien des lycées ou encore financement de la formation professionnelle. En réalité, le rôle des régions est d'expertiser, de concevoir les projets et de soutenir par des aides à l'investissement les initiatives publiques et privées sur leur territoire.

À l'appui de la volonté de donner aux régions une taille critique afin d'orienter le développement régional, trône l'idée que les métropoles régionales peuvent jouer un rôle de locomotive, entraînant leur voisinage immédiat dans leur sillage. Le modèle est souple, puisque certaines régions sont multipolaires - par exemple la région Occitanie avec les pôles attractifs de Toulouse et de Montpellier, ou encore la région Centre-Val-de-Loire, inchangée dans son périmètre avant et après 2016, avec les pôles d'Orléans et de Tours. Il n'en reste pas moins que le pari des grandes régions est le jumeau du pari des métropoles et que l'objectif poursuivi est de susciter un élan dont bénéficierait l'ensemble du territoire régional.

Les défis à l'échelon régional sont immenses. À ce stade, deux d'entre eux doivent faire l'objet d'une analyse approfondie : le sentiment d'abandon du monde rural et le déclin des villes moyennes.

b) Le rural face au risque de délaissement

Dans une France très majoritairement urbaine - les habitants des communes rurales ne représentent plus qu'environ 20 % de nos concitoyens - le monde rural ressent une forme de relégation, voire d'abandon. Dans un sondage de 2018 pour Familles rurales, 51 % des ruraux estiment le monde rural « abandonné » et 57 % des sondés déclarent que leur commune ne bénéficie pas de l'action des pouvoirs publics32(*).

Le déclassement de la France rurale repose sur une longue histoire de déclin de l'agriculture et d'exode rural. Alors que le secteur agricole, employait 4 millions de personnes en 1960, il en occupe moins de 1 million aujourd'hui. Le vieillissement du monde rural ainsi que la stagnation, voire la baisse démographique de nombreux villages, ne peuvent pas non plus être niés. Par ailleurs, à la campagne, les crises économiques peuvent avoir des effets beaucoup plus sévères sur les habitants qui bénéficient de moins d'opportunités de trouver des alternatives que dans les villes où le tissu économique est plus dense et plus varié.

Poser un regard lucide et objectif sur la ruralité conduit cependant à sortir de l'image d'Épinal un peu misérabiliste qui lui colle à la peau. L'habitat très dégradé des années 1960 est peu à peu rénové ou remplacé par des constructions plus confortables. Les exploitations agricoles elles-mêmes se sont fortement modernisées, les agriculteurs investissant massivement dans des équipements et des bâtiments adaptés. Eux-mêmes sont désormais mieux formés et ont modifié leurs modes de production pour aller vers plus d'efficacité. La « ferme France » est globalement performante.

Surtout, le monde rural n'est pas homogène. Il y a une multitude de ruralités et une nouvelle attractivité des villages ruraux qui changent la donne. Le « rural isolé » ne représente pas le monde rural dans son ensemble. En réalité, nombre de territoires ruraux sont connectés aux villes. Ils en forment une sorte de périphérie éloignée. Les habitants des territoires ruraux peuvent y aller quotidiennement pour travailler, étudier, y utiliser les services de santé ou tout simplement aller y faire les courses. Une écrasante majorité de la population active qui réside en milieu rural n'a pas d'activité agricole. S'ajoute le fait que le monde rural accueille désormais aussi d'anciens citadins, qui y trouvent un cadre de vie plus en adéquation avec leurs attentes.

La ruralité s'avère en effet attractive par la proximité avec la nature mais aussi souvent par sa richesse patrimoniale et paysagère. Le tourisme rural, souvent associé à la gastronomie et aux produits de terroir, a ainsi pris son essor et représente aujourd'hui près d'un tiers des nuitées totales.

Ces nouvelles tendances dressent des perspectives positives pour les campagnes françaises en termes démographique et économique, même si toutes ne seront pas logées à la même enseigne. Selon le journaliste Vincent Grimault, le monde rural sous-estime son potentiel33(*).

Le rôle des régions est précisément d'aider les territoires ruraux à exprimer leur potentiel. Le défi est d'abord de maintenir des services à la population, quitte à innover. Les bus France Service ou les services itinérants mis en place par les grandes collectivités contribuent ainsi à faire venir les services publics dans des territoires où il n'existe pas d'accueil physique. Le soutien aux initiatives locales, lorsqu'elles existent, est également précieux, par exemple en matière de mobilités lorsque des associations mettent en place des services de transport solidaire. Plus largement, l'équilibre entre l'urbain et le rural nécessite d'assurer la connexion des villages ruraux au territoire avoisinant, en matière de transports ou encore de numérique, et finalement de lutter contre l'enclavement, qui est le phénomène générateur de la relégation territoriale.

c) Les villes moyennes et les petites villes face au risque de dévitalisation

Après la connexion du rural et de l'urbain, l'autre défi à relever au niveau régional consiste à maintenir ou restaurer la vitalité de l'armature des petites villes et villes moyennes.

Les petites villes sont celles entre 5 000 et 20 000 habitants, tandis que l'on classe comme villes moyennes celles qui ont plus de 20 000 habitants et qui n'appartiennent pas à un pôle métropolitain. Elles ont bénéficié d'un dynamisme démographique fort provenant des campagnes environnantes dans les années 1960. Les villes moyennes représentent environ 35 % de la population et 30 % de l'emploi, ces chiffres ayant peu évolué depuis 50 ans.

Ces villes jouent un rôle pivot dans les systèmes territoriaux en termes d'équipements et de services et accueillent des tribunaux, des antennes d'établissements d'enseignement supérieur ou de grands équipements sportifs et culturels. Elles sont souvent des petites préfectures ou des sous-préfectures. Or, elles subissent les effets de bord de la métropolisation. Trop petites pour accueillir des centres de décision nationaux ou encore des formations universitaires diversifiées, elles sont exposées au risque de dévitalisation.

Les symptômes de cette dévitalisation sont multiples : vieillissement de la population, nombreux commerces fermés - le taux de vacance commerciale dans les villes petites et moyennes serait passé de 8 à 12 % en quelques années - et habitat dégradé dans le centre-ville, où logent des populations précarisées, ceux qui en ont les moyens préférant habiter des pavillons avec jardins en périphérie.

Comme dans le monde rural, les habitants des petites villes et villes moyennes nourrissent le sentiment d'être abandonnés des pouvoirs publics et victimes de décisions politiques nationales « déconnectées » des réalités de terrain. Le mouvement des gilets jaunes de l'hiver 2018-2019 a été particulièrement vivace dans ces territoires fortement impactés par la hausse du prix des carburants, où la dépendance à la voiture reste massive pour tous les déplacements du quotidien.

Pourtant, la crise du Covid-19 de 2020 a montré les atouts des petites villes et des villes moyennes. À taille humaine, bien connectées à la nature environnante, permettant de se loger dans de bien meilleures conditions que dans des appartements exigus et chers des grands centres urbains, elles sont désormais considérées comme bien plus attractives que les grandes métropoles.

L'État accompagne les acteurs locaux pour lutter contre la dévitalisation des petites villes et des villes moyennes à travers deux programmes portés par l'ANCT : Action coeur de ville (ACV)34(*), lancé en 2018, qui a sélectionné environ 230 communes lauréates devant bénéficier sur 5 ans de 5 milliards d'euros de crédits supplémentaires et Petites villes de demain (PVD)35(*) lancé en 2021, qui concerne un peu plus de 1 600 communes de moins de 20 000 habitants. Ces programmes visent à aider à l'implantation de commerces de centre-ville, à mobiliser les moyens de l'Agence nationale d'amélioration de l'habitat (ANAH) pour réhabiliter les immeubles d'habitation, à favoriser la maîtrise foncière publique d'ilots dégradés pour les requalifier, ou encore à reconquérir des friches industrielles ou commerciales.

L'enjeu est en effet d'innover pour permettre aux petites villes et aux villes moyennes de répondre aux attentes des habitants et des acteurs économiques du territoire, quand bien même elles ne bénéficient pas de l'effet de taille des métropoles, en mobilisant toute une palette d'outils et en s'appuyant sur une ingénierie territoriale renforcée36(*).

Il serait cependant erroné de considérer que les petites villes et les villes moyennes sont toutes confrontées aux mêmes problématiques de dévitalisation, ou du moins à la même intensité de difficultés. Ainsi, deux notes d'analyse de France Stratégie publiées début 202237(*) et portant sur un panel de 202 villes moyennes dressent un panorama contrasté de leurs trajectoires. En se fondant sur trois indicateurs (démographie, emploi et prix de l'immobilier), les travaux de France Stratégie identifient quatre catégories de villes moyennes :

• 42 % sont classées comme villes dynamiques : littoral atlantique, pourtour méditerranéen, vallée du Rhône, zone frontalière avec la Suisse ;

• 27 % d'entre elles suivent une trajectoire démographique, économique et d'attractivité comparable aux tendances nationales : elles sont disséminées un peu partout sur le territoire (Quimper, Saint-Brieuc, Belfort, Reims, Le-Puy-en-Velay, Moulins) ;

• 16 % sont des villes « en retrait », essentiellement dans le Centre et le quart Nord-Est ;

• enfin, 14 % sont considérées comme des villes atypiques aux profils contrastés. Elles se situent en Normandie, au Nord et dans l'Est.

La crise sanitaire a plutôt amplifié les tendances préexistantes. L'étude de France Stratégie montre aussi que les couronnes des villes moyennes sont souvent bien plus dynamiques que leurs pôles urbains, ce qui les distingue de beaucoup de métropoles.

La dévitalisation n'est donc pas une fatalité et il n'y a pas une seule recette pour dynamiser les petites villes et les villes moyennes. Chaque territoire doit avoir sa stratégie propre. Il n'en reste pas moins que l'équilibre du territoire nécessite de mobiliser des soutiens, notamment en matière de financements et d'ingénierie, pour leur assurer une bonne connexion aux métropoles et ne pas donner le sentiment d'un abandon ou d'un dépérissement.

Source : France Stratégie

3. La maille locale : l'échelle de mise en oeuvre des politiques d'urbanisme
a) Échelle de la ville, échelle du vécu

Les grands enjeux d'aménagement et d'équilibre du territoire s'appréhendent certes dans les relations des bassins de vie entre eux, mais la ville au quotidien est « à hauteur d'homme ». C'est d'ailleurs à cette échelle très locale que les déséquilibres et les ratés de l'aménagement urbain apparaissent de manière la plus criante.

L'organisation urbaine au sein des villes répond à la fois à une logique fonctionnelle et à une logique politique ou de prestige. C'est d'ailleurs cette dernière dimension qui a souvent produit les plus beaux bâtiments et les monuments classés. La géographie des catégories sociales s'inscrit ainsi dans la plus ou moins forte proximité avec les lieux de pouvoir. Mais la logique fonctionnelle n'est pas absente et ce sont précisément des considérations pratiques qui conduisent la ville, très tôt dans l'histoire urbaine, à voir apparaître des quartiers spécialisés. Les activités polluantes sont repoussées dans les faubourgs. Les artisans et les marchands se concentrent au même endroit, par métier.

L'organisation de la ville répond ainsi à l'impératif de faciliter la vie quotidienne de ses habitants. Poussée à l'extrême, cette logique a suscité le désir d'architectes et d'urbanistes de créer des « cités idéales ». Chaque époque a décliné le mythe de la Tour de Babel, de l'antique Milet bâtie par Hippodamos aux villes nouvelles du 20siècle inspirées par la Charte d'Athènes. Les travaux de Pienza en Toscane par le pape Pie II au 15siècle, le familistère de Guise dans l'Aisne, inspiré du phalanstère de Charles Fourier ou encore la Cité radieuse du Corbusier à Marseille constituent autant de tentatives d'assurer une répartition harmonieuse des différentes fonctions : habitation, commerce, éducation, loisirs.

Mais la quête de l'organisation urbaine idéale se heurte à la complexité de la réalité, à la topographie des lieux, que l'on ne peut pas toujours rectifier (cours d'eau, collines), ou encore au poids de l'histoire qui imprègne nos villes, sauf à construire à partir de rien. La morphologie urbaine est en effet dépendante du passé. Les tracés des grandes artères de circulation, les emplacements de sites remarquables, notamment religieux, s'imposent aux générations successives d'aménageurs, qui ne peuvent faire table rase que dans des situations exceptionnelles : travaux d'Hausmann à Paris sous Napoléon III ou reconstruction de villes rasées par les bombardements après la Seconde Guerre mondiale (Dunkerque, Saint-Nazaire, Le Havre).

La responsabilité de l'organisation spatiale des villes relève du pouvoir municipal, à travers la mise en oeuvre des pouvoirs d'urbanisme, mais aussi par le levier de la gestion des espaces publics : routes et trottoirs, parcs et jardins publics, mobilier urbain, ou encore à travers la stratégie d'implantation des équipements publics : écoles, gymnases, médiathèques, centres sociaux ... Or, l'une des difficultés de l'exercice résulte du fait que les limites « physiques » des villes ne recoupent pas souvent les limites administratives. Avec l'étalement urbain, une ville déborde presque toujours sur les communes avoisinantes, ce qui plaide en faveur d'un regroupement des compétences d'aménagement urbain au sein des intercommunalités.

Réfléchir à l'utilisation idéale de l'espace dans nos villes doit prendre en compte les attentes des habitants, en partant d'un existant qui a chamboulé le visage des ensembles urbains en plusieurs décennies. La démocratisation de la voiture et la culture automobile ont favorisé un étalement des villes et un éloignement des différentes fonctions, et rend nécessaire la construction de parkings. Le « fait automobile » continue à influencer la manière dont on aménage les villes et on ne peut pas totalement l'ignorer, même quand on cherche à réduire la place de la voiture. Un autre phénomène marquant a été la construction, souvent rapide, de grands ensembles destinés à faire face à la forte croissance démographique des années 1950 et au rapatriement des Français d'Afrique du Nord dans les années 1960. L'intégration à la ville de ces quartiers qualifiés de « populaires » n'est pas un mince défi. Enfin, non sans lien avec les deux premiers phénomènes cités, nos villes ont vu leurs centralités commerciales se déplacer vers la périphérie. Le besoin d'espace pour construire des grandes surfaces et y installer des parkings suffisamment grands pour attirer de nombreux clients s'est traduit par la multiplication des zones commerciales en entrée/sortie de ville.

À l'échelle locale, les maires et présidents d'EPCI sont ainsi confrontés à une série de défis : rénover l'habitat urbain dégradé, réaménager les friches industrielles et commerciales ou encore reconquérir les entrées de ville. Ils peuvent y être aidés par les Conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement (CAUE), présents dans chaque département, qui exercent une mission de service public de conseil auprès des maîtres d'ouvrages publics38(*), comme l'indiquait lors de son audition M. Hubert Courseaux, vice-président de la Fédération nationale des CAUE.

Enfin, la ville ne peut pas être pensée sans analyser les ressources dont elle a besoin pour fonctionner, notamment les matériaux et l'énergie, qui se trouvent souvent hors de la ville. Comme le notait la professeure Sabine Barles lors de son audition, répondre à l'enjeu environnemental au sein des villes passe par la compréhension du métabolisme urbain et la recherche d'économies de ressources, notamment par le recyclage et la réutilisation, et l'organisation des liens de la ville avec son environnement direct, voire lointain.

b) Les quartiers dégradés

Les besoins importants de logements durant les Trente Glorieuses ont conduit l'État à mener une politique de construction massive de logements bon marché sous la forme de grands ensembles (Plan Courant). Ces cités HLM, avec tours ou barres massives, ont fleuri à la place des champs en lisière des agglomérations (La Villeneuve à Grenoble, Les Minguettes à Venissieux, la Muraille de Chine à Clermont-Ferrand, la Cité des 4 000 à La Courneuve ou encore les Lochères à Sarcelles). Entre 1946 et 1975, on est passé d'un peu moins de 500 000 logements sociaux à plus de 3 millions.

Dans un premier temps, ces constructions neuves ont apporté un gain en confort et en espace aux familles qui se logeaient auparavant dans des appartements exigus, vétustes, mal isolés et mal chauffés du centre des grandes villes, quand ce n'était pas dans des cabanes de la zone non aedificandi autour de Paris ou dans des bidonvilles de proche banlieue. Mais assez rapidement, la mauvaise isolation des logements et les insuffisances de leur raccordement aux réseaux de transport collectif ont conduit les populations de cadres et de classes moyennes qui y logeaient initialement à les quitter. En 1973, la politique des grands ensembles est stoppée par la circulaire Guichard. Le modèle des grands ensembles est jugé bien moins attractif que la banlieue pavillonnaire, prisée des cadres et classes moyennes à la fois pour le cadre de vie et pour la possibilité d'accéder à la propriété.

Des populations aux revenus plus faibles et moins bien insérées socialement se concentrent dans les grands ensembles, qui se dégradent objectivement parce que mal entretenus, mais aussi subjectivement en étant associés à tous les maux de la société : racisme, pauvreté, insécurité. Les 751 ZUS labellisées en 1996 dans 200 agglomérations regroupaient alors environ 10 % de la population française, avec un taux de pauvreté beaucoup plus élevé que la moyenne nationale et un taux de chômage bien supérieur.

Pour produire des logements sociaux supplémentaires, dont la population a besoin, mais en évitant la concentration au même endroit de populations précarisées, la stratégie suivie à partir de la loi SRU consiste à obliger les communes urbaines à partir de 3 500 habitants à disposer d'au moins 20 % de logements sociaux, ce taux étant porté à 25 % en 2013 par la loi Duflot. La dissémination du logement social dans le tissu urbain est cependant assez lente.

L'autre volet de la réponse au problème des quartiers dégradés a consisté, à partir de la loi Borloo de 2003, à faire de la rénovation urbaine massive entraînant la destruction d'immeubles et la construction de nouveaux bâtiments, ou la réhabilitation d'immeubles existants. Présenté fin 2022 par l'ANRU, le bilan 2004-2021 du programme national de rénovation urbaine (PNRU) fait état de 48,4 milliards d'euros d'investissements (dont 11,2 milliards de subventions de l'ANRU) pour 164 000 logements démolis et 142 000 reconstruits, et 408 500 logements réhabilités39(*).

Si ces opérations ont souvent radicalement changé le visage des quartiers concernés, elles n'ont cependant pas changé beaucoup leur sociologie. Le rééquilibrage interne des agglomérations ne s'opère pas vraiment. Sans doute faut-il plus de temps encore. L'embellissement des coeurs de ville porté par toutes les municipalités, quelle que soit leur tendance politique, contraste souvent avec les efforts plus modestes réalisés en faveur de « quartiers ». En outre, la ségrégation spatiale liée à la carte scolaire continue à jouer en défaveur des établissements qui en accueillent les enfants. Ces établissements enregistrent systématiquement les plus faibles indices de position sociale (IPS)40(*) et les plus faibles résultats aux évaluations de début de sixième, au brevet des collèges ou au baccalauréat.

La rénovation du bâti n'est qu'une partie de la réponse aux quartiers dégradés des zones urbaines. L'amélioration des transports collectifs constitue un autre levier. Il explique pourquoi le nouveau réseau de métro du Grand Paris Express (GPE) desservira des quartiers qui étaient dépourvus d'une telle offre de transports collectifs.

Mieux connecter les quartiers, y apporter des activités, y maintenir des services publics, rénover le bâti en essayant d'apporter de la mixité sociale : tous ces leviers sont activés en même temps pour répondre au défi de la lutte contre la « ghettoïsation » dans les grands centres urbains, avec des résultats mitigés mais certainement meilleurs que si rien n'était fait.

c) Les entrées de ville saccagées : des franges urbaines à reconquérir

Les faubourgs des villes ont historiquement eu une vocation avant tout résidentielle. Les marchandises étaient amenées dans la ville depuis l'extérieur et les fonctions commerciales réunies sur des places centrales (la halle de marché). Le modèle de la grande distribution a changé la donne. Devenu automobiliste, le citadin se déplace pour faire ses courses. En région parisienne, le premier supermarché avec parking ouvre à Rueil-Malmaison en 1958, puis le premier hypermarché à Sainte-Geneviève-des-Bois en 1963. Dans le Nord, Auchan ouvre son premier magasin à Roubaix dans le quartier des « Hauts-Champs » le 6 juillet 1961.

Les zones commerciales en dehors des villes se sont multipliées, avec toutes sortes de magasins, pas seulement des grandes surfaces alimentaires : habillement, ameublement et décoration, bricolage, restauration rapide et même désormais des activités récréatives (dancing, bowling, karting). Ces zones jouxtent parfois de grands entrepôts logistiques qui assurent le stockage des marchandises.

Malheureusement, ces périphéries urbaines ne font l'objet d'aucun effort architectural. Les constructions y sont rudimentaires, à base de structures en acier et de revêtements en tôle, sous forme de pavés posés au milieu de grands parkings à ciel ouvert. Elles donnent l'impression d'un délaissement paysager et environnemental. Les seuls éléments décoratifs sont les enseignes des commerces et les publicités et panneaux indicateurs le long des routes d'accès. La morphologie de ces entrées de ville est parfois anarchique, en bande le long des grands axes routiers, les commerçants recherchant un « effet-vitrine ».

Le législateur avait imposé aux communes en 1995 (amendement Dupont) une bande inconstructible large autour des routes à grand gabarit, à laquelle il n'était possible de déroger qu'à la condition de mener une réflexion préalable sur la qualité urbaine, paysagère et architecturale dans les documents d'urbanisme. Mais ce dispositif intervenait vraisemblablement un peu trop tard, après l'aménagement des grandes zones commerciales des années 1980 à 2000. L'insuffisance du dispositif législatif imposant une requalification des entrées de ville avait conduit le Sénat à adopter en 2009 une proposition de loi41(*) demandant que les entrées de ville fassent l'objet d'un traitement dans tous les documents d'urbanisme : SCoT mais aussi PLU. Mais le Sénat n'était pas allé jusqu'à imposer une mixité de ces zones, en réservant une part à des bâtiments culturels, universitaires, sportifs ou associatifs ou encore en imposant une proportion d'espaces verts. La proposition de loi n'a d'ailleurs jamais été au-delà de sa première lecture au Sénat.

Le sujet des entrées de ville commence cependant à être traité à travers plusieurs instruments. D'abord, les élus peuvent adopter un règlement local de publicité (RLP) pour lutter contre l'anarchie des panneaux publicitaires. Ensuite, le modèle des centres commerciaux des périphéries urbaines commence à s'essouffler, en partie sous l'effet du commerce électronique. Plutôt que de parler de déclin, les représentants du Conseil national des centres commerciaux (CNCC), lors de leur audition, ont insisté sur les efforts de renouvellement effectués par les gestionnaires des centres, pour moderniser les bâtiments, améliorer les accès autres que routiers, mais aussi pour diversifier l'offre, en misant largement sur les loisirs ou le sport. En tout état de cause, la nouvelle donne commerciale incite à faire des zones d'activités des lieux de vie davantage connectés à la ville et plus soignés, et pas seulement des lieux fonctionnels d'achat et de livraison de marchandise.

Il reste cependant à trouver un modèle économique pour introduire de la mixité dans les zones périphériques aujourd'hui dédiées à la logistique et au commerce. La loi Climat et Résilience ayant quasiment réduit à néant la possibilité de créer de nouvelles surfaces, le foncier commercial risque de devenir de plus en plus cher, rendant difficile la transformation des entrées de ville en y créant du logement ou encore des équipements publics.

II. LA NÉCESSITÉ DE FAIRE FACE À DES ENJEUX MULTIPLES

A. L'ENJEU ENVIRONNEMENTAL IMPOSE DE REPENSER L'OCCUPATION DE L'ESPACE FRANÇAIS

1. Préserver les espaces agricoles, naturels et forestiers
a) La mesure incertaine de l'artificialisation des sols
(1) Une artificialisation qui a fortement progressé

Si l'artificialisation des sols correspond à une réalité vue et vécue sur le territoire et caractérisée par l'extension des aires urbaines, la définition et le comptage du phénomène sont difficiles. L'artificialisation ne se limite pas à la construction de bâtiments, à la macadamisation de voiries ou à la pose de dalles de béton sur le sol. Il existe plusieurs outils et plusieurs méthodes de quantification qui ont chacun leurs limites et font varier les estimations de taux d'artificialisation des sols du simple au double. Les données chiffrées évoquées ci-après seront, sauf exception signalée, celles du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), chargé de piloter l'Observatoire de l'artificialisation des sols42(*).

La France n'est pas le pays européen dont les sols sont les plus artificialisés, devancée largement par les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, où le taux d'artificialisation dépasse les 10 %, mais aussi par l'Allemagne, l'Italie ou encore le Danemark. Pour autant, et malgré la vaste superficie de la France hexagonale, avec environ 3,5 millions d'hectares artificialisés soit 6,4 % de notre territoire, nous nous situons au-dessus de la moyenne européenne. Ramené à notre population, notre taux d'artificialisation des sols se situe 15 % au-dessus de l'Allemagne et 57 % au-dessus de l'Espagne43(*).

L'inquiétude suscitée par la consommation de terres agricoles pour installer des infrastructures, des équipements, des pôles logistiques, des centres commerciaux ou de nouveaux quartiers d'habitation s'est exprimée lors des débats parlementaires portant sur chacune des lois agricoles votées ces dernières années (2010, 2014, 2018). On évoque la disparition de l'équivalent d'un département agricole tous les 10 ans. Le référé de la Cour des comptes de juillet 2020 consacré aux leviers de la politique foncière agricole chiffrait l'artificialisation à 596 000 hectares en 10 ans44(*) (soit plus de 1 % de la surface de la France métropolitaine) ce qui correspond à la perte de terres agricoles mais excède certainement la réalité des opérations d'urbanisation et d'aménagement, une partie des pertes de terres agricoles correspondant en effet à des phénomènes d'abandon de surfaces exploitées, qui reviennent à l'état dit « inculte ».

En réalité, ce sont 280 000 hectares au total qui ont été grignotés sur la nature et les terres agricoles sur la période 2009-2019, soit entre 20 000 et 30 000 hectares par an, ce qui est déjà beaucoup.

Le rythme de l'artificialisation a été particulièrement rapide ces dernières décennies, puisque l'on estime que, depuis 1981, la surface des espaces artificialisés en France a progressé de 70 %, alors que la population n'augmentait sur la même période que de 19 %.

L'habitat occuperait environ 42 % des sols artificialisés (dont près de la moitié sont des jardins ou autres espaces enherbés et nus45(*), les infrastructures de transport (routes, voies ferrées) 28 %, les infrastructures de services et de loisirs 16 % (dont un tiers pour les services publics : écoles, hôpitaux) et les activités économiques (entrepôts, commerces, usines) 14 %.

Contrairement aux idées reçues, qui laissent penser que la construction de nouvelles infrastructures ou de nouvelles zones d'activités expliquerait principalement l'artificialisation des sols, ces deux catégories n'ont contribué respectivement qu'à 16 % et 5 % de l'augmentation moyenne annuelle. De nouvelles routes ou de nouveaux entrepôts en sortie d'autoroute sont des opérations spectaculaires qui consomment d'un coup de vastes espaces, mais c'est en réalité la construction de logements qui contribue aujourd'hui à 50 % de l'artificialisation de nouvelles surfaces.

Le logement a ainsi un impact fort sur le rythme d'artificialisation des sols. La manière de construire de nouvelles habitations est une variable clef : privilégier le logement individuel conduit mécaniquement à « consommer » beaucoup d'hectares.

L'artificialisation a un caractère diffus, pour ne pas dire insidieux : elle est le corollaire de la périurbanisation et de l'extension des aires urbaines : on construit un peu partout, souvent par adjonction de zones nouvelles aux petits espaces urbains déjà existants.

Comment mesurer les surfaces artificialisées et leur progression ?

Plusieurs bases de données permettent de chiffrer l'artificialisation des sols et de mesurer la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers.

- Le CORINE Land Cover (Coordination of Information on the Environment Land Cover), base de données de l'Agence européenne de l'environnement (AEE) s'appuie sur l'interprétation de données satellitaires pour évaluer l'occupation biophysique des sols, mais elle est faite tous les 6 ans seulement ;

- Le Teruti-Lucas (Utilisation du territoire - Land Use/Cover Area frame statistical Survey) est une base de données nationale lancée en 1981, reposant sur un échantillon de parcelles enquêtées sur le terrain et alimentant les statistiques européennes d'Eurostat, mais elle manque d'exhaustivité ;

- La base des fichiers fonciers s'appuie sur les données fiscales cadastrées, qui enregistrent les changements d'usage des sols, en particulier le passage d'un espace naturel, agricole ou forestier en terrain à bâtir, mais cette base appréhende imparfaitement la notion d'artificialisation puisqu'elle intègre les terrains à bâtir (pas encore artificialisés) et exclut les infrastructures non bâties (qui pourtant contribuent à artificialiser les sols).

Chacune de ces sources présente ses limites, raison pour laquelle un Observatoire national de l'artificialisation des sols a été créé, géré par le Cerema46(*). La loi Climat et Résilience de 2021 a donné pour mission à cet observatoire la mise en place d'une nouvelle base de données sur l'occupation du sol à grande échelle (OCSGE).

(2) Un rythme d'artificialisation qui se ralentit mais certains territoires mis davantage sous pression.

Comme souvent, l'inquiétude liée à un phénomène se manifeste quand le phénomène lui-même s'affaiblit. Si la consommation pour l'urbanisation d'hectares supplémentaires gagnés sur l'agriculture, la forêt ou les espaces naturels était de l'ordre de 1,5 % par an des années 1980 à 2010, ce taux est tombé à 1 %, voire un peu moins sur la dernière décennie et le nombre d'hectares supplémentaires artificialisés chaque année tombe de plus de 30 000 par an à désormais un peu plus de 20 000. Le rythme de l'artificialisation ralentit.

Pour autant, certaines régions (Bretagne, Pays-de-la-Loire, Île-de-France, Normandie) et, au sein des régions, certains territoires, comme les territoires littoraux de l'Atlantique et de la Méditerranée ou encore les espaces périurbains autour des grandes agglomérations (Paris, Lyon, Lille, Bordeaux, Nantes, Rennes) connaissent une forte pression foncière conduisant à l'urbanisation de nouvelles zones (voir carte).

Dans certains espaces, les limites de ce qu'il est possible d'urbaniser sont quasiment atteintes (littoral de la Côte-d'Azur), ce qui conduit à ouvrir à l'artificialisation des espaces limitrophes (arrière-pays Varois). En Île-de-France, la combinaison de prix élevés du foncier et de contraintes limitant l'urbanisation de nouvelles zones conduisent à développer de nouveaux quartiers ou de nouvelles zones d'activités dans les départements limitrophes de la région : Oise, Eure-et-Loir, ...

Consommation annuelle d'espaces naturels agricoles et forestiers (en ha)

Source : Cerema

Localisation (par commune) des consommations d'espaces naturels et forestiers

Source : Cerema

b) Une artificialisation qui devient problématique

On pourrait se satisfaire de l'artificialisation de surfaces croissantes et de l'étalement urbain, et c'est d'ailleurs ce que l'on a fait pendant des décennies, d'autant plus que notre pays est finalement assez vaste. En outre, construire est vu dans les communes périurbaines comme un signe de dynamisme, permettant d'accueillir une population supplémentaire qui justifie le maintien des classes des écoles rurales, voire l'ouverture de classes supplémentaires, ainsi qu'une progression des recettes fiscales de taxe foncière et des dotations de fonctionnement apportées par l'État. Enfin, les particuliers ou les entreprises qui s'installent y trouvent leur compte en échappant à la hausse des prix du foncier au coeur et en proche périphérie des grandes agglomérations et peuvent accéder à des mètres carrés moins chers que ceux déjà bâtis ailleurs.

Mais le prix à payer en termes d'environnement et d'effets pervers sur le cadre de vie commence à apparaître et justifie de lutter désormais contre l'étalement urbain en préservant au maximum les terres agricoles, les surfaces naturelles et forestières, voire en faisant entrer davantage la nature dans les villes. Une expertise commune de l'INRA et de l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (Ifsttar), désormais intégré à l'Université Gustave-Eiffel de Marne-la-Vallée, a mis en évidence tous ces effets négatifs47(*).

L'artificialisation constitue d'abord une menace larvée pour l'agriculture. Se voyant retirer une parcelle précédemment exploitée, un agriculteur peut voir la rentabilité de son exploitation se dégrader. Certes, le propriétaire de terrain agricole rendu constructible (qui n'est pas toujours l'agriculteur-exploitant) en retire une plus-value considérable, à peine atténuée par les taxes sur les plus-values de cession mises en place ces dernières années. Mais le terrain retiré de la « ferme France » réduit peu à peu le potentiel agricole de notre pays et pénalise l'installation des jeunes en faisant monter de proche en proche le prix des terres agricoles, celles les plus près des agglomérations pouvant faire l'objet de spéculation, en espérant leur classement en zone constructible. Lors de son audition, la professeure Monique Poulot alertait sur la perte de potentiel agricole lié au grignotage des terres sur les dernières décennies.

L'artificialisation réduit également la captation du carbone par les végétaux, affaiblissant notre arsenal de lutte contre le réchauffement climatique. À travers la photosynthèse des plantes, les sols absorbent en effet de la matière organique. Le sommet de Paris pour le climat de 2015 a fixé comme objectif d'augmenter la capacité de stockage de carbone dans les sols de 0,4 % par an (initiative 4 pour 1000). La généralisation de cette pratique permettrait de stopper les émissions de CO2 dans l'atmosphère, c'est-à-dire d'atteindre la neutralité carbone, mais également d'améliorer la fertilité des sols dans une démarche gagnant-gagnant. Mais outre des modifications de pratiques agricoles, la réussite de cette stratégie passe par la préservation de sols non artificialisés.

L'artificialisation pose ensuite un autre problème : elle dégrade la perméabilité des sols et accroît les risques d'érosion et de ruissellement. D'une manière générale, des sols imperméabilisés perturbent le cycle de l'eau, captent moins bien les polluants et assurent mal les échanges thermiques avec l'air environnant. Dans les espaces très minéralisés que sont les villes, la réduction de la part des surfaces en herbe contribue à faire augmenter la chaleur lors des épisodes caniculaires. On parle d'ilots de chaleur urbains. Un aspect assez méconnu des effets négatifs de l'artificialisation réside dans l'augmentation du bruit : alors que les végétaux absorbent les ondes sonores, le bâti ou les sols durs les renvoient et génèrent une pollution sonore persistante.

L'artificialisation est aussi au banc des accusés de la perte de biodiversité. Alors que, d'après les écologues, le 21e siècle marque l'entrée dans l'ère de la 6e extinction de masse caractérisée par une perte massive et rapide de biodiversité pouvant mener à la disparition de 75 % des espèces animales connues, sans compter les pertes de biodiversité marine ou de biodiversité végétale, les aménagements que nous réalisons détruisent des habitats naturels et des continuités écologiques. Cela ne signifie pas qu'il faille stopper toute opération d'artificialisation, mais la recherche d'une plus grande compacité et d'un moindre impact semble indispensable.

Effet indirect de l'étalement urbain, la progression de la dépendance aux déplacements motorisés n'est pas non plus sans poser problème : il s'agit là d'un poste de coût important des ménages - environ 14 % de leur revenu disponible est consacré aux transports, dont les trois quarts à la voiture -, d'une source massive d'émission de gaz à effets de serre (GES) et autres polluants atmosphériques, en attendant la généralisation de la voiture propre, enfin d'un facteur de dégradation de la qualité de vie des Français, qui doivent passer de nombreuses heures dans leur véhicule et souvent dans les bouchons sur le trajet domicile-travail.

L'artificialisation est souvent non réversible ou alors à des coûts de renaturation exorbitants. C'est pourquoi il est préférable de déployer une stratégie de prévention de l'artificialisation de nouvelles surfaces, plutôt que de correction a posteriori des excès que nous aurions pu commettre.

c) Zéro artificialisation nette (ZAN) : une thérapie de choc
(1) L'objectif d'utilisation économe de l'espace s'impose progressivement dans le débat public

La prise de conscience des méfaits d'un étalement urbain excessif a fait émerger l'idée d'un aménagement de l'espace plus économe en surfaces artificialisées, en même temps que montait la préoccupation de remettre de la nature dans les villes.

Reconstruire la ville sur la ville paraît ainsi préférable à l'extension des espaces urbanisés, même si cela n'est pas simple. Densifier est ainsi plutôt « mal vu » par les populations, pour qui les grands ensembles sont synonymes d'échec des politiques urbaines depuis la Seconde Guerre mondiale, sans voir aussi que la densification a ses vertus, en termes d'accès aux services publics ou encore en réduction des temps et coûts de déplacement.

Pourtant, des marges de manoeuvre réelles existent. Les espaces urbains sont en effet largement sous-utilisés. Outre les logements vacants, qui sont, il est vrai, plutôt situés dans la diagonale du vide, où la demande en bâti supplémentaire est faible, le gisement des économies d'artificialisation réside dans les nombreuses friches urbaines issues de l'abandon d'activités industrielles. En 2016, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) dénombrait 100 000 hectares de friches urbaines à reconvertir48(*). Les évaluations réactualisées seraient aujourd'hui de l'ordre de 150 000 hectares, soit presque une décennie d'artificialisation. Le village olympique pour les Jeux Olympiques de Paris 2024 est ainsi construit sur une ancienne friche industrielle à Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis. Le Cerema recense 8 200 sites en friche pouvant faire l'objet d'une reconversion49(*).

Il s'agit évidemment d'équilibrer économiquement les opérations, en prenant en compte les coûts de dépollution (désamiantage des bâtiments existants, mais aussi nettoyage des sols et sous-sols). En ce sens, dans le cadre du Plan de relance, le Gouvernement avait mis en place en 2021 un Fonds friche qui a rencontré un réel succès et a même dû être réabondé.

D'autres marges de manoeuvre existent encore à travers la destruction d'ilots d'habitation vétustes et peu denses comme il en existe dans de nombreuses zones périphériques, pour les remplacer par de nouveaux quartiers, en articulant ces opérations avec une nouvelle offre de transports collectifs. Cette démarche est portée dans certaines agglomérations denses, comme en petite couronne francilienne.

(2) La mise en oeuvre de l'utilisation économe de l'espace dans les documents d'urbanisme

Alors que l'objectif politique affiché et valorisé dans les documents d'urbanisme est plutôt le développement de nouveaux logements, de nouvelles zones d'activités pourvoyeuses d'emploi ou encore de nouveaux équipements et aménagements publics, un tournant s'est opéré depuis la fin des années 2000. La lutte contre l'étalement urbain a commencé à irriguer les politiques d'urbanisme dont les règles se sont progressivement durcies.

La loi ALUR50(*) de 2014 a ainsi affirmé l'objectif de réduction de la consommation d'espace et imposé une justification renforcée des surfaces consommées. La loi ELAN51(*) de 2018 a inscrit cet objectif dans les principes généraux du droit de l'urbanisme qui s'imposent aux collectivités territoriales.

Déjà les SRADDET (ou le SDRIF en Île-de-France, le PADDUC en Corse et les SAR outre-mer)52(*) devaient « prendre en compte l'objectif de sobriété foncière »53(*). En témoignent en Île-de-France les SDRIF adoptés à partir du début des années 2000. De leur côté, depuis la loi Grenelle de 2010, les SCoT devaient déjà fixer des objectifs chiffrés de réduction de la consommation d'espace et peuvent conditionner l'ouverture d'un nouveau secteur à l'urbanisation à l'utilisation de terrains déjà situés en zone urbanisée. D'une manière générale les différents documents et plans d'aménagement et d'urbanisme sont des outils mobilisés aux différents échelons territoriaux, de façon plus ou moins prescriptive, pour réduire la consommation des espaces et limiter l'urbanisation en étalement urbain.

(3) L'instauration par la loi d'un objectif ambitieux : le ZAN.

Avec sa « feuille de route pour une Europe efficace dans l'utilisation des ressources » de 2011, la Commission européenne avait mis sur la table un objectif de suppression d'ici 2050 de toute augmentation nette de la surface des terres occupée au sein de l'Union européenne.

En France, l'objectif de « zéro artificialisation nette » est apparu dans le cadre du « plan biodiversité » présenté par le Gouvernement d'Édouard Philippe en 2018. Dans une très intéressante étude menée en 2019, France Stratégie54(*) estimait possible de se fixer pour but d'atteindre le ZAN dès 2030 en réduisant de 70 % l'artificialisation brute et en « renaturant » 5 500 hectares de terres artificialisées par an. D'après les auteurs de cette étude, cela passait cependant par des mesures assez énergiques et contraignantes pour les collectivités territoriales et les porteurs de projets.

C'est ce chemin qui a été choisi par le Gouvernement de Jean Castex en faisant voter en 2021 la loi Climat et Résilience55(*), qui fixe un cap un peu plus lointain mais consacre la notion de ZAN. Il s'agit de réduire l'artificialisation de 50 % entre 2021 et 2031 par rapport à la période 2011-2021 et de compenser totalement en 2050 toute artificialisation par de la renaturation, c'est-à-dire d'atteindre le ZAN. Pour parvenir à ce résultat, la loi crée différents outils : les documents d'urbanisme doivent décliner le ZAN à leur niveau. Les documents d'urbanisme devront fixer une densité minimale des constructions. La loi prévoit aussi de mettre fin aux aménagements de nouvelles zones commerciales de plus de 10 000 m² et durcit les dérogations pour les zones commerciales plus petites56(*). Elle favorise la reconversion de friches. L'enjeu est de réduire la consommation de foncier, mais aussi de répondre à d'autres enjeux, celui du paysage et du cadre de vie (les zones commerciales périphériques étant assez hideuses), celui du rééquilibrage du commerce vers les coeurs de ville, ou encore l'objectif de limitation des déplacements motorisés.

(4) Ne va-t-on pas trop loin ?

Dans son principe, le ZAN va certainement dans le bon sens. Nos voisins en Europe s'engagent eux aussi dans la lutte contre l'artificialisation des sols et la protection de leurs espaces naturels, agricoles ou forestiers.

Mais les modalités d'application ont suscité de fortes interrogations, voire des craintes des élus locaux. Une consultation faite par le Sénat à la mi-2022 a mis en évidence que seulement 18 % d'entre eux estimaient avoir les moyens humains et techniques d'appliquer la réforme. La mission conjointe de contrôle associant quatre commissions du Sénat, pilotée par Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc, a ainsi travaillé à l'automne 2022 sur le sujet57(*) et pointe des difficultés qu'il importe de lever en modifiant la loi.

Les règles de comptabilisation de l'artificialisation sont bien trop floues pour pouvoir être appliquées rapidement. Une clarification du comptage est le préalable à toute mise en oeuvre du ZAN.

La différenciation et la territorialisation défendues par le Sénat dans la mise en oeuvre du ZAN sont mises à mal par les décrets d'application qui organisent une application uniforme et mathématique dans les Régions. La mise à jour des documents d'urbanisme est par ailleurs imposée à marche forcée, empêchant de mener des concertations locales permettant d'aplanir les éventuels conflits.

Il faut noter également que la charge du ZAN pèse sur les seules collectivités territoriales, alors que des projets de l'État (grands ports maritimes, canal Seine-Nord, LGV) vont être fortement consommateurs d'espaces, de l'ordre de 15 % de l'enveloppe nationale d'artificialisation.

Si les sénateurs ne proposent pas de remettre en question le principe du ZAN, l'impératif d'en adapter les modalités d'application s'est traduit par le vote le 16 mars 2023 d'une proposition de loi58(*) adoptée à une large majorité mais ayant peu de chances d'être adoptée à l'Assemblée nationale.

Véritable casse-tête de la transition écologique, le ZAN risque de tourner à la cacophonie, si la manière de le mettre en oeuvre n'est pas clarifiée. La légitimité de contraintes supplémentaires peut en outre paraître faible à certains territoires qui ont déjà fait des efforts, ou à l'inverse à des territoires qui connaissent de véritables difficultés de développement et dont la possibilité de trouver un nouveau souffle dépend de la réalisation d'aménagements et d'équipements nouveaux.

Le risque est donc fort que le ZAN soit assez mal appliqué, que sa mise en oeuvre suscite des tensions locales et qu'il soit vu davantage comme une contrainte que comme une opportunité de mieux aménager les territoires. Il y a donc urgence à accompagner la réforme d'efforts de pédagogie et à ménager certaines souplesses, par exemple en permettant aux collectivités d'échanger entre elles des droits ZAN.

2. Décarboner nos déplacements et notre énergie
a) Mieux organiser l'espace pour mieux gérer nos déplacements

La manière d'occuper notre espace est indissociable de la question des mobilités du quotidien et de l'enjeu de décarbonation des transports.

Le secteur des transports est en effet le premier contributeur aux émissions de gaz à effet de serre (GES) en France. Il émettait en 2021 environ 30 % de nos GES, soit 126 Mt COeq devant l'agriculture (19 %), le résidentiel (18 %), l'industrie manufacturière et la construction (19 %) ou encore l'industrie de l'énergie (10 %) et le traitement des déchets (4 %)59(*). Au sein du secteur des transports, les déplacements en voiture particulière représentent 53 % des émissions de GES, contre 27 % pour les véhicules lourds et 15 % pour les véhicules utilitaires légers.

L'étalement urbain induit davantage de déplacements motorisés pour les besoins du quotidien entre domicile et travail, mais aussi pour l'accès au panel de services pour les ménages concernés : transport jusqu'à l'école et jusqu'aux lieux de consommation, activités de loisir. L'emploi étant de plus en plus concentré dans les grandes agglomérations60(*), on observe une déconnection entre lieux d'emploi et lieux de vie. Du fait de la densité réduite des systèmes de transport collectif en dehors des coeurs d'agglomération hors Île-de-France, la décarbonation des transports ne peut pas passer par ce canal. Par ailleurs, si la pratique du vélo se développe, c'est surtout en ville, sur des trajets courts et relativement sécurisés.

Les besoins de déplacement suscitent également de forts besoins d'aménagements en infrastructures de transport. C'est « l'effet rebond » de l'étalement urbain. Routes, échangeurs, ronds-points sont de très gros consommateurs de terrains et génèrent aussi des coûts d'entretien importants pour les collectivités territoriales, essentiellement les communes et les départements : sur environ 1 million de km de routes, 673 000 sont des voies communales et 377 000 des routes départementales. Selon l'Assemblée des Départements de France (ADF) le poste budgétaire « routes » (fonctionnement et investissement réunis) s'élève à une moyenne de 71 euros par habitant et par an61(*).

Une sorte de cercle vicieux s'installe entre étalement urbain et développement d'infrastructures de transport routier : plus il y a de lieux d'habitation ou d'activités, plus on crée des routes et plus ces routes se développent, plus on peut faire de l'étalement urbain. Chaque sortie d'autoroute est aujourd'hui un paradis pour les zones logistiques et une source de recettes fiscales pour les collectivités territoriales.

Car au-delà de la circulation des personnes à laquelle on s'est intéressé en premier lieu, celle des marchandises a un impact fort sur l'environnement et sur le cadre de vie. Elle a connu une augmentation constante, constituant le dernier maillon de la mondialisation des échanges. Elle représentait en 2021 334,5 milliards de tonnes-kilomètres, dont 87 % se fait par la route, et progresse de 2 à 3 % chaque année. Le remplacement de la route par le transport fluvial ou le fret ferroviaire, beaucoup moins émetteur de CO2, se heurte à des obstacles que la France n'a toujours pas réussi à surmonter. La souplesse et les faibles coûts du transport routier lui donnent un avantage compétitif important sur les autres modes.

Les acteurs du secteur, en particulier l'association France Logistique62(*) présidée par l'ancienne ministre des transports Anne-Marie Idrac, ont bien conscience de la nécessité de faire évoluer le transport de marchandises sur le territoire national. Le Livre Blanc de France Logistique, publié en 2022, encourage une modernisation rapide des flottes de transport, mais envisage aussi d'encourager le transport combiné, de mieux planifier les implantations logistiques sans totalement bloquer leur développement, car avec un taux de vacance inférieur à 2 %, le risque est plutôt de voir les emplois logistiques et les implantations se faire à l'étranger le long de nos zones frontalières et donc de perdre les emplois et recettes fiscales, tout en ayant les nuisances du transport routier qui transitera quand même par nos autoroutes.

France Logistique appelle aussi à ne pas négliger la problématique du dernier kilomètre. À cet égard, la mise en place de ZFE dans les villes ne peut se faire sans réflexion sur la livraison des biens et services indispensables aux magasins, services et aux particuliers.

Plusieurs leviers peuvent être activés pour mieux articuler les espaces entre eux et minimiser l'impact des déplacements sur l'environnement. Moins se déplacer est une première piste. L'idée de « dé-mobilité » a été avancée par le rapport d'Olivier Jacquin pour la délégation à la prospective du Sénat sur les mobilités dans les espaces peu denses en 2040, publié en 202163(*). Il ne s'agit pas d'empêcher les individus de se déplacer, mais d'encourager la frugalité, la sobriété - comme en matière énergétique - et surtout de remplacer les déplacements subis par les déplacements choisis. Le développement du télétravail peut ainsi favoriser un moindre recours aux déplacements pour motifs professionnels, même s'il ne faut pas en surestimer l'impact : le télétravail ne peut concerner qu'au plus 30 % environ des actifs, comme le montre un autre rapport de la délégation à la prospective du Sénat, de Céline Boulay-Espéronnier, Cécile Cukierman et Stéphane Sautarel, publié lui aussi en 202164(*).

Moins émettre de polluants atmosphériques est une seconde piste. L'Union européenne en a fixé le cap, en prévoyant l'interdiction de la commercialisation des véhicules légers à moteur thermique à l'horizon 2035, sauf s'ils utilisent des carburants alternatifs. Il reste à savoir à quel rythme les véhicules thermiques anciens seront retirés de la circulation au profit de nouveaux véhicules électriques ou à hydrogène, en évitant une situation à la cubaine, l'interdiction de l'importation d'automobiles dans l'île après la révolution castriste de 1959, ayant amené à entretenir jusqu'à aujourd'hui une flotte de voitures américaines d'ancienne génération.

Le remplacement des mobilités motorisées et individuelles par des mobilités douces, y compris dans les espaces périurbains et ruraux, et par des mobilités partagées (auto-partage, covoiturage), est aussi évoqué par le rapport Jacquin, dès lors que l'organisation de transports collectifs s'avère trop cher et inadapté. À cet égard, l'adaptation des voiries pour sécuriser les circulations douces est indispensable et sera particulièrement lourde. Les plans vélo des collectivités ont en effet d'abord concerné les coeurs d'agglomération. Une deuxième étape doit maintenant s'intéresser aux périphéries et aux zones rurales.

Une autre piste consiste à inverser les logiques de déplacement. C'est ce que fait la livraison à domicile qui s'est développée depuis 20 ans avec le commerce électronique et Internet. En remplaçant les déplacements de 15 à 20 clients vers un magasin par un livreur approvisionnant ces mêmes clients, on consomme moins de carburant - car on fait moins de kilomètres en optimisant une chaîne de livraison que si chaque client se rendait à un lieu fixe - moins d'espace qu'une surface de vente classique et on génère moins de dépenses de voirie et d'équipement. On peut regretter le remplacement des commerces physiques par un modèle économique et social de livraison dont l'entreprise Amazon, leader mondial et national du commerce électronique, constitue le fer de lance. Mais force est de constater qu'en plus de s'avérer pratique pour nombre de consommateurs, ce qui lui a permis de représenter désormais 13 % du commerce de biens en France, et bien plus encore dans certains domaines comme les livres ou les équipements électroniques, il peut s'appuyer sur des avantages réels en termes d'impact environnemental65(*), comme le soulignaient les représentants de la société Amazon lors de leur audition au Sénat.

Quels que soient les leviers utilisés, la décarbonation des déplacements constitue un impératif environnemental qui impose de repenser à la fois les infrastructures de transport et la manière d'organiser les flux entre les différentes parties du territoire.

b) Mieux utiliser le territoire pour mieux produire et mieux consommer notre énergie

L'enjeu énergétique s'est désormais installé au premier plan des préoccupations politiques. Nous avons vécu avec l'idée qu'une énergie peu chère et facilement disponible serait accessible partout avec finalement assez peu de contraintes. Nous avons aussi vécu avec l'idée que notre dépendance au pétrole et dans une moindre mesure au gaz importés, si elle dégradait notre balance commerciale, ne constituait pas une faiblesse majeure.

Dans un pays où les centrales nucléaires assurent 40 % de la consommation d'énergie primaire66(*) et où l'hydroélectricité issue des grands barrages construits principalement entre 1950 et 1980 assuraient 50 % de la production des énergies renouvelables (EnR), la recherche de nouvelles solutions n'a pas été une priorité forte.

Pour autant, deux paramètres ont contribué à rebattre les cartes. D'une part, les engagements internationaux pris par la France pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050, affirmés dans l'Accord de Paris à l'issue de la COP21 de 2015 et déclinés au sein de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) définie en 2015 et du plan climat présenté par Nicolas Hulot, alors ministre de l'environnement, en 2017, amènent à accélérer le déploiement des EnR. Il s'agit de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique global.

D'autre part, la montée des prix de l'énergie et la prise de conscience de notre fragilité stratégique à l'occasion de la guerre en Ukraine exigent d'accélérer la transition énergétique pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles massivement importées.

Notre manière d'occuper le territoire doit donc davantage répondre à l'enjeu énergétique, à la fois en utilisant l'espace dont nous disposons comme une ressource, mais aussi en optimisant notre utilisation de l'espace pour réduire nos consommations énergétiques. C'était la stratégie mise en oeuvre en 2014 à travers l'appel à initiatives des territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV), dans lesquels 430 acteurs locaux, principalement des EPCI, couvrant au total les deux tiers de la population française, se sont engagés entre 2014 et 2017.

(1) Le territoire comme ressource énergétique

L'aménagement du territoire pour produire de l'énergie propre s'est historiquement effectué à travers les grands barrages hydroélectriques des Pyrénées et des Alpes, ceux du Massif central et ceux aménagés sur les cours d'eau du pays notamment ceux du fleuve ayant le débit le plus important, le Rhône. Si la capacité hydroélectrique du pays peut encore augmenter de l'ordre de 20 %, ce ne sera pas à travers nombre de grands aménagements mais plutôt en déployant des équipements de petite hydroélectricité et en modernisant les usines existantes.

La mobilisation des territoires pour les EnR passe plutôt par l'installation d'éoliennes et de panneaux photovoltaïques, ainsi que l'utilisation de la biomasse.

(a) Les éoliennes.

La construction d'éoliennes n'a démarré en France qu'au début des années 2000 et de manière assez modeste, avec un ralentissement des nouvelles installations au début des années 2010. Un nouvel élan a été donné à la filière avec la SNBC de 2015, permettant d'augmenter régulièrement la capacité de production électrique pour atteindre fin 2021 près de 8 % de la consommation d'électricité de l'hexagone pour une puissance raccordée de près de 19 000 MW, l'objectif dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2018-2028 étant d'atteindre presque 40 000 MW (soit 40 GW) en combinant éolien terrestre et éolien en mer67(*).

L'énergie éolienne s'est déployée de manière inégale sur le territoire : les Hauts-de-France et le Grand Est disposent de la moitié de la puissance installée, loin devant l'Occitanie, la Nouvelle-Aquitaine, le Centre-Val-de-Loire, les Pays-de-la-Loire et la Bretagne. D'autres régions, l'Île-de-France, la région Provence-Alpes-Côte-d'azur ou encore Auvergne-Rhône-Alpes se sont bien moins engagées dans le développement éolien68(*).

Si l'installation d'éoliennes permet de produire de l'électricité et de valoriser des territoires ruraux parfois assez pauvres, les 9 000 éoliennes installées au sein d'un peu plus de 2 000 parcs éoliens69(*) en France font l'objet de réserves au nom de la préservation des paysages. Certains choix d'implantation, par exemple sur des lignes de crêtes, pertinents pour maximiser la récupération d'énergie issue des vents dominants, ne l'étaient pas du tout du point de vue esthétique. La construction de parcs éoliens en mer, comme celui installé au large de Saint-Nazaire, plus puissants et plus massifs, suscite les mêmes critiques.

Un coup d'arrêt a été mis par la justice en 2022 au Parc de Noyal-Muzillac dans le Morbihan, pourtant autorisé en 2018 mais considéré comme « portant atteinte au caractère des lieux avoisinants et aux paysages naturels » et comme « présentant pour la protection des paysages et la commodité du voisinage des inconvénients excessifs ». Confronté de plus en plus à un problème d'acceptabilité, l'installation d'éoliennes fait l'objet de procédures plus lourdes depuis l'adoption de la loi Climat Résilience d'août 2021 et doit désormais être prévue par les documents d'urbanisme (PLU) depuis la loi 3DS (loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale) du 21 février 2022.

(b) Les panneaux photovoltaïques

L'énergie solaire est moins avancée mais progresse plus vite et atteint désormais une capacité d'un peu plus 13 000 MW, permettant de couvrir 3 % de la consommation électrique annuelle. Elle aussi s'appuie sur le territoire.

Logiquement, le parc installé se concentre sur les régions les plus ensoleillées : Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Provence-Alpes-Côte-d'azur. Mais le potentiel de développement existe partout, et les initiatives originales se multiplient. Il prend des formes très diverses : ombrières sur les parkings, couverture de bâtiments, ferme photovoltaïque au sol, voire panneaux flottants sur plan d'eau.

L'installation de panneaux au sol a longtemps été freinée par le refus de consommer des terres agricoles, même si contrairement à la réalisation de bâtiments ou de routes, installer des panneaux photovoltaïques est une opération facilement réversible pour rendre les terres à la nature. La loi Climat et Résilience d'août 2021 a exclu expressément les fermes photovoltaïques du calcul des surfaces artificialisées.

En outre, elle rend obligatoire l'installation de panneaux photovoltaïques ou de couvert végétalisé sur une partie des toitures des bâtiments d'activité commerciale de plus de 500 m² (contre 1 000 m² avant 2021)70(*) à partir de 2024. D'après l'étude d'impact de la loi, ce serait entre 450 et 540 000 m² de toitures qui pourraient être concernées. La mise en oeuvre effective de cette mesure nécessitera certainement un renforcement des structures de ces bâtiments, compte tenu du poids des panneaux et des installations techniques correspondantes.

Une telle obligation pourrait utilement être étendue aux bâtiments d'activité autres que commerciaux71(*), ainsi qu'à certains bâtiments d'habitation. Enfin, le déploiement de panneaux photovoltaïques supplémentaires pourrait se faire le long d'infrastructures de transports existantes : routes, canaux de navigation. L'émergence de panneaux verticaux, captant la lumière à des moments différents que les panneaux horizontaux, constituerait d'ailleurs une solution complémentaire équilibrant les productions énergétiques sur la journée.

(c) Les autres pistes

La valorisation énergétique du territoire peut passer par bien d'autres voies comme l'utilisation de la biomasse ou la méthanisation de déchets ménagers ou agricoles.

Des précautions sont toutefois à prendre pour éviter les dérives. D'une part, l'installation de petits équipements de production d'énergie peut provoquer des nuisances, et poser les mêmes problèmes d'acceptabilité que les éoliennes, par exemple. Il en va en particulier de la méthanisation, génératrice de pollution olfactive.

En outre, la méthanisation fait l'objet de critiques lorsque les méthaniseurs sont alimentés par des cultures énergétiques spécialement dédiées, détournant la production agricole de sa vocation première de production de nourriture pour les humains ou pour les animaux.

(2) Exploiter les gisements d'économie d'énergie du territoire

Si répondre à l'enjeu énergétique conduit à mobiliser les territoires pour produire de l'énergie, à l'autre bout de la chaîne, on doit aussi mobiliser les territoires pour économiser l'énergie. Techniquement, les progrès faits sur les matériaux et techniques de construction permettent de créer des bâtiments passifs. Les normes de construction dans le neuf obligent de toute façon à construire en minimisant les consommations énergétiques, mais elles ne s'appliquent pas au stock de bâtiments déjà construits.

La recherche d'économie d'énergie sur les territoires passe en réalité par un plan massif de rénovation thermique des bâtiments. On estime en effet à 4,8 millions de logements le nombre de « passoires thermiques » en France, soit 17 % du parc total.

La rénovation thermique des bâtiments vise à la fois un objectif environnemental, le secteur résidentiel représentant un cinquième de la consommation énergétique nationale, mais aussi un objectif social et économique, en réduisant les factures des habitants.

Cette stratégie a été entreprise avec la loi de transition énergétique de 2015, qui a fixé l'objectif de 500 000 logements rénovés chaque année. Le plan de relance a dégagé 6,7 milliards d'euros de crédits en 2021 et 2022, dont les deux tiers fléchés sur la rénovation des bâtiments publics et un tiers sur le dispositif « MaPrimeRenov » à destination des particuliers.

En créant d'un côté des aides et d'un autre des contraintes pour les propriétaires de passoires thermiques qui ne pourront plus les mettre en location à partir de 2025, l'ambition est de mobiliser largement l'ensemble du territoire pour améliorer globalement la qualité du bâti du point de vue de l'isolation thermique.

La montée en charge de cette politique a cependant produit des effets pervers qu'il faut désormais corriger, notamment la multiplication de pratiques frauduleuses d'entrepreneurs indélicats au détriment des consommateurs. Alors que les crédits du plan de relance s'essoufflent, un nouvel élan doit être désormais donné à la rénovation thermique des bâtiments en priorisant les territoires au bâti plus ancien et les populations qui ne peuvent financer seules les travaux de rénovation.

B. LA QUÊTE DIFFICILE DE L'HARMONIE DES TERRITOIRES

1. La recherche d'un développement équilibré des territoires
a) Qu'est-ce qu'un développement territorial équilibré ?

La recherche d'équilibre est le maître-mot des politiques territoriales. L'ode à la mesure et à la modération s'appuie sur la peur des effets délétères des dérives, par exemple celles d'une urbanisation galopante et non maîtrisée, qui se concrétise par exemple par l'arrivée de nombreux nouveaux habitants avant que les équipements qui leur sont nécessaires (routes, écoles) ne soient construits. Le développement territorial équilibré passe alors par un rôle modérateur des collectivités publiques, qui doivent freiner les initiatives pour éviter de se trouver débordées.

La recherche d'équilibre consiste aussi à concilier des objectifs d'intérêt général apparemment contradictoires. La loi elle-même organise cette conciliation et impose l'équilibre. Ainsi, l'article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales, consacré aux SRADDET, précise que celui-ci « fixe les objectifs de moyen et long termes sur le territoire de la région en matière d'équilibre et d'égalité des territoires ». Il en va de même pour les SCOT : l'article L. 141-4 du code de l'urbanisme prévoit que l'ensemble des orientations figurant dans le document d'orientation et d'objectifs (DOO) « s'inscrit dans un objectif de développement équilibré du territoire et des différents espaces, urbains et ruraux, qui le composent ». Plus largement, les premiers articles du code de l'urbanisme demandent aux collectivités publiques de mettre en oeuvre des politiques urbanistiques équilibrées entre de nombreux paramètres (voir encadré).

Concrètement, cette affirmation d'une ambition d'équilibre territorial est reprise dans le discours politique et dans les documents d'aménagement, au risque parfois d'obscurcir les priorités. Par exemple, le SRADDET de la Région Centre-Val-de-Loire72(*) adopté par les élus régionaux fin 2019 et approuvé début 2020 par le préfet de région met au coeur de la stratégie régionale la volonté d'équilibre. Il précise au passage que le défi de l'équilibre et de l'égalité des territoires est à envisager à un double niveau : « celui de l'ensemble de la région, en ce qui concerne la capacité à concilier dans un contexte de transition écologique et numérique d'une part le renforcement des dynamiques métropolitaines et, d'autre part, un développement équilibré de tous les territoires en fonction de leurs spécificités et atouts » ainsi que « celui de chaque territoire, avec la maîtrise de phénomènes généraux comme la périurbanisation et les disparités sociales, ou plus spécifiques telles la concentration démographique et la consommation d'espaces ou bien la dévitalisation du centre des villes petites et moyennes ».

Autant l'objectif d'équilibre s'est imposé et souffre de peu de contestations, autant la manière d'appréhender l'équilibre est floue et imprécise et dépend d'une telle multiplicité de paramètres. On attend ainsi un équilibre économique. Mais en quoi consiste-t-il ? Les politiques industrielles locales visent à favoriser l'implantation de nouvelles activités tout en ne pénalisant pas celles déjà pourvoyeuses de richesses et d'emploi. Les territoires déjà bien pourvus ne renoncent d'ailleurs pas à de nouvelles implantations d'entreprises, même si, au nom de l'équilibre entre territoires, on pourrait privilégier une arrivée dans d'autres régions.

Par ailleurs, on ne peut pas appliquer de grille d'analyse standardisée aux territoires. Comme le faisait remarquer le professeur Olivier Bouba-Olga lors de son audition, chaque territoire a ses particularités qui s'inscrivent dans le temps long et les variables de taille ou de statut jouent finalement assez peu dans la dynamique des territoires. Dans un article récent73(*), il appelait à dépasser le modèle métropolitain, qui ne peut à lui seul avoir un effet d'entraînement suffisant.

L'équilibre social constitue aussi un paramètre important. Mais là aussi, comment le définir : un taux de logements sociaux trop élevé ou trop bas peut être le signe de déséquilibres mais la définition de seuils est toujours un peu arbitraire.

L'équilibre environnemental est recherché mais sa consistance est imprécise. Les plans climat des EPCI permettent toutefois de mieux le cerner.

Comme le faisait remarquer lors de son audition Philippe Clergeau, professeur émérite au Museum national d'histoire naturelle (MNHN), la nature rend des services indispensables en ville : capture des pollutions, apport d'ilots de fraicheur. La nature approvisionne aussi la ville en eau, en nourriture. La préservation de l'environnement est donc un impératif, le remplacement des services rendus naturellement étant extrêmement cher : la dépollution des eaux coûte ainsi bien plus que la préservation d'une certaine qualité la rendant potable avec peu de traitements.

Finalement, les critères pour définir le « bon équilibre » des territoires sont suffisamment nombreux et variés pour que chacun puisse en avoir sa propre vision.

Article L. 101-2 du code de l'urbanisme

Dans le respect des objectifs du développement durable, l'action des collectivités publiques en matière d'urbanisme vise à atteindre les objectifs suivants :

1° L'équilibre entre :

a) Les populations résidant dans les zones urbaines et rurales ;

b) Le renouvellement urbain, le développement urbain et rural maîtrisé, la restructuration des espaces urbanisés, la revitalisation des centres urbains et ruraux, la lutte contre l'étalement urbain ;

c) Une utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des sites, des milieux et paysages naturels ;

d) La sauvegarde des ensembles urbains et la protection, la conservation et la restauration du patrimoine culturel ;

e) Les besoins en matière de mobilité ;

2° La qualité urbaine, architecturale et paysagère, notamment des entrées de ville ;

3° La diversité des fonctions urbaines et rurales et la mixité sociale dans l'habitat, en prévoyant des capacités de construction et de réhabilitation suffisantes pour la satisfaction, sans discrimination, des besoins présents et futurs de l'ensemble des modes d'habitat, d'activités économiques, touristiques, sportives, culturelles et d'intérêt général ainsi que d'équipements publics et d'équipement commercial, en tenant compte en particulier des objectifs de répartition géographiquement équilibrée entre emploi, habitat, commerces et services, d'amélioration des performances énergétiques, de développement des communications électroniques, de diminution des obligations de déplacements motorisés et de développement des transports alternatifs à l'usage individuel de l'automobile ;

4° La sécurité et la salubrité publiques ;

5° La prévention des risques naturels prévisibles, des risques miniers, des risques technologiques, des pollutions et des nuisances de toute nature ;

6° La protection des milieux naturels et des paysages, la préservation de la qualité de l'air, de l'eau, du sol et du sous-sol, des ressources naturelles, de la biodiversité, des écosystèmes, des espaces verts ainsi que la création, la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques ;

6° bis La lutte contre l'artificialisation des sols, avec un objectif d'absence d'artificialisation nette à terme ;

7° La lutte contre le changement climatique et l'adaptation à ce changement, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l'économie des ressources fossiles, la maîtrise de l'énergie et la production énergétique à partir de sources renouvelables ;

8° La promotion du principe de conception universelle pour une société inclusive vis-à-vis des personnes en situation de handicap ou en perte d'autonomie dans les zones urbaines et rurales.

b) Le renouvellement urbain, le développement urbain et rural maîtrisé, la restructuration des espaces urbanisés, la revitalisation des centres urbains et ruraux, la lutte contre l'étalement urbain ;

c) Une utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des sites, des milieux et paysages naturels ;

d) La sauvegarde des ensembles urbains et la protection, la conservation et la restauration du patrimoine culturel ;

e) Les besoins en matière de mobilité ;

b) La recherche du bon équilibre, responsabilité des citoyens et des élus

Dans la mesure où le bon équilibre ne s'impose pas de lui-même, celui-ci doit être défini à travers un processus de décision légitime.

La planification de l'occupation de l'espace relève donc des élus locaux, qui ont la légitimité pour prendre des décisions au nom des habitants du territoire, du fait de l'élection.

Mais l'élection par les habitants inscrits sur les listes électorales, si elle confère une autorité politique incontestable, ne permet pas de prendre en compte l'intérêt de l'ensemble des parties prenantes. Certains acteurs du territoire ne sont pas des électeurs : il en va ainsi des acteurs économiques que sont les entreprises. Il en va aussi des acteurs qui sont en dehors du territoire mais y ont un intérêt soit parce qu'ils y travaillent, soit parce que leurs activités sont impactées par les opérations d'aménagement qui y sont menées.

Enfin, l'interdépendance des acteurs et des territoires, l'enchevêtrement des niveaux de collectivités et la nécessité de ne pas oublier son voisinage direct dans les choix d'aménagement sont des paramètres qui ne peuvent pas être ignorés.

Tout ceci conduit à devoir construire les politiques territoriales dans une logique de consensus et de partenariat. Les documents d'urbanisme sont ainsi élaborés en suivant un long chemin, parsemé du recueil de nombreux avis. L'élaboration d'un SCOT prend ainsi entre 3 et 5 ans. L'État, la région, le département, les chambres d'agriculture et plus largement toutes les personnes publiques associées donnent un avis sur le projet de SCOT. En outre, une procédure d'information et de recueil des observations du public est obligatoire.

Après la programmation, la mise en oeuvre du développement des territoires relève également d'une démarche partenariale, à travers une politique contractuelle entre niveaux de collectivités (région, département, bloc communal) qui définit les engagements, en particulier financiers, de chacun, mais aussi avec l'État, à travers les contrats de plan État-Région (CPER).

Sur le plan procédural, la recherche de consensus renforce encore l'objectif d'équilibre territorial, au risque que le consensus soit mou, que les orientations évoluent peu et que les collectivités soient vues comme un promoteur d'une transformation lente, pas toujours à la hauteur des enjeux économiques, sociaux ou environnementaux.

Le risque de la recherche d'équilibre réside en effet dans la stagnation, la lenteur, l'absence d'initiatives, l'absence de lisibilité, là où l'on attendrait plutôt agilité, force de frappe et volontarisme politique. Mais c'est le prix à payer pour éviter les dérives d'un aménagement du territoire égoïste ou bancal.

2. Le double besoin de proximité et de mise en réseau des territoires
a) Le retour en grâce de la proximité : la ville du quart d'heure
(1) Le concept de ville du quart d'heure

Alors que les Trente Glorieuses avaient fait reposer la modernité sur la massification et la spécialisation des espaces, impliquant de laisser les activités à distance les unes des autres et d'accepter de devoir se déplacer pour aller au travail, ou aller faire ses courses, le schéma de la ville monofonctionnelle a été largement remis en cause. La déclaration de Bruxelles de l'Atelier de recherche et d'action urbaines (ARAU) en 1980 est venue s'opposer à l'urbanisme fonctionnel héritier de la charte d'Athènes de 1933 et aux opérations de démolition du bâti ancien et de reconstruction des années d'après-guerre. Elle énonce que « toute intervention sur la ville européenne doit obligatoirement réaliser ce qui toujours fut la ville, à savoir : des rues, des places, des avenues, des îlots, des jardins... soit des “quartiers”. Toute intervention sur la ville européenne doit par contre bannir les routes et les autoroutes urbaines, les zones monofonctionnelles, les espaces verts résiduels. Il ne peut y avoir ni zones “industrielles”, ni zones “commerçantes”, ni zones “piétonnières”... mais seulement des quartiers incluant toutes les fonctions de la vie urbaine ».

La recherche d'une meilleure qualité de vie et d'un moindre impact de nos activités sur l'environnement place désormais au premier plan la notion de proximité. Le concept de « ville du quart d'heure », popularisé par l'urbaniste franco-colombien Carlos Moreno74(*), vise à ce que les six fonctions essentielles pour chacun (vie, travail, commerce, santé, éducation et divertissement) soient accessibles à pied ou à vélo en 15 minutes. L'expérience du confinement a montré qu'il était nécessaire de relocaliser les activités pour économiser le temps et l'énergie des trajets, pour libérer du temps pour soi, pour ses proches, pour ses loisirs, pour sa vie de famille. Les études montrent que le temps de déplacement domicile-travail considéré comme acceptable par les Français tourne autour de 30 minutes par trajet. La hausse du coût de l'énergie plaide aussi en faveur de la réduction des déplacements.

La ville du quart d'heure s'inscrit donc dans le prolongement de la déclaration de Bruxelles : elle implique une organisation de ville multifonctionnelle et une déconcentration des espaces. Étudier, travailler, faire ses courses, se soigner : tout ceci doit être possible dans la grande proximité. En tout cas, tout ce qui relève de la vie quotidienne doit être proche.

La ville du quart d'heure impose aussi de penser la mutualisation des espaces, la densification de l'utilisation de bureaux collectifs, voire des espaces publics, alors qu'aujourd'hui, le taux d'usage des bâtiments construits plafonne entre 30 et 40 %.

La ville du quart d'heure conduit à recentraliser les activités mais en multipliant les petites centralités, c'est-à-dire en multipliant les micro-quartiers, y compris dans le tissu périurbain. Elle peut ainsi être un vecteur de revitalisation du périurbain réduit souvent à sa fonction résidentielle (villes-dortoirs). La ville du quart d'heure encourage les opérations de construction associant au même endroit, voire dans le même bâtiment logements, bureaux, commerces et services publics.

La ville du quart d'heure impose aussi de repenser les rythmes et temps de vie pour aller vers une ville vivante et vivable, s'affranchissant par exemple des mouvements pendulaires qui congestionnent l'espace : 75 % des actifs se concentrent aux mêmes heures sur 15 % du territoire.

La ville du quart d'heure permet enfin de renforcer l'attachement des habitants à leur quartier : on s'approprie les espaces que l'on fréquente régulièrement : c'est ce qu'on appelle la topophilie.

(2) Les limites de la ville du quart d'heure

Certaines grandes villes (Melbourne avec son plan « 20 minutes neighborhood », Copenhague ou encore Paris) affichent désormais leur volonté de mettre en oeuvre le concept de ville du quart d'heure, mais de nombreux architectes et urbanistes sont sceptiques à son égard, voire clairement hostiles.

Il n'est ainsi pas certain que la ville du quart d'heure puisse être accessible à tous. Dans les grandes métropoles, la mise en application de ce concept pourrait ne concerner que les coeurs de ville, en laissant de côté les périphéries où les investissements à faire pour parvenir à la ville multifonctionnelle sont hors d'atteinte. La ville du quart d'heure serait alors déployée uniquement pour quelques quartiers privilégiés.

Une autre faiblesse tient au risque de segmentation accrue de la ville. Ainsi, Martin Vanier, professeur à l'École d'urbanisme de Paris indique que « le danger, c'est de s'enfermer dans l'entre soi et l'utopie d'une communauté heureuse »75(*). Jean-Marc Offner, directeur de l'Agence d'urbanisme de Bordeaux ajoute que « la ville du quart d'heure est construite autour des résidents mais dans la cité, il y a aussi des touristes, des étudiants, des travailleurs, des gens qui viennent s'y divertir. Exacerber le local, c'est nier le principal apport de la grande ville : la diversité ». La ville du quart d'heure pourrait ainsi être une ville encore plus segmentée qu'aujourd'hui, réduisant les contacts entre quartiers et favorisant des « bobos » bénéficiant de services de proximité au détriment des banlieusards, provinciaux, étudiants en résidences, travailleurs à la journée, livreurs des plateformes, femmes de ménage, qui eux continueront à devoir subir des transports quotidiens longs.

Enfin, la ville du quart d'heure nécessitera une réorganisation logistique extrêmement forte passant par une dépendance encore plus forte aux outils numériques et pourrait ainsi être le cheval de Troie d'une numérisation accrue, sous l'égide des GAFAM76(*)

Bref, si le besoin de dissémination des services de proximité et de rupture avec la monofonctionnalité des quartiers sont des impératifs incontestables pour améliorer la qualité de vie dans les villes et diminuer leur empreinte environnementale, la mise en oeuvre effective de la ville du quart d'heure est un parcours semé d'embuches et nécessite beaucoup de précautions pour ne pas aller vers une ville plus inégalitaire et constituée de petites sociétés juxtaposées mais peu ouvertes vers l'extérieur, ce qui est le contraire de l'urbanité.

b) L'indispensable mise en réseau des territoires

La recherche de proximité irrigue de nombreuses politiques publiques, en témoignent les circuits courts d'approvisionnement alimentaire pour les cantines scolaires ou encore la promotion des déplacements par des modes doux. Mais il ne faudrait pas que la proximité dérive vers l'autarcie, le repli sur soi et la renonciation aux mobilités. Ainsi, en matière de productions alimentaires, le déséquilibre entre bassins de consommation et bassins de production doit conduire à apprécier avec souplesse la notion d'approvisionnement local. Il en va de même avec les déplacements de personnes. La sobriété dans les déplacements ne peut pas être envisagée comme une multiplication d'obstacles aux mobilités rapides.

La stratégie menant à une meilleure harmonie des territoires consiste donc à chercher à relier les espaces les uns aux autres, à permettre d'agir localement, tout en ayant accès au reste du territoire. Il s'agit de relier les villes entre elles, mais aussi de relier les zones urbaines aux espaces périurbains, et de relier la ville à la nature.

De nombreux obstacles se dressent sur la route de cet objectif ambitieux. Pour améliorer la qualité de l'air, certaines grandes agglomérations s'engagent dans la mise en place de ZFE ou restreignent le stationnement automobile pour encourager un basculement vers les transports collectifs, la marche ou le vélo. Or, si cette politique n'est pas pensée avec le voisinage direct, si par exemple des parkings-relais ne sont pas mis à disposition aux extrémités des réseaux de transport collectif, la périphérie de ces agglomérations sera victime d'une coupure difficilement surmontable.

Le numérique peut aider à la mise en réseau, par exemple à travers le déploiement des outils de ville intelligente (smart city). Mais là encore, le risque pourrait être de n'étendre le périmètre de la ville intelligente que sur l'EPCI autour d'une métropole et de ne pas irriguer tout le territoire.

Les réseaux de transport y contribuent également. En effet, l'enclavement routier ou ferroviaire est un handicap évident pour tout développement territorial.

Enfin, la mise en réseau des territoires se fait par l'enchevêtrement des compétences des collectivités territoriales, qui sont placées dans l'obligation de coopérer : commune, EPCI, département, région sont ainsi souvent amenés à devoir « accorder leurs violons » et cofinancer des actions qui les engagent mutuellement.

La ville intelligente (smart city)

Le concept de ville intelligente désigne l'utilisation des outils numériques et de l'intelligence artificielle pour optimiser la gestion urbaine.

Concrètement, l'installation de capteurs et l'acquisition de données en temps réel tant dans l'espace public que dans les habitations ou les réseaux urbains (par exemple des données sur les déplacements, sur la consommation d'énergie, les déchets, etc.) permettent de mieux connaître les besoins des habitants et de mieux adapter l'offre de services qui leur est proposée.

La ville intelligente vise une amélioration de la qualité de vie ainsi qu'une certaine réactivité face aux difficultés de la vie quotidienne des collectivités (par exemple par la gestion des embouteillages). Le concept de ville intelligente vise également à rendre la ville plus durable en économisant les consommations de ressources.

De nombreuses collectivités mettent en place des actions relevant de la ville intelligente : numérisation des services publics, télé-procédures. Désignée capitale verte européenne en 2019 par la Commission européenne, la ville d'Oslo en Norvège fait figure de pionnière. Elle a mis en place des péages urbains automatisés, des éclairages publics adaptatifs, équipe ses bâtiments d'instruments pour piloter leur consommation d'énergie, permet aux habitants de signaler en temps réel des anomalies sur la voie publique.

La ville intelligente doit toutefois faire face à certaines interrogations. Les outils numériques peuvent réduire l'espace des libertés individuelles, en imposant des comportements standardisés aux usagers et habitants. Des acteurs privés du numérique peuvent profiter de données publiques mais ne pas partager les données privées recueillies et chercher à les exploiter dans une direction éloignée de l'intérêt général. La fracture numérique peut aussi laisser à l'écart de la ville intelligente une partie de ses habitants. Si la ville intelligente peut constituer un progrès, encore faut-il maîtriser son fonctionnement pour qu'elle soit aussi une ville vertueuse.

3. L'harmonie des territoires : enjeu politique
a) Le concept d'inégalités territoriales en débat dans une France décentralisée.

La France est diverse, multiple et les spécificités locales entraînent des différences dans la production de richesses, l'emploi, la démographie et toute une série de paramètres qui sont scrutés pour caractériser les territoires.

Assez naturellement, les inégalités territoriales sont la résultante de ces différences et de cette diversité de notre pays. L'INSEE, qui mesure les inégalités territoriales de niveau de vie, a constaté que les écarts de niveau de vie entre départements ont eu tendance à s'accroître dans la décennie 2000, en particulier sous l'effet de la crise de 2008, avant une phase de réduction des écarts entre 2012 et 201777(*).

La passion de l'égalité qui caractérise la France conduit à vouloir corriger les écarts et rechercher la convergence des territoires à travers des mécanismes de solidarité et de péréquation. Cette redistribution s'opère entre ménages, sans prendre en compte leur localisation, et bénéficie d'abord aux territoires les plus défavorisés, même si l'objectif de la politique de redistribution est avant tout social et non géographique.

La redistribution est cependant aussi territoriale à travers les recettes et les dépenses des collectivités territoriales. Depuis bien longtemps, les départements jouent leur rôle de solidarité territoriale en venant au soutien des communes, souvent rurales, qui n'ont pas les moyens d'investir par elles-mêmes pour leurs habitants. La constitution d'EPCI a aussi été le vecteur de cette solidarité territoriale accrue, en mutualisant au sein d'un bassin de vie cohérent les recettes et les dépenses. Enfin, l'État, à travers ses dotations (DSR, DSU) vient en soutien des collectivités les plus fragiles, qui disposent de trop peu de ressources ou qui doivent assumer des charges spécifiques.

Jusqu'où pousser la logique de convergence qui implique de corriger des inégalités vues comme autant d'injustices ? La décentralisation menée depuis les années 1980 et son corollaire, le principe de libre administration des collectivités territoriales, impliquent de laisser aux collectivités le libre choix de leur stratégie de développement territorial et donc d'accepter une part d'inégalités.

Mais celles-ci ne doivent pas devenir des fractures en s'amplifiant d'année en année. Qu'il s'agisse de démographie, d'économie ou d'équilibres sociaux, mais aussi de qualité de vie et d'environnement, il serait inacceptable de laisser les territoires les plus en difficulté sans solution. C'est pourquoi l'État ou les collectivités mettant en oeuvre la solidarité territoriale, région ou département, sont légitimes à aider plus certains territoires, soit en apportant une ingénierie de projet défaillante localement, soit en mobilisant les moyens financiers appropriés pour réaliser des investissements locaux. Les mécanismes de péréquation financière entre communes sont aussi légitimes pour corriger les effets de la distribution très inégalitaire des bases fiscales locales entre communes.

Au-delà de la prévention de fractures objectives, la lutte contre les inégalités territoriales vise à contenir le sentiment d'abandon de certains territoires qui avait nourri la crise des gilets jaunes de 2018.

b) Sortir des égoïsmes territoriaux

Une difficulté dans la recherche d'une organisation optimale de l'occupation de l'espace réside dans la fragmentation des acteurs et de la décision publique, liée à notre organisation territoriale fragmentée horizontalement en plus de 35 000 communes et verticalement avec trois niveaux de collectivités (commune, département, région) ainsi que des regroupements intercommunaux investis d'une légitimité politique encore assez faible.

Dans ces conditions, la définition de l'intérêt général en matière d'occupation de l'espace est ardue et les projets ne peuvent qu'être conflictuels. De très nombreux exemples en attestent : la construction de logements sociaux, pourtant nécessaire, se heurte à l'envie de préserver une sociologie bourgeoise. Le programme local de l'habitat (PLH) est ainsi difficile à établir lorsque les communes membres d'un EPCI considèrent que ce sont les communes voisines qui devraient prioritairement faire les efforts.

L'implantation d'équipements comme des déchèteries ou des prisons est aussi bien difficile car peu vendable aux populations locale. On en a collectivement besoin mais on préférerait qu'ils s'installent dans les communes voisines. Les Anglo-saxons ont inventé l'acronyme NIMBY78(*) pour qualifier cette attitude très fréquente.

La construction d'un projet partagé et consensuel d'occupation de l'espace est au demeurant compliquée par le divorce croissant, constaté lors de son audition par Frédéric Weill, directeur d'études du centre de réflexion Futuribles, entre les injonctions traduites dans les documents d'urbanisme et les envies des habitants. Ainsi, les documents d'urbanisme imposent de plus en plus la densification, quand les habitants réclament des pavillons.

Dans un ouvrage publié en 201579(*), Laurent Davezies s'inquiétait de la montée des égoïsmes territoriaux, au niveau mondial mais aussi au sein de l'hexagone. Une des solutions consisterait pourtant à objectiver les interdépendances entre territoires et le besoin d'échanger entre voisins pour trouver des avantages mutuels. L'approvisionnement en eau constitue un bon exemple de coopération territoriale nécessaire. L'aval dépendant de l'amont, tant pour les quantités d'eau disponibles que pour sa qualité, il est indispensable de se coordonner pour éviter la captation de la ressource au profit exclusif des uns ou des autres (ou sa pollution au détriment de l'aval, obligeant alors à réaliser de coûteux traitements de potabilisation).

DEUXIÈME PARTIE : « LES FUTURS POSSIBLES »
LUTTER CONTRE LES DÉSÉQUILIBRES EN PRÉSERVANT LA DIVERSITÉ DES TERRITOIRES

I. UNE MULTITUDE DE FUTURS POSSIBLES DE L'OCCUPATION DU TERRITOIRE

A. LES GRANDS FACTEURS D'ÉVOLUTION DE NOS TERRITOIRES

1. La démographie française face au défi du vieillissement de la population
a) L'accélération du vieillissement de la population

Le futur de l'occupation du territoire est grandement dépendant des perspectives en matière de démographie. Lors de son audition devant la délégation à la prospective en juin 2022, Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales à l'INSEE80(*), avait dressé un panorama détaillé des prévisions à l'horizon 2070.

La croissance démographique est le résultat du jeu de deux paramètres : la différence entre naissances et décès, appelé solde naturel et celle entre les entrées et sorties du territoire, appelé solde migratoire. En 2021, le solde naturel était de 81 000 personnes et le solde migratoire de 141 000, marquant un ralentissement très net de la croissance de la population française, qui était de 0,5 % par an durant la dernière décennie et qui tombe désormais à 0,3 % par an. Nous allons donc vers une stabilisation de la population française.

Cette population est en moyenne de plus en plus âgée : le vieillissement est un phénomène général dans tous les pays développés, résultant de l'allongement de l'espérance de vie. En France, en 2022, 21 % des habitants étaient âgés de 65 ans et plus. Le vieillissement s'accélère depuis les années 2010 du fait de l'arrivée dans les tranches d'âge élevées des premières générations nombreuses nées après-guerre durant le baby-boom.

L'INSEE anticipe une stabilisation de la fécondité autour de 1,8 enfant par femme, soit un taux de fécondité qui n'assure pas un renouvellement des générations, et la poursuite de la hausse de l'espérance de vie à la naissance. En 2070, elle serait de 90 ans pour les femmes et de 87,5 ans pour les hommes (l'écart entre les deux se réduisant). La combinaison de ces phénomènes conduit à stabiliser la population mais avec un âge moyen bien plus élevé. D'après Christel Colin, nous aurions en 2070 5,7 millions de personnes de 75 ans ou plus supplémentaires et une baisse de 5 millions des personnes de 60 ans ou moins. La part des plus de 65 ans, qui était déjà passée de 16 % à 21 % en 20 ans, gagnerait encore 5 points à l'horizon 2040 et potentiellement 3 points à l'horizon 2070. La part des 80 ans ou plus passerait de 6 % à 10 % au cours des vingt prochaines années, contre 4 % à 6 % au cours des vingt dernières, et devrait encore augmenter jusqu'à 13 % en 2070. « Il faut bien avoir à l'esprit que le vieillissement de la population d'ici à 2040 est inéluctable, au sens où il ne dépend pas des hypothèses, mais s'observe quels que soient les scénarios et variantes retenus » ajoutait Mme Colin.

b) Un impact territorial important du vieillissement de la population

La structure par âge de la population varie déjà fortement selon les territoires. Le taux des « + de 65 ans » dépasse déjà les 25 % dans la majorité des départements du Sud-Ouest de la France, mais aussi dans certains territoires de Normandie et Bretagne et dans le Sud-Est. À l'inverse, les départements dont la part des moins de 20 ans est supérieure à 25 % se trouvent essentiellement au nord de la France, notamment dans la grande couronne de l'Île-de-France, ainsi qu'en outre-mer, avec le cas particulier de la Guyane et de Mayotte. Néanmoins, c'est dans la moitié Nord du pays que la part des 65 ans ou plus a le plus augmenté sur les dix dernières années.

Le vieillissement a aussi un impact indirect : la réduction de la taille des ménages. La réduction de la taille des familles doit être naturellement prise en compte. Mais il faut aussi avoir conscience de la hausse vertigineuse à attendre de la proportion de personnes âgées vivant seules, ce qui bouleversera les manières d'habiter le territoire.

La hausse de l'âge moyen des français et la part croissante prise par les personnes âgées, voire très âgées, doivent conduire à revoir la manière d'habiter les logements et d'aménager la ville. Publié en 2021, le rapport Broussy intitulé « nous vieillirons ensemble »81(*) pointe la volonté de vieillir chez soi plutôt qu'en établissement, mais insiste sur la nécessité d'adapter les logements, notamment en y déployant de la domotique, de construire des résidences autonomie pour séniors dans les coeurs de ville et non dans des périphéries éloignées, et demande aux bailleurs sociaux d'élargir leur palette de services pour répondre aux besoins des personnes âgées logées dans le parc social. Le rapport insiste aussi sur la nécessité de repenser les services rendus aux personnes âgées, en s'appuyant sur l'existant, par exemple les registres canicule. Mais au-delà, il faut penser au piéton âgé, disposer des bancs à intervalles réguliers pour permettre des pauses dans les déplacements pédestres, ou encore déployer des services de transport adapté, le rythme et les moyens physiques de la personne âgée ne lui permettant plus forcément de se déplacer par bus, tramway ou métro classique.

2. La digitalisation, opportunité ou menace pour les territoires ?
a) La digitalisation massive de l'économie et de la vie quotidienne

Issue de la révolution informatique démarrée dans les années 1980 et accélérée par le développement d'Internet, la digitalisation touche tous les domaines d'activité : production, commerce, transports, loisirs. Elle prend une place prépondérante dans l'ensemble de la vie quotidienne et transforme le rapport à l'espace en abolissant les distances.

Les commandes peuvent être passées en ligne, les services peuvent être fournis à distance, pour le meilleur et parfois pour le pire : les enfants peuvent délaisser les terrains de jeux pour se réfugier derrière leurs écrans et les échanges virtuels tendent à remplacer la rencontre directe. Parfois, plus on communique, moins on se parle ! La sociabilité numérique sur les réseaux sociaux supplante les cadres traditionnels d'échanges. Selon la dernière étude de Médiamétrie82(*), 45 millions de français soit 3 Français sur 4 surfent chaque jour sur Internet. Le temps moyen passé sur Internet s'élève à 2 h 18 par jour, dont 52 minutes correspondent à l'utilisation des réseaux sociaux. Internet est devenu la porte d'entrée principale vers l'information : 86 % des lecteurs de la presse le font en ligne.

La numérisation des activités s'appuie sur l'explosion des données numériques, mise en évidence par le sénateur Ludovic Haye dans une note récente de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST)83(*). Le volume de données créées par an dans le monde est passé de 2 zettaoctets84(*) en 2010 à 64 en 2020 et devrait atteindre 181 en 2025. C'est cette collecte massive de données (appelées big data en anglais) qui permet de déployer des solutions utilisant l'intelligence artificielle.

Le développement de la géolocalisation ou encore de l'imagerie satellitaire permettent au monde numérique d'appréhender de mieux en mieux le territoire. Les agriculteurs peuvent par exemple surveiller la pousse des plantes par satellite. Le fisc peut repérer les piscines non déclarées de la même manière. Les applications de guidage routier équipent désormais la quasi-totalité des véhicules et remplacent les plans et cartes routières ou rendent les panneaux indicateurs routiers largement obsolètes : en plus de nous orienter, ces applications nous indiquent les temps de trajet et nous informent sur la circulation.

La fiabilité de ces outils numériques et leur perfectionnement incessant laissent penser qu'on les utilisera encore plus à l'avenir et que notre relation à notre territoire sera de plus en plus médiatisée par les outils numériques.

Il importera d'ailleurs de veiller à ce que les infrastructures nécessaires pour accéder au numérique soient partout disponibles, pour ne pas condamner certains espaces à être privés de services numériques. Qu'il s'agisse d'Internet fixe avec la fibre ou d'Internet mobile avec les réseaux 5G et les objets connectés, la demande de débit est croissante et généralisée.

b) Un effet ambigu sur les territoires

Les conséquences de la digitalisation pour les territoires sont déjà présentes. Le développement du télétravail, le commerce électronique ont commencé à remodeler les lieux et modes de vie.

Le numérique apparaît ainsi comme une opportunité de modernisation, élargissant le spectre des services disponibles. La télémédecine peut ainsi constituer une réponse à un manque structurel de médecins installés physiquement sur le territoire. Les « micro-folies », initiative portée par le ministère de la culture et les principaux établissements culturels français (Le Louvre, le centre Pompidou, la Philharmonie de Paris, le Château de Versailles, la Réunion des Musées nationaux) installent des musées numériques dans des lieux éloignés de la culture. La création de tiers-lieux dans des communes rurales permet de conserver sur place une population active qui, sinon, irait habiter les grandes villes. D'une manière générale, le « service public connecté » peut également accélérer les procédures et faciliter la tâche des entreprises ou des individus qui sont loin des services physiques.

Ces aspects positifs sont cependant contrebalancés par d'autres qui le sont beaucoup moins : fracture numérique (l'illectronisme touchant environ 20 % de la population), réduction de la présence physique au profit des téléprocédures et consommation d'énergie du secteur numérique. En outre, pour les territoires, la digitalisation peut nécessiter des investissements lourds qui ne sont pas dans les moyens de petites collectivités. Dans un rapport publié en 2022, la sénatrice Patricia Demas alertait sur les risques d'un développement numérique à deux vitesses sur les territoires et appelait à renforcer la cohésion numérique à travers une vingtaine de propositions85(*).

Par ailleurs, le numérique peut faciliter la mise en oeuvre d'initiatives qui s'affranchissent des cadres réglementaires préétablis. En témoigne le développement de plateformes comme Uber, qui est venu profondément remettre en cause le transport individuel de personnes par les taxis dans les grandes villes. Les vélos ou trottinettes en libre-service sur la voie publique sont également venus percuter l'offre organisée et mise à disposition par les collectivités sur l'espace public. Le numérique permet des ruptures, des contournements, des déstabilisations extrêmement rapides de politiques menées localement par les collectivités.

Tout l'enjeu est donc de domestiquer la puissance du numérique : d'en utiliser toutes les potentialités, et notamment celles liées à la relocalisation d'activités, tout en maîtrisant les risques.

3. Les autres facteurs de transformation des territoires

Si la démographie et le numérique peuvent être considérés comme deux grands facteurs de transformation des territoires, d'autres paramètres entrent également en jeu.

Parmi les facteurs auxquels il convient de prêter attention, figure notamment la disponibilité et le coût de l'énergie. L'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 a mis en évidence la grande fragilité de l'Union européenne en matière d'approvisionnement énergétique.

Or, l'énergie est indispensable pour se loger, pour se déplacer ou encore pour produire. L'autonomie énergétique est l'un des piliers d'une véritable autonomie stratégique. Devant la hausse des coûts de l'énergie, les manières d'occuper l'espace doivent être repensées d'abord pour davantage de sobriété.

Un autre facteur de transformation de l'occupation du territoire relève du changement climatique. Aller vers une neutralité carbone pour le freiner et s'adapter à ses effets, notamment à des pics de chaleur et une modification du cycle de l'eau, sont des impératifs auxquels sont déjà confrontés tous les territoires, certains ayant plus d'atouts que d'autres pour y faire face.

D'une manière générale, nous allons devoir davantage prendre en compte les contraintes imposées par la nature. Lors de son audition, le géographe Michel Lussault indiquait qu'on avait trop longtemps négligé la question de la protection des sols, pas seulement en artificialisant et en consommant trop d'espace, mais aussi en procédant à des forçages environnementaux transformant les cycles du carbone et de l'azote. Or, altérer le bon fonctionnement des sols pose d'innombrables problèmes : pollutions, moindre rétention d'eau, perte de biodiversité, perte de fertilité des terres. Le souhait d'aller vers une plus forte prise en compte de la préservation de l'environnement s'exprime très fortement parmi les jeunes générations.

Enfin, la transformation des territoires dépend des moyens que l'on pourra y consacrer. À cet égard, lors de son audition, Mathieu Dougados, directeur général de la société Capgemini Invent, soulignait que la puissance publique n'avait pas, à elle seule, la capacité d'investir et plaidait pour qu'elle soit plutôt orchestrateur des services rendus à la population et organisateur de la mobilisation de cofinancements. En tout état de cause, la situation des finances publiques devra être prise en compte dans les scénarios de transformation des territoires.

B. LA NÉCESSITÉ D'ANTICIPER ET D'ORIENTER LES TRANSFORMATIONS DU TERRITOIRE

1. Les difficultés de l'exercice de prospective territoriale
a) Un exercice nécessaire ...

Qu'il s'agisse d'effectuer un achat immobilier, de choisir d'implanter une nouvelle usine ou un nouvel entrepôt, de construire une route ou de bâtir une école, de nombreuses décisions des individus, des entreprises ou des collectivités territoriales les engagent pour des décennies. Pour ne pas faire d'erreur, ou du moins en limiter les risques d'en faire, il est nécessaire d'anticiper les évolutions, c'est-à-dire de faire de la prospective.

L'État, avec l'ANCT ainsi que les régions à travers différentes structures, ont développé un véritable savoir-faire pour identifier les grandes tendances et produire des scénarios. L'élaboration des documents d'urbanisme ou les phases de concertation que les maitres d'ouvrage doivent mener avec le public sur les grands projets (projets routiers, ferroviaires, nouvelles zones d'activités) sont des moments privilégiés de projection des territoires dans le futur.

L'avenir des territoires n'est au demeurant pas un sujet fermé. Il donne lieu à des débats et analyses contradictoires. Au-delà des concertations obligatoires, on envisage désormais difficilement pour tout projet de se passer d'une phase de dialogue citoyen au cours duquel les acteurs sont appelés à se projeter ensemble dans l'avenir86(*).

Le pouvoir politique a pour mission de façonner l'avenir : la prospective territoriale consiste donc non pas à constater le résultat de la prolongation des tendances actuelles, mais à dire ce qui est souhaitable et ce qui ne l'est pas, et ensuite de se doter des outils permettant d'atteindre les objectifs fixés. Faire de la prospective n'est donc pas neutre, c'est un exercice éminemment politique, presque un préalable à toute politique publique.

Du diagnostic de territoire dépendent ainsi les actions mises en oeuvre par les collectivités, soit en agissant directement, soit, à travers des outils financiers (taxe d'aménagement, taxe foncière, subventions) ou réglementaires, à inciter les acteurs économiques ou encore les habitants à agir.

L'occupation de l'espace étant à la confluence d'une multitude d'enjeux, environnementaux, sociaux, économiques, s'interroger sur ce que l'on veut en faire revient à ouvrir de la manière la plus large le champ des domaines à investiguer. La prospective territoriale conduit à mobiliser les compétences des architectes-urbanistes mais aussi des sociologues ou encore des écologues.

b) ... qui n'exclut pas les incertitudes

Faire de la prospective territoriale est un exercice particulièrement difficile. D'abord, on se heurte à de nombreuses incertitudes : la conjoncture économique et les attentes sociales peuvent évoluer. Certains évènements produisent de véritables ruptures de tendance et d'autres au contraire peuvent les accélérer. Le confinement de 2020 a ainsi conduit à réévaluer la place des métropoles et le rapport au travail et les conséquences à long terme de cette expérience inédite ne sont pas encore mesurables.

Par ailleurs, les évolutions des territoires ne sont pas linéaires et on doit se méfier des effets de mode. Le développement du commerce électronique, par exemple, perturbe le commerce physique. Mais alors qu'on aurait pu penser qu'il pourrait le supplanter à terme, on observe en réalité une complémentarité entre ces deux modes de consommation.

Les incertitudes de l'exercice prospectif ne doivent pas conduire à renoncer à dessiner des scénarios et exprimer des préférences. Ils incitent à une certaine prudence et rendent nécessaire de réajuster en permanence les plans. L'agilité des territoires et l'adaptabilité sont devenues des vertus cardinales.

Une autre difficulté tient à la gestion des contradictions entre objectifs. De ce point de vue, lors de son audition, Frédéric Weill, directeur d'études du centre de réflexion Futuribles, soulignait le divorce croissant entre les objectifs d'occupation de l'espace fixés dans les documents d'urbanisme, allant vers davantage de compacité des constructions, et le souhait majoritaire des Français de disposer de leur maison avec jardin. D'autres contradictions doivent être gérées entre préservation de l'environnement et nécessité du développement économique et urbain.

Les attentes de nos concitoyens en matière d'occupation de l'espace ne sont d'ailleurs pas homogènes : les préférences en matière de types d'habitat par exemple peuvent évoluer aux différents âges de la vie. Si chacun recherche un cadre de vie sain et agréable, la manière de le définir varie sensiblement.

Définir quelle est la « bonne manière » d'occuper le territoire à l'horizon 2040-2050 est donc un exercice particulièrement complexe.

2. Une question centrale : quelle ville voulons-nous demain ?
a) Quelle place et quelle organisation de nos villes ?

Si l'essentiel de notre territoire est rural, notre civilisation est désormais essentiellement urbaine. La manière d'aménager nos villes, d'organiser les interfaces avec leur voisinage, sont donc des enjeux centraux lorsque l'on s'intéresse à l'occupation de l'espace.

Que l'on parle de grandes ou de petites villes, la préoccupation reste toujours la même : éviter le dépérissement comme éviter la ville-champignon génératrice de nombreuses nuisances et de dégradation de la qualité de vie des habitants. Il s'agit aussi d'organiser les liens de la ville avec son voisinage et d'éviter les deux extrêmes : le mitage des campagnes comme leur isolement. De ce point de vue, la ville ne peut pas être pensée sans penser en même temps son environnement.

Lors de leur audition, les architectes Guy Lale-Gérard, Michel Euvé et Florence Curvale, auteurs d'un ouvrage intitulé « La ville européenne au XXIe siècle » dressent la liste de tous les maux de la ville contemporaine : désorganisation et complexité urbaine, fragmentation des territoires et des fonctions urbaines, spécialisation des quartiers par un zonage arbitraire, dilatation et absence de formalisation des espaces urbains, création de poches d'habitat de mauvaise qualité urbaine et technique, absence d'intégration des nouveaux quartiers aux territoires d'accueil et de raccordement aux flux fonctionnels et économiques, absence de mixité sociale, destruction d'une partie du patrimoine bâti existant, éloignement d'une partie des habitants des lieux de la vie urbaine et notamment des bassins d'emploi. On pourrait ajouter que les villes, trop minéralisées, doivent aussi prendre le tournant du verdissement et que cela n'est pas simple lorsque l'espace bâti est très dense.

En réalité, toutes les problématiques liées à l'espace se condensent autour des villes. Penser l'occupation de l'espace à l'horizon 2040-2050 revient donc à questionner la ville, la manière dont elle entretient des liens avec les autres villes et avec la campagne.

Les architectes précités sont extrêmement critiques de la ville zonée et pensée uniquement par le prisme des fonctionnalités. Ils insistent sur le fait que les espaces doivent être multifonctionnels, décloisonnés. Sortir de la ville segmentée est un véritable défi, car les villes se transforment lentement. 70 % du bâti d'aujourd'hui sera encore là en 2050.

À côté du dézonage des villes, l'amélioration du cadre de vie et de la désirabilité des espaces passe par la réhabilitation de la rue. La rue n'est pas seulement un lieu de circulation. Elle est aussi un lieu de vie et a une fonction de façade. L'embellissement des villes, le souci d'aménager de belles perspectives ou encore d'entretenir les linéaires de bâtiments doit également mobiliser les habitants comme les pouvoirs publics. Le « beau dans la ville » est un critère majeure d'habitabilité, qui explique d'ailleurs beaucoup les différentiels de prix immobiliers.

b) La question centrale de la densité

Pour lutter contre la périurbanisation horizontale consommatrice d'espaces à la fois directement par la construction de logements et indirectement par la réalisation de kilomètres supplémentaires de voiries, pour aller vers des villes moins zonées, moins segmentées et multifonctionnelles, pour répondre aussi à l'impératif de mutualisation et de sobriété énergétique, la densification des villes s'impose comme le modèle à suivre.

Mais la densité a mauvaise presse. Elle est associée aux grands ensembles considérés désormais comme un modèle urbain obsolète. Pourtant, la densité a ses vertus, en particulier environnementales. On confond souvent densité et forme urbaine. Or, à densité égale, le visage des villes peut fortement varier, comme le montre la figure ci-jointe87(*)

La problématique de la ville du futur est donc moins la densité (elle sera nécessaire) mais la forme urbaine que l'on choisira, les aménagements qui seront réalisés dans la ville, les modes de mobilité et l'organisation du tissu urbain, responsabilités éminentes des pouvoirs publics.

II. QUELLES PERSPECTIVES À L'HORIZON 2050 ?

A. LES GRANDS CENTRES URBAINS : DES COLOSSES AUX PIEDS D'ARGILE ?

1. Les centres urbains métropolitains, moteurs des territoires
a) La force incontestable du phénomène métropolitain

Lieux de concentration des pouvoirs, qu'ils soient politiques ou religieux, lieux d'échanges commerciaux ou culturels, situés souvent au carrefour de routes stratégiques, les grandes villes ont toujours été une force d'attraction pour leur environnement et un point de repère depuis l'extérieur. La concentration des populations, des richesses, des savoirs, des activités artistiques ou d'enseignement et même des clubs sportifs caractérisent le fait métropolitain.

Le fait métropolitain fait fi des frontières administratives : il réunit la ville centre et sa périphérie, voire y raccroche des villes un peu plus éloignées qui sont dans l'aire d'influence de la métropole. Si la métropolisation a débuté il y a de nombreuses décennies, elle s'affirme de plus en plus avec le remplacement des activités industrielles par les activités de service. Elle se nourrit de « l'effet agglomération » des grandes villes : la diversité et le grand nombre de compétences réunies sur le même territoire entraînent l'arrivée de compétences supplémentaires et entretiennent l'innovation.

La métropolisation se traduit par une polarisation de la production de richesses et des populations dans les plus grandes agglomérations. Y sont concentrés les populations et les emplois et activités liées aux fonctions de commandement et d'innovation et plus largement, les activités à forte valeur ajoutée. Dans un très intéressant rapport intitulé « les métropoles, apports et limites pour les territoires »88(*), publié en 2018, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) constatait que les 22 métropoles françaises représentaient 2 % de la superficie, 29 % de la population et 69 % des étudiants et étudiantes. En rassemblant en un même lieu les fonctions métropolitaines d'encadrement, de recherche, mais aussi de création et de loisirs, les métropoles ont une capacité de rayonnement et cultivent une certaine attractivité.

Les acteurs du commerce, qui avaient misé sur des implantations périphériques offrant de larges espaces de vente et des possibilités de stationnement massif, ont également réinvesti les coeurs d'agglomération : en témoigne l'installation de magasins comme Ikea et Décathlon dans les centres-villes.

La mondialisation des échanges profite aussi aux métropoles. En entretenant des liens avec le reste du monde, les habitants et les entreprises des métropoles peuvent rapidement se projeter sur des marchés étrangers ou à l'inverse, recevoir des partenaires venant de loin. Cette internationalisation est évidemment variable selon les métropoles, mais elle est un facteur essentiel de leur développement et passe par l'aménagement d'infrastructures de transport rapide : aéroports, lignes à grande vitesse.

La taille des métropoles leur donne également un atout : celui de résister plus facilement aux crises, d'être peu dépendantes d'un secteur économique en particulier et d'offrir des capacités de rebonds aux professionnels qui y exercent.

Dans une note d'analyse de février 201789(*), France Stratégie constatait qu'une douzaine de métropoles de plus de 500 000 habitants concentraient en France 46 % de l'emploi. Laurent Davezies et Philippe Estèbe indiquaient qu'entre 2008 et 2012, elles avaient contribué à 70 % des créations d'emplois privés90(*). Les métropoles sont ainsi à la fois des moteurs de l'activité économique et des aimants démographiques. Elles attirent une population jeune, diplômée et connectée. En 2019, le bilan démographique de l'INSEE montrait que les métropoles hors Paris tiraient la croissance démographique et qu'à l'inverse, hors des zones d'attraction des métropoles, celle-ci faiblissait91(*).

b) Une stratégie française de renforcement des métropoles

La confiance dans le fait métropolitain a conduit à une stratégie de renforcement des centralités passant par la définition d'un statut à travers quatre lois successives : la réforme des collectivités territoriales de 2010, la loi Maptam de 2014, la loi Notre de 2015 et la loi sur le Grand Paris de 2017.

La réforme de 2010 a créé la métropole pour conforter le rôle des grandes agglomérations comme moteurs de la croissance des territoires. Elle avait fixé le seuil démographique des métropoles à 500 000 habitants, abaissé à 400 000 en 2014. L'assouplissement des conditions d'accès au statut de métropole a conduit à en constituer pas moins de 22 (en comptant le Grand Paris) sur notre territoire, qui recouvrent des réalités assez disparates.

Elles ont cependant en commun la volonté d'intégrer fortement les communes-membres de l'ensemble qu'elles constituent. L'EPCI à statut de métropole correspond à un degré élevé d'intégration afin de rationaliser l'action publique et de jouer un rôle pivot, pas seulement pour la ville-centre et son immédiate périphérie, mais pour l'ensemble de la région autour de la métropole. Il est vrai que des EPCI de taille importante sont en mesure de disposer d'une ingénierie territoriale efficace et compétente.

On peut cependant s'interroger sur la pertinence d'une définition aussi large de la métropole. Certaines pourraient avoir du mal à assumer leur statut : les effectifs universitaires, le nombre de sièges sociaux d'entreprises à rayonnement national, voire international, y sont trop faibles pour pouvoir considérer certaines métropoles comme davantage qu'un centre urbain important dans son environnement direct. Les métropoles de taille intermédiaire ne disposent ainsi pas toujours des moyens de développer un réseau de transports collectifs structurant comme un métro ou un tramway. Leur degré d'internationalisation est également réduit. À force de vouloir faire de chaque grande ville une métropole, on risque de donner le même qualificatif à des ensembles urbains aux caractéristiques assez peu communes.

c) Des métropoles très différentes

Derrière le statut de métropole se cachent ainsi des réalités disparates. Les métropoles ne jouent ainsi pas toutes dans la même catégorie : Paris est une métropole mondiale, qu'on pourrait qualifier de mégalopole, par son poids démographique et économique. Le rapport précité du CESE souligne que parmi les aires urbaines de l'hexagone, seules 11 autres regroupent plus de 500 000 habitants et au moins 20 000 cadres et ont des fonctions métropolitaines (Lyon, Marseille, Lille, Toulouse, Nice, Bordeaux, Nantes, Strasbourg, Rennes, Grenoble et Montpellier). Les 29 autres aires urbaines sont qualifiées de « grandes aires » car elles comptent plus de 200 000 habitants et contribuent à structurer le territoire, toutes n'ayant d'ailleurs pas le statut métropolitain.

Le rapport du CESE souligne qu'au-delà des grandes tendances, comme la surreprésentation des jeunes actifs et des diplômés parmi les habitants des métropoles ou encore des efforts de construction importants, les dynamiques démographiques des métropoles sont hétérogènes, de même que leur trajectoire économique. Publié par la Fédération nationale des Agences d'urbanisme (FNAU), le « métroscope », qui brosse le portrait chiffré des 22 métropoles françaises92(*), parvient aux mêmes conclusions. Il identifie en réalité 6 profils :

- la métropole-monde de Paris, très spécifique ;

- les métropoles de la « bonne santé » (Nantes, Brest, Rennes) qui combinent marché du travail dynamique, inégalités sociales contenues, offre de santé et préservation de la nature élevées et implication citoyenne importante ;

- les métropoles de la « parité et de l'attractivité » (Lyon, Grenoble, Toulouse, Bordeaux, Montpellier, Strasbourg) qui associent dynamisme démographique, offre de santé et préservation de la nature élevées, implication citoyenne importante, mais subissent un coût du logement important, voire en hausse ;

- les métropoles privilégiant les services à la population (Lille, Rouen, Saint-Étienne) caractérisées par la présence importante de familles avec enfants et de ménages modestes, un bon niveau d'équipements mais certaines difficultés d'attractivité ;

- les métropoles « soleil et nature » (Aix-Marseille, Nice, Toulon) qui misent sur le tourisme et les activités récréatives ;

- les métropoles aux effets d'entraînement économique (Metz, Dijon, Tours, Orléans, Nancy, Clermont-Ferrand) qui bénéficient d'un certain dynamisme de l'emploi, ne connaissent pas encore de congestion automobile majeure ni d'explosion des coûts immobiliers.

De multiples autres classifications pourraient être faites. Elles montrent que le qualificatif de métropole n'entraîne pas partout les mêmes conséquences.

2. Une place des métropoles à réinterroger
a) Les effets équivoques de la métropolisation

Si la métropolisation est apparue comme l'axe majeur pour encourager le développement économique dans la mondialisation, la concentration des populations et des richesses dans un petit nombre de grandes agglomérations n'est pas sans poser des problèmes.

La première difficulté tient aux déséquilibres sociaux internes aux grandes métropoles. L'emploi connaît une structure en sablier avec d'un côté, des emplois de cadres nombreux et d'un autre, des emplois de service à faible qualification, souvent précaires, tandis que la part des emplois intermédiaires est en diminution. La « gentrification » transforme les anciens quartiers dégradés mais bien placés dans les coeurs de ville en nouveaux quartiers prisés où la valeur des biens immobiliers est élevée et chasse les populations précaires, voire les classes moyennes vers les périphéries. La mixité fonctionnelle, générationnelle et sociale se réduit ainsi dans les métropoles, tendant à spécialiser les quartiers et à accroître les disparités entre les habitants des différentes parties de la métropole. Le rapport du CESE pointait ainsi le contraste social plus important dans les grandes aires urbaines qu'ailleurs en France. Le rapport interdécile (rapport entre les revenus des 10 % des ménages les plus pauvres et des 10 % les plus riches) était en 2017 de 4,3 dans les métropoles contre 3,5 en moyenne nationale.

Une autre difficulté est liée aux rapports de la métropole au territoire environnant. On imagine assez spontanément que les métropoles ont un effet d'entraînement positif sur la région alentour. Or, ce n'est pas si évident. La note de France Stratégie précitée montre ainsi que les territoires dans la périphérie des métropoles apparaissent nettement moins dynamiques en matière d'emplois que les couronnes périurbaines. Par ailleurs, les dynamiques locales sont très disparates. Si l'effet d'entraînement paraît positif pour Nantes, Rennes ou encore Montpellier, il semble ne pas s'étendre au-delà d'un rayon de 60 km autour de Bordeaux ou Toulouse, et s'avère inexistant pour les territoires autour de Lille et Rouen. Une autre note de France Stratégie centrée sur cette question des liens entre la métropole et son environnement, publiée fin 2017, confirme la situation très différenciée des métropoles quant à leur effet d'entraînement sur l'emploi de son arrière-pays93(*).

Par ailleurs, en termes de développement économique, la compétence des métropoles entre en concurrence avec celle exercée historiquement par les régions. Il convient que les stratégies de ces deux collectivités soient convergentes, faute de quoi les acteurs économiques pourraient se retrouver perdus en entendant deux discours différents, voire contradictoires.

Les plus critiques des effets pervers du système métropolitain, comme le professeur Guillaume Faburel, auteur en 2019 d'un ouvrage intitulé « Les métropoles barbares », estiment en outre que la ville dense ne peut pas être écologique du fait de la démesure des aménagements qui y sont constamment nécessaires94(*). Ne croyant pas aux slogans de la métropole durable, les détracteurs des métropoles pointent le fait que le modèle urbain-bobo-écoresponsable n'est accessible qu'à la frange la plus prospère de la population urbaine, laissant de côté les nombreux ménages modestes. Par ailleurs, la grande agglomération ne peut pas être sobre, car elle implique de continuer à croître et d'accueillir toujours plus de population, toujours plus d'activités, et donc de consommer toujours plus de ressources.

b) La quête difficile de la métropole équilibrée

Le gigantisme des métropoles constitue ainsi à la fois leur force et leur faiblesse. Le cadre de vie y est parfois dégradé par les problèmes de mobilité et l'engorgement du trafic automobile. Les transports collectifs sont aussi rapidement saturés. Le développement des déplacements à vélo y est constaté, mais dépend de la réalisation d'aménagements de voirie parfois coûteux.

La question du logement est également sensible, la hausse des prix immobiliers ayant fortement affecté les métropoles françaises. Le délai d'attente pour l'obtention d'un logement social est particulièrement élevé dans les métropoles dynamiques démographiquement et économiquement.

Les métropoles n'échappent pas non plus aux vulnérabilités environnementales : exposition aux pics de chaleur, risques d'inondations avec la multiplication des épisodes pluvieux massifs. L'adoption de plans de résilience et d'adaptation au changement climatique y est certainement plus urgente qu'ailleurs.

En 2021, les sénatrices Françoise Gatel, Dominique Estrosi-Sassone, Michelle Gréaume et Sylvie Robert avaient remis un rapport au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales appelant à créer de nouvelles dynamiques territoriales autour des métropoles95(*). Ce rapport constatait lui aussi que « la création des métropoles n'a pas toujours garanti la réactivité et la performance de l'action publique, dans la mesure où, notamment, ces EPCI sont aujourd'hui encombrés de compétences de proximité qu'ils n'ont pas toujours les moyens d'exercer convenablement » et que « les métropoles n'ont pas toujours eu l'effet d'entraînement sur les territoires avoisinants qui était recherché par le législateur ».

Le scénario négatif pour les territoires métropolitains consisterait à ne pas pouvoir gérer leurs difficultés internes, à créer de l'inefficacité dans la gouvernance par excès de complexité, tout en aspirant les énergies des territoires environnants. On irait vers des métropoles sclérosantes. À l'inverse, un scénario positif verrait les métropoles tirer le développement de leur espace régional tout en faisant avancer de concert croissance démographique et effort d'équipements pour accueillir les nouvelles populations.

Le rapport sénatorial précité préconise ainsi de davantage associer les métropoles aux négociations du contrat de plan État-Région (CPER), de rendre obligatoire la réalisation par les métropoles, à mi-mandat, d'un schéma de dynamisme territorial et d'une étude d'impact des contrats de réciprocité ou encore de moduler la dotation globale de fonctionnement (DGF) des métropoles en fonction des dynamiques partenariales engagées avec leurs territoires voisins.

En matière d'urbanisme, les métropoles sont en pointe des recompositions de notre armature territoriale. Elles devront à la fois aller vers une densification raisonnée et vers un verdissement et une désimperméabilisation accélérée des sols, pour éviter de devenir invivables. Enfin, la recherche d'un équilibre social pose la question de la maîtrise du foncier, du maintien de l'effort de construction de logements sociaux et de l'encadrement des loyers.

B. LES BANLIEUES DENSES : CONDAMNÉES À LA RELÉGATION ?

1. Le phénomène des banlieues
a) Des faubourgs aux banlieues : des espaces résidentiels mis à l'écart

Les confins des villes ont toujours été des espaces d'habitat informel, voire insalubre, où se concentraient les populations pauvres. Mais la pauvreté pouvait aussi exister en plein coeur de la ville du Moyen-âge et la stratification sociale n'était pas appréhendable uniquement sous le prisme géographique.

Le développement des faubourgs a repoussé sans cesse plus loin les limites des villes, mais celles-ci ont souvent été matérialisées jusqu'au 19siècle par des fortifications et remparts marquant une séparation physique nette entre l'intérieur et l'extérieur. À Paris, la destruction des fortifications dans les années 1920 a laissé place à une zone non aedificandi sur laquelle on a construit le périphérique entre 1960 et 1973.

Avant même la destruction de l'enceinte de Thiers, la révolution industrielle a généré les banlieues ouvrières. Dans toutes les villes industrielles, le besoin de main-d'oeuvre a conduit à construire des logements parfois provisoires, pour loger les travailleurs des usines et leurs familles.

Mais la banlieue au sens moderne du terme est plutôt le résultat des constructions des années de l'immédiat après-guerre, des années 1950 à la fin des années 1960, âge d'or de la réalisation des grands ensembles. On parle alors de cités, et plus récemment de quartiers. Au demeurant, le qualificatif de banlieue ne s'applique pas aux lieux de villégiature des bourgeois aisés des villes, pavillons et manoirs, pourtant situés à même distance de la ville.

Ce qui caractérise les banlieues, c'est en réalité une certaine concentration de population, une spécialisation résidentielle et un positionnement périphérique par rapport au coeur de ville. Les communes de banlieue sont ainsi des territoires d'habitat collectif maintenus à distance par un déficit de liens avec le centre, se matérialisant parfois par une mauvaise qualité des infrastructures de transport.

Ces paramètres n'ont pourtant pas fait des grands ensembles les espaces de relégation qu'ils sont devenus. Lors de leur construction, ils étaient synonymes de modernité et d'accès à des conditions de logement meilleures que dans les appartements vétustes des coeurs de ville. Mais leur cadre de vie s'est rapidement dégradé, le phénomène ayant touché les quartiers HLM comme certaines copropriétés, à l'instar de celles du grand ensemble de Clichy-Montfermeil.

Ce n'est pas dans le positionnement géographique des banlieues que réside une sorte de déterminisme. Au demeurant, il existe des « banlieues chic », des « ghettos de riches », qui sont tout aussi éloignés, voire davantage des coeurs de ville. En réalité, les difficultés des banlieues ont plus à voir avec celles de leurs habitants. Dans les banlieues se sont ainsi concentrées les populations rencontrant le plus de problèmes sociaux et les situations les plus précaires.

b) Les difficultés objectives des quartiers sensibles aggravées par des représentations négatives

Les territoires de banlieues se caractérisent en effet par la persistance de difficultés économiques et sociales. D'après les données de l'Observatoire national de la politique de la ville (ONPV)96(*), le taux de pauvreté monétaire97(*) dans les QPV s'établit à 43,3 % de la population, un niveau trois fois plus élevé que la moyenne nationale qui est à 14,5 %. Sans surprise, les bénéficiaires des minima sociaux y sont largement surreprésentés : la proportion d'allocataires du RSA y est entre 1,5 et 1,9 fois plus importante qu'en moyenne.

Le taux de chômage des personnes en âge de travailler (les 15-64 ans) est également nettement plus élevé que la moyenne nationale pour les résidents des QPV. En se basant sur les données de l'ONPV, il s'établissait en 2020 à 18,6 %, soit un peu plus de deux fois le taux moyen national. L'amélioration récente du marché de l'emploi a lui aussi profité aux habitants des QPV mais l'écart avec la moyenne nationale reste du même ordre. En outre, de nombreux habitants des QPV sont en permanence à la frontière entre activité et chômage et autres formes d'inactivité. La concentration de personnes peu qualifiées conduit à une certaine fragilité vis-à-vis de tout choc économique et d'accident de la vie.

D'autres difficultés objectives rencontrées dans les QPV relèvent non plus du champ économique, mais de celui des questions de société : la réussite scolaire, par exemple, y est plus faible que la moyenne. Malgré le classement en réseau d'éducation prioritaire (REP et REP+) de plus de la moitié des collèges relevant des QPV et l'attribution de moyens supplémentaires permettant d'avoir un nombre d'élèves par classe légèrement inférieur à la moyenne nationale (22,2 contre 23,8 en moyenne en collège) ou encore le lancement en 2018 des « cités éducatives », qui sont désormais au nombre de 200, les résultats enregistrés par les élèves vivant dans les QPV restent inférieurs aux résultats moyens des élèves en France : la réussite au diplôme national du brevet (DNB) est de 5 points inférieure dans les collèges en QPV (84,9 % contre 89,9 %), la proportion d'élèves en retard scolaire en 6e est de près de 10 % dans les collèges REP et REP+ contre 7 % en moyenne. Les lycéens issus des QPV s'orientent de manière privilégiée vers des filières professionnelles et optent, moins que la moyenne, pour des études supérieures.

En matière de sécurité, les QPV se caractérisent aussi par une forte proportion d'infractions violentes. En reprenant les chiffres de l'ONPV, on constate qu'à l'exception des cambriolages, les vols, vols violents avec arme, les coups et blessures volontaires et les homicides y sont 2 à 3,2 fois plus fréquents que la moyenne. Les habitants des QPV en sont les premiers auteurs, mais aussi les premières victimes. Le trafic de drogues, en particulier, génère une délinquance violente spectaculaire qui alimente aussi l'image dégradée des quartiers.

Car au-delà des difficultés objectives, qui sont réelles, les QPV souffrent d'une image dégradée qui installent ces territoires dans une marginalité durable et en font des espaces résidentiels peu attractifs. Les grands ensembles et plus largement les banlieues font l'objet d'un traitement médiatique qui met largement leurs difficultés en avant. Les fictions utilisent aussi la banlieue pour mettre en scène la violence ou la pauvreté. Même lorsque le message se veut positif, lorsque l'on insiste sur des parcours d'excellence de fortes personnalités, c'est pour contraster avec le sort bien moins favorable et presque joué d'avance de la plus grande masse des autres habitants des quartiers. Une étude menée par le CGET en 2020 confirmait la perception plutôt négative des Français vis-à-vis des quartiers sensibles, perçus comme dangereux et largement laissés à l'abandon98(*).

Les QPV sont ainsi perçus comme des territoires en marge, qui concentrent certaines catégories de populations et sont séparés du reste du territoire. Les spécificités démographiques de ces quartiers jouent beaucoup pour installer cette image. Ils concentrent en effet des populations plus jeunes que la moyenne, de nombreuses familles, parfois monoparentales. En outre, la proportion d'étrangers et d'immigrés y est bien plus forte qu'en dehors des QPV. Une note rapide de l'Institut Paris Région de 2020 rappelait que la part des étrangers dans la population des QPV était de 27 % dans les QPV en Île-de-France, 21 % dans les QPV hors Île-de-France, alors que la proportion d'étrangers en France n'est que de 7,6 % de la population totale99(*). Et parmi les Français qui résident en QPV, beaucoup sont issus de l'immigration. Les banlieues font ainsi l'objet d'un procès persistant en communautarisme et en séparatisme. La place de l'Islam y est en particulier pointée, même si le profil religieux des habitants est parfois plus varié qu'on ne le croit, et de toute façon assez difficile à appréhender, faute de statistiques publiques disponibles.

Au-delà d'une ségrégation économique et sociale, la banlieue court donc le risque d'une ségrégation culturelle entretenue par les représentations internes, que l'on pourrait qualifier rapidement de culture du ghetto, et des représentations extérieures comme la peur des racailles et le rejet de territoires considérés comme gangrénés par la violence et le non-droit.

2. L'introuvable efficacité des politiques publiques en faveur des banlieues
a) Une politique de la ville nécessaire mais aux résultats décevants

Les banlieues sensibles ont fait l'objet d'une politique territoriale spécifique à partir de la fin des années 1980, faisant suite aux émeutes urbaines de la banlieue lyonnaise (Vaux-en-Velin, Vénisissieux, Villeurbanne) et à leur diffusion sur tout l'hexagone (Chanteloup-les-Vignes, Sartrouville, Melun, Val-de-Reuil, Garges-les-Gonesse, ...). Le volontarisme politique en faveur des quartiers difficiles s'est matérialisé par la création de plusieurs structures : délégation interministérielle à la ville (DIV) en 1988, Conseil national des villes (CNV), Comité interministériel des villes (CIV) destiné à coordonner l'action des différents services de l'État et même en 1990, par la création d'un ministère de la ville.

Une véritable cartographie des territoires concernés a été réalisée afin d'y appliquer des dispositifs spécifiques de soutien. Des zones urbaines sensibles (ZUS) ont été définies et ont bénéficié de soutiens à travers des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS), remplacés en 2005 par la dénomination de quartier de la politique de la ville (QPV) et les contrats de ville.

Une multitude de leviers ont été activés dans l'objectif de réduire les écarts de développement au sein des ensembles urbains entre les espaces relativement dynamiques et attractifs et les QPV. Car si la politique de la ville est une politique d'aménagement du territoire, elle vise surtout à corriger les déséquilibres au sein même des espaces urbains, afin d'y introduire davantage de mixité sociale. Cela passe par l'encouragement de la localisation d'activités économiques dans les QPV. Ainsi, ont été mises en place les zones franches urbaines (ZFU) au sein desquelles les entreprises bénéficient d'exonérations fiscales lorsqu'elles embauchent des salariés issus du territoire. Divers dispositifs en faveur de l'entreprenariat, par exemple à travers des prêts d'honneur ou encore le microcrédit sont également apparus. Les communes et les EPCI sont en première ligne de la définition et de la mise en oeuvre des mesures de politique de la ville. Parties prenantes aux contrats de ville, les collectivités disposent de crédits distribués par l'État qui viennent en soutien des projets de ville. La participation des habitants est souhaitée, afin que la démarche ne soit pas descendante mais ascendante.

Un autre levier particulièrement visible de la politique d'aménagement du territoire en faveur des quartiers difficiles a été celui du renouvellement urbain. Lancé avec force par Jean-Louis Borloo, le programme de rénovation urbaine modifie le visage des quartiers en détruisant le bâti le plus dégradé et en apportant des soutiens à la rénovation des quartiers dits « HLM ». Il permet de remodeler les quartiers et aussi d'y introduire de la mixité entre locataires et propriétaires.

Il s'agit là d'une politique de longue haleine, engageant les communes sur plusieurs décennies, et aux résultats considérés comme relativement décevants, même si, comme l'indiquait déjà la Cour des comptes dans ses rapports de 2002 et de 2012, son évaluation globale est très difficile à faire et en tout état de cause très parcellaire.

D'une manière générale, l'objectif de réduction des inégalités entre les QPV et le reste du territoire n'est pas atteint. Mais pouvait-il l'être ? Les QPV restent des quartiers concentrant les populations les plus précaires des zones urbaines. Ils continuent à rencontrer des difficultés d'accès à l'emploi, mais aussi de scolarité ou de sécurité. Le dernier rapport de la Cour des comptes, rendu en 2020100(*), constate que « les quartiers prioritaires ne sont pas, de façon globale, devenus plus attractifs au cours de la dernière décennie, malgré les efforts consentis par tous les acteurs publics et sociaux ». D'autres travaux de la Cour des comptes, remis en 2022, montrent que les dispositifs en faveur de l'emploi des habitants des quartiers prioritaires (Garantie jeunes, Pacte avec les quartiers pour toutes les entreprises, emplois francs) n'ont pas permis entre 2015 et 2021 de réduire l'écart en la matière avec les habitants des autres quartiers101(*).

Le même constat s'applique aux opérations de rénovation urbaine. Là aussi, un rapport de la Cour des comptes, publié en 2020102(*), dressait un bilan mitigé du programme national de rénovation urbaine (PNRU) lancé en 2004 et du nouveau programme (NPNRU) lancé en 2014. Sur le premier programme, à peine 50 % des 250 000 logements neufs ont été construits. Quant au second, il démarre à peine en 2020 alors qu'il a été annoncé dès 2014 et doit s'étaler jusqu'en 2030. Plus préoccupant encore, s'appuyant sur les travaux de la Cour, le sénateur Philippe Dallier constatait dans un rapport parlementaire de 2020103(*) que « le PNRU n'a [...] pas produit les effets espérés sur la mixité sociale et pour rapprocher les quartiers de leur agglomération ». Il notait cependant que les critères d'évaluation de l'efficacité de la politique de la ville ne sont pas vraiment fixés, et que l'évaluation de celle-ci est donc largement défaillante.

À ce stade, il semble clair que les efforts d'embellissement, de restructuration urbaine, de transformation des quartiers, en changent fortement le visage en apparence, mais la sociologie des quartiers restant assez inchangée, les problèmes sociaux généraux qui y sont plus fréquents et plus intenses demeurent, la rénovation urbaine ne suffit pas à donner un nouveau destin aux quartiers populaires. La politique de la ville atténue les difficultés et joue un rôle d'amortisseur plus que de correcteur.

Les moyens publics consacrés à la politique de la ville

L'évaluation des ressources mobilisées en faveur des quartiers est faite chaque année dans un document de politique transversale (DPT) annexé au projet de loi de finances (jaune budgétaire).

Pour 2023, ce document104(*) évalue les dépenses de politique de la ville à 37 milliards d'euros, ce qui peut paraître considérable. En réalité, ce décompte est largement surévalué, puisqu'il intègre la totalité de crédits budgétaires correspondant à des dispositifs transversaux : prime d'activité (14,5 milliards d'euros), hébergement d'urgence (2,7 milliards d'euros), handicap et dépendance (14 milliards d'euros).

La réalité du soutien financier à la politique de la ville est bien plus modeste. Le programme n° 147 qui contient les crédits spécifiques de politique de la ville s'élève à un peu moins de 600 millions d'euros par an.

Les aides à la rénovation ou à la construction dans le cadre de l'ANRU se sont élevées à 12 milliards entre 2004 et 2020. Pour le NPNRU, une enveloppe de même montant est prévue, dont 90 % financés par Action Logement et l'Union sociale pour l'Habitat. On atteint donc un peu moins d'1 milliard d'euros par an de subventions à la rénovation urbaine, en comptant sur l'effet de levier de ces aides pour mobiliser les financements complémentaires nécessaires, notamment par les bailleurs.

b) Oser l'optimisme

On ne peut cependant se résoudre à conclure à l'échec de toute politique volontariste d'aménagement en direction des banlieues. Le scénario de la fatalité, qui ferait de ces territoires des espaces de relégation des populations les plus pauvres et disposant du cadre de vie, y compris en matière de transports, le plus dégradé, est politiquement et moralement inacceptable.

L'abandon de la politique de la ville n'est heureusement pas à l'ordre du jour aujourd'hui. Il s'agit plutôt de la moderniser pour améliorer son efficacité. C'est la conclusion du rapport de la commission nationale chargée de la réflexion sur les prochains contrats de ville, publié en avril 2022 et demandant un « acte II de la politique de la ville » replaçant les quartiers populaires au coeur de notre pacte républicain105(*). Parmi les propositions figure l'idée d'une association plus forte des citoyens, d'un encouragement des synergies entre secteurs public et privé ou encore de mobilisation des données numériques pour mieux piloter la politique de la ville.

Dans le même sens, une étude d'Hakim El Karoui publiée en 2020 par l'Institut Montaigne intitulée « les quartiers pauvres ont un avenir »106(*) suivie en 2022 d'un autre rapport du même auteur intitulé « l'avenir se joue dans les quartiers pauvres »107(*), considère que les banlieues ont des atouts. Citant l'exemple de la Seine-Saint-Denis, la première étude constate que le capital humain disponible donne une force aux habitants de ce département emblématique. Si les habitants sont pauvres, ils sont aussi mobiles. Le territoire n'est pas enclavé et peut tirer parti de son insertion dans l'écosystème métropolitain, en particulier dans le secteur du commerce et du transport et de la logistique. Le second rapport insiste sur l'importance d'un investissement massif dans l'éducation et l'orientation, mais aussi dans l'accès à la santé ou encore la sécurité. Il suggère de revoir le périmètre de carte scolaire pour favoriser la mixité sociale dans les collèges.

C'est donc en maintenant un effort de soutiens publics tout en misant sur les forces présentes localement que les banlieues pourraient envisager d'enclencher une nouvelle dynamique. Le récent rapport d'information des sénatrices Viviane Artigalas, Dominique Estrosi-Sassone et Valérie Létard publié mi-2022 et intitulé « La politique de la ville, un tremplin pour les habitants »108(*) retient lui aussi cette tonalité optimiste. Sans nier les difficultés des banlieues, le rapport constate que les quartiers pauvres sont parfois un sas et un tremplin pour les habitants, avec des mobilités résidentielles importantes. Les liens noués entre le quartier et l'extérieur sont autant d'opportunités pour créer de la richesse et limiter l'isolement de ces territoires. Le rapport mise beaucoup sur le développement de l'entreprenariat, qui a d'ailleurs pris de l'essor avec les services numériques. Nombre de chauffeurs Uber ou de livreurs sont des habitants de ces quartiers, qui ont créé leur propre entreprise.

L'heure n'est donc pas à jeter la politique de la ville par la fenêtre, à perdre patience vis-à-vis d'un effort certes substantiel mais modeste en comparaison des sommes considérables consacrées à d'autres politiques publiques, mais plutôt à renforcer nos dispositifs pour réaliser la promesse républicaine d'égalité réelle des territoires.

C. VERS LA FIN DU MODÈLE PAVILLONNAIRE ?

1. La domination de l'habitation individuelle dans les faits et dans les esprits.

Selon les derniers chiffres de l'INSEE, sur les 37,6 millions de logements recensés en France (36,6 millions en France hexagonale)109(*), dont 82 % constituent des résidences principales, l'habitat individuel domine encore puisqu'il représente 55 % de l'ensemble des logements, même si sa part s'érode légèrement depuis le début des années 2010. Les mises en chantier de logements individuels neufs, qui avaient atteint plus de 250 000 par an au milieu des années 2000, sont en effet tombées aux alentours de 150 000 durant la décennie 2010, tandis qu'à l'inverse dans le même temps, les mises en chantier de logements collectifs neufs sont passées de moins de 150 000 à 200 à 250 000 par an110(*).

Le croisement des courbes ne résulte pourtant pas d'une modification des aspirations des Français : 80 % d'entre eux préfèrent vivre en maison plutôt qu'en appartement. Cette préférence pour l'habitat individuel n'est pas du tout nouvelle. Comme le notait le sociologue Jean-Marc Stébé dans un article de la revue Constructif de 2020 intitulé « La préférence française pour le pavillon », une enquête de l'INED au lendemain de la Seconde Guerre mondiale déjà le phénomène en évidence : « 72 % des enquêtés indiquaient préférer la maison isolée avec jardin au logement dans un immeuble collectif »111(*). Cette préférence n'a fait que se renforcer durant les décennies suivantes, et les Français ont joint le geste à la parole, en accédant à la propriété dans des lotissements pavillonnaires contribuant à l'étalement urbain. Jean-Marc Stébé souligne ainsi que « pendant ce dernier demi-siècle, de nombreux lotissements de maisons individuelles isolées et environnées d'un jardin se sont greffés sur une multitude de communes rurales plus ou moins éloignées des agglomérations urbaines ».

À ce stade, il convient de distinguer deux notions qui ne recouvrent pas les mêmes réalités : l'habitat individuel désigne toutes les formes d'habitation dont l'assiette foncière et le bâti ne sont occupés que par un seul ménage, incluant les maisons de ville collées les unes aux autres comme les manoirs isolés. Le pavillon individuel en constitue une sous-catégorie, et désigne les maisons posées sur un terrain plus ou moins vaste, souvent groupées au sein de quartiers comprenant une série d'habitations très similaires mais séparées les unes des autres.

Le pavillon de banlieue a donné son identité aux zones périurbaines résidentielles de classes moyennes. Il a symbolisé l'ascension sociale des milieux modestes par l'accession à la propriété. Dans un article pour l'Observatoire de l'immobilier du Crédit Foncier publié fin 2018112(*), l'économiste Michel Mouillart et l'experte en mégadonnées Véronique Vaillant constataient que durant la période 2000-2017, les ménages pauvres et modestes « accèdent pour plus de 70 % d'entre eux en maison individuelle » contre 60 % pour les ménages aisés. Une partie de l'explication repose sur les variables économiques : les ménages pauvres et modestes ayant moins de capacités financières, ils accèdent à la propriété dans des zones géographiques où le foncier est moins cher, loin des coeurs d'agglomération.

Les raisons de l'engouement pour le pavillon sont multiples. Le modèle pavillonnaire répond aux besoins des familles avec jeunes enfants de disposer d'un jardin et de suffisamment d'espace pour améliorer la qualité de vie des différents membres de la famille. Le modèle pavillonnaire permet aussi de rester « maître chez soi » en n'ayant pas à se soumettre à des règles de copropriété contraignantes (même si certains lotissements sont aussi des copropriétés). Le modèle pavillonnaire répond au désir de campagne et de nature, tout en restant connecté à la ville par la voiture et en bénéficiant d'une nature régulée, encadrée, maîtrisée. De nombreux villages et gros bourgs qui ont vu les lotissements pavillonnaires fleurir depuis 50 ou 60 ans ont ainsi adopté le slogan « la ville à la campagne ». Enfin, faire construire ou acheter son pavillon est socialement valorisant.

Le rêve pavillonnaire a pu voir son attractivité renforcée à la suite de l'expérience vécue du confinement du printemps 2020, qui s'est déroulé dans des conditions météorologiques favorables sur toute la France. À rebours des urbains confinés dans des appartements exigus et souvent sans espace extérieur, les habitants des pavillons ont pu profiter d'un plus grand espace disponible et souvent des jardins, rendant ce mode de vie plus désirable encore.

2. La remise en cause difficile à entendre du modèle pavillonnaire

Pourtant, le modèle pavillonnaire doit faire face à une remise en cause d'autant plus radicale qu'elle heurte les aspirations d'une majorité de nos concitoyens.

Dans une déclaration du 14 octobre 2021, la ministre du logement Emmanuelle Wargon avait expliqué que « le pavillon avec jardin est un non-sens écologique, économique et social ». Sonnant l'hallali de la maison individuelle, la ministre suscitait les protestations des professionnels de la construction, mais aussi la réprobation forte de nombre d'élus et du grand public, et son message était d'autant moins audible qu'elle habitait elle-même une maison dans le Val-de-Marne.

Ces critiques du pavillon se fondent sur une série d'arguments qui ne sont pas dénués de pertinence, mais qui peuvent aussi être contestables, comme le montre le chercheur Éric Charmes dans un article de juin 2022 intitulé « Haro sur le pavillon ? »113(*).

• Le modèle de l'habitat pavillonnaire est d'abord contesté au nom de son impact sur l'environnement. Il est fortement consommateur d'espace : selon l'article précité de Jean-Marc Stébé, entre 2006 et 2014, 46 % des 491 000 hectares artificialisés en France avaient accueilli des maisons individuelles avec jardin. À l'emprise des parcelles s'ajoute la nécessité de créer de longues voieries pour la circulation automobile, le modèle pavillonnaire allant de pair avec une dépendance quasi totale à la voiture pour les déplacements du quotidien.

La fameuse courbe de Newman et Kenworthy élaborée en 1989114(*) tend à démontrer que plus une ville est étalée et peu dense, plus la consommation d'énergie pour s'y déplacer s'accroît, ce qui plaide en faveur d'une plus grande compacité des villes afin de réduire leur impact écologique.

Un dernier aspect du modèle pavillonnaire est critiqué au nom de la protection de l'environnement : en allant vers des logements plus grands qu'il faut construire puis entretenir et, notamment, chauffer, voire climatiser, la consommation de matières premières est plus importante que pour des logements collectifs plus petits. Dans son article précité, Éric Charmes incite cependant à nuancer cette critique, estimant que si construire en parpaings est peu écologique, on peut aussi construire des maisons en matériaux recyclables et on peut aussi être très performants en matière d'isolation. Au demeurant, l'expérience de maisons passives est plutôt concluante : il est tout à fait possible d'atteindre une performance énergétique de haut niveau dans un pavillon individuel.

• Le modèle de l'habitat pavillonnaire est ensuite contesté comme un non-sens économique individuel comme collectif. Éric Charmes indique ainsi que « pour beaucoup d'observateurs, les Gilets jaunes sont venus confirmer que l'accession à la propriété d'un pavillon pouvait enfermer les classes populaires dans un piège ». Ne prenant pas en compte le coût des transports (acquisition de l'automobile, carburants), ni les coûts d'entretien du logement (ravalements, toiture), le calcul économique conduisant à l'acquisition d'un pavillon peut se révéler un piège pour les ménages modestes.

Au plan collectif, l'habitat pavillonnaire est aussi considéré comme un mauvais choix économique. Il dévitalise les coeurs de ville au profit d'un modèle de consommation dominé par la grande surface et les multiplexes. Il conduit à délaisser des logements déjà existants et qui pourraient être rénovés pour un coût inférieur à la construction de logements neufs. La France compte en effet 3 millions de logements en coeur de ville, souvent dans des communes de taille moyenne en déclin : c'est sur ce parc existant que nous pourrions concentrer nos efforts, ce qui permettrait d'aider à la revitalisation des centre-bourgs.

• Le modèle pavillonnaire, enfin, est la cible de critiques de nature sociale, philosophique et politique : il encouragerait le repli sur soi individualiste, réduirait les interactions sociales à celles situées dans l'immédiate proximité (voisins, famille proche). Au plan politique, les banlieues pavillonnaires sont marquées par un vote très important en faveur de l'extrême-droite, qui n'a cessé de se renforcer durant la dernière décennie.

Le modèle pavillonnaire est ainsi à la fois individuellement désiré pour soi, mais rejeté comme modèle collectif, ce qui éclaire le paradoxe d'une ministre du logement proclamant la fin de l'habitat individuel, tout en vivant elle-même dans une maison.

• Au-delà des critiques de fond portées au pavillon individuel, celui-ci est désormais menacé par une crise de son modèle économique résultant de la hausse des prix des matériaux (acier, aluminium, briques, ciment, tuiles) combinée à la raréfaction du foncier. En 2022, à peine 100 000 mises en chantier ont été enregistrées. Sous l'effet des augmentations de coûts des matières premières et du renforcement des normes de construction, les charges moyennes pour la construction d'une maison neuve ont doublé en 10 ans, pour atteindre plus de 200 000 euros. À ce coût de construction s'ajoute le coût du foncier, des aménagements de raccordement aux réseaux (eau, assainissement, électricité) ou encore la taxe d'aménagement. Le « ticket d'entrée » pour devenir propriétaire d'une maison neuve ne cesse donc de progresser. La hausse récente des taux d'intérêt réduit encore davantage l'éventail des acheteurs potentiels. La faillite des maisons Phoenix, constructeur historique de maisons individuelles en France, en juin 2022, résonne comme un symbole d'une remise en cause profonde et durable du modèle pavillonnaire.

3. L'habitat individuel n'a pas dit son dernier mot.

Remis en cause mais toujours fortement désiré, quel peut être l'avenir de l'habitat individuel ?

Son remplacement par de l'habitat collectif est fortement contesté, même s'il est parfois mis en oeuvre dans des communes situées dans la couronne proche des grandes métropoles, posant alors le problème du mitage des zones pavillonnaires anciennes par des petits collectifs et d'incohérence du tissu urbain, suscitant la protestation des riverains.

Quelques tendances lourdes se dégagent. D'abord la réalisation dans des villages ruraux ou des petits bourgs éloignés des coeurs d'agglomération de grands lotissements pavillonnaires avec jardin sur des terrains d'au moins 400 à 500 m² est de plus en plus improbable. Ces opérations représentent déjà à peine 6 à 7 % de la construction de maisons individuelles aujourd'hui. La construction en série permet certes de réduire les coûts mais la raréfaction du foncier induite par la mise en oeuvre du principe de zéro artificialisation nette (ZAN) réduit les opportunités pour les promoteurs.

Or, comme 68 % de l'artificialisation des sols est aujourd'hui à destination de l'habitat115(*), selon les données du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), le ZAN va fortement peser sur la capacité à mobiliser de nouvelles surfaces pour construire des habitations et obligera à s'orienter vers des solutions plus économes en foncier.

En revanche, la construction de maisons individuelles en lisière de zone urbanisée, dans des dents creuses à l'intérieur des bourgs ou sur d'anciens sites en reconversion, pourrait se poursuivre, mais dans le cadre de petits programmes, voire d'initiatives individuelles d'achats de terrains, et à des coûts plus élevés. Une autre modalité de construction de maisons individuelles consiste en la division de parcelles lorsque celles-ci sont assez grandes, sachant que la superficie moyenne des terrains est aujourd'hui de 947 m² et que plus des deux tiers des Français estiment suffisant de disposer d'un jardin de 500 m², voire moins116(*).

La réhabilitation de bâti ancien plus ou moins abandonné dans des hameaux ruraux ou au coeur de villages constitue aussi une solution économiquement pertinente et socialement souhaitable, puisqu'elle peut participer à la revitalisation des territoires. Parmi les 3 millions de logements vacants, beaucoup pourraient répondre à cette typologie. Mais de telles solutions doivent être accompagnées par la puissance publique, car les obstacles financiers et pratiques sont nombreux et ont souvent détourné de la réhabilitation au profit de la construction neuve. À cet égard, un renforcement des soutiens apportés par l'Agence nationale d'amélioration de l'habitat (ANAH) pourrait être fort utile.

Dans le cadre des aménagements urbains des communes, une autre piste permet de concilier consommation économe de l'espace, maîtrise des coûts et aspiration au logement individuel : il s'agit de la maison de ville. L'habitat individuel groupé, voire l'habitat individuel en bande, à l'instar du Royaume-Uni, des Pays-Bas ou de la côte Est des États-Unis, augmente le nombre de logements à l'hectare, tout en permettant aux habitants de disposer d'un espace extérieur et d'un intérieur spacieux. Là où l'habitat individuel isolé consomme 1 hectare pour 5 logements, l'habitat individuel groupé permet de monter à 10 logements et jusqu'à 60 logements pour l'habitat individuel en bande, soit autant que les petits collectifs. Des bailleurs sociaux s'engagent de plus en plus fréquemment dans ce type d'opération, assez attractives pour les locataires qui y trouvent un cadre de vie plus qualitatif que dans l'habitat collectif classique.

Si le temps des constructions de maisons individuelles de plus en plus éloignées de centres urbains pour les classes populaires et classes moyennes en pleine ascension sociale dans une France en forte croissance démographique semble bel et bien révolu, la maison individuelle n'a pas encore dit son dernier mot.

D. ZONES INDUSTRIELLES, ZONES LOGISTIQUES, ZONES D'ACTIVITÉS, ZONES COMMERCIALES : LE DÉFI D'UNE MEILLEURE ARTICULATION À LEUR ENVIRONNEMENT

1. La spécialisation géographique des activités économiques
a) Des espaces dédiés au développement économique

Si les activités artisanales et proto-industrielles étaient intégrées dans le tissu urbain ou rural, constituant en quelque sorte le prolongement des habitations des artisans ou des fermes, le passage à l'ère industrielle a modifié la géographie de l'implantation des lieux de production. Le lien de proximité s'est distendu à la fois parce que l'on avait besoin de plus d'espace pour construire un appareil de production de masse et parce que le caractère polluant des activités conduisait à rechercher une certaine distance avec la ville. Cependant, la nécessité d'employer une main-d'oeuvre nombreuse conduisait la ville à se reformer autour des grands sites industriels.

Le modèle industriel des usines gigantesques n'a pas totalement disparu mais s'est considérablement affaibli, en partie sous l'effet de la désindustrialisation. Les activités économiques s'inscrivent dans une géographie diffuse mais la spécialisation des espaces demeure. Ainsi, les zones industrielles desservies par des infrastructures de transport sont le lieu privilégié de la production. À côté de la production, se pose la question de l'entreposage et de la logistique : zones industrielles et zones logistiques peuvent ainsi partager les mêmes espaces, souvent en périphérie des zones habitées, qualifiées de zones d'activités économiques (ZAE). On estime qu'il existe aujourd'hui environ 30 000 ZAE occupant 450 000 hectares117(*). La loi Climat et Résilience de 2021 a donné une définition juridique de ces zones et demandé aux EPCI d'en effectuer l'inventaire en deux ans, si celui-ci n'était pas déjà fait. Ces zones ne sont pas les seules à accueillir des activités productives mais elles répondent à une logique de spécialisation et sont très repérables dans le paysage urbain.

Les zones commerciales constituent une autre modalité de spécialisation de l'espace pour y développer des activités économiques, en l'occurrence non plus de production mais de vente. Si elles sont loin de représenter la totalité de l'activité commerciale en France, la vente de détail continuant de relever au moins en partie de commerces de proximité totalement intégrés au tissu urbain, elles en assurent aujourd'hui une part substantielle. Quelque 850 parcs d'activité commerciale regroupent 10 % des commerces de France et représentent plus d'un quart du chiffre d'affaires du commerce de détail. Surtout, le modèle du centre commercial, qui s'est développé rapidement durant les Trente Glorieuses, paraissait particulièrement efficace en proposant en un lieu unique une offre variée. Les centres commerciaux sont particulièrement gourmands en espace : le plus grand centre d'activité économique d'Europe, situé à Saint-Maximin dans l'Oise, réunit ainsi 320 enseignes sur 200 hectares.

Les zones commerciales sont l'emblème du consumérisme de masse, standardisé, très consommateur d'espace pour la vente mais aussi pour les parkings. Ils sont caractérisés par la juxtaposition de bâtiments laids, en forme de boîte à chaussure, et la domination du bitume pour permettre aux voitures des clients de circuler et stationner.

Zones industrielles, zones d'activités, zones commerciales, constituent l'ossature d'un espace spécialisé, dédié aux fonctions économiques, ayant besoin de nombreuses voiries pour assurer la circulation motorisée des marchandises et des personnes, et maintenu à distance des zones d'habitation. Les espaces concernés ne sont pas anecdotiques. Pour ne prendre qu'un exemple, en Loire-Atlantique, département dans lequel près de 14 % du territoire soit 95 000 hectares sont artificialisés, les zones dédiées à l'activité économique représentent 9 800 hectares, soit plus de 10 % des espaces urbains et 1,4 % du territoire118(*).

b) Les avantages de la spécialisation des zones à vocation économique

La spécialisation des zones d'activités économiques répond à une recherche d'efficacité, notamment dans la mutualisation des accès à des infrastructures de transport. L'implantation des industries dépendant de produits lourds est ainsi privilégiée au bord de canaux ou de voies ferrées pour faciliter les flux logistiques, ou encore des autoroutes. Les activités de même type s'implantent de manière contiguë pour bénéficier d'un effet d'agglomération.

La mise à l'écart des villes des activités polluantes répond aussi au besoin de protéger les populations. Les implantations industrielles sont ainsi classées au titre des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et sont soumises à des régimes de contrôle administratif et des réglementations destinées à maîtriser les risques d'évènements accidentels ou de rejets dans l'environnement de produits nocifs pour les milieux ou pour la santé des riverains. Adoptée après le rejet accidentel de dioxine d'une usine en Lombardie, en 1976, la directive européenne de 1982 dite « Seveso », révisée à trois reprises, impose aux exploitants de près de 1 300 sites en France de réaliser des études de danger, de prévenir les risques, et définit un périmètre imposant des restrictions en matière d'urbanisme autour des sites dits « Seveso », à travers les plans de prévention des risques technologiques (PPRT).

S'il y a spécialisation, il n'y a pas pour autant une mise à distance totale. En réalité, les zones d'activités et les zones industrielles doivent cultiver une certaine proximité avec les zones d'habitation, ne serait-ce que pour permettre aux personnes qui y travaillent d'y accéder sans parcourir de trop longues distances. Ces espaces se situent donc souvent en périphérie des villes, dans une certaine continuité urbaine, comme par exemple la zone industrielle de Lyon-Sud, qui, le long du Rhône et de l'autoroute A6, s'étend sur plus de 1 200 hectares, et forme la première agglomération industrielle de France. En matière de logistique, il est nécessaire de penser l'ensemble de la chaîne, sans négliger les stockages urbains de proximité et les enjeux du dernier kilomètre, comme le soulignait lors de son audition la professeure Laetitia Dablanc, qui appelait à développer un nouvel urbanisme logistique qui pourrait être innovant, notamment sur le plan architectural, et pourrait ainsi mieux s'intégrer dans l'espace urbain.

Il en va de même des zones commerciales. Elles ne peuvent pas être trop éloignées des lieux de vie, d'où une implantation préférentielle dans des entrées ou sorties de ville, le long des axes routiers. Les magasins d'usine et commerces spécialisés se sont parfois implantés à distance, mais à condition de bénéficier de conditions d'accès privilégiées, en sortie d'autoroute ou de rocade routière.

Les collectivités territoriales trouvent leur compte dans le développement de zones spécialisées dans la logistique, l'industrie ou le commerce. D'abord, il s'agit d'activités pourvoyeuses d'emplois, et donc des moteurs de développement économique. Ensuite, elles génèrent des recettes fiscales à la fois pour les EPCI et pour les communes d'implantation, à travers la taxe foncière. Les activités économiques constituent ainsi le socle d'une certaine richesse des collectivités, qui ne doivent mobiliser en contrepartie des recettes de fiscalité économique qu'assez peu de dépenses : nul besoin de construire des crèches, des écoles, des gymnases ou des salles des fêtes supplémentaires, contrairement à un développement urbain axé sur l'arrivée de nouveaux habitants.

2. Le défi de la promotion d'un développement économique respectueux des territoires
a) Des activités économiques qui ont besoin d'espace

Si les inquiétudes relatives à l'application du principe du ZAN se manifestent souvent à l'égard des besoins en construction de logements, il fait également peser la pression sur le foncier économique. Or, du fait du caractère de carrefour de l'Europe du Sud, avec ses quatre grandes interfaces portuaires avec le monde (Le Havre, Dunkerque, Marseille et l'aéroport de Roissy) et ses trois axes de circulation de marchandises (couloir rhodanien, vallée de la Seine, axe Paris-Lille), la France continue à être une plaque tournante de la logistique et a encore besoin de surfaces de stockage. L'association française de l'immobilier logistique (Afilog) met en évidence le faible taux de vacance des entrepôts logistiques (la plupart des régions ayant un taux inférieur à 5 %, qui est considéré comme un taux minimal) pour caractériser la tension foncière actuelle sur le secteur119(*).

Les entrepôts ne représentent qu'environ 1 % des surfaces artificialisées mais impriment leur marque dans le paysage. On dénombre plus de 5 000 entrepôts et plateformes logistiques (EPL) de plus de 5 000 m² en France120(*). Les implantations sont rarement isolées : beaucoup d'entrepôts sont juxtaposés dans des zones logistiques. Le développement du commerce électronique a intensifié les flux logistiques et la poursuite des tendances actuelles implique une progression des surfaces de stockage et des services de livraison à domicile. Le stockage vertical est une solution, mais assez coûteuse et donc limitée aux territoires où le foncier est soit indisponible soit extrêmement cher. Par ailleurs, les besoins en surfaces logistiques se diversifient : outre les grands entrepôts, le défi consiste à acheminer les marchandises sur les derniers kilomètres. La filière logistique doit donc innover et rechercher des surfaces plus petites dans les territoires fortement urbanisés, par exemple en utilisant les parkings inutilisés. L'enjeu de compétitivité n'est pas mince, la phase finale de distribution des produits pouvant représenter jusqu'à 30 % du coût d'acheminement vers le client final.

Par ailleurs, la politique de réindustrialisation affichée par le Gouvernement nécessite de mobiliser des terrains pour accueillir les activités créées ou relocalisées sur le territoire national. Par ricochet, le développement de l'industrie va demander encore plus de surfaces logistiques destinées au circuit de distribution des produits fabriqués.

La tâche ne devrait pas être impossible, dans la mesure où l'industrie ne représente qu'environ 4 % des surfaces urbanisées, soit un peu plus de 200 000 hectares et que nous disposons de friches industrielles et de lisières urbaines aménageables. Il convient toutefois de prendre en compte le fait que les grands terrains sont rares, bien que nécessaires pour installer des grandes unités de production, comme celles devant fabriquer des batteries électriques : la « gigafactory » de Dunkerque du groupe Prologium annoncée mi-2023 devrait ainsi couvrir 180 hectares. Par ailleurs, les sites doivent répondre à un cahier des charges exigeant : il faut prévoir les agrandissements possibles, construire les infrastructures d'acheminement des fluides, de l'énergie (renforcement des réseaux), les équipements routiers, mais aussi permettre le recrutement de personnels en proximité et faciliter l'installation de partenaires, en particulier les sous-traitants. Enfin, une partie de la réindustrialisation est le fait de PME. Dans un rapport remis début 2023, l'organisation professionnelle représentative des industriels, France Industrie, alertait sur le fait que 53 % des startups industrielles déclaraient rencontrer des difficultés pour identifier un foncier adéquat, et recommandait de mettre à disposition des sites « clefs en main »121(*).

b) Vers une nouvelle géographie du commerce ?

Mieux occuper l'espace nécessite aussi de repenser la manière dont sont aménagées les zones commerciales. L'ère du développement de la grande distribution et des centres commerciaux a donné lieu à des implantations en bordure des villes d'ensembles très similaires sur le plan architectural, devenus avec le temps assez peu attractifs. Certains centres ont d'ailleurs mal vieilli et perdent en attractivité.

Les centres commerciaux apparaissent aujourd'hui menacés par le regain d'attractivité du commerce de centre-ville et par le développement du commerce électronique, qui représente près de 14 % du commerce de détail. D'après le Conseil national des centres commerciaux (CNCC) renommée Fédération des acteurs du commerce dans les territoires (FACT) en 2022, le commerce physique n'est pas en si mauvaise santé. Certes, d'après l'édition 2023 de l'Observatoire des sites commerciaux, la fréquentation de ceux-ci est encore inférieure de 11,7 % fin 2022 à ce qu'elle était en 2019, période pré-pandémie, mais la crise a aussi eu la vertu d'accélérer les nécessaires transformations du commerce.

Les centres commerciaux sont ainsi amenés à se réinventer : ils deviennent tout autant des centres de loisirs et de restauration et des plateformes de services que des lieux de vente de marchandises. Les aménagements rustiques et l'absence d'efforts architecturaux ne sont plus possibles. Le renouvellement commercial passe par un effort esthétique mais aussi de diversification des quartiers commerciaux. Ainsi, la requalification de la zone commerciale Nord de Strasbourg, menée par le groupe Frey, consiste à restructurer totalement la zone commerciale de 150 hectares, en implantant des circulations douces, en créant 400 logements, 11 000 m² d'activités tertiaires et en faisant des efforts esthétiques pour favoriser la promenade dans un centre commercial en large partie à l'air libre, combinant commerces, restaurants, loisirs et même services de santé.

La géographie des espaces commerciaux est ainsi appelée à évoluer. Même les supérettes de quartier doivent faire des efforts de meilleure intégration à leur environnement et d'amélioration de leur attractivité, y compris visuelle. Un paramètre doit toutefois être pris en compte : l'embellissement des espaces commerciaux a un coût, forcément répercuté sur le client. Le contexte nouveau d'inflation et la recherche de prix bas par une partie de la population pourrait faire des centres commerciaux ou des commerces de centre-ville des espaces réservés de fait à une clientèle disposant de moyens élevés, tandis que les consommateurs les plus pauvres dont les budgets sont les plus contraints seraient condamnés à recourir à des enseignes « discount » n'ayant pas fait ces efforts d'embellissement et d'attractivité visuelle. Il pourrait en résulter une dualisation des espaces commerciaux, inscrivant dans l'espace la stratification économique et sociale de la France plus encore qu'aujourd'hui.

E. L'ESPACE RURAL EN PLEINE TRANSFORMATION

1. L'espace rural transformé par les mutations du monde agricole
a) La place centrale de l'espace agricole dans l'espace rural

La ruralité se définit en creux de l'urbanisation. Elle correspond à de vastes espaces hors de la ville, où prédomine l'activité agricole, voire forestière.

L'agriculture constitue le socle symbolique, presque identitaire, du monde rural. Elle en a longtemps aussi été le socle économique. Elle en est encore l'activité qui y occupe le plus le territoire. Même en Île-de-France, région métropolitaine la plus urbanisée et la plus dense de France, les terres agricoles représentent 48 % de l'occupation des sols soit 570 000 hectares sur 1,2 million d'hectares.

La grande diversité de la « ferme France » génère des spécificités de chaque territoire agricole. Notre pays dispose de la plus grande surface de terres arables de l'Union européenne, ce qui explique qu'il est le premier bénéficiaire de la PAC, dans la mesure où les aides sont distribuées en fonction des surfaces cultivées. Notre pays dispose aussi du cheptel bovin le plus important de l'Union européenne, avec plus de 17 millions de têtes de bétail, soit presque un quart du cheptel européen, en cumulant vaches laitières et cheptel allaitant destiné à la production de viande. Nous disputons chaque année la première place à l'Italie en matière de production viticole, qui s'appuie sur 750 000 hectares soit 11 % de la surface plantée dans le monde. On observe une grande variété de cultures : blé, orge, colza, maïs, betteraves, pommes de terre. Les secteurs de polyculture-élevage conduisent à cultiver des plantes fourragères mais aussi à exploiter presque 12 millions d'hectares de prairies. Nous ne sommes pas en reste sur les cultures spécialisées, y compris les plantes à parfum, le maraîchage et l'arboriculture.

L'espace rural est ainsi caractérisé par l'omniprésence des activités agricoles, qu'il s'agisse de cultures ou d'élevage, la première activité servant souvent à fournir des aliments pour la seconde. Les paysages sont marqués par les cultures dominantes : grandes plaines céréalières de l'Est et du Centre, prairies de Normandie et du Massif central, vignobles de Gironde, de Bourgogne, des bords de Loire ou du pourtour méditerranéen. Chaque territoire rural est façonné par les spécificités des formes d'agriculture qui y sont pratiquées, la diversité des activités agricoles et la diversité des paysages ruraux se répondant parfaitement.

Pas toujours installées dans les coeurs de village, les fermes matérialisent parfois des hameaux isolés, où l'agriculteur vit au milieu de ses terres, sur son exploitation.

Notons au passage que la diversité des productions agricoles et des capacités de production des différents territoires conduit à une diversité des prix des terres. Ceux-ci sont plutôt dans la fourchette basse européenne (un peu plus de 6 000 euros par hectare en France, contre 10 000 en Pologne et en Italie, 12 000 euros en Espagne et jusqu'à 70 000 euros aux Pays-Bas)122(*). Mais il existe de fortes variations à l'intérieur du pays selon les secteurs. Ainsi, la carte du prix des terres établie par la Fédération nationale des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER)123(*) montre que les prix moyens des terres dans le département du Nord étaient de plus de 13 000 euros en 2022, 9 000 euros en Eure-et-Loir, contre 2 500 euros en Haute-Saône et 2 400 euros dans le Jura. En viticulture, les écarts sont encore plus spectaculaires : 127 900 euros par hectare en Gironde contre 10 400 euros par hectare dans la Dordogne voisine.

b) Les effets de la transformation de l'agriculture

Si l'agriculture reste dominante dans le monde rural, elle n'en est plus que partiellement le coeur battant économique L'effet paradoxal de la modernisation agricole menée à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale a été d'enrichir les agriculteurs, en offrant de meilleurs rendements et des conditions de travail moins pénibles, à travers la mécanisation et l'utilisation de nouveaux fertilisants ou encore de produits phytopharmaceutiques efficaces pour se débarrasser des parasites des cultures, mais de dépeupler les campagnes. Les besoins de main-d'oeuvre se sont effondrés. Alors que l'emploi agricole représentait encore un tiers de l'emploi total en 1945, il ne correspond plus aujourd'hui qu'à 2 à 3 % des actifs occupés, en comptant les chefs d'exploitation agricole et leurs ouvriers.

Pourtant, l'agriculture continue de donner son identité au monde rural, que l'on célèbre chaque année en février à Paris au Salon de l'agriculture. Or, les agriculteurs sont loin d'être les plus nombreux à habiter la ruralité. La réduction de la place de l'agriculture dans le monde rural peut s'appréhender par la réduction du nombre de maires-agriculteurs. En s'appuyant sur les calculs de la Gazette des communes à partir du répertoire national des élus, on constate qu'environ la moitié des maires de France étaient des agriculteurs ou anciens agriculteurs en 1989, et qu'ils ne sont plus que 17,46 % (6 095 sur 34 890) aujourd'hui124(*).

Le vieillissement des exploitants agricoles accompagne aussi le vieillissement des campagnes. L'âge moyen des exploitants agricoles est de plus de 50 ans et la part des exploitants de moins de 40 ans est de l'ordre de 20 %. Certaines filières comme l'élevage bovin sont particulièrement concernées par les problématiques de renouvellement des générations. Le renouvellement des générations et l'installation de jeunes agriculteurs constituent donc un enjeu pour redynamiser les campagnes.

La transformation de l'agriculture conduit enfin les campagnes à voir fleurir des activités annexes de l'activité agricole : production d'énergie avec la construction d'éoliennes ou l'équipement photovoltaïque sur des terres ou des toitures de bâtiments d'élevage, mais aussi transformation à la ferme, ventes directes en circuits courts. Le secteur agricole reste ancré dans son territoire et la France n'a pas basculé dans un modèle agro-industriel typique de l'Amérique du Nord ou de l'Amérique du Sud. Nous conservons une agriculture à échelle humaine, même si la financiarisation agricole se déploie progressivement.

2. Peut-on parler de renouveau rural ?
a) L'inversion du déclin démographique des territoires ruraux

Marquées historiquement par l'exode rural, nos campagnes ont cessé de perdre leurs habitants à partir de 1975, voire pour certains territoires, ont entamé un mouvement inverse, avec une accélération à partir des années 2000. Entre 2008 et 2018, la population des communes peu denses a augmenté de 0,56 % par an, contre 0,40 % pour les communes urbaines125(*). Cette progression est plus forte, à 0,92 % par an, dans les communes rurales sous influence d'un pôle urbain mais elle est encore de 0,65 % dans les communes rurales sous faible influence des pôles urbains. Seuls les territoires ruraux très peu denses continuent à perdre 0,13 % de leur population par an.

Le dynamisme démographique des territoires s'explique par le solde migratoire bien supérieur à celui constaté dans les zones urbaines. Chaque année sur la période 2008-2018, elles enregistrent un solde migratoire de 0,46 %, bien supérieur au solde naturel qui est presque nul. C'est exactement l'inverse dans les communes urbaines : le solde naturel est de 0,51 % mais le solde migratoire y est négatif de -0,12 %. D'après l'INSEE, ce sont chaque année plus de 700 000 personnes qui quittent les espaces urbains pour s'installer dans les espaces ruraux.

En réalité, deux phénomènes se combinent pour expliquer ce renouveau démographique des territoires ruraux :

- d'une part, les villages ruraux relativement bien connectés aux métropoles ont attiré des citadins qui continuent d'y travailler. Il s'agit là d'une périurbanisation élargie, qui peut s'accompagner d'un allongement des distances entre domicile et travail. Les nouveaux ruraux peuvent au demeurant avoir choisi de s'installer plus loin des villes pas uniquement pour les avantages en termes de proximité avec la nature, mais surtout parce que les prix des logements y sont plus accessibles et qu'on peut y faire construire sa maison ;

- d'autre part, certains urbains s'installent à la campagne dans le cadre d'un retour à la nature davantage choisi, revendiquant une modification de mode de vie et recherchant davantage d'authenticité dans les relations sociales ou encore dans les modes de consommation. Dans le cadre d'une migration d'agrément choisie, il peut s'agir de néo-ruraux venant d'autres régions, voire d'étrangers. De nombreux Anglais ou Néerlandais se sont ainsi installés dans le Sud-Ouest. On comptait 7 500 Britanniques sur les 410 000 habitants de Dordogne au moment du Brexit.

Dans un rapport d'information de 2008 intitulé « Le nouvel espace rural français », les sénateurs Jean François-Poncet et Claude Belot126(*) avaient esquissé une typologie de ces nouveaux ruraux et identifiaient quatre catégories : les citadins retraités, les baby-boomers actifs, les jeunes familles avec enfants et les actifs modestes.

Quoi qu'il en soit, cette arrivée de populations urbaines dans les campagnes constitue un défi considérable. Si elle permet d'éviter la fermeture des écoles, elle n'est pas toujours synonyme de dynamisme local si les nouveaux arrivants s'intègrent difficilement à la population rurale et si les habitudes de consommation restent inchangées. Des conflits internes au territoire peuvent aussi apparaître, l'exemple le plus caricatural étant celui des plaintes des nouveaux habitants sur le bruit du coq ou les sonneries du clocher de l'église. Le renouveau rural n'est donc pas sans risques.

b) Des dynamiques rurales très disparates

L'analyse des dynamiques d'occupation de l'espace dans la ruralité ne peut pas s'arrêter au constat d'un certain renouveau. La fragmentation qui touche les espaces urbains concerne aussi les espaces ruraux, ce qui n'est d'ailleurs pas totalement nouveau. La distinction de campagnes prospères et actives à dominante de cultures céréalières à fort rendement ou de viticulture d'appellation, a toujours cohabité avec une campagne plus pauvre, reposant sur l'élevage de petits ruminants sur des terres caillouteuses et peu profondes.

Certains territoires ruraux bénéficient également de bonnes connexions à leur environnement et d'un potentiel touristique bien valorisé, tandis que d'autres sont plus difficilement accessibles et moins bien équipés pour accueillir des flux touristiques ou de nouveaux habitants.

L'offre de services y est d'ailleurs hétérogène : selon une étude de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), deux bassins de vie ruraux sur trois sont déficitaires en médecins généralistes. Il manquerait 6 000 professionnels de santé dans les territoires ruraux127(*), signe que les espaces ruraux sont plus que les autres soumis au risque de devenir des déserts médicaux. Mais ce qualificatif est loin de caractériser tous les territoires ruraux. Un peu plus d'une commune rurale sur trois a une densité médicale au-dessus de la moyenne. Et les distances vis-à-vis des cabinets médicaux sont à pondérer par les temps de trajets, plus courts dans des territoires ne connaissant pas de congestion automobile.

Les contrastes existent parfois au sein d'une même région, voire au sein d'un même département, ce qui amène à relativiser l'idée de grandes lignes de partage. La fameuse « diagonale du vide » est ainsi contestable. À quelques kilomètres d'écart, les réalités démographiques, économiques et sociales sont très contrastées Ainsi, on peut observer des phénomènes de dépeuplement des campagnes au sein de régions pourtant globalement dynamiques : c'est le cas en Bretagne-centre, qui contraste avec le littoral breton en pleine croissance démographique.

Cette diversité est bien mise en évidence par des travaux récents menés sous l'égide de l'ANCT128(*), dont la carte est reproduite ci-après, qui distingue les ruralités résidentielles autour des grandes agglomérations, les petites polarités rurales, concentrées dans l'Ouest du pays, les ruralités productives à dominante agricole allant du Sud-Ouest au Nord du Massif central, et à dominante industrielle dans le Nord et l'Est, et les ruralités touristiques sur les zones littorales et de montagne. D'une zone à l'autre, la pression foncière ou encore la capacité à faire face aux transitions agro-écologiques y sont fort différentes.

3. L'occupation de l'espace rural à réinventer
a) La conciliation des activités agricoles et des autres activités

Les activités agricoles continueront à marquer les territoires ruraux. Certes, elles ne représentent plus qu'une minorité des emplois, mais elles occupent l'essentiel des surfaces et elles contribuent à façonner nos paysages.

Les besoins du monde agricole influent fortement sur la manière dont on organise la société dans l'espace rural. La préservation des terres agricoles constitue ainsi un enjeu fort qu'il est légitime de protéger face aux demandes de construction pour d'autres besoins, en particulier le logement. Le sujet est sensible dans les périphéries rurales des agglomérations urbaines, où les besoins en foncier économique ou en foncier résidentiel peuvent pousser à changer la destination des sols.

La conciliation de l'activité agricole avec les autres activités n'est pas sans difficultés. Ainsi, les nuisances sont parfois mal acceptées par les habitants au voisinage des champs : odeurs lors des épandages, bruit lié aux activités d'élevage ou encore risques pour la santé liés à la proximité d'épandages de pesticides sont autant d'occasions de conflits. Dans ce dernier cas, la distance minimale vis-à-vis des habitations est de seulement 10 mètres pour l'arboriculture ou encore la vigne et de 5 mètres pour les autres cultures, alors que les riverains souhaiteraient souvent que ce soit bien davantage. L'association Générations futures estime ainsi que des zones tampons de non-traitement d'au moins 100 mètres devraient être instituées pour protéger la santé des habitants.

La conciliation des activités agricoles avec la préservation de la nature en milieu rural est également un sujet sensible. La volonté de réintroduire des grands prédateurs (ours dans les Pyrénées, loup dans les Alpes du Sud) rencontre l'opposition de nombre d'éleveurs, qui voient leur travail rendu plus difficile et leurs troupeaux exposés à des risques qui avaient disparu.

Si le développement agricole joue un rôle important dans le développement rural, l'activité de production doit trouver son prolongement dans la promotion du terroir, la gastronomie ou l'oenologie. Autant que produire, il faut savoir vendre le territoire et son image. La stratégie des appellations d'origine protégée (AOP) illustre la réussite d'une démarche qui associe production de qualité et savoir-faire commercial, dans le cadre d'une organisation collective de filière, comme celle du Comté (70 000 tonnes de fromage par an, 600 millions d'euros de chiffre d'affaires, 2 600 producteurs de lait et 8 000 emplois directs). L'activité agricole peut aussi servir de support au développement touristique du territoire, même si l'agritourisme à la française est moins répandu que dans certaines régions d'Italie.

Mais le développement rural peut aussi entrer en concurrence avec les activités agricoles. Dans les territoires qui connaissent d'importantes tensions sur la ressource en eau, la nécessité d'irrigation peut être contrecarrée par les besoins en eau potable d'une population croissante. Par ailleurs, les attentes vis-à-vis de l'agriculture se renforcent, imposant des changements de pratiques : ainsi, au nom de la préservation de la biodiversité et de la lutte contre l'érosion des sols, les pratiques de transformation du paysage par l'arrachage des haies pour rendre le travail plus facile sur les exploitations sont désormais bannies. Les agriculteurs sont sommés d'adopter rapidement des pratiques agro-écologiques, de faire passer avant tout l'entretien de la nature.

Territoires ruraux et agriculture sont donc forcés de se réinventer pour concilier les objectifs d'habitants dont la vie n'est pas entièrement subordonnée au travail de la terre ou aux bêtes de ferme.

b) La nécessité d'un « plan » pour les territoires ruraux

Jadis synonyme de sous-équipement, d'isolement et d'archaïsmes, la ruralité jouit d'une image bien meilleure aujourd'hui. Vivre à la campagne est plutôt synonyme de davantage de bien-être et de qualité de vie.

Pour autant, il ne faudrait pas nier les difficultés qui peuvent être rencontrées, en termes de déplacements, de maintien des services publics, d'accès au numérique ou encore de présence de commerces de proximité.

Le rapport « Ruralités, une ambition à partager »129(*), de Daniel Labaronne, Patrice Joly, Pierre Jarlier, Cécile Gallien et Dominique Dhumeaux, remis à la ministre Jacqueline Gourault en 2019, contenait un catalogue de 200 propositions pour un agenda rural. Il a été suivi d'un plan d'action en faveur des territoires ruraux, annoncé par le Gouvernement en septembre 2019.

De nombreux leviers sont mobilisés : le développement des circuits courts et l'insertion dans des projets alimentaires territoriaux (PAT), l'appui à l'amélioration du bâti à travers les aides de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH), le déploiement de la téléphonie 4G puis 5G, la création de 150 tiers-lieux ruraux, le soutien à la revitalisation commerciale des communes de moins de 3 500 habitants à travers des dispositifs fiscaux, la création de 1 000 cafés pour encourager une vie de village, la simplification des règles pour les établissements recevant du public (ERP), l'installation de médecins salariés et de praticiens à exercice mixte ville-hôpital et l'encouragement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou encore l'installation de cabines de télémédecine. L'adaptation des territoires ruraux au vieillissement de la population passe aussi par le développement de l'aide à domicile ou la création de petites unités de vie collective. Des maisons France Service permettent également de faire venir les services publics là où leurs implantations permanentes ont disparu durant les dernières décennies.

Parmi les besoins des territoires ruraux, celui qui concerne l'ingénierie territoriale n'est pas des moindres. La petite taille des communes ne permet pas de disposer d'équipes pouvant porter des projets complexes et diversifiés, ni de moyens financiers permettant de recourir à des cabinets spécialisés. C'est donc à l'État de mobiliser des moyens d'assistance à maîtrise d'ouvrage, au profit des communes rurales.

L'effort d'entretien et d'équipement des territoires ruraux est soutenu par des moyens financiers : la dotation de solidarité rurale (DSR), qui représente désormais environ 1,8 milliard d'euros par an, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), dotée d'environ 1 milliard d'euros par an et qui permet de soutenir 24 000 projets130(*) ou encore les soutiens fiscaux aux Zones de revitalisation rurale (ZRR).

L'idée d'un plan pour les territoires ruraux est régulièrement reprise dans le débat public, parfois sous d'autres dénominations131(*). Certains aspects font l'objet d'une attention particulière, comme le soutien au commerce en milieu rural, qui a fait l'objet en 2021 d'un rapport d'information des sénateurs Bruno Belin et Serge Babary132(*) proposant 43 mesures pour une stratégie d'équipement commercial de la ruralité.

Mais il importe de bien cibler les dispositifs car les ruralités sont très hétérogènes et les besoins y sont très différents :

- les campagnes des villes, du littoral et des vallées urbaines, en forte croissance démographique et économique, ont besoin d'un renforcement de l'offre de transports et d'une protection juridique des terres pour éviter l'étalement urbain et le grignotage du tissu rural. Une périurbanisation non maîtrisée de nos campagnes serait un scénario dangereux et destructeur pour l'environnement ;

- les campagnes agricoles et industrielles, pour leur part, ont besoin de trouver les conditions d'un rebond économique et de pouvoir réaliser des aménagements nouveaux, en ne se voyant pas opposer des contraintes insurmontables, comme celles du ZAN ;

- les territoires ruraux isolés, composés de communes et intercommunalités très peu denses, rencontrent une problématique de maintien d'une offre de services grâce à l'innovation, pour ne pas amener les habitants, qui apprécient leur cadre de vie, à devoir quitter ces territoires, pour cause de scolarisation des enfants, d'accès à l'emploi ou aux services de santé.

Dans un rapport de prospective consacré à l'avenir des campagnes, publié en 2013133(*), les sénateurs Renée Nicoux et Gérard Bailly identifiaient quatre enjeux majeurs pour une occupation harmonieuse des territoires ruraux : préserver l'environnement, permettre à la population rurale d'être en mouvement, rendre accessibles les services et commodités en milieu rural, et disposer d'une base économique locale résiliente et diversifiée.

On pourrait ajouter que pour éviter la relégation ou la détérioration de la qualité de vie dans les territoires ruraux, qui sont deux risques réels, il convient d'affiner les soutiens qui leur sont apportés, et notamment de recentrer les aides sur les communes qui en ont le plus besoin. C'est le sens des travaux récent du sénateur Rémy Pointereau sur la redéfinition de la géographie des ZRR134(*).

F. LES FORÊTS, UNE AMBITION À RETROUVER ?

1. La France, grand pays forestier

Peu de nos concitoyens ont conscience que la forêt française, la 4d'Europe en superficie, couvre près d'un tiers de la surface de l'hexagone (17 millions d'hectares), et que sa surface a presque doublé depuis le début du 19siècle, avec une forte accélération de la couverture forestière depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Elle est inégalement répartie sur le territoire hexagonal : concentrée sur les massifs montagneux des Pyrénées, des Alpes, du Massif central et du Jura, ainsi qu'en Aquitaine, en Alsace et en Lorraine, où le taux de boisement des cantons peut atteindre plus de 50 %, elle est peu présente dans le Nord, en Picardie, en Champagne, en Île-de-France hors forêts domaniales, en Normandie, en Bretagne, dans la région Centre ou dans les Pays-de-la-Loire où le taux de boisement peut descendre en dessous des 15 %.

À ces forêts métropolitaines s'ajoutent celles des outre-mer, en particulier les 8 millions d'hectares de forêt amazonienne de Guyane, dont une bonne part est une forêt primaire, c'est-à-dire jamais exploitée ni défrichée par l'homme.

L'imaginaire collectif retient l'image d'une France couverte de forêts du temps des Romains, la Gaule chevelue (Gallia Comata) désignant aussi bien les longs cheveux des Gaulois que le caractère peu exploité et couvert de forêts des territoires au Nord et à l'Ouest des Alpes. Or, les défrichements pour cultiver les terres avaient commencé dès le début du néolithique. L'hexagone d'aujourd'hui comptait probablement 55 à 60 % de forêts, dont une partie, essentiellement les lisières, faisait d'ailleurs l'objet d'une exploitation à travers la chasse.

La réduction de la surface forestière est ensuite allée de pair avec l'augmentation de la population, avec un reflux des défrichements lors des grandes invasions du 4siècle, des raids vikings du 9siècle et de la guerre de Cent Ans du milieu du 14e au milieu du 15e siècle.

Les besoins en terres cultivables, en bois de chauffage ou encore en bois de construction, ont fait peser une forte pression sur les forêts françaises jusqu'au 18e siècle, où celles-ci ne couvraient plus que 6 à 7 millions d'hectares, soit moins de la moitié de la surface actuelle.

Depuis l'ordonnance de 1291 de Philippe IV le Bel créant des Maîtres des Eaux et Forêts135(*), les rois de France avaient bien essayé de poser les bases d'une gestion durable destinée à freiner la déforestation, mais sans endiguer le phénomène. C'est Louis XIV et Colbert, soucieux de disposer de bois en abondance, notamment de chêne, pour la construction navale, qui déterminent les fondements de la politique forestière de la France à travers l'ordonnance de 1669, qui subordonne la coupe du bois à des autorisations. La forêt devient plus organisée, presque « jardinée », et la surface forestière se stabilise. Le code forestier de 1827 reprendra les principes de l'ordonnance de 1669 et répartira les forêts en trois catégories : les forêts domaniales, les forêts communales et les forêts privées.

La reconquête par la forêt de territoires entiers résulte en partie d'une stratégie de plantations, en particulier dans les zones de montagne où la coupe de bois de chauffage ou encore le surpâturage des ovins avait mis à nu la roche, exposant les populations à des risques accrus d'inondations et de glissement de terrains. La politique de restauration des terrains de montagne (RTM) a débuté dans les années 1860 et s'est accélérée dans l'entre-deux-guerres.

Du sud de la Bretagne à la frontière espagnole, la côte atlantique a aussi fait l'objet à partir du début du 19siècle de reboisements massifs destinés à prévenir l'érosion côtière et fixer les dunes de sable.

Enfin, le reboisement a été utilisé pour assainir des terrains marécageux, dans les Landes de Gascogne où plus d'1 million d'hectares de pins maritimes faisant de surcroît l'objet d'une exploitation économique efficace ont été plantés à partir de la fin du 19siècle. D'autres territoires ont fait l'objet de ces reboisements volontaristes, comme la Sologne.

La dernière étape de reconquête volontariste en faveur de la forêt a suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec la mise en place du Fonds forestier national (FFN), qui a financé le reboisement de 2,3 millions d'hectares, la surface forestière passant de 1946 à 2000 de 10,7 millions d'hectares à 15,2 millions d'hectares.

Mais désormais, une partie importante de la progression de la forêt résulte non plus d'une action volontariste des pouvoirs publics mais de l'abandon de surfaces cultivées ou de surfaces pâturées. Chaque année, la déprise agricole contribue au boisement spontané de nouvelles surfaces. Il ne s'agit pas d'une progression voulue et organisée de la forêt française, mais de l'abandon par l'homme d'espaces considérés comme problématiques.

2. L'affaiblissement progressif de la gestion forestière

Surexploitée pendant des siècles, la forêt française est désormais prémunie contre ce risque par les instruments juridiques de protection puissants prévus par le code forestier. Ils sont en place et marchent bien.

Le risque est ailleurs : la forêt connaît aujourd'hui une forme de délaissement ou du moins de désintérêt. La filière économique du bois n'a cessé de s'affaiblir alors même que les besoins en bois pour l'énergie, la construction, ou encore l'industrie des pâtes, papiers et cartons sont croissants.

Le secteur des bois et dérivés du bois est devenu un poste majeur du déficit du commerce extérieur de notre pays : 8,6 milliards d'euros en 2021, soit environ 10 % de notre déficit global (19 milliards d'importations pour un peu plus de 10 milliards d'exportations)136(*). Il y a là un paradoxe étonnant, alors que notre stock de bois sur pied, estimé à 2,8 milliards de m3137(*), n'a jamais été aussi élevé.

Conscients qu'on laisse là s'échapper une richesse potentielle pour la France, et d'abord pour des territoires ruraux ou de montagne où le bois pourrait favoriser davantage le développement économique, les pouvoirs publics ont affiché une ambition nouvelle pour la filière bois depuis quelques années. Le programme national de la forêt et du bois (PNFB) issu de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt (LAAAF) voulue par Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture durant tout le quinquennat de François Hollande, et votée en 2014, a affirmé une nouvelle ambition pour la forêt française.

La filière bois n'est pas à négliger, puisqu'elle représente 440 000 emplois qui ont l'avantage d'être non délocalisables. Mais une meilleure exploitation économique de la forêt se heurte à d'importants obstacles, parmi lesquels la structure de la propriété forestière. Si l'Office national des Forêt (ONF) créé en 1965-1966 sous le Gouvernement Pompidou a longtemps été le fer de lance de la gestion des forêts, se chargeant des forêts domaniales, propriétés de l'État (10 % environ des surfaces soit 1,6 million d'hectares), et des forêts des collectivités territoriales (15 % des surfaces soit 2,8 millions d'hectares) et assurant avec seulement 25 % des surfaces 40 % de la production de bois, la forêt privée, extrêmement morcelée, détenue par 3,5 millions de propriétaires et représentant 75 % des surfaces, est notablement sous-exploitée.

Les difficultés de l'ONF, pointées notamment par la sénatrice Anne-Catherine Loisier dans un rapport de 2019 du groupe d'études « Forêt et filière bois » du Sénat138(*), ont contribué à l'affaiblissement de la filière bois dans son ensemble. Mais l'abandon de la gestion de leurs petites parcelles par les petits propriétaires privés de forêt y contribue aussi. Enfin, l'effondrement de l'appareil industriel de la découpe du bois décline la désindustrialisation française dans le secteur du bois de manière spectaculaire : on comptait 15 000 scieries en 1960 et nous en avons moins de 1 500 aujourd'hui139(*).

L'exploitation forestière dans son ensemble s'est engagée dans une spirale négative qu'il est difficile d'enrayer. Il n'est naturellement pas question de « surexploiter » nos 17 millions d'hectares boisés, accusation qui a pu être portée récemment envers la filière en général et à l'ONF en particulier140(*). Mais sans remettre en cause les principes de gestion durable, des marges de progression existent et un renouveau forestier serait à même de dynamiser le tissu économique et revitaliser les territoires concernés, notamment l'Est de la France ou encore le Massif central.

3. Des espaces menacés par le changement climatique

Au-delà du problème de sous-exploitation, le danger immédiat qui pèse sur nos bois et forêts est celui du dépérissement et de l'affaiblissement des services rendus à l'écosystème, du fait du changement climatique et de menaces sanitaires émergentes.

La diversité de nos forêts fait leur richesse. On y recense à la fois des feuillus qui représentent les deux tiers des espèces plantées, parmi lesquels les différentes variétés de chêne dominent - représentant 30 % du total - et des résineux, en particulier pour les forêts d'altitude, mais pas uniquement, dont la part progresse depuis un siècle puisqu'ils ne représentaient qu'un quart des espèces au début du 20siècle contre un tiers aujourd'hui.

Cette diversité est un facteur de résilience face aux risques sanitaires qui menacent la pérennité de massifs entiers : le scolyte de l'épicéa, la chalarose du frêne ou encore le chancre et l'encre du châtaignier. Mais certaines données nous alertent. Fin 2021, l'Institut géographique national (IGN) et le Département Santé des Forêts (DSF) du Ministère de l'agriculture et de l'alimentation révélaient une augmentation de 30 % des arbres morts sur pied de moins de cinq ans141(*). D'une manière générale, la multiplication des sécheresses accroît la mortalité des arbres. D'autres menaces peuvent davantage surprendre : ainsi, la prolifération des cerfs, chevreuils ou encore sangliers, moins chassés et qui se nourrissent de jeunes pousses au sol, nuit au renouvellement naturel de la forêt.

Or, notre espace forestier rend d'éminents services environnementaux. Outre la captation du carbone, qui contribue à atténuer le réchauffement climatique global de la planète, nos forêts participent à l'amélioration du cycle de l'eau en favorisant son infiltration dans les sols et sous-sols et sa purification ; elles sont un instrument de lutte contre l'érosion ; elles contribuent à la pollinisation par les insectes sauvages ; les forêts sont également reconnues comme une réserve majeure de biodiversité.

Leur préservation constitue donc un objectif d'intérêt général et passe par une évolution de la composition de nos espaces forestiers. L'ONF met ainsi en oeuvre une stratégie de migration assistée des essences, en remplaçant les essences les plus fragiles comme le hêtre, trop sensible au manque d'eau, et l'épicéa, par d'autres espèces plus robustes : chêne pubescent, pin maritime, cèdre.

Il convient de surveiller attentivement cette transformation certes lente mais réelle des forêts françaises, pour conserver une biodiversité forestière importante. La recherche d'essences résistantes et faciles à exploiter peut conduire à des excès : des inquiétudes sont régulièrement relayées concernant les monocultures de pins Douglas, importés d'Amérique du Nord depuis les années 1960, et qui contribuent à désertifier les sols forestiers.

4. Les enjeux de la forêt française

La progression des espaces forestiers ne constitue pas un objectif pertinent, dès lors qu'ils viendraient se substituer à des espaces agricoles. En progression constante depuis un siècle, la forêt couvre désormais un vaste territoire. L'enjeu est moins d'empêcher de défricher et de déboiser, comme du temps de Louis XIV, que d'organiser intelligemment l'exploitation économique de la forêt pour dynamiser l'économie locale, maîtriser les risques environnementaux, mais aussi se réapproprier les forêts, en particulier dans les lisières urbaines, comme un espace à partager et à valoriser.

L'amélioration de l'utilisation économique de la forêt à travers la structuration de la filière bois fonctionne mal depuis des années et prendra vraisemblablement du temps. Elle est pourtant indispensable pour dynamiser des territoires très ruraux et maintenir des habitants autour des forêts, qui en assurent l'entretien tout en vivant de son exploitation. Certains investissements d'accompagnement sont aussi nécessaires : l'entretien des routes et chemins forestiers ou l'aménagement d'aires de débardage sont ainsi la condition pour aller chercher le bois là où il se trouve. Or, les propriétaires de terrains, qu'il s'agisse de personnes privées ou de communes forestières, n'ont pas forcément les moyens de l'assurer. Des relais seront donc à prévoir.

Au-delà de l'objectif de refaire de la forêt une richesse économique, l'enjeu de maîtrise des risques environnementaux est majeur. Parmi les risques, celui des incendies doit être davantage pris en compte. L'été 2022, marqué par une sécheresse record, a aussi été celui d'incendies massifs, en particulier en Gironde, mais qui ont aussi touché des secteurs inhabituels : Bretagne, Est de la France. Un rapport d'information du Sénat publié en août 2022 intitulé « Feux de forêt et de végétation : prévenir l'embrasement »142(*) dresse un tableau sombre de l'avenir : 50 % des landes et forêts métropolitaines devraient être concernées en 2050 par un risque incendie élevé contre 33 % en 2010. La période à risque sera trois fois plus longue et les feux hivernaux devraient se multiplier. Les surfaces brûlées pourraient augmenter de 80 % en région méditerranéenne. L'efficacité de la stratégie française de lutte contre l'incendie ne devrait pas suffire pour faire face à des feux hors norme. Sans aller jusqu'aux feux incontrôlés de Californie ou du Canada, nos forêts devraient donc être plus vulnérables, même si une batterie de mesures proposées par le rapport précité pourraient contribuer à mieux gérer le risque.

Enfin, un troisième enjeu pour nos espaces forestiers est la réappropriation de la forêt par nos concitoyens, comme un espace familier où l'on se rend régulièrement. Les bois et forêts ne sont pas des espaces vides : cueillette des champignons, affouage, chasse du gibier, y sont des activités pratiquées régulièrement, mais par une faible fraction de la population française.

La « balade en forêt » est un loisir gratuit qu'il est facile de pratiquer dans les forêts domaniales, bien aménagées, balisées, équipées et surveillées. Mais l'enjeu est aussi d'aménager, surveiller et donner accès à un panel plus large de forêts, en travaillant sur les lisières, en articulant mieux les bois et forêts, quels que soient leurs propriétaires, avec les espaces avoisinants.

La constitution de forêts urbaines, en bordure des zones habitées devrait aussi être encouragée, pour rafraichir ces espaces en période estivale, les arbres restituant l'eau qu'ils stockent lors des épisodes de forte chaleur, donner aux habitants des possibilités d'activités sportives et de nature, apporter de la biodiversité en ville. De tels projets ne sont pas sans difficultés : le choix des essences doit en effet tenir compte de leur résistance aux polluants atmosphériques urbains, en particulier l'ozone ou encore le plomb.

5. Futurs possibles et propositions
a) Le scénario négatif : la forêt laissée à l'abandon

Si notre espace forestier ne cesse de gagner en surface, cela ne peut pas être le critère déterminant pour juger de sa bonne santé. En réalité, deux tendances lourdes pèsent négativement sur nos forêts :

L'insuffisance chronique de gestion de nombre de parcelles forestières conduit à laisser à l'abandon des pans entiers de ces espaces. Laissée à elle-même, la forêt ne contribue pas assez à la captation du carbone, car un vieil arbre capte beaucoup moins qu'un jeune arbre en pleine croissance, se renouvelle lentement, et ne soutient pas l'emploi local ;

le changement climatique menace le bon état de nos bois et forêts, réduit les services environnementaux rendus, accroît la fréquence et la gravité des feux de forêt et détériore la biodiversité des forêts.

Si rien ne change, ces deux tendances risquent de se combiner pour laisser des pans entiers de nos bois et forêts à l'abandon, essentiellement notre forêt privée, dans des espaces les plus difficilement accessibles et qui deviendront de plus en plus fermés.

b) Le scénario positif : une forêt valorisée et mieux articulée aux espaces environnants

La France peut s'appuyer sur une expertise forestière forte, portée tant par le public (l'ONF) que par le secteur privé. Dotée d'une image positive auprès du grand public, bien que mal connue, la forêt peut catalyser les énergies pour en tirer les fruits et améliorer les services qu'elle rend.

Cela suppose des efforts importants de pédagogie quant aux modalités d'exploitation forestière, des modifications de pratiques, comme le fait l'ONF en limitant les coupes rases traumatisantes pour les riverains, et une articulation des espaces forestiers avec les espaces environnants. De ce point de vue, le développement de l'agroforesterie pourrait constituer une sorte de « sas » entre forêts et espaces agricoles, tout comme les forêts urbaines retissent le lien avec les espaces densément habités.

G. LE LITTORAL : UNE COURSE SANS FIN VERS LA MER ?

1. La forte attractivité du littoral
a) La France, pays tourné vers la mer

Partout ou presque dans le monde, les territoires qui bordent la mer sont davantage peuplés que l'intérieur des terres. La proximité de la mer constitue avant tout une opportunité de voyager, de commercer, et d'accéder aux ressources halieutiques : poissons et crustacés. D'après l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), 20 % de la population mondiale vit à moins de 30 km des côtes, 50 % dans une bande de 100 km et 60 % dans une bande de 150 km.

En France, les communes littorales, qui accueillent un peu plus de 10 % de la population permanente, ont une densité 2,5 fois plus élevée que la moyenne nationale143(*). Elles se sont fortement développées depuis les années 1960. Le manque de terrains disponibles à proximité immédiate des rivages a conduit depuis les années 2000 à un développement fort de l'espace rétro-littoral, comme le montre l'exemple du Var.

Au-delà de la population permanente, le littoral est l'espace privilégié de l'accueil touristique. Les communes littorales concentrent en effet 40 % de la capacité d'accueil touristique totale du pays et peuvent accueillir dans les hôtels, campings ou résidences secondaires de l'ordre de 8 millions de personnes, soit un doublement de la population totale du littoral. Les communes touristiques littorales peuvent d'ailleurs voir leur population présente en juillet-août multipliée par deux à six144(*). En outre, un tourisme maritime de plaisance prend appui sur des aménagements réalisés dans de nombreuses communes pour accueillir un peu plus d'1 million de bateaux de plaisance, dont un peu plus de 200 000 disposent d'emplacements dédiés.

Le littoral a aussi une fonction économique importante et parfois oubliée au profit d'une approche trop résidentielle ou touristique. Le littoral accueille ainsi des activités de construction navale civile et militaire145(*), de pêches maritimes et d'aquaculture avec un peu plus de 4 000 navires en métropole et 3 000 entreprises aquacoles, principalement de production d'huitres et de moules146(*) ainsi que des activités industrielles de transformation des produits de la mer (conserveries, découpe et conditionnement de pêche fraîche). Outre les ports de plaisance et les ports de pêche, sont aménagés sur le littoral des ports de commerce qui jouent un rôle essentiel dans l'armature logistique de notre pays147(*). Les 6 grands ports maritimes (GPM) de métropole (Dunkerque, Le Havre, Nantes-Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux et Marseille) sont des points d'arrivée et de départ de très grandes quantités de marchandises.

Il existe bien évidemment des différences sensibles entre les différents types de communes littorales. Les différences sont d'abord physiques : le panorama des paysages littoraux réalisé par le Conservatoire du littoral montre que sur les trois façades maritimes de France métropolitaine (Manche-Mer du Nord, Atlantique et Méditerranée), le littoral est constitué de 44 % de côtes rocheuses et de falaises, de 39 % de côtes d'accumulations (galets, sables, vases) et 17 % de côtes artificialisées148(*). Les différences sont aussi dans les activités ou les types de peuplement dominants : certains littoraux sont très tertiarisés et à dominante résidentielle, lorsque d'autres sont plus multifonctionnels.

Des traits caractéristiques communs sont pourtant à mettre en évidence : les habitants des communes littorales sont globalement plus âgés et disposent de revenus plus élevés que la moyenne. Un autre trait commun reste l'attrait que la mer exerce sur nos concitoyens d'une manière générale, que ce soit pour y habiter ou pour les vacances.

b) Une attractivité économique et résidentielle incontestable

La tendance à une croissance de population plus forte sur le littoral que sur les autres territoires, constatée depuis les années 1960, devrait se poursuivre selon les études prospectives menées au niveau national par l'INSEE mais également par les observatoires locaux. Dans son rapport au Gouvernement d'octobre 2019149(*) intitulé « Quel littoral pour demain ? », le député de Vendée Stéphane Buchou soulignait que l'attractivité du littoral s'observait aussi bien dans les communes littorales urbaines que dans les zones littorales plus rurales, avec dans celles-ci un rythme de construction de logements 3,5 fois plus élevé que la moyenne des espaces ruraux. Il rappelait que l'Observatoire national de la mer et du littoral avait estimé une augmentation de la population des départements littoraux de 4,5 millions d'habitants et pour les seules communes littorales d'1,4 million d'habitants à l'horizon 2040.

Après l'aménagement des stations balnéaires à partir des années 1960, une part significative de la croissance de population se fait désormais à quelques kilomètres des côtes, contribuant à changer radicalement le paysage de bourgs ruraux qui s'agglomèrent peu à peu à l'espace urbain des villes côtières.

L'attractivité du littoral est toutefois différenciée selon les façades maritimes : c'est désormais la façade atlantique qui connaît la progression de population la plus dynamique, devant le littoral méditerranéen, tandis que les littoraux de la Manche et de la Mer du Nord progressent peu. Il faut aussi se garder d'idées reçues en matière de démographie littorale. Certaines communes côtières peuvent croître moins vite que le reste de la région. C'est le cas en Bretagne et cela peut s'expliquer de plusieurs manières : rareté des terrains disponibles pour bâtir en bord de mer, éviction des résidents permanents par des résidents occasionnels qui achètent des résidences secondaires, besoin de services publics dont sont dépourvues certaines communes côtières. Même si le littoral est un « territoire désirable » pour beaucoup de nos concitoyens, qui le manifestent dans les sondages d'opinion, seule une analyse fine, territoire par territoire, permet d'apprécier les dynamiques propres à chaque département, voire chaque intercommunalité côtière.

Avec le réchauffement climatique et la multiplication des canicules, la proximité de la mer, qui apporte davantage de fraîcheur, pourrait être encore plus recherchée à l'avenir.

L'attractivité du littoral n'est pas seulement résidentielle. Ces territoires constituent aussi une cible de choix pour l'implantation d'activités économiques. Les côtes offrent ainsi un accès à l'eau nécessaire pour assurer le refroidissement des centrales nucléaires. Sur les 6 tranches nucléaires supplémentaires envisagées actuellement par le Gouvernement, 4 seraient situées en bord de mer (2 à Gravelines dans le Nord et 2 à Penly en Seine-Maritime). D'autres installations industrielles gourmandes en eau trouvent aussi un intérêt fort à s'implanter sur les côtes : ainsi, une nouvelle usine de batteries devrait s'implanter à Dunkerque, l'extraction du lithium nécessitant beaucoup d'eau. La chimie ou encore la sidérurgie dépendent aussi de la présence d'eau à proximité.

La proximité d'un port de commerce constitue par ailleurs un facteur d'attractivité pour l'approvisionnement ou l'exportation de la production.

Enfin, la mer constitue le support du développement d'énergies marines renouvelables. La régularité et la puissance des vents en mer rendent en effet particulièrement pertinents les projets de parcs éoliens offshore.

La pression sur les espaces littoraux est donc appelée à persister, au moment même où la gestion des conflits d'usage est rendue plus compliquée par le changement climatique.

2. Le littoral, espace privilégié des conflits d'usage du territoire
a) La montée des risques environnementaux

Les littoraux sont des espaces confrontés à la fois à des risques naturels accélérés par le changement climatique et par des pressions directes sur les milieux naturels liés à l'artificialisation des côtes. La combinaison des deux facteurs crée un cocktail détonnant et appelle à des mesures de protection renforcées.

Le risque de submersion marine est accru par la montée du niveau des mers, qui est déjà en moyenne à l'échelle mondiale de l'ordre de 25 cm depuis un siècle. Dans les scénarios les plus pessimistes du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), cette hausse pourrait être de l'ordre d'1 mètre à l'horizon 2100. Cela peut paraître modeste, dans la mesure où il est toujours possible de créer des digues ou faire de l'enrochement des surfaces situées à une très faible altitude. Mais ces solutions, coûteuses, présentent aussi des failles. Et l'élévation du niveau de la mer peut contribuer à des inondations plus rapides des zones humides côtières, à la salinisation des nappes d'eau douce ou encore à l'aggravation des effets des grandes marées et des tempêtes.

Le recul du trait de côte constitue une préoccupation majeure. Pour mieux anticiper les évolutions du littoral, le Gouvernement avait d'ailleurs adopté en 2012 une stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte (SNGIC). Comme le rappelle le rapport Buchou précité, le trait de côte a toujours été en mouvement, ce que l'on a parfois tendance à oublier. La dynamique littorale n'est au demeurant pas uniforme sur l'ensemble du territoire national et varie en fonction de la nature des sols et des roches. Certains littoraux connaissent un phénomène d'accrétion (agglomération de sédiments non organiques), comme en Charente-Maritime où l'envasement et l'ensablement du site de Brouage conduit sa citadelle, autrefois en bord de mer, à se trouver désormais à 2 kilomètres du rivage. À l'inverse, d'autres rivages reculent. Le rapport Buchou indique que 20 % des côtes françaises sont concernées par l'érosion, soit 1 526 kilomètres au total. Ce recul se concrétise par la destruction de plages de sable ou par l'effondrement de falaises calcaires. Certaines communes connaissent une érosion marquée de l'ordre de plusieurs mètres par an. À l'horizon 2 100, ce sont environ 15 000 bâtiments qui devraient être engloutis par la mer. Le cas le plus emblématique est celui des deux immeubles Le Signal à Soulac-sur-Mer en Gironde. Construits en 1967 et 1970 et situés alors à 200 mètres de la mer, ils ont les pieds dans l'eau aujourd'hui et leur démolition a démarré début 2023.

Outre les risques naturels, les espaces côtiers sont soumis à des risques accrus résultant d'activités humaines : rejets des eaux usées traitées, aménagements touristiques, pollutions des estuaires. Or, le caractère d'interface entre terre et mer des zones littorales rend des services écosystémiques majeurs et leur fait jouer un rôle essentiel en matière de biodiversité. Marais et prés salés sont souvent classés comme sites Natura 2000, comme zones de protection spéciale au titre de la directive Oiseaux ou comme zones spéciales de conservation au titre de la directive Habitats Faune et Flore. Une attention particulière doit donc être portée aux effets potentiellement néfastes d'aménagements ou simplement d'une sur-fréquentation touristique de certains sites.

La recherche d'un équilibre entre les aménagements et la préservation de l'environnement sur les côtes avait été au fondement de la loi Littoral de 1986, votée à l'unanimité, qui intervenait après la frénésie de constructions en bord de mer des années 1960 et 1970. Mais l'arsenal des mesures prises s'est avéré insuffisant. La tempête Xynthia en février 2010 avait ainsi fait plus de 50 victimes, dont une trentaine à L'Aiguillon-sur-Mer et La-Faute-sur-Mer en Vendée, la rupture de digues ayant inondé des quartiers construits dans des zones à risque. La prévention des risques à travers le plan de prévention des risques littoraux (PPRL), déclinaison littorale du plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP) constitue un instrument indispensable pour ne pas subir de nouvelles crises, même si ces démarches conduisent à renforcer la pression sur un foncier de bord de mer devenant très disputé.

b) Un accès au foncier extrêmement concurrentiel

Le foncier de bord de mer est l'objet d'une réglementation contraignante. D'abord, l'accès piéton au domaine public maritime est un droit garanti à nos concitoyens par une servitude de passage imposée aux propriétaires des terrains littoraux sur le sentier du littoral appelé aussi sentier des douaniers.

Ensuite, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (CELRL), créé en 1975, gère de l'ordre de 13 % des côtes françaises soit 1 450 kilomètres, répartis sur environ 750 sites et représentant plus de 200 000 hectares, avec un objectif à terme de maîtrise foncière de 30 % du linéaire côtier, dans le but de protéger des espaces naturels, de préserver les milieux et les paysages remarquables.

La loi Littoral a réduit les possibilités d'urbanisation des façades maritimes en interdisant le mitage, c'est-à-dire la construction de bâtiments isolés. La loi Littoral a également interdit de construire sur une bande de 100 mètres à compter de la limite haute du rivage, hors espaces urbanisés. Elle a ainsi été un outil efficace pour ralentir considérablement l'urbanisation des bords de mer. La loi ELAN de 2018 a toutefois assoupli ces règles, notamment pour permettre l'aménagement des « dents creuses ». Il n'en reste pas moins que les possibilités d'aménager restent réduites sur la façade maritime.

Plus rare et plus prisé, l'espace au plus près du rivage devient extrêmement concurrentiel. En matière résidentielle, la « vue sur mer » entraîne une hausse des prix. D'une manière générale, se loger dans les stations balnéaires françaises coûte cher et la hausse des prix y a atteint 26 % entre 2020 et 2022, selon une étude de la Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM) publiée à l'été 2022150(*). L'importance des résidences secondaires dans les zones littorales contribue à tendre les marchés immobiliers. Ainsi, selon une étude de l'INSEE de 2022 portant sur la région Nouvelle-Aquitaine151(*), la moitié des résidences secondaires de la région se situeraient sur la côte. Elles représenteraient 22,5 % de l'ensemble des logements du littoral et plus de 50 % dans les zones les plus touristiques. L'Association nationale des élus du littoral (ANEL) alerte ainsi régulièrement les pouvoirs publics sur les difficultés qui en résultent pour le logement de la population résidente à l'année ou encore pour les travailleurs saisonniers. Certains acteurs locaux, au-delà de la majoration de taxe d'habitation pour résidences secondaires, qui n'est cependant possible que dans les zones tendues, en viennent à demander un moratoire sur les acquisitions de biens immobiliers par des résidents d'autres départements ou d'autres régions, solution discriminatoire peu envisageable. Mais le simple fait qu'elle soit avancée dans le débat public en dit long sur l'ampleur de la crise du logement sur une partie du littoral, en particulier aujourd'hui dans l'Ouest.

La concurrence pour l'espace littoral intervient aussi entre les activités résidentielles et touristiques et les autres activités, notamment les activités économiques génératrices de nuisances. L'installation d'éoliennes offshore, ancrées ou flottantes, crée des tensions. Ainsi, l'ANEL s'est émue de l'absence de règle stricte de distance vis-à-vis du rivage dans l'implantation des parcs éoliens, même si la majorité d'entre eux devraient se situer à plus de 12 miles marins. L'ANEL réclame que ces parcs soient à 50 ou 60 km des côtes, pour minimiser leur impact visuel. Les pêcheurs sont aussi inquiets de voir leur espace de pêche réduit par ces nouveaux équipements.

Les conflits pour l'accès au littoral au sens large ne sont donc pas prêts de cesser et l'enjeu majeur des années à venir consiste à les réguler pour trouver le bon équilibre entre préservation des milieux et combinaison des activités humaines dans toute leur diversité.

3. Quelle stratégie pour les espaces littoraux ?
a) Protéger, anticiper, diversifier.

L'impératif de protection du littoral demeure mais ses objectifs et ses méthodes changent. La protection de l'espace littoral est historiquement conçue dans le cadre de stratégies d'aménagements et de mise en valeur visant à se protéger des éléments naturels. Il convient bien évidemment d'entretenir ce patrimoine constitué de pas moins de 16 000 ouvrages (digues, enrochements, murs). Mais les forces de la nature obligent à être modestes. La bonne stratégie pour le littoral consiste donc à s'appuyer sur les solutions fondées sur la nature (SFN) et à préserver les écosystèmes.

Dans ce cadre, il convient d'anticiper les difficultés futures liées au changement climatique. La France s'inscrit dans cette perspective avec l'adoption en 2017 d'une stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML), en cours de révision152(*), déclinée à travers quatre documents stratégiques de façade (DSF)153(*). Y sont planifiées tant l'implantation de nouvelles activités, comme par exemple la culture d'algues, ou l'exploitation minière des fonds marins de la zone économique exclusive (ZEE) que les exigences environnementales de préservation des milieux aquatiques et des stocks de poissons afin d'assurer une pêche durable.

Le rapport Buchou propose également d'anticiper les problèmes futurs d'érosion côtière en établissant des projets littoraux à l'échelle des intercommunalités précisant les possibilités de relocalisations des activités impactées, et d'organiser la possibilité de maintien dans les lieux d'occupants et d'activités à travers des conventions littorales d'occupation conclues après acquisition de la nue-propriété des bâtiments menacés par la collectivité publique. Un fonds d'aménagement littoral alimenté par une part supplémentaire de droits de mutation sur les communes littorales pourrait être mis en place pour financer les mesures du plan.

Enfin, l'action en faveur du littoral passe par sa diversification. Elle existe déjà en partie. Toutes les communes littorales ne sont pas dominées jusqu'à l'excès par le tourisme de masse et les résidences secondaires. Mais la volonté de développement touristique portée par les acteurs économiques et parfois les élus peut produire des effets extrêmement néfastes. Certaines communes ne vivent que quelques mois dans l'année, et doivent sur-dimensionner leurs équipements pour accueillir les estivants. Les campings nombreux sur le littoral languedocien saturent ainsi la capacité des collectivités à fournir de l'eau potable. Une gestion équilibrée du littoral impose donc de contingenter les capacités d'accueil touristique, ou au minimum de mieux les répartir.

b) Assurer des connexions entre littoral et rétro-littoral

Les communes littorales connaissent une attractivité plus forte que les autres communes au sein de leur région, mais ne peuvent être pensées sans prendre en compte leur voisinage immédiat.

La logique des stations balnéaires a été de se développer sans trop prendre en considération le rétro-littoral. L'aménagement d'une liaison de chemin de fer directe depuis la métropole régionale ou la capitale a longtemps constitué l'unique infrastructure indispensable et suffisante pour répondre aux besoins, essentiellement touristiques.

Or, la rareté du foncier disponible ou encore les prix élevés du logement le long du littoral ont conduit à un développement urbain vers l'intérieur des terres, qui est la version côtière de l'étalement urbain.

Penser le développement du littoral nécessite donc d'adopter une vision élargie de l'espace littoral. La constitution d'EPCI intégrant les communes n'ayant pas d'accès à la mer constitue un premier pas de l'association de l'arrière-pays à la stratégie littorale. Mais les limites géographiques des EPCI peuvent exclure une partie des communes sous influence de la côte. La planification territoriale doit en conséquence se déployer à la bonne échelle, celle du bassin de vie, pour éviter tout déséquilibre.

L'organisation des transports collectifs constitue l'un des aspects de cette stratégie visant à intégrer les différentes parties du territoire littoral : le littoral proche comme le littoral éloigné. La politique du logement et de l'habitat en constitue un autre volet.

c) Pour un aménagement équilibré du littoral

Plusieurs scénarios prospectifs peuvent se dessiner pour l'avenir de l'occupation de l'espace littoral. Deux scénarios extrêmes seraient également inacceptables. Le scénario d'une quasi-interdiction de tout nouvel aménagement, conduisant à geler l'espace littoral dans sa configuration actuelle, est peu séduisant. En apparence, il conduirait à placer au-dessus de toute considération l'ambition de préservation de la nature. Mais il permettrait difficilement de répondre aux risques naturels modifiés par le changement climatique. Par ailleurs, il fait l'impasse sur la nécessité de conserver certaines activités économiques en lien étroit avec la mer comme la pêche ou l'aquaculture.

Le scénario d'un aménagement, priorisant les équipements touristiques, est également déséquilibré, car il conduirait à créer un fossé entre les besoins des résidents permanents et ceux des populations saisonnières.

Le bon scénario passe par un développement urbain du littoral pensé à l'échelle de la bande côtière élargie, permettant aux actifs de circuler et de se loger sans perdre en qualité de vie. En matière de logement des actifs et des ménages modestes, l'inventivité est nécessaire. Si des exceptions à la loi SRU sont prévues faute de foncier disponible, il convient de ne pas donner carte blanche aux communes balnéaires pour accroître les déséquilibres sociaux. De nombreux maires sont conscients de cet enjeu et recherchent des solutions (habitat participatif, réhabilitation de résidences de tourisme pour les transformer en logements).

La diversification de l'économie littorale passe par des initiatives locales et nécessite également le soutien de l'État, mis par exemple en oeuvre par le biais de l'appel à projets Avenir littoral154(*). Il convient d'encourager l'innovation, pour faire du littoral un territoire diversifié et pas dominé seulement par l'économie résidentielle et touristique.

H. LA MONTAGNE : LE NOUVEL ELDORADO ?

1. Des dynamiques territoriales très contrastée sur les territoires de montagne
a) Importance et spécificités des territoires de montagne

Notre pays se caractérise par un relief marqué dans plusieurs régions avec les chaînes des Vosges, du Jura, des Alpes, du Massif central et des Pyrénées. On dénombre 5 659 communes classées en tout ou partie de leur territoire en zone de montagne. Elles couvrent environ 15 % du territoire (13 millions d'hectares) et représentent environ 10 % de la population (6,3 millions d'habitants). Les critères de classement en zone de montagne combinent altitude (600 m dans les Vosges, 800 m dans les Alpes du Sud) et pente. Les zones de massif, qui couvrent non seulement la zone de montagne à proprement parler mais également les villes et piémonts qui lui sont immédiatement adjacents regroupent un peu plus de 8 700 communes, représentent un tiers du territoire métropolitain (17 millions d'hectares) et un peu plus de 15 % de la population (10 millions d'habitants).

Les territoires de montagne présentent des caractéristiques communes. Les rendements agricoles y sont bien plus faibles qu'en plaine, ce qui conduit à une domination des activités d'élevage extensif, en particulier du pastoralisme pratiqué par des éleveurs d'ovins (chèvres et moutons).

L'enclavement constitue également une caractéristique des territoires de montagne. Le relief y rend les circulations bien plus difficiles et les aménagements plus coûteux. Les possibilités d'itinéraires alternatifs sont réduites, ce qui n'est pas sans poser des difficultés en cas d'incident. En 2015, un glissement de terrain avait ainsi conduit à la fermeture du tunnel du Chambon en Isère sur la route départementale 1091 reliant Grenoble à Briançon, isolant plusieurs villages de Haute Romanche. De lourds travaux ont été nécessaires pour réaménager le tunnel qui n'a rouvert que fin 2017.

D'une manière générale, même si cela peut être vu comme un atout ou du moins un facteur d'attractivité, l'immersion des communes de montagne dans la nature environnante est aussi un facteur de vulnérabilité, celles-ci étant très exposées aux phénomènes naturels et au cycle des saisons. L'enneigement important l'hiver peut bloquer tout déplacement. Les orages violents peuvent aussi entraîner des glissements de terrain et des pluies diluviennes.

Par ailleurs, la montagne apparaît « en première ligne face au changement climatique »155(*). Les montagnes se réchauffent plus vite que la moyenne : +2°C au cours du 20siècle dans les Alpes et les Pyrénées contre +1,4°C dans le reste de la France. L'enneigement se réduit, singulièrement en dessous de 2 000 mètres d'altitude et les glaciers sont appelés à disparaître quasiment totalement à l'horizon 2100. Les pluies pourraient se renforcer et font peser des risques accrus de ruissellement et de glissements de terrain. Parallèlement, les communes de montagne peuvent connaître des phénomènes de sécheresse des sols, qui pénalisent le pastoralisme estival et font remonter le risque incendie vers la moyenne montagne.

Au demeurant, les territoires de montagne ne sont pas exonérés des problèmes de pollution urbaine dans les vallées. La topographie conduit à des circulations d'air parfois insuffisantes pour évacuer les polluants atmosphériques. Ainsi, la vallée de l'Arve en Haute-Savoie connaît des taux élevés de concentration de dioxyde d'azote, de particules fines et métaux lourds, provenant du chauffage au bois, de la circulation routière et des activités industrielles, faisant peser un risque sanitaire sur les populations locales.

Les territoires de montagne, enfin, sont caractérisés par une dynamique de peuplement particulière : l'exode rural y a été particulièrement prononcé dans la première moitié du 20e siècle156(*). Fuyant des conditions de vie trop rudes et face aux perspectives de pauvreté chronique, de nombreux montagnards ont quitté les villages en altitude pour s'installer dans les vallées ou partir dans les grandes villes. Des villages entiers ont été rayés de la carte, vidés de la totalité de leurs habitants. Le dépeuplement de la montagne a été freiné dans la seconde moitié du 20siècle par le développement du tourisme ainsi que l'étalement urbain dans la périphérie montagneuse autour des grandes villes en pied de montagne. Mais ce mouvement de revitalisation de la montagne ne s'est pas manifesté partout : Massif central, Pyrénées et Alpes du Sud ont continué à perdre des habitants. Aujourd'hui encore, les communes de montagne suivent des trajectoires assez contrastées : certaines d'entre elles constituent une des modalités de l'espace rural profond, en déclin démographique. À l'inverse, les communes bien desservies, proches d'agglomérations dynamiques, en deviennent les banlieues chics, voire accueillent des résidences secondaires des urbains aisés.

Les communes de montagne bénéficiant d'un attrait touristique notamment lié au ski doivent alors faire face, comme les communes littorales, à l'enjeu de la gestion des flux saisonniers de population.

b) Une politique de la montagne entre protection et valorisation touristique.

Avec l'agriculture et la valorisation des ressources locales, le tourisme a été un axe majeur du développement économique de la montagne depuis l'après-guerre. Les plans neige mis en oeuvre en France dans les années 1960 et 1970 ont visé à faire de la France une destination de tourisme hivernal, pour les Français, comme pour la clientèle étrangère. Des stations ont été créées en altitude de toutes pièces, souvent à l'écart des villages existants, pour offrir un service axé sur les sports d'hiver pratiqués en masse. Les stations se sont dotées d'aménagements destinés aux touristes skieurs : routes d'accès depuis les vallées, remontées mécaniques. La France compte environ 350 stations de ski qui couvrent 300 000 hectares, aux deux tiers concentrés dans les Alpes du Nord (Haute-Savoie, Savoie et Isère). L'économie du ski représente de l'ordre de 120 000 emplois directs et indirects.

La politique touristique de développement du ski a sans doute conduit à renverser la tendance au déclin démographique des zones de montagne où cette stratégie a été mise en oeuvre. Elle a surtout redonné des perspectives de diversification d'une économie à dominante agricole et forestière. Mais le prix à payer en termes de dégradation du paysage a pu paraître excessif, si bien qu'une politique de la montagne davantage axée sur la préservation de l'environnement a été entreprise à partir des années 1980.

Cette politique s'est traduite par l'adoption en 1985 de la loi Montagne, qui a imposé un certain nombre de règles comme celle de l'extension de l'urbanisation seulement en continuité de l'urbanisation existante, afin d'éviter le mitage du territoire, ou encore la préservation des parties naturelles des rives des plans d'eau. De vastes zones ont en outre été intégrées dans des parcs naturels, assurant ainsi une protection accrue de la faune et de la flore. La loi a malgré tout permis de continuer à développer le tourisme à travers les unités touristiques nouvelles (UTN) pouvant être à distance des villages, mais en encadrant ces dispositifs. La loi Montagne a créé un Conseil national de la Montagne (CNM) et des Comités de massif pour mieux coordonner l'action des collectivités et de l'État dans les zones concernées.

La loi Montagne II de décembre 2016 a modernisé les dispositifs législatifs afin d'améliorer la gouvernance des territoires de montagne, mais aussi de faciliter le logement des travailleurs saisonniers, de rénover l'immobilier touristique qui a souvent mal vieilli, de diversifier le tourisme en montagne vers du tourisme vert hors saison hivernale, ou encore de mieux planifier l'implantation des UTN.

Si les territoires de montagne sont devenus des territoires touristiques, il ne faut pas oublier qu'ils restent aussi des espaces naturels à préserver, où l'on doit maintenir les activités productives en lien avec la nature, et où la protection de la faune et de la flore sauvages sont des enjeux essentiels.

c) Vallées dynamiques contre villages isolés.

Si l'altitude ou la pente, un climat plus rude et des distances plus longues à parcourir sont une caractéristique commune aux territoires de montagne, ceux-ci sont tout de même d'une très grande variété. La manière d'y occuper l'espace varie considérablement, selon les régions, mais aussi à l'intérieur d'un même massif. Les travaux de la Datar157(*) menés en 2011 mais encore d'actualité distinguaient trois grands ensembles : la montagne urbanisée, regroupant 63 % des habitants sur seulement 13 % de la surface des massifs ; la moyenne montagne industrielle et agricole, regroupant 25 % des habitants sur 58 % du territoire ; enfin la haute et moyenne montagne résidentielle et touristique, regroupant 11 % des habitants permanents sur 28 % de la surface des massifs.

La montagne urbanisée constitue un pôle moteur, qui explique en grande partie le dynamisme démographique des départements de montagne. Les départements alpins en sont un parfait exemple. Entre 1970 et aujourd'hui, la Savoie est passée de 290 000 à 440 000 habitants, la Haute-Savoie de 400 000 à 835 000, l'Isère de 800 000 à 1,3 million. Mais il existe des contrastes locaux significatifs. Dans une étude de 2019, l'INSEE notait ainsi que l'Est de la Savoie, correspondant aux zones de forte altitude, voyait sa démographie stagner, voire régresser, tandis que l'essentiel de la croissance démographique se fait dans les villes de l'Ouest : Chambéry et Aix-les-Bains158(*).

En Auvergne, où vivent un quart des habitants des zones de montagne de France, une dynamique démographique positive pour les communes de montagne est aussi constatée, mais elle est moins forte que dans les Alpes ou le Jura. Tirée là aussi par l'étalement urbain autour de villes-centres comme Clermont-Ferrand, Le-Puy-en-Velay ou Aurillac, la croissance de la population ne s'étend pas aux villages ruraux plus isolés159(*). Il existe ainsi de forts contrastes au sein même des communes de montagne et la pression foncière y est donc très variable.

Typologie des zones de montagne (Datar 2011)

2. Un renouveau montagnard largement dépendant de stratégies locales
a) Une diversification qui s'appuie sur les initiatives locales

Les activités dominantes des territoires de montagne sont liées à l'économie présentielle, à l'exploitation des ressources locales principalement forestières et agricoles et au tourisme.

La crise du Covid-19 a fortement touché les activités touristiques, en particulier les stations de ski. Un plan « Avenir Montagne », déclinaison du Plan de relance, doté de 331 millions d'euros, a été lancé en 2021 pour différencier l'offre touristique et renforcer la dimension « tourisme nature » des territoires de montagne.

La mise en oeuvre de ce plan repose sur des porteurs de projets locaux, autour des collectivités territoriales. S'agissant principalement de petites communes et de petites intercommunalités, il est nécessaire de prévoir un accompagnement en termes d'ingénierie. Une enveloppe est donc prévue sur ce volet. Présenté aux membres du Conseil national de la Montagne (CNM)160(*) en février 2023, ce plan vise à créer un effet de levier vers une diversification plus grande des activités dans les communes de montagne. En particulier, le tourisme est appelé à évoluer pour ne plus se concentrer sur les mois d'hiver. Il s'agit d'aller vers ce que le rapport du sénateur Cyril Pellevat publié en 2020 appelait une montagne « quatre saisons »161(*).

Des investissements sont ainsi programmés pour permettre aux randonneurs de sillonner les massifs, en remettant en état 1 000 km de sentiers de randonnée. Moderniser les stations de ski n'est plus la principale dimension à prendre en compte. La diversification des hébergements touristiques est ainsi recherchée et le lien à la nature est renforcé, y compris par la promotion des classes vertes pour les établissements scolaires.

Mais le soutien aux territoires de montagne ne peut se résumer à l'encouragement du tourisme et à la multiplication d'appels à projets. Il convient aussi de répondre aux besoins quotidiens des habitants, à travers des services publics qui fonctionnent. À l'instar des territoires ruraux, la question de la couverture numérique du territoire y est sensible, et l'accès à la fibre optique ou encore aux réseaux mobiles de nouvelle génération y est globalement plus lent qu'ailleurs.

Il convient cependant de ne pas dresser un tableau trop négatif. Les territoires de montagne constituent le terrain d'innovations visant à adapter les services publics aux spécificités montagnardes. Par exemple, les services de transport y sont certes moins développés, compte tenu de la faible densité de population, mais le covoiturage, l'auto-partage et le transport solidaire s'y déploient. Dans son rapport de prospective consacré aux mobilités dans les espaces peu denses162(*), le sénateur Olivier Jacquin soulignait fort justement que la densité du lien social dans les espaces peu denses pouvait apporter des solutions à travers des initiatives locales d'habitants, qui souvent, créaient de toutes pièces des services en s'auto-organisant. La puissance publique est appelée ensuite à labelliser les initiatives et éventuellement à en assurer la pérennité dans le temps, en relayant après quelques années les porteurs initiaux des projets.

b) Comment soutenir la montagne ?

Les territoires de montagne présentent des handicaps agronomiques, en termes de mobilités ou encore d'exposition aux évènements météorologiques extrêmes, mais ils ont aussi d'immenses atouts. Leur cadre de vie paraît davantage préservé qu'ailleurs et nourrit leur attractivité, tant pour des touristes que pour de nouveaux résidents qui peuvent s'y connecter à la nature. Probablement parce qu'ils sont habitués à être soumis aux phénomènes météorologiques extrêmes (tempêtes, orages) et aux importantes variations saisonnières de leur climat, les habitants des montagnes ont aussi développé précocement des stratégies d'adaptation dans leur mode de vie et dans leur organisation collective. À l'heure où toutes les administrations, toutes les collectivités, mais aussi les entreprises et grandes organisations doivent élaborer leur plan d'adaptation au changement climatique afin de devenir plus résilientes, cette résilience est mise en place concrètement dans les territoires de montagne.

Pour autant, l'occupation de l'espace y est toujours plus difficile, parfois plus coûteuse. Les trajets sont plus longs, même sur de faibles distances, ce qui justifie des soutiens spécifiques. Ainsi, le ramassage du lait en montagne est plus cher163(*) qu'en plaine. La loi Montagne II de 2016 avait prévu un soutien fiscal à travers une exonération de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour les véhicules de collecte en montagne, mais n'est pas entrée en vigueur, faute de décret d'application. Les soutiens publics destinés au monde rural bénéficient largement aux territoires de montagne. Il en va ainsi des ICHN dans le cadre de la politique agricole commune ou encore de la dotation de solidarité rurale (DSR). Réunis au sein de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), les représentants des habitants des zones de montagne rappellent régulièrement la nécessité de compenser les charges spécifiques supportées par la montagne, comme les charges de déneigement. La solidarité forte envers les communes de montagne se justifie d'autant plus que ces territoires rendent des services à la plaine, par exemple en matière d'approvisionnement en eau ou de stockage de celle-ci dans des retenues d'altitude qui permettent ensuite, non seulement de produire de l'hydroélectricité, mais aussi de soutenir les étiages pour l'irrigation ou pour alimenter les villes en eau potable.

Reconnaître les services rendus par la montagne et soutenir les habitants de ces espaces passe en réalité par une bonne connexion de ces territoires avec leur voisinage. Assurer des services de transport, assurer la couverture numérique sont des attentes fortes et légitimes. Les villages les plus reculés ne peuvent pas disposer d'école, encore moins de collège ou lycée à proximité. Les enfants des territoires de montagne n'ont souvent d'autre choix que de faire de longs trajets en bus ou d'entrer très jeunes dans des internats. Préserver un maillage serré des services à la population constitue donc l'enjeu majeur pour l'avenir de la montagne.

I. LES OUTRE-MER FACE AU DÉFI DE NOUVEAUX BESOINS D'AMÉNAGEMENT.

1. La grande variété des outre-mer français
a) La France, riche de la diversité de ses outre-mer

Avec un peu moins de 3 millions d'habitants, les outre-mer représentent environ 4 % de la population de notre pays. Les dynamiques économiques et démographiques y sont assez disparates, mais des traits communs caractérisent tous ces territoires.

Le PIB par habitant y est globalement plus faible que la moyenne nationale, de l'ordre d'un tiers à La Réunion et aux Antilles, il est même inférieur de moitié au PIB/habitant en Guyane et plus de trois fois inférieur à Mayotte164(*). Les prix à la consommation, en particulier les prix des denrées alimentaires, sont souvent plus élevés dans les territoires ultramarins du fait de circuits de distribution moins efficaces. Sans surprise, le taux de pauvreté des habitants y est plus élevé : calculé selon les seuils locaux, il est de 16 % à La Réunion, mais de l'ordre de 20 %, voire au-dessus en Guadeloupe, Martinique, Polynésie française, Nouvelle-Calédonie et Guyane, et de 42 % à Mayotte, quand le taux national est de 14 %165(*). Le taux de chômage y est plus élevé que la moyenne.

Néanmoins, les outre-mer peuvent faire figure d'ilots de prospérité et de stabilité dans leur environnement régional immédiat souvent plus pauvre et plus instable politiquement. Les équipements universitaires ou les équipements de santé (notamment hôpitaux universitaires) dont disposent ces territoires les rendent également attractifs pour leur voisinage. D'une manière générale, cette attractivité économique régionale nourrit une immigration forte en Guyane ou encore à Mayotte.

Les territoires ultramarins se caractérisent par l'importance historique des activités agricoles destinées à l'exportation : café, cacao, banane, canne à sucre ont été les moteurs du développement économique. La pêche constitue également une ressource facilement accessible du fait de l'ouverture sur la mer qui continue à faire l'objet d'une exploitation à des fins locales mais aussi d'exportation (pêches thonières de La Réunion). Certains territoires enfin, comme la Nouvelle-Calédonie ou la Guyane, s'appuient sur l'exploitation minière (nickel, or). En revanche, les activités industrielles ou encore celles de production de biens de consommation sont peu développées, condamnant les outre-mer à recourir massivement à des importations pour couvrir les besoins de la vie quotidienne ou les besoins d'équipement des ménages et des entreprises. Le poids du tourisme est variable selon les territoires, mais le potentiel touristique existe presque partout.

Comme dans l'hexagone, les territoires ultramarins connaissent un vieillissement de leur population : Guadeloupe et Martinique, en particulier, connaissent ce phénomène de manière accélérée. Les territoires ultramarins sont également affectés par une émigration importante de leurs étudiants et de leurs cadres, qui partent souvent poursuivre leur carrière hors du territoire. Cette « fuite des cerveaux » complique la tâche des entreprises et des administrations, qui ont besoin de recruter des cadres pour assurer les tâches d'ingénierie.

La grande diversité des territoires ultramarins conduit à soutenir une stratégie d'adaptation aux spécificités de chaque territoire, qui pourrait se traduire par la « différenciation territoriale », c'est-à-dire une adaptation des modalités d'organisation des collectivités d'outre-mer et des conditions d'exercice de leurs compétences, ainsi que l'envisageait le rapport remis en 2020 par le sénateur Michel Magras166(*).

b) Des singularités territoriales marquées

Derrière des traits communs, chaque territoire est toutefois spécifique, avec une histoire et des caractéristiques propres qui expliquent les trajectoires empruntées.

Avec environ 380 000 habitants sur 1 702 km² répartis sur cinq îles habitées pour la Guadeloupe et 370 000 habitants sur 1 128 km² pour la Martinique, les Antilles reposent largement sur l'agriculture tropicale (banane, canne à sucre) et le tourisme. Saint-Barthélemy (10 000 habitants sur 21 km²) et Saint-Martin (40 000 habitants sur 53 km² pour la partie française) sont axés essentiellement sur le tourisme haut de gamme.

Avec presque 300 000 habitants sur presque 84 000 km², la Guyane est le plus vaste et le seul territoire ultramarin non insulaire. Aux confins de la forêt amazonienne, bordée par les fleuves Maroni au Nord et Oyapock au Sud, la Guyane présente toutefois des caractéristiques quasi-insulaires, avec un peuplement presque exclusivement sur la côte atlantique. À côté de l'économie forestière et minière, la Guyane est stratégique pour la France et même pour l'Europe, puisqu'elle accueille le centre spatial à Kourou, seul site de lancement des fusées Ariane. Sa croissance démographique, tirée par l'immigration du Surinam et du Brésil voisins, est particulièrement dynamique. La Guyane pourrait compter 430 000 habitants en 2050.

Saint-Pierre-et-Miquelon, seul territoire ultramarin dans l'Atlantique Nord, a longtemps vécu de la pêche. Avec un peu plus de 6 000 habitants sur 242 km², c'est un territoire aujourd'hui prospère, lié à son environnement nord-américain, mais menacé par le changement climatique et la montée des eaux.

La Réunion est le département d'outre-mer le plus peuplé, avec presque 900 000 habitants sur 2 512 km². Elle dispose d'une économie dynamique et assez diversifiée et se caractérise par une démographie également dynamique, l'île devant dépasser le million d'habitants à l'horizon 2040. Les activités et l'habitat sont concentrés sur le littoral, la partie volcanique centrale, culminant à 3 000 mètres d'altitude, étant difficilement habitable.

Issue des référendums de 1974 et 1976 qui avaient vu les Mahorais préférer rester un territoire français plutôt que de faire partie des Comores, Mayotte compte un peu plus de 250 000 habitants sur deux îles et une trentaine d'îlots de 374 km². La densité de peuplement est élevée et augmente avec la très forte croissance démographique. La pression foncière y est particulièrement intense. L'arrivée de nombreux immigrants irréguliers des Comores entraîne le développement d'habitat informel, dans le territoire le plus pauvre de France, qui a besoin d'une politique d'aménagement du territoire volontariste ainsi que d'un accroissement rapide des équipements publics (écoles, etc...).

Avec 270 000 habitants, dont 100 000 à Nouméa, la Nouvelle-Calédonie comprend plusieurs îles réparties sur 18 576 km². Elle se caractérise par un milieu naturel d'une grande richesse, avec l'un des plus vastes lagons du monde. Son économie dynamique s'appuie sur les mines de nickel et la métallurgie.

Territoire lui aussi très éloigné de la métropole, la Polynésie française rassemble près de 280 000 habitants sur un chapelet de 118 îles d'une surface totale d'environ 4 000 km². Mais 200 000 habitants résident sur la seule île de Tahiti, où sont concentrées les activités économiques du territoire. Vivant du tourisme de luxe et encore de la perliculture, la Polynésie française dispose d'un écosystème extrêmement fragile qui appelle une gestion territoriale très précautionneuse.

L'archipel de Wallis-et-Futuna est le territoire ultramarin le plus éloigné de l'hexagone. Il compte moins de 12 000 habitants sur 78 km² vivant principalement de l'agriculture, avec un système institutionnel particulier reposant beaucoup sur la coutume.

Enfin, le tour d'horizon des outre-mer conduit à devoir citer les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), qui ne comportent aucun habitant, mais représentent un territoire de 2,4 millions de km² sous juridiction française, répondant à un objectif fort de protection des milieux naturels et des espèces locales. La terre Adélie, en Antarctique, fait par ailleurs l'objet du traité de Washington de 1959 qui consacre le continent austral comme territoire dédié essentiellement à la recherche scientifique.

2. L'aménagement de l'espace : un défi de taille pour les outre-mer
a) Une grande diversité d'enjeux à prendre en compte simultanément

L'aménagement de l'espace doit prendre en compte la fragilité des milieux et l'exposition aux risques naturels qui constituent des problématiques fortes dans les outre-mer. Les risques volcaniques et sismiques concernent la plupart des territoires et se sont déjà concrétisés dans le passé. Les îles sont par ailleurs exposées aux conséquences de tsunamis sur les côtes, où la population est particulièrement concentrée. Les typhons et ouragans peuvent également provoquer des dégâts considérables, en particulier aux Antilles.

Au-delà des risques ponctuels, les outre-mer sont exposés aux conséquences du changement climatique. Celui-ci peut aggraver les phénomènes extrêmes (ouragans, pluies diluviennes). Il conduit aussi à la montée du niveau des mers. Dans un rapport remis en 2019167(*), les sénateurs Guillaume Arnell, Abdallah Hassani et Jean-François Rapin appelaient d'ailleurs à mieux anticiper les risques, à élaborer des schémas de prévention et lorsque les risques surviennent, à aller vite dans les actions de reconstruction, afin que les outre-mer soient plus résilients.

Des risques supplémentaires sont encourus du fait d'activités humaines passées ou présentes. Guadeloupe et Martinique sont ainsi encore touchées par la pollution au chlordécone, insecticide organophosphoré utilisé pour lutter contre le charançon du bananier, qui n'est plus utilisé depuis 30 ans (1993) mais dont la persistance dans les sols et les eaux souterraines crée une pollution extrêmement durable. En Guyane, l'activité illégale des orpailleurs conduit à des concentrations extrêmement fortes de mercure dans les cours d'eau.

Après les enjeux environnementaux, l'aménagement de l'espace doit prendre en compte les contraintes spécifiques aux outre-mer, conduisant à une forte concentration de la population sur les littoraux. En dehors de la Guyane, la densité moyenne de population est bien plus élevée outre-mer que dans la France hexagonale et la pression foncière liée à l'étalement urbain autour des villes-centres littorales est une caractéristique commune à quasiment tous les territoires.

Dans ces conditions, la préservation de terres agricoles ou encore d'espaces naturels et forestiers constitue un enjeu encore plus prégnant qu'ailleurs. Dans un rapport de 2017168(*), les sénateurs Thani Mohamed Soilihi, Daniel Gremillet et Antoine Karam constataient cette rareté du foncier « exploitable » et pointaient les risques de multiplication des conflits d'usage qui brident le développement des outre-mer. Ils plaidaient en faveur d'une maîtrise plus forte des conditions d'utilisation du foncier par les collectivités locales.

Pour autant, l'occupation de l'espace se déploie souvent en dehors de cadres juridiques prescriptifs. Les faits s'imposent, en particulier avec l'habitat informel en périphérie des grandes villes, dans la lisière floue entre ville et campagne, il concerne une part bien plus que marginale de la population ultramarine. Là encore, la délégation sénatoriale aux outre-mer s'est penchée sur la question. Un rapport d'information des sénateurs Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel remis en 2021 consacré à la politique du logement dans les outre-mer169(*) estimait l'habitat indigne à 110 000 logements sur les 900 000 recensés outre-mer. Mayotte, avec un bidonville de 15 000 habitants au Nord de Mamoudzou (Dembéni), est particulièrement touchée. Mais presque aucun territoire n'y échappe : ni les Antilles et La Réunion, où l'habitat informel est dispersé, ni Saint-Martin ou encore Wallis-et-Futuna, où la situation est moins connue d'après le rapport sénatorial précité. L'importance de cet habitat informel induit de nombreuses conséquences : difficultés de raccordement au réseau d'eau potable, absence de raccordement à l'assainissement collectif et présence d'un assainissement individuel massivement non conforme et donc polluant, insécurité juridique des transactions immobilières.

Résoudre les problèmes d'occupation de l'espace paraît difficile sans s'attaquer à la pauvreté qui en est souvent à la racine. Les politiques sociales et d'aménagement du territoire sont ainsi intimement liées, et la recherche d'un équilibre social de l'habitat, pour éviter de faire coexister sur un même territoire des hôtels de luxe et des bidonvilles, constitue un défi de taille pour les outre-mer. Au demeurant, certaines problématiques sont assez similaires à celles de l'hexagone. Ainsi, la lutte contre la relégation des quartiers périphériques habités par des populations précarisées passe aussi par la mobilisation de la politique de la ville, avec 200 QPV sur les 1 500 existants en France qui sont situés outre-mer.

b) Des réponses qui passent par une politique d'aménagement du territoire ambitieuse

Très ouverts sur les mers, les territoires ultramarins peuvent en faire un atout plus puissant. Aménager l'espace à terre, c'est aménager la capacité à se projeter vers la mer. Au demeurant, les outre-mer ont un rôle important à jouer dans notre stratégie maritime. Si la France dispose du deuxième espace maritime mondial, c'est grâce aux ZEE autour des îles ultramarines, en particulier la Polynésie française qui représente 47 % de l'espace maritime du pays. Dans un rapport publié début 2022, les sénateurs Philippe Folliot, Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth appelaient ainsi à mettre les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale170(*) et de faire de la mer un moteur de transformations économiques et sociales. Mais cela suppose de moderniser les infrastructures portuaires, les flottes de pêche ou encore l'aquaculture marine, de développer les énergies marines renouvelables et de repenser le modèle du tourisme nautique de croisière pour qu'il profite davantage aux outre-mer.

Dans un contexte mondial marqué par la montée de tensions géopolitiques, les territoires ultramarins peuvent constituer aussi des postes avancés de surveillance, voire de positionnement de moyens militaires, en particulier dans le cadre de la stratégie française pour l'Indopacifique.

Aménager l'espace outre-mer passe aussi par des actions de préservation des milieux fragiles. La biodiversité y est exceptionnelle. Y subsistent notamment des espèces endémiques qui ont disparu ailleurs. Au-delà des milieux fragiles, ce sont les espaces naturels, agricoles et forestiers, qui doivent faire l'objet d'une protection renforcée. Les dégâts des monocultures d'exportation à la productivité poussée par les pesticides ne sont plus à démontrer. Le développement agricole passe donc par une transformation rapide des modèles en privilégiant une agriculture vivrière locale vertueuse. Plus encore que dans l'hexagone, la sanctuarisation des terres agricoles pour éviter leur grignotage par l'urbanisation rampante est un enjeu puissant.

Enfin, aménager les outre-mer passe par la mobilisation de moyens pour investir dans des infrastructures facilitant la mobilité des personnes et des biens. De ce point de vue, les besoins concernent les circulations internes. La construction de la route du littoral à La Réunion a ainsi contribué à faciliter les déplacements tout autour de l'île. Mais les besoins concernent aussi les liens avec les territoires proches et avec l'hexagone. Y répondent par exemple l'agrandissement du port de Jarry en Guadeloupe ou encore la construction d'un pont sur l'Oyapock en Guyane. L'objectif consiste à développer l'économie et le tourisme. Au-delà de la construction de ces aménagements, il convient d'en assurer la maintenance régulière, l'entretien étant plus exigeant du fait du climat humide, de la chaleur et de la sismicité.

Permettre les circulations entre les outre-mer et l'hexagone consiste aussi à réguler les conditions tarifaires des déplacements. De ce point de vue, le rapport publié début 2023 par les sénateurs Guillaume Chevrollier et Catherine Conconne sur la continuité territoriale171(*) préconise de renforcer les aides existantes afin d'éviter que le prix des trajets soit dissuasif et assigne la plupart des ultramarins à résidence.

CONCLUSION GÉNÉRALE

Au terme de ce voyage dans les futurs possibles des multiples espaces qui composent notre pays, une conviction se détache : les chemins d'une occupation pertinente et harmonieuse du territoire ne sont pas simples, d'abord parce que les défis à relever sont multiples et les arbitrages complexes entre l'objectif de protéger l'environnement mais aussi celui de rechercher des équilibres sociaux toujours fragiles et favoriser le développement économique. La définition de « l'optimum » est presque impossible.

Ensuite, la politique d'aménagement du territoire repose désormais largement sur les collectivités territoriales, qui ont pour mission de programmer l'utilisation de l'espace à travers les documents d'urbanisme mais aussi de financer les opérations en exerçant la maîtrise d'ouvrage sur l'espace public. La fragmentation du paysage local crée à cet égard une certaine complexité. Par ailleurs, les initiatives prises sur les territoires dépendent des moyens dont disposent les collectivités : de ce point de vue, les métropoles denses sont mieux armées que les territoires ruraux ou périurbains éloignés.

On constate cependant que certains objectifs sont largement partagés à tous les niveaux : État comme collectivités territoriales :

• d'abord, la nécessité de moins consommer d'espace pour préserver les terres agricoles mais aussi la biodiversité est désormais admise. La difficulté réside plutôt dans la manière d'utiliser l'outil du ZAN, désormais inscrit dans la loi ;

• ensuite l'impératif de mieux relier les territoires pour lutter contre les fractures territoriales est largement partagé, imposant de continuer à investir sur les mobilités mais en sortant du modèle du tout-voiture ;

• en outre, la concentration des espaces commerciaux en périphérie des grandes villes et plus largement l'hyperspécialisation des quartiers apparaissent comme des échecs de l'aménagement urbain et doivent être corrigés. Il est fondamental d'aller vers une plus forte multifonctionnalité des espaces, de les déspécialiser ;

• par ailleurs, une plus grande attention doit être portée à la qualité urbaine, à la qualité paysagère, justifiant par exemple les destructions de barres d'immeubles dans les cités bénéficiant des actions de l'ANRU. La bataille de la qualité urbaine est cependant encore loin d'être gagnée, car si les quartiers concentrant des monuments historiques font l'objet d'une protection patrimoniale forte, les exigences vis-à-vis des autres espaces sont beaucoup plus limitées.

Les travaux menés dans le cadre du présent rapport conduisent à formuler 50 propositions qui sont autant de pistes pour aller vers une occupation de l'espace plus harmonieuse.

Utiliser l'espace de manière plus économe

1- Assurer une application intelligente du « zéro artificialisation nette » (ZAN), en prenant notamment en compte les modalités proposées par le Sénat, afin d'éviter des situations de blocage.

2- Préserver les terres agricoles en s'attachant non seulement à la limitation de la consommation d'hectares agricoles mais aussi à la préservation, voire à l'amélioration, de la qualité des sols.

3- Lutter contre le mitage en renforçant les prescriptions faites dans les SCoT, PLU et PLUI.

4- Urbaniser en priorité des dents creuses urbaines et limiter les constructions nouvelles aux secteurs jouxtant les espaces bâtis existants.

5- Tenant compte de l'aspiration légitime de nos concitoyens à habiter en pavillon, inciter les communes et les EPCI à introduire dans les PLU et PLUI des dispositions limitant la taille des parcelles destinés à la construction de pavillons et encourager la construction en mitoyenneté, à l'instar de ce qui existe au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas.

6- Autoriser les divisions de terrains pour densifier les constructions avant d'ouvrir de nouvelles zones à urbaniser.

Repenser nos villes

7- Se fixer comme objectif la remise en cause du modèle de la ville sectorisée, divisée en centre patrimonial, faubourgs, périphéries verticales et horizontales, espaces périphériques commerciaux, zones d'activités, zones de loisirs, pour aller vers une nouvelle urbanité, où toutes les fonctions seront présentes dans tous les quartiers, la mixité fonctionnelle étant indissociable de la mixité sociale.

8- Développer la logique de la ville multipolaire, dont les pôles seront reliés par des transports en commun et des modes de déplacement doux, en créant des centralités dans les périphéries ou en transformant les périphéries en pôles de centralité.

9- Revoir les politiques de zonage qui peuvent avoir pour effet paradoxal d'accroître les ségrégations ou les disparités que ces mêmes politiques entendaient pourtant réduire : la lutte contre la pauvreté ne passe pas nécessairement par le zonage géographique des populations concernées.

10- Prendre en compte le développement du télétravail, négocié par les partenaires sociaux, dans la mise en oeuvre des infrastructures et services de transport et l'aménagement des villes.

Verdir nos villes

11- Inciter les communes à élaborer des plans de déminéralisation et de désimperméabilisation des espaces publics, assortis d'indicateurs de résultats.

12- Encourager la végétalisation des toitures, tous bâtiments confondus : logements, bâtiments d'activité, administrations.

13- Encourager la constitution de lisières forestières urbaines, ayant des fonctions de régulation thermique et hydrique et de captation de carbone, et offrant des espaces de promenades et de loisirs.

Traiter enfin la question de nos entrées de ville

14- Compléter les programmes de l'ANCT par un appel à projet national à destination des EPCI pour la reconquête des entrées de ville.

15- Apporter le soutien financier de l'État à la reconquête des entrées de ville sur une base contractuelle, impliquant une réduction des pollutions visuelles (publicités), des surfaces minéralisées dédiées au stationnement (parkings) et l'implantation de logements et d'activités non commerciales (équipements sportifs ou culturels) à la place d'activités commerciales. Il s'agit de reconquérir des espaces urbains de qualité.

16- Flécher une partie des recettes de taxe foncière assises sur les entrepôts et grandes surfaces vers un fonds de diversification et de reconquête des friches commerciales et industrielles. La transformation des entrées de ville se heurte en effet à un souci de moyens. Un effet de levier pourrait être obtenu en y consacrant ces financements, même modestes, pour restructurer ces espaces et en faire de véritables quartiers multifonctionnels.

17- Créer un service de la qualité urbaine à compétence nationale, sur le modèle des architectes des bâtiments de France, qui aurait pour mission de donner un avis conforme sur les opérations concernant les entrées de ville.

Lutter contre les ghettos urbains

18- Poursuivre l'effort de renouvellement urbain porté par l'ANRU dans les quartiers caractérisés par la domination d'un urbanisme sous forme de barres et tours d'immeubles collectifs, pour aller vers un habitat diversifié.

19- Répartir les logements sociaux dans l'ensemble des quartiers des aires urbaines et veiller à la qualité architecturale de ces logements, rompant avec les conceptions anciennes de concentration et d'identification visuelle forte de ces ensembles.

20- Bonifier les aides publiques accordées aux programmes de construction ou de rénovation de logements sociaux, lorsque ceux-ci donnent lieu à concours d'architecte de dimension nationale, voire européenne, afin d'éviter une approche trop locale et standardisée.

21- Procéder à une évaluation systématique du zonage des politiques de la ville pour évaluer leur efficacité.

Soutenir les petites villes et les espaces ruraux

22- Rétablir un dispositif de soutien à la revitalisation des commerces dans les moyennes et petites communes - sur le modèle du Fisac - visant à aider les collectivités à racheter des commerces vides et y implanter de nouveaux commerçants, de nouvelles activités ou de nouveaux services.

23- Recentrer les zones de revitalisation rurale (ZRR) en fonction de critères objectifs, comme la désertification médicale, et renforcer les aides attribuées sur ce périmètre resserré.

24- Développer les tiers-lieux en milieu rural, afin d'attirer des actifs itinérants et favoriser leur installation dans les territoires peu denses.

Accroître la solidarité territoriale

25- Faire de la lutte contre les inégalités territoriales un axe fort des prochaines programmations des contrats de plan État-région (CPER), en ajustant les taux d'aide selon le degré de prospérité des régions.

26- Repenser les dotations de l'État aux collectivités territoriales en accroissant leur fonction de péréquation horizontale et verticale.

27- Moduler les aides à la réindustrialisation en fonction du degré de développement industriel déjà atteint, afin de favoriser en priorité les territoires les plus dépourvus de sites industriels.

28- Renforcer la solidarité à l'égard des territoires ultramarins en rendant plus effective la continuité territoriale.

29- Achever la couverture numérique du territoire et veiller au déploiement de chaque nouvelle génération de réseau au même rythme sur l'ensemble du territoire, sans défavoriser les espaces les moins denses.

30- Instaurer un conventionnement sélectif des médecins généralistes et spécialistes par l'Assurance-maladie afin de lutter efficacement contre les déserts médicaux.

Permettre la mobilité de tous

31- Accompagner la création des zones à faible émission (ZFE) par l'aménagement de parkings-relais connectés aux réseaux de transport collectif. Verdir les déplacements ne doit pas conduire à exclure les habitants des quartiers périurbains. Le stationnement des véhicules pour assurer une réelle intermodalité doit être un préalable aux ZFE.

32- Veiller à la prise en compte des enjeux de logistique urbaine, en organisant une diversité modale destinée à une desserte efficace des derniers kilomètres.

33- Capter une part des surprofits autoroutiers pour financer les transports collectifs et les circulations douces.

Répondre à l'impératif environnemental

34- Renforcer le développement de l'éolien terrestre et marin en favorisant la concentration plutôt que l'éparpillement des équipements, afin de limiter l'atteinte aux paysages, et en éloignant l'éolien marin des côtes.

35- Encourager le développement de panneaux photovoltaïques sur les bâtiments existants, les nouvelles constructions et les terrains non cultivables.

36- Sans préjudice de leur fonction de péréquation, qui est essentielle, moduler les dotations et subventions de l'État aux collectivités territoriales en fonction de l'atteinte d'objectifs de sobriété foncière, de déminéralisation et de végétalisation des espaces urbains, tout en gardant prioritairement l'objectif de péréquation, qui ne doit pas être contradictoire.

Organiser le territoire

37- Rationaliser la carte des zones d'activités économiques pour éviter leur dissémination sur le territoire et refuser la création de toute nouvelle zone si celles avoisinantes ne sont pas en voie de saturation.

38- Identifier des sites industriels propices à la réindustrialisation du pays, en veillant à leur répartition sur le territoire, afin d'éviter les effets de concentration générateurs de nuisances.

39- Encourager le développement de circuits courts d'approvisionnement agricole.

40- Relocaliser sur le territoire national des productions agricoles actuellement importées, afin de réduire l'impact environnemental de notre modèle alimentaire.

41- Lancer un grand « Plan Forêt » pour faire face au changement climatique et aux risques qui en résultent : parasites, dépérissement, incendies.

42- Veiller à la mise en oeuvre effective des dispositions législatives et réglementaires destinées à la protection des paysages naturels et patrimoniaux, en bloquant les projets de construction qui y portent gravement atteinte. Étendre les chartes de paysage au-delà du périmètre des parcs naturels régionaux.

43- Favoriser la diversification des activités touristiques de montagne, en réaménageant les stations qui doivent aller vers du tourisme quatre saisons.

Moderniser la gouvernance des territoires

44- Transformer le ministère de la ville, considéré comme le « ministère des banlieues » en ministère de toute la ville, compétent pour intervenir sur les nouvelles urbanités et les nouveaux quartiers.

45- Faire de la contractualisation entre l'État et les différents niveaux de collectivités territoriales le socle des politiques locales d'aménagement.

46- En termes de gouvernance et de programmation du développement urbain, jouer pleinement la carte de l'intercommunalité, cadre approprié pour la mutualisation des politiques de l'habitat et d'urbanisme.

47- Développer les outils de portage foncier pour permettre aux communes et EPCI de mener des opérations longues de transformation du territoire.

48- Renforcer les moyens d'ingénierie territoriale et favoriser le partage d'ingénierie entre collectivités pour accélérer la mise en oeuvre des projets locaux.

49- Mobiliser les politiques européennes et les fonds structurels et d'investissements européens au service de notre ambition nationale d'aménagement du territoire.

50- Favoriser l'appropriation des politiques territoriales par les citoyens, qui doivent être coauteurs, à chaque échelle, des stratégies d'aménagement du territoire.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Réunie le jeudi 29 juin 2023, la délégation à la prospective a examiné le rapport de M. Jean-Pierre Sueur sur les enjeux de l'occupation du sol dans les prochaines décennies.

M. Mathieu Darnaud, président. - Nous remercions Jean-Pierre Sueur qui va nous présenter son rapport sur l'organisation de l'espace à l'horizon 2050, sujet majeur pour le Sénat et pour nous tous.

Je sais que ce rapport s'est nourri de nombreuses auditions depuis qu'il a été lancé en juillet 2020. Vous allez nous en expliquer la genèse, développer ses grandes lignes et nous livrer une conclusion est assortie de nombreuses propositions. En ce sens, ce rapport a un caractère véritablement opérationnel et nous ne pouvons que nous en féliciter. Sans plus attendre, je vous passe la parole, cher Jean-Pierre Sueur, pour nous le présenter.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, merci de m'avoir confié ce rapport pour lequel j'ai procédé à une vingtaine d'auditions. Pour moi, il s'inscrit dans une longue continuité de travaux. J'ai eu l'occasion en 1998 de remettre au Gouvernement un rapport en deux tomes qui s'intitulait « Demain la ville », dans lequel je faisais 50 propositions. Je présentais une vision critique de la politique de la ville, reprochant au ministère de la ville sa vision ségréguée. Il s'agissait notamment de soutenir l'idée d'un ministère de toute la ville, pas seulement de la ville qui va mal, et de proposer une nouvelle urbanité avec une répartition sociale et fonctionnelle dans tous les quartiers.

En 1999, j'ai publié un livre « Changer la ville » chez Odile Jacob. Puis, en 2011, pour la délégation à la prospective, j'ai établi un rapport en trois tomes sur l'avenir des villes dans le monde (« Villes du futur, futur des villes : quel avenir pour les villes du monde ? »). Nous avions fait appel à des universitaires qui avaient travaillé sur l'évolution d'une vingtaine de grandes villes sur tous les continents. En 2016, après deux journées de colloque au Sénat, j'ai présenté à la délégation à la prospective un rapport sur « Le phénomène urbain, un atout pour le futur ».

Cette fois-ci, je me suis intéressé à l'occupation prospective des sols en France et je vous présente le résultat de ces travaux, auquel je propose de donner le titre suivant : « Osons le retour de l'aménagement du territoire : les enjeux de l'occupation du sol dans les prochaines décennies ».

Le rapport se divise en deux grandes parties. La première fait un état des lieux. Je me suis attaché à décrire le territoire tel qu'il est aujourd'hui : fragmenté et traversé de tendances contradictoires, mais capable aussi de faire face aux nouveaux défis.

Dans la seconde partie, j'ai imaginé les futurs possibles de l'occupation de l'espace en France, en prenant en compte notamment les acteurs locaux. Nous avons examiné successivement les grands centres urbains ; les banlieues denses ; les zones pavillonnaires, objets de tous les fantasmes et de pas mal d'idées fausses ; les zones industrielles, commerciales et logistiques, en pleine transformation ; le rural, qui est de plus en plus connecté au reste du territoire ; les forêts, dont on oublie parfois qu'elles couvrent 30 % de notre territoire ; le littoral, pris d'assaut par le tourisme et l'économie des loisirs ; la montagne, qui connaît des évolutions assez similaires au littoral ; enfin, les outre-mer, qui doivent faire l'objet d'une volonté d'aménagement plus forte des pouvoirs publics.

Après ces quelques mots d'introduction, j'en viens à mes 50 propositions. Elles se répartissent en plusieurs blocs.

Le premier bloc s'intitule utiliser l'espace de manière plus économe, avec six propositions.

1- Assurer une application intelligente du « zéro artificialisation nette » (ZAN), en prenant notamment en compte les modalités proposées par le Sénat, afin d'éviter des situations de blocage.

2- Préserver les terres agricoles en s'attachant non seulement à la limitation de la consommation d'hectares agricoles mais aussi à la préservation, voire à l'amélioration, de la qualité des sols.

3- Lutter contre le mitage en renforçant les prescriptions faites dans les SCoT, PLU et PLUI.

4- Urbaniser en priorité des dents creuses urbaines et limiter les constructions nouvelles aux secteurs jouxtant les espaces bâtis existants.

5- Tenant compte de l'aspiration légitime de nos concitoyens à habiter en pavillon, inciter les communes et les EPCI à introduire dans les PLU et PLUI des dispositions limitant la taille des parcelles destinés à la construction de pavillons et encourager la construction en mitoyenneté, à l'instar de ce qui existe au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas.

6- Autoriser les divisions de terrains pour densifier les constructions avant d'ouvrir de nouvelles zones à urbaniser.

Mon deuxième bloc de propositions s'intitule repenser la ville.

7- Se fixer comme objectif la remise en cause du modèle de la ville sectorisée, divisée en centre patrimonial, faubourgs, périphéries verticales et horizontales, espaces périphériques commerciaux, zones d'activités, zones de loisirs, pour aller vers une nouvelle urbanité, où toutes les fonctions seront présentes dans tous les quartiers, la mixité fonctionnelle étant indissociable de la mixité sociale.

8- Développer la logique de la ville multipolaire, dont les pôles seront reliés par des transports en commun et des modes de déplacement doux, en créant des centralités dans les périphéries ou en transformant les périphéries en pôles de centralité.

9- Revoir les politiques de zonage qui peuvent avoir pour effet paradoxal d'accroître les ségrégations ou les disparités que ces mêmes politiques entendaient pourtant réduire : la lutte contre la pauvreté ne passe pas nécessairement par le zonage géographique des populations concernées.

10- Prendre en compte le développement du télétravail, négocié par les partenaires sociaux, dans la mise en oeuvre des infrastructures et services de transport et l'aménagement des villes.

La troisième série de propositions vise à verdir nos villes.

11- Inciter les communes à élaborer des plans de déminéralisation et de désimperméabilisation des espaces publics, assortis d'indicateurs de résultats.

12- Encourager la végétalisation des toitures, tous bâtiments confondus : logements, bâtiments d'activité, administrations.

13- Encourager la constitution de lisières forestières urbaines, ayant des fonctions de régulation thermique et hydrique et de captation de carbone, et offrant des espaces de promenades et de loisirs.

Le quatrième bloc de propositions concerne un sujet qui m'est cher, celui des entrées de ville.

14- Compléter les programmes de l'ANCT par un appel à projet national à destination des EPCI pour la reconquête des entrées de ville.

15- Apporter le soutien financier de l'État à la reconquête des entrées de ville sur une base contractuelle, impliquant une réduction des pollutions visuelles (publicités), des surfaces minéralisées dédiées au stationnement (parkings) et l'implantation de logements et d'activités non commerciales (équipements sportifs ou culturels) à la place d'activités commerciales. Il s'agit de reconquérir des espaces urbains de qualité.

16- Flécher une partie des recettes de taxe foncière assises sur les entrepôts et grandes surfaces vers un fonds de diversification et de reconquête des friches commerciales et industrielles. La transformation des entrées de ville se heurte en effet à un souci de moyens. Un effet de levier pourrait être obtenu en y consacrant ces financements, même modestes, pour restructurer ces espaces et en faire de véritables quartiers multifonctionnels.

17- Créer un service de la qualité urbaine à compétence nationale, sur le modèle des architectes des bâtiments de France, qui aurait pour mission de donner un avis conforme sur les opérations concernant les entrées de ville.

Le cinquième bloc de propositions a pour objet la lutte contre les ghettos urbains.

18- Poursuivre l'effort de renouvellement urbain porté par l'ANRU dans les quartiers caractérisés par la domination d'un urbanisme sous forme de barres et tours d'immeubles collectifs, pour aller vers un habitat diversifié.

19- Répartir les logements sociaux dans l'ensemble des quartiers des aires urbaines et veiller à la qualité architecturale de ces logements, rompant avec les conceptions anciennes de concentration et d'identification visuelle forte de ces ensembles.

20- Bonifier les aides publiques accordées aux programmes de construction ou de rénovation de logements sociaux, lorsque ceux-ci donnent lieu à concours d'architecte de dimension nationale, voire européenne, afin d'éviter une approche trop locale et standardisée.

21- Procéder à une évaluation systématique du zonage des politiques de la ville pour évaluer leur efficacité.

Mon sixième axe de propositions concerne le soutien aux petites villes et aux espaces ruraux.

22- Rétablir un dispositif de soutien à la revitalisation des commerces dans les moyennes et petites communes - sur le modèle du Fisac - visant à aider les collectivités à racheter des commerces vides et y implanter de nouveaux commerçants, de nouvelles activités ou de nouveaux services.

23- Recentrer les zones de revitalisation rurale (ZRR) en fonction de critères objectifs, comme la désertification médicale, et renforcer les aides attribuées sur ce périmètre resserré.

24- Développer les tiers-lieux en milieu rural, afin d'attirer des actifs itinérants et favoriser leur installation dans les territoires peu denses.

Le septième bloc de propositions vise à accroître la solidarité territoriale.

25- Faire de la lutte contre les inégalités territoriales un axe fort des prochaines programmations des contrats de plan État-région (CPER), en ajustant les taux d'aide selon le degré de prospérité des régions.

26- Repenser les dotations de l'État aux collectivités territoriales en accroissant leur fonction de péréquation horizontale et verticale.

27- Moduler les aides à la réindustrialisation en fonction du degré de développement industriel déjà atteint, afin de favoriser en priorité les territoires les plus dépourvus de sites industriels.

28- Renforcer la solidarité à l'égard des territoires ultramarins en rendant plus effective la continuité territoriale.

29- Achever la couverture numérique du territoire et veiller au déploiement de chaque nouvelle génération de réseau au même rythme sur l'ensemble du territoire, sans défavoriser les espaces les moins denses.

30- Instaurer un conventionnement sélectif des médecins généralistes et spécialistes par l'Assurance-maladie afin de lutter efficacement contre les déserts médicaux.

Le huitième axe de propositions a pour objet de permettre la mobilité de tous.

31- Accompagner la création des zones à faible émission (ZFE) par l'aménagement de parkings-relais connectés aux réseaux de transport collectif. Verdir les déplacements ne doit pas conduire à exclure les habitants des quartiers périurbains. Le stationnement des véhicules pour assurer une réelle intermodalité doit être un préalable aux ZFE.

32- Veiller à la prise en compte des enjeux de logistique urbaine, en organisant une diversité modale destinée à une desserte efficace des derniers kilomètres.

33- Capter une part des surprofits autoroutiers pour financer les transports collectifs et les circulations douces.

Le neuvième bloc de propositions, essentiel aujourd'hui, vise à répondre à l'impératif environnemental.

34- Renforcer le développement de l'éolien terrestre et marin en favorisant la concentration plutôt que l'éparpillement des équipements, afin de limiter l'atteinte aux paysages, et en éloignant l'éolien marin des côtes.

35- Encourager le développement de panneaux photovoltaïques sur les bâtiments existants, les nouvelles constructions et les terrains non cultivables.

36- Sans préjudice de leur fonction de péréquation, qui est essentielle, moduler les dotations et subventions de l'État aux collectivités territoriales en fonction de l'atteinte d'objectifs de sobriété foncière, de déminéralisation et de végétalisation des espaces urbains, tout en gardant prioritairement l'objectif de péréquation, qui ne doit pas être contradictoire.

Le dixième bloc de propositions rappelle qu'il convient d'organiser le territoire.

37- Rationaliser la carte des zones d'activités économiques pour éviter leur dissémination sur le territoire et refuser la création de toute nouvelle zone si celles avoisinantes ne sont pas en voie de saturation.

38- Identifier des sites industriels propices à la réindustrialisation du pays, en veillant à leur répartition sur le territoire, afin d'éviter les effets de concentration générateurs de nuisances.

39- Encourager le développement de circuits courts d'approvisionnement agricole.

40- Relocaliser sur le territoire national des productions agricoles actuellement importées, afin de réduire l'impact environnemental de notre modèle alimentaire.

41- Lancer un grand « Plan Forêt » pour faire face au changement climatique et aux risques qui en résultent : parasites, dépérissement, incendies.

42- Veiller à la mise en oeuvre effective des dispositions législatives et réglementaires destinées à la protection des paysages naturels et patrimoniaux, en bloquant les projets de construction qui y portent gravement atteinte. Étendre les chartes de paysage au-delà du périmètre des parcs naturels régionaux.

43- Favoriser la diversification des activités touristiques de montagne, en réaménageant les stations qui doivent aller vers du tourisme quatre saisons.

Le onzième et dernier bloc de propositions concerne la modernisation de la gouvernance des territoires.

44- Transformer le ministère de la ville, considéré comme le « ministère des banlieues » en ministère de toute la ville, compétent pour intervenir sur les nouvelles urbanités et les nouveaux quartiers.

45- Faire de la contractualisation entre l'État et les différents niveaux de collectivités territoriales le socle des politiques locales d'aménagement.

46- En termes de gouvernance et de programmation du développement urbain, jouer pleinement la carte de l'intercommunalité, cadre approprié pour la mutualisation des politiques de l'habitat et d'urbanisme.

47- Développer les outils de portage foncier pour permettre aux communes et EPCI de mener des opérations longues de transformation du territoire.

48- Renforcer les moyens d'ingénierie territoriale et favoriser le partage d'ingénierie entre collectivités pour accélérer la mise en oeuvre des projets locaux.

49- Mobiliser les politiques européennes et les fonds structurels et d'investissements européens au service de notre ambition nationale d'aménagement du territoire.

50- Favoriser l'appropriation des politiques territoriales par les citoyens, qui doivent être coauteurs, à chaque échelle, des stratégies d'aménagement du territoire.

Je présente ces propositions avec modestie, certaines sont connues, d'autres plus audacieuses, d'autres peut-être critiquables. Vous trouverez plus d'informations dans mon rapport complet.

M. Mathieu Darnaud, président. - Merci pour ce vaste ensemble de propositions sur lequel je voudrais faire trois remarques, en forme d'interrogations. La première est en quelque sorte le noeud gordien du modèle urbain français. Vous voulez revoir la sectorisation des villes mais pensez-vous qu'à moyen terme on puisse vraiment sortir de ce modèle ? Beaucoup de zones d'activité sont organisées autour des questions logistiques. On voit bien aussi que le bilan général des zones franches urbaines est compliqué à établir. Elles auront permis plus le transfert d'activités que de vraies créations d'activités.

Ma deuxième remarque est relative à la question du logement social et de son intégration dans l'ensemble des quartiers. Je fais appel à mon expérience de maire : c'était l'une des priorités de mon mandat dans une commune carencée en logement social. Il apparait clairement qu'il y a un fort besoin d'accompagnement et un problème de disponibilité foncière. Les communes sont souvent dépourvues face à ces difficultés. Il faut un effort considérable pour changer la qualité de vie dans ces quartiers.

Mon troisième point concerne la question architecturale, un point d'intérêt personnel également complexe. Elle nécessite une réflexion car il faut inventer l'urbanisme de demain tout en multipliant les moyens. Je m'interroge sur la politique en silo de l'État car il faudrait pouvoir créer plus d'agilité. L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ne peut hélas y parvenir avec le mécanisme des appels à projets. C'est une procédure lourde, notamment pour les villes moyennes qui manquent de moyens financiers. Cela pose la question d'une sorte de recentralisation, autour des préfets, de ces politiques.

M. Bernard Fialaire. - Je souscris pleinement à ce souhait d'une plus grande agilité.

En 1994 lorsque j'ai été élu, la Datar publiait un rapport sur la France en 2015 qui faisait des projections démographiques. Celles-ci se sont avérées totalement fausses pour ma commune qui était sur un grand axe promis à un développement certain, du fait de la volonté des élus mais pas seulement.

Il y a quelques années, j'avais décidé de faire un tour de France des villes du rugby - Mazamet, Albi, Montauban, Agen - et avais été frappé par la similitude des entrées de ville, et même choqué par la façon dont on dénature notre territoire.

Une autre difficulté est que la réforme territoriale se heurte aux limites administratives. Certains bassins de vie se situent sur les territoires de deux départements, par exemple entre l'Ain et le Rhône. Les injonctions des départements ou de l'État sont parfois contradictoires avec les complémentarités naturelles et souhaitables de ces territoires.

Les décisions que l'on doit prendre, par exemple sur les critères des logements sociaux, peuvent avoir des effets délétères dans les ensembles de collectivités. Il faut laisser agilité et liberté aux responsables.

M. Alain Richard. - Merci pour ce travail très complet et panoramique. Ce catalogue complet n'est toutefois pas exempt de contradictions.

Ma première observation est qu'une économie performante, diversifiée qui continue à investir, fondée sur la liberté, n'est pas forcément compatible avec une gestion des espaces telle que vous la préconisez.

Je suis réservé sur la suppression de la polyfonctionnalité des villes. Faire résider des personnes dans les zones d'activité n'est pas une solution facile car, même avec le développement de camions à hydrogène, il y aura toujours des flux logistiques, ne serait-ce que pour les salariés de ces activités, qui continueront à habiter loin, et dont au maximum 5 à 7 % viennent en transport public dans ces zones.

Si un pays est un peu industriel, comme l'Espagne, l'Allemagne ou l'Italie, il y a une destination des espaces. Le concept de ville du quart d'heure est attirant mais masque la réalité économique.

Ma seconde observation est pour rappeler que l'État, dans sa fonction d'aménagement du territoire, a effectivement pour mission de réguler, interdire, organiser. Mais la multiplication par ailleurs des fonds d'incitation, de soutien, d'accompagnement, etc. alors que les collectivités ou le bloc communal peuvent disposer de ces moyens me semble contestable. L'action de l'État peut avoir des effets déformants ou retardateurs.

N'oublions pas la destruction créatrice.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Merci pour vos remarques dont je tiendrai compte dans mon rapport.

Le réalisme fait que les zones d'activité sont incompressibles mais certaines zones sont tellement abimées qu'il convient d'agir. Je partage les propos du président sur les zones franches urbaines, il suffit de se référer à un ancien rapport de l'IGAS et de l'IGF pour comprendre le problème.

Pour le logement social, on se heurte en effet à un manque de moyens. La qualité architecturale est un sujet majeur. Ce que je redoute c'est que l'on fasse appel à de grands architectes pour de grands projets et qu'on abandonne un peu les logements sociaux.

Une de mes propositions vise effectivement à préconiser des circuits plus courts pour tenir compte de la lourdeur actuelle des procédures de l'ANCT, notamment face à l'urgence du logement social.

Je partage les remarques de Bernard Fialaire sur les entrées de villes y compris dans celles qui ont de grandes équipes de rugby. En Allemagne on n'a pas ces vastes zones qui abiment le paysage. On constate d'ailleurs un retour des supermarchés, jusque dans les centres villes, par exemple rue de Vaugirard.

Les difficultés des collectivités pluridépartementales sont certaines. C'est pourquoi je suis favorable aux grosses communautés de communes, sauf dans certaines vallées de montagne, car cela permet d'avoir les équipes et les moyens.

Les élus ont besoin de souplesse, il faut un grand respect des élus locaux et leur donner les moyens d'agir vite.

Dans les années qui viennent, les parkings des entrées de ville devront être désimperméabilisés.

La dialectique mise en avant par Alain Richard entre la liberté et l'initiative, d'un côté, et la gestion des espaces, de l'autre, est très rocardienne dans son réalisme.

Les voiries, l'éclairage, la publicité sont surdimensionnés dans les entrées de ville. On ne peut pas faire évoluer les choses rapidement mais cela est possible. On a réussi à le faire pour les petites communes.

J'ai le souvenir du souhait d'implantation d'un restaurant de moules frites, membre d'une chaîne, qui voulait imposer son style de bâtiment, son concept d'un toit vert en pente. Cela aboutit dans certaines zones à une collection d'objets disposés les uns à côté des autres sans aucune cohérence ni harmonie. Nous avions fait un gros travail avec un restaurant d'une autre grande chaîne pour recouvrir son toit en tuiles solognotes.

Cela ne pourra plus être pareil dans cinquante ans. Il faudra revoir les parkings, repenser les multiplex, etc. L'installation d'équipements sportifs dans ces zones, par exemple, est envisageable.

M. Alain Richard. - Il va falloir songer à verticaliser les parkings.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je suis d'accord pour enlever de mes propositions la création d'un fonds en faveur de la végétalisation des villes. Il vaut mieux en effet que les élus aient les moyens d'agir.

M. Mathieu Darnaud, président. - Je ne vois pas d'opposition à l'adoption de ce rapport et de ses propositions.

Le rapport est adopté à l'unanimité.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

· Pierre VELTZ, économiste, spécialiste des dynamiques territoriales (22 septembre 2020)

· Monique POULOT, professeure de géographie à l'Université Paris-Nanterre (22 octobre 2020)

· Xavier DESJARDINS, professeur d'urbanisme et d'aménagement de l'espace à l'Université Paris-Sorbonne (29 octobre 2020)

· Frédéric WEILL, directeur d'études de Futuribles (15 décembre 2020)

· Yves LE BRETON, directeur général et Florence ROGNARD, conseillère chargée des relations institutionnelles de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (21 janvier 2021)

· Gontran THÜRING, délégué général, Dorian LAMARRE, directeur des relations institutionnelles et extérieures et Salomé GRANGÉ, chargée d'affaires publiques et juridiques du Conseil national des centres commerciaux (3 février 2021)

· Sabine BARLES, professeure d'urbanisme et aménagement à l'Université Panthéon-Sorbonne (4 février 2021)

· Stella GASS, directrice de la fédération des SCoT (10 février 2021)

· Laetitia DABLANC, professeure à l'Université Gustave-Eiffel, directrice de la Chaire Logistics City (10 février 2021)

· Michel LUSSAULT, géographe, directeur de l'école urbaine de Lyon (9 mars 2021)

· Guy LALE-GERARD, Michel EUVÉ et Florence CURVALE, architectes, co-auteurs de l'ouvrage « La ville européenne au XXIe siècle » (13 avril 2021)

· Coline BOUVART, cheffe de projet - département Travail, Claire RAIS ASSA, cheffe de projet transition écologique et territoires, Julien FOSSE, directeur adjoint du département développement durable et numérique, France Stratégie (mardi 31 mai 2022)

· Martin VANIER, professeur de géographie, École d'Urbanisme de Paris, Université Paris-Est Créteil (mercredi 1 juin 2022)

· Hubert COURSEAUX, vice-président de la Fédération nationale des CAUE, président du CAUE du Calvados, Valérie CHAROLLAIS, directrice, Éléonore CHAMBRAS LAFUENTE, chargée de mission, Fédération nationale des CAUE (mercredi 8 juin 2022)

· Éric CHARMES, directeur de recherche, laboratoire Recherches interdisciplinaires ville, espace, société (RIVES), École nationale des travaux publics d'État - Université de Lyon (mercredi 8 juin 2022)

· Jean-Marc TORROLLION, président, Bénédicte ROUAULT, chef de cabinet du président de la FNAIM (mardi 14 juin 2022)

· Anne-Marie IDRAC, présidente, Constance MARÉCHAL-DEREU, directrice générale, France logistique (mardi 5 juillet 2022)

· Mathieu DOUGADOS, directeur exécutif, Capgemini Invent France (mardi 5 juillet 2022)

· Jean-Marc STÉBÉ, sociologue, professeur d'études urbaines à l'Université de Lorraine (mercredi 6 juillet 2022)

· Yohann BENARD, directeur de la stratégie et des affaires publiques, Éloïse FOUCAULT, responsable des affaires publiques, Amazon France Logistique (jeudi 7 juillet 2022)

· Olivier BOUBA-OLGA, professeur des universités en aménagement de l'espace et urbanisme, Faculté de sciences économiques de l'université de Poitiers, chef de service études et prospective délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar) (jeudi 7 juillet 2022)

· Carlos MORENO, urbaniste, inventeur du concept de « ville du quart d'heure », professeur des universités, directeur scientifique et co-fondateur de la Chaire ETI (Entreprenariat Territoire Innovation), Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne / IAE Sorbonne Business School (mardi 12 juillet 2022)

· Laurent CAPPELLETTI, professeur au CNAM (mercredi 27 juillet 2022)

· Philippe CLERGEAU, professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle (mercredi 27 juillet 2022)


* 1 28 scénarios de prospective territoriale pour la France : relecture transversale, par Martin Vanier, dans L'Information géographique 2015/2 (Vol. 79).

* 2 Reghezza-Zitt Magali, La France dans ses territoires, Armand-Colin, 2017, p.13.

* 3 https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/serie/s1161

* 4 Ilots regroupés pour l'information statistique.

* 5  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4806694

* 6 Madec Pierre, Rifflart Christine, « Politique de la ville : le zonage comme outil d'identification de la fracture sociale », Revue économique, 2016/3 (Vol. 67), p. 443-462. DOI : 10.3917/reco.673.0443. URL :  https://www.cairn.info/revue-economique-2016-3-page-443.htm

* 7  https://www.cnesco.fr/inegalites-sociales/

* 8  https://controverses.minesparis.psl.eu/public/promo16/promo16_G24/www.controverses-minesparistech-7.fr/_groupe24/stigmatisation-du-label-ep/index.html

* 9 On dénombre 787 communes nouvelles regroupant 2 500 communes, selon un rapport de l'Inspection générale de l'administration de juillet 2022 qui dresse un bilan mitigé des regroupements de communes, comme au demeurant l'Association des maires de France (AMF) dans son dernier panorama des communes nouvelles : https://www.amf.asso.fr/documents-panorama-communes-nouvellestome-2/41375

* 10 Dir. Vincent Adoumié, Nouvelle géographie de la France, Hachette 2022, p.43.

* 11 Selon les données de l'Observatoire du littoral.

* 12  https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/GraFra2022Integral/detail/

* 13  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4806684

* 14  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4806694

* 15  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4171583

* 16 L'économiste Saskia Sassen estime toutefois que la qualification de ville globale ne peut s'appliquer qu'aux trois premières citées.

* 17  https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011101?geo=COM-56260

* 18  https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220926/pro_2022_09_29.html

* 19 Les disparités socioprofessionnelles des territoires, Jean-Marc Zaninetti dans Populations, peuplements et territoires en France, sous la direction de Gérard-François Dumont, Armand Colin, 2022.

* 20  https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039989?sommaire=5040030

* 21  https://www.data.gouv.fr/fr/reuses/niveau-de-vie-des-francais-la-carte-par-commune/

* 22  https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/sites/default/files/2020-04/ot_rapport_2018.pdf

* 23  https://www.ccomptes.fr/fr/publications/levaluation-de-lattractivite-des-quartiers-prioritaires

* 24 Revue Regards croisées sur l'économie n°28 (2021) - Villes : l'attractivité à quel prix.

* 25 Xavier Desjardins, L'aménagement du territoire, Armand Colin, 2021.

* 26  https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-499-notice.html

* 27  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4241397

* 28  https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/rapports/2023/04/rapport-annuel-dactivite-2022

* 29 Mobilité 21 « Pour un schéma national de mobilité durable » : https://www.vie-publique.fr/rapport/33265-mobilite-21-pour-un-schema-national-de-mobilite-durable

* 30 Article L. 4221-1 du code général des collectivités territoriales.

* 31  https://regions-france.org/wp-content/uploads/2020/10/RDF-Chiffres-Cles-2022-220901.pdf

* 32  https://www.famillesrurales.org/etude-FamillesRurales-IFOP-Territoires-ruraux

* 33  https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2020/11/23/le-monde-rural-sous-estime-son-potentiel-et-ses-reussites_6060815_4497916.html

* 34  https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/action-coeur-de-ville-42

* 35  https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/petites-villes-de-demain-45

* 36 Sur les outils mobilisables, voir le dossier en ligne du Cerema :

https://www.cerema.fr/fr/actualites/villes-petites-moyennes-revitalisation-resilience

* 37  https://www.strategie.gouv.fr/publications/villes-moyennes-atouts-nouvelles-politiques-damenagement-territoire

* 38  https://www.fncaue.com/?page=home

* 39  https://www.anru.fr/actualites/un-premier-bilan-devoile-pour-le-programme-national-de-renovation-urbaine

* 40 L'IPS est un outil plus fin que les catégories socio-professionnelles (CSP) des parents pour caractériser l'origine sociale des élèves et leur environnement économique, social et culturel. Il est utilisé par l'Éducation nationale depuis 2016 et rendu public depuis 2022.

* 41  https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl09-064.html

* 42 Référence également utilisée dans l'étude d'impact du projet de loi Climat et Résilience voté par le Parlement en 2021.

* 43 Les chiffres de taux d'artificialisation des sols et de consommation d'espaces agricoles, naturels ou forestiers pour l'urbanisation sont issus de l'étude d'impact du projet de loi Climat et Résilience voté par le Parlement en 2021.

* 44  https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-11/20201110-refere-S2020-1368-leviers-politique-fonciere-agricole.pdf

* 45 Selon France Stratégie (rapport ZAN 2019).

* 46 https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/

* 47  https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/artificialisation-des-sols-synthese-en-francais-1.pdf

* 48  https://expertises.ademe.fr/urbanisme-durable/urbanisme-amenagement/passer-a-laction/reconversions-friches-urbaines

* 49  https://www.cerema.fr/fr/actualites/cartofriches-plus-8200-sites-friches-repertories

* 50 Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.

* 51 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

* 52 Schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), Schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF), Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) et Schémas d'aménagement régional (SAR) sont tous des documents de planification à l'échelle régionale, qui fixent des objectifs et définissent les grandes règles d'aménagement et de développement du territoire sur leur périmètre.

* 53 Article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT).

* 54  https://www.strategie.gouv.fr/publications/objectif-zero-artificialisation-nette-leviers-proteger-sols

* 55 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 56 Il faut noter que cette disposition ne devrait pas avoir d'effet massif puisque sur la période 2018-2021, soit avant même le vote de la loi, le nombre de dossiers présentés à la Commission nationale de l'aménagement commercial (CNAC) avait tendance à se réduire et celle-ci ne donnait un avis favorable que sur à peine la moitié des dossiers qui lui étaient soumis, qu'il s'agisse d'extensions de zones existantes ou de créations nouvelles. Sur la période 2018-2021, seulement 6 projets de création de zone commerciale de plus de 10 000 m² avaient reçu un avis favorable.

* 57  http://www.senat.fr/commission/mcc_zan.html

* 58  http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-205.html

* 59  https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-transports-2023/20-emissions-de-gaz-a-effet

* 60 Une note de l'INSEE de 2022 note qu'entre 1975 et 2018, la part des zones d'emploi concentrant plus de 200 000 emplois, hors Île-de-France a augmenté de près de 4 points, et celle des petites zones de moins de 50 000 emplois a baissé de 3 points : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6208142

* 61  https://www.departements.fr/wp-content/uploads/2018/11/Fiche-info-les-routes-d%C3%A9partementales_octobre-2020.pdf

* 62  https://www.francelogistique.fr/

* 63  http://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-313-notice.html

* 64  https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-089-notice.html

* 65 L'impact environnemental global du e-commerce est cependant difficile à chiffrer, comme l'indique une note de France Stratégie de 2021 : https://www.strategie.gouv.fr/publications/un-developpement-durable-commerce-ligne

* 66  https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2022/

* 67  https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energies-renouvelables-2022/

* 68 Voir le dernier panorama de l'électricité renouvelable publié par le Syndicat des énergies renouvelables :  https://www.syndicat-energies-renouvelables.fr/wp-content/uploads/basedoc/pano-2021-t4.pdf

* 69  https://fee.asso.fr/pub/observatoire-de-leolien-2022/

* 70 Article L. 111-18-1 du code de l'urbanisme.

* 71 Pour mémoire, on recense un peu plus de 2 millions de m² d'entrepôts logistiques en France.

* 72  https://www.centre-valdeloire.fr/comprendre/territoire/centre-val-de-loire-la-region-360deg

* 73  https://doi.org/10.56698/metropolitiques.1788

* 74 Carlos Moreno. 2020. Droit de cité, de la « ville-monde » à la « ville du quart d'heure », Paris : Éditions de l'Observatoire.

* 75  https://www.lopinion.fr/economie/la-ville-du-quart-dheure-ce-concept-qui-fait-debat

* 76 L'acronyme GAFAM désigne les cinq grands fournisseurs américains de services numériques : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

* 77  https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039989.

* 78 « Not in my backyard » qui signifie « pas dans mon jardin ».

* 79 Le nouvel égoïsme territorial.

* 80  https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220627/pro_2022_06_29.html

* 81  https://www.vie-publique.fr/rapport/280055-80-propositions-pour-un-nouveau-pacte-entre-generations

* 82  https://www.mediametrie.fr/fr/lannee-internet-2022

* 83  https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-291-notice.html

* 84 1 zettaoctet correspond à 1021 octets

* 85  https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-588-notice.html

* 86 Voir notamment les instruments de dialogue citoyens mis en place par la Métropole de Nantes : https://www.demainlaville.com/le-dialogue-citoyen-un-nouvel-outil-pour-faire-la-ville/

* 87 Source : Agence d'urbanisme de Moselle, 2018.

* 88  https://www.lecese.fr/travaux-publies/les-metropoles-apports-et-limites-pour-les-territoires

* 89  https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/na53-fractures-territoriales-ok.pdf

* 90  https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/les-nouveaux-territoires-de-la-croissance-vers-un-a791.html

* 91  https://www.banquedesterritoires.fr/les-metropoles-de-province-siphonnent-la-croissance-demographique

* 92 https://www.fnau.org/fr/publication/metroscope-2020/

* 93  https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-na-64-dynamique-emploi-metropoles-30-novembre-2017.pdf

* 94  https://www.courrierdesmaires.fr/article/les-22-metropoles-francaises-sont-prises-dans-un-engrenage-infernal.27267

* 95  https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-679-notice.html

* 96  http://www.onpv.fr/

* 97 Le taux de pauvreté monétaire est calculé à partir du revenu médian des ménages. Est considéré comme pauvre un ménage dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian.

* 98  https://www.vie-publique.fr/en-bref/277072-quartiers-sensibles-une-vision-plutot-negative-des-francais

* 99  https://www.institutparisregion.fr/fileadmin/NewEtudes/000pack2/Etude_2380/NR_860_web_version_finale.pdf

* 100  https://www.vie-publique.fr/rapport/277544-levaluation-de-lattractivite-des-quartiers-prioritaires

* 101  https://www.vie-publique.fr/rapport/285783-dispositifs-en-faveur-de-l-emploi-des-habitants-des-qpv-2015-2021

* 102  https://www.vie-publique.fr/rapport/274672-anru-et-programmes-de-renouvellement-urbain

* 103  https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-529-notice.html

* 104  https://www.budget.gouv.fr/documentation/file-download/19023

* 105  https://www.vie-publique.fr/rapport/285327-pour-un-acte-ii-de-la-politique-de-la-ville-les-quartiers-populaires

* 106  https://www.institutmontaigne.org/publications/les-quartiers-pauvres-ont-un-avenir

* 107  https://www.institutmontaigne.org/publications/lavenir-se-joue-dans-les-quartiers-pauvres

* 108  https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-800-notice.html

* 109  https://www.insee.fr/fr/statistiques/6653801

* 110  https://www.insee.fr/fr/statistiques/2015606

* 111  http://www.constructif.fr/bibliotheque/2020-10/la-preference-francaise-pour-le-pavillon.html?item_id=5757 ou https://www.cairn.info/revue-constructif-2020-3-page-25.htm

* 112  https://www.union-habitat.org/sites/default/files/articles/pdf/2018-12/article_m_mouillart.pdf

* 113  https://laviedesidees.fr/Haro-sur-le-pavillon.html

* 114  http://www.constructif.fr/bibliotheque/2020-10/les-debats-sur-la-densite-la-mobilite-et-la-sobriete.html?item_id=5755

* 115  https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/determinants-artificialisation-2009-2017

* 116 Cette démarche baptisée BIMBY (build in my backyard) est analysée dans une note de Vincent Le Rouzic, directeur des études de La Fabrique de la Cité :

https://www.lafabriquedelacite.com/publications/artificialisation-des-sols-quels-avenirs-pour-les-maisons-individuelles/

* 117 Source : étude d'impact de la loi Climat et Résilience (article 53)

* 118  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4488557

* 119  https://afilog.org/articles/la-france-s-est-desindustrialisee-ne-la-laissons-pas-se-de-logisticiser/

* 120  https://www.ecologie.gouv.fr/logistique-en-france

* 121  https://www.franceindustrie.org/publications/acces-au-foncier-pour-les-startups-industrielles/

* 122 Source : Eurostat ( https://ec.europa.eu/eurostat/fr/web/products-datasets/product?code=apri_lprc)

* 123  https://www.le-prix-des-terres.fr/

* 124  https://www.lagazettedescommunes.com/855168/linexorable-declin-des-maires-agriculteurs/

* 125 Les ruralités, renouveau ou fragmentation, par Laurent Rieutort dans Populations, peuplements et territoires en France, sous la direction de Gérard-François Dumont, Armand Colin, 2022.

* 126  https://www.senat.fr/notice-rapport/2007/r07-468-notice.html

* 127  https://www.amrf.fr/les-dossiers/sante/

* 128  https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/kiosque/2023-etude-ruralites-etude-sur-la-diversite-des-ruralites-typologies-et-trajectoires-des

* 129  https://www.vie-publique.fr/rapport/268391-200-propositions-pour-un-agenda-rural

* 130  https://www.collectivites-locales.gouv.fr/finances-locales/bilans-annuels-des-dotations-dinvestissement

* 131 Par exemple, par le député Pierre Morel-à-L'Huissier, qui réclame une « stratégie nouvelle de cohésion des territoires et d'attractivité durable des territoires ruraux » dans une proposition de loi déposée fin 2022 :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/strategie_nouvelle_cohesion_territoires_attractivite

* 132  https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-577-notice.html

* 133 https://www.senat.fr/notice-rapport/2012/r12-271-notice.html

* 134 https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/commissions/commission-de-lamenagement-du-territoire-et-du-developpement-durable/lavenir-des-zones-de-revitalisation-rurale-zrr.html

* 135 Charge dont Jean de la Fontaine hérita de son père.

* 136 Source : https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/SynBoi22390/consyn390202204_ComextBois.pdf

* 137 À ramener au volume de bois récolté chaque année par les sylviculteurs qui s'établit à 35 à 40 millions de m3.

* 138  https://www.senat.fr/notice-rapport/2018/r18-563-notice.html

* 139  https://batinfo.com/actualite/la-france-a-perdu-90-de-ses-scieries-depuis-1960_9980

* 140 En particulier par un film-documentaire de François-Xavier Drouet de 2018 intitulé « le temps des forêts ».

* 141  https://www.ign.fr/reperes/bilan-de-sante-des-forets-francaises

* 142 https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-856-notice.html

* 143 De l'ordre de 285 habitants/km² contre une moyenne nationale de 116 habitants/km².

* 144  https://www.entreprises.gouv.fr/fr/tourisme/developpement-et-competitivite-du-secteur/littoral-premiere-destination-touristique-du-territoire

* 145 750 entreprises assurant un chiffre d'affaires de 13,2 milliards d'euros, selon le Groupement des industriels de la construction navale (Gican).

* 146  https://www.franceagrimer.fr/content/download/69397/document/20230216_CC_p%C3%AAche_aqua_FR.pdf

* 147  https://www.ecologie.gouv.fr/acteurs-reseau-et-activites-portuaires-en-france

* 148  https://observatoires-littoral.developpement-durable.gouv.fr/chiffres-cles-r9.html

* 149  https://www.vie-publique.fr/rapport/272115-vers-un-nouvel-amenagement-du-littoral-adapte-au-changement-climatique

* 150  https://www.fnaim.fr/communiquepresse/1834/10-etude-fnaim-sur-les-stations-balneaires-les-francais-a-la-recherche-d-evasion-et-de-bords-de-mer.htm

* 151  https://www.insee.fr/fr/statistiques/6477130

* 152  https://www.mer.gouv.fr/strategie-mer-et-littoral-et-planification-maritime

* 153  https://www.merlittoral2030.gouv.fr/

* 154  https://www.prefectures-regions.gouv.fr/occitanie/Actualites/Lancement-de-l-appel-a-projet-Avenir-littoral-edition-2022

* 155  https://www.adaptation-changement-climatique.gouv.fr/thematiques/montagne

* 156  https://www.persee.fr/doc/rga_0035-1121_1989_num_77_4_2757

* 157  https://hal.science/hal-00911232/PDF/TRAVAUX_en_L_12_22032012_bd.pdf

* 158  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4196675

* 159  https://www.insee.fr/fr/statistiques/1285503

* 160  https://www.ecologie.gouv.fr/bilan-du-plan-avenir-montagnes

* 161  https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-635-notice.html

* 162  https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-313-notice.html

* 163 Les coûts de la collecte du lait en montagne vont de 25 à 60 euros/1 000 litres, contre 10 à 15 euros/1 000 litres en plaine, selon une étude de FranceAgrimer de 2018

* 164  https://www.insee.fr/fr/statistiques/6440639

* 165 Source : tableau de bord des outre-mer 2021 - Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) : https://www.iedom.fr/iedom/publications/publications-economiques-et-financieres/conjoncture-economique/article/tableau-de-bord-des-outre-mer-2021

* 166  https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-713-notice.html

* 167  https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-122-1-notice.html

* 168  https://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-616-notice.html

* 169 https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-728-1-notice.html

* 170 https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-546-notice.html

* 171  https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-488-notice.html