B. LES PAYS DES BALKANS OCCIDENTAUX CONNAISSENT DES SITUATIONS CONTRASTÉES MARQUÉES PAR DES DIVISIONS PERSISTANTES QUI ENTRAVENT LEUR INTÉGRATION À L'UNION EUROPÉENNE

1. La Bosnie-Herzégovine connait une situation de blocage politique prolongé que l'octroi du statut de candidat à l'Union ne permettra pas de résoudre sans une réforme institutionnelle d'ampleur

Près de trente ans après la fin de la guerre de Bosnie, la constitution politique de la Bosnie-Herzégovine correspond toujours à l'annexe 4 des accords de Dayton qui ont été signés le 14 décembre 1995 pour mettre fin à la guerre. Négociés et rédigés dans un contexte de guerre civile, les accords de Dayton avaient pour objectif d'arrêter les combats et non d'organiser durablement un régime politique en temps de paix. Par suite, l'absence d'évolution institutionnelle significative depuis les années 1990 génère une situation de blocage politique en Bosnie-Herzégovine qui ralentit son processus d'intégration européenne.

La complexité du système politique bosnien, qui repose sur une partition fédérale entre deux entités et un district, se traduit par une dispersion du pouvoir qui est partagé entre quatorze parlements distincts et par un pouvoir restreint de l'État central dont la présidence collégiale est partagée entre les trois « peuples constitutifs » reconnus par les accords de Dayton : les Bosniaques, les Croates et les Serbes. La présence d'un Haut Représentant de la communauté internationale, nommé par le Conseil de mise en oeuvre de la paix, fait en outre l'objet de critiques formulées par les populations locales notamment après que le Haut Représentant a décidé en octobre 2022 de modifier la loi électorale bosnienne le jour même de la tenue des élections, remettant en cause le crédit apporté au processus électoral.

Ce blocage politique explique en partie le faible développement socio-économique de la Bosnie-Herzégovine où l'absence de services publics efficaces motive un phénomène d'exil massif : alors que la population est estimée à 3,5 millions de personnes, les départs du territoire depuis la signature des accords de Dayton sont estimés à 2 millions.

La réforme du droit électoral bosnien, condamné comme discriminatoire par la Cour européenne des droits de l'homme, est un préalable à l'ouverture des négociations d'adhésion.

Dans ce contexte, l'octroi du statut de candidat à l'Union européenne intervenu le 15 décembre 2022 n'est qu'une première étape et ce statut a été assorti de 14 priorités de réformes considérées comme un préalable à l'ouverture des négociations, qui comportent plusieurs secteurs de réforme en matière d'État de droit et notamment l'impératif de révision du droit électoral bosnien, dont le caractère discriminatoire a été condamné dès 2019 par la Cour européenne des droits de l'homme2(*).

Enfin, depuis la fin de la guerre civile, la Bosnie-Herzégovine accueille sur son territoire une mission de maintien de la paix qui a été prise en charge par l'Alliance atlantique jusqu'à 2004 et qui depuis cette date assurée par l'opération de l'Union européenne EUFOR-Althea dont les effectifs ont été portés de 600 à 1 200 en 2022 pour tenir compte de la dégradation du contexte consécutif au déclenchement de la guerre en Ukraine. La France participe activement à cette mission grâce à un contingent de 27 militaires dont 5 officiers insérés dans l'état-major de l'opération.

2. Le dynamisme économique de la Serbie ne pourra être un levier d'intégration dans l'Union européenne qu'à la condition de garantir effectivement la préservation de l'État de droit

Par contraste avec les autres pays des Balkans occidentaux, la Serbie bénéfice d'une grande stabilité politique depuis l'arrivée au pouvoir d'Aleksandar Vucic qui a occupé le poste de premier ministre entre 2014 et 2017 et qui occupe depuis la fonction de président de la République, pour laquelle il a été réélu en avril 2022 pour un mandat de cinq ans. Par ailleurs, la Serbie est un des pays les plus dynamiques de la zone sur le plan économique et a connu une croissance de 4% en 2019, et de 3,5% en 2022 bien que la crise sanitaire ait provoqué une période de ralentissement de l'activité dans l'intervalle.

Pour autant, malgré le soutien affiché du président Vucic à la perspective d'intégration européenne de la Serbie, qui a ouvert ses négociations d'adhésion dès juin 2013, les autorités serbes n'alignent pas leurs positions diplomatiques sur celles de l'Union européenne et continuent de revendiquer une position d'équilibre entre l'Union européenne et la Russie comme en témoigne le fait que la Serbie a voté en faveur de la résolution du 2 mars 2022 de l'Assemblée générale des Nations unies condamnant l'invasion russe en Ukraine tout en refusant d'appliquer à la Russie les sanctions économiques mises en oeuvre par l'Union européenne depuis le déclenchement de la guerre.

Source : Cour des comptes européenne, sur la base des indicateurs de Reporters sans frontières

En parallèle, les réformes entreprises depuis l'ouverture des négociations d'adhésion n'ont pas permis d'améliorer suffisamment la situation de l'État de droit en Serbie, qui constitue pourtant une condition essentielle pour l'aboutissement du processus d'intégration à l'Union européenne. En particulier, le recul de la liberté de la presse mesuré par les organisations de la société civile concernant la Serbie est en contradiction avec le processus d'adhésion et fragilise la crédibilité d'une intégration rapide de la Serbie au sein de l'Union.

3. Le programme de réforme adopté par le gouvernement du Kosovo depuis 2021 ne permettra son intégration à l'Union européenne qu'à la condition d'une normalisation des relations avec la Serbie

Depuis les élections de février 2021, le Kosovo est dirigé par le premier ministre Albin Kurti dont le gouvernement a été élu en défendant un programme ambitieux de modernisation dans l'objectif d'accélérer l'intégration européenne du Kosovo, fondé sur plusieurs réformes en matière de lutte contre la corruption, de développement économique et de renforcement de l'État de droit. Dans ce contexte, la France soutient la candidature du Kosovo au Conseil de l'Europe qui a été déposée en mai 2022 et que le Conseil des ministres a décidé en avril 2023 de transmettre pour avis à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE). Parallèlement, le Kosovo a également déposé en décembre 2022 une demande d'adhésion à l'Union européenne dont les chances de prospérer à court terme sont limitées par le fait que cinq États membres de l'Union3(*) ne reconnaissent pas l'indépendance du Kosovo déclarée unilatéralement le 17 février 2008.

En dépit des réformes entreprises en matière de politique intérieure, l'intégration européenne du Kosovo est entravée par la persistance de son différend avec la Serbie. Depuis 2011, l'Union européenne joue un rôle de médiateur entre les deux parties à travers le « dialogue Belgrade-Pristina », qui a permis la conclusion le 18 mars 2023 de l'accord d'Ohrid sur la mise en oeuvre de la normalisation entre les deux pays. Toutefois, la faible participation aux élections municipales anticipées organisées dans le Nord du Kosovo en avril 2023 et la lenteur de la mise en place d'une association des municipalités à majorité serbe du Kosovo a provoqué de nouveaux affrontements en mai 2023 au Nord du Kosovo qui ont provoqués une trentaine de blessés parmi les militaires de la Force du Kosovo, opération de maintien de la paix de l'OTAN présente sur le territoire kosovar. La persistance du différend entre les deux pays est un obstacle à l'approfondissement de leur intégration européenne.

Les affrontements dans le Nord du Kosovo en mai 2023 ont freiné le processus de normalisation des relations Belgrade-Pristina prévu par l'accord d'Ohrid.


* 2 v. CEDH, Gr. ch., 22 décembre 2019, Sejdic-Finci c/ Bosnie-Herzégovine

* 3 Chypre, Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie