N° 882

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur : « Réinvestir les Balkans occidentaux : un impératif stratégique »,

Par M. Olivier CIGOLOTTI, Mme Hélène CONWAY-MOURET,
M. Bernard FOURNIER et Mme Michelle GRÉAUME,

Sénateurs et Sénatrices

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Rachid Temal, vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury, secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Gilbert Roger, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard.

L'ESSENTIEL

Le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février 2022 a renforcé l'importance stratégique de la région des Balkans occidentaux, dont l'intégration au sein de l'Union européenne n'a pas abouti plus de vingt ans après la consécration de leur perspective européenne.

Dans ce contexte, les rapporteurs analysent l'action de la France et de l'Union européenne face au risque de déstabilisation des Balkans occidentaux dans un environnement stratégique dégradé.

I. LES BALKANS OCCIDENTAUX SONT FRAGILISÉS PAR L'INABOUTISSEMENT DE LEUR PROCESSUS D'INTÉGRATION EUROPÉENNE ET PAR LA PERSISTANCE DE LEURS DIVISIONS

A. LA LENTEUR DU PROCESSUS D'ADHÉSION À L'UNION EUROPÉENNE FAVORISE L'INTERVENTION CROISSANTE DE PUISSANCES EXTÉRIEURES DANS LES BALKANS OCCIDENTAUX

1. Vingt ans après le sommet de Thessalonique, la lenteur du processus d'intégration nuit à la crédibilité de l'Union européenne dans les Balkans occidentaux

Source : www.touteleurope.eu

Les années 1990 ont été marquées dans les Balkans occidentaux par le déroulement des guerres de sécession yougoslaves qui ont provoqué entre 150 000 et 200 000 morts dont 40% de victimes civiles réparties dans les différents pays de la région.

Après la fin de la guerre du Kosovo, pour accompagner la pacification de cette région en assurant son intégration dans la construction européenne, les États membres de l'Union européenne ont consacré au sommet de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003 la « perspective européenne des pays des Balkans occidentaux »1(*).

Vingt ans après ce sommet, l'Union européenne ne s'est pas montrée à la hauteur des espoirs qu'elle a suscité en consacrant la vocation des pays des Balkans à intégrer l'Union européenne. Alors que la Slovénie, qui avait commencé ses négociations d'adhésion dès 1998, a rejoint l'Union européenne dans le cadre de l'élargissement de 2004, la Croatie est le seul autre pays des Balkans occidentaux à avoir mené à son terme son processus d'adhésion en intégrant l'Union européenne en juillet 2013, dix ans après la perspective consacrée à Thessalonique.

Vingt ans après la consécration de la perspective européenne des pays des Balkans, l'Union européenne n'a pas été à la hauteur des espoirs qu'elle a suscités.

La lenteur du processus d'adhésion dans les Balkans et les blocages qu'il rencontre sont illustrés par le cas de la Macédoine du Nord, qui a déposé sa demande d'adhésion à l'Union européenne en mars 2004. Après que la Macédoine du Nord a obtenu le statut de candidat en décembre 2005, l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Union européenne a été bloquée pendant treize ans du fait d'un différend avec la Grèce sur le nom du pays, qui a été résolu en juin 2018 par l'adoption de l'accord de Prespa qui prévoit l'utilisation du nom de Macédoine du Nord. Les négociations, qui ont ensuite été retardées par un différend avec la Bulgarie relatif à la présence d'une minorité bulgare en Macédoine du Nord, ont finalement été ouvertes en juillet 2022, dix-huit ans après le dépôt de la demande d'adhésion.

En parallèle, l'élargissement de l'Alliance atlantique a été plus dynamique dans les Balkans occidentaux qui ont constitué la principale région d'extension de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) depuis la fin des années 2000, avec l'entrée en 2004 de la Slovénie, en 2009 de l'Albanie et de la Croatie, en 2017 du Monténégro et enfin de la Macédoine du Nord en 2020. Cette intégration efficace des pays des Balkans à l'Alliance atlantique, qui contraste avec la lenteur du processus d'adhésion à l'Union, constitue un facteur de sécurisation de cette zone mais ne suffit pas à engager un mouvement de convergence économique et sociale des pays des Balkans avec les États membres de l'Union.

Par surcroît, la lenteur du processus d'intégration à l'Union européenne a suscité dans les populations concernées un sentiment de frustration voire de découragement. En Serbie, pays candidat à l'Union européenne depuis 2012, seuls 34% de la population se déclarent désormais favorables à l'adhésion ; à l'échelle de l'ensemble des pays des Balkans occidentaux, 37% des citoyens estiment que le processus d'intégration à l'Union européenne n'aboutira jamais.

Ni l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord en juillet 2022 ni l'octroi en décembre 2022 du statut de candidat à la Bosnie-Herzégovine ne suffiront à dissiper le sentiment de désintérêt de l'Union ressenti par certains citoyens des pays des Balkans occidentaux, parfois accentué par la célérité avec laquelle le statut de candidat a été octroyé à l'Ukraine et à la Moldavie en juin 2022 dans le sillage du déclenchement de la guerre en Ukraine.

 
 
 

entre le dépôt de la candidature de la Macédoine du Nord et l'ouverture des négociations

des Serbes sont favorables à l'adhésion à l'Union européenne

des citoyens des pays des Balkans occidentaux pensent que l'intégration européenne n'aboutira jamais

2. L'inaboutissement du processus d'intégration européenne des Balkans favorise un investissement croissant des puissances extérieures dans la région

Sa situation stratégique au nord-est du bassin méditerranéen et son histoire marquée par les influences successives des empires ottoman et austro-hongrois font de la péninsule balkanique un lieu privilégié d'investissement économique, diplomatique et d'influence pour les puissances extérieures à la région. La dégradation du contexte géostratégique mondial induite par l'agression de l'Ukraine par la Russie depuis février 2022 accentue le risque de déstabilisation des pays des Balkans par des puissances globales ou régionales qui bénéficient des blocages du processus d'adhésion à l'Union européenne pour renforcer leur influence dans les Balkans.

En premier lieu, la Russie s'appuie sur sa proximité culturelle avec les communautés orthodoxes présentes dans les Balkans occidentaux pour renforcer sa présence diplomatique, économique et militaire dans la région. Sur le plan diplomatique, la Russie a maintenu des liens, y compris après le déclenchement de la guerre en Ukraine, avec les autorités serbes et les autorités de la Republika Srpska, entité fédérée de la Bosnie-Herzégovine, en s'appuyant notamment sur la dépendance de la Serbie à son approvisionnement en gaz russe, qui représente 80% de la consommation de gaz serbe. En matière d'influence, la Russie dispose en outre de relais efficaces constitués par la présence de l'agence Spoutnik dans les Balkans et du média Russia Today qui dispose d'un canal de diffusion spécifique dans la région avec RT Balkan. Enfin les forces armées serbes continuent de coopérer avec la Russie et à acheter du matériel militaire aux entreprises russes à l'image des six avions de combat MiG-26 acquis en 2016.

La Chine a investi 10 milliards de dollars en Serbie entre 2005 et 2019

En deuxième lieu, la Chine est un acteur qui intervient de manière croissante dans les pays des Balkans occidentaux dont elle est devenue en 2019 le deuxième partenaire commercial. Le développement de la présence chinoise dans les Balkans s'est notamment appuyé sur des investissements économiques croissants qui ont représenté 15 milliards de dollars entre 2005 et 2019, dont 10 milliards en Serbie. Si ces investissements ont permis de financer de nombreuses infrastructures dans les Balkans, notamment dans le domaine des transports, ils ont également contribué à créer un risque de dépendance financière des pays de la région vis-à-vis de la Chine, comme en témoigne le prêt d'un milliard d'euros consenti par la Chine au Monténégro, qui représente à lui seul 25% du PIB monténégrin.

Enfin en troisième lieu, d'autres puissances régionales renforcent leurs leviers d'influence dans les Balkans occidentaux dont en particulier la Turquie qui intervient en priorité dans trois pays des Balkans à majorité musulmane (Albanie, Bosnie-Herzégovine et Kosovo) en finançant des programmes de réhabilitation du patrimoine ottoman et en développant son réseau de centres culturels Yunus Emre. Parallèlement, la Turquie bénéfice de son appartenance à l'Alliance atlantique pour développer sa coopération militaire avec les pays de la zone et elle constitue le troisième contributeur à l'opération de l'Union européenne en Bosnie-Herzégovine EUFOR-Althea et le quatrième contributeur de la Force pour le Kosovo (KFOR) de l'OTAN.


* 1 v. conclusions du Conseil européen de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003, §40