B. RÉAFFIRMER LES GRANDS PRINCIPES DEVANT GUIDER LES NÉGOCIATIONS AFIN DE FAVORISER LEUR ABOUTISSEMENT ET LEUR VALIDATION PAR LE PARLEMENT

Les rapporteurs saluent la reprise des négociations, sur la base des préconisations qu'ils ont développées en juillet 2022. Ils appellent à la poursuite de leur mise en oeuvre et souhaitent désormais en formuler de nouvelles permettant de favoriser l'avènement d'un accord consensuel et global entre les parties qui puisse, par la suite et en temps utile, être entériné par le Parlement.

Pour ce faire, les rapporteurs appellent, en premier lieu, à la tenue d'un dialogue trilatéral officiel exigeant, format de négociations qui a su faire la preuve de son efficacité dans le passé, qui est seul garant d'une réussite des négociations entre parties calédoniennes et État.

Ils souhaitent, en second lieu, exposer dès à présent, les conditions qui devront être réunies non seulement afin de garantir l'aboutissement des négociations, mais aussi, de permettre au Parlement d'entériner un tel accord.

1. Les conclusions du précédent rapport, qui semblent avoir contribué au changement de méthode du Gouvernement, doivent continuer à être mises en oeuvre

Par son déplacement en Nouvelle-Calédonie et la publication d'un rapport d'étape en traduisant les conclusions, la mission a souhaité interroger les acteurs calédoniens sur les évolutions qu'ils estimaient souhaitables quant à l'avenir institutionnel de leur territoire. Sur cette base, ils ont entendu contribuer à renouer les fils d'un dialogue distendu entre les parties.

Les rapporteurs avaient ainsi formulé six propositions sur la méthode qui doit « guider l'action des différentes parties afin de renouer les fils du dialogue dans « l'après-Nouméa » et ainsi permettre à la Nouvelle-Calédonie de construire pacifiquement et sereinement son avenir institutionnel et ses relations avec l'Hexagone ».

Liste des propositions du rapport d'étape

Proposition n° 1 : Garantir l'impartialité de l'État et consolider son rôle de proposition sur le dossier calédonien.

Proposition n° 2 : Élargir les discussions à la diversité des défis auxquels devra répondre la Nouvelle-Calédonie (économie, société, santé, école, culture, environnement, finances, contexte régional).

Proposition n° 3 : Écouter et consulter les acteurs économiques, sociaux, environnementaux, culturels, coutumiers, religieux ainsi que la jeunesse calédonienne.

Proposition n° 4 : S'appuyer davantage sur les maires de Nouvelle-Calédonie, forces de propositions pragmatiques et concrètes.

Proposition n° 5 : Associer pleinement le Parlement aux discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Proposition n° 6 : Conduire des discussions politiques éclairées par des considérations juridiques.

Certaines des revendications et préoccupations soulevées à cette occasion paraissent avoir reçu une première réponse dans les actions menées depuis par la Première ministre, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et le ministre délégué aux outre-mer. Ainsi en est-il de l'organisation de réunions bilatérales avec l'État, à la demande des responsables indépendantistes, ou encore de la réalisation d'un audit de la décolonisation et, à la demande des responsables non-indépendantistes, d'un bilan de l'accord de Nouméa. La mission s'en félicite.

Soucieux de renouer les fils du dialogue, le Gouvernement a multiplié les actions en ce sens et plusieurs de ses membres se sont rendus en Nouvelle-Calédonie54(*), à quatre reprises entre septembre 2022 et juin 2023. En complément, la Première ministre a invité, le 28 octobre 2022, l'ensemble des parties à une réunion sous un nouveau format, une « convention des partenaires » devant réunir les forces politiques, économiques et sociales calédoniennes.

À l'issue de cette « convention », la mission a auditionné, le 2 novembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, pour un premier bilan de l'action du Gouvernement en Nouvelle-Calédonie. En réponse aux questions des rapporteurs s'agissant de l'annonce faite en 2021 par le gouvernement, puis réitérée en 2022, de la tenue d'un « référendum de projet » avant la fin du premier semestre 2023, le ministre Gérald Darmanin a annoncé son report sine die55(*).

En parallèle, le Gouvernement a, en accord avec les participants à la « convention des partenaires » et avec les représentants indépendantistes, réuni des groupes de travail sur huit thématiques relatives à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie : les questions institutionnelles, l'égalité des chances et la cohésion sociale, le développement économique, le nickel, la souveraineté énergétique, la souveraineté alimentaire et le foncier, les valeurs, l'identité commune et la réconciliation ainsi que le rayonnement régional.

La présentation par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, lors de son dernier déplacement en Nouvelle-Calédonie, d'un audit de la décolonisation et d'un bilan de l'accord de Nouméa procède d'une logique similaire.

Les rapporteurs prennent acte de cette prise de conscience du Gouvernement de la nécessité de renouer les fils du dialogue entre les parties calédoniennes par des actes concrets et répétés, rejoignant ainsi leurs préconisations. À cet égard, l'élargissement des discussions aux sujets non-institutionnels et la consultation des acteurs économiques, sociaux, environnementaux, culturels, coutumiers, religieux ainsi que la jeunesse calédonienne, sont particulièrement bienvenus.

Néanmoins, si elles vont dans le bon sens, ces actions du Gouvernement n'ont pas encore produit les effets escomptés puisqu'elles n'ont ni permis de renouer un dialogue direct entre les parties au dossier calédonien ni jeté les bases d'un accord quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie : le dialogue demeure séparé entre les trois parties prenantes et des aspérités perdurent quant à la méthode employée.

En effet, aucun dialogue trilatéral réunissant l'ensemble des parties calédoniennes et l'État ne s'est engagé à ce jour, en dépit des invitations répétées du Gouvernement adressées à l'ensemble des parties.

Par ailleurs, les conditions dans lesquelles a été mené l'audit de la décolonisation ont conduit au rejet de ses conclusions par les responsables indépendantistes. S'il a mobilisé les services de deux personnalités qualifiées, force est de constater que cet audit, confié à un cabinet de conseil privé, n'a pas présenté l'ensemble des garanties attendues des parties locales, singulièrement les responsables indépendantistes.

Les rapporteurs relèvent que plusieurs des critiques formulées à l'égard du rapport sont pertinentes : les auditions menées par les consultants n'ont pas été suffisantes - notamment s'agissant de la société civile et des représentants des acteurs consulaires. Ils appellent en conséquence à la plus grande vigilance pour l'avenir quant à la méthode mise en oeuvre par le Gouvernement dans la conduite de ce dossier. La production de rapports d'audit censés éclairer l'ensemble des acteurs du dossier doit être irréprochable sur le plan méthodologique. L'État doit être garant de leur impartialité et de leur sérieux. Leur réalisation ne devrait pas être déléguée à un cabinet d'audit.

Enfin, certains sujets, pourtant majeurs, n'ont toujours pas fait l'objet de discussions, même bilatérales, entre les parties calédoniennes et l'État. Il en va ainsi du fonctionnement des institutions calédoniennes et de la répartition entre elles des compétences, mais aussi de l'ensemble des sujets non-institutionnels tels que les finances des collectivités et les comptes sociaux calédoniens.

Aussi les rapporteurs appellent-ils désormais à consolider et améliorer le dialogue entre les parties.

Dans cette perspective, ils estiment que les conditions de la tenue d'un dialogue trilatéral, pour la première fois depuis la fin du processus de l'accord de Nouméa, semblent aujourd'hui réunies.

D'une part, le Gouvernement a accédé aux demandes formulées par la partie indépendantiste de tenir des réunions bilatérales avec l'État avant d'envisager la reprise d'un dialogue trilatéral.

D'autre part, si la nomination de Sonia Backès au Gouvernement en qualité de secrétaire d'État rattachée au ministre de l'intérieur et des outre-mer a pu susciter des doutes légitimes sur l'impartialité de l'État, les rapporteurs constatent que la situation a depuis été clarifiée.

Aujourd'hui, les ministres Gérald Darmanin et Jean-François Carenco sont les seuls acteurs gouvernementaux, sous l'autorité de la Première ministre, Élisabeth Borne, à s'exprimer sur ce dossier et à conduire les discussions préalables aux négociations à venir. La conduite par l'État de réunions bilatérales et l'implication du Gouvernement dans celles-ci constituent de premiers gages de confiance, sur lesquels il importe de faire fond. Les rapporteurs demeureront vigilants à ce que l'équilibre ainsi trouvé soit maintenu afin de préserver la confiance des parties comme de la population dans l'issue des négociations.

Comme l'observait Jean-François Merle56(*), « ce processus repose depuis toujours sur un trilogue entre les indépendantistes, les non-indépendantistes et l'État, dans un rôle à la fois d'arbitre et d'acteur ». Il est souhaitable que toutes les parties s'y montrent prêtes.

2. Une triple exigence pour accepter, par la suite, toute modification législative ou constitutionnelle

Tout accord local nécessitant une évolution institutionnelle sera obligatoirement soumis au Parlement et en conséquence examiné par le Sénat.

Une fois saisie d'un projet de texte, la commission des lois pourra proposer au Sénat de l'adopter s'il traduit un accord équilibré. Elle ne manquera pas de le faire dès lors que l'accord ne se sera pas réalisé au détriment de l'une des parties, y compris l'État.

Trois conditions cumulatives devraient être réunies pour l'approbation d'un accord par le Parlement :

- En premier lieu, que chaque partie sorte des discussions en ayant obtenu la reconnaissance claire de demandes légitimes :

La négociation en cours doit rester, jusqu'à son terme, un exercice de compromis sincère et aboutir à la conclusion d'un accord répondant aux attentes les plus légitimes de chacune des parties dans l'intérêt général des Calédoniens. Les rapporteurs appellent l'ensemble des parties et singulièrement le Gouvernement, chargé de conduire les négociations, à prêter une attention particulière à l'acceptabilité sociale des équilibres qui seront issus des discussions, et ce dans le respect de la diversité des composantes de la société calédonienne ;

- En deuxième lieu, le refus de traiter isolément les différents sujets institutionnels, seul un accord global étant possible.

Un futur accord sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ne saurait être découpé en plusieurs textes disparates, qui rendraient illisible le projet d'ensemble nécessaire pour que les Calédoniens puissent construire ensemble un avenir commun. L'équilibre de l'accord en dépend. Il doit constituer un accord global, fondement de nouveaux équilibres institutionnels, politiques, économiques, sociaux et culturels calédoniens ;

- En troisième lieu, un engagement clair et fort de l'État pour faire émerger un consensus tout en étant lui-même force de propositions.

L'État ne saurait être un garant légitime de la crédibilité du processus s'il n'adopte pas une attitude proactive, conjuguant écoute des acteurs et capacité d'initiative dans la formulation de propositions de compromis sur l'ensemble des thématiques restant en discussion.

Comme les rapporteurs l'avaient rappelé dans le cadre du rapport d'étape, « tout en permettant aux Calédoniens de s'accorder sur leur avenir, l'État ne saurait se résigner à la position attentiste de n'être que le simple greffier d'accords politiques préexistants localement ». Il doit au contraire « prendre toute sa part à la création des conditions indispensables à l'émergence, par le dialogue et la reconnaissance mutuelle, d'une solution politique équilibrée, consensuelle et durable ».

À cette condition, fort des moyens d'aide à la décision dont il dispose et de la place centrale dont il doit faire usage, l'État pourra garantir la crédibilité de l'accord et, ce faisant, favoriser son acceptabilité par les Calédoniens.

Si l'ensemble de ces conditions sont réunies, l'accord pourra être équilibré entre les parties, source d'unité et de confiance dans l'avenir pour tous les Calédoniens, global dans les sujets qu'il traitera et crédible par l'implication de l'État.


* 54 Réponse de la Première ministre à la question d'actualité au gouvernement posée par Pierre Frogier le 21 juin 2023, publiée au JO Sénat du 22 juin 2023, p. 5530 : « En moins d'un an, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et le ministre chargé des outre-mer se sont rendus sur place à quatre reprises pour échanger avec l'ensemble des acteurs calédoniens. J'ai également réuni une convention des partenaires à Paris au mois d'octobre 2022 et rencontré la délégation du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), et les représentants non-indépendantistes le 11 avril dernier ».

* 55 Audition des ministres Gérald Darmanin et Jean-François Carenco le 2 novembre 2022 par la commission des lois. Le compte rendu est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20221031/lois.html

* 56 Audition d'Alain Christnacht et de Jean-François Merle, co-auteurs du rapport de la mission d'écoute et de conseil sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, le 15 juin 2022. Le compte rendu de cette audition peut être consulté dans le rapport d'étape : https://www.senat.fr/rap/r21-831/r21-8311.pdf.