C. UNE APPRÉHENSION ENCORE PARTIELLE DES DONNÉES ISSUES DES PARCOURS DE SOINS

1. La progressive structuration des données issues de certains parcours de soins

Du SNDS restent encore éloignées certaines grandes bases de données avec lesquelles un appariement serait pourtant prometteur pour la recherche. Citons, sans prétention à l'exhaustivité :

· Les grandes bases épidémiologiques spécifiques

La base de données nationale française Alzheimer est l'un des fruits du plan national Alzheimer 2008-2012. Depuis 2009, les informations recueillies dans cette base se composent d'un ensemble de données démographiques, cliniques et diagnostiques. Participent à son alimentation plus de 500 centres mémoire et centres mémoire de ressources et de recherche, ainsi que des spécialistes indépendants. Le plan maladies neurodégénératives 2014-2019 a accompagné l'évolution de la base afin de renforcer son potentiel de connaissance des parcours des patients et la refonte de sa gouvernance.

· Les grandes cohortes nationales, notamment celles financées par les investissements d'avenir - Constances, Hope-Epi, i-Share, Coblance, CKD- REIN, OFSEP, E4N, ELFE, RADICO, CANTO - ou certaines portant sur des thématiques spécifiques, telle Nutrinet-Santé sur la nutrition, étaient particulièrement visées par le rapport de préfiguration. Pour l'heure, seules Memento, relative aux troubles de type Alzheimer, ESME, qui suit des patientes atteintes de cancer du sein, et Hepather, cohorte de patients infectés par le virus de l'hépatite B ou C, figurent au catalogue de la plateforme avec les données du SNDS.

· Le dossier pharmaceutique

Ainsi que le relevait la mission de préfiguration du Health Data Hub, le dossier pharmaceutique recense, pour chaque bénéficiaire de l'assurance maladie qui le souhaite, tous les médicaments délivrés en ville au cours des quatre derniers mois, qu'ils soient prescrits par le médecin ou conseillés par le pharmacien. Il est également accessible aux pharmaciens et médecins exerçant en établissement de santé. Développé par le Conseil national de l'ordre des pharmaciens, il a fait l'objet d'un rapport encourageant de la Cour des comptes en 2020, qui relevait que « le nombre total de dossiers pharmaceutiques actifs a[vait] été multiplié par 2,7 depuis 2011, passant d'un peu plus de 14 millions à 38,3 millions au 1er juin 2019 »53(*).

La loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) prévoit la création automatique du dossier pharmaceutique sauf opposition du bénéficiaire ou de son représentant légal. Le décret d'application de son article 92 n'est paru que le 3 avril 202354(*). Il prévoit que :

- la création des DP devient automatique sauf opposition du patient dans un délai de six semaines ;

- l'allongement de la durée d'affichage des traitements médicamenteux contenus dans le DP est porté de quatre à douze mois ;

- l'affichage des pharmacies dispensatrices sera inclus dans le dossier pharmaceutique du patient ;

- le renforcement de l'accès au dossier par les établissements de santé devient obligatoire dès lors que le système d'information de l'établissement le permet ;

- l'accès des biologistes médicaux au dossier pharmaceutique devient possible, aussi bien en ville qu'en établissement de santé.

Les textes ne prévoient toutefois pas l'utilisation du dossier pharmaceutique à des fins de recherche. Le code de la santé publique ne l'envisage en effet qu' « afin de favoriser la coordination, la qualité, la continuité des soins et la sécurité de la dispensation des médicaments, produits et objets ».

· Le dossier médical en santé au travail

Introduit dans la loi en 2010, ce dossier contient, d'après l'ordre des médecins, les informations socio-administratives, médicales et professionnelles, formalisées et actualisées, nécessaires aux actions de prévention individuelle et collective en santé au travail, enregistrées, dans le respect du secret professionnel, pour tout travailleur exerçant une activité, à quelque titre que ce soit, dans une entreprise ou un organisme, quel que soit le secteur d'activité.

Informatisé depuis 2010, il compte une population de plus de 15 millions de salariés. Il est constitué d'éléments objectifs communicables,
- tels que les antécédents médicaux, les résultats d'examens médicaux, l'historique des postes occupés et des entreprises, etc. - et des éléments subjectifs non communicables - tels que les confidences du salarié et les appréciations personnelles du médecin du travail.

· Données des cabinets de médecine de ville et d'imagerie de ville

Le rapport de préfiguration de la Plateforme des données de santé identifiait en outre les données collectées par les logiciels de médecine de ville, généralistes ou spécialistes. Celles-ci rassemblent par exemple des diagnostics codés selon des terminologies propres - diagnostics, motifs de consultation ou de prescription, médicaments prescrits, résultats de biologie directement reçus des laboratoires, vaccins injectés dans le cabinet, etc.

Le rapport de préfiguration identifiait également les données produites par des centres de radiologie ou autres cabinets de ville réalisant des échographies, mammographies, scanners ou IRM, qui « peuvent être disponibles rapiadement et facilement » et qui « sont très intéressantes pour développer des outils d'aide au diagnostic avec des méthodologies d'intelligence artificielle ». L'enrichissement du SNDS avec ces données permettrait, par exemple, d'améliorer la description des effets des traitements.

· Données génomiques

Les données génomiques proviennent des plateformes de séquençage à très haut débit du génome humain. Pourvues d'une visée diagnostique et de suivi thérapeutique, elles nourrissent les promesses d'une médecine de plus en plus personnalisée, mais n'existent pour l'heure qu'en faibles quantités. Le plan France Médecine Génomique prévoit d'augmenter les séquençages et de rassembler les données pertinentes au niveau d'un « Hub » génomique, le CAD, pour « collecteur analyseur de données ».

Ainsi que la présente le site internet du plan, cette plateforme devrait offrir une puissance de calcul inédite, un accès à des bases multiples et une capacité de stockage qui atteindra progressivement quelques dizaines de pétaoctets. Il sera hébergé dans deux des quatre centres de calcul nationaux : le centre informatique national de l'enseignement supérieur à Montpellier, et le très grand centre de calcul du CEA, en Île-de-France. Les services proposés excluront la possibilité de copie ou d'extraction des données non analysées. Et un comité d'éthique validera les projets. La campagne de recrutement du directeur général du GIP et de ses premiers collaborateurs a été ouverte en mai 2023.

Enfin, la FHF a regretté l'absence de données de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) concernant le parcours professionnel et le niveau de revenus des personnes (études épidémiologiques) ou encore de données de la base OLINPE (Observatoire des données individuelles et longitudinales sur la protection de l'enfance).

2. Stimuler la création des données qui n'existent pas encore

Des auditions de la mission, il ressort en filigrane que les données utiles à la recherche et à l'innovation sont, par hypothèse, celles qui répondent aux questions que les chercheurs se posent, lesquelles évoluent avec les problèmes considérés.

Par conséquent, ainsi que le formule le PDG de l'Inserm, « pour beaucoup de questions de recherche et problèmes de santé publique, notamment les questions émergentes, il n'existe pas de bases de données permettant de les aborder de façon satisfaisante. Cela a été le cas pour de nombreux enjeux liés à la covid-19 par exemple. Pour cette raison, la question de la constitution de nouvelles bases de données est essentielle. »

Une telle approche appelle à défendre une « logique mettant en avant les questionnements de santé publique et de recherche, essentiels et structurants, plutôt que la logique visant à autonomiser un objet tel que les données de santé ».

Il en découle que la meilleure politique de soutien à l'exploitation des données est celle qui vise à soutenir financièrement la recherche elle-même.

Or, la commission a déjà eu l'occasion de le déplorer55(*), le soutien public à la recherche n'a cessé de diminuer en valeur absolue et relative ces dernières années, de près de 28 % entre 2011 et 2018. Cette baisse contraste avec l'augmentation des moyens de la recherche en Allemagne et au Royaume-Uni, où les crédits de soutien à cette politique ont progressé, respectivement, de 11 % et de 16 %.

Dans un rapport conjoint de mars 2021, les Académies nationales de médecine et de pharmacie font le constat d'un « recul spectaculaire du soutien à la recherche en biologie-santé » en France, avec une diminution évaluée à 25 % entre 2008 et 202056(*).

Budget consacré par la mission interministérielle
« Recherche et enseignement supérieur » à la biologie-santé depuis 2006

Source : Rapport Longuet-Villani57(*)

Les crédits publics consentis à la biologie-santé ne représentent finalement qu'un peu plus de 17 % du total des moyens de la mission interministérielle de la recherche et de l'enseignement supérieur (Mires) du budget de l'État, soit un niveau sensiblement inférieur à celui observé dans d'autres pays européens - « qui consacrent 35 % à 40 % de leur budget à cette recherche, et jusqu'à 50 % au Royaume-Uni » - et ce, dans un contexte marqué par une multiplication par plus de dix en quinze ans du coût des travaux dans ce domaine.

La loi de programmation de la recherche pour la période 2021-2030 ne comporte même aucun engagement chiffré et pluriannuel concernant l'effort qui sera spécifiquement déployé en faveur de la recherche biomédicale. Encore une fois, la recherche en santé n'est pas clairement identifiée comme une priorité de l'investissement public en recherche, alors que, comme l'indique l'Inserm, la part de la France dans le total des publications scientifiques mondiales s'est érodée de plus d'un tiers de 2005 à 2017.

En déplacement à l'Institut Curie en mai 2023, le chef de l'État a certes dévoilé une liste de seize nouveaux centres de recherche biomédicale en France financés par l'État. Ces investissements, chiffrés à plus de 700 millions d'euros, s'inscrivent dans le plan « Innovation santé 2030 », déclinaison du plan de relance « France 2030 ».

Le Président de la République a souhaité que des concertations accouchent d'un plan d'action pour une « recherche biomédicale plus unifiée et plus efficace ». L'enveloppe totale est de 7,5 milliards d'euros, dont plus de 1 milliard sera consacré à la recherche et à d'autres programmes d'excellence lancés prochainement, a annoncé le chef de l'État. Un tel effort doit être salué mais il devra s'inscrire dans la durée et l'utilisation de ces fonds devra éviter le risque de saupoudrage.

Un tel effort, surtout, restera vain sans un plan d'investissement massif dans les ressources humaines, c'est-à-dire dans les compétences techniques et métiers. Doivent être priorisées les recrutements de professionnels connaissant parfaitement le système de santé et les prises en charge, tels que des professionnels médicaux et paramédicaux, des scientifiques, des attachés et techniciens de recherche clinique, mais aussi des datascientists, dans le prolongement de l'action des statisticiens.

Un tel effort devra enfin s'accompagner d'un soutien aux initiatives en matière de science ouverte. Le rapport de février 2022 de l'Académie des sciences souligne qu'alors que plus de 52 % des publications britanniques et suisses sont librement accessibles pour la période 2009-2018, la France et l'Allemagne accusent un retard important avec des taux d'ouverture de seulement 41,8 % et 40,4 %, respectivement. Le rapport de l'Opecst de mars 2022 dresse des constats analogues et en tire un certain nombre de préconisations58(*).

Recommandation n° 3 : Lancer un plan de formation des compétences nécessaires au traitement des données


* 53 Cour des comptes, Le dossier pharmaceutique : un outil au service de la santé publique, rapport annuel 2020.

* 54 Décret n° 2023-251 du 3 avril 2023 relatif au dossier pharmaceutique.

* 55 Voir le rapport d'information n° 708 (2020-2021) de Mmes Annie Delmont-Koropoulis et Véronique Guillotin, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 23 juin 2021.

* 56 Académie nationale de médecine et académie nationale de pharmacie, Réformer la recherche en sciences biologiques et en santé - Partie I, le financement , rapport bi-académique, 30 mars 2021.

* 57 Rapport n° 770 (2020-2021) de MM. Gérard Longuet, sénateur et Cédric Villani, député, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé le 15 juillet 2021.

* 58 Voir rapport n° 573 (2021-2022) de Mme Laure Darcos, sénatrice, MM. Pierre Ouzoulias, sénateur et Pierre Henriet, député, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé le 9 mars 2022.

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