N° 872

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur l'intelligence économique,

Par Mme Marie-Noëlle LIENEMANN et M. Jean-Baptiste LEMOYNE,

Sénatrice et Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas, présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault, secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, M. Sebastien Pla, Mme Daphné Ract-Madoux, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot.

L'ESSENTIEL

Dans la continuité des récents travaux du Sénat sur la souveraineté et sur les influences étrangères qui façonnent notre environnement économique, académique et numérique, la commission des affaires économiques du Sénat a décidé de créer une mission d'information portant sur l'organisation de l'intelligence économique en France.

Vingt ans après la publication du dernier rapport d'ampleur sur le sujet, sept ans après la disparition de la délégation interministérielle à l'intelligence économique et quatre ans après la mise en place d'une nouvelle politique publique de sécurité économique, la commission a souhaité effectuer un premier bilan des actions menées.

Ainsi, après avoir mené une quarantaine d'auditions et entendu plus d'une soixantaine de personnes, les rapporteurs formulent 23 propositions concrètes pour replacer l'intelligence économique au coeur des politiques publiques afin que l'État, les collectivités territoriales, les établissements de recherche, les entreprises et les citoyens soient davantage en état d'alerte sur les rapports de force économiques à l'oeuvre aujourd'hui dans le monde et mieux armés pour y faire face.

I. INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE : UNE RÉPONSE À NOTRE PERTE DE SOUVERAINETÉ ÉCONOMIQUE

A. UN CONCEPT ET DES PRATIQUES POUR NOUS « METTRE EN ALERTE »

Alternativement présentée comme une dynamique, une culture, une méthode, un mode de gouvernance, un mode de pensée et d'action, une démarche ou encore un domaine de recherche, l'intelligence économique vise avant tout à se « mettre en alerte » afin de défendre les intérêts stratégiques d'un État, d'une entreprise, d'un territoire ou d'un établissement de recherche et d'en promouvoir la compétitivité. Cela repose sur les trois séries d'actions suivantes :

- la veille stratégique ou concurrentielle ;

- la protection du patrimoine matériel ou immatériel ;

- les opérations d'influence.

B. DES CONSTATS QUI DEMEURENT VALABLES DEPUIS PRÈS DE TRENTE ANS

Les rapports d'Henri Martre en 1994 et de Bernard Carayon en 2003 soulignaient déjà le retard de la France en matière d'intelligence économique par rapport à ses « partenaires-concurrents ». Le cloisonnement et la circulation élitiste de l'information, l'insuffisance des liens entre les secteurs public et privé, le manque d'intérêt global pour l'intelligence économique et l'absence de portage politique régulier en sont les principales causes.

Or, près de 30 ans plus tard, les rapporteurs constatent que la quasi-intégralité des constats établis par ces deux rapports pourrait être réitérée. Ils appellent donc à de véritables changements culturels et organisationnels afin de faire de l'intelligence économique une pratique commune et partagée à tous les niveaux.

C. UN NÉCESSAIRE SURSAUT EN MATIÈRE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE

Depuis les années 1980, la France est en proie à une perte de souveraineté profonde et transversale qui se traduit notamment par une désindustrialisation progressive et une perte de parts de marchés de ses entreprises. Dans le même temps, notre environnement économique et géopolitique mondial est devenu de plus en plus concurrentiel, des puissances étrangères développant des pratiques offensives de mieux en mieux documentées : menaces capitalistiques, atteintes au patrimoine informationnel ou réputationnel, captation de savoir et de savoir-faire, cyberattaques ou encore adoption de législations extraterritoriales.

AXE 1 : DOTER LA FRANCE D'UNE STRATÉGIE NATIONALE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE

Se doter d'une stratégie nationale élaborée en interministériel

Face à des menaces protéiformes, il y a un besoin urgent de développer nos capacités d'anticipation, d'adaptation, d'analyse et d'influence ainsi que de définir une stratégie nationale d'intelligence économique. Elle serait élaborée et mise en oeuvre par un Secrétariat général à l'intelligence économique, rattaché au Premier ministre, afin d'en garantir le caractère pluridisciplinaire, interministériel et opérationnel.

Consolider la politique publique de sécurité économique

Le volet défensif de cette stratégie nationale d'intelligence économique correspond notamment à la politique publique de sécurité économique existante. Tout en reconnaissant la structuration améliorée de l'État en la matière, les rapporteurs estiment que ce volet défensif mériterait d'être consolidé, notamment au niveau du dispositif de contrôle des investissements étrangers en France et des établissements de recherche.

Développer le volet offensif de cette stratégie nationale

Le volet offensif d'une telle stratégie mériterait d'être largement développé, les actions menées aujourd'hui étant essentiellement défensives. La stratégie normative est le principal levier à mobiliser car, si la France est aujourd'hui 3ème en termes d'influence normative, le rattrapage d'autres puissances est très rapide, au risque que les « normes volontaires » qui s'appliquent à nos entreprises pénalisent notre compétitivité économique.

LES PRINCIPALES PROPOSITIONS

Confier à un Secrétariat général à l'intelligence économique rattaché au Premier ministre l'élaboration en interministériel d'une stratégie nationale d'intelligence économique

Renforcer le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France par un suivi obligatoire des engagements pris et qui ont conditionné l'autorisation d'investissement

Instaurer un débat parlementaire annuel sur l'intelligence économique à la suite de la publication du rapport annuel sur le contrôle des investissements étrangers en France

Doter chaque organisme de recherche d'un schéma directeur pour l'intelligence économique et d'un référent à l'intelligence économique

Intégrer dans l'assiette du crédit d'impôt recherche les dépenses des petites et moyennes entreprises liées à l'adaptation à la normalisation

AXE 2 : DÉFINIR UNE GOUVERNANCE NATIONALE POUR METTRE EN OEUVRE CETTE STRATÉGIE

Reconnaître les difficultés de l'intelligence économique à trouver
un positionnement adéquat au sein de l'État

Depuis 1995, plusieurs modalités d'organisation ont été mises en place, tentées et essayées, sans que la politique publique d'intelligence économique ne parvienne à se stabiliser ou à trouver une organisation pérenne. Ces changements successifs de dénomination et de forme administrative illustrent la difficulté du concept à trouver un positionnement adéquat et pérenne au sein de l'appareil d'État.

Pérenniser l'existence d'une structure interministérielle dédiée

Afin de pallier ces difficultés, les rapporteurs estiment indispensable de créer une structure pérenne, dont l'existence serait garantie au niveau législatif, pour assurer la continuité de la politique d''intelligence économique et susciter un portage politique plus affirmé.

LES PRINCIPALES PROPOSITIONS

Doter le Secrétariat général à l'intelligence économique d'une équipe pluridisciplinaire dédiée

Nommer un Secrétaire général qui soit également Conseiller du Premier ministre sur les questions d'intelligence économique

Désigner des correspondants ministériels à l'intelligence économique et à la normalisation

AXE 3 : DIFFUSER LA DÉMARCHE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE DANS LES TERRITOIRES

Impliquer davantage les collectivités territoriales

Pour mieux diffuser l'intelligence économique, la coopération entre l'État et les collectivités doit être renforcée, en associant systématiquement les conseils régionaux au sein des différents comités de pilotage et de suivi en matière d'intelligence économique et en développant les échanges d'information ainsi que des outils communs d'analyse.

Remobiliser les préfectures au niveau de l'État déconcentré

De très nombreux services déconcentrés de l'État contribuent à la déclinaison territoriale de la politique actuelle de sécurité économique, sous l'égide du préfet de région : le préfet de département et ses services, les services de renseignement au niveau territorial, des directions régionales d'administration chargées d'une mission économique, les délégués régionaux de l'ANSSI et les délégués à l'information stratégique et à la sécurité économique (DISSE). La bonne circulation de l'information économique entre ces acteurs, grâce à la désignation de référents en intelligence économique, est donc essentielle.

LES PRINCIPALES PROPOSITIONS

Systématiser la création d'un comité régional à l'intelligence économique

Introduire un volet dédié à l'intelligence économique dans les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation

Constituer un réseau de référents à l'intelligence économique au sein de chaque administration déconcentrée de l'État chargée d'une mission économique ou financière et nommer dans chaque département un sous-préfet référent à l'intelligence économique

AXE 4 : MIEUX VALORISER L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE
EN FRANCE

Former tous les acteurs à l'intelligence économique

Tout en soulignant le dynamisme de l'offre de formation, les rapporteurs estiment qu'une massification d'une telle formation est indispensable, au sein des universités comme des grandes écoles, en formation initiale comme en formation continue. Il s'agit de former des professionnels, mais aussi de sensibiliser des citoyens, afin qu'ils soient en « état d'alerte » et puissent s'engager au service du patriotisme économique de la France.

Soutenir la croissance d'une filière française de la conformité

Favorables à une meilleure coopération entre les secteurs public et privé, les rapporteurs considèrent que l'écosystème français de la conformité - cabinets de conseil, d'audit et d'avocats - doit être soutenu, notamment pour faire face aux acteurs anglo-saxons. Une plus grande mobilisation de l'État et des comités stratégiques de filières est indispensable.

LES PRINCIPALES PROPOSITIONS

Introduire un module de formation à l'intelligence économique dans les écoles de la fonction publique, les écoles de commerce, les écoles d'ingénieurs ainsi que dans les parcours universitaires formant à la recherche, au droit et aux relations internationales

Soutenir le développement de la filière française de la conformité

Créer une réserve nationale au service du patriotisme économique de la Nation

LISTE DES RECOMMANDATIONS

SE DOTER D'UNE STRATÉGIE NATIONALE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE DANS UN MONDE DE PLUS EN PLUS CONCURRENTIEL ET FAÇONNÉ PAR DE MULTIPLES INFLUENCES

Recommandation n° 1 : concevoir une stratégie nationale d'intelligence économique (SNIE) intégrant les volets défensif et offensif de l'intelligence économique au sein d'un document validé au niveau interministériel. Confier le pilotage de cette SNIE au sein d'un Secrétariat général à l'intelligence économique (SGIE), structure interministérielle rattachée directement au Premier ministre.

Recommandation n° 2 : proroger au-delà du 31 décembre 2023, voire pérenniser, l'abaissement de 25 % à 10 % du seuil des droits de vote déclenchant le contrôle des investissements réalisés par des investisseurs tiers à l'Union européenne au sein de sociétés cotées.

Recommandation n° 3 : assurer le suivi dans le temps des engagements des investisseurs dont l'autorisation d'investissement est assortie de conditions en confiant cette mission à la direction générale du Trésor.

Recommandation n° 4 : instaurer un débat annuel sur l'intelligence économique au Parlement qui prendra en compte la publication du rapport annuel de la direction générale du Trésor sur le contrôle des investissements étrangers en France (IEF) et le respect des engagements des investisseurs.

Recommandation n° 5 : inciter chaque organisme de recherche à se doter d'un schéma directeur pour l'intelligence économique - à l'instar de ce qui a été mis en place au sein du CEA - à l'aide d'un référentiel commun aux organismes de recherche sur les risques de captation des informations scientifiques et technologiques. Les inciter également à nommer un référent pour l'intelligence économique.

Recommandation n° 6 : définir au sein de la SNIE la stratégie française de normalisation et les sujets prioritaires pour la France.

Recommandation n° 7 : dans le cadre de la réforme annoncée du CIR, intégrer dans l'assiette les dépenses des TPE-PME liées à l'adaptation à la normalisation et augmenter le plafond de la prise en charge actuelle des dépenses de participation aux réunions de normalisation.

Recommandation n° 8 : donner pour mission aux services de renseignement d'établir un rapport annuel national déclassifié cartographiant les menaces pesant sur la France, sur le modèle du rapport ATA aux États-Unis dédié à l'évaluation annuelle des menaces. Ce rapport inclurait, en lien avec le Haut-commissariat au Plan et France Stratégie, des informations sur les menaces économiques, technologiques et scientifiques ainsi que sur l'impact des normes et des législations extraterritoriales.

Recommandation n° 9 : renforcer le cadre déontologique applicable aux mobilités vers le secteur privé des fonctionnaires et des contractuels ayant occupé des postes dans des domaines souverains, dans des services de renseignement ou faisant partie des domaines stratégiques en matière d'intelligence économique tels que définis par la SNIE, en restreignant fortement leur mobilité vers des entreprises contrôlées par des puissances étrangères voire vers les États étrangers eux-mêmes.

DÉFINIR UNE GOUVERNERNANCE NATIONALE ET TERRITORIALE DE LA STRATÉGIE NATIONALE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE

Recommandation n° 10 : Donner une mission de pilotage de la stratégie nationale d'intelligence économique à un Secrétariat général à l'intelligence économique (SGIE) dont la pérennité serait garantie par son inscription au sein de la loi. Ce SGIE devrait présenter les caractéristiques suivantes :

- être doté d'une équipe pluridisciplinaire dédiée ;

- être dirigé par un Secrétaire général qui soit également Conseiller du Premier ministre sur les questions d'intelligence économique, sur le modèle du Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) ;

- disposer d'un adjoint au SGIE qui soit le chef du service de l'information stratégique et de la sécurité économique (SISSE) afin d'assurer une bonne coordination avec la politique de sécurité économique pilotée par les ministères économiques et financiers (MEF) ;

- disposer de relais au sein de chaque ministère avec des correspondants ministériels à l'intelligence économique et à la normalisation.

Recommandation n° 11 : former des correspondants « intelligence économique » au niveau des compagnies de gendarmerie (arrondissements) pour démultiplier les capteurs et les habiliter à conduire des visites de sensibilisation afin de toucher les PME-TPE au plus près des territoires.

Recommandation n° 12 : constituer un réseau de sous-préfets référents à l'intelligence économique désignés par les préfets de département et de référents à l'intelligence économique au sein de chaque administration déconcentrée de l'État chargée d'une mission économique ou financière.

Recommandation n° 13 : afin de renforcer la coopération État-régions au service de la SNIE, systématiser la création dans chaque région d'un comité régional à l'intelligence économique (CRIE) qui assurerait le pilotage de la déclinaison territoriale de la politique publique d'intelligence économique (PPIE) et rassemblerait les représentants des services de l'État, des collectivités, des opérateurs économiques, de la recherche et des entreprises. Ce CRIE pourrait avoir deux formations :

- une formation « plénière », qui serait coprésidée par les préfets de région et les présidents de conseils régionaux. Elle serait réunie au moins une fois par an et accueillerait tous les acteurs de l'intelligence économique ;

- une formation « restreinte », dédiée à la sécurité économique, qui associerait le conseil régional et se réunirait plus fréquemment sur des sujets opérationnels, notamment les menaces pesant sur les entreprises du territoire.

Recommandation n° 14 : introduire un volet « intelligence économique » dans tous les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII).

Recommandation n° 15 : introduire systématiquement dans les nouveaux contrats d'objectifs et de performance entre l'État et CCI France un volet « intelligence économique » accompagné des moyens adéquats afin d'en faire une priorité du réseau des CCI.

VALORISER L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE EN FRANCE

Recommandation n° 16 : instaurer un module de formation à l'intelligence économique dans toutes les écoles de la fonction publique, les écoles d'ingénieur et les écoles de commerce ainsi que dans toutes les formations universitaires destinées à la recherche, aux sciences sociales, aux relations internationales et au droit.

Recommandation n° 17 : développer la formation continue à l'intelligence économique et sensibiliser également les syndicats de salariés et d'employeurs.

Recommandation n° 18 : utiliser les connaissances et compétences de cabinets d'intelligence économique français pour systématiser la recherche d'informations en intelligence économique avant la prise de décision, en particulier par l'Agence des participations de l'État (APE).

Recommandation n° 19 : intégrer un volet intelligence économique aux contrats des 19 comités stratégiques de filière.

Recommandation n° 20 : créer une conférence biannuelle regroupant tous les acteurs de l'intelligence économique, notamment les collectivités territoriales, les chambres de commerce et d'industrie, les entreprises et leurs représentants, les syndicats, les administrations et les universitaires.

Recommandation n° 21 : créer un programme de recherche national en intelligence économique avec des allocations de recherches doctorales dédiées.

Recommandation n° 22 : soutenir le développement de la filière française de la conformité (cabinets d'avocats, cabinets de conseils et d'audit) face aux acteurs anglo-saxons.

Recommandation n° 23 : créer une « réserve nationale » au service du patriotisme économique de la Nation, constituée notamment des milliers d'auditeurs de l'IHEDN.

RAPPORT

I. L'URGENCE DE DÉFINIR UNE VÉRITABLE STRATÉGIE FRANÇAISE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE

A. UN CONCEPT VASTE DONT LA DÉCLINAISON EN ACTIONS CONCRÈTES EST DIFFICILE

1. Une définition historique de l'intelligence économique qui cohabite avec de nombreuses acceptions portées par les différents acteurs

Dans le cadre de cette mission d'information, la première question posée aux différentes personnes auditionnées a été celle de la définition de l'intelligence économique. Malgré la simplicité apparente de cette question, la réponse apportée a été, presque à chaque fois, différente.

L'intelligence économique est en effet à la croisée de la sécurité économique, du renseignement économique et de l'influence. Si son caractère interdisciplinaire rend l'intelligence économique difficile à appréhender, c'est bien cette complémentarité d'approches qui doit permettre une plus grande efficacité dans la défense des intérêts de la France.

Au cours des auditions menées, l'intelligence économique a ainsi pu être alternativement définie comme :

- une dynamique collective qui vise l'agilité par un usage stratégique de l'information ;

- une culture de la connaissance et de l'anticipation de l'environnement international ;

- une méthode reposant sur la veille, la sécurisation et l'influence ;

- un mode de gouvernance fondé sur la maîtrise et l'exploitation de l'information stratégique pour créer de la valeur durable dans une entité ;

- un mode de pensée et d'action permettant de passer d'une culture et d'une pratique dominante de l'adaptation sous contraintes à une culture de l'anticipation collective ;

- une démarche agile visant à favoriser le management de l'information stratégique afin d'identifier les risques et les opportunités d'un écosystème dans le but d'alimenter le processus de décision ;

- un domaine de recherche interdisciplinaire croisant économie, sciences de gestion, sciences et technologies de l'information et de la communication, sciences politiques, droit, sciences humaines, en particulier sociologie et psychologie, et utilisant pleinement les potentialités offertes par le numérique ;

- une politique publique, dont l'organisation administrative n'est pas encore stabilisée ni aboutie.

Au-delà des différentes tentatives de définition de l'intelligence économique par sa nature, l'intelligence économique a également été présentée au regard des objectifs et des finalités qu'elle permet d'atteindre et d'accomplir.

Pour une entreprise, l'intelligence économique a surtout été présentée comme un moyen de renforcer la compétitivité dans une optique de performance ou de création de valeur. Pour un État, l'intelligence économique vise surtout à défendre et à promouvoir ses intérêts stratégiques nationaux. Plus largement, pour un État comme pour une entreprise, l'intelligence économique regroupe une dimension offensive et une dimension défensive. C'est pourquoi les termes « anticiper », « influencer » et « se protéger » ont été mentionnés à plusieurs reprises pour caractériser les actions pouvant être entreprises au nom de l'intelligence économique.

Sans rentrer dans un débat de nature universitaire sur la définition et la traduction des termes « intelligence économique », il convient tout de même de souligner que la définition à laquelle il a été fait le plus souvent référence demeure celle issue du rapport publié par Henri Martre en 1994.

L'intelligence économique y est ainsi définie comme « l'ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution en vue de son exploitation, de l'information utile aux acteurs économiques. Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l'entreprise, dans les meilleures conditions de qualité, de délais et de coût » 1(*).

Cette définition a posé les fondamentaux de l'intelligence économique, le rapport d'Henri Martre ayant octroyé au concept sa notoriété. Aujourd'hui, il n'existe pas de définition législative de l'intelligence économique, mais les pouvoirs publics l'ont défini à plusieurs reprises depuis.

Dans la circulaire interministérielle du 15 septembre 2011 relative aux actions de l'État en matière d'intelligence économique, il est indiqué que l'intelligence économique consiste « à collecter, analyser, valoriser, diffuser et protéger l'information économique stratégique, afin de renforcer la compétitivité d'un État, d'une entreprise ou d'un établissement de recherche »2(*).

Pour les entreprises, l'intelligence économique repose sur les trois piliers suivants, pouvant chacun donner lieu à des actions différentes :

la veille stratégique ou concurrentielle, qui consiste à rechercher, recueillir et analyser l'information afin de poser un diagnostic fiable sur l'environnement concurrentiel de l'entreprise ;

la protection du patrimoine matériel et immatériel de l'entreprise, qui permet de se prémunir de toute tentative de pillage et d'assurer la protection du savoir-faire et de l'information stratégique ;

les opérations d'influence, qui visent à convaincre, séduire ou dissuader les organismes décideurs évoluant dans l'environnement direct de l'entreprise.

2. Des « entrées » diversifiées de l'intelligence économique qui rendent cette notion difficile à décliner opérationnellement

Au-delà de sa définition, la pertinence de la traduction d'intelligence économique est également discutée. L'intelligence économique peut en effet être comprise comme un anglicisme découlant du terme « economic intelligence », traduction littérale de « renseignement économique ».

Or, l'intelligence économique dans son acception commune en France recouvre l'activité des entreprises comme celle des collectivités territoriales et repose en partie sur le traitement de l'information en source ouverte, sans recours au privilège étatique qu'est l'utilisation de techniques de renseignement.

Selon plusieurs personnes auditionnées, le concept d'intelligence économique pourrait être remplacé, pour ce qui relève de l'action de l'État, par les notions plus opérationnelles de « sécurité économique » au niveau défensif et de « promotion économique » au niveau offensif.

Ainsi, malgré une existence de plus de trente ans dans le débat public, l'intelligence économique demeure une notion difficile à décliner en actions qui fait l'objet d'une appropriation inégale selon les acteurs et souvent d'une grande dispersion des actions destinées à la mettre en oeuvre.

À cet égard, le décret du 22 août 2013 instituant un délégué interministériel à l'intelligence économique3(*), aujourd'hui abrogé, fournit un bon exemple du vaste champ des actions associées à la notion : il englobait dans la définition de l'intelligence économique à la fois des objectifs sans prescrire les moyens de les atteindre - par exemple, la protection des intérêts économiques nationaux et du patrimoine scientifique, technologique et économique de l'État et des entreprises ou encore le rayonnement de la France dans les institutions internationales d'intérêt national stratégique - aussi bien que des missions plus concrètes - par exemple, la coordination d'une veille, l'identification de secteurs économiques porteurs d'intérêts nationaux stratégiques, la mise en place de mesures de protection des entreprises sensibles et la définition d'une stratégie de normalisation.

Depuis 2019, l'intelligence économique est essentiellement appréhendée au niveau de l'État par le biais de la sécurité économique, elle-même communément définie comme une composante de l'intelligence économique. La sécurité économique intègrerait le volet défensif des actions menées au titre de l'intelligence économique, notamment la collecte et le recueil d'informations visant à identifier les menaces et à maîtriser les risques, y compris immatériels, ainsi que la mise en place de mesures de protection des entreprises et des autres entités sensibles.

Pour les entreprises, ces définitions ne permettent toutefois pas d'identifier concrètement et précisément les actions de nature à mettre en place une démarche d'intelligence économique, au-delà de la réalisation d'une veille technologique ou concurrentielle.

Il est donc apparu aux rapporteurs que la perception du « flou » de la notion est indiscutablement liée à la dimension culturelle et organisationnelle de l'intelligence économique en France. Conformément à plusieurs constats dressés depuis près de 30 ans, ce sont donc certains modes d'organisation et certains réflexes culturels de partage de l'information qu'il convient de réformer afin d'accélérer le développement de l'intelligence économique en France.

B. PRÈS DE VINGT ANS APRÈS LE DERNIER RAPPORT D'AMPLEUR SUR L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE, UNE STRUCTURATION ERRATIQUE ET UNE NOUVELLE ÉTAPE INDISPENSABLE

1. Les rapports d'Henri Martre de 1994 et de Bernard Carayon de 2003 : deux pionniers du débat sur l'intelligence économique

Publié en 1994, le rapport du groupe de travail « Intelligence économique et stratégie des entreprises » du Commissariat général au Plan, présidé par Henri Martre est le premier rapport structurant sur l'intelligence économique en France.

Il s'inscrit dans le cadre de travaux plus larges du Commissariat général au Plan sur les « facteurs immatériels de compétitivité », répondant au besoin d'identifier de nouvelles grilles de lecture des rapports de force entre États et entre entreprises, alors que l'affrontement idéologique de la guerre froide a laissé place à une concurrence économique mondialisée et multipolaire. Dans ce contexte, l'intelligence économique est vue comme un outil de « compréhension de la réorganisation des économies des États tiers », permettant aux entreprises et États de comprendre et d'anticiper les évolutions des marchés et les stratégies de leurs partenaires-concurrents. En effet, c'est en partie grâce à leur gestion stratégique de l'information économique que les économies compétitives ont développé leurs industries tout en préservant leurs emplois.

Le rapport témoigne du retard accumulé par la France en matière d'intelligence économique, notamment par rapport aux États-Unis, pionniers de l'intelligence économique dès les années 1950, mais aussi par rapport au Japon qui a mis en place des systèmes d'intelligence économique dès les années 1970, ou encore à Allemagne et à la Suède. L'analyse comparée des différents systèmes d'intelligence économique souligne que ceux-ci se construisent en lien étroit avec l'histoire et la culture de chaque pays.

Or, les quelques pratiques d'intelligence économique observées en France en 1994 - allant rarement au-delà de la veille stratégique - sont importées de l'étranger, dépouillées de leur socle culturel, sans être associées à une compréhension globale des enjeux et à une diffusion de la culture de l'intelligence économique. En 1994, l'intelligence économique à la française existe donc peu, étant même inexistante en dehors des directions générales de quelques grandes entreprises de secteurs stratégiques comme l'énergie, l'automobile ou les télécommunications.

Selon le rapport Martre, les principaux freins à la diffusion de l'intelligence économique en France sont en effet d'origine culturelle et historique : le cloisonnement des entreprises comme des administrations ainsi que l'insuffisante culture de la concertation rendent très difficile la diffusion de systèmes d'intelligence économique performants. Une des principales conclusions du rapport est donc que l'intelligence économique est indissociable de la notion de réseaux. Lui-même établi en concertation avec des collectivités locales, des organes consulaires, des administrations, des industries, des syndicats et des entreprises de services, le rapport souligne les principales fragilités suivantes :

une circulation élitiste de l'information, qui échappe en grande partie au tissu industriel des petites et moyennes entreprises (PME), pourtant indispensables à la vie économique ;

une culture de l'intelligence économique intimement liée au métier, sans pratique collective concertée et diffusée à l'échelle de toute une entreprise ou de toute une administration ;

une culture mal maîtrisée du secret reposant sur une conception de l'information comme source de pouvoir, menant à des pratiques administratives excessivement rigides en matière de confidentialité, faisant obstacle à la sélection fine et maîtrisée de l'information ouverte ;

- des blocages culturels et organisationnels, les relations entre secteurs public et privé étant toujours teintées de méfiance, les convergences d'intérêts étant rarement reconnues ;

- un manque d'intérêt global pour l'analyse et la connaissance approfondie des différentes cultures que l'entreprise peut rencontrer sur son marché, au détriment de l'adaptation de nos méthodes et de nos modes d'organisation. Le rapport précise notamment qu' « une croyance prononcée dans le caractère universel de nos valeurs culturelles handicape notre capacité d'adaptation aux nouvelles réalités concurrentielles des marchés globalisés ».

Près de dix ans plus tard, en 2003, le rapport « Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale » du député Bernard Carayon4(*) reprend les principaux constats du rapport Martre de 1994 : la France a perdu en compétitivité et se désindustralise, la concurrence internationale entre les entreprises est extrêmement rude et les rapports géoéconomiques entre États s'apparentent à une « guerre économique ».

Ce rapport ambitionne toutefois d'adopter une approche plus opérationnelle que le rapport Martre, soulignant que si ce dernier a donné à l'intelligence économique sa notoriété en France, il n'a été suivi que d'« efforts disparates et désordonnés ». Au-delà d'incontestables progrès en termes de sensibilisation ou d'information, l'impulsion politique nécessaire à la véritable diffusion d'une culture de l'intelligence économique n'a jamais eu lieu. Les lacunes françaises constatées par le rapport Martre dix ans plus tôt sont considérées comme toujours valables : blocages institutionnels et culturels, notamment en termes de cloisonnement et de verticalité ; défiance de l'université envers l'entreprise ; faiblesse relative des services de renseignement français par rapport à leurs équivalents anglo-saxons ; timide structuration de la filière de la normalisation et de la conformité.

Le rapport Carayon formule donc plusieurs propositions concrètes de nature à mettre en oeuvre une véritable politique publique de l'intelligence économique.

2. La plupart des recommandations formulées par ces deux rapports demeurent valables aujourd'hui

Trente ans plus tard, faute de stratégie pérenne d'intelligence économique en France et malgré les récentes évolutions de l'action de l'État en la matière, les rapporteurs de cette mission d'information constatent que la plupart des recommandations formulées par les rapports Martre et Carayon pourraient être réitérées.

Extrait de recommandations issues du rapport Martre

Axes de recommandations

Actions identifiées en 1994

Constat en 2023

Diffuser l'intelligence économique au sein de l'entreprise

Impliquer les directions générales afin de fixer un cap et motiver l'ensemble du personnel par des actions de sensibilisation en association étroite avec les syndicats.

Recommandation toujours valable.

Seules quelques entreprises stratégiques se sont appropriées les enjeux d'intelligence économique. Au sein de ces entreprises, son appréhension est limitée aux dirigeants et à quelques personnels « métier ».

Optimiser les flux d'informations entre secteur public et secteur privé

- Réduire les cloisonnements et les redondances dans les efforts de collecte et d'analyse d'informations économiques entre secteurs public et privé.

- Lancer un plan de sensibilisation du personnel des administrations à l'intelligence économique.

Recommandation toujours valable.

La plupart des acteurs privés auditionnés ont fait part du manque de liens entre secteurs public et privé, qui cloisonne selon eux l'information.

La sensibilisation à l'intelligence économique des cadres des administrations est toujours insuffisante.

Conception de banques de données adaptées aux besoins des utilisateurs

Pour pallier les conséquences en termes d'influence de la faible présence française sur le marché de la distribution électronique mondiale de l'information stratégique, lancer un programme de production de banques de données à caractère stratégique.

Constat toujours valable.

À l'heure où la souveraineté numérique européenne face aux États-Unis est un enjeu majeur, ce constat pourrait être réitéré.

Mobilisation des mondes de l'éducation et de la formation

- Développer l'offre de formation continue et initiale en intelligence économique.

- Intégrer une sensibilisation à l'intelligence économique dans les formations supérieures destinées en particulier aux ingénieurs, cadres commerciaux, de recherche, de direction générale.

Recommandation toujours valable.

Si des progrès ont été constatés, l'offre de formation aussi bien que la sensibilisation à l'intelligence économique au sein des cursus de l'enseignement supérieur restent insuffisantes en France.

Le rapport Carayon de 2003 s'inscrit dans la lignée des recommandations du rapport Martre tout en étant plus prescriptif sur les moyens que l'État peut mobiliser au service d'une stratégie opérationnelle d'intelligence économique, dans ses volets offensif comme défensif.

Extrait de recommandations issues du rapport Carayon

Axes de recommandations

Actions identifiées en 2003

Constat en 2023

Développer un État stratège

- Définir, en concertation interministérielle, le « périmètre stratégique » de la performance globale de la France.

- Créer un conseil national de la sécurité économique rattaché au Premier Ministre, dirigé par un délégué interministériel.

Recommandation toujours valable.

Les structures interministérielles ou à vocation interministérielle dédiées à l'intelligence économique créées depuis 2003 n'ont pas perduré et le pilotage interministériel de la politique publique de sécurité économique actuelle devrait être renforcé et le portage politique affirmé.

De la défense économique à la sécurité économique active

- Créer une communauté d'échange entre État et entreprises.

- Créer un droit du secret des affaires et repenser le nombre des personnes habilitées au secret-défense.

- Créer un comité de déontologie des sociétés de renseignement et de sécurité privées.

- Auditer les systèmes d'information des administrations et éviter le recours aux solutions étrangères.

Recommandation en partie toujours valable.

Des évolutions peuvent être notées, notamment la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires. Toutefois, la plupart des acteurs auditionnés ont fait part du cloisonnement de l'information entre secteurs public et privé. Le statut des sociétés de renseignement privées en matière de déontologie n'est toujours pas régi par le droit.

Repenser notre politique d'influence

- Associer le plus haut niveau de l'État à une réflexion stratégique et prospective.

- Créer au sein de la Représentation permanente à Bruxelles une mission d'anticipation chargée de l'analyse et de la réflexion prospective.

Recommandation toujours valable.

Malgré un rang satisfaisant de la France en termes d'influence normative, notre position est menacée.

Former vraiment à l'intelligence économique

- Renforcer la formation des dirigeants d'entreprise et prévoir des stages obligatoires en entreprise dans la formation continue des fonctionnaires.

- Instituer un enseignement obligatoire en intelligence économique dans les écoles de la fonction publique, de commerce et d'ingénieur ainsi qu'une sensibilisation à l'université.

- Mettre en place des formations spécialisées dans certains aspects de l'intelligence économique : recherche, technologie, droit.

Recommandation toujours valable.

Si des progrès ont été constatés l'offre de formation aussi bien que la sensibilisation à l'intelligence économique au sein des cursus de l'enseignement supérieur restent insuffisantes en France, que ce soit au niveau des universités comme des grandes écoles.

Diffuser l'intelligence économique dans les territoires

- Retenir la région comme échelon de référence pour l'intelligence économique. Réunir les décideurs régionaux dans une instance officielle pour arrêter une stratégie régionale (CPRIE).

- Organiser une manifestation nationale annuelle pour mobiliser les acteurs.

Recommandation en partie toujours valable.

La politique publique de sécurité économique est déclinée au niveau territorial, avec toutefois un niveau contrasté d'association et de mobilisation des régions.

C. LE CONTEXTE ACTUEL APPELLE POURTANT À UN SURSAUT EN MATIÈRE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE, PILIER DE LA RECONQUÊTE DE NOTRE SOUVERAINETÉ ÉCONOMIQUE

1. De nombreux exemples récents attestent des insuffisances françaises en matière d'intelligence économique

L'an dernier, la commission des affaires économiques du Sénat a adopté un rapport sur la souveraineté économique de la France, dont les conclusions font état d'une perte de souveraineté progressive depuis les années 1980 bien plus transversale et bien plus profonde que ce qui avait été mis en évidence jusqu'à présent, les dépendances et les fragilités de l'économie française s'étant accentuées lors des crises de ces trois dernières années. Surtout, les rapporteurs considèrent que ces dépendances et fragilités « se sont renforcées à la faveur de la naïveté, ou pis, de l'inaction des pouvoirs publics »5(*).

D'une certaine façon, les travaux de la mission d'information relative à l'intelligence économique s'inscrivent dans la continuité de ceux de cette mission d'information sur la souveraineté économique, l'absence d'une stratégie pérenne d'intelligence économique au cours de ces trente dernières années ayant également été un facteur d'aggravation de la désindustrialisation et de la perte de souveraineté économique de la France.

Par manque d'anticipation, par manque de vigilance, par manque d'analyse des évolutions concurrentielles sur les marchés stratégiques pour l'industrie française ou encore par sous-estimation des stratégies d'intelligence économique d'autres pays, l'économie française a pu pâtir, à de nombreuses reprises, du manque de culture et de stratégie politique en la matière.

Au cours de leurs auditions, les rapporteurs ont récolté de nombreux témoignages, récents et passés, attestant de la nécessité de doter la France d'une stratégie pérenne et plus offensive d'intelligence économique. Sans prétendre à une liste exhaustive, les rapporteurs ont souhaité rappeler les situations suivantes, tout en les mettant en perspective du manque de culture stratégique au sein des dirigeants politiques, administratifs et économiques :

- l'échec de la vente de Mirages 2000-5 à la Finlande en 1992, dont une première analyse aurait dû être publiée dans le rapport Martre en 1994 ;

- la perte d'informations stratégiques dans le cadre du processus de fusion, qui a échoué, entre Renault et Volvo entre 1992 et 1993 ;

- la sous-estimation de l'ampleur à l'appel au boycott de produits français à la suite de l'annonce de la reprise des essais nucléaires dans le Pacifique en 1995 ;

- la vente de Péchiney, champion de l'emballage et de l'aluminium, au canadien Alcan en 2003 ;

- l'échec de la vente de Rafales au Maroc en 2007 qui pourrait s'expliquer par le manque de coordination entre la direction générale de l'armement et Dassault ainsi que par la stratégie croisée des États-Unis alliant soutien économique et diplomatique dans des dossiers d'intérêt régional ;

- l'affaire d'un ancien cadre de Michelin qui avait proposé de vendre des informations estimées stratégiques à son concurrent Bridgestone en 2007 ;

- l'échec de la vente de Rafales au Brésil en 2009 qui pourrait s'expliquer par la stratégie de la Suède consistant à tisser, au niveau provincial, des réseaux de soutien aux entreprises locales par la conclusion de contrats de coopération et de soutien à l'innovation ;

- l'échec de l'obtention du contrat de construction d'un train à grande vitesse en Arabie Saoudite en 2010 en raison de l'absence de prise en compte par la SNCF et par Alstom des spécificités culturelles propres au pays ;

- l'affaire Gemplus, entreprise française de carte à puces qui a été espionnée par les services de renseignement américain ;

- le rachat de l'entreprise française Arcelor par le groupe indien Mittal Steel en 2006 et les risques de perte de savoir-faire industriel ;

- la vente des turbines d'Alstom équipant les sous-marins nucléaires à l'américain General Electric en 2015 ;

- la vente d'Alcatel-Lucent, fleuron des équipements de télécommunications et de la fabrication des câbles sous-marins par l'intermédiaire de sa filiale Alcatel Submarine Networks, au groupe finlandais Nokia en 2015-2016 ;

- la vente de Technip, leader en matière d'ingénierie pétrolière, au groupe texan FMC Technologies en 2017 ;

- le projet de cession des Chantiers de l'Atlantique à l'italien Fincantieri, associé à un conglomérat public chinois souhaitant devenir le leader mondial sur le marché des paquebots6(*), en 2020.

Par la mention de ces quelques exemples, les rapporteurs souhaitent souligner le manque de culture d'intelligence économique et de prise de conscience des rapports de force économique à l'oeuvre, encore aujourd'hui. Une meilleure culture de l'intelligence économique et un plus grand partage de l'information permettraient de mieux contribuer à la lutte contre la désindustrialisation, à la perte de savoir-faire industriel et de compétitivité économique.

Même si des progrès ont été faits ces dernières années et si de plus en plus de travaux, notamment parlementaires, contribuent à une plus grande prise de conscience de ces enjeux dans le débat public, des affaires récentes témoignent de la nécessité d'accélérer les efforts en matière d'intelligence économique, de veille et d'influence, afin de pouvoir mieux anticiper la réponse des pouvoirs publics lorsqu'une telle réponse est nécessaire.

Ainsi, lors des auditions, l'annulation du contrat de vente de sous-marins entre Naval Group et l'Australie a été évoquée à de nombreuses reprises, plusieurs observateurs estimant que des signaux faibles n'ont pas été perçus, sans doute par un manque d'activités continues de veille stratégique et de veille informationnelle dans cette région du monde. Encore une fois, l'actualité récente démontre en quoi l'intelligence économique est un outil indispensable pour l'anticipation des risques.

2. Une structuration de l'État bienvenue malgré un champ limité à la sécurité économique et aux secteurs les plus stratégiques

S'il y a encore des progrès à faire afin de diffuser plus largement la culture de l'intelligence économique et de se doter de pratiques plus offensives en la matière, les rapporteurs tiennent à saluer la structuration, au cours de ces dernières années, d'une véritable politique publique de sécurité économique (PPSE) au niveau de l'État, avec une nouvelle gouvernance et une nouvelle déclinaison territoriale, dont le détail est présenté au sein de l'axe 2 relatif à la gouvernance de la stratégie nationale d'intelligence économique (SNIE).

Dans la suite de leurs travaux, les rapporteurs appellent toutefois à se doter d'une véritable politique publique de l'intelligence économique, dont le périmètre est plus large que la seule sécurité économique - qui exclut notamment les activités de veille et d'influence - ainsi qu'à en renforcer le volet offensif.

Les récents efforts de structuration de l'État s'inscrivent dans un contexte de prise de conscience progressive et de changement de posture de l'Union européenne qui se montre ainsi de plus en plus offensive, à la fois dans le discours de ses dirigeants et dans les mesures adoptées. Les rapporteurs souhaitent ainsi rappeler, de façon non exhaustive, quelques exemples de mesures mises en oeuvre au cours de ces dernières années aux niveaux européen et national et qui contribuent à la reconquête de notre souveraineté économique et industrielle et nous permettent d'être davantage en état d'alerte :

- la mise à jour du règlement européen de 1996 portant protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant ;

- l'adoption en 2019 d'un règlement européen établissant un cadre pour le filtrage des investissements étrangers directs dans l'Union européenne ;

- le renforcement progressif du dispositif national de contrôle des investissements étrangers en France, notamment à l'aune de la pandémie et de la guerre en Ukraine ;

- l'adoption par la Commission européenne, en 2020, d'une « boîte à outils 5G » afin d'agir ensemble face aux menaces que peuvent faire peser certains équipementiers de télécommunications sur notre autonomie stratégique ;

- la mise en place du Conseil européen de l'Innovation et du Fonds européen de la défense ;

- l'accélération des projets importants d'intérêt européen communs (PIIEC) dans des secteurs industriels et économiques stratégiques ;

- l'adoption d'un Chips Act doté de 40 milliards d'euros pour construire une filière européenne de semi-conducteurs ;

- l'accélération des travaux du Parlement européen et des Parlements nationaux sur les influences et les ingérences étrangères ;

- l'adoption, sous l'impulsion de la présidence française de l'Union européenne, d'un arsenal législatif nous permettant de mieux lutter contre nos vulnérabilités numériques, en particulier avec l'adoption des règlements européens sur les services numériques (RSN), sur les marchés numériques (RMN) et sur la gouvernance des données (RGA).

3. Des puissances étrangères de plus en plus offensives dans un contexte économique et géopolitique de plus en plus concurrentiel

Dans la continuité des nombreux travaux menés par le Sénat sur ce sujet, les rapporteurs estiment indispensable, afin de mener toute réflexion sur le développement de l'intelligence économique en France, de mieux prendre conscience du contexte économique et géopolitique dans lequel l'action de l'État et les entreprises évoluent.

Les auditions menées dans le cadre de cette mission d'information ont ainsi rappelé la forte concurrence à laquelle se livrent les États membres au sein de l'Union européenne (UE), ainsi que le contexte de forte rivalité sino-américaine dont les conséquences se font ressentir jusqu'en Europe. Sans renier les bienfaits d'une économie ouverte, un tel constat, devrait conduire à une plus grande protection de nos entreprises et de nos intérêts face aux influences étrangères, voire aux ingérences, aux tentatives de rachat hostiles, de captation technologique ou de propriété intellectuelle, de captation informationnelle, voire de menace réputationnelle.

De ce point de vue, les risques menaçant l'économie et les entreprises françaises sont bien réels et tendent à augmenter - aussi parce que ces risques sont de mieux en mieux documentés.

Ainsi, selon le service pour l'information stratégique et la sécurité économique (SISSE) de la direction générale aux entreprises (DGE), 694 alertes de sécurité économique ont été enregistrées et traitées en 2022, ce qui représente une hausse de 45 % par rapport à 2021, et plus du double par rapport à 2020. Si la nature précise de ces alertes ainsi que les entreprises et entités qu'elles concernent sont classifiées, il a toutefois été indiqué que ces alertes sont de deux grands types :

- un potentiel rachat par des acteurs économiques étrangers, ce qui est caractéristique d'une menace capitalistique ;

- les tentatives de captation de propriété intellectuelle et d'informations stratégiques, ce qui est caractéristique des atteintes au patrimoine informationnel des entreprises.

Selon la direction générale du Trésor, la menace capitalistique demeure particulièrement forte aujourd'hui. Ainsi, en 2022, 328 dossiers ont été déposés au titre de la réglementation sur le contrôle des investissements étrangers en France (IEF), 124 opérations d'investissements ont été autorisées par le Ministre dont 54 % ont été assorties de conditions d'engagements pour les investisseurs.

Par ailleurs, il est précisé que plus de 58 % de ces investissements sont réalisés par des investisseurs ultimes non européens - c'est-à-dire en dehors de l'UE ou de l'Espace économique européen (EEE) - provenant principalement du Royaume-Uni, des États-Unis et du Canada. Au sein de l'UE et de l'EEE, plus de 40 % des investissements proviennent d'investisseurs ultimes situés en Allemagne, au Luxembourg, et en Irlande.

Au-delà de ces indicateurs, les rapporteurs souhaiteraient également rappeler l'importance et la hausse des législations extra-territoriales auxquelles les entreprises françaises sont soumises. Le récent rapport de la commission des affaires économiques du Sénat sur la souveraineté économique7(*) appelait ainsi à établir un bilan économique complet des mesures extraterritoriales afin de mieux chiffrer l'ampleur des coûts induits par le défaut de protection de nos entreprises, car ce travail n'existe pas à l'heure actuelle. Depuis 2008, le rapport estime à près de 8 milliards de dollars la somme déboursée par les entreprises européennes au seul titre du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) américain. En dehors du seul cadre du FCPA, les montants sont même plus élevés, le rapport de 2016 des députés Karine Berger et Pierre Lellouche8(*) estimant ce montant supérieur à 20 milliards de dollars - ce montant continuant d'augmenter au regard du durcissement des sanctions extra-territoriales. Le suivi des cadres juridiques en matière de normes extraterritoriales des autres pays constitue donc un volet indispensable de l'intelligence économique.

II. AXE 1 (STRATÉGIE) - CONCEVOIR UNE STRATÉGIE NATIONALE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE AVEC DES MOYENS À LA HAUTEUR DE NOS AMBITIONS

Pour ne pas rester lettre morte, la mise en oeuvre d'une stratégie nationale d'intelligence économique (SNIE) devrait respecter le caractère résolument pluridisciplinaire de l'intelligence économique. Elle doit donc être définie en concertation avec toutes les administrations concernées - et pas seulement les ministères économiques et financiers - et être formalisée au sein d'un document validé au niveau interministériel. Son pilotage doit également être assuré par une structure interministérielle afin d'aller au-delà du caractère économique ou sécuritaire de l'intelligence économique et d'embrasser tous ses aspects (recherche, enseignement supérieur, maîtrise de risques normatifs, sociaux, industriels, écologiques, etc).

Au-delà de la sécurité économique, volet « défensif » de l'intelligence économique, cette stratégie en intelligence économique devrait intégrer un volet plus « offensif », donnant aux administrations, collectivités et entreprises des capacités d'anticipation et d'adaptation aux évolutions du paysage économique en vue de préserver et renforcer notre compétitivité.

Recommandation n° 1 : concevoir une stratégie nationale d'intelligence économique (SNIE) intégrant les volets défensif et offensif de l'intelligence économique au sein d'un document validé au niveau interministériel. Confier le pilotage de cette SNIE au sein d'un Secrétariat général à l'intelligence économique (SGIE), structure interministérielle rattachée directement au Premier ministre.

A. POURSUIVRE LE RENFORCEMENT DU VOLET DÉFENSIF DE LA STRATÉGIE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE AFIN DE GARANTIR UNE MEILLEURE PROTECTION COLLECTIVE FACE AUX INFLUENCES ÉTRANGÈRES

La politique publique de sécurité économique (PPSE) incarne aujourd'hui ce que devrait être le volet défensif d'une stratégie nationale d'intelligence économique.

L'article 1er du décret du 20 mars 2019 précise ainsi que la PPSE « vise à assurer la défense et la promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation, constitués notamment des actifs matériels et immatériels stratégiques pour l'économie française  »9(*). Elle inclut donc aussi bien la défense des entreprises que des acteurs de la recherche française contre des tentatives d'ingérence étrangère.

1. Mieux protéger les entreprises françaises face aux influences étrangères
a) Le dispositif de contrôle des investissements en France a été récemment renforcé

La France, à l'instar de nombreux pays, s'est dotée d'une politique de contrôle des investissements étrangers en France (IEF) qui repose sur un équilibre entre le principe de liberté des relations entre la France et l'étranger10(*) et la défense des intérêts nationaux. Ainsi, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de l'économie, le Gouvernement peut soumettre à « déclaration, autorisation préalable ou contrôle » tout « mouvement de capitaux » entre la France et l'étranger11(*).

Certains investissements étrangers sont ainsi soumis à autorisation préalable du ministre de l'économie : les investissements dans des activités participant « même à titre occasionnel » à l'exercice de l'autorité publique ou de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale, ou relevant d'une activité de recherche, de production ou de commercialisation d'armes et de substances explosives.

L'autorisation peut être assortie de conditions permettant d'assurer que l'investissement projeté ne portera pas atteinte aux intérêts nationaux12(*) - par exemple, des conditions portant sur le maintien et la pérennité des activités sensibles en France, le maintien de savoirs et savoir-faire de l'entité cible, la gouvernance ou encore la communication d'informations à l'État13(*).

La liste précise des activités concernées par le contrôle des investissements étrangers, qui relève du domaine règlementaire, a été progressivement étendue :

- en 2005, le décret dit « Loos-Villepin »14(*) fixe une liste de 11 domaines où les investissements relèvent d'une autorisation préalable, allant des jeux d'argent à la cryptologie en passant par les activités de sécurité privée ;

- en 2014, le décret dit « Montebourg »15(*) a enrichi cette liste pour y inclure les activités portant sur des matériels, biens ou services essentiels pour garantir l'approvisionnement en électricité, en eau ou en énergie, la protection de la santé publique, la sécurité et l'intégrité des réseaux de transport et des services de communications électroniques ;

- depuis le 1er janvier 202016(*), cette liste intègre également les activités de traitement, de transmission ou de stockage de données dont la compromission ou la divulgation est de nature à porter atteinte à l'exercice d'autres activités de la liste ainsi que les activités portant sur des infrastructures, biens ou services essentiels pour garantir la sécurité alimentaire ou encore la publications de presse d'information politique et générale.

Outre les activités concernées, le seuil de détention de droits de vote ou de capital déclenchant une procédure de contrôle des investissements étrangers en France, fixé à 33,33 % depuis 2005, a été récemment abaissé :

- le décret du 31 décembre 2019 précité a abaissé le seuil déclenchant une prise de contrôle, et donc une éventuelle procédure d'autorisation préalable, à 25 % lorsque l'investissement est réalisé par un tiers à l'Union européenne ;

- en juillet 2020, le seuil de 25 % des droits de vote déclenchant une procédure de contrôle des investissements réalisés par des tiers à l'Union européenne au sein de sociétés cotées a été abaissé à 10 %17(*). Cette mesure temporaire, qui devait s'appliquer jusqu'au 31 décembre 2022, a été prorogée jusqu'au 31 décembre 202318(*) et devrait être pérennisée en 2024 conformément à l'annonce du Ministre de l'économie le 5 janvier 2023.

Enfin, le ministre chargé de l'économie a été doté de prérogatives renforcées pour assurer le contrôle effectif des IEF. La loi dite « Pacte » du 22 mai 201919(*) a renforcé ses pouvoirs de contrôle en lui permettant, lorsqu'un investissement a été réalisé sans autorisation préalable, de formuler une injonction à l'investisseur étranger, éventuellement assortie d'astreinte. Il peut également, lorsque les conditions dont était assortie l'autorisation ont été méconnues, prendre des mesures allant de l'injonction au retrait de l'autorisation d'investissement.

Dans le cas où les intérêts nationaux sont susceptibles d'être compromis, le ministre est autorisé à prendre une ou plusieurs mesures conservatoires comme le retrait des droits de vote irrégulièrement acquis. Enfin, depuis le 1er janvier 2020, le ministère de l'économie peut prendre en compte un éventuel « lien avec un gouvernement ou un organisme public étrangers » pour motiver un refus.

En contrepartie, le contrôle et l'information du Parlement sur les activités de contrôle des investissements étrangers ont été renforcés : le Gouvernement publie annuellement des statistiques sur les investissements étrangers en France et adresse aux Présidents des commissions des affaires économiques des deux assemblées un rapport annuel sur l'action du Gouvernement en matière de contrôle des investissements étrangers. En revanche, il apparaît nécessaire de renforcer le suivi des engagements des investisseurs.

b) Malgré ce renforcement récent du dispositif, les entreprises françaises restent vulnérables face aux stratégies de prédation de puissances étrangères

Juridiquement, le cadre du contrôle des IEF confère donc au ministre de l'économie des pouvoirs lui permettant de protéger les intérêts nationaux. En pratique, toutefois :

faute d'inscription du contrôle des IEF au sein d'une stratégie globale d'intelligence économique, les services compétents des administrations se trouvent généralement devant le fait accompli d'une décision d'investissement par un tiers à l'Union européenne alors qu'une stratégie de veille, de partage et de traitement l'information stratégique en matière économique aurait peut-être permis aux services d'anticiper la prise de contrôle ;

les refus d'autorisation sont très rares : ils doivent être motivés par l'honorabilité de l'investisseur ou par le fait qu'assortir de conditions l'autorisation du ministre ne suffirait pas à assurer la préservation de la sécurité publique, de l'ordre public ou des intérêts de la défense nationale. En 2022, les 131 opérations d'investissements étrangers éligibles au contrôle IEF ont été autorisées. Parmi elles, 53 % ont été assorties de conditions pour préserver les intérêts nationaux.

La protection effective des intérêts nationaux dans le cadre du contrôle IEF est donc en pratique conditionnée à la bonne définition de conditions à même d'apporter des garanties aux entreprises françaises et au bon respect de ces conditions par les investisseurs par la suite.

Or, les autorisations peuvent être assorties de conditions insuffisantes au regard de l'enjeu stratégique que représente l'entreprise pour la France.

À cet égard, l'exemple du projet de rachat des Chantiers de l'Atlantique par l'italien Ficantieri est édifiant, même s'il a finalement été abandonné début 2021 après de nombreux atermoiements. L'accord conclu en 2018 entre la société française STX et son principal concurrent italien, Ficantieri prévoyait que Ficantieri obtienne 50 % du capital auxquels s'ajouteraient 1 % sous la forme d'un prêt de long-terme de l'Agence des participations de l'État. Ce prêt lui transférait le contrôle opérationnel de l'entreprise mais était révocable à certaines échéances en cas de manquements aux engagements industriels du groupe italien qui devait, entre autres, ne pas supprimer d'emplois pendant cinq ans, maintenir le carnet de commande existant en France et ne pas transférer de technologies hors d'Europe. Au bout de douze ans, le prêt devait prendre fin et les 1 % être cédés à Fincantieri.

Le contenu lacunaire du compromis de 2018 avait été dénoncé par la commission des affaires économiques du Sénat en 202020(*). Notamment, il ne permettait pas à l'État d'intervenir en cas de menaces graves et imminentes pour l'intégrité des Chantiers de l'Atlantique et ne prévoyait pas de sanction pour Ficantieri en cas de non-respect de ses engagements contractuels.

De même, le rachat d'une partie des activités d'Alstom par General Electric (GE) en 2015 a montré que les engagements à durée limitée sont souvent ignorés dès la fin de l'échéance. En 2019, GE avait ainsi abondé un fonds de réindustrialisation à hauteur de 50 millions d`euros à la suite du non-respect de son engagement de créer un millier d'emplois en France.

L'expérience de la fusion de l'entreprise française Technip et de la texane FMC Technologies en 2017 a quant à elle montré que l'annonce d'un « mariage entre égaux », avec une gouvernance paritaire peut ensuite se traduire dans les faits par une absorption, et ce avec la bénédiction d'un État actionnaire à 5 % de l'entreprise française via Bpifrance. En effet, malgré les annonces de gouvernance paritaire, deux ans plus tard, seuls trois membres du comité exécutif de Technip FMC étaient des anciens salariés de Technip.

c) Le renforcement juridique du contrôle des investissements étrangers en France entamé depuis plusieurs années doit donc être poursuivi et intégré au sein d'une stratégie globale d'intelligence économique

L'abaissement du seuil de détention capitalistique ou des droits de vote déclenchant le contrôle des IEF mis en oeuvre pendant la crise sanitaire est un dispositif bienvenu, qui n'est d'ailleurs pas inédit en Europe :

- l'Espagne a adopté une mesure temporaire d'abaissement du seuil de contrôle des investissements tiers à l'Union européenne à 10 % au début de la crise sanitaire et l'a récemment prolongée jusqu'en 2024 ;

- l'Allemagne dispose également d'un seuil de contrôle à 10 % des droits de vote pour les investissements étrangers dans certains secteurs sensibles comme les technologies militaires.

Recommandation n° 2 : proroger au-delà du 31 décembre 2023, voire pérenniser, l'abaissement de 25 % à 10 % du seuil des droits de vote déclenchant le contrôle des investissements réalisés par des investisseurs tiers à l'Union européenne au sein de sociétés cotées.

Au-delà des seuils de contrôle des IEF, le suivi et l'évaluation de la mise en oeuvre des conditions qui accompagnent les autorisations d'investissement doivent être renforcés.

Les conditions peuvent être fixées sur un horizon de temps long - par exemple, plus d'une dizaine années - et il importe qu'elles soient respectées sur toute la durée fixée, sous peine de remettre en cause la validité de l'autorisation d'investissement. Il est donc crucial que les administrations centrales disposent de moyens suffisants pour contrôler l'effectivité du respect de ces conditions dans le temps et constater, éventuellement sur pièce et sur place, la réalité de la mise en oeuvre des engagements : une déclaration d'intention de l'investisseur ne saurait faire office de preuve de respect des conditions assortissant l'autorisation. Le contrôle exercé par les services du ministre de l'économie doit être à la hauteur des prérogatives étendues dont il dispose pour faire appliquer ces conditions.

Recommandation n° 3 : assurer le suivi dans le temps des engagements des investisseurs dont l'autorisation d'investissement est assortie de conditions en confiant cette mission à la direction générale du Trésor.

De plus, l'évaluation de ces engagements est laissée entièrement à la main de l'administration centrale, sans consultation, association ou information ni des collectivités, ni de la représentation nationale.

Si les publications et les rapports du Gouvernement aux assemblées parlementaires introduits par la loi Pacte sont bienvenus, un temps spécifique de débat annuel dédié au contrôle des IEF permettrait à la représentation nationale d'adresser ses interrogations au Gouvernement et de relayer les préoccupations des collectivités territoriales concernant les investissements étrangers réalisés sur leur territoire.

Recommandation n° 4 : instaurer un débat annuel sur l'intelligence économique au Parlement qui prendra en compte la publication du rapport annuel de la direction générale du Trésor sur le contrôle des investissements étrangers en France (IEF) et le respect des engagements des investisseurs.

2. Mieux protéger le monde de la recherche des influences étrangères

En septembre 2021, le rapport d'André Gattolin au nom de la mission d'information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français21(*) dressait le constat d'une large sous-estimation des risques d'ingérences étrangères dans le milieu académique en France. Les rapporteurs souhaitent réaffirmer leur soutien aux conclusions et recommandations de ce rapport, qui démontrent également la nécessité de renforcer nos moyens d'intelligence économique.

En réalité, la France est une cible de choix. Nos établissements universitaires et de recherche sont fragiles : les rémunérations et les conditions de travail y sont moins favorables que dans d'autres pays. Ces établissements sont soumis à des injonctions contradictoires sur l'accueil d'étudiants étrangers et le renforcement des contrôles tout en étant autonomes dans leur gestion administrative. Enfin, la culture de l'ouverture du monde de la recherche le rend réticent à adopter une attitude proactive de détection des tentatives d'ingérences et de défense d'intérêts scientifiques nationaux.

Pour renforcer l'état d'alerte du monde académique face aux influences étrangères, ce rapport recommande par exemple de créer un observatoire des influences étrangères et de leurs incidences sur l'enseignement supérieur et la recherche, qui associerait universitaires et administrations dans une logique interministérielle. Il souligne également l'importance de la sensibilisation des collectivités territoriales, notamment des régions et des grandes métropoles sur ces sujets, compte tenu de leur place au sein des conseils d'administration des établissements d'enseignement supérieur.

Au niveau national, le rapport préconise d'ériger la transparence et la réciprocité en principes cardinaux de toute coopération universitaire internationale et d'étendre le dispositif de protection du patrimoine scientifique et technique de la Nation (PPST) à l'ensemble des disciplines universitaires en les adaptant aux enjeux spécifiques des sciences humaines et sociales, qui en sont exclues.

En effet, les activités de recherche sensibles font partie des actifs stratégiques à protéger. Dans le contexte actuel de tensions sur les ressources énergétiques, les matériaux critiques et les chaînes d'approvisionnement mondiales, la course aux technologies critiques est exacerbée : compte tenu de leur caractère souvent dual, ces dernières génèrent souvent aussi bien un avantage compétitif que stratégique.

Les menaces touchant les acteurs de la recherche peuvent prendre de multiples aspects :

- recrutements de personnels cherchant à capter des savoirs et non pas à faire progresser la communauté scientifique ;

- candidats au parcours brillant dont les performances en poste génèrent un doute sur l'identité ou dont le niveau semble être bien supérieur au niveau requis par le poste ;

- collaborations déséquilibrées ;

- détournement de l'objet initial des recherches à des fins offensives ;

- entretiens contre rémunération avec des experts internes sous couvert d'études de marché ;

- présence dans les locaux à des horaires anormaux ;

- prise de vue dans les laboratoires environnants, etc.

À ce titre, les guides pratiques et vadémécum sur le modèle de celui élaboré en 2015 par la délégation interministérielle à l'intelligence économique (D2IE) sur les principes directeurs pour la mobilité internationale des scientifiques et des experts devraient être largement diffusés par les administrations publiques compétentes auprès des organismes dont elles assurent la tutelle.

La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) publie chaque mois un « Flash ingérence » présentant des actions d'ingérence économique dont des sociétés françaises sont régulièrement victimes. L'édition de juin 2023 est dédiée aux risques associés aux captations de savoir-faire dans la recherche fondamentale. La DGSI y souligne la forte sous-estimation des risques d'ingérences dans la recherche fondamentale par rapport à la recherche appliquée. La recherche fondamentale est pourtant largement ciblée par des universités étrangères cherchant à combler un retard scientifique ou technologique par rapport à la France. Ces États étrangers peuvent ensuite utiliser le produit de cette recherche fondamentale à des fins appliquées pour développer des produits en toute autonomie : il existe donc un risque non négligeable de captation à des fins militaires de ces recherches, engendrant un risque réputationnel important pour les structures françaises de la recherche.

Exemple d'ingérence étrangère au sein d'une structure française de la recherche.
Source : Flash ingérence DGSI n°95 - Juin 2023

Pour juguler ces risques, la DGSI recommande aux organismes de recherche de sensibiliser tout leur personnel aux enjeux de protection du patrimoine scientifique et technique (PPST) de la Nation, d'assurer un niveau de sûreté suffisant des bâtiments et d'entamer une réflexion sur les risques de détournement à fins militaires de toutes les recherches menées. La création de zones à régime restrictif, à protection administrative définie, peut également être envisagée sur une partie du laboratoire afin d'écarter certains profils risqués.

Le schéma directeur pour l'intelligence économique du CEA

Le commissariat général à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) s'est doté en juin 2022 d'un Schéma directeur pour l'intelligence économique (SDIE) élaboré sous la supervision d'un comité de pilotage réunissant des représentants de la direction générale. Il se structure en deux volets : un volet « stratégique » pour les grandes orientations de la mission « intelligence économique » à court et moyen terme et un volet « opérationnel » pour le plan d'actions de sa mise en oeuvre, notamment concernant les compétences métiers, les outils techniques ainsi que les besoins financiers en investissement et en fonctionnement.

La mise en oeuvre du SDIE repose sur une organisation de la fonction d'intelligence économique en réseau au sein du CEA : plaçant le CEA en « bon élève », le SDIE précise d'ailleurs que « fonction transverse par nature, l'intelligence économique doit participer au décloisonnement sélectif de l'information à travers une organisation en réseau, reposant sur des structures légères en ressources, réparties au sein des différentes Directions opérationnelles et fonctionnelles. » L'animation du Réseau est confiée à un Référent positionné au sein d'une direction transversale, pour dépasser la dimension purement sécuritaire de la discipline.

La structuration de cette démarche d'intelligence économique avait été inscrite dans le contrat d'objectifs et de performance (COP) conclu pour 2021 et 2025 entre l'État et le CEA.

Le développement de démarches d'intelligence économique au sein des organismes de recherche doit donc être encouragé par les pouvoirs publics. Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche conclut des contrats d'objectifs et de performance (COP) ou de moyens (COM) avec les établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche dont il assure la tutelle. Ces COP constituent un support pertinent pour encourager la mise en place de pratiques d'intelligence économique. De plus, ils représentent un moyen de toucher une large partie de la recherche française à travers les 26 organismes publics de recherche (CNRS, CNES, Ifremer, CEA, INRIA, INRAE, etc.) et les centaines d'universités, de grandes écoles et autres établissements d'enseignement supérieur comme les pôles universitaires d'innovation (PUI).

Recommandation n° 5 : inciter chaque organisme de recherche à se doter d'un schéma directeur pour l'intelligence économique - à l'instar de ce qui a été mis en place au sein du CEA - à l'aide d'un référentiel commun aux organismes de recherche sur les risques de captation des informations scientifiques et technologiques. Les inciter également à nommer un référent pour l'intelligence économique.

B. ADOPTER UNE STRATÉGIE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE AVEC UN VOLET OFFENSIF RENFORCÉ AFIN DE MIEUX FAIRE VALOIR NOS INTÉRÊTS NATIONAUX

1. Affermir notre stratégie de normalisation

La capacité d'un État à influer sur les normes internationales en matière économique, c'est-à-dire sur les règles du jeu dans une économie mondialisée, est un élément essentiel de compétitivité pour les entreprises. À ce titre, l'influence normative est une composante de l'intelligence économique, voire du soft power, qui demeure sous-estimée en France.

Ces « normes volontaires » sont omniprésentes dans notre quotidien : elles sont utilisées pour la conception de nos prises de courant, les dimensions de nos feuilles de papier ou encore la teneur en eau du miel. Élaborées dans un cadre technique par un réseau d'organismes privés aux niveaux national, européen et international, elles sont d'application volontaire par les acteurs économiques - qui ont tout intérêt à les suivre notamment parce qu'elles conditionnent l'accès aux marchés.

Ces normes ne sont jamais innocentes : elles fixent des modes de gouvernance, donnent aux acteurs de moyens de devancer la concurrence ou de la freiner, déterminent des stratégies de production et d'échanges de biens et services, etc. Elles sont donc un enjeu de compétitivité et de souveraineté, surtout pour les secteurs en croissance et en mutation. Claude Revel indiquait ainsi dans son rapport en 201322(*) qu'il est de plus en plus difficile de séparer la technique du politique. Ne pas anticiper une évolution de la norme, à défaut de pouvoir en être l'auteur, conduit éventuellement à manquer un avantage concurrentiel voire à subir les évolutions de la réglementation, car les normes volontaires appuient et outillent de plus en plus la mise en oeuvre de la règlementation, notamment européenne. Il n'est pas rare que la Commission européenne demande aux trois organisations de normalisation européennes23(*) d'élaborer des normes contribuant à la bonne mise en oeuvre du droit européen, à l'aide de référentiels ou de méthodologies.

a) Une position française encore favorable mais fragilisée par l'absence de stratégie et de moyens

Les États et, indirectement, les entreprises ont donc tout intérêt à développer une stratégie d'influence normative : qui maîtrise la norme maîtrise le marché. Or, la France se distingue par une position relativement attentiste : elle reste bien placée dans les classements internationaux mais sa stratégie de présence et d'influence est insuffisante, dans un contexte où l'élaboration de la norme fait l'objet d'une compétition au même titre que les produits : 90 % des normes actuelles sont élaborées au niveau international. Les États, via leurs organismes nationaux de normalisation, se mènent donc une concurrence rude à la détention de secrétariats de comités et à la formulation de propositions au sein de groupes de travail.

Déjà en 2008, le rapport de Nicolas Tenzer24(*) sur l'expertise internationale déplorait que la France pèse peu sur l'élaboration des normes et du droit souple et qu'elle peine à mobiliser des experts lors de missions pour des organisations internationales ou pour d'autres États. En 2013, le rapport de Claude Revel soulignait quant à lui l'insuffisante ambition de la stratégie d'influence normative de la France et la fragilité de sa position.

Le baromètre établi depuis 2006 par l'Association française de normalisation (Afnor) montre qu'en 2022, la France peut se targuer d'une position favorable en termes d'influence normative, mesurée par le nombre de comités dont elle assure le secrétariat : elle est 2ème à l'échelle européenne en termes de présence au CEN et CENELEC et demeure 3ème au niveau international pour sa présence aux comités de l'Organisation internationale de standardisation (ISO) et de la Commission électrotechnique internationale (IEC). Toutefois, elle est de loin devancée par l'Allemagne et les États-Unis et est au coude à coude avec le Japon, le Royaume-Uni et la Chine à un secrétariat près.

La position favorable de la France est donc fragile. Elle est menacée par la poussée rapide de la Chine : cette dernière assurait le secrétariat de seulement 30 comités en 2010 contre environ 80 en 2022, tandis que l'influence de la France stagne, voire se réduit. Cette poussée chinoise s'inscrit dans le cadre d'une stratégie offensive de placement de ressortissants à la tête d'organisations internationales spécialisées, comme l'Union internationale des télécommunications (UIT) dont elle assurait la direction générale de 2015 à 2022, l'Organisation des nations unies pour le développement industriel (ONUDI) de 2013 à 2021, l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) dont elle assurait le secrétariat général de 2015 à 2021 ou encore l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) dont le directeur général, chinois depuis 2019, a été réélu pour 4 ans en juillet 2023.

En Europe, l'Allemagne jouit d'une position stable et avancée. Sur le dossier énergétique, sa stratégie d'influence normative est bien plus offensive que celle de la France : en mai 2021, l'École de guerre économique25(*) démontrait déjà comment la stratégie allemande de promotion des énergies renouvelables et du gaz au détriment du nucléaire au niveau européen s'appuyait sur un réseau organisé de partis politiques, de contrôle de postes stratégiques et de liens étroits entre représentants d'intérêts et administrations allemandes. En juin 2023, un nouveau rapport d'alerte de l'École de guerre économique dénonce quant à lui l'ingérence des fondations politiques allemandes, dont certaines sont soutenues à plus de 90 % par l'État et les pouvoirs publics allemands, dans la sphère publique française en vue de réduire la crédibilité de la filière nucléaire26(*).

b) La France doit développer une véritable stratégie normative définissant les domaines prioritaires en termes d'influence normative et associant les entreprises à sa mise en oeuvre

Dès 2013, le rapport de Claude Revel appelait à un décloisonnement des sujets règlementaires et normatifs internationaux et à leur intégration dans une approche d'intelligence économique dynamique afin de lier politiques publiques et normalisation.

De même, en 2017, le rapport d'Élisabeth Lamure déposé au nom de la commission des affaires économiques du Sénat27(*) soulignait le manque de « stratégie collective » des industries françaises en matière de normes et l'absence de concertation entre État, collectivités, entreprises et organes de normalisation.

Depuis, des initiatives pouvant être saluées ont été mises en oeuvre. Ainsi, le Grand défi « Sécuriser, fiabiliser et certifier des systèmes fondés sur l'intelligence artificielle » lancé fin 2019 par le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) contient un important volet normatif qui a abouti à l'élaboration d'une feuille de route stratégique nationale sur la normalisation de l'intelligence artificielle, ayant vocation à être portée au niveau européen et à structurer la participation concertée des acteurs français dans les travaux conduits au CEN et CENELEC pour outiller le futur règlement européen sur l'intelligence artificielle28(*).

Une composante « normalisation » devrait donc être systématiquement incluse dans les politiques publiques sectorielles portées par l'État afin de favoriser une approche française coordonnée et efficace dans les enceintes européennes ou internationales de normalisation. Ces composantes « normalisation » sectorielles devraient être regroupées au sein d'un volet normalisation de la Stratégie nationale d'intelligence économique (SNIE) identifiant les sujets d'importance stratégique pour la France à échéance pluriannuelle.

Recommandation n° 6 : définir au sein de la SNIE la stratégie française de normalisation et les sujets prioritaires pour la France.

Afin d'inciter les entreprises à s'investir au sein des instances de normalisation, engagement qui peut être consommateur en temps et ressources compte tenu du niveau de technicité des sujets, la prise en charge des dépenses de normalisation via le crédit d'impôt recherche (CIR) pourrait être renforcée. Le CIR prend aujourd'hui en compte la moitié des dépenses de normalisation afférentes aux produits de l'entreprise, définies comme suit :

- les salaires et charges sociales afférents aux périodes pendant lesquelles les salariés participent aux réunions officielles de normalisation ;

- les autres dépenses liées à ces mêmes opérations, fixées forfaitairement à 30 % de ces salaires ;

- les frais de participation aux réunions officielles de normalisation des chefs d'entreprises individuelles et des dirigeants de personnes morales, dans la limite de 437,35 euros par jour.

Aujourd'hui, sont exclues les dépenses qui ne participent pas à la définition des normes en amont mais adaptent des produits aux normes déjà définies.

Afin de soutenir les PME-ETI qui souhaitent se lancer à la conquête de nouveaux marchés et ne pas les pénaliser pour l'insuffisance de la stratégie d'influence normative française, il serait donc judicieux d'intégrer ces dépenses, seulement pour les TPE-PME, au CIR dans le cadre de la réforme de ce dernier.

Recommandation n° 7 : dans le cadre de la réforme annoncée du CIR, intégrer dans l'assiette les dépenses des TPE-PME liées à l'adaptation à la normalisation et augmenter le plafond de la prise en charge actuelle des dépenses de participation aux réunions de normalisation.

2. Adopter une posture proactive de partage de l'information

La capacité de toute organisation à capter, traiter et partager l'information est un gage de réussite de la stratégie d'intelligence économique, et plus particulièrement de son volet offensif qui fait aujourd'hui défaut au niveau français.

Or, les rapports Martre de 1994, Carayon de 2003 puis Revel de 2013 constatent tous trois des freins organisationnels et culturels à une gestion performante de l'information économique : un changement culturel est donc nécessaire, aussi bien dans les entreprises que dans les administrations, au profit d'une vision plus décloisonnée, plus horizontale, plus propice à la concertation, à la remise en question et à l'adaptation.

À cet égard, le référentiel unifié de sécurité économique élaboré par le Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE) devrait être diffusé et adopté par toutes les administrations chargées de la mise en oeuvre d'un volet de la PPSE. Ce référentiel unifié est en effet transversal : il comprend une liste nationale confidentielle de 791 entreprises stratégiques à protéger en priorité, une liste de 364 technologies critiques ainsi qu'une liste de 328 laboratoires et des organismes publics de recherche à protéger en priorité.

De nombreux autres travaux ou documents élaborés par nos administrations gagneraient à être davantage connus en interministériel et utilisés comme référentiels : la direction générale du Trésor a par exemple mené un travail d'identification de la vulnérabilité des approvisionnements français pour les produits métalliques en 202129(*), à l'aide de trois critères : la part des importations extra-européennes, la concentration des importations sur un faible nombre de fournisseurs hors Union européenne et l'insuffisance de la production européenne. Des travaux antérieurs, à l'instar d'une note Trésor-éco de décembre 202030(*) évaluent quant à eux la vulnérabilité des approvisionnements français et européens à l'aune de deux critères différents. Non seulement les résultats de ces travaux devraient être partagés et utilisés par d'autres administrations (SGDSN, SISSE, services contrôlant les IEF) mais les méthodologies d'identification des approvisionnements vulnérables devraient être unifiées au sein d'un référentiel afin de disposer d'une stratégie claire. À cet égard, le rapport de la commission des affaires économiques sur la souveraineté économique appelait déjà à une cartographie intégrale des vulnérabilités de notre économie31(*).

Par ailleurs, les bonnes pratiques de partage d'information grâce à l'intelligence artificielle doivent se diffuser au sein des administrations concernées et des entreprises : notre capacité collective à traiter l'information ne peut souffrir aucun conservatisme. L'intelligence artificielle peut être efficacement mise au service de l'intelligence économique puisque cette dernière repose sur une collecte, un traitement et une diffusion intelligentes de l'information économique, souvent accessible en source ouverte.

Afin de favoriser le changement culturel et la diffusion d'une culture de l'intelligence économique, le partage d'informations doit toucher tous les services de l'État, y compris les plus secrets : en 1994, le rapport Martre mentionnait le rôle structurant des services de renseignement aux États-Unis, qui jouaient déjà à l'époque un rôle de quasi conseil auprès des administrations voire des entreprises. Le rapport annuel déclassifié publié par la CIA (rapport « ATA », annual threats assessment) est d'ailleurs devenu un rapport structurant et fortement attendu chaque année par les acteurs économiques américains comme internationaux.

Recommandation n° 8 : donner pour mission aux services de renseignement d'établir un rapport annuel national déclassifié cartographiant les menaces pesant sur la France, sur le modèle du rapport ATA aux États-Unis dédié à l'évaluation annuelle des menaces. Ce rapport inclurait, en lien avec le Haut-commissariat au Plan et France Stratégie, des informations sur les menaces économiques, technologiques et scientifiques ainsi que sur l'impact des normes et des législations extraterritoriales.

Bien que toute démarche d'intelligence économique soit indissociable de la notion de réseau, l'information ne doit pas pour autant être accessible à tous : l'intelligence économique entend réduire la diffusion de l'information « en silo » et promouvoir la transversalité, tout en protégeant l'information stratégique.

À ce titre, le rapport Carayon de 2003 constatait que le nombre de personnes habilitées au secret-défense était, aux dires des personnes auditionnées, « excessif » tandis que « certaines fonctions sensibles touchant directement à la sécurité économique et financière échappent toutefois au secret »32(*). Il proposait donc de repenser le nombre et la qualité des personnels habilités au secret-défense au sein des administrations afin que les services compétents au sein des services de renseignement puissent faire un travail d'instruction dans de bonnes conditions.

Ce rapport identifiait également un risque pour la sécurité nationale du côté des sociétés de renseignement ou de sécurité privées, qui se dissimulent souvent sous d'autres vocables comme le conseil en intelligence économique, le lobbying, la communication, etc. Or, il précisait que « la nature-même de leur métier exige des précautions particulières ; leur activité n'est pas neutre au regard du respect des libertés publiques ; et les entreprises ont besoin de partenaires de confiance présentant des garanties d'éthique, de confidentialité et de professionnalisme »33(*). Il proposait donc de créer un comité de déontologie de ces sociétés, chargé de conduire une réflexion sur l'élaboration et la mise en place d'un label d'éthique ainsi que de créer un fichier de recensement de ces sociétés.

Aujourd'hui, leur encadrement est toujours un enjeu auquel s'ajoute celui des éventuelles mobilités entre secteurs public et privé dans le domaine du renseignement et de la sécurité. Les rapporteurs soulignent que ce sujet a été soulevé à de nombreuses reprises lors des auditions menées, constatant que de nombreux anciens militaires ou des services de renseignement travaillent aujourd'hui pour des cabinets internationaux d'intelligence économique ou des entreprises étrangères.

Recommandation n° 9 : renforcer le cadre déontologique applicable aux mobilités vers le secteur privé des fonctionnaires et des contractuels ayant occupé des postes dans des domaines souverains, dans des services de renseignement ou faisant partie des domaines stratégiques en matière d'intelligence économique tels que définis par la stratégie nationale d'intelligence économique, en restreignant fortement leur mobilité vers des entreprises contrôlées par des puissances étrangères voire vers les États étrangers eux-mêmes.

III. AXE 2 : GOUVERNANCE - CRÉER UNE STRUCTURE INTERMINISTÉRIELLE PÉRENNE AU SEIN DE L'ÉTAT DÉDIÉE À L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE

A. DES TENTATIVES MULTIPLES, SUCCESSIVES ET IMPARFAITES DE STRUCTURER L'ORGANISATION POLITICO-ADMINISTRATIVE DE L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE EN FRANCE

1. Des essais successifs ne permettant pas à l'intelligence économique de trouver une organisation adéquate et pérenne au sein de l'État

À la suite de la publication du rapport d'Henri Martre en 1994, il a été considéré que l'État devait jouer un rôle plus incitatif en matière d'intelligence économique afin d'amorcer une gestion plus collective et plus partagée de l'information entre les administrations, les collectivités territoriales et le secteur privé.

Pour cela, dès 1995, a été mise en place une instance nationale de coordination interministérielle au niveau de l'État : le Comité pour la compétitivité et la sécurité économique (CCSE)34(*). Présidé par le Premier ministre, le CCSE était composé de sept personnalités35(*), nommées pour une période de trois ans et choisies en raison de leur expérience, de leur autorité ou de leur compétence afin d'éclairer les choix du Gouvernement sur les questions de compétitivité et de sécurité économique.

Le secrétariat du CCSE était assuré par le secrétariat général de la défense nationale (SGDN), ce qui témoignait déjà, à l'époque, d'une approche plutôt défensive de l'intelligence économique dans un contexte d'accélération de la mondialisation et d'un sentiment, déjà, de perte progressive de souveraineté et de compétitivité économiques. Selon un communiqué des services du Premier ministre de l'époque, Édouard Balladur, « il s'agit de la prise en compte plus efficace par nos entreprises des menaces et des ouvertures qui se dessinent sur les marchés internationaux, et dans ce but de mieux appréhender les multiples facteurs mondiaux qui conditionnent aujourd'hui à l'échelle internationale le développement scientifique, industriel et économique de la France »36(*).

Si le CCSE a mis en place un groupe de travail interministériel pour la politique, la défense et l'intelligence économique, qui a rendu ses premières conclusions en 1997, cette organisation n'a pas perduré au-delà ni fonctionné suffisamment longtemps afin qu'un bilan satisfaisant puisse en être effectué. L'Agence pour la diffusion de l'information technologique (ADIT) a toutefois indiqué, lors de son audition devant les rapporteurs de la mission d'information, que le CCSE était une instance de coordination qui fonctionnait relativement bien, notamment parce qu'elle réunissait les grands directeurs d'administration centrale.

Dans une réponse orale apportée en 2001 par le Gouvernement au sénateur Jacques Legendre, il a été indiqué que « le changement de gouvernement puis la fin de mandat des membres du comité ont interrompu le processus » du CCSE et que le travail interministériel serait désormais assuré par le haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie.

À compter de 2003, un Haut Responsable à l'intelligence économique a été placé auprès du SGDN. Cette fonction a été exercée jusqu'en 2009 par Alain Juillet, précédemment directeur du renseignement au sein de la direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE). Si, sous son impulsion et en raison de sa personnalité et de son expérience professionnelle passée une plus grande importance a pu être accordée à l'intelligence économique, le rattachement insuffisant au Premier ministre a pu constituer un frein à son action, tout comme le manque de culture d'intelligence économique ainsi qu'une certaine méfiance des entreprises vis-à-vis d'un État interventionniste dans le milieu des affaires.

Par ailleurs, a existé en parallèle et jusqu'en 2016 un service de coordination à l'intelligence économique (SCIE), rattaché au Secrétariat général des ministères économiques et financiers (MEF).

À partir de 2009 et toujours en parallèle de l'existence du SCIE, une délégation interministérielle à l'intelligence économique (D2IE) a été mise en place, avec trois délégués interministériels successifs :

- de 2009 à 2013, Olivier Buquen a été délégué interministériel à l'intelligence économique, avec un rattachement auprès du secrétaire général du ministère chargé de l'économie37(*) ;

- de 2013 à 2015, Claude Revel a été déléguée interministérielle à l'intelligence économique, avec un rattachement auprès du Premier ministre ;

- de 2015 à 2016, Jean-Baptiste Carpentier a été délégué interministériel à l'intelligence économique, jusqu'à la disparition de la D2IE.

L'année 2013 et la nomination de Mme Claude Revel ont marqué un tournant dans l'organisation administrative de l'intelligence économique en France dans la mesure où une véritable structure interministérielle rattachée aux services du Premier ministre a été mise en place, après plusieurs années de pilotage assuré soit par le SGDN, soit par les MEF.

Selon le décret du 22 août 201338(*) relatif au délégué interministériel à l'intelligence économique, ce-dernier rend directement compte de son action au Premier ministre, travaille en lien direct avec les ministères concernés et le SGDN, et assure les principales missions suivantes :

- élaboration de la politique publique d'intelligence économique ;

- présidence du comité de pilotage interministériel ;

- animation d'un réseau de correspondants territoriaux et de correspondants diplomatiques ;

- information des autorités sur les évolutions économiques, scientifiques, industrielles et commerciales ;

- identification des risques et des menaces susceptibles d'affecter les organismes et les entreprises stratégiques ;

- organisation d'actions de formation, de communication et de sensibilisation à l'intelligence économique.

Les auditions menées dans le cadre de cette mission d'information ont toutefois mis en évidence les difficultés de cette délégation interministérielle à mener une véritable politique d'intelligence économique et à rendre directement compte auprès du Premier ministre, souffrant certainement du manque d'impulsion politique forte sur le sujet.

Les hésitations entre la nécessité d'un pilotage interministériel embrassant la pluridisciplinarité de l'intelligence économique ou la nécessité d'un pilotage assuré par les MEF ont perduré jusqu'à la mise en place, en 2016, d'une nouvelle structure dédiée à la sécurité économique.

2. Depuis 2016, un commissaire et un service à l'information stratégique et à la sécurité économique ont été créés sous l'égide des ministères économiques et financiers

En 2016, en raison des difficultés de coordination et des hésitations persistantes liées au positionnement de l'intelligence économique au sein de l'appareil d'État, il a été décidé de fusionner le SCIE et la D2IE afin de créer un commissariat à l'information stratégique et à la sécurité économique (CISSE) ainsi qu'un service dédié à l'information stratégique et à la sécurité économique (SISSE).

Aujourd'hui, le directeur général des entreprises, M. Courbe, est également commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, tandis que le SISSE est également rattaché à la direction générale des entreprises (DGE) au sein des MEF.

Le décret du 29 janvier 2016 précise ainsi les missions du CISSE, dont le principal travail consiste à élaborer, en lien avec les ministères concernés et le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), « la politique publique en matière de protection et de promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation »39(*). Le CISSE, toujours en vigueur aujourd'hui, a ainsi pour mission de contribuer à l'élaboration des politiques publiques relatives :

- à la protection et la promotion du patrimoine matériel et immatériel de l'économie française ;

- aux standards de conformité s'appliquant aux entreprises en matière de relations financières avec l'étranger, de lutte contre les fraudes aux entreprises et contre la corruption et de responsabilité sociale et environnementale ;

- à la défense de la souveraineté numérique ;

- aux stratégies conduites en matière de normalisation.

Pour appuyer l'action du CISSE, le SISSE assure les missions suivantes, dans un souci de protéger les actifs stratégiques de la France face aux menaces étrangères :

- identifier les secteurs, les technologies et les entreprises relevant des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation et de centraliser les informations stratégiques les concernant ;

- concourir à l'élaboration de la position du Gouvernement en matière d'investissements étrangers ;

- informer les autorités de l'État sur les personnes, entreprises et organismes présentant un intérêt ou représentant une menace ;

- veiller à l'application des dispositions de la loi du 26 juillet 1968, dite « loi de blocage », relative à la communication de documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères40(*).

En complément des actions mises en oeuvre à l'échelle nationale, le SISSE s'est doté d'un réseau territorial réunissant des délégués rattachés aux directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets), placées sous l'autorité des préfets de région.

Les auditions menées par la mission d'information ont mis en évidence un sentiment partagé de satisfaction quant aux actions menées par le SISSE aujourd'hui. Toutefois, les rapporteurs constatent que l'entrée en vigueur du décret du 29 janvier 2016 et la création du SISSE marquent le déclin de l'utilisation des termes « intelligence économique », traduisant la volonté de mettre en oeuvre une nouvelle politique publique désormais essentiellement axée sur la sécurité économique.

B. AUJOURD'HUI, LA FRANCE EST ESSENTIELLEMENT DOTÉE D'UNE POLITIQUE DE SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE

1. Depuis 2018, la structuration d'une gouvernance de la politique publique de sécurité économique

La mission d'information souligne les efforts de structuration de l'État et de l'administration en matière de sécurité économique, avec la mise en oeuvre d'une nouvelle gouvernance et de plusieurs instances de concertation, de dialogue et d'échanges qui recueillent la satisfaction des acteurs auditionnés.

Premièrement, au niveau des administrations centrales, un comité de liaison pour la sécurité économique (COLISE) a été mis en place41(*). Présidée par le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), le CISSE assurant le secrétariat du COLISE, ce comité a pour mission de préparer l'instruction des décisions du Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN), instauré par le président de la République, en matière de sécurité économique. Ce comité effectue également un travail important de coordination interministérielle entre les neufs ministères concernés42(*) sur les sujets liés à la politique publique de sécurité économique.

En 2021, l'organisation du COLISE a été modifiée, avec un « format plénier » réunissant une fois par semestre les directeurs de cabinet concernés, et un « format restreint », réunissant plus régulièrement les conseillers ministériels dont les attributions concernent des cas particuliers de sécurité économique.

L'action et les décisions du CORIE s'appuient sur le référentiel unifié de sécurité économique, élaboré par le SISSE, et qui comprend trois listes classifiées :

une liste de 791 entités à protéger en priorité ;

une liste de 364 technologies critiques ;

et une liste de 328 unités de recherche à protéger.

Deuxièmement, au niveau des services de renseignement, un comité d'orientation du renseignement d'intérêt économique (CORIE) a été mis en place. Ce comité est co-présidé par le CISSE et le conseiller aux affaires économiques et financières auprès du coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT). Se réunissant trimestriellement, ce comité vise à faciliter les relations entre les administrations à compétence économique et la communauté du renseignement de l'État, puisque les six services spécialisés de renseignement y sont représentés43(*).

L'action du CORIE s'inscrit ainsi dans la continuité de la stratégie nationale du renseignement (SNR) et du plan national d'orientation du renseignement (PNOR), qui comportent un volet dédié au renseignement économique. Le renseignement économique constituait l'une des priorités du président de la République en matière de renseignement, ce qui s'est par exemple traduit par la création d'une direction du renseignement économique au sein de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

Par ailleurs, la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement a autorisé les services spécialisés de renseignement à recueillir des renseignements relatifs aux intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France.

Source : Direction générale des entreprises

2. La priorité accordée à la sécurité et au renseignement économiques explique en partie l'absence de culture et de pratiques offensives de l'intelligence économique

Les rapporteurs saluent les efforts de structuration de l'État en matière de sécurité et de renseignement économiques ainsi que la mise en place de nouvelles structures de concertation et de décision qui satisfont les principaux acteurs auditionnés. Cette nouvelle gouvernance est nécessaire afin de nous permettre de sortir d'une forme de « naïveté française » en matière de renseignement économique et de permettre aux services spécialisés, aux administrations et aux dirigeants politiques de monter en compétences sur ce sujet.

Toutefois, les rapporteurs rappellent que la sécurité économique, dont le renseignement économique est une composante, n'est pas similaire à l'intelligence économique. En effet, les activités de sécurité économique excluent notamment les activités de veille et d'influence qui sont pourtant des composantes essentielles des activités d'intelligence économique.

Autrement dit, la mise en place d'une politique publique de sécurité économique traduit une vision essentiellement défensive de l'intelligence économique, alors que les rapporteurs, ainsi que la très grande majorité des personnes auditionnées, estiment que la France devrait se doter d'une politique plus offensive en la matière.

S'il y a bien des services administratifs qui ont indiqué aux membres de la mission d'information mener des actions offensives en matière d'intelligence économique, les rapporteurs estiment que ces actions demeurent insuffisantes et mériteraient d'être élargies à davantage de territoires et d'opérateurs économiques, et non seulement aux grandes entreprises pour l'obtention de « grands contrats » sur des marchés étrangers.

C. L'ÉLABORATION D'UNE POLITIQUE PUBLIQUE ÉLARGIE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE NÉCESSITE LA CRÉATION D'UNE STRUCTURE INTERMINISTÉRIELLE PÉRENNE

1. Les différentes tentatives de structuration de la politique d'intelligence économique ont souffert d'un manque de soutien politique et de stabilité

À la suite des auditions menées par la mission d'information, notamment auprès d'anciens responsables politiques et administratifs chargés de l'élaboration et de la mise en oeuvre d'actions d'intelligence économique en France, les rapporteurs établissent plusieurs constats.

Premièrement, s'il n'y a pas consensus sur le modèle d'organisation administrative qui serait le plus adéquat, il y a une reconnaissance collective que les enjeux d'intelligence économique ont été insuffisamment pris en compte en raison de l'absence d'une structure pérenne.

Ainsi, plusieurs modalités d'organisation ont été mises en place, tentées et essayées, sans que la politique publique d'intelligence économique ne parvienne à se stabiliser ou à trouver une organisation pérenne au sein de l'État. Entre 2003 et 2016, Alain Juillet, Olivier Buquen, Claude Revel et Jean-Baptiste Carpentier n'ont ni piloté la même structure, ni reçu la même feuille de route, ni bénéficié de la même organisation administrative, ni été placés sous la même autorité !

Depuis la création du CCSE en 1995, les multiples changements successifs de dénomination et de forme administrative des entités portant l'intelligence économique au niveau central illustrent la difficulté du concept à trouver un positionnement adéquat et pérenne au sein de l'appareil d'État.

La multiplication des structures, la coexistence d'entités dédiées à l'intelligence économique - et le manque de cohérence et de communication qui peut en découler - n'ont pas permis de stabiliser une politique publique d'intelligence économique efficace.

Deuxièmement, les rapporteurs considèrent également qu'il n'y pas eu un portage politique suffisamment continu pour permettre à l'intelligence économique de devenir une véritable politique publique. Ainsi, les difficultés à échanger avec les plus hautes autorités politiques du pays sur des sujets et des cas particuliers d'intelligence économique, ainsi que le manque de partage d'informations stratégiques, ont pu fortement compliquer le rôle des responsables et délégués successifs à l'intelligence économique.

2. L'instauration d'un secrétariat général à l'intelligence économique

Afin de pallier les difficultés exposées lors des auditions et de permettre à l'intelligence économique d'être considérée comme une véritable politique publique, les rapporteurs estiment indispensable de créer une structure pérenne, dont l'existence serait garantie au niveau législatif et les modalités d'organisation précisées par voie réglementaire. Il s'agit d'éviter les « effets d'annonce médiatique » et d'assurer la continuité de la prise en compte des enjeux d'intelligence économique même si l'importance qui peut y être accordée varie selon les Gouvernements successifs.

Sans vouloir remettre en cause la gouvernance existante en matière de sécurité et de renseignement économiques, l'existence d'une structure pérenne, interministérielle, pluridisciplinaire et dédiée à l'intelligence économique est aujourd'hui nécessaire.

Les rapporteurs recommandent la création d'un Secrétariat général à l'intelligence économique (SGIE) dont le Secrétaire général aurait une « double casquette politique et administrative », sur le modèle du Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE). Ainsi, le Secrétaire général devrait également être Conseiller du Premier ministre sur les questions d'intelligence économique et bénéficier d'une voie de communication directe auprès du cabinet du président de la République afin d'être en mesure d'informer, d'alerter et de réagir rapidement aux cas qui se présenteraient à lui.

Les rapporteurs estiment indispensable que ce SGIE bénéficie de sa propre équipe, pluridisciplinaire, afin d'embrasser toutes les dimensions de l'intelligence économique.

Afin de faciliter son travail de coordination interministériel, le SGIE pourrait s'appuyer sur un réseau de correspondants ministériels à l'intelligence économique, qui devraient être les mêmes que les correspondants ministériels à la normalisation.

Enfin, tirant les leçons des expériences passées, les rapporteurs considèrent qu'un lien direct devrait exister entre le SGIE et les MEF. C'est pourquoi ils recommandent également que le chef du SISSE à la DGE soit également adjoint au SGIE.

Recommandation n° 10 : Donner une mission de pilotage de la stratégie nationale d'intelligence économique à un Secrétariat général à l'intelligence économique (SGIE) dont la pérennité serait garantie par son inscription au sein de la loi. Ce SGIE devrait présenter les caractéristiques suivantes :

- être doté d'une équipe pluridisciplinaire dédiée ;

- être dirigé par un Secrétaire général qui soit également Conseiller du Premier ministre sur les questions d'intelligence économique, sur le modèle du Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE)44(*) ;

- disposer d'un adjoint au SGIE qui soit le chef du service de l'information stratégique et de la sécurité économique (SISSE) afin d'assurer une bonne coordination avec la politique de sécurité économique pilotée par les ministères économiques et financiers (MEF) ;

- disposer de relais au sein de chaque ministère avec des correspondants ministériels à l'intelligence économique et à la normalisation.

IV. AXE 3 (TERRITOIRES) - RENFORCER LA DIFFUSION DE LA CULTURE ET DES PRATIQUES DE L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE DANS LES TERRITOIRES

A. RENFORCER LA DÉCLINAISON DE LA POLITIQUE PUBLIQUE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE AU SEIN DES TERRITOIRES

1. Une gouvernance territoriale de la politique publique de sécurité économique en cours de précision depuis plusieurs années

Selon la gouvernance établie par le décret du 20 mars 201945(*), c'est le préfet de région, appuyé de son secrétariat général aux affaires régionales (SGAR), qui est chargé de l'animation et de la mise en oeuvre au niveau territorial de la politique publique de sécurité économique (PPSE). Sous son autorité, des délégués régionaux à l'information stratégique et à la sécurité économiques (DISSE) appartenant à un réseau animé par le SISSE sont chargés de coordonner la mise en oeuvre de la PPSE.

Dans une feuille de route méthodologique de mai 202146(*), le ministère de l'Intérieur préconise de renforcer l'animation territoriale de la PPSE via une gouvernance simplifiée et opérationnelle. Elle prévoit ainsi que le préfet de département désigne un référent départemental à la sécurité économique ayant pour mission d'identifier les enjeux stratégiques locaux, de signaler toute menace ou vulnérabilité à la DISSE ou au SGAR et de sensibiliser le grand public et les acteurs économiques à la sécurité économique. En pratique, ces référents sont la plupart du temps sous-préfets ou directeurs de cabinet du préfet.

Avec l'appui des DISSE, les référents départementaux à la sécurité économique sont en outre chargés de l'organisation et de l'animation des comités départementaux de sécurité économique (CDSE) qui réunissent une à deux fois par an les services de renseignement et les autres services chargés d'une mission de sécurité économique. Les réunions, opérationnelles, permettent un suivi au plus près des entités sensibles du département pour identifier les alertes, coordonner la politique départementale de sécurité économique, identifier de nouvelles entités stratégiques, planifier les actions de sensibilisation et amorcer d'éventuelles actions de remédiation.

Au niveau régional, un Comité régional de sécurité économique (CRSE) se réunit une fois par an sous la présidence du préfet de région pour rassembler les services de l'État chargés de la sécurité économique (référents départementaux des préfectures, services de renseignement, gendarmerie, DISSE, ANSSI) et ceux impliqués dans sa mise en oeuvre (services économiques de l'État en région : DRAAF, DRARI, DREAL, DRFiP, DRDDI, DREETS, ARS) afin d'animer un réseau de détection d'alertes sur les entreprises et laboratoires de la région.

Schéma simplifié de la gouvernance territoriale de la PPSE

Source : commission des affaires économiques du Sénat

2. Affiner la déclinaison territoriale de cette politique via une présence renforcée des services compétents de l'État

Sous l'autorité du préfet de région, de nombreux services de l'État contribuent à la mise en oeuvre de cette PPSE sur plusieurs volets sectoriels.

Ainsi, dans chaque département, les DISSE établissent et tiennent à jour une liste d'entités stratégiques, constituée des entreprises mais aussi des laboratoires et des écosystèmes de recherche et d'innovation. Cette liste est plus large que la liste des entreprises et des unités de recherche à protéger en priorité tenue par le SISSE au niveau national : elle intègre des entités détectées comme ayant un caractère stratégique significatif par les acteurs locaux de la sécurité économique en raison de leur maîtrise d'un savoir-faire ou d'une technologie clé, de leur place dans la chaîne de sous-traitance d'une filière stratégique, de leur potentiel de croissance ou de leur niveau d'innovation.

Triplement rattachés au SGAR, à la DREETS et au SISSE, les DISSE accomplissent donc un travail précieux d'identification et de transmission d'informations. Pourtant, les rapporteurs regrettent que les DISSE sont peu nombreux, ce qui ne permet pas de couvrir toute la diversité et la complexité des territoires : pour une région comme la Bourgogne-Franche-Comté, on ne compte que 2 DISSE pour un total de 23 à l'échelle nationale.

Par ailleurs, d'autres services de l'État n'étant pas spécifiquement compétents en matière de sécurité économique contribuent à la mise en place de cette PPSE. La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) suit, sensibilise et conseille les entreprises et les instituts de formation et de recherche aux risques d'ingérences étrangères, souvent via une ou deux antennes territoriales à l'échelle d'un département. Autre service de renseignement, la Direction du renseignement de la sécurité de la défense (DRSD), compétente pour la contre-ingérence dans le domaine de la défense, mobilise des équipes en région pour remonter les alertes sur des entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Le service central de renseignement territorial (SCRT) rattaché à la police nationale, accomplit lui aussi des missions relatives à la sécurité économique en rencontrant des dirigeants d'entreprises, responsables syndicats et salariés et en remontant des informations et des alertes sociales sur d'éventuels phénomènes de déstabilisation d'un bassin d'emploi.

L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) dispose aussi de délégués en région depuis 2015. Au nombre de 17 en métropole et outre-mer, ils contribuent à la prévention des incidents et à la sensibilisation des acteurs locaux publics et privés aux bonnes pratiques de sécurité informatique.

Au sein de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), les sections de sécurité économique et de protection des entreprises (SECOPE) - 281 militaires mobilisés au 1er avril 2023 - accomplissent à l'échelon régional une importante mission de sensibilisation des entreprises du tissu économique local et plus particulièrement des TPE-PME, pour lesquelles la visite du SECOPE est souvent la première rencontre avec la notion de sécurité économique. En 2022 :

971 visites de sensibilisation d'entreprises aux menaces contre les intérêts économiques et industriels de la Nation ont été menées ;

212 conférences locales de sensibilisation d'entreprises ainsi que 6 conférences nationales ont été organisées.

Ces visites de sensibilisation et d'échange sont dans leur immense majorité très bien accueillies par les dirigeants qui n'ont que très peu d'informations en la matière et relaient de nombreuses inquiétudes face auxquelles ils se sentent généralement démunis. L'action des SECOPE touche jusqu'aux plus petites entreprises - l'une pouvant être sensibilisée parce qu'elle est stratégique à l'échelle d'un bassin d'emploi, l'autre parce qu'elle fournit un grand groupe avec un produit essentiel pour la chaîne de valeur. L'action des SECOPE est donc essentielle à la fois pour remonter des cas d'alerte, identifier de nouvelles entreprises potentiellement sensibles, instituer des réflexes défensifs et plus largement, contribuer à la diffusion d'une culture de la sécurité économique.

Recommandation n° 11 : former des correspondants « intelligence économique » au niveau des compagnies de gendarmerie (arrondissements) pour démultiplier les capteurs et les habiliter à conduire des visites de sensibilisation afin de toucher les PME-TPE au plus près des territoires.

Enfin, l'instauration sur certains territoires de référents en sécurité économique au sein de directions régionales comme les directions régionales des douanes et droits indirects (DRDDI), des finances publiques (DRFiP) ou encore du SCRT montre qu'ils permettent de fluidifier encore davantage les échanges d'informations en étant, au sein de leur administration, les interlocuteurs privilégiés des DISSE et des autres administrations chargées de la PPSE. À ce titre, la désignation de référents en sécurité économique devrait être systématisée dans toutes les administrations déconcentrées chargées de missions économiques et financières.

Dans tous les cas, la bonne déclinaison territoriale d'une stratégie nationale d'intelligence économique doit reposer sur des moyens humains et financier suffisants, permettant aux agents de l'État de mener convenablement leurs missions, d'autant plus lorsque l'intelligence économique s'ajoute aux missions normalement confiées à ces administrations.

Les rapporteurs ont ainsi pu constater, lors de leurs auditions, une insuffisante mobilisation des préfectures en matière d'intelligence économique, même si le constat varie selon les régions et les départements. C'est pourquoi ils souhaitent revaloriser l'échelon préfectoral comme levier stratégique de mise en oeuvre de la stratégie nationale d'intelligence économique (SNIE).

Recommandation n° 12 : constituer un réseau de sous-préfets référents à l'intelligence économique désignés par les préfets de département et de référents à l'intelligence économique au sein de chaque administration déconcentrée de l'État chargée d'une mission économique ou financière.

Enfin, les rapporteurs rappellent que si la région demeure le chef de file en matière de développement économique, l'échelon départemental est incontournable en matière d'intelligence économique pour assurer un suivi au plus proche du tissu économique local.

B. CONSACRER LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES EN TANT QUE RELAIS DE L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE

1. Associer plus étroitement les collectivités à la mise en oeuvre de la politique publique d'intelligence économique

La déclinaison d'une stratégie nationale d'intelligence économique (SNIE) au niveau territorial repose sur la diffusion effective d'une culture de l'intelligence économique grâce à une coopération entre services de l'État et collectivités, et en particulier les régions, chefs de file en matière économique.

Associer plus étroitement les collectivités à la politique d'intelligence économique permettrait en effet de réconcilier la politique de sécurité économique actuellement mise en oeuvre sous l'autorité du préfet de région et le développement économique relevant de la compétence du conseil régional, pour développer une véritable démarche d'intelligence économique aux volets défensif et offensif.

Ce besoin d'association des collectivités a déjà été exprimé dans le cadre de la mise en oeuvre de l'actuelle PSE : en 2019, une circulaire du Premier ministre47(*) rappelait aux préfets de région la nécessité d'associer les conseils régionaux aux travaux visant à renforcer la sécurité économique dans les territoires. En pratique, cette association s'est matérialisée par la charte partenariale État-Région sur l'intelligence économique territoriale et la sécurité économique signée le 18 décembre 2019 qui préconisait, au titre de ses modalités de mise en oeuvre, la tenue « au moins une fois par an d'un comité stratégique régional rassemblant les représentants des services de l'État, des collectivités, des opérateurs économiques, de la recherche et des entreprises ». Dans certaines régions, ce comité a pu prendre la forme d'un comité stratégique d'intelligence économique territoriale (CRIET) coprésidé par le préfet de région et le président du conseil régional rassemblant tous les acteurs régionaux de l'intelligence économique : services de renseignement, DISSE, délégués régionaux de l'ANSSI, conseil régional, chambres de commerce et d'industrie, pôles de compétitivités, universités, etc.

Or, lors de leurs auditions, les rapporteurs ont pu constater que ces comités ne sont pas mis en place dans toutes les collectivités et ne se réunissent pas annuellement. En région Normandie par exemple, pourtant une région dont la démarche d'intelligence économique est très avancée, ce CRIET créé en 2017 ne s'est pas réuni depuis 2020. Les CRIET annuels ne remplacent pas non plus la coopération au quotidien : aujourd'hui, les collectivités ne participent pas aux comités départementaux de sécurité économique animés par le DISSE et le référent départemental à la sécurité économique. Elles sont donc limitées dans le suivi opérationnel des entités sensibles de leur territoire. Pour y remédier, certains territoires ont mis en place des instances ad hoc où la région et les services de l'État coopèrent : en Bourgogne-Franche-Comté, l'Agence économique régionale (AER) et les services de l'État ont des échanges réguliers au sein d'une Cellule de veille et d'alerte qui se réunit tous les 2 mois pour partager l'actualité des entreprises stratégiques de la région et les risques liés à certains investisseurs étrangers.

D'autres avancées témoignent de la prise de conscience croissante de la nécessaire coopération de l'État et des régions en matière de sécurité économique. La charte partenariale conclue en mars 2021 entre l'État et Régions de France prévoit ainsi :

- la circulation de l'information entre l'État et les régions via l'élaboration conjointe d'un dispositif actif d'alerte et de veille permettant la circulation de l'information entre préfets de région et collectivités ;

- la formation et le développement d'une culture commune via des actions conjointes de sensibilisation et de formation à destination des agents territoriaux concernés, l'organisation conjointe de rencontres pour les acteurs économiques et la conduite de « toute réflexion permettant l'émergence et la consolidation d'une culture commune de l'intelligence économique territoriale et en particulier de la sécurité économique et le développement d'outils partagés » - par exemple, des dispositifs d'échanges sécurisés d'information, des grilles d'analyse ou un référentiel commun en matière de confidentialité ;

- l'analyse et la prospective via la diffusion des notes, synthèses, analyses et diagnostics ;

- l'organisation et la mise en oeuvre d'un dialogue permanent. D'une part, au niveau central, il est prévu la tenue d'une rencontre annuelle entre représentants des Ministères concernés et des Régions. D'autre part, au niveau territorial, les préfets de région et les présidents de conseils régionaux coprésideront au moins une fois par an un comité stratégique régional rassemblant les représentants des services de l'État, des collectivités, des opérateurs économiques, de la recherche et des entreprises - comme déjà préconisé en 2019.

Recommandation n 13 : afin de renforcer la coopération État-régions au service de la SNIE, systématiser la création dans chaque région d'un comité régional à l'intelligence économique (CRIE) qui pourrait avoir deux formations :

- une formation « plénière », qui serait coprésidée par les préfets de région et les présidents de conseils régionaux. Elle serait réunie au moins une fois par an et accueillerait tous les acteurs de l'intelligence économique ;

- une formation « restreinte », dédiée à la sécurité économique, qui associerait le conseil régional et se réunirait plus fréquemment sur des sujets opérationnels, notamment les menaces pesant sur les entreprises du territoire.

Ce CRIE assurerait le pilotage de la déclinaison territoriale de la politique publique d'intelligence économique (PPIE) et rassemblerait les représentants des services de l'État, des collectivités, des opérateurs économiques, de la recherche et des entreprises.

2. Renforcer la mobilisation et la sensibilisation, aujourd'hui contrastées, des collectivités territoriales en matière d'intelligence économique

Si la prise en compte des enjeux d'intelligence économique par les régions est croissante, en lien avec la consécration par la loi dite « NOTRe » de 201548(*) du rôle de la région comme chef de file en matière de développement économique, cette prise en compte demeure fortement contrastée selon les régions considérées.

Certaines régions, à l'instar de l'Île-de-France, de la Bourgogne-Franche-Comté ou de la région Normandie sont, compte tenu de leur tissu économique et de leur géographie, historiquement très mobilisées sur les enjeux d'intelligence économique. Au sein de ces collectivités ont donc été mises en oeuvre un certain nombre de bonnes pratiques qui gagneraient à être partagées avec d'autres collectivités.

La Bourgogne-France-Comté dispose d'une industrie très implantée. En sus de ses comités régionaux et départementaux à la sécurité économique, elle réunit annuellement son CRIET associant le conseil régional et a mis en place un réseau d'experts de la veille depuis 2018 : une vingtaine d'acteurs (pôles de compétitivité, représentants des filières et des entreprises, etc.) échangent des bonnes pratiques en matière de veille, et éventuellement mutualisent des outils. L'Agence Économique Régionale dispose par ailleurs d'un service « Intelligence économique et territoriale » qui produit régulièrement des enquêtes et peut réaliser des études au service de ses actionnaires, à savoir la Région et ses intercommunalités.

La région Normandie se distingue quant à elle par une forte concentration en sites industriels de grands groupes comme Renault, Stellantis, Orano, Thalès, Safran, Danone, Naval ou encore Sanofi. Le secteur industriel représente ainsi 20 % de la valeur ajoutée régionale tandis que 36 % du PIB régional est consacré à l'exportation et que 86 sites sont classés SEVESO.

En 2016, la Normandie a été retenue en tant que «  région pilote de l'Intelligence Économique Territoriale » aux côtés des régions Grand Est, Nouvelle-Aquitaine et PACA. C'est aussi en 2016 qu'a été créée une mission Stratégie et prospective en intelligence économique (SPIE) rattachée au directeur général adjoint « Économie » dont l'objectif est d'intégrer de manière opérationnelle et transversale l'intelligence économique dans tous les sujets traités. Cette mission réalise des notes d'alerte sur des sujets émergents, des notes d'analyse et un bulletin de veille hebdomadaire. Le dispositif d'intelligence économique de la région Normandie repose aussi sur une dimension plus proactive de développement économique portée par l'Agence de développement pour la Normandie qui soutient l'implantation d'entreprises nouvelles en accompagnant les programmes investissements et la création emploi. Une « team France export » a aussi été mise en place suite à une convention de partenariat avec Business France. En 2019 et 2020, la Région a organisé les « rencontres régionales de l'intelligence économique » pour les entreprises normandes.

La Normandie, un territoire pionnier de l'intelligence économique

À partir de la publication du rapport Martre en 1994, l'intelligence économique s'est rapidement déclinée à l'échelle de la région Normandie, notamment sous l'impulsion du préfet du Calvados Rémy Pautrat entre 1996 et 1998. La région Normandie a accueilli les premières assises de l'intelligence économique en 1997, donnant lieu au premier schéma d'intelligence économique État-région.

L'ex-région Basse-Normandie a ainsi mis en place ses premiers Schémas régionaux d'intelligence économique à partir de 2000.

À l'échelle de la région Normandie, le premier comité stratégique d'intelligence économique territoriale, copiloté par l'État et la région a eu lieu en 2017. Il a été suivi de comités opérationnels en 2017 et en 2018, aboutissant à une cartographie des formations, des ressources et des moyens en intelligence économique mobilisables dans la région.

Outre l'association aux travaux des préfectures en matière d'intelligence économique (cf. ci-dessus), l'élaboration d'une stratégie propre d'intelligence économique au niveau des régions est la clé pour favoriser l'appropriation de ces sujets. À cette fin, les « schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) », introduits par la loi NOTRe et qui fixent les grandes orientations de la région en matière économique, sont un support pertinent : ils doivent en effet inclure des informations sur la politique d'aide aux entreprises, de soutien à l'innovation et d'internationalisation. Un volet « intelligence économique » peut ainsi aisément s'insérer au sein de ces SRDEII en soutien à ces trois sujets.

Or, les travaux de la mission d'information ont mis en évidence que parmi les régions métropolitaines ayant publié leur SRDEII 2022-2028, seules 5 régions présentent une démarche d'intelligence économique au sein de leur SRDEII. 3 régions mentionnent l'intelligence économique sans pour autant l'intégrer dans une démarche ou stratégie dédiée. Une région mentionne la sécurité économique comme enjeu clé pour accompagner le développement économique territorial.

Quelques exemples d'intégration de l'intelligence économique
au sein des SRDEII

Le SRDEII 2022-2028 de la région Normandie se structure autour de 8 piliers de développement économique, dont le 7ème est l'intelligence économique. Un volet du SRDEII entend donc « intensifier la dynamique régionale d'Intelligence économique et de Maîtrise des risques » en créant le comité régional à l'information stratégique et à la sécurité économiques copiloté par la Région et par l'État (annoncé par la charte partenariat entre Régions de France et l'État en 2021), en élaborant une feuille de route de l'intelligence économique territoriale, en massifiant les actions de veille, de benchmark et d'influence, en mettant en place une offre de services d'intelligence économique stratégique pour accompagner les prises de décisions des acteurs de la gouvernance économique régionale et enfin, en intégrant la brique intelligence économique dans les programmes d'actions des pôles de compétitivité et filières ainsi que dans les parcours des accélérateurs.

En Île-de-France, le SRDEII 2022-2028, dénommé « Impact 2022-2028 » mentionne lui aussi au sein de son Axe 1 « Défendre notre souveraineté industrielle, numérique et alimentaire » la création d'un comité régional à l'information stratégique et à la sécurité économiques copiloté par l'État et la région pour permettre des échanges sur l'intelligence économique et la sécurité économique. Ce comité permettra de « centraliser l'information sur les entreprises menacées par les prises de contrôle opportunistes et informer et sensibiliser ces dernières aux risques d'ouverture de leur capital ». Il serait coprésidé par le préfet de région et la Présidente du conseil régional. Le plan prévoit aussi la mise en place d'un suivi des entreprises stratégiques pour protéger les savoir-faire et le patrimoine immatériel de la région.

Recommandation n° 14 : introduire un volet « intelligence économique » dans tous les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII).

C. RENFORCER LA MOBILISATION DES AUTRES ACTEURS ÉCONOMIQUES LOCAUX

L'intelligence économique étant affaire de réseau, les services de l'État et les collectivités doivent travailler main dans la main avec les acteurs économiques locaux - organes consulaires ou pôles de compétitivité notamment - au service d'une culture partagée de l'intelligence économique.

À l'heure actuelle, le réseau des chambres de commerce et d'industrie (CCI) ne dispose pas d'une stratégie d'intelligence économique. Pourtant, l'implication des réseaux consulaires entre 1996 et 1998 en région Normandie avait permis l'appropriation des pratiques et des principes d'intelligence économique au sein du territoire à la suite de la publication du rapport Martre en 1994.

Le contrat d'objectifs et de performance signé entre le réseau des chambres de commerce et d'industrie (CCI France) et l'État en avril 2023 pour la période 2023-2027 prévoit plusieurs actions au titre de la sécurité économique dans les territoires, sans pour autant faire ni de l'intelligence économique ni de la sécurité économique un véritable volet. Ces actions concernent la désignation de référents en région, la participation des CCI aux rencontres organisées par l'ANSSI en région et la participation au dispositif d'alerte en cybersécurité.

Outre les CCI, d'autres acteurs économiques locaux participent à la mise en oeuvre d'une stratégie d'intelligence économique, à l'instar des pôles de compétitivités et des sociétés d'accélération et de transfert de technologie (SATT) qui exercent des missions importantes de valorisation de la recherche.

Les SATT sont créées par plusieurs établissements publics, notamment des universités ou des laboratoires de recherche, en vue de transformer les inventions issues de la recherche publique en innovations au sein des entreprises. Il existe 13 SATT en France, qui agissent comme guichets uniques de valorisation et de compétitivité pour un territoire. En 2021, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche avait annoncé la désignation d'un référent de sécurité économique habilité au secret de la défense nationale par le président de chaque société d'accélération du transfert de technologies (SATT). Ce réseau de référents est animé par les DISSE et les DRARI au niveau régional.

Les pôles de compétitivité, qui regroupent sur un territoire des entreprises, des laboratoires de recherche et des établissements de formation, représentent une autre catégorie d'acteurs essentiels pour la recherche, notamment appliquée. Les pôles soutiennent la recherche collaborative en accompagnant les projets d'innovation. Ils remplissent donc une mission importante de promotion et conseil en intelligence économique auprès de jeunes entreprises innovantes, avec des pratiques dont l'hétérogénéité a toutefois été soulignée par le rapport de Claude Revel en 2013. Bien que le cahier des charges 2023-2026 pour la labellisation de pôles de compétitivité mentionne la « prise en compte des enjeux de protection du potentiel scientifique et technique, notamment en termes de sécurité économique et de protection des informations les plus sensibles », l'incitation de l'État à renforcer les activités d'intelligence économique de ces pôles pourrait être renforcée - désignation d'un référent en intelligence économique, développement de veilles stratégiques personnalisées suivant les entreprises accompagnées, etc.

Recommandation n° 15 : introduire systématiquement dans les nouveaux contrats d'objectifs et de performance entre l'État et CCI France un volet « intelligence économique » accompagné des moyens adéquats afin d'en faire une priorité du réseau des CCI.

V. AXE 4 (VALORISATION) - FORMER TOUS LES ACTEURS ET CONSOLIDER LA FILIÈRE FRANÇAISE DE L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE

A. UNE VÉRITABLE POLITIQUE DE FORMATION EST INDISPENSABLE AU SUCCÈS DE LA STRATÉGIE NATIONALE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE

1. Une sensibilisation très insuffisante aux problématiques d'intelligence économique

Dès 1994, le rapport Martre identifiait la faible sensibilisation à l'intelligence économique comme un frein à sa diffusion et à la construction d'un système d'intelligence économique performant. L'intelligence économique est en effet rarement détachée d'une compétence « métier » et peine à se diffuser au sein des entreprises et des administrations comme une culture commune.

Aujourd'hui, la formation continue en intelligence économique n'est toujours pas un réflexe pour les dirigeants, secteurs public et privé confondus. L'offre s'est pourtant considérablement développée depuis les débuts de la réflexion sur l'intelligence économique en France en 1994, avec l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) qui organise depuis 1996 des formations spécifiques, l'École de Guerre économique (EGE) créée en 1997 et l'Institut des hautes études du ministère de l'intérieur (IHEMI) qui a succédé en 2020 à l'institut des hautes études de sécurité créé en 2009.

Les formations de l'IHEDN incluent des cycles annuels pour 40 auditeurs, trois fois par an, englobant aussi bien la veille que la conformité, la cybersécurité ou la sécurité économique. Parallèlement, des formations plus courtes et thématiques sont organisées, de même que des sessions en régions. Depuis 2021, la session nationale unique intègre une majeure défense et sécurité économique, particulièrement ciblée pour un public de responsables de haut niveau du public et du privé.

L'EGE propose des cycles de formation continue en management stratégique et intelligence économique, en cybersécurité ou en management des risques ainsi que des programmes certifiants ouverts à tout public.

L'IHEMI dispense des formations en intelligence économique adaptées à différents publics : certaines formations sont destinées aux cadres des administrations, élus, représentants des forces de sécurité, professionnels libéraux, syndicats ou cadres du privé, comme la formation « Protection des entreprises et intelligence économique » tandis que d'autres sont plus généralistes, comme le module en cinq jours « De la veille à l'analyse ». Depuis 2021, il est proposé un module « Référent de sécurité économique »  destiné aux référents sécurité économique des pôles de compétitivité et d'autres structures de valorisation de la recherche et de soutien à l'innovation comme les sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT).

Aujourd'hui, la direction générale des entreprises recense une vingtaine de formations spécialisées en intelligence économique de niveau Masters 1 et 2 en France, dont :

- École de guerre économique - MBA stratégie et intelligence économique ;

- CY Tech - Mastère spécialisé en analyse stratégique et intelligence économique ;

- École européenne d'intelligence économique - Titre de consultant en intelligence économique ;

- Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - École de Management de la Sorbonne - Master 2 Stratégie internationale et intelligence économique ;

- IAE de Poitiers - Master en intelligence économique ;

- Université de Tours - Master Économiste d'entreprise mention Économie des entreprises et des marchés ;

- SKEMA Business School - MSc International Strategy & Influence ;

- Université d'Angers - Master 2 Intelligence économique et stratégies compétitives ;

- Institut de Traducteurs, d'Interprètes et de Relations Internationales de l'Université de Strasbourg - Master 2 intelligence économique et gestion du développement international ;

- Université de Bordeaux - Master Intelligence économique ;

- Université de Cergy - Master Intelligence économique ;

- Institut d'études politiques de Lille, majeure stratégie et intelligence économique.

Tout en soulignant le dynamisme et la croissance de l'offre de formation en intelligence économique, les rapporteurs estiment qu'une massification d'une telle formation est indispensable, au sein des universités comme des grandes écoles, en formation initiale comme en formation continue.

Enfin, l'offre de formation en normalisation, composante de l'intelligence économique, s'est rétractée en France depuis quelques années. Les quelques formations généralistes en normalisation existantes sont peu connues : l'Institut Gustave Eiffel propose par exemple un cycle de formation continue sur la normalisation au service de l'influence et de la performance des organisations. Les besoins en formation spécialisée dans le domaine de la normalisation sont également très importants. Par exemple, la règlementation et les normes en toxicologie impactent fortement l'activité d'entreprises des secteurs pharmaceutiques, cosmétiques, agrochimiques et chimiques. Or, dès 2010, dans le cadre d'une étude réalisée pour le ministère de l'économie49(*), les experts soulignaient le manque de structuration des filières de formation en toxicologie, freinant le développement des compétences et la reconnaissance des métiers qui y sont associés. L'étude souligne l'inquiétude des industriels sur un risque de perte de compétence dans ce domaine face à la réduction de l'expertise française et au retard par rapport à des pays comme la Suisse, le Royaume-Uni et les Pays-Bas.

2. Développer la formation initiale comme continue en intelligence économique afin que tous les responsables économiques disposent du bon niveau de sensibilisation

Au sein de l'État, si les administrations concernées par la mise en oeuvre de la PPSE sont sensibilisées à la sécurité économique - et non à une approche plus globale d'intelligence économique - cette sensibilisation est liée au métier, alors qu'elle devrait être interministérielle et irriguer tous les domaines d'action de l'État.

Plus particulièrement, au sein du réseau international de la direction générale du Trésor, constitué de services économiques dans de nombreux pays du monde, la remontée de l'information stratégique en matière économique devrait faire partie des missions des agents publics. Pourtant, aucune formation n'est spécifiquement dédiée à l'intelligence économique pour les personnes en poste au sein des services économiques.

Au sein des entreprises, la prise en compte de l'intelligence économique est loin d'être systématique : au-delà des entreprises stratégiques et des opérateurs d'intérêt vital (OIV), l'intelligence économique est rarement une grille de lecture pour l'entreprise, plus particulièrement pour les PME-ETI qui peuvent pourtant être la cible d'influences étrangères. Les alertes des équipes locales de la DGGN remontent régulièrement des cas de PME-ETI peu voire pas sensibilisées en dépit de leur caractère structurant pour un territoire, un bassin d'emploi ou une chaîne de valeur stratégique.

Plus largement, les rapporteurs considèrent que la sensibilisation à l'intelligence économique devrait être intégrée à tous les modules de formations généralistes, dans les écoles de la fonction publique50(*), les écoles d'ingénieur, les écoles de commerce ainsi que dans toutes les formations universitaires destinant à la recherche, aux sciences sociales, aux relations internationales et au droit. En 2006, l'introduction d'un module de formation de deux semaines à l'intelligence économique à l'École nationale d'administration (ENA) marquait un progrès, mais a été rendu obligatoire seulement au sein des cycles internationaux, soit ceux destinés aux futurs fonctionnaires étrangers.

Recommandation n° 16 : instaurer un module de formation à l'intelligence économique dans toutes les écoles de la fonction publique, les écoles d'ingénieur et les écoles de commerce ainsi que dans toutes les formations universitaires destinées à la recherche, aux sciences sociales, aux relations internationales et au droit.

Les rapporteurs considèrent également que la sensibilisation des salariés, des employeurs et de leurs syndicats à l'intelligence économique est incontournable au regard des informations stratégiques auxquelles ils peuvent avoir accès.

Recommandation n° 17 : développer la formation continue à l'intelligence économique et sensibiliser également les syndicats de salariés et d'employeurs.

B. LA FILIÈRE FRANÇAISE DE L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE DOIT ÊTRE MIEUX STRUCTURÉE EN ASSOCIANT PLUS ÉTROITEMENT ACTEURS PUBLICS ET PRIVÉS

1. Resserrer les liens entre acteurs publics et privés au service d'une vision plus globale des enjeux d'intelligence économique

La quasi-intégralité des acteurs privés auditionnés, et notamment les cabinets en intelligence économique ont souligné la faible et inégale coopération entre l'État et les entreprises sur les questions d'intelligence économique, indiquant pour certains n'avoir aucun lien avec les administrations publiques compétentes en la matière. De même, tous les rapports publiés sur l'intelligence économique depuis 1994 déplorent la faible coopération entre État et entreprises sur les questions d'intelligence économique.

Ces contacts très lacunaires peuvent s'expliquer, certes par un positionnement historique et culturel défiant à l'égard du monde de l'entreprise et des cabinets de conseil mais aussi par le manque de stratégie claire et de gouvernance pérenne de l'intelligence économique au niveau de l'État depuis 30 ans. Les changements d'interlocuteurs et les alternances politiques introduisent en effet des changements de positionnements de l'administration vis-à-vis des acteurs et des évolutions dans la hiérarchisation des sujets par l'autorité publique, qui pénalisent la continuité et la qualité des échanges.

Pourtant, l'État pourrait bénéficier de l'expertise de certains cabinets spécialistes de l'intelligence économique. Il est surprenant de constater la facilité avec laquelle les administrations ont pu recourir à des prestations de conseil en stratégie pendant plusieurs années sans pour autant, par exemple, que l'Agence des participations de l'État (APE) n'ait jamais fait appel à un cabinet d'intelligence économique français pour l'épauler sur la gestion du portefeuille de l'État actionnaire qui inclut nombre d'activités stratégiques.

Recommandation n° 18 : utiliser les connaissances et compétences de cabinets d'intelligence économique français pour systématiser la recherche d'informations en intelligence économique avant la prise de décision, en particulier par l'Agence des participations de l'État (APE).

Une autre manière de renforcer la coopération entre l'État et les entreprises au niveau de l'intelligence économique est assurément d'intégrer un volet « intelligence économique » aux contrats des comités stratégiques de filières (CSF). Ces CSF associent des représentants de l'État et des collectivités, des fédérations professionnelles représentants l'ensemble de la chaîne de valeur (amont et aval pour une industrie), des syndicats de salariés, des pôles de compétitivités et des organismes de financement des entreprises, le cas échéant spécialisés, à l'instar de l'Ademe. Ce sont des lieux propices à la diffusion transversale de l'intelligence économique. Les CSF recoupent en plus des secteurs stratégiques : infrastructures numériques, agroalimentaire, ferroviaire, industries de santé, nucléaire, automobile, mines et métallurgie, etc, dont la plupart sont d'ailleurs soutenus par l'État dans le cadre du plan France 2030. Intégrer un volet d'intelligence économique aux CSF permettrait donc d'ancrer l'effort des entreprises en matière d'intelligence économique dans une vision stratégique à moyen terme coïncidant avec le cap fixé par une politique publique structurante en matière économique du fait du montant considérable des investissements engagés (54 milliards d'euros).

Recommandation n° 19 : intégrer un volet intelligence économique aux contrats des 19 comités stratégiques de filière (CSF).

Afin de favoriser la diffusion de la culture de l'intelligence économique et le partage d'informations entre secteurs publics et privés, des lieux de rencontres dédiés doivent être créés. Une conférence biannuelle regroupant, à l'échelle nationale, tous les acteurs de l'intelligence économique - collectivités territoriales, chambres de commerce et d'industrie, entreprises, syndicats, administrations et universités - serait l'occasion de présenter les avancements de la SNIE ainsi que de mettre en avant les initiatives et bonnes pratiques des acteurs.

Recommandation n° 20 : créer une conférence biannuelle regroupant tous les acteurs de l'intelligence économique, notamment les collectivités territoriales, les chambres de commerce et d'industrie, les entreprises et leurs représentants, les syndicats, les administrations et les universitaires.

2. Soutenir le développement de la filière française de l'intelligence économique

Outre le développement de la formation, nécessaire à la diffusion d'une culture de l'intelligence économique dans l'environnement administratif comme entrepreneurial, il importe que les entreprises comme les pouvoirs publics puissent compter sur une filière française de l'intelligence économique.

a) Renforcer le soutien à la recherche dédiée à l'intelligence économique

Afin de renforcer la filière de l'intelligence économique à la française, le soutien à la recherche française en la matière doit être résolu. Le nombre de publications académiques sur l'intelligence économique est en effet relativement faible alors que l'intelligence économique concerne au moins six grandes disciplines : le droit (notamment la question des brevets, de la protection des biens et des capitaux), les sciences politiques, les sciences économiques, l'informatique, les sciences de l'information et de la communication et enfin les sciences de la gestion. Cette faiblesse relative peut s'expliquer par plusieurs facteurs :

- peu de débats scientifiquement reconnus habilitent le corpus de l'intelligence économique, qui souffre donc de la coexistence de plusieurs définitions et d'un manque de reconnaissance de la notion ;

- de nombreux travaux peuvent traiter de sujets en lien avec l'intelligence économique sans la nommer expressément : le renseignement économique, la sécurité économique, ou des sujets plus spécifiques comme le management interculturel, l'influence normative ou le contrôle des investissements étrangers.

L'intelligence économique, objet de recherche et sujet stratégique
pour les collectivités

La Région Normandie accueille depuis novembre 2021 un doctorant dans le cadre d'une convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE) : sa thèse, co-encadrée par la région, l'Université de Caen et l'École de management de Normandie dans le cadre du laboratoire NIMEC (Normandie Innovation Marché Entreprise Consommation) porte sur les « Réseaux inter-organisationnels et représentations de l'Intelligence économique ». Selon la Région, au-delà de l'étude et de la connaissance scientifique, l'objectif de cette thèse sera de produire un savoir utile et mobilisable par les décideurs économiques régionaux, au service de leurs projets de développement.

Pour reconnaître l'intelligence économique comme un objet d'études à part entière, un programme de recherche national en intelligence économique devrait être créé, avec des allocations de recherches doctorales dédiées pouvant être déclinées dans les multiples disciplines auxquelles l'intelligence économique fait référence - droit, gestion, sciences politiques, informatique, etc. L'encouragement à la recherche en intelligence économique doit aussi passer par le tissu économique lui-même qui en bénéficiera : les collectivités et les entreprises, notamment les PME et ETI, peuvent avoir recours à des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE) pour confier à un doctorant un sujet de recherche en intelligence économique. Cependant, les collectivités, éligibles au dispositif depuis 2006, sont aujourd'hui peu nombreuses à avoir recours aux CIFRE qui restent en majorité conclus par des entreprises privées.

Afin de ne pas manquer le tournant technologique de l'intelligence économique, ce soutien à la recherche ne doit pas négliger les systèmes d'intelligence artificielle (IA) qui peuvent être mis au service de la collecte, du traitement et de la diffusion de l'information économique.

Recommandation n° 21 : créer un programme de recherche national en intelligence économique avec des allocations de recherches doctorales dédiées.

b) Accompagner le développement de la filière française de la conformité face aux acteurs anglo-saxons

La filière de l'intelligence économique en France est structurée autour de quelques acteurs émergents mais elle reste en retrait face à un écosystème anglo-saxon de la conformité (ou de la compliance) beaucoup plus développé, ce qui est préoccupant à un double égard.

D'une part, les normes à portée extraterritoriale sont de plus en plus nombreuses, faisant de la conformité une préoccupation grandissante pour les entreprises. Dans ce contexte, les audits internes se multiplient au sein des entreprises, pour se prémunir de manquements ou dans le cadre de monitorats post-sanctions du fait de normes extraterritoriales. Lors de ces opérations, les entreprises ont besoin de soutien de la part de cabinets experts : or, le recours à des cabinets anglo-saxons, ayant accès à une très large partie des données de nos entreprises, peut être porteur de risques pour nos entreprises françaises.

D'autres part, les acteurs de la conformité sont aussi des acteurs incontournables de la diffusion d'une culture de l'intelligence économique - à travers l'offre de services et prestations ciblées pour les PME comme les grandes entreprises :

de nombreux cabinets de conseil et d'audit proposent désormais, en sus de leurs activités de « conformité » (compliance), des activités en forensics ou business intelligence qui allient prévention, gestion des risques et remédiation, le tout dans une optique de conformité aux diverses exigences législatives et réglementaires auxquelles sont soumises les entreprises en matière financière ou extra-financière (Loi Sapin II, NRFD, etc.) ;

des cabinets d'avocats accompagnent par ailleurs les mêmes entreprises sur ces mêmes sujets. Si les cabinets anglo-saxons sont les principaux interlocuteurs des multinationales, compte tenu de leur taille et de leur réseau, les directions juridiques des entreprises françaises ont aussi intérêt à recourir à des cabinets français indépendants, notamment pour éviter tout conflit d'intérêts. Ces cabinets de taille moyenne pourraient aussi attirer les ETI et les PME pour qui ils peuvent développer des offres adaptées ;

des agences de notation en matière financière ou extra-financière évaluent la performance des entreprises ou des collectivités afin de fournir une information aux investisseurs. En matière financière, trois entreprises, désormais toutes contrôlées par des entités américaines, dominent le marché avec 91 % des parts de marché : S&P Global Ratings, Moody's et Fitch. Leurs notations, très suivies par les investisseurs internationaux, peuvent ternir la réputation d'un État ou aggraver la situation d'une entreprise. Face à elles, les agences européennes, même si on en compte près d'une trentaine, peinent à s'imposer : un règlement de 201351(*) encourage les émetteurs sollicitant au moins deux agences à recourir à une agence détenant moins de 10 % de parts de marché. Faute de caractère contraignant, le règlement précisant simplement que « lorsque l'émetteur ne fait pas appel à une agence de notation de crédit ne détenant pas une part de marché totale supérieur à 10 %, ce point est documenté », cette disposition n'a pas entamé la domination des agences américaines. Or, selon l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), l'application de ce règlement permettrait de réduire la concentration du marché de 40 % et de soutenir des acteurs européens qui ne sont pas pour l'instant référencés par la Banque centrale européenne : celle-ci ne reconnaît que les notes émises par les trois « Big Three » pour évaluer les contreparties apportées par les banques de la zone euro ;

les organismes de certification français sont quant à eux plutôt bien implantés, avec l'Afnor qui représente la France au sein de plusieurs comités européens et internationaux (cf. supra).

Ces acteurs français doivent être soutenus face à l'hégémonie des acteurs anglo-saxons. Aujourd'hui, la menace normative est particulièrement forte, nos partenaires-concurrents ayant les moyens d'imposer des normes coercitives à nos entreprises. À ce titre, un écosystème national approfondi de la conformité (notamment des cabinets d'avocats spécialisé) permettra aux entreprises de mieux s'adapter et de prévenir les risques. Afin d'encourager le recours à ces acteurs français, les administrations ont un rôle à jouer en termes de communication envers les entreprises.

Recommandation n° 22 : soutenir le développement de la filière française de la conformité (cabinets d'avocats, cabinets de conseils et d'audit) face aux acteurs anglo-saxons.

C. FAIRE DE L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE UNE CULTURE PARTAGÉE ET UN VECTEUR DE MOBILISATION CITOYENNE

Faire de l'intelligence économique une culture partagée implique d'associer entreprises, pouvoirs publics nationaux et locaux mais aussi les citoyens. Pour ce faire, il est essentiel de rappeler la dimension concrète et patriote de l'intelligence économique : dans un contexte mondialisé où les États se mènent une véritable guerre économique, promouvoir les entreprises françaises, leur savoir-faire et préserver leurs emplois est un engagement patriotique. C'est un discours qui doit être construit et relayé par les pouvoirs publics afin que l'intelligence économique entre dans les pratiques de chacun et devienne un réflexe.

Pour les rapporteurs, il importe donc de mobiliser les citoyens très concrètement autour des enjeux d'intelligence économique.

La jeunesse pourrait être mobilisée et sensibilisée à l'intelligence économique lors du Service national universel, qui s'adresse à tous volontaires entre 15 et 17 ans : lors de la première phase qui inclut un séjour collectif avec différents modules d'activités, le module « défense, sécurité et résiliences nationale » pourrait aborder les enjeux de l'intelligence économique.

Par ailleurs, l'IHEDN organise chaque année une session nationale de formation regroupant parlementaires, décideurs publics et privés, soit 260 personnes dont la liste est rendue publique, qui bénéficient d'une formation globale sur les enjeux d'intelligence économique. Des sessions en régions, plus restreintes mais plus nombreuses, sont également organisées.

Il existe des cycles de formations spécialisées en intelligence économique et stratégique (IES) destinées aux responsables opérationnels et aux cadres des entreprises et des institutions. Ces sessions de formations construisent donc un vivier particulièrement intéressant de personnes formées volontairement à l'intelligence économique, dont il serait dommage de se priver des compétences.

Il serait donc opportun de continuer à mobiliser ces personnes à l'issue de leur formation, sur la base du volontariat, en les impliquant dans une « réserve nationale » de l'intelligence économique : elle aurait pour mission de diffuser la culture et les pratiques de l'intelligence économique (auprès des médias, des administrations, des entreprises), d'être le réceptacle d'alertes et éventuellement d'être mobilisée en appui à d'autres organismes sur des missions plus opérationnelles, par exemple en cybersécurité. Cette réserve serait également accessible à toute autre personne volontaire formée à l'intelligence économique.

Recommandation n° 23 : créer une « réserve nationale » au service du patriotisme économique de la Nation, constituée notamment des milliers d'auditeurs de l'IHEDN.

EXAMEN EN COMMISSION

Examen du rapport
(Mercredi 12 juillet 2023)

&&Intelligence économique - Examen du rapport d'information&&

Mme Sophie Primas, présidente. - Les rapporteurs Marie-Noëlle Lienemann et Jean-Baptiste Lemoyne vont nous présenter les conclusions de la mission d'information sur l'intelligence économique.

Mme Marie-Noëlle Lienemann, rapporteure. - Madame la Présidente, mes chers collègues, cher Jean-Baptiste, nous allons discuter aujourd'hui d'un sujet dont l'importance est encore aujourd'hui largement sous-estimée : celui de l'intelligence économique. Pour preuve, le dernier rapport d'ampleur sur ce sujet a été publié il y a vingt ans, en 2003, par l'ancien député Bernard Carayon. Ce rapport faisait lui-même un premier bilan du rapport d'Henri Martre, publié en 1994, qui a donné sa notoriété au concept d'intelligence économique.

Je parle de ce concept, qui est souvent présenté comme vaste et relativement flou, mais il y a pourtant derrière ces termes des décisions et des enjeux stratégiques d'une importance capitale pour l'État français, nos entreprises et, plus généralement, pour la reconquête de notre compétitivité et de notre souveraineté économique et industrielle, pour notre réindustrialisation.

Nous le voyons bien, la compétition mondiale est de plus en plus âpre et tendue, impliquant non seulement les entreprises mais aussi les États qui se dotent d'outils, de stratégies, dans ce que je qualifierais - même si ce terme peut paraître fort - de guerre économique. Nous avons tous en tête l'affirmation américaine ou chinoise en la matière. Mais ne sous-estimons pas, non plus, la compétition parfois rude et les jeux d'influences au sein de l'Union européenne où nous sommes alliés mais aussi concurrents.

L'actualité récente en témoigne, nous avons encore du chemin à parcourir ensemble sur ce sujet car nous avons été marqués par des affaires passées mais encore récentes : la vente des turbines d'Alstom à General Electric, la vente de Technip, leader mondial d'ingénierie pétrolière et sous-marine à un groupe américain ou encore le projet de cession des Chantiers de l'Atlantique à l'italien Fincantieri associé à un conglomérat public chinois, où manifestement notre pays n'a pas su anticiper et parfois réagir à temps.

Des spécialistes de l'intelligence économique soulignent que dans l'affaire de l'annulation des ventes de sous-marins à l'Australie, des signaux faibles n'ont pas été clairement perçus. On voit l'importance de la veille stratégique et informationnelle ainsi que de la capacité à anticiper.

Aujourd'hui, nous nous situons vingt ans après la publication du dernier rapport d'ampleur sur le sujet, sept ans après la disparition de la délégation interministérielle à l'intelligence économique et quatre ans après la mise en place d'une nouvelle politique publique de sécurité économique. Nous nous plaçons également dans la continuité de plusieurs travaux récents du Sénat qui ont mis en évidence les logiques et les influences à l'oeuvre aujourd'hui qui façonnent notre environnement, notre société et notre économie.

Je pense par exemple au rapport de Sophie Primas, Amel Gacquerre et Franck Montaugé sur la souveraineté économique de la France, mais aussi au rapport d'André Gattolin sur les influences étrangères extra-communautaires dans les milieux académique et universitaire, au rapport de Sophie Primas sur le projet de cession des Chantiers de l'Atlantique ou encore au récent rapport de la commission d'enquête sur la stratégie d'influence de TikTok.

Notre Haute Assemblée prend conscience et alerte de plus en plus sur le monde concurrentiel dans lequel nous évoluons, façonné par de multiples influences, et nous devons, tout en acceptant ces évolutions, à la fois mieux nous protéger et mieux nous organiser pour faire valoir nos intérêts stratégiques et affirmer notre compétitivité. C'est en ce sens que je suis convaincue que l'intelligence économique est une réponse à notre perte de souveraineté.

C'est donc pour toutes ces raisons, afin que nous soyons collectivement davantage « en état d'alerte » et en capacité d'agir que j'ai souhaité - et je remercie la présidente de la commission de l'avoir accepté - la création de cette mission d'information, dont l'objectif était d'effectuer un travail transpartisan et concerté sur ce sujet, dans la continuité de la proposition de loi que j'avais déposée l'année dernière avec plusieurs collègues de mon groupe et portant création d'un programme national d'intelligence économique. J'ai toujours pensé que l'enjeu était national et devait très largement et collectivement nous mobiliser.

Je remercie mon collègue Jean-Baptiste Lemoyne de s'être associé à moi pour travailler sur ce sujet, pour sa grande implication et son expertise. Nous avons mené, dans un esprit transpartisan avec d'autres collègues - il le dira - depuis plusieurs mois, 39 auditions et entendu 69 personnes. Je lui cède sans plus tarder la parole.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. - Madame la Présidente, mes chers collègues, chère Marie-Noëlle, je tiens vraiment à souligner le travail transpartisan qui a été réalisé pour parvenir, je l'espère, à un consensus sur les recommandations que nous formulons dans ce rapport : je remercie également mes collègues Franck Montaugé et Serge Babary pour les échanges constructifs que nous avons eus et pour leur implication lors de nos travaux.

Comme le disait Marie-Noëlle, le concept d'intelligence économique peut apparaître comme vaste. Pour Nicolas Moinet, un des universitaires que nous avons auditionnés, ce concept est « simple à comprendre mais difficile à mettre en oeuvre ». C'est pourquoi nous avons voulu que ce rapport ait une démarche très opérationnelle : nous formulons 23 recommandations sur l'organisation et la gouvernance de l'intelligence économique en France ainsi que sur les actions à mener pour renforcer la diffusion d'une culture de l'intelligence économique par tous les acteurs : aussi bien les petites que les grandes entreprises, les collectivités territoriales, les organismes de recherche, l'État lui-même, ainsi que les citoyens.

Nos 23 recommandations sont regroupées en 4 axes : Stratégie, Gouvernance, Territoires, et Valorisation. Je commencerai par vous exposer les grandes lignes de la Stratégie.

La stratégie d'intelligence économique que nous portons est une stratégie transversale, allant au-delà des seuls volets économiques ou sécuritaires de l'intelligence économique. Elle doit donc être élaborée en concertation avec toutes les administrations concernées, de la Recherche à l'Économie en passant par la Défense, l'Éducation ou le Travail. Cette stratégie devra naturellement être validée au niveau interministériel.

Pour être ambitieuse, cette stratégie nationale d'intelligence économique doit incorporer les deux volets de l'intelligence économique : un volet défensif, car il faut bien se protéger contre les pratiques de plus en plus agressives de nos rivaux, qui peuvent être nos alliés ; et un volet offensif, puisque nous sommes bien - ne nous payons pas de mots - dans un contexte international de guerre économique. Comme le rappelait Bernard Carayon, il s'agit d'une « guerre sans image mais non sans victimes ni dommages économiques ». Une attitude attentiste conduirait fatalement à des pertes de compétitivité supplémentaires.

Au titre du volet défensif, nous proposons un renforcement du dispositif actuel de sécurité économique, et notamment de contrôle des investissements étrangers. Heureusement, nous ne sommes plus les naïfs du village global. Ce dispositif est déjà robuste et a été renforcé récemment. Depuis 2018, l'État s'est bien structuré en matière de sécurité économique. La coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) a élaboré en 2018 une doctrine de renseignement économique. Elle a été déclinée par un décret en mars 2019. Les administrations sont en ordre de marche, en particulier le service pour l'information stratégique et la sécurité économique (SISSE) de la direction générale des entreprises (DGE), la direction générale du Trésor (DGT) ainsi que l'ensemble de la communauté des services de renseignement (DGSE, DGSI, DRSD).

Mais nous proposons d'accélérer le renforcement continu, depuis plusieurs années, du dispositif de contrôle des investissements étrangers en France (IEF). Par exemple, en pérennisant l'abaissement du seuil de déclenchement du contrôle dans les sociétés cotées à 10 % des droits de vote, au lieu de 25 % avant la crise sanitaire. Nous rappelons aussi l'absolue nécessité d'assurer le suivi effectif des conditions qui accompagnent les autorisations de certains investissements, car ce travail n'est presque pas fait actuellement, ce qui est regrettable : en effet, certains investisseurs ne respectent pas les engagements qu'ils ont pris lors de l'autorisation d'investissement. Dans ce cas, nous devons être en mesure de réagir !

Aussi, un débat annuel sur l'intelligence économique devrait avoir lieu à l'occasion de la publication du rapport annuel sur le contrôle des investissements étrangers, transmis d'ailleurs aux commissions des affaires économiques du Parlement. Cela nous permettrait, en tant que parlementaires, de relayer les préoccupations des collectivités sur les investissements étrangers réalisés sur leur territoire et le respect ou non des engagements des investisseurs en termes d'emplois ou de délocalisations : l'information doit mieux circuler !

Au-delà de nos entreprises, le dispositif d'intelligence économique doit aussi protéger notre écosystème de la recherche, qui fait de plus en plus l'objet de tentatives d'ingérence de puissances étrangères à des fins de captations technologiques. Nous estimons que les pouvoirs publics ont un rôle structurant à jouer en incitant les établissements de recherche à se doter de démarches robustes d'intelligence économique. Certains établissements ont déjà mis en oeuvre de très bonnes pratiques : je tiens à saluer l'action récente du CEA, qui s'est doté d'un schéma directeur pour l'intelligence économique très poussé.

Au titre du volet offensif, nous nous concentrons essentiellement sur l'influence normative : c'est la première des priorités. Zaiki Laïdi notait que les États-Unis ont construit leur force par la norme. Hélas, si l'Europe a produit beaucoup de normes, elle a peu utilisé cette force d'un point de vue économique. Il faut être plus allant sur ce sujet. Dans un environnement économique mondialisé et de plus en plus concurrentiel, les normes volontaires font en effet office de « règles du jeu » : les anticiper, les maîtriser, voire en être l'auteur est une garantie de compétitivité et d'accès aux marchés pour nos entreprises.

À l'heure actuelle, la France demeure 3ème en termes d'influence normative à l'échelle mondiale - c'est-à-dire en nombre de comités d'élaboration de normes dont elle assure le secrétariat. Cette position, favorable, est pourtant très fragile : nous stagnons, alors que d'autres acteurs, comme la Chine, sont en proie à une envolée spectaculaire. Il y a une véritable montée en puissance de la Chine en termes de secrétariats qu'elle occupe dans les instances normatives internationales. Claude Revel, qui fut déléguée interministérielle à l'intelligence économique avant que le poste ne soit supprimé, appelle « à faire de l'influence nous-même pour éviter qu'on en fasse sur nous ».

C'est pourquoi nous recommandons fortement que la stratégie nationale d'intelligence économique intègre un volet normatif définissant clairement les priorités de la France en matière de normes. De cette manière, les acteurs économiques identifieront clairement les sujets stratégiques pour la France et seront plus à mêmes de porter la voix de la France au sein de comités internationaux. Il faut aussi, justement, mobiliser davantage les petites entreprises dans le processus d'élaboration de la norme : nous proposons à cette fin de rehausser le plafond des dépenses de normalisation pouvant être prises en compte dans le crédit d'impôt recherche (CIR) pour ces TPE et PME. Avec Marie-Noëlle, nous avons été assez effarés d'apprendre, en auditionnant l'association française de normalisation (AFNOR) qui fait un travail remarquable, que nous avons perdu récemment des secrétariats importants dans l'industrie automobile. De nombreux intervenants du secteur estiment en effet qu'ils n'ont pas les temps-hommes suffisants. Ce sont pourtant des temps-hommes qui constituent des investissements et qui ne sont pas perdus.

Voilà, chers collègues, les deux volets offensif et défensif de cette stratégie nationale d'intelligence économique que nous souhaitons structurante pour tout le champ des politiques publiques. Je laisse maintenant Marie-Noëlle Lienemann vous exposer les détails de la gouvernance que nous préconisons.

Mme Marie-Noëlle Lienemann, rapporteure. - Pour mettre en oeuvre cette stratégie nationale d'intelligence économique - stratégie que la France n'a toujours pas aujourd'hui, car l'intelligence économique est plus large que la seule sécurité économique - nous préconisons de créer un Secrétariat général à l'intelligence économique (SGIE) rattaché au Premier ministre, qui doit être pérenne. Au gré des changements de présidents et de gouvernements, les structures ont sans cesse changé et de fait perdu beaucoup de leur efficacité, de leur mémoire et bien des compétences.

Aujourd'hui, nos faiblesses qui peuvent être comblées sont l'absence d'une organisation administrative adéquate, le manque de portage politique soutenu et continu, la limitation du champ de l'intelligence économique à la stricte logique défensive et à des champs hyperstratégiques, l'insuffisance de la coopération interministérielle et l'absence d'une culture partagée à travers nos territoires et les acteurs économiques et sociaux du pays.

S'agissant de l'interministériel, je citerai l'exemple du secteur du sport, qui est à la fois un enjeu d'influence et un enjeu économique. Le SISSE ne travaille que sur les sujets qu'on lui confie. Or, ces enjeux ne sont jamais débattus dans une logique d'ensemble, avec croisement des informations.

Serge Babary a insisté à plusieurs reprises sur l'importance des TPE et PME, qui sont souvent des fleurons de notre économie.

Depuis 1995, plusieurs modalités d'organisation ont été mises en place, tentées et essayées, sans que la politique publique d'intelligence économique ne parvienne à se stabiliser ou à trouver une organisation pérenne. Après un comité pour la compétitivité et la sécurité économique (CCSE) de 1995 à 1997, la politique d'intelligence économique a été rattachée au haut fonctionnaire de défense et de sécurité de Bercy, puis un poste de haut responsable à l'intelligence économique auprès du Secrétariat général à la défense nationale (SGDN) a été instauré, occupé de façon discontinue de 2003 à 2009 par Alain Juillet, personnage bien connu. Ensuite, trois délégués interministériels, alternativement rattachés à Bercy ou aux services du Premier ministre, se sont succédés : Olivier Buquen, Claude Revel et Jean-Baptiste Carpentier.

Depuis 2016, cette délégation interministérielle n'existe plus, et une politique publique de sécurité économique s'est structurée autour d'une nouvelle gouvernance, que nous pouvons aujourd'hui saluer pour son versant sécurité économique mais qui est encore notoirement insuffisante sur les autres aspects.

Ces changements successifs de dénomination et de forme administrative illustrent la difficulté du concept à trouver un positionnement adéquat et pérenne au sein de l'appareil d'État. C'est pourquoi nous pensons qu'il est primordial de pérenniser, par la loi, l'existence d'une structure interministérielle dédiée à l'intelligence économique, en s'inspirant du modèle existant pour le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE). Cette structure, que nous proposons de nommer Secrétariat général pour l'intelligence économique (SGIE), présenterait les caractéristiques suivantes :

- être doté de sa propre équipe pluridisciplinaire dédiée ;

- être dirigé par un Secrétaire général qui soit également conseiller du Premier ministre sur les questions d'intelligence économique ;

- disposer d'un adjoint au Secrétaire général qui soit le chef du service de l'information stratégique et de la sécurité économique (SISSE) afin d'assurer une bonne coordination avec la politique de sécurité économique pilotée par Bercy. Nous insistons sur ce point : nous avons vu qu'il y avait des tensions de rapports de pouvoir, Bercy voulant notamment avoir l'hégémonie sur le pilotage de la sécurité économique ;

- disposer de relais au sein de chaque ministère avec des correspondants ministériels à l'intelligence économique et à la normalisation. Il en existe parfois ; ils n'ont pas toujours un rang reconnu au sein de l'administration ; ils travaillent rarement sur les deux volets de l'intelligence économique.

J'insiste lourdement sur l'importance d'une action résolument interministérielle car l'enjeu ne saurait être traité au seul sein du ministère de l'économie et des finances tant la stratégie de veille, de circulation de l'information (une large part d'entre elle est en open source à exploiter) et la mise en oeuvre de stratégies d'influence concernent presque tous les ministères.

Voilà, mes chers collègues, ce que nous proposons pour assurer une gouvernance nationale de l'intelligence économique en France. Bien entendu, cette stratégie et cette gouvernance ne sauraient être pleinement opérationnelles sans une plus grande implication de nos territoires et de nos collectivités territoriales : je laisse Jean-Baptiste vous présenter en ce sens le troisième axe de notre rapport.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. - Vous l'aurez compris, la stratégie que nous souhaitons pour la France en intelligence économique doit être pérenne et interministérielle. Elle doit aussi être déclinée dans les territoires, qui sont des relais indispensables à la diffusion effective d'une culture de l'intelligence économique. Le maître-mot est celui de décentralisation, à tous les étages. Cela doit s'appliquer y compris au sein des entreprises. Tout à chacun doit être « voisin vigilant » afin de faire remonter les signaux et les témoignages qui pourraient alerter.

Aujourd'hui, la politique publique de sécurité économique est déclinée au niveau territorial, sous l'égide du préfet de région. De nombreux services déconcentrés contribuent ensuite à sa mise en oeuvre : services de la préfecture, y compris de celle du département, délégués à l'information stratégique et à la sécurité économique (DISSE), délégués de l'ANSSI, services déconcentrés en matière économique. Le SISSE a certes des délégués au niveau régional, les DISSE. Mais leur nombre mérite d'être renforcé. Ainsi, les régions Ile-de-France ou Bourgogne-Franche-Comté - importantes pour le secteur industriel et des services pour la première et pour le secteur industriel pour la deuxième - ne comptent chacune que deux délégués régionaux du SISSE.

Ce maillage est satisfaisant mais le partage efficace de l'information économique pourrait être amélioré, notamment via la constitution d'un réseau de référents en intelligence économique aux niveaux départemental et régional : nous proposons de généraliser les référents à l'intelligence économique au sein des administrations déconcentrées pour en faire les interlocuteurs privilégiés du délégué à l'information stratégique et à la sécurité économique (DISSE). Ce réseau inclura bien sûr des sous-préfets référents à l'intelligence économique.

La mobilisation des collectivités territoriales, et en particulier des régions, chefs de file en matière économique, doit aussi être renforcée. D'abord, grâce à une meilleure coopération entre l'État et les collectivités : l'intelligence économique pourra en effet bénéficier de la complémentarité entre la sécurité économique, aujourd'hui mise en oeuvre par l'État, et le développement économique, compétence des régions. Les conseils régionaux doivent donc être mieux associés au sein des différents comités de pilotage et de suivi en matière d'intelligence économique ; les échanges d'information entre régions et services de l'État doivent être renforcés. En matière d'intelligence économique, la France souffre d'un réflexe propre à notre pays : la rétention d'information. Il y a rétention car l'information est considérée comme un enjeu de pouvoir. Il importe d'aller au-delà des « confidentiels défense », qui sonnent comme autant de « circulez », pour établir au contraire un véritable cercle de la confiance, avec les services dédiés des entreprises et avec les prestataires en intelligence économique. Il faut éviter les querelles de chapelle, susceptibles de nuire à l'équipe France.

Ensuite, il faut aussi que toutes les collectivités, et en particulier les régions, soient conscientes de l'importance de l'intelligence économique pour l'exercice de leurs missions. Or, la mobilisation et la sensibilisation des régions en la matière sont contrastées : certaines régions, précurseures, intègrent depuis plusieurs années l'intelligence économique à leurs différents schémas régionaux et stratégies - je pense à la Normandie - tandis que d'autres n'ont pas développé de démarche spécifique. L'État doit soutenir la généralisation des bonnes pratiques en encourageant l'intégration d'un volet intelligence économique à tous les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation. Aujourd'hui, ce ne sont que 5 régions qui intègrent volontairement une démarche d'intelligence économique au sein de ces schémas pluriannuels.

Enfin, tous les acteurs économiques locaux doivent être mobilisés au service de la diffusion d'une culture de l'intelligence économique. Les chambres de commerce et d'industrie (CCI), les pôles de compétitivité ou encore les sociétés d'accélération de transferts de technologies (SATT) sont autant d'acteurs territoriaux qui sont des interlocuteurs quasi-quotidiens des entreprises : l'État doit les inciter à adopter une démarche d'intelligence économique. Le contrat d'objectifs et de moyens signé entre l'État et CCI France mentionne quelques actions liées à la sécurité économique, et c'est une bonne chose, mais nous devons aller plus loin, ce qui pose, bien sûr, la question des moyens alloués à ces acteurs.

En complément de ces trois premiers axes - stratégie, gouvernance et territoires - je laisse Marie-Noëlle vous présenter le dernier axe de nos travaux : la Valorisation de l'intelligence économique.

Mme Marie-Noëlle Lienemann, rapporteure. - Pour que notre stratégie nationale d'intelligence économique soit un succès, il faut que l'intelligence économique entre dans les moeurs, qu'elle soit un réflexe pour nos entreprises, nos administrations et que tous les citoyens y soient sensibilisés - sans tomber pour autant dans le complotisme généralisé -, en ouvrant l'oeil aux opportunités qui s'ouvrent quand il y a de nouveaux traités, de nouvelles règles venues d'ailleurs, de nouvelles préoccupations, etc.

Il nous faut donc mieux valoriser l'intelligence économique : ses métiers sont encore trop peu connus et la filière doit être soutenue dans son développement.

Renforcer et massifier la formation en intelligence économique est en effet indispensable. Déjà en 1994, le rapport Martre déplorait l'insuffisante sensibilisation des fonctionnaires et des salariés à l'intelligence économique. Depuis, d'incontestables progrès ont été réalisés : on a assisté à la naissance de l'école de guerre économique et au développement d'offres de formations spécialisées en intelligence économique, par exemple à l'IHEDN. Toutefois, une massification de la formation est indispensable. Au sein des entreprises, les salariés devraient être davantage encouragés à recourir à la formation continue en intelligence économique : un travail de sensibilisation doit donc être mené main dans la main avec les syndicats. Dans certains cas, ce sont les organisations syndicales qui voient apparaître les risques et les menaces, qui ne sont pas toujours traités au bon moment. Or, ces organisations sont souvent les plus motivées pour que l'entreprise reste en France. Il faut donc leur permettre de comprendre ces menaces et de hiérarchiser leur importance - toutes n'ayant pas le même niveau de danger.

Concernant la formation initiale, il faut que l'intelligence économique soit intégrée au sein de formations plus généralistes comme celles que dispensent les écoles de commerce, d'ingénieur ou les formations universitaires en droit ou en sciences sociales. Nos futurs fonctionnaires doivent absolument être formés, eux aussi, à l'intelligence économique : nous recommandons donc que la formation au sein des écoles de la fonction publique intègre l'intelligence économique.

Ensuite, il nous faut soutenir la croissance d'une filière française de la conformité. Il est de plus en plus nécessaire de s'adapter aux nouvelles législations. Si l'on ne s'adapte pas, les risques peuvent être très importants. Les États-Unis utilisent les failles dans les pratiques de nos industries - réelles ou supposées - pour ensuite nous imposer des cabinets de contrôle. Or, l'écosystème français de la conformité - cabinets de conseil, d'audit et cabinets d'avocats - fait face à des acteurs anglo-saxons plus développés et mieux implantés, y compris auprès des entreprises françaises. Nous le déplorons, car nos entreprises françaises ont besoin de pouvoir compter sur une filière de la conformité, et plus largement de l'intelligence économique, qui soit souveraine. Le soutien de l'État est donc absolument nécessaire pour promouvoir cette filière de la conformité.

L'Intelligence économique doit devenir une sorte de culture commune, une sorte de réflexe collectif et produire des actions partagées.

Au-delà de l'amélioration de la formation initiale, il nous faut développer la formation continue à l'intelligence économique et sensibiliser également les syndicats de salariés et d'employeurs.

Nous préconisons d'intégrer un volet intelligence économique aux contrats des 19 comités stratégiques de filière. Nous proposons aussi la tenue d'une conférence biannuelle regroupant tous les acteurs de l'intelligence économique, notamment les collectivités territoriales, les chambres de commerce et d'industrie, les entreprises et leurs représentants, les syndicats, les administrations et les universitaires.

Enfin, l'intelligence économique peut être un vecteur de mobilisation citoyenne. Protéger nos entreprises et promouvoir nos intérêts économiques, c'est en effet un engagement patriotique. Il faut donc sensibiliser les citoyens, dès leur jeunesse, à l'intelligence économique. Nous avons été étonnés de constater le nombre de personnes motivées sur ces sujets ! L'objectif est que les citoyens soient en « état d'alerte ». L'État a aussi intérêt à ne pas se priver du vivier que représentent les personnes formées à l'intelligence économique : ces personnes doivent continuer à être mobilisées, au sein de ce que nous souhaitons appeler une « réserve nationale » au service du patriotisme économique de la Nation. Les personnes formées à l'IHEDN en intelligence économique pourraient en premier lieu intégrer cette réserve et en être d'excellents ambassadeurs.

Voilà mes chers collègues, les éléments qui feront de cette stratégie d'intelligence économique un succès au service de notre souveraineté retrouvée.

Je vous remercie et nous restons, avec Jean-Baptiste, à votre disposition pour répondre à vos questions.

Qu'il me soit permis enfin de remercier les administrateurs. Le travail était ardu, tant le monde de l'intelligence économique est une jungle. Il n'est connu que par les seuls spécialistes alors que cet enjeu devrait être approprié par nos concitoyens. C'est tout l'intérêt de nos propositions, qui tendent à rendre ce système plus rationnel, plus lisible et plus efficace.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci à tous les deux pour ce travail. Nous comprenons un peu mieux ce monde complexe et très fermé de l'intelligence économique. Vos recommandations visent précisément à briser cette complexité, à diffuser cette culture de l'intelligence économique et à la rendre opérationnelle, y compris sur les territoires.

M. Alain Chatillon. - Je voudrais remercier les deux rapporteurs pour leur travail. Aujourd'hui, les entreprises font face à des structures très complexes et il ne faut pas en ajouter de nouvelles à celles qui existent déjà. Il y a les chambres de commerce et d'industrie (CCI) mais aussi les syndicats professionnels de branches, que ce soit dans l'électronique, dans l'agroalimentaire, dans la métallurgie, etc. Ces syndicats ont un pouvoir très fort sur les entreprises. Sur le plan local, on compte 139 territoires d'industrie, sans oublier les pôles de compétitivité... Ne multiplions pas les structures. Faisons en sorte de porter les efforts sur ceux qui s'occupent déjà des relations avec les entreprises. Je songe aussi à Business France, qui permet aux entreprises d'aller à l'international. Il y a également le plan d'investissement d'avenir, d'un montant de 54 milliards d'euros, dédié à l'innovation. Il y a aussi les régions françaises, qui ont la compétence du développement économique. Toutes ces structures existantes doivent être accompagnées.

Par ailleurs, je voudrais insister pour rappeler que la compétitivité doit se faire aussi au niveau de l'Europe. Veillons à ce que l'Europe applique les objectifs qu'elle s'était assignée en la matière. Au niveau français, nous devons veiller à ce que les règlementations de l'Europe ne soient pas suralimentées en contraintes. Nous en avons eu une illustration avec les entreprises plastiques : la France a avancé d'une année sa décision, moyennant quoi la moitié des entreprises de plastique dans le monde sont parties s'installer en Allemagne. C'est le cas notamment pour la fourniture de couverts en plastique dans les avions. Par la surrèglementation, nous empêchons nos entreprises.

S'agissant du regroupement entre Alstom et Siemens, Mme Isabelle de Silva, présidente de l'Autorité de la concurrence, était venue au Sénat nous expliquer que cette fusion était impossible compte tenu de son impact sur plusieurs petites entreprises. Je regrette que l'on n'ait pas fait le numéro 1 du train, comme l'on avait su faire le numéro 1 de l'aviation.

M. Franck Montaugé. - Merci pour ce travail sur un sujet important et certainement encore trop peu confidentiel. Alain Chatillon a évoqué Territoires d'industrie. Dorénavant, ce programme est accessible à tous les territoires qui le souhaitent et ne se limite plus aux 139 territoires évoqués.

Je voudrais faire un parallèle avec le numérique. Les questions de sécurité et de souveraineté en matière économique sont de plus en plus liées à la maîtrise du numérique.

La question qui se pose désormais est celle de la suite à donner à ce travail. Le sujet mériterait selon moi une proposition de loi, la plus partagée possible. C'est incontestablement un enjeu de souveraineté nationale. Dans ce texte pourrait être intégrée la question des démarches de certification ou de prise en compte de bonnes pratiques. Il y a un travail considérable à mener sur le sujet, aux différents échelons, du national au plus près du terrain. Cela concerne parfois de très petites entreprises, détentrices de par leurs activités de biens à forts enjeux. Il y aurait véritablement matière à proposer un texte sur le sujet, afin que cet excellent rapport puisse prospérer.

Mme Martine Berthet. - Je remercie mes deux collègues pour leur rapport. Il y a une dizaine d'années, alors que j'étais membre du mouvement Femmes chefs d'entreprise (FCE), j'avais travaillé sur ce sujet de l'intelligence économique. Les entreprises avaient donc déjà conscience du sujet il y a dix ans. On voit bien, avec votre rapport, que peu de choses ont avancé.

Vous avez mis en avant plusieurs problèmes : le manque de secrétariat français au niveau de l'Organisation internationale de normalisation (ISO) ; la disparition de la délégation interministérielle à l'intelligence économique ; l'importance de l'information et de la formation... Sur ce dernier sujet, j'insiste sur l'importance d'une information bien plus poussée délivrée par les chambres de commerce et d'industrie (CCI) et par les chambres de métiers et de l'artisanat (CMA).

Comment expliquez-vous ces faibles progrès en dix ans ? Qu'est-ce que qui a le plus péché ? Est-ce au niveau des entreprises ou au niveau de l'organisation de l'État ?

M. Christian Redon-Sarrazy. - Il y a quelques mois, nous avions présenté avec Vanina Paoli-Gagin les résultats de la mission recherche/innovation. Je suis assez frappé d'entendre quasiment les mêmes mots : stratégie, gouvernance, formations continue et initiale des acteurs, interministériel, territorialisation, rôle des préfets...Nous enfonçons ici le clou avec un sujet très proche. Il y a beaucoup de similitudes, avec des enjeux majeurs pour notre souveraineté.

Mme Marie-Noëlle Lienemann, rapporteure. - Je commence en répondant à Alain Chatillon. Nous ne remettons en cause rien de ce qui existe déjà. Nous n'appelons pas à créer une énième structure, sauf au niveau national où nous estimons nécessaire de créer un Secrétariat général à l'intelligence économique. Les grandes entreprises nous expliquent que leurs rapports avec l'État sont souvent à sens unique. Elles alertent sur des sujets, sans obtenir souvent de réponses et sans connaitre la suite qui a été donnée. Certes, tout ne peut pas être dit mais il y a tout de même un minimum de réponses à apporter. Les petites entreprises ont l'impression que certains sujets leur échappent et ne savent pas où aller pour traiter ces sujets. Cela fait courir le risque qu'elles renoncent à faire des signalements.

La question de la structuration des branches industrielles est vitale, notamment sur la normalisation volontaire.

Il y a heureusement des mobilisations sur des entreprises hyper stratégiques, comme l'a montré l'exemple de Photonis. Mais certaines entreprises disparaissent ni vu ni connu. Pour des secteurs entiers, il n'y a plus l'ombre d'une production française. La production française de matériels pour handicapés est ainsi tombée à un niveau extrêmement faible. Quand les dernières entreprises françaises dans ce secteur ont disparu, personne n'a réagi car il n'était pas considéré comme hyper stratégique et ne concernait pas de grandes entreprises...

Je donnerai également un autre exemple - non français -- qui illustre les conséquences potentielles d'un défaut d'anticipation. L'Union européenne a signé avec la Tunisie un accord de libre-échange. Il était prévu une forte croissance de l'exportation de raisins tunisiens. Or, le raisin tunisien est similaire au raisin italien : les entreprises italiennes n'ont pas vu venir la menace. Les plus importantes d'entre elles se sont faites débaucher leurs directeurs chargés de la commercialisation. Les fichiers des clients ont alors été transmis à des entreprises tunisiennes. Quand les Italiens ont tenté de réagir, il était trop tard... Ce n'est certes pas le drame du siècle et je suis favorable à ce que les Tunisiens exportent leur raisin. Mais j'utilise cet exemple pour montrer que la vulnérabilité peut être anticipée, en repérant les changements de règles, de lois, d'accords...L'extraterritorialité chinoise aura par exemple de nombreuses conséquences !

Répondant à Martine Berthet, je souligne qu'il y a une forte hétérogénéité d'évolution des entreprises en matière d'intelligence économique. Certaines grandes entreprises ont de véritables stratégies ; nous ne sommes pas que nuls ! Mais il y a des failles et un des remèdes consiste à développer une culture de l'observation - sans pour autant tomber dans la paranoïa puisque nous n'avons pas que des ennemis dans le monde. Les Américains produisent chaque année un rapport ATA (annual threats assessment), qui réalise une analyse générale des risques et des menaces sur le terrain économique. Un tel rapport pourrait être établi par le Haut-commissariat au Plan. Il pourrait nous éclairer sur les risques technologiques, sur la perte de maîtrise dans certains domaines, sur la prédation de certains acteurs... Ce rapport serait étayé par des données existantes et publiques, mais actuellement trop dispersées.

Nous pensons par ailleurs que les chambres de commerce et d'industrie peuvent faire davantage en matière d'intelligence économique, leur engagement étant très disparate selon les territoires. C'est tout particulièrement vrai s'agissant des PME.

Je ne polémiquerai pas avec mon collègue Alain Chatillon sur le rêve de grandes entreprises européennes. Je ne suis pas sûre que la fusion Alstom/Siemens aurait été profitable à la France. Quoi qu'il en soit, je pense qu'il faut tout faire pour renforcer le poids de l'Union européenne dans les échanges mondiaux. Dans le même temps, il faut que la France restaure la capacité industrielle qu'elle a considérablement perdue, y compris chez ses alliés. Cela ne veut pas dire que nous proposons une guerre intra-européenne !

S'agissant de la suite à donner au rapport, je partage la suggestion de Franck Montaugé de rédiger une proposition de loi qui serait déposée en associant les collègues qui le souhaitent. L'idée serait de la déposer avant la fin de la session, sachant que Serge Babary et moi-même ne nous représentons pas. A la prochaine session, Jean-Baptiste Lemoyne et Franck Montaugé pourraient prendre le relais.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. - Alain Chatillon évoquait le rôle des syndicats professionnels de branche et de toutes les structures en lien avec les entreprises. Nous souhaitons que ces acteurs soient encore plus proactifs en matière de veille, de vigilance et de sensibilisation à la culture de l'intelligence économique. Le secrétaire général de France 2030, Bruno Bonnell, est très conscient de ces enjeux. Grâce à l'action engagée depuis 2018, tout un travail de peignage de notre outil économique et de recherche a été effectué. Il a conduit à établir trois listes : une liste de 791 entreprises stratégiques, de 364 technologies critiques et de 328 laboratoires et organismes de recherche. Ces listes ont été constituées grâce au travail effectué par le comité de liaison pour la sécurité économique (COLISE), en lien avec des services comme la DRSD pour la défense.

Ces listes sont classées mais nous savons qui nous devons protéger. Parmi ces entreprises se trouvent aussi des start-ups. Une start-up en intelligence artificielle que nous avons auditionnée nous a signalé que la démarche d'« aller vers » avait fonctionné :les services sont venus vers eux pour les alerter.

S'agissant des secrétariats des comités internationaux d'élaboration des normes, les chiffres sont éloquents. La France assure 11 % de ces secrétariats au niveau mondial, mais nous sommes devancés par l'Allemagne (18 %) et talonnés par la Chine (10 %). Entre 2010 et 2023, la Chine est passée d'environ 30 à 80 secrétariats internationaux.

Je veux saluer le travail de l'IHEDN. Au-delà des sessions nationales et régionales, l'Institut a mis en place un module spécial dédié à l'intelligence économique. Plus de 80 sessions ont déjà été organisées. Elles durent 7 jours et permettent de former ceux qui pourraient être demain les réservistes du patriotisme économique. En matière de formation, je veux aussi rendre hommage aux pionniers français, avec notamment Christian Harbulot, qui, il y a quelques décennies, a créé l'École de guerre économique, qui a formé des bataillons de jeunes à cette discipline. Au-delà, il faut faire en sorte qu'existe dans toutes les formations initiales commerciales, scientifiques et de la fonction publique un module initiant aux enjeux de l'intelligence économique.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous vous avons transmis la liste des propositions faites dans le cadre de cette mission. Je vais soumettre aux voix et à votre accord la publication de ce rapport ainsi que ses propositions.

Qui s'abstient ? Qui est contre ?

Le rapport est adopté à l'unanimité.

Félicitations pour ce travail adopté à l'unanimité, qui souligne la qualité de votre travail à tous les deux !

Mme Marie-Noëlle Lienemann, rapporteure. - Un travail dont l'un des rapporteurs appartient au RDPI et l'autre au groupe CRCE !

Mme Sophie Primas, présidente. - C'est la force du Sénat et c'est ce que j'ai apprécié pendant ces années de présidence ! Appartenant à des partis politiques différents avec des convictions parfois différentes, nous avons cependant l'intérêt du pays au coeur et savons nous rassembler quand cela est nécessaire autour des sujets importants. Vous en avez fait la preuve aujourd'hui !

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Jeudi 9 mars 2023

- Académie de l'intelligence économique : MM. Philippe CLERC, président et Mounir ROCHDI, administrateur.

- QuantCube Technology : M. Thanh-Long HUYNH, co-fondateur et président et Mme Ghizlaine AMRANI, co-fondatrice et directrice générale.

- IAE de Poitiers : M. Nicolas MOINET, professeur des universités.

- Michelin : M. Nicolas DUBUC, ancien responsable de veille technologique.

Personnalité : M. Nicolas RAVAILHE, avocat.

- Personnalité : M. Alain JUILLET, ancien Haut Responsable à l'intelligence technologique, ancien président de l'Académie d'intelligence économique et ancien président du Club des directeurs de sécurité des entreprises.

- École de guerre économique (EGE) : M. Christian HARBULOT, directeur de l'EGE et co-fondateur de l'École de pensée sur la guerre économique (EPGE).

- Délégation interministérielle à l'intelligence économique : Mme Claude REVEL, ancienne déléguée interministérielle à l'intelligence économique (D2IE).

Jeudi 16 mars 2023

- Table ronde Synfie et Club des directeurs de sécurité des entreprises (CDSE) :

Synfie : M. François JEANNE-BEYLOT, président.

CDSE : MM. Stéphane VOLANT, président, Jean-Louis KIBORT, président de la commission Intelligence économique et Marc-Antoine BINDLER, secrétaire général.

Chambre de commerce et d'industrie (CCI) : MM. Frédéric PROST, élu à la CCI Essonne, Marc CANAPLE, responsable du pôle représentation nationale des entreprises à la CCI Paris-Île-de-France et Pierre DUPUY, chargé de mission affaires publiques ultramarines et relations avec le Parlement.

- Agence pour la diffusion de l'information technologique (ADIT) : MM. Philippe CADUC, président directeur général et Emmanuel PITRON, directeur général.

Mardi 21 mars 2023

- Avisa Partners : M. Matthieu CREUX, président.

- Association française pour le développement de l'intelligence économique (AFDIE) : M. Jean-Louis LEVET, fondateur.

- Altrnativ : MM. Éric LEANDRI, fondateur et François-Xavier HAUET, vice-président exécutif international.

- Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) : MM. Benoît DURIEUX, général de corps d'armée et directeur de l'IHEDN et de l'enseignement militaire supérieur et Jean-Michel DELVERT, sous-préfet, chef du département des activités en région et spécialisées.

Personnalité : M. Bernard CARAYON, avocat et ancien député auteur du rapport de 2003 « Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale ».

Mercredi 22 mars 2023

- Orange : Mmes Céline TREGUER, coordinateur en intelligence collective et Claire CHALVIDANT, directrice des relations institutionnelles - Adjointe du directeur des affaires publiques groupe.

Personnalité : M. Jean-Baptiste CARPENTIER, ancien commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique et directeur de la conformité chez Véolia

- Ministère de l'économie et des finances - Direction générale du Trésor : Mmes Magali CESANA, cheffe du service des affaires bilatérales et de l'internationalisation des entreprises et Marie-Anne LAVERGNE, cheffe du bureau contrôle des investissements étrangers en France.

Jeudi 30 mars 2023

- ESL&Network : M. Alexandre MEDEVEDOWSKY, président directeur général.

- Région Normandie : MM. Alain DIDILLON, directeur général à l'économie, Jean-Pierre LARCHER, mission stratégie et prospective en intelligence économique (SPIE) et Philippe HUGO, mission SPIE.

- Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) : MM. Patrick CAPPE DE BAILLON, référent intelligence économique et Cyrille FRUCHAUD, direction de la sécurité et de la sûreté nucléaire, service « Protection des savoirs et des technologies ».

Jeudi 6 avril 2023

- Ministère de l'intérieur - Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) : MM. Sébastien GAY, Colonel sous-directeur de l'anticipation opérationnelle à la DGGN Alexandre GURRET, lieutenant-colonel chef du centre de sécurité économique et de protection des entreprises.

- Personnalité : M. Pierre BOUSQUET DE FLORIAN, ancien coordinateur national du renseignement, ancien directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur et membre du conseil d'administration de l'ADIT.

- École de pensée sur la guerre économique (EPGE) : M. Olivier DE MAISON ROUGE, avocat et co-fondateur de l'EPGE.

Personnalité : M. Frédéric PIERUCCI, ancien cadre d'Alstom et auteur du livre « Le piège américain ».

Mardi 11 avril 2023

Ministère de l'Économie et des finances - Direction générale des entreprises (DGE) : MM. Thomas COURBE, directeur général commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique (CISSE) et Joffrey CÉLESTIN-URBAIN, chef du service de l'information stratégique et de la sécurité économique (SISSE).

- Coordination nationale du renseignement (CNRLT) : M. Hugues BRICQ, Coordonnateur adjoint du renseigneent et de la lutte contre le terrorisme

- Ministère des affaires étrangères - Direction de la diplomatie économique : Mmes Hélène DANTOINE, directrice de la diplomatie économique et Raphaëlle SANANES, responsable du pôle coopération économique.

- Ministère de l'intérieur - Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) : MM. Nicolas LERNER, directeur généralet Arnaud VIEULES, sous-directeur.

Jeudi 13 avril 2023

Préfecture de Bourgogne : M. Franck ROBINE, préfet de la région Bourgogne Franche Comté, préfet de Côte d'Or, Mme Florence BERNARD, SGAR adjointe, Mme Julia ROUSSOULIERES, chargée de mission Économie, Mme Anne COSTE DE CHAMPERON, secrétaire générale pour les affaires régionales auprès du préfet de la région Bourgogne Franche-Comté.

- RELIANS : M. Pascal DUPEYRAT, consultant spécialiste des investissements étrangers en France.

- Personnalité : M. Olivier BUQUEN, ancien délégué interministériel à l'intelligence économique (D2IE).

IAE de Poitiers : M. Olivier COUSSI, maître de conférences.

Préfecture Ile-de-France : M. Pierre-Antoine MOLINA, préfet et Mme Clémence MALLET, chargée de mission auprès du préfet.

Jeudi 4 mai 2023

-  Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD) : à huis clos.

- Association française de normalisation (AFNOR) : MM. Thierry GEOFFROY, responsable des relations institutionnelles et Éric LAURENCON, référent intelligence économique.

Jeudi 11 mai 2023

- Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) : à huis clos.

- Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) : MM. Stéphane BOUILLON, secrétaire général, Charles TOUBOUL, Directeur, Mme Coline CLAUDE-LACHENAUD, Conseillère industrie et numérique et M. Gwénaël JÉZÉQUEL, conseiller pour les relations institutionnelles.

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- Académie de l'intelligence économique

- Association française de normalisation (AFNOR)

- Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI)

- Altrnativ

- Association française pour le développement de l'intelligence économique (AFDIE)

- Avisa Partners

- Business France

- Chambre de commerce et d'industrie (CCI)

- Les Chargeurs

- Club des directeurs de sécurité des entreprises (CDSE)

- Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

- Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

- Coordination nationale du renseignement (CNRLT)

- Délégation interministérielle à l'intelligence économique

- École de guerre économique (EGE)

- École de pensée sur la guerre économique (EPGE)

- ESL&Network

- IAE de Poitiers

- Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN)

- Michelin

- Ministère de l'économie et des finances - Direction générale du Trésor

- Ministère de l'économie et des finances - Direction générale des entreprises (DGE) - Service de l'information stratégique (SISSE)

- Ministère de l'intérieur - Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN)

- Ministère de l'intérieur - Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI)

- Ministère des affaires étrangères - Direction de la diplomatie économique

- Ministère des armées - Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD) 

- Ministère des armées - Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE)

- Mouvement des entreprises de France (Medef)

- Orange

- QuantCube Technology

- Personnalités qualifiées

- Préfecture de Bourgogne

- Préfecture Ile-de-France

- Région Normandie

- RELIANS

- Safran

- Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

- Secrétariat général pour l'investissement (SGPI)

- Synfie

TABLEAU DE MISE EN OEUVRE ET DE SUIVI

N° de la proposition

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

SE DOTER D'UNE STRATÉGIE NATIONALE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE DANS UN MONDE DE PLUS EN PLUS COMPÉTITIF

1

Concevoir une stratégie nationale d'intelligence économique (SNIE)

Secrétariat général de l'intelligence économique (SGIE)

2025

Document interministériel

2

Pérenniser l'abaissement de 25 % à 10 % du seuil des droits de vote déclenchant le contrôle des investissements réalisés par des investisseurs tiers à l'Union européenne au sein de sociétés cotées

Direction générale du Trésor

2024

Décret du ministre chargé de l'économie et des finances

3

Assurer le suivi dans le temps des engagements des investisseurs dont l'autorisation d'investissement est assortie de conditions

Direction générale du Trésor

2024

Décret du ministre chargé de l'économie et des finances

4

Instaurer un débat annuel sur l'intelligence économique au Parlement qui prendra en compte la publication du rapport annuel sur le contrôle des investissements étrangers en France (IEF) et le respect des engagements des investisseurs

Parlement

2024

Demande d'un ou plusieurs groupes politiques

5

Inciter chaque organisme de recherche à se doter d'un schéma directeur pour l'intelligence économique et à nommer un référent pour l'intelligence économique

SGIE

Ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur (MESRI)

Organismes de recherche

Renouvellement du prochain contrat d'objectifs et de performance de l'organisme de recherche

Contrat d'objectifs et de performance

6

Définir au sein de la SNIE la stratégie française de normalisation et les sujets prioritaires pour la France

SGIE

AFNOR

2025

Document interministériel

7

Intégrer dans l'assiette du CIR les dépenses des TPE-PME liées à l'adaptation à la normalisation et augmenter le plafond de la prise en charge actuelle des dépenses de participation aux réunions de normalisation

Parlement

Gouvernement

2024

Projet de loi de finances pour 2024

8

Publication d'un rapport annuel national déclassifié cartographiant les menaces pesant sur la France

Services de renseignement

Haut-Commissariat au Plan

France Stratégie

2024

Rapport annuel

9

Renforcer le cadre déontologique applicable aux mobilités des fonctionnaires et des contractuels ayant occupé des postes dans des domaines souverains, stratégiques en matière d'intelligence économique ou dans des services de renseignement

Gouvernement

Parlement

Services de renseignement

HATVP

2025

Proposition de loi

Règles déontologiques internes

DÉFINIR UNE GOUVERNERNANCE NATIONALE ET TERRITORIALE DE LA STRATÉGIE NATIONALE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE

10

Donner une mission de pilotage de la stratégie nationale d'intelligence économique à un Secrétariat général à l'intelligence économique (SGIE)

Parlement

Gouvernement

2025

Proposition de loi

Décret d'application

11

Former des correspondants «  intelligence économique » au niveau des compagnies de gendarmerie (arrondissements) et les habiliter à conduire des visites de sensibilisation auprès des PME-TPE

Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN)

2025

Modules, supports et actions de formation internes à la DGGN

12

Constituer un réseau de sous-préfets référents à l'intelligence économique désignés par les préfets de départements et de référents au sein de chaque administration déconcentrée de l'État chargée d'une mission économique ou financière

SGIE

Préfectures de département

Administrations déconcentrées de l'État

2025

Projets de loi de finances

13

Systématiser la création dans chaque région d'un comité régional à l'intelligence économique (CRIE)

Conseils régionaux

Préfectures de région

2025

Budget des collectivités territoriales

14

Introduire un volet «  intelligence économique » dans les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation

Conseils régionaux

Modification ou renouvellement du prochain SRDEII

SRDEII

15

Introduire systématiquement dans les nouveaux contrats d'objectifs et de performance entre l'État et CCI France un volet «  intelligence économique »

Gouvernement / CCI France

Modification ou renouvellement du prochain contrat d'objectifs et de performance de l'organisme de recherche

Contrat d'objectifs et de performance de CCI France

VALORISER L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE EN FRANCE

16

Instaurer un module de formation à l'intelligence économique dans les écoles de la fonction publique, les écoles d'ingénieur et les écoles de commerce ainsi que dans les formations universitaires destinées à la recherche, aux sciences sociales, aux relations internationales et au droit

SGIE

MESRI

Ministère de la transformation et de la fonction publique (MTFP)

Écoles de la fonction publique (INSP, INET, ENM, IRA, CNFPT, IGPDE)

Écoles de commerce

Écoles d'ingénieur

Universités

2025

Modules et support pédagogiques propres à chaque école et université

17

Développer la formation continue à l'intelligence économique et sensibiliser les syndicats de salariés et d'employeurs

SGIE

Syndicats de salariés et d'employeurs

Organismes de formation

2025

Modules et supports de formation propres à chaque syndicat et entreprise

18

Systématiser la recherche d'informations en intelligence économique avant la prise de décision, en particulier par l'Agence des participations de l'État (APE)

État

Agence des participations de l'État

Entreprises spécialisées en intelligence économique

Lorsque l'État doit prendre une décision stratégique impliquant notamment une modification de ses participations financières

Contrat auprès d'une entreprise spécialisée en intelligence économique

19

Intégrer un volet « intelligence économique » aux contrats des 19 comités stratégiques de filière

Comités stratégiques de filière

Modification ou renouvellement du prochain contrat de filière

Contrats de filière

20

Créer une conférence biannuelle regroupant tous les acteurs de l'intelligence économique

SGIE

Deux fois par an à compter de 2027

Conférences

21

Créer un programme de recherche national en intelligence économique avec des allocations de recherches doctorales dédiées

Ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur (MESRI)

2024

Projet de loi de finances pour 2024

22

Soutenir le développement de la filière française de la conformité (cabinets d'avocats, cabinets de conseils et d'audit)

Secrétariat général pour l'investissement (SGPI)

Dès maintenant jusqu'en 2030

Programme France 2030

23

Créer une « réserve nationale » au service du patriotisme économique de la Nation, constituée notamment des milliers d'auditeurs de l'IHEDN

SGIE

Ministère de l'Intérieur

Ministère des Armées

IHEDN

Associations des anciens auditeurs de l'IHEDN

Citoyens volontaires formés à l'intelligence économique

2025

Liste nationale de réservistes patriotiques


* 1  Rapport du Groupe « Intelligence économique et stratégie des entreprises » du Commissariat général au Plan présidé par Henri Martre, février 1994.

* 2 Circulaire interministérielle 5554/SG du 15 septembre 2011 « actions de l'État en matière d'intelligence économique ».

* 3  Décret n° 2013-759 du 22 août 2013 relatif au délégué interministériel à l'intelligence économique.

* 4  Rapport d'information sur la stratégie de sécurité économique nationale présenté par M. Bernard Carayon, déposé à l'Assemblée nationale le 9 juin 2004.

* 5  Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique, Rapport d'information n° 755 (2021-2022) de Mme Sophie Primas, Mme Amel Gacquerre et M. Franck Montaugé, déposé le 6 juillet 2022.

* 6  Le projet de cession des Chantiers de l'Atlantique : éviter l'erreur stratégique, construire l'avenir, Rapport d'information n° 84 (2020-2021) de Mme Sophie Primas, déposé le 28 octobre 2020.

* 7  Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique, Rapport d'information n° 755 (2021-2022) de Mme Sophie Primas, Mme Amel Gacquerre et M. Franck Montaugé, déposé le 6 juillet 2022.

* 8  L'extraterritorialité de la législation américaine, Rapport d'information n° 4082 (2016-2017) de Mme Karine Berger et de M. Pierre Lellouche, déposé au nom des commissions des finances et des affaires étrangères de l'Assemblée nationale le 5 octobre 2016.

* 9  Décret n° 2019-206 du 20 mars 2019 relatif à la gouvernance de la politique de sécurité économique.

* 10 Article L. 151-1 du code monétaire et financier.

* 11 Article L. 151-2 du même code.

* 12 Article L. 151-3 du même code.

* 13 Article R. 151-8 du code monétaire et financier.

* 14  Décret n° 2005-1739 du 30 décembre 2005 réglementant les relations financières avec l'étranger et portant application de l'article L. 151-3 du code monétaire et financier.

* 15  Décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable.

* 16  Décret n° 1590 du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France.

* 17  Décret n° 2020-892 du 22 juillet 2020 relatif à l'abaissement temporaire du seuil de contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé.

* 18  Décret n° 2022-1622 du 23 décembre 2022 relatif à l'abaissement temporaire du seuil de contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé.

* 19  Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

* 20  Rapport d'information n° 84 de Mme Sophie Primas, « Le projet de cession des Chantiers de l'Atlantique : éviter l'erreur stratégique, construire l'avenir », commission des affaires économiques du Sénat, déposé le 28 octobre 2020.

* 21  Rapport d'information n° 873 de M. André Gattolin, « Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques »de la mission d'information du Sénat relative aux influences étatiques extra-européennes sur le monde académique et de la recherche, déposé le 29 septembre 2021.

* 22  Rapport « Développer une influence normative internationale stratégique pour la France » de Claude Revel au Premier ministre, 31 janvier 2013

* 23 Le Comité européen de normalisation (CEN), le Comité européen de normalisation en électronique et en électrotechnique (CENELEC) et l'Institut européen des normes de télécommunications (ETSI)

* 24  Rapport « L'expertise internationale au coeur de la diplomatie et de la coopération au XXIème siècle » de Nicolas Tenzer, 2008

* 25  « J'attaque ! » Comment l'Allemagne tente d'affaiblir durablement la France sur la question de l'énergie ? Mai 2021, École de guerre économique

* 26  Rapport d'alerte - Ingérence des fondations politiques allemandes et sabotage de la filière nucléaire française, 22 juin 2023, École de guerre économique

* 27  Rapport d'information n° 627 de Mme Elisabeth Lamure, « Où va la normalisation ? - En quête d'une stratégie de compétitivité respectueuse de l'intérêt général », déposé au nom de la commission des affaires économiques du Sénat le 12 juillet 2017.

* 28  Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles harmonisées concernant l'intelligence artificielle (législation sur l'intelligence artificielle) et modifiant certains actes législatifs de l'Union.

* 29  Note Trésor Eco - 2020

* 30  Note Trésor Eco - 2021

* 31  Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique, Rapport d'information n° 755 (2021-2022) de Mme Sophie Primas, Mme Amel Gacquerre et M. Franck Montaugé, déposé le 6 juillet 2022.

* 32  Rapport d'information sur la stratégie de sécurité économique nationale présenté par M. Bernard Carayon, déposé à l'Assemblée nationale le 9 juin 2004.

* 33 Ibid.

* 34  Décret n° 95-350 du 1er avril 1995 portant création d'un comité pour la compétitivité et la sécurité économique (CCSE).

* 35 MM. Bernard Esambert, Jean Gandois, Philippe Jaffé, Jean-Luc Lagardère, André Lévy-Lang, Henri Martre et Luc Montagnier.

* 36 Communiqué des services du Premier ministre, du 18 avril 1995, sur l'installation du comité pour la compétitivité et la sécurité économique.

* 37  Décret n° 2009-1122 du 17 septembre 2009 relatif au délégué interministériel à l'intelligence économique.

* 38  Décret n° 2013-759 du 22 août 2013 relatif au délégué interministériel à l'intelligence économique.

* 39  Décret n° 2016-66 du 29 janvier 2016 instituant un commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques et portant création d'un service à compétence nationale dénommé « service de l'information stratégique et de la sécurité économiques ».

* 40  Loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères.

* 41  Décret n° 2019-206 du 20 mars 2019 relatif à la gouvernance de la politique de sécurité économique.

* 42 Ministères chargés de la transition écologique et solidaire, des armées, des solidarités et de la santé, de l'économie et des finances, de l'action et des comptes publics, de l'intérieur, de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, de l'agriculture et de l'alimentation.

* 43 DGSI, DGSE, DRM, DRSD, TRACFIN, DNRED, ainsi que la SDAO de la DGGN et le SCRT.

* 44 Les rapporteurs estiment également qu'il serait souhaitable de conserver un lien avec la Présidence de la République, à l'instar de ce qui existe actuellement pour le pôle économique des cabinets du Président de la république et du Premier ministre.

* 45  Décret n° 2019-206 du 20 mars 2019 relatif à la gouvernance de la politique de sécurité économique.

* 46 Feuille de route méthodologique en matière de sécurité économique du ministère de l'intérieur du 10 mai 2021

* 47 Circulaire du Premier ministre du 16 juillet 2019, relative au dispositif rénové de sécurité économique de l'État en date du 16 juillet 2019 relative au dispositif rénové de sécurité économique de l'État.

* 48  Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

* 49 État des lieux des moyens et compétences en toxicologie et écotoxicologie dans le secteur privé français, étude réalisée par Développement & Conseil pour le compte de la DGCIS du Ministère de l'économie.

* 50 INSP, INET, IRA, ENM, IGPDE, CNFPT notamment.

* 51 Règlement n° 462/2013 du parlement européen et du conseil du 21 mai 2013 modifiant le règlement (ce) n° 1060/2009 sur les agences de notation de crédit.